2. PROPOS DE LINSTITUTEUR
Liinstituteur dit:
— Vous avez, sans doute, remarqué, combien rudimen-
taire, combien affligeante est la mentalité des gens, en ce
pays ?... Je ne puis m’y faire, et cela me révolte chaque jour,
davantage... Bien qu'un chemin de fer, un télégraphe, un rélé-
phone méme, rendent notre situation, en quelque sorte, pri-
vilégiée par rapport a bien d'autres pays, je veux croire que
est 12 un pays et des choses exceptionnels... Mais est-ce que
vraiment je le crois... J'ai vu quelques autres pays, exclusi-
vement agricoles, comme est celui-ci, et ils répétaient les
mémes désolants phénomenes... N’est-ce point affreux de pen-
ser que des tres humains, soi-disant ‘affranchis et libres,
vivent des mémes ténebres et dans Jes mémes ténebres que
les sauvages Océaniens, ici, en France, aprés plus de trente
ans de République, pourvus de moyens de communications,
instruments de progres, a cent kilometres, seulement de
Paris ow les relations sont, sinon guotidiennes, du moins fré-
quentes et réciproques ?..-On s'imagine que le contact avec les autres hommes, le
conflits permanents des échanges et des intéréts économiques,
le déplacement qui désenkylose les habitudes routiniéres, q!
le va-et-vient de la vie, enfin, doit exciter un peu Vactivite
jntellectuelle, et faire comme un commencement d’éducation
— au moins défensive. Eh bien, nom... Rien de tout cela,
ici, n’a une influence éducatrice et — comment dirai-je 2? —
civilisatrice. Quand vous vous emtretenez avec un pays
yous étes étonné de son ignorance, méme de son ignorand
professionnelle, et surtout de l'état de stagnation sauvage ot
s’obstine son esprit. Le plus petit changement, le moindr
progres, qu'il devaic accueillir avec joie, lui semble un bou
leversement intolérable ; et il le redoute, 2 l’égal des pire
violences révolutionnaires, car la Révolution n’évoque pli
en lui la date de sa délivrance, la reconnaissance de sa pi
sonnalité sociale, mais un amas d’ivresses lugubres aveu,
tes, et — retenez bien ceci — des attentats contre la
priété. Voila ce qu'il sait de la Révolution qui, de bé
somme, le fit citoyen, de mendiant criblé de coups et
rant de faim, propriétaire.
Entre un paysan d'ici et un Tasmanien, il n’existe pi
ainsi dire pas de differences essentielles. C’est le méme
veau obscur et fermé, la méme Ame encrassée des mé
superstitions grossiéres et fétichistes. Ce que jy vois suf
de décourageant, c'est que, en dehors de ce qui concerne
semailles et leurs récoltes, ils n’ont pas la moindre curio}
en quoi que ce soit ; Y'inmense grondement de la vie, ai
d’eux, n’arrive pas jusqu’a leurs oreilles ; et si, parfois,heures tragiques, il leur arrive, ils léteignent comme un
importun bourdonnement de frelons. Et encore sen
remettent-ils bien plus a V'intervention divine qu’a leur ingé-
niosité individuelle ou collective du soin de protéger ces récol-
tes, de les faire plus abondantes, plus chéres et meilleures.
lls ne sont pas absolument cléricaux, au sens militant de ce
mor, se méfient du curé, dont ils craignent l'Apreté quéman-
deuse, ne se livrent point aux pratiques courantes de la reli-
gion. Pourtant, ils crotent fermement au pouvoir agricole des
saints, parmi lesquels ils comptent, déja M. Méline' qu’ils
ne se représentent plus qu’avec une tunique de lin mauve,
croilée d’argent, et un nimbe d’or, autour de la téte,
M. Méline n’est plus, déja un homme, un homme qui fut
ministre, c'est quelque chose de plus et de mieux, une entité
merveilleuse et surnaturelle, une sorte de saint qui sera, peut-
ere, Dieu, un jour, un sous-bon dieu, qui commande a la
pluie, 2 la gréle, au gel, a la sécheresse, aux insectes dévora-
icurs, a la foudre, et qui, toutes les nuits, vole avec deux
ailes blanches, au-dessus des moissons, des prairies, des trou-
peaux, pour les vivifier et pour les bénir. Ils ne l’ont pas
encore consacté, au fond d’une niche, dans leurs églises, parce
qu’ils vont peu a léglise, et que, si fervent qu’il soit pour
M. Méline, le curé lui préfere encore saint Antoine de Padoue.
Mais a la fagon dont se développe et se déforme la légende
hagiographique de ce Protecteur du blé et de la betterave,
cela viendra bientét. Bientot, nous verrons son image en pla-
tre doré, portée par quatre hommes, faire tous les frais cul-
tucls des promenades rogatoires, et des foules suivront, en
Karol Cytrowski, L'Abbé Jules D'octave Mirbeau en Tant Qu'exemple de L'influence de Fiodor Dostoïevski Sur Le Roman Français de La 2e Moitié Du XIXe Siècle
Lucía Campanella, "Le Journal D'une Femme de Chambre" Et "Puertas Adentro" de Florencio Sánchez: Rencontre Interocéanique de Deux Écrivains Anarchisants