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Octave MIRBEAU

PETITS POÈMES PARISIENS


Elle, fière de son succès, se démène, se trémousse, se
dandine, se tortille, essayant de mettre dans ses gestes lâches
et tremblés un zeste de provocation grossière. Sa lèvre, qui
pend, grimace un sourire, et ses yeux, dont les œillades ont
usé et terni l’éclat, promènent sur la foule qui l’entoure un air
de triomphe hébété.
Et rien n’est mélancolique, comme le spectacle de cette
vieillesse dont le fard ne cache plus la lividité, dont le plaisir
sans merci fouette les membres meurtris et lassés, et qui va,
sautillant comme une sorcière, sans remords et sans pensée,
des hontes de la vie aux terreurs vengeresses de la mort
éternelle.
Et là, tout près, la Seine coule, toute noire, sinistre et
muette. Un feu rouge qui danse au vent, au-dessus d’un
chaland, amarré de l’autre côté de la rive, tremblote dans ce
sombre, et se reflète, comme une tache sanglante, dans cette
eau qu’on ne voit pas, mais qu’on devine.

Le Gaulois, 18 juillet 1882

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