Octave Mirbeau, de Moïse À Loyola

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DE MOISE A LOYOLA Un soir, au Casino de Génézareth-sur-Mer, nous étions, M. Joseph Reinach et moi, assis Yun prts de V'autre — non point par hasard, inais par Glection de sympathie — & Is table dos Petits Chevaus. M. Joseph Reinach’ gagnait beaucoup ; aussi aitil tres aimable. Mais, je dois le dire, qu'il perdit on qu'il gegnit, il be montrait toujours vis-2-vis de moi el, d’ailleurs, tis-d-vis de font To monde, d'une inaltérable, ompressée ef charmante amabilité. Pes une seule fois je n’avais remarqué, en lui, c¢ ton tranchant, cette morgue, celte Insolence com- ative qu'il avait A la Chambre, au temps de sa puissance ; pas une seule fois, non plus, it no nous avait parlé de tuer ou d'emprisonnery ‘ow de reléguer ses adversaires, Il semblait vrai ment renoncer aux réquisitoires tenribles, aux grandes of petites calilinaites, aux justes lols, DR MOISE A LOYOLA BL aux permanentes guillotines. Je Vaimais infi- niment, Et, dans tout Génézareth-sur-Mer, it n’y avait qu'un cri : » Quel charmant gargon J » Oh | sa conversation sar ta plage, a Mheure du baia L.. nous enchantait, nous enthousias- nait per son éradition Jittéraire, si yasle et tou- jours préte... avee quel art élégant et parfumé ‘remuer, attifer, pomponner les jolis sur les femmes et l'amour, au dix- Ihuitiéme ‘sidcle 1... Et quelle forte saveur — & Ya Plutarque, ma foi !— dans les portraits qu'il nous tragait de Gambetta, inépuisablement I. Line matinée qu'il pleuvait, et que nous étions réunis chez lui, A regarder Ja mer, & regarder Ja pluie tomber sur Ia mer, il me donna, avec tune bonne grice parfaite, non moins qu’avec tune évidente sinoérité, In raison de cette trans- formation qui me ravissait, wtVous comprenez bien, mon cher, me dit- 1s, je suis temu & beaucoup de réserve, beaucoup de ménagemnents, beaucoup de soupleste mo- rale.,, Je dois sourire a droite, & gauche, devant, dorritre... Ht Ja littérature m’est un merveilleus moyen de dépister Ja malignité des gens. Done, tant que cette désastreuse affaire de Panama ne sem pas réglée et entencée définitivement, je ‘suis obligé d’tre exclusivement anccdotique et littéraire '... Gertes, en tout ceci, mos mains sont nettes... Je n'ai rien A craindre... et per- sonne ne m'accuse I... Oui, mais c'est mon nom... mon secré nom |... Ah { si je pouvais 132 curs ficrrvarvs en changer |... Ai-je de la déveine, moi si pur, de porter un nom aussi facheusement synonyme de celvi que porta cet isthme maudit 1... Quand fon prononce quelque patt : « Panama |»... et Diew soit 1... immédiatement j’6voque ce nom fatal : « Reinach 1 » comme, dans un autre genre, Ie nom de « Napoléon ! » aprés celui « Austerlitz I». Mais j’ai de la patience... L patience est le génie de ma race. J’attends que celle alfaire-d soit liquidée et, en attendant, ave confine dans ln littérature, dans histoire, of dans le charme de fa tolérance universelle Apriés, nous verrons.... nous verrons |... Car ‘yous pensez bien, mon cher, que je n’ai pas fini de légiférer, et que j’en ai encore dans Je ventre — ah I que j’en ai encore dans te ventre — ah ! sn at | — de ces fameux réquisitoires, et de ces retentissantes jusies lois |... Vous” sere étonné Ie jour oft je Heherai tout cela sur la France | — Dieu veuille que co soit bientdt |... sou- haitai-je... Car la littérature ne perdra rien en vous perdant... et Ia politique a rudement be- soin de yous, mon cher Reinach... — Je le sais I {itil simplement. Bt il me serra fa main, heurenx de sentir en moi la chaleur d'une wraie amitié, et que quel qu'un Te comprit, dans ta chrétienté 1... Or done. Ie soir dont je parle, M. Joseph: Rei nach avait beaucoup gagné... Les billets blens, Tes louis d’or, Jes blanches monnaies faisaient, _amime, si j'ose m‘exprimer DE MOIS A LOYOLA 133 devant lui, sur la table, une masse émportant Aprés un coup plus fructuenx oncore que tes autres, i se leva, — Tt ne faut pas exaspérer la veine | me dit- il... Partons { HL, d'une main puissante, il ram gain, qu'il mit, of, billets’ ot monn: ile, dans 1a poche’ de son smoking. La'nuit ait douce. Je l'accompagnai jusque ‘chez Jui. Tout en cheminant : — Vous avez, mon cher Reinach, gagné, ce soir, un gentil petit pécule. — Crest vrai! dit-il en secouant sa poche. Jo gagne toujours 1 Ss . — Eh bien... savez-vous ce que je ferais, moi, si Pétais a votre place ? = Dites |... — Je partirais tout de suite pour Jérusalem... je rebatirais le Temple... je. Mais il m'interrompit, trés grave. — Vy aid songé... autrefois |... C’était sen- lant 1. Avec mon activité de touche & tout, mes manies organisatrices et Légiférantes, et ce jacobinisme violemment persécuteur qui_n'ad- met ni serupules politiques, ni pitiés humaines, lest évident que je fusse arrivé trés vite quelque chose de prépondérant,.. d'autocratique insi | — Vous voyer |. — Roi de Jérusalem, n’estice pas ?.., C'est 4 quoi vous pensiez, je suis sir ?... 134 1s fonrvains — Parfaitement 1 Roi de Jérusalem 1... Oui, je Ie crois aussi |... Ft puis, ards ?... Roi de Jérusalem 1... Est-ce que cela ne yous fait pas, jun peu, l'effet dune royauté d’opéretie ?... Tl n'atiendit pas ma réponse, et, fermement, i déclara : — Non, mon cher, non 1... Et nous avons mieux, ici |... Il me prit le bras affoctueusement... Le ciel 4tait tout mauve... Un chant tr’s doux, tts mol, montait de la mer invisible et calme... Et les sons de Vorchestre du Casino nous arrivaient, énus, mourants, comme un chuchotis de voix lointaines, dans’ Ia forét... Troublés par cette poésie nocturne, nous ralentimes le pas... — Nous avons mieux ici, répéla M. Joseph Reinach... Nous avons tout ici { Pourquoi cher- cher aillours des aventures moindres et des si tuations diminuées ? ce serait duperie 1... D’ail- leurs, esprit de notre race est contraire & de tols "sacrifices, & de telles abdications 1. Yoyons 1.. Réfiéchissez... Nous sommes. fort bien pourvus, mon frére et moi... Et nous sommes tts’ jeunes, encore |... Théodore oc- cupe le chiteau de Saint-Germain... C’est_un personage désormais historique... Il succéde & Frangois I", & Henri IV, & Louis XIV .. Voit qui n'est, certes, pas banal 1... A notre époque, cela vaut mieux que de sucoéder & Salomon |... Et puis, on attendait, de lui, peutétre, qu'il BE MOISE 4 LOYOLA 135, reflt 'Beclésiaste | BL Théodore ne sent pas fn son ‘ime, le pessimisme nécessaire & ce gente de littérature t.. Quant & moi |... Eh. m Diew 1.. je ne le dissimule pas... ma fortune subit, en” co moment, une éclipse... Mais Tes Gclipses ne sont pas élernelles. Elles passent, astre demeure ; Astra manent... Et elles ont cect admirable ot de consolateur qu’elles semblent garder plus de lumitre i Vastre qu’elles ont yoilé un instant 1 Or, je suis cet astre... et Pa- nama cette éclipse |... Croyez que je rebrdlerai Dientot — et avec quelle plus intense clarté | — dans le gichis de notre firmament politique | Fétais ébranlé. L’heure se poursuivait, amol- lissante. Nul antisémitisme m'en dérangeait Je cours paisible ct capticux. Je sentais la natdre elle-méme harmonieuse & la volonté de mon ami ‘Triste et charmé tout ensemble, je murmurai — Vous avez peut-dtre raison, mon cher Ret nach. Avoues pourtant que c’ett été un beau rive |. Plus tendre, plus fralernel de s'étre confessé, il voulut me montrer toute son Ame : — Un beau réve I soupira-t-it. Eh bien, savez- yous & quoi j’ai révé ®... X quoi je rive tov. jours 2... Le secret de la passion et de Ia force fenace que vous daignez admirer en moi, Te sayez-vous ? ému | Car la voix de M. Joseph Reinach avait, 4 cette seconde, quelque chose

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