Octave Mirbeau, Les Faux Bonshommes de La "Comédie"

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i LES FAUX BONSHOMMES DE LA « COMEDIE On raconte une histoire extraordinairement gaic, ou extraordinairement triste, suivant Te tempérament d'un ehacon NM. les sociétaires de In Comédie-Francaise trouvérent, un beau matin, que les Fawr Bons Hommes, de Théodore Barritre, manquaient A eur répertoire. Nest depuis longtemps admis que cette comédie est un chefi’euvre, du moins deaucoup de gens Ie prétendent. En tout cas, elle aut mieux que toutes les tragédies de M. de Bornier, et mon avis est qu'elle enfonce considé- rablement les turlutaines du « vieux fils Dumas » ainsi que dit M. Léon Bloy, et les radotages des jounes Legouvé de la maison, IIfutconvenuqu'on songerait a consacrerle chef-d'uvre de Barritre, par une reprise éclatante et sans préeédents. Mais, 3 la Comédie-Francaise, on ne reprend pas les piéces, comme cela, simplement. Il fallait une cérémonio spéciale ott MM. les sociétaires eussent " : ; serine at et cavquelgoe sods dovenin cas Shoqtent ult te rf ee au toa qui failait mettrait Youvre a ssogne, coupail, chacun se mettait &Ja \ Tognail, comme s'il se fot agi d'une simple de drap. Me Barriére qui estehargée de lamémoire ‘de son mari, plus que MM. les eabotins ordinaires dela République francaise, je suppose, protesta- Elle ne permettait poiat a ces gens d’y fourrer ours vilaines pattes, et si des remaniements Aaientjugés nécessaires, bien que la pibee eft ‘obtenu sur toutes les scénesdu monde unimmense e pidee 6 corse suka suceds, elle exigeait qu homme du métier, & M. Gondinet. MM. les comé- dliens se récriérent. lis s'obstingrent & vouloir dés- honorer les Faux Bonshommes, et M=* Barriére retira la pitec Fai dgji dit ce que je pense des comédiens, et out ce qui s'est passé depuis m’adonné raison — méme au dela de ee que je pouvais espérer. On dirait que chacun deux & tenu a iMlusirer, d'un acte imbécile ou d'une prétention grotesque, chaque phrase de mon étude. Mais, moi qui les eroyais capables de tant de choses sottes et mau- vaises, je ne croyais pas que ces arrogant far- cours en arriveraient jusque-ti. Je ne pouvais concevoir qu’ils oubliassent V'hu:ilité de lour rang social au point de se substituer a la littéra: ture et de s'ériger en juges souverains non seulement des vivants, mais des morts, eux dont toute la vie dépend d'une cuite et d'un coup de sifflet. Nous verrons bientét le moment od ils bouleverseront a leur guise Moliére et Cor- neille, oii ils se permettront d’ajouter des phases de leur erd i Marivaux, ou de couper, suivant leur fantaisie du jour, des scenes entidres de Beau- marchais, La faute vient évidemment de Vinstinct cabotin quilles portea régenter tout ce quils touchent; elle vient surtout de linstitution méme de la Gomédie- Francaise. La Comédie-Frangaise, telle qu'elle est régie, est certainement la forme d'anarehie la plus ‘monstrueuse et la plus indécente qui se puisse LS TAUX poNSHONMES HE LA « comEnE » AT seneoulrer sur noire lerrestre planéte, Cest le domestique jugeant le maitze, le praticien jugeant Je sculptor, Feneadreur j Yon dit que nous sommes civil geant le peintre. BL , et en marche vers le progris définitif! Les auteurs, e'est-i-dire s qui tirent quelque chose de leur cerveau, on leur impose la honte de s'agenouiller devant des pitres, devant des hommes vagues et sans classement social, qui ne savent rien, viennent on ne sait d’oi, n'ont appris qu’ mal parler et a se mettre des jerruques sur la téte et des pein- tures au 1 faut qu’ils disent timidement « Voici mon auvre, jugez-moi. » Pour étre joué dans cette maison, il faut subir cette tare et recevoir, avant d'entrer, ce soufilet sur la joue. Depuis Victor Hugo jusqu’au plus platdes vaude- villistes, tous doivent subir cette épreuve infa- mante. Ainsi, ce qui pése sur Ja littérature, ce sont les comédiens ; ce sont eux qui ouvrent ‘ou ferment, suivant leur bon plaisir, la carritre d'un artiste et d'un écrivain, Les chefs-d’ceuvre et par consé- quent une bonne partie de la gloire d'un siécle — sont ala merci d'une assemblée de Tabarins, de Paillasses et de Bobéches mieux vétus, il est vrai, mais moins imprévus et ‘moins gais que ‘eoux de la foire. I dépend de leur fantaisie, de leur rancune personnelle, de leur camaraderie, de leur ignorance infinie, qu'une pice bonne soit refusée, et qu'une mauvaise soit acceptée. Fran- chement, n’estce point une chose monstrucuse a a ———Ssts mi vont ¥ Chague fu j ends qu'un auteur est allé lire v i Je comité de la Comédie-Franqaise me fi Je méme effet que si jlayprenais qu'un monsiew diner un iavité aver los domestique compromet Ja dignité littéraire et le vourbe sous des ‘névessilés avilissantes. Pourquoi ne me traient-ils pas ee théitre en interdit? Et pourquc ar oft les choses seraient nédie- Je, e@ qu’elles sont dang Tes autres ma Cortes, lee direetenrs daujour © sont point ce quill y a de mieux et Hest permis de souhaiter & la tte des thédtres des geas plas Iettrés, moias embourhés dans Jes routines et les partis pris, mais enfin, si insuffisants qu'ilssoient, jaime oncore mieux'insufisanced seal homme que la despotique im) bande de comédiens. M. Emile Bergerat a conté, dans son volume sur Théophile Gautier, une histoire adorable de comédien, et du pire des coméiliens, un danscur. Notre ami était allé chez M. Vaucorbeil, pour le prier de reprendre je no sais plus quel ballet du mattre. M. Vaucorbeil, tout d'abord, trouva Yidée bonne; mais comme il ne faisait rien sans prendre conseil, étant tres timide, il fit appeler M. Méranto ot lui soumit le eas. otique d'un ite d'une — Impossible, Monsivur, impossible, s*éeri M. Mérant — Mais ily ades rats, dansle halletde votre heau-pire. Des rats, pouali! des rats, com: prenez-vous, des rats — Eh hie — Mai jamais le public n’aeceplera ces rats, monsieur. Pensez-donc, des rats — Mais pourtent — Des rats, je vous dis, pouali! Etencore.. Alors, prenant une pose gracieuse de danseur, Ja jambe droite en avar bras arrondis, le corp: sourire aux levres, il pirovette — Et enzore, si c’étaient des abeilles! Je mollet marquant, les penché en arriére et le roprit, en exéentant une. (Le Franee, 19 mars 488.)

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