LE RAPPORT ox FREDERIC FEBVRE
En acreptant Ia mission, si gracicusement
offerte par le gouvernement républicain — et
cvei, je m'empresse de Je déclarer, n’implique, de
ma part, nul abandon de mes principes monar-
chistes siconnus — en aeceptant, dis-je, la mission
détudier & fond le situation théitrale et le mou-
yement dramatique dons les divers archipels de
Ja Polynésie, je n’avais pas un seul instant songé
qu'il existat quelque part des peuples assez déaués
pour parler une langue autre que celle de notre
immortel Molitre et — qu'on me permette
dajouter loyalement — de notre immortel Fré-
dérie Febyre.
Eh bien! il en existe.
Das que jfeus débarqué 4 Yune des terribles tles
Tidji, Mbaou, que j'avais choisie pour le début de
mes opérations, j’en fis, tout de suite, la cruelle
expérience.
Quelques uaturels de 'endroit — dirais-je abo-
rigtnes? Jes uns tout nus, les autres vétus de
simples tatouages rouges, d'une coupe nullement
anglaise, vinrent ma rencontre. Je dois avouer
que leur attitude marquait, envers ma personne,
plus de curiosité badaude que de véritable enthou-
siasme, bien que, pour frapper fortement Jeur
mogination, jeusse or devoir leur apparaitre
dans un costume de général frangai
trois cent quatorze Aéeorations, deux de plus que
Coquelia. Pas an ride: « Vive FrédéricFebyre! »
pas un discours de bienvenue, pas un bouquet!
lis n’avaient pas Yair de comprendre que le gra
rédérie Febyre leur olfrait ce prodigieux honneur
de poser ses illusires pieds sur leur sol natal,
auquel je pus, néanmoins, par une rapide inspec-
tion, fixer une origine voleanique — ceci pour les
géologues qui me liront, Loin d'etre vexé, je les
plaignis sincbremont de cette indifférenee par ott,
mieux que par leur peau noire et leur chevelure
laineuse, se révélait Y'infériorité de leur race.
Mais ce qui me cause un réel ennui, une vraie
Aéception, ce fut de les entendre converser dans
un charabis tellement inintelligible que je crus,
plaisamment, ma foi! quiils jouaient une pitce
a'lbsen.
— Diable! pensai-je, voila qui va terriblement
compliquer ma mission, et me gener dans mon
enquéte...
Et, m’adressant a l'un des officiers de l'escorte
— car ma suite était restée en arritre de moi, a
une distance respectueuse — je lui demandai :
— Quelle langue parlent donc ces gens-li?“236 (guns pemmfitme
— Le Fidjien! répondit, “avec. une bridvets
militaire, cet officier.
— Le Fidjien!... m'éeriai-je. Ab! par exemple...
Hy a une langue qui sappelle Je Fidjien |
je ne ta conaais F Meifhac! i ya der
it aussi, en Kidjien?
Fayais mis a
cette interpellation tout ce
que je erois avoir en moi d’ivenie Aégente et de
sareasme. Quelle ne fut pas ma stupeur,
mn'ayant examiné non sans un pitoyable
ees mots bi
is, définitifs comme un arrét de conseil
de guerre
— Wn'y a pas de theatre
quand,
étonnemeat, Vollicier yronon
trance:
Fidjien!
— Comment! surseutai-je
theatre Fidjien t... Ges gen
i sont done des sca
vages?
— Vous Vaver dit
des anthropophages.
Jo me sentis palir. Mais Vhabitude que j'ai de
personnifier, au théitre, les héros, m’a rendu
Vame forte. Réprimant’ aussitét lémotion ot
m/avaient mis ces paroles révélatrices, je déclarai,
avec cette ampl=ur mesurée du geste, ot cette
dignité de diction qui marquent d’un caractare
indébile mes eréations scéniques :
— Anthropophages, soit. Mais rien ne m'em-
péchera de faire mon devoir, et d'accomplir ma
mission... Qu’on me méne devant le roi
général... Ce sont meme
Sous Yombre d'un pandanus, debout et de
taille gigantesque, le roi donnait audience A ses
uerriers et ous princes du royaume, 1 était
mv turban de goze bh
filigrance Wor, et de Ja ceinture ot se balancait,
pareille a un court tablier, une feuille de pample
moussr. Sa peau, d'un noir clair, luisait ainsi
qu'un chapeau de soie qui vient d'étre passé au
fer. Pendant qu'il devisait des affaires de tat,
quelques négres, accroupis sur des nates, soul
flaient du nez dans une sorte de Mate, et une
troupe de danseurs tournaient en hurlant. Ce
speciacle ne manquait pas d'une certaine couleur
locale.
Pour ne point ralentir Ie palpitant récit de cette
entrevue mémorable, je dirai, une feis pour
toutes, qu'un interpréte, par Vintermédiaire de
qui devaient ¢ire traduites les paroles échangées
entre moi et le roi, se tenait a la gauche de celui-
ci, dans une attitude réveuse. Je remarquai que
seul, parmi tous ces hommes, il ne montrait
point ses nudités, étant vatu d'uneample chemise
de lin rose, et coiflé d'un vieux chapeau de haute
forme, dont la soie, usée et jaunie par le soleil de
Téquateur, so rebroussait en tous sens.
Sur un signe du roi, je m’approchai, et m’étant
prosterné comme il convient, je déposai aux pieds
de ce grand souverain une édition splendidement428 Gans DE THMATRE
reliée de mes ceuvres complites. A ce moment,
los ndgres cesstrent de soufller da nez dans leurs.
Mates, ot les danscurs de danser. Un veat légor
agita doucement les feuillages gladiolés du nan-
danus. Et des parfums famerent dans des. vases
Wargile rouge. Liheure était yraiment solen-
nelle
Vai Vbah
de des cours. On sait que tout ce
que l'Europe compte de princes wn pow propres
mn’admettent en leur intimité. Aussi, ce fut sans
aucun embarras, et d'une voix assurée, que je
débitai le discours suivant :
— Sire, je suis Frédérie Febvre. Que ce nom,
partout acclamé, me dispense den dire plus long.
Je suis Frédéric Febvre. Et je viens, au nom du
gouvernement de la France, Capporter des
paroles damitié, d’union ct Je paix. Je viens
aussi, per extraordinaire, et pour cette fois seu-
lement, je viens, poussé par une irrésistible voc
tion personnelle, étudier & fond, avec ton royal
assentiment, dans tes vastes, dans tes glorieux
Etats, Ja situation théitrale et Je mouvement
dramatique, lesquels sont, de Vavis unanime,
Yexpression la plus directe de la civilisation d’un
pays, l'histoire, en quelque sorte, de ses murs,
de'sa culture, de sa beauté morale, et — je dirai
— de son patriotisme. Or, qu’aije appris? I n'y
aurait point, dans ton royaume, de théatre? Est-ce
possible’.
Le roi m’ini:+rompit, et sa voix fit davantage
frissonner les feuilles du pandanus.
te aprout be ynivime vewns 189
—Biranger, dit-il, qu’entends-ta poritnsee
Esteo encore un: Diew: que je ne connais’ point?
— Crest plus qu'un Dieu, Sire; répliquai-je, em
‘m’exaltant. C'est toute une religion.
plique-toi done ! J'aime qu'on m’instruise.
Longuemeat, en termes loquents et précis, je
is au roi fidjien }y noble histoire du théitre i
vere Jes Ages. Je navral ses asuyres immor-
elles, ses iluminautes gloires, som action mora.
lisair-ce surles foules, ses ivresses, ses héroismes.
Le monarque scmblzit ne rien comprendre & ce
gue je disais. I froucait le soureil, durement, A
plusieurs reprises, i! donna des signes dirritation
brayante. Décidémeat, mes ancedotes me por-
taient pas. Alors, pour appuyer par des exemples
~ diraije — tengibles, mes démonstrations
jouer une scéne de
incomprises, jfofftis de lui
mon répertoire. I! acrepta,
‘Tavais chvisi une scene U'amour, espérant que,
seul, Yamour, qui est de tous les pays, pow
émouvoir le cuir dur de ce négre. Mais des
premiéres répliques, de nouveau, Ie roi m’inter-
rompit :
— Quelle est done cetie femme a qui tu parles
avec tant de passion? me ditil... Estelle ton
4pouse?
—Non, Sire.
— Elle est ton amante, alors?
—Oui, Sire.
— Etcette femme, qui est ton'amante, est-elle
Vépouse d'un autre?
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Karol Cytrowski, L'Abbé Jules D'octave Mirbeau en Tant Qu'exemple de L'influence de Fiodor Dostoïevski Sur Le Roman Français de La 2e Moitié Du XIXe Siècle
Lucía Campanella, "Le Journal D'une Femme de Chambre" Et "Puertas Adentro" de Florencio Sánchez: Rencontre Interocéanique de Deux Écrivains Anarchisants