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* * Be M.Ocrave Minsrau a nagutre lancé dans Le Calvaire, desapostrophes enflammées comme celleci : « Qu’était-ce donc que cette patrie dont ehaque pas sur le sol était marqué d’une fosse, A qui il suffisait de regar- “der eau tranquille des fleuves pour la changer en sang et qui s’en allait toujours-creusant de place en place des charniers plus profonds ot vien- nent pourrir les meilleurs des enfants des hommes? » Cet enragé de sincé rité dont les hardiessses furent alors anathématis¢es par la critique, n'a point changé d’opinion depuis. Comme il.a toujours les yeux pleins: des horreurs dont il fut témoin comme lieutenant de mobiles pendant la guerre de 1870, ce n'est que sous l'aspect du meurtre international qu'il envisage le patriotisme, et pour lui la Patrie, c'est Moloch gavé. de.sang, Sapristi, ce que vous me demandez, ce sont des volumes.et des volumes, et je crois bien que toute la Vie d’un honnéte travailleur n'y suffirait pas. Au fond, vous désirez que je vaus fasse ‘toute, Vhistoire de "himanité. C’est beaucoup pour un pauvre littérar teur ignorant, qui, en ce moment, ne pense qu’a se reposer dans la paix de Ja nature. La paix de la nature!! Je ne puis donc que’ vous envoyer, en hate, dépouillées, de tqug arguments et considérations, quelques séches et brutales idées. Elles auront au moins:ce mérfte d’étre bréves et sincéres. Av point de culture philosophique oi nous en sommes, l’idée de patrie n’évoque en moi que d’horribles images de violence, de téné- bres, de haine, de meurtre, d’extermination. Elle est pittoresque, mais singuliérement régressive, et, osons-le dire, criminelle. Le patriote me fait l’effet d’un sauvage, avec sa téte ornée de plumes éclatantes, et sa ceinture lounde de tétes coupées. On lui: fait .croire. que Cest un, héros, parce qu'il aime & se vétir d’oripeaux générale. ment rouges; en réalité, c'est un assassin... ou un pochard...les deux: souvent. C’est cette idée de patrie, compréhensible, utile, peut-¢tre- aux Ages barbares dv !’humanité qui entretient encore parmi nous qui nous vantons de notre civilisation raffinée, l’abominable question: des races, laquelle, par les méfiances qu’elle engendre, lés haines, qu'elle souléve, les guerres qu'elle déchaine, pése toujours si Iour- 1 180" LA REVUE dement sur "humanité Or, il n'y a point, il ne devrait point y —~avoir-de-questions de _races... Une seule race, I’humanité. Je m’en contenterais, je vous assure.. Mais si nous arrivions, un jour, & détruire ce id malentendu humain, que deviendraient les bates de proie militaires, religienses et politiques, qui ne vivent précisé- ment que de ce dont meurent les peuples?... Que deviendraient les artistes 4 qui il faut du pittoresque, n’en fat-il plus au monde ? Que deviendraient les pottes’a qui il faut des massacres pour les chanter, des saints et des héro$ pour s'agenouiller devant leurs images de brutes sanglantes? Et que deviendrait le peuple lui- méme, s'il n’avait plus sa pature d’erreurs, de préjugés, de men- songes? Pauvre peuple effaré!.. Le voyez-vous tout & coup laché dans la pleine lumiére de Ja vérité et de l'amour’... Votre idéal et le mien ne sont pas pris de se réaliser, car toutes les découvertes des savants et tous les écrits des philoso- phes, tous les rapprochements entre les divers peuples de la pla- nite, aussi éphéméres que T'intérét commercial qui, un jour, les améne, et, le lendemain, les disloque; les communications, plus faciles d’un pays & un autre.., etc... etc... tout cela sera vain, et la civilisation n’aura pas fait un grand pas, tant que les peuples auront, leur usage, des langues’ différentes et ennemies, gréice quoi ils ne se comprennent pas, ne se pénétrent pas, restent, en face“l’un de V’autre, aussi étrangers que le sont le cheval et le chien en face de I’homme... tant qu'il n'y aura point, sur la surface de toute la terre, une langue unique... Jusque-18, niéus serons condamnés & trainer, forgats de la patrie, = au bout d’une chaine plus ou moins lache, plus ou moins lourde, notre affreux boulet... OCTAVE MIRBEAU. ate Lox Revue, LL janvier tgeg Peer v

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