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LETTRES DE MA CHAUNIERS
Le Homestead
Cletait le soir, apres diner, et je me promenais sur la route,
en compagnie de mon ami et voisin, le vieux paysan, celui qui ne
parle Jamis. Tl faisait encore jour, bien que le soleil eat
disparu derriére le coteau. Une lueur rouge illuminait 1*horizon
Comme nous nous asseyions sur le talus bien garni a cet endroit
de mousce et d'herbes séches, une femme trainant péniblement une
petite charrette a bras, vint a passer. Dans la charrette, un
homme maigre et trée pale était couché tout de son long, qui
toussait beaucoup et se plaignait, quatre enfants dont le plus
age pouvait avoir sept ans, trottinaient, “déguenillés et pieds
nus, autour du pauvre convot
- Femme, dit l'homme pfle, d'une voix dolente, va moins
vite... moins vite, ga me secoue, et ca me fait du mal
Bt Jtentendis une plainte A laquelle succéderent auscitst un
ori, puis un juron.
La femme ralentit, évita une grosse pierre jetée au milieu de
la route, et 1'ainé des enfants, pour coulager ca mére, se alt &
pousser la charrette, doucenent. Bientét le bruit des roves qui
criaient sur le sable alla s'affaiblissant, et voiture, femme,
enfants disparurent au tournant du chemin.
Cette sodne m'avait rendu mélancolique et le vieux branlait ia
tete. Je lui demandat
= Qui sont ces pauvres gens ?
= Des gens d'ici, répondit-il... Bt bien malheureux allez !
bien malheureux,
Le vieux paraigsant, ce soir-1a, d'humeur @ causer, je le
poussai de questions.
Je les connais, voyez-vous, je les connais bien... de rudes
travailleurs, tous deux, l'homme et ‘la femme, et qui
@pargnaient !... Avec leurs économies, ils avaient pati une
petite maison, 1a, pas bien loin... Si vous saviez ce que c'est
que les petites économies des gens comme nous, avec quoi c'est
fait, ce qu'{l faut de temps, de privations, de fatigues, de
v pS, Ppcourage, pour amasser, sou par sou, la valeur d'une misérable
maison ! Si vous saviez cela !... Et puis, l'homme est tombe
malade, {1 y a deux ans... Tout le monde ignore ce qu'il a dens
le corps, mais ce n'est pas bon, pour sir. Les drogues, le
nédecin, 1a viande’tous les jours, du bon pain, et le reste, ca
coite cher, et quand on ne gagne plus rien, c'est la ruine,,. 11
a fallu onprunter, puis exprunter encore t... Bt daze, I*hutester
est venu une fois, et il a vendu les meubles ; une autre fois,
crest Mavous qui est arrivé, et 11 0 verde Ta maison... Alors
is n'ont plus rien, rien, que le ofel quivest au bon Dieu, ot le
route qui est a tout le monde. ’
= Méis, 03 vont-ile, aines ?
= Je no sats pos... Tle trouveront ce ‘ctr, & covcher dane une
grange ; ot domain, {16 recommenceront & aller par lea chemise.
Pout-étre qu‘on voudra bien de I! homme & 1*hospice.
- Et la femme ? Et les enfants ?
le vleux 41% un gocte qui dvidemont eignifieit : "A le grace
Ge dieu 1* Ti fut tmposcible de lui arracker uve autre parcie
Yous rentrémos, Au moment de nous séparer, 1e vieillerd redreces
ca tattle courbée ; et levant gon béton dane 1a direction de
Faris, 11 ait d'une voix vibrante, qui m'étome +
- Ils ont ‘tort, la-bas, ils ont tort...
La lot est trop dure au pauvre monde, Erop dure. On atest pas
de
muir des loups.
des chiens, pourtant, mais on pourrait b:
ee e
ae
Rentré chez mot, les paroles du paysan me’ résonnaient encore
aux oreilles. Je pensai qu'en effet “la loi était bien dure,
souvent, au pauvre monde” et que la Chambre, au lieu de se
transformer en baraque de luttes foraines, de nous donner le
desolant et continuel spectacle de ses poings tendus, de ses
bo
es furteuees, de ces corpe-d-corps convuleés, ferait bien
mieux de songer ceux-1l4 qui cont les pauvres et lee déshérites
et qui attendent, dans la nuit de leurs misdres, un peu de
lumiére, un peu de bonté, une part un peu meilleure au banquet de
la vie sociale. On est tout étonné, quand on va au fond deschoses, de voir combien 11 y a encore de lois inhumines et
tortionnaires, et de sentir de quels poids écrasants, de quelles
inégalités sauvages est étouffée la vie des faibles et dee
petite, Les revolutions passent sur nous. On les salue comm les
aurores des sociétés régénérées et toutes nouvelles qui vont
repandre lee bienfaits cur les hommes et leur donner le bonheur
Bt puis, on etapergoit qu'il n'y a rien de changé, que les gens
en place, que lee idées sont les mimes, que le monde poursuit sa
marche, toujours pareille, avec le méme cortége de joueurs de
flote et le méme troupes d'esclaves, et que la Loi qui devrait
surtout ctappeler Protection, continue de s'appeler enace.
Tl vient de paraitre chez Reinwald, un livre excellent, et
profondénent intelligent, que devraient bien apprendre par coeur
tous ceux qui stocoupent de politique et d'économie politique
Crest La Politique expérimentale, de X. Léon Donnat. Ce livre
préconice dee réformes indispensables et sensées, et l'on est
tout surpris, en les voyant si pratiquement exprimées, de ne pas
les voir appliquées au mécanisne de notre eociété moderne. Parni
celles-ci, 11 en est une, vraiment humaine, qu'on ne saurait trop
réclamer, et qu'un membre du Parlement, moins occupé que les
autres A se colleter avec ses collegues, devrait bien prendre
l'initiative de transformer promptement en projet de loi. Elle a
trait aux rigueurs exercées contre le débiteur insolvable, comme
le matheureux paysan que je rencontrais made, rejeté de con
foyer, et errant, dans la nuit, sans savoir s'il trouvera un abri
et un morceau de pain. Cette réforme que Je désire, est conmue en
Amérique, sous le nom de homestead.
Le homestead, dit M. Léon Donnat, est une exemption légale, en
vertu de laguelle tout citoyen, qui a pourvu sa famille d'un
abri, d'un foyer, d'un home, peut soustraire la maison qu'il
ocoupe et le terrain cur lequel elle est bitie & toute vente
foreée en exécution de jugements rendus contre lui. 11 n'a, pour
cela, qu'a faire une déclaration devant I‘autorité compétente,
par exemple le recorda du comté, Cotte declaration est
offictellesent insérée dans le journal des actes publics ; elle
est, en outre, habituellement reproduite dans des fevilles
Karol Cytrowski, L'Abbé Jules D'octave Mirbeau en Tant Qu'exemple de L'influence de Fiodor Dostoïevski Sur Le Roman Français de La 2e Moitié Du XIXe Siècle
Lucía Campanella, "Le Journal D'une Femme de Chambre" Et "Puertas Adentro" de Florencio Sánchez: Rencontre Interocéanique de Deux Écrivains Anarchisants