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Les Dames Galantes Au Fil Des Mots 012
Les Dames Galantes Au Fil Des Mots 012
Il y a une autre sorte de cocus qui se forment par le desdain qu’ils portent à leurs fem-
mes, ainsi que j’en ay cogneu plusieurs qui, ayant de trés-belles et honnestes femmes,
n’en faisoyent cas1, les mesprisoyent et desdaignoyent. Celles qui estoient habilles et plei-
nes de courage, et de bonne maison, se sentans ainsi desdaignées, se revangeoient à leur
en faire de mesme2 ; et soudain aprés bel amour, et de là à l’effet3 : car, comme dit le re-
frain4 italien et napolitain, amor non si vince con altro che con sdegno5.
Car ainsi une femme belle et honneste, et qui se sente telle et se plaise, voyant que son
mary la desdaigne, quand6 elle luy porteroit le plus grand amour marital7 du monde, mes-
mes quand on la prescheroit et proposeroit les commandemens de la loy pour l’aymer8,
si elle a le moindre cœur du monde9, elle le plante là tout à plat10 et fait un amy11 ailleurs
pour la secourir en ses petites necessitez12, et eslit son contentement13.
« quand bien même elle lui porterait, même si elle lui portait » »
6
« conjugal »
7
8 « à supposer qu’on lui prêche la bonne doctrine en lui rappelant les commande-
ments de la loi divine pour l’engager à aimer son époux »
9 « si elle est le moins du monde une femme de caractère »
10 « sans ménagement »
11 « se trouve un amant »
12 necessités « besoins naturels » → aller à des necessités « aller à la chaise percée »
Confirmation par Mme Dacier, traduisant les Nuées (Νεφέλαι) d’Aristophane, où Strep-
siade rappelle dans le détail à son fils Pheidippidès les soins qu’il lui a prodigués dès la
petite enfance :
κακκᾶν
δ᾿
ἂν
οὐκ
ἔφθης
φράσας,
κἀγὼ
λαϐὼν
θύραζε
ἐξέφερον
ἂν
καὶ
προυσχόμην
σε
(tu n’avais pas plus tôt dit « caca ! » que je te prenais dans mes bras jusqu’au dehors
et que je te tenais devant moi
“And you used no sooner to say caccan, than I used to
take and carry you out of doors, and hold you before me.” W.J. Hickie)
Mme Dacier : « moi qui te portois dehors d’abord que [aussitôt que] je voyois que tu voulois y aller
pour tes petites nécessités »
C’est pour cette raison que Tallemant des Réaux tourne dérision un Pierre Rangouze,
capable d’écrire une lettre qui portait comme adresse : A monsieur Lesperier, mon bon amy,
qui m’a tousjours assisté dans mes petites necessitez. —
Trévoux, sous havresac : « C’est un petit sac que les soldats portent sur leur dos quand ils
vont à l’armée, où ils mettent leurs petites nécessités. Saccus. Les charretiers s’en ser-
vent aussi pour donner de l’avoine à leurs chevaux dans les rues. »
Balzac, Les Français peints par eux-mêmes : La fruitière : « Sans elle le quartier ne serait pas
habitable. Où trouverait-on les provisions du ménage, toutes ces mille petites nécessi-
tés de la vie, et les nouvelles de chaque jour, qui sont encore un besoin ? »
On voit là comment s’articule la grasse plaisanterie.
13 « et choisit ce qui lui procure la satisfaction de ses désirs »
J’ay cogneu deux dames de la cour, toutes deux belles-sœurs14 ; l’une avoit espousé un
mary favory, courtisan et fort habille, et qui pourtant ne faisoit cas de sa femme comme
il devoit15, veu le lieu d’où elle estoit16 ; et parloit à elle devant le monde comme à une sau-
vage17, et la rudoyoit fort. Elle, patiente, l’endura pour18 quelque temps, jusques à ce que
son mary vint un peu defavorisé19 ; elle, espiant20 et prenant l’occasion au poil21 et à pro-
pos22, la luy ayant gardée bonne23, lui rendist aussitost le desdain passé qu’il luy avoit
donné, en le faisant gentil24 cocu : comme fit aussi sa belle-sœur, prenant exemple à25
elle, qui, ayant esté mariée fort jeune et en tendre aage26, son mary n’en faisant cas comme
d’une petite fillaude27, ne l’aymoit comme il devoit ; mais elle, se venant advancer sur
l’aage28 et à sentir son cœur en reconnoissant sa beauté29, le paya de mesme monnoye30,
et luy fit un present de belles cornes pour l’interest du passé31.
Remarques : 1°) L’anglais ‘Moor’ (cf. Othello) vient de la forme ancienne du français.
2°) Grec ancien Μαυρουσία,
d’où (avec déplacement automatique de l’accent tonique) latin Maurūsĭa
« Mauritanie » ; TLFi s’abstient, avec raison selon moi, de ne pas faire intervenir le grec ancien μαυρός,
qui n’a peut-être rien à faire ici, ne serait-ce que parce qu’il n’avait pas le sens de « noir » (qui n’ap-
paraît qu’à l’époque hellénistique et est devenu usuel en grec moderne, où on notera le déplacement
d’accent : μαύρος, voir Hésychius et Galien). Voici ce qu’en dit LSJ :
μαυρός, όν,
= ἀμαυρός, Hdn. Gr.1.193 (μαῦρος codd.); μαῦρος Hsch.; cited (without transl.) as properisp. by
Gal. 18(2).518.
Au moins, si ce mary eust fait comme un autre que je sçay, qui estoit de telle humeur39,
qui, pressé de sa femme40, qui estoit trés-belle, et prenant plaisir ailleurs, luy dit franche-
ment : « Prenez vos contentements ailleurs ; je vous en donne congé41. Faittes de vostre costé ce
que vous voudrez faire avec un autre : je vous laisse en vostre liberté ; et ne vous donnez peine42 de
mes amours, et laissez-moi faire ce qu’il me plaira. Je n’empescheray point vos aises et plaisirs :
aussi ne m’empeschez les miens. » Ainsi, chascun quitte43 de là, tous deux mirent la plume
au vent44 : l’un alla à dextre et l’autre à senextre45, sans se soucier l’un de l’autre ; et voilà
bonne vie.
Je vous laisse à penser si cette belle jeune femme fut aise d’avoir cette agreable jolie
petite remonstrance62 et licence de jouir de cette plaisante liberté, qu’elle pratiqua si bien
qu’en un rien63 elle peupla la maison de deux ou trois beaux petits enfants, où le marry,
parce qu’il la touchoit quelquefois et couchoit avec elle, y pensoit avoir part, et le croyoit,
et le monde et tout ; et, par ainsi, le mary et la femme furent trés-contents et eurent belle
famille.
62 le mot, déjà rencontré avec d’autres nuances, a d’abord voulu dire « discours »
(afin de renouveller amiables traictiez et remonstrances d’amour [d’affection] qui dou temps passé
avoient esté entre les rois de France ses predecesseurs et le roi Robert Brus d’Escoce sen tayon [grand-
père] et le roy David son oncle, Froissart) a ici le sens bien documenté d’« exhortation » (Pan-
tagruel leur feist une briefve remonstrance, à ce qu’ilz eussent à soy monstrer vertueux au com-
bat).
63 cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 001, note 114 p. 27.
« certaines »
Voicy une autre sorte de cocus qui se fait par une plaisante opinion qu’ont aucunes
femmes : c’est à sçavoir qu’il n’y a rien de plus haut, ny plus licite, ny plus recommandable
que la charité, disant qu’elle ne s’estend pas seulement à donner aux pauvres qui ont
besoin d’estre secourus et assistez des biens et moyens des riches, mais aussi d’ayder à
esteindre le feu aux pauvres amans langoureux que l’on voir brusler d’un feu d’amour
ardent : « Car, disent-elles, quelle chose peut-il estre plus charitable que de rendre la vie à un que
l’on voit se mourir64, et raffraischir du tout celuy qu’on void se brusler64 ainsi ? » Comme dit ce
brave palladin65, le seigneur de Montauban, soustenant la belle Genievre dans l’Arioste,
que celle justement doit mourir qui oste la vie à son serviteur, et non celle qui la luy don-
ne66.
Pensò Rinaldo alquanto, e poi rispose : Renaud réfléchit un moment, puis répondit :
— Una donzella dunque dè’ morire « Faut-il donc qu’une noble jeune fille meure
perché lasciò sfogar ne l’amorose parce que dans ses bras amoureux elle a laissé
sue braccia al suo amator tanto desire ? de son ardent amant éteindre la flamme ?
Sia maladetto chi tal legge pose, Maudit celui qui a fait pareille loi,
e maladetto chi la può patire ! et maudit celui capable de la tolérer !
Debitamente muore una crudele, La mort, soit, mais pour celle qui est sans cœur,
non chi dà vita al suo amator fedele. non pour celle qui à son amant fidèle donne la vie. »
S’il disoit cela d’une fille67, à plus forte raison telles charitez sont plus recommandées à
l’endroit des femmes68, que des filles, d’autant qu’elles n’ont point leurs bourses69 deliées
ny ouvertes encor, comme les femmes, qui les ont, au moins aucunes, trés-amples et pro-
pres70 pour en eslargir71 leurs charitez.
Ce discours ne déplut point à la dame et ne nuisit non plus nullement au serviteur, qui,
par un peu de perseverance, s’en ressentit89. Telz presches de charité pourtant sont dange-
reux pour les pauvres marys. J’ay oüy conter (je ne sçay s’il est vray, aussi ne le veux-je
affirmer) qu’au commencement que les huguenots planterent leur religion, faisoyent90
leurs presches la nuict et en cachettes, de peur d’estre surpris, recherchez et mis en peine91,
ainsi qu’ils furent un jour en la rue de Saint-Jacques92, à Paris, du temps du roy Henry deu-
xiesme, où des grandes dames que je sçay, y allans pour recevoir cette charité, y cuide-
rent93 estre surprises. Aprés que le ministre avoit fait son presche, sur la fin leur recom-
mandoit la charité ; et incontinent aprés on tuoit94 leurs chandelles, et là un chacun et
chacune l’exerçoit envers sa sœur et son frere chrestien, se la departans l’un à l’autre
selon leur volonté et pouvoir : ce que je n’oserois bonnement asseurer, encore qu’on m’as-
seurast qu’il estoit vray ; mais possible que cela est pur mensonge et imposture95.
« octroyant, accordant »
89 « en recueillit les bienfaits »
90 (absence de pronom personnel)
91 « poursuivis et condamnés »
92 (Une des références sur le sujet demeure l’article du pasteur Nathanaël Weiss [1845-
1928] : « L’assemblée de la rue Saint-Jacques, 4-5 septembre 1557 », dans BSHPF, 1916, p.
195-235.) Voici le passage traitant de ce sujet chez Ernest Lavisse :
Dans la partie de la rue Saint-Jacques, bordée d’un côté par le collège du Plessis, de l’autre par des
maisons particulières [note de Lavisse : Le collège du Plessis donnait sur la rue Saint-Jacques, à l’endroit où
se trouvent les bâtiments du lycée Louis-le-Grand, vers la rue du Cimetière-Saint-Benoît ; la maison de Bertho-
mier était en face : probablement une de celles qui subsistèrent jusqu’à l’achèvement de la nouvelle Sorbonne],
une maison, appartenant à un bourgeois nommé Berthomier avait été prêtée à des réformés qui, le
soir, y tenaient des assemblées. Il paraît qu’ils furent découverts par quelques boursiers du collège
du Plessis. La foule est amassée par les cris de ces jeunes gens, le guet prévenu, la maison entourée.
Des trois à quatre cents personnes qui s’y trouvaient, suivant Crespin et de Bèze, un certain nombre
se font jour l’épée à la main ou se sauvent par les cours et jardins. Mais les femmes et quelques
hommes étaient restés. Ces malheureux furent arrêtés par le Procureur du Roi au Châtelet, qui était
accouru avec le guet, horriblement maltraités à leur sortie par la foule, qui n’avait pas quitté la
place, puis enfermés au Châtelet.
Pendant qu’on répandait sur eux les bruits les plus infamants, — on prétendait que, sous prétexte
de célébrer le culte, ils se livraient dans l’obscurité à des orgies et à des débauches — les calvinis-
tes, à l’étranger, s’agitaient en leur faveur. (…) [Les négociations] n’empêchèrent pas le supplice de
quelques-uns des prisonniers. Nicolas Clinet, un ancien maître d’école, Taurin Gravelle, avocat au
Parlement de Paris, une « damoiselle de Luns », âgée de vingt-trois ans, veuve d’un gentilhomme,
M. de Graveron, furent les premiers condamnés à mort. Mademoiselle de Luns eut, comme les
deux autres victimes, la langue coupée ; on lui fit seulement la grâce d’être étranglée, « après avoir
été flamboyée aux pieds et au visage », avant d’être brûlée. Elle montra une constance invincible.
Un peu plus tard, deux autres prisonniers furent encore suppliciés, au milieu des cris forcenés du
peuple. Un vent très vif chassait par moments la flamme du bûcher, de sorte que les jambes des
suppliciés brûlaient lentement, alors que la poitrine et la tête n’étaient pas encore atteintes.
Emplacement
du
Collège
du
Plessis
(D’après http://membres.multimania.fr/sethmes/plans.html)
93 « faillirent y être surprises »
94 « aussitôt après, on éteignait » Mérimée et Lacour : « c’est une expression espagnole :
matar une vela » (confirmé par Oudin, matar las velas : tüer les chandelles, c’eſt les eſteindres
[sic] et par Covarrubias, matar, por apagar el fuego, ô la luz, como matar las velas ; matar el
fuego, matar candelas).
95 Mérimée et Lacour :
L’auteur ne recueille pas un bruit en l’air, peu répandu. Cette calomnie avait cours dans toutes les
classes de la société. Th. de Bèze et Calvin n’ont pas été plus discrets que Branthôme. Le premier,
dans son Hist. ecclés. des Églises réformées, s’exprime ainsi : « La commune opinion estoit qu’on s’as-
sembloit pour faire un banquet, et puis paillarder pesle et mesle les chandelles estaintes. » (Liv. II,
p. 120.) Il ajoute qu’en Sorbonne on s’efforçait de rendre populaires ces accusations : « L’un d’en-
tre ces docteurs amasse toutes les choses enormes qu’on peut imaginer et les charger sur ceux de la
religion, ne disant pas seulement que, dans ces assemblées, on paillarde, les chandelles estaintes,
mais qu’ils maintiennent qu’il n’y a pas de Dieu ; niant la divinité et humanité du Christ, l’immor-
talité de l’ame, la resurrection de la chair : brief tous les articles de la vraye religion. » Voy. aussi
Calvin, Lettres, éd. Jules Bonnet, Paris, Meyrueis, 1854, 2 vol., t. II, p. 151-158.
Il y a autre forme de charité qui se pratique, et s’est pratiquée souvent, à l’endroit des
pauvres prisonniers qui sont és106 prisons et privez des plaisirs des dames, desquels les
geollieres et les femmes qui en ont la garde, ou les castellanes107 qui ont dans les chas-
teaux des prisonniers de guerre, en ayant pitié, leur font part de108 leur amour et leur don-
nent de cela109 par charité et misericorde, ainsi que dit une fois une courtisane romaine à sa
fille, de laquelle un gallant estoit extresmement amoureux, et ne luy en110 vouloit pas don-
ner pour un double. Elle luy dit : « E dagli, al manco per misericordia ! 111 »
(cf. note 101)
106 contraction de en les, archaïsme peu employé par Brantôme
107 « femme d’un gouverneur de château » TLFi : « empr. à une lang. rom. : l’a. prov.
castellan (XIIIe-XIVe s. ds RAYN.), l’a. ital. castellano (XIVe s. ds DEI) ou l’a. esp. castellano (ca
1140 ds COR.) » ; dans cette acception, castellane est probablement un hapax
Mérimée et Lacour :
Ce n’était point châtelaine telle que nous l’entendons maintenant, mais la femme du châtelain. On
appelait ainsi le plus souvent le gardien d’un château de porte, alors que chaque grande porte de
ville était un poste fortifié flanqué de tours, ayant deux portes qu’on ne pouvait franchir sans
traverser une cour sur laquelle les logements de l’intérieur prenaient jour.
108 « leur font partager, leur communiquent »
109 (euphémisme)
110 en donner : encore un euphémisme
111 Eh dagli, al manco per misericordia ! « Donne-lui donc [ce qu’il désire], ne serait-ce que
par charité ! » [mais le sens pourrait bien être : « pour qu’il nous laisse tranquilles ! »]
Ainsi ces geollieres, castellanes et autres, traittent leurs prisonniers, lesquels, bien
qu’ils soyent captifs et miserables ne laissent à112 sentir les picqueures de la chair113 com-
me au meilleur temps qu’ils pourroyent avoir. Aussi dit-on en vieil proverbe : « L’envie en
vient de pauvreté114 » ; et aussi bien sur la paille et sur la dure115 messer Priape116 hausse la
teste, comme dans le plus doux et le meilleur lict du monde.
Voilà pourquoy les gueux117 et les prisonniers, parmy118 leurs hospitaux119 et prisons,
sont aussi paillards120 que les rois, les princes et les grands dans leurs beaux palais et licts
royaux et delicats.
117 « mendiants »
118 « au beau milieu de »
119 hospital « établissement charitable [le plus souvent dépendant d’un monastère] où
l’on accueille les pauvres, les voyageurs » (TLFi), « hospice » ; il y a cinq siècles d’écart
entre ce sens et celui d’« établissement accueillant les malades » (1671)
Cf. Petites chroniques du Scribd accroupi, no3 :
L’hôpital fut d’abord une fondation charitable destinée à accueillir les pauvres, miséreux et indi-
gents, qu’ils fussent bien portants ou non ; voir le passage de la Vie sainte Élysabel, chez Rutebeuf,
où il n’est pas question de soins médicaux :
El non du Pere esperital
Fonda iluec .i. hospital ;
Iluec couchoit à grant honor
Mult de povres nostre Seignor.
A boivre, à mengier lor donoit,
Tout le sien* i abandonoit. * « tout son bien (y passait) »
Pas davantage chez Villon, qui lègue aux hospitaulx ses « chassis tissus d’arigniée » (cadres de fenêtre
où les toiles d’araignée tiennent lieu de vitres ou de papier huilé) et ne sait « qu’à l’Ostel Dieu/ don-
ner, n’à povres hospitaulx ».
D’où des locutions qui associaient hôpital et pauvreté ; ainsi, dans le Médecin malgré lui, Martine par-
lant de Sganarelle, son mari, comme « Un homme qui me réduit à l’hôpital, un débauché, un traître, qui
me mange tout ce que j’ai » ou bien dans l’altercation entre Trissotin et Vadius, dans les Femmes
savantes, cet échange :
« C’est L’Hôpital qui se moque de La Charité », rappelle le dicton : les deux institutions (lyonnaises ou
pas) secouraient les mêmes détresses. On disait aussi jadis :
• L’un asne appelle l’autre roigneux [« galeux »] (Morawski no1123),
• La pelle se moque du fourgon [sorte de tisonnier, tire-braise],
• C’est un pietre qui se moque d’un boiteux (Jacques Tahureau, 1568),
• The pot calls the kettle black arse [le dernier terme est généralement omis],
• The kiln calls the oven burnt house [‘kiln’ = « four à chaux »],
• The chimney-sweeper bids the collier wash his face [‘collier’ « charbonnier », de ‘coal’],
• Ein Esel schimpft den anderen Langohr,
• Dijo la sartén a la caldera: ¡ tira allá, culnegra ! (d’où Cervantes, DQ II, LXVII, avec euphémisme : Paré-
ceme —respondió Sancho— que vuesa merced es como lo que dicen: « Dijo la sartén a la caldera: ¡ Quítate
allá, ojinegra ! » ; de nos jours, la réplique apparaît sous la forme tronquée « Dijo la sartén al cazo »),
• De pot verwijt de ketel dat hij zwart ziet,
• La padella dice al pajuolo, fatti in là che tu mi tingi,
• Rîde dracu de porumbe negre şi pe dinsul nu se vede,
• Kocioł garnkowi przygania, a oba smolą,
• Det er underlig striid, naar det eene œsel skielder det andet for en sœkke-drager,
etc. — la plupart des formules admettant des variantes.
Chez Rabelais : Se mocque qui cloque [cf. à cloche-pied]. La paille et la poutre, en somme.
120 « luxurieux »
Tout cela se demena136 si bien que toutes deux en furent amoureuses, bien qu’il ne fust
pas beau, et elles trés-belles, que, sans respect137 aucun, ny de prison plus rigoureuse, ny
d’hazard138 de mort, mais tenté de privautez139, il se mit à jouir de toutes deux bien et beau à
son aise ; et dura ce plaisir sans escandale140 ; et fut si heureux en cette conqueste l’espace141
de huict mois qu’il n’en arriva nul escandale, mal, inconvenient ny de ventre enflé, ny
d’aucune surprise ny descouverte : car ces deux sœurs s’entendoyent et s’entredonnoyent
si bien la main, et se relevoient si gentiment de sentinelle, qu’il n’en fut jamais autre chose142.
Et me jura (car il estoit fort mon amy) qu’en sa plus grande liberté il n’eut jamais si bon
temps, ny plus grande ardeur ny appetit à cela143 qu’en cette prison, qui luy estoit trés-
belle144, bien qu’on die145 n’y en avoir jamais aucunes belles. Et luy dura tout ce bon temps
l’espace de huict mois, que146 la trefve147 fut entre l’empereur et le roy Henry IIe, que148
tous les prisonniers sortirent et furent relaschez. Et me jura que jamais il ne se fascha tant149
que de sortir de cette si bonne prison, mais bien gasté150 de laisser ces belles filles, tant
favorisé151 d’elles, qui au departir152 en firent tous les regrets du monde.
136 « se déroula, se passa » cf. Marot « Au bon vieux temps un train d’amour regnoit, Qui
sans grand art et dons se demenoit », Montaigne « Vn homme de monſtrueuſe fortune, venant
meſler ſon aduis à certain leger propos, qui ſe demenoit [avait cours], tout láchement, en ſa
table, commença iuſtement ainſi : Ce ne peut eſtre qu’vn menteur ou ignorant, qui dira autrement
que, &c. Suyvez cette pointe philoſophique, vn pouignart à la main. »
137 « sans égard, sans considération pour, sans qu’il ait envisagé » (acception qui s’est
maintenue en anglais : ‘in this respect’ « à cet égard, de ce point de vue »)
138 « risque »
139 Furetière illustre joliment privautés : « On dit encore, qu’un homme a eu habitation char-
nelle avec une fille, quand ils ſe ſont connus de prés, lors qu’ils ont eu enſemble les dernieres pri-
vautez. »
140 « sans que l’affaire ne s’ébruite, clandestinement »
141 (cf. note 126)
142 « qu’il n’y eut jamais de conséquence fâcheuse »
143 « désir » + le même euphémisme que celui relevé à la note 109
144 « qui était très belle à ses yeux, qu’il trouvait très belle »
145 « dise » forme du subjonctif qu’on trouve encore La Fontaine, Molière et Corneille
(chez qui elle est constante) ‖ la tournure par l’infinitive (n’y en avoir) est un latinisme
146 « aussi longtemps que, tant que »
147 trêve conclue à Vaucelles, en 1556, entre Henri II et Charles-Quint
148 « lorsque, au moment où »
149 « jamais il n’éprouva autant de regret »
150 « malheureux »
151 « lui qui avait été si chéri »
152 « au moment de se quitter, lors de la séparation »
L’autre terme du couple antinomique, au mieulx venir « dans le meilleur des cas, au mieux »,
est employé par Eustache Deschamps. Ici comme là, venir signifie « advenir, se produire,
arriver » (cf. ‘should it come to the worst, if worse come to worst, let the worse come to the worst ;
come better, come worse’ [« au mieux comme au pire »]) et tel est le sens d’aller dans au pis aller.
Robert Estienne, Dictionarium latino gallicum (1522), sous adiuuo, entérine l’équivalence : « Vt
omnes dii adiuuent, Cic. Au mieulx faire, Au mieulx aller, Au mieulx venir. »
Legrand d’Aussy, Fabliaux, I (3e éd., 1829, p. 147 : Le Man-
teau mal taillé ; la nouvelle publication a été assurée par
Antoine-Augustin Renouard), semble permettre d’an-
tédater au pis venir ; mais, à l’examen, on constate que
le lecteur a sous les yeux une version modernisée de
l’édition du comte de Caylus et qu’au bout du compte
le texte est une mise en prose « dans le XVIe siècle ».
156 « fermant les yeux sur, préférant ne pas voir/envisager tous les risques »
157 « il se lança dans cette belle aventure »
On a dit d’autres fois158, en nostre France, que le duc d’Ascot,159 prisonnier au bois de
Vincennes, se sauva de prison par le moyen d’une honneste dame qui toutesfois s’en cuida
trouver mal160, car il y alloit du service du roy161. Et telles charitez sont reprouvables qui tou-
chent le party du general162, mais fort bonnes et loüables quand il n’y va que du particu-
lier, et que le seul joly corps s’y expose163 : peu de mal pour cela164.
Lalanne se contente d’indiquer « Arschot » en note pour les Dames galantes, mais fournit
les précisions que voici pour le Discours sur les duels :
Philippe, sire de Croy, premier duc d’Arschot. Il avait été fait prisonnier dans un combat près de
Dourlens, en 1553, et s’échappa de Vincennes en 1556. Voyez de Thou, liv. XII, XVII et XX.
Françoise d’Amboise, mariée 1o à René de Clermont, seigneur de Saint-Georges ; 2o à Charles de Croy,
comte de Seninghen. Elle était belle-sœur du duc d’Arschot.
La lecture du texte de De Thou montre qu’il y a des erreurs de la part de Lalanne, et pas
seulement de la sienne :
Il ne saurait être question ici de Philippe II de Croÿ (famille dont le nom se prononce
croui /kʁui/), premier duc d’Arschot, décédé en avril 1549 ; le personnage dont il s’agit
est Philippe III de Croÿ, troisième duc d’Arschot, né à Valenciennes le 10 juillet 1526 et
mort à Venise le 11 décembre 1595.
Selon De Thou, Françoise d’Amboise était soupçonnée d’avoir favorisé l’évasion d’un cousin
de feu son second époux, mais Philippe III de Croÿ était un neveu de Charles de Croÿ.
Monmerqué et Buchon évitent de s’appesantir et donnent pour seule indication : « On
accusa la comtesse de Senizon de l’avoir fait évader et on lui en fit une affaire. » (La sour-
ce pour comtesse de Senizon = Seninghem (Seninghen en 1568 ; De Thou écrit aussi Senigan)
est Le Duchat.)
C’est cette note que Maurice Rat choisit de reproduire, après la mention « Arschot » pour
éclairer Ascot [forme ancienne Aerschot, forme actuelle Aarschot, prononcée /'arsχɔt/ et
/'arskɔt/] .
Mérimée et Lacour font, eux aussi, de Françoise d’Amboise la belle-sœur du duc d’Ascot.
Étienne Vaucheret se fie à la généalogie vue par Lalanne et Mérimée.
Brantôme, dans son Discours sur les duels, replace l’événement dans son contexte :
Épisode de la guerre qu’Henri II a déclarée à Charles-Quint. Après la destruction de Thérouanne (20 juin
1553 : François de Montmorency, fils du connétable, est fait prisonnier), les opérations militaires se
poursuivent, les Impériaux franchissent la Somme et tombent dans une embuscade (19 août) à proxi-
mité de Doullens [/d̪ulɛ̃/ ; à l’époque : Dourlens] : parmi les prisonniers de marque faits par les Français,
le duc d’Arschot, habillé en paysan (d’où le sarcasme de Charles-Quint : « pris en Flandre comme un gueux »)
et qu’on enferme au château de Vincennes — d’où il s’échappe le 10 mai 1556, par un conduit de latri-
nes. Les Français ayant plaisanté à ce sujet : « Il est plus aisé, dit-il, de nettoyer un peu de merde que de payer
une énorme rançon » (d’après Jean-François Le Petit, La Grande Chronique).
Quand le duc d’Ascot sortit hors de prison du bois de Vincennes, du règne du roy Henry IIe, la comtesse de
Senningan [Françoise d’Amboise] fut fort accusée et suspecte [soupçonnée] de sa delivrance, et d’y avoir
fort tenu la main [contribué], et y trouvé les moyens [de l’avoir organisée] ; car elle estoit fort sa proche
parente. M. le Connestable [Anne de Montmorency], à qui estoit le prisonnier, et qui avoit soigneuse cure
[mettait un soin particulier] de le garder pour en faire eschange de luy à M. de Montmorency son fils, qui
estoit prisonnier en Flandres, ne faut point penser s’il fut fasché de ceste escapade [il ne faut pas demander
s’il fut furieux de cette évasion] ; et, pour ce, par ordonnance du Roy, que M. le Connestable gouvernoit
[manipulait], ladite comtesse fut constituée prisonniere et resserrée [incarcérée], et commissaires ordon-
nez [désignés] pour l’oüyr [l’auditionner] et faire son procès : et de faict, fut en une trés-grande peine, et
possible [peut-être] en grand danger de la vie [risquait-elle la peine de mort], sans messieurs de Guyse et
cardinal son frere, lesquels, esmeus [motivés], prirent sa cause en main, et luy rendirent si bonne, qu’elle
n’en eut que la peur.
160 « faillit en pâtir »
161 (aider un détenu à s’évader d’une prison royale constituait un crime de lèse-majes-
té et, par tant, était passible de la peine capitale)
162 « Et de tels gestes charitables sont blâmables quand ils touchent l’intérêt général »
Cet emploi du substantif general fait penser à la formule de Hamlet, devenue cliché en anglais :
“I heard thee speak me a speech once, but it was never acted ; or, if it was, not above once ; for the play, I
remember, pleased not the million ; ’twas caviare to the general […]”
« Je t’ai écouté un jour me dire une tirade, mais elle n’a jamais été jouée, ou — si elle l’a été — pas
plus d’une seule fois, car la pièce, je m’en souviens, n’était pas du goût de la multitude : c’était
(donner) du caviar à la foule » → jeter des perles aux pourceaux*, donner de la confiture aux cochons
║ *Μὴ δῶτε τὸ ἅγιον τοῖς κυσίν, μηδὲ βάλητε τοὺς μαργαρίτας ὑμῶν ἔμπροσθεν τῶν χοίρων,
μήποτε καταπατήσουσιν αὐτοὺς ἐν τοῖς ποσὶν αὐτῶν καὶ στραφέντες ῥήξωσιν ὑμᾶς. Nolite dare
sanctum canibus, neque mittatis margaritas uestras ante porcos, ne forte conculcent eas pedibus suis,
et conuersi disrumpant uos. Matthieu, 7:6.
163 « court un risque »
164 « cela ne tire pas à conséquence »
J’alleguerois force braves exemples faisant à ce sujet165, si j’en voulois faire un discours
à part, qui n’en seroit pas trop mal plaisant. Je ne diray que cettui-cy, et puis nul autre,
pour estre166 plaisant et anticque.
167 XXVI, 33-34. L’épisode évoqué appartient à la Seconde Guerre Punique, au cours de
laquelle Capoue, s’étant rangée dans le camp d’Hannibal et des Carthaginois et ayant pris
les armes contre Rome, fut assiégée et prise par les Romains (seconde bataille de Capoue,
211 av. J.-C.) qui exercèrent une répression impitoyable : le territoire fut confisqué dans
sa totalité et ceux des habitants qui ne furent pas mis à mort furent déchus de leur citoyen-
neté, à la suite de quoi ils envoyèrent une délégation présenter une supplique au Sénat.
168 « la question fut mise en débat »
169 « parmi ceux qui intervinrent se trouva Marcus Atilius Regulus » (un des lieute-
nants de Quintus Fuluius Flaccus et Appius Claudius Pulcher, qui commandaient les assié-
geants ; homonyme du célèbre Régulus, mort vers 250 av. J.-C.)
170 « estima »
171 les deux femmes ont des noms sabins (Capoue est dans le Samnium, en italien San-
nio ; Samnium ← Sab-) ou osques (Atella était la plus importante cité osque ; les atella-
nes) : Vesta Oppia, Faucula (Paucula ?) Cluuia.
172 quæ quondam quæstum corpore fecisset « qui avait jadis vécu de ses charmes » [le texte
dit avait jadis tiré profit (quæstus) de son corps] ne s’applique qu’à la dernière nommée
173 le Sénat rendit un sénatus-consulte qui, notamment, Oppiæ Cluuiæque primum bona
ac libertatem restituit : si qua alia præmia petere ab senatu uellent, uenire eas Romam, dans un
premier temps restitua leurs biens aux intéressées et les réintégra dans leurs droits et pré-
rogatives de citoyennes romaines : si elles souhaitaient adresser une requête au Sénat en
vue d’obtenir d’autres récompenses, il leur était loisible de venir à Rome (présenter leur de-
mande). Cette décision officielle fournit la trame du paragraphe suivant.
Certes, voilà des charitez et pietez trés-belles ; dont sur ce un gentil cavalier, une hon-
neste dame et moy, lisans un jour ce passage, nous nous entre-dismes174 soudain que, puis-
que ces deux honnestes dames s’estoyent desja avancées et estudiées à de si bons et pies
offices175, qu’elles avoyent bien passé à d’autres, et à leur departir176 les charitez de leurs
corps : car elles en avoyent distribué d’autres fois à d’autres, estans courtisanes, ou possible
qu’elles l’estoyent encor ; mais le livre ne le dit pas, et a laissé le doute là : car il se peut pre-
sumer177. Mais, quand bien178 elles eussent continué le mestier et quitté pour quelque
temps, elles le purent reprendre ce coup-là (n’estant rien si aisé ni si facile à faire) ; et
peut-estre aussi qu’elles y cogneurent et receurent encor quelques-uns de leurs bons amou-
reux de leur vieille connoissance, qui leur avoyent autres fois sauté sur le corps, et leur en
voulurent encor donner179 sur quelques vieilles erres180 ; ou du tout aussi que, parmy les
prisonniers, elles y en purent voir aucuns incogneus qu’elles n’avoyent jamais veus que
cette fois, et les trouvoyent beaux, braves et vaillants de belle façon, qui meritoyent bien
la charité toute entiere, et pour ce ne leur espargnant181 la belle jouissance de leur corps ;
il ne se peut faire autrement182. Ainsi, en quelque façon que ce fust183, ces honnestes dames
meritoyent bien la courtoisie184 que la republique romaine leur fit et recogneut, car elle les
fit rentrer en tous leurs biens185, et en jouirent aussi paisiblement que jamais. Encor plus186,
leur firent à sçavoir qu’elles demandassent ce qu’elles voudroyent, elles l’auroyent. Et, pour
en parler au vray187, si Tite-Live ne fust esté si abstraint188, comme il ne devoit, à la verecon-
die189 et modestie, il devoit franchir le mot tout à trac d’elles, et dire qu’elles ne leur avoyent
espargné leur gent corps ; et ainsi ce passage d’histoire fust esté plus beau et plaisant à
lire, sans l’aller abbreger et laisser au bout de la plume190 le plus beau de l’histoire. Voilà ce
que nous en discourusmes pour lors.
174 cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 003, p. 20 : s’entre-disoyent entr’elles
175 « s’étaient déjà employées et consacrées à rendre des services aussi charitables et
pieux » (l’adjectif pie ne s’est maintenu que dans la locution faire œuvre pie)
176 « accorder »
177 « il est permis de le supposer »
178 « quand bien même, même si »
179 leur en donner « avoir des relations sexuelles avec elles »
180 « selon quelques vieilles habitudes »
Illustration du mot dans cette acception — qui n’est pas des plus fréquentes — dans un
passage savoureux dû à Gaspard de Saulx, seigneur de Tavannes (éd. Petitot, tome III, 1822,
p. 9) :
191 Jean II le Bon [1319-1364]. Défaite de Poitiers, 19 septembre 1356. Traité de Bréti-
gny, 1360 : le roi peut rentrer en France mais deux de ses fils, Louis et Jean, sont cédés en
otages ; Louis s’enfuit (pour rejoindre sa femme) en octobre 1363. Jean le Bon quitte la
France le 2 janvier 1364 pour renégocier sa rançon et meurt à Londres le 8 avril.
192 Catherine Montagu, Countess of Salisbury. Violée par Édouard III, maîtresse du même,
maîtresse encore de Jean le Bon (le moine continuateur de Guillaume de Nangis rapporte que
Aliqui uero dicebant quod illuc iuerat causa ioci, selon certains, le roi de France était retourné en
Angleterre en ayant en vue son propre plaisir) : les rumeurs n’ont pas manqué à son sujet.
Rien qui mérite qu’on s’y attarde.
193 nous écririons donnés
D’autres dames y a-il qui sont plaisantes194 en cela pour certain poinct de conscientieuse
charité ; comme une qui ne vouloit permettre à son amant, tant qu’il couchoit avec elle, qu’il
la baisast195 le moins du monde à la bouche, alleguant par ses raisons196 que sa bouche avoit
fait le serment de foy197 et de fidelité à son mary, et ne la vouloit point souiller par la bouche
qui l’avoit fait et presté ; mais, quant à celle du ventre, qui n’en avoit point parlé ny rien pro-
mis, luy laissoit faire à son bon plaisir198 ; et ne faisoit point de scrupule de la prester, n’estant
en puissance de la bouche du haut de s’obliger pour celle du bas199, ny celle du bas pour celle
du haut non plus ; puisque la coustume du droit ordonnoit de ne s’obliger pour autruy sans
consentement et parole de l’une et de l’autre, ny un seul pour le tout en cela200.
194 « divertissantes »
195 cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 004, p. 15, note 120, passage où il est
d’ailleurs question d’une autre dame qui répugne à se laisser embrasser sur la bouche
196 « avançant comme motif »
197 foi (f ĭdēs) conjugale, promesse de fidélité que mari et femme se font mutuelle-
ment au moment du mariage
198 « à sa guise » ║ l’anecdote est empruntée à la XLVIIIe des Cent Nouvelles Nouvelles
199 « la bouche proprement dite n’ayant pas compétence pour s’engager en lieu et place
de son homologue (ou désignée comme telle) »
200 « le droit coutumier interdisant de s’engager au nom d’un tiers en l’absence d’ac-
cord verbal préalable entre les deux parties, et faisant d’ailleurs interdiction à une per-
sonne de prendre un engagement au nom d’un groupe [sans en avoir reçu mandat] »
Une autre conscientieuse201 et scrupuleuse, donnant à son amy jouissance de son corps,
elle vouloit tousjours faire le dessus202 et sousmettre à soi203 son homme, sans passer d’un seul
iota cette regle204 ; et, l’observant estroitement et ordinairement205, disoit-elle que, si son
mary ou autre luy demandoit si un tel luy avoit fait cela206, qu’elle pust jurer et renier207, et
seurement protester208 sans offenser Dieu, que jamais il ne luy avoit fait ny monté sur elle. Ce
serment sceut-elle si bien pratiquer qu’elle contenta209 son mary et autres par ses juremens
serrez en leurs demandes210 ; et la creurent, veu ce qu’elle disoit, « mais n’eurent jamais l’advis211
de demander, ce disoit-elle, si jamais elle avoit fait le dessus ; sur quoy m’eussent bien mespris et donné
à songer212. »
Je pense en avoir encor213 parlé cy-dessus ; mais on ne se peut pas tousjours souvenir de
tout ; et aussi il y a en cettui-cy plus qu’en l’autre, s’il me semble214.
201 illustration du sens dans la notice que Brantôme consacre à Dom Antoine de Leve
(Antonio de Leyva, 1480-1536) :
… ce brave Empereur [Charles-Quint], lequel, pour excuser les braves et gallans hommes comme luy, disoit
qu’estant courageux, ambitieux et grand guerrier, il ne pouvoit estre bon religieux et conscientieux.
202 (prendre la position dite de l’amazone ou d’Andromaque) Brantôme (qui s’en est d’ail-
leurs rendu compte et va l’écrire) a déjà évoqué les préférences de cette dame [cf. « Les
Dames galantes » au fil des mots 004, p. 13], mais en se livrant à une analyse psycholo-
gique
203 « à elle » forme accentuée du pronom personnel masculin employée au lieu du
féminin
204 « sans déroger si peu que ce soit à cette règle, sans s’écarter le moins du monde de
cette règle » ║L’expression s’inspire d’un passage du Nouveau Testament :
Ἀμὴν γὰρ λέγω ὑμῖν, ἕως ἂν παρέλθῃ ὁ οὐρανὸς καὶ ἡ γῆ, ἰῶτα ἓν ἢ μία κεραία οὐ μὴ παρέλθῃ
ἀπὸ τοῦ νόμου ἕως ἂν πάντα γένηται. Amen quippe dico uobis : Donec transeat cælum et terra, iota
unum aut unus apex non præteribit a Lege, donec omnia fiant. Matthieu, 5:18 (cf. Luc, 16:17) « Car en
vérité je vous le déclare, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’i ne
passera de la loi, que tout ne soit arrivé. »
En note :
« Litt. pas un iota, pas le moindre trait. Dans l’alphabet hébraïque, le yod est la plus petite lettre : le
trait désigne peut-être la pointe ou la barre distinguant deux lettres (un peu comme pour G et C).
De toute façon, le sens est qu’aucun détail de la loi ne doit être négligé. »
(Traduction œcuménique de la Bible)
[παρέρχεσθαι et præterire « disparaître »]
205 « strictement/rigoureusement/à la lettre et habituellement »
206 euphémisme (de même, à la ligne suivante : il ne luy avoit fait), cf. « Les Dames
galantes » au fil des mots 004, p. 18, note 147
207 « nier »
208 « affirmer, déclarer d’une manière solennelle »
209 « convainquit »
210 « ses serments adaptées au plus près à (la formulation de) leurs questions »
211 « la présence d’esprit »
212 « dans ce cas, ils m’auraient bien prise en défaut et fait réfléchir »║Incohérence :
si jamais elle avoit fait le dessus ; sur quoy m’eussent (erreur auctoriale ou éditoriale ?)
213 « déjà »
214 graphie erronée (mais très répandue) pour l’incidente si me semble (« me semble-t-
il, à ce qu’il me semble »), la prononciation de l’époque ne permettant pas de les distin-
guer. On comparera avec ce qu’écrit Christiane Marchello-Nizia, Histoire de la langue fran-
çaise aux XIVe et XVe siècles :
Parfois, il est difficile de savoir si qui est réellement un relatif ou s’il s’agit de qui (= qu’il, il se pronon-
çant sans doute i devant consonne) ; et inversement, une graphie qu’il(z) doit parfois être interprétée
comme un relatif sujet :
… pour seullement faire passer le temps aux lisans qu’ilz voudront prendre la peine de le lire.
Le roman de Jehan de Paris
… pour ce que il luy sembloit qui balloit {dansait} mieulx que luy.
Faits merveilleux de Virgille