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Orie las de lalmodernite Walter Benjamin et la ville NMR lie otra. éditions de | éclat PEN Aaa LL LLL Simay 00 9/12/05 10:44 Page & ce © 2005 Editions de l’éclat, Paris-Tel-Aviv. wwwlyber-eclatnet 10844 Walter Benjamin, d’une ville a l'autre Philippe Simay Ce livre est né d’une exigen c: celle de voir davantage consi- dérée la pensée urbaine de Walter Benjamin. En dépit d’une réception qui déborde désormais le cadre des études germa- niques et de la philosophic pour investir d'autres champs de réfles ouvrages qui se confrontent véritablement aux enjeux urbair on (histoire, sociologie, ethnologie), rares sont les de la pensée benjaminienne!, Aucune étude, du moins en fr cais, n'a été publige sur ce sujet On pouvait attendre des disciplines de Vurbain qu’elles réservent loeuvre de Benjamin un accueil chaleureux : aprés tout, celui-ci n’a-t-il pas consacré I'essentiel de ses écrits ala ville ? Mais parce que ses analyses relévent aussi bien de Pessai philosophique, de la critique littéraire que du texte autobiogra- phique, et qu’elles récusent le découpage institutionnel des connaissances sur la ville, elles n'ont jamais trouvé leur place au sein d'une discipline. Benjamin est regardé comme l'un de ces 1. Parmi ces exceptions, signalons les ouvrages suivants : Heine Wismann (dir.) Walter Benjamin ef Paris, Editions du Cerf, 1986, Walter Benjamin, le pas sant, la trace, Bibliotheque Publique d’Information, 1996 et Gérard Raulet, Le caractire destructeur. Esthétique, Uhéologie et politique chez Watter Benjamin, Aubier- Montaigne, 1997, 2. On trouve en revanche plusieurs études ngéres consaerées 3 la ville chez Benjamin, notamment celles de Norbert Bolz et Bernd Witte (eds.), Pas sagen. Walter Benjamins Urgeschichte des neunzehnien Jahrhunderts, Mimchen, 1984 ; David Frisby, Fragments of Modernity, MIT Press, 1988 ; Susan Buck-Morss, The Dialectics of seeing, MIT Press, 1991 ; Margaret Cohen, Profane Ihanination Walter Benjamin and the Paris of Surreatist Revolution, University of Califo: Press, 1993 ; Graeme Gilloch, Afyth and Metropolis : Walter Benjamin and the City Polity Press, 1997 et Pino Menzio, Orientarsi nella metropoli : Walter Benjamin e it compito dell'artista, Moretti 8 Vitali, 2002, 8 PHILIPPE SIMAY «originaux » dont leuyre, atypique et rétive A tout classement, est négli salité, com: e des études urbaines en raison méme de sa transver- © s'il s’agissait d’un manque de scientificité. D’aucuns seraient peut-étre tentés de parler d’une philoso- phic benjaminienne de la ville. Mais un tel qualificatif peut sem- bler incongru, tant la philosophique de son oeuvre a é conditionné par des catégories trad ticrs la philosophic benjaminicnne du langage, de l'art ou de Vhistoire, mais jamais une philosophie de la ville ; on renvoie aux grands paradigmes théologique, esthétique et politique gou vernant l’évelution de sa pensée, sans jamais mentionner celui de l'urbain, Ces lignes de partages, qui ont défini Vhorizon interprétatif de Vocuyre de Be ordre de lecture dans lequel tout ce qui touche a la ville est ren- voyé a un domaine régional, dont investigation semble dépour- vue d’intérét propre ecture ionnelles: on évoque volon- jamin, ont aussi systématisé un * La ville constitue pourtant le centre de gravité, et non une simple variable, de la lecture benjaminicnne de la modernité. A 1 pol tout comme des théories de la modernisation, ce n'est ni d: la difference des approches exclusive tiques et morales, ne ns la sphére des valeurs ni dans I’ sociale que Benjamin a cherché le sens de la modernité, mais , les contradic uppréhension idéale de la tovalité dans les phénomeénes urbains les plus concrets. tions de la modernité s’observent avec plus d’acuité. Depuis le milieu du XIX siécle, l'industrialisation et l'urbanisation rapides, le développement des nouvelles technologies, l'appari- tion des foules puis explosion de la culture de masse ont fait de Ia ville un espace physique et social soumis 4 de violentes trans- formations. Benjamin n'est bi étudier les transformations de la grande ville. Dans Allemagne wilhelminienne, la métropole est déja devenue un objet majeur des sciences sociales naissantes mais aussi un modéle auquel se stir ni le premier ni le seul A ent communément architectes, urbanistes et artistes. Peter Behrens, Varchitecte co-fondateur du Deutscher Werkbund, déclare ainsi en 1908: «La Grande Ville est devenue au un facteur de la vie culturelle, scientifique et économique, que A partir d’elle s'est développé jourd hui Von ne peut simplement ignorer WALTER BENJAMIN, D'UNE VILLE A L'AUTRE 9 Une dique suffisamment que la métropole n'est pas seulement percue comme le symptome de la modernité, mais tout autant comme le facteur de modernisation des formes de sociabilité. Ce déplacement du regard dans l'ordre des repré- sentations s'accompagne d'un présupposé épistémologique fort: celui de l’équivalence de la métropole et de la modernité, La Grande Ville est devenuc le «laboratoire » de la modernité Comment situer la réflexion de Benjamin par rapport aux études sur la modernité urbaine ? De fait, la lecture benjam: © différe des approches socio-cono- miques et socio-historiques, comme celles de Weber ou de Sombarti, Elle s‘intéresse moins aux développements techno- logiques, Economiques et démographi 1: gence de la métropole, qu’a la man muta Venvironnement urbain affectent la perception et expérience un type de vie qui existe et done est entré dans Vhistoire telle déclaration i nienne de la ville moder fs a l’émer- ues, col ‘ dont le ns de du citadin et, ce faisant, modifient le sensoriwm humain, Pour lui, Vaceélération du trafic automobile sur lequel se reglent mécani- quement les mouvements des piétons, le vacarme ambiant, la multiplications des signaux lumincux et sonores, l’envah: se res sourmettent individu a des st m mulations sensibles sans précédant et font de la métropole un mili fragmentation des impressions. On peut qualifier cette lecture des enscignes publicit u dans lequel dominent la rapidité, la désorientation et la de «sensitive » dans la mesur le prisme des transformations physiologiques et psychologiques de l’expérience subjective vécue par habitant des grandes villes. II s’agit 1a d’une orientation d’analyse que Benjamin pa tage avec Siegfried Kracauer et qui trouve son inspiration théo- rique dans la pensée de Simmel, dont tous deux ont suivi Venseignement a Bi Les grandes villes ct la vie de Vesprit, Simmel définit en effet la métropole comme le lieu privilégié d'une transformation du sensorium individuel. Selon lui, la condition métropolitaine se caractérise principale- elle analyse la modernité a travers lin. Dans son essai de 1903 3. P. Behrens, « Gartenstadthewegung », cité in Architecture en Allemagne 1900-1930, CCL-Centre Pompidou, Paris, 1979, p. 24 4. Max Weber, La ville, Aubier, Paris, 1992 Contributions @ Uhistoire morale et intelleetuelle de Thomane économique moderne, Payor Paris, 1966. Werner Sombart, Le bonrgeois 10 PHILIPPE SIMAY ment par une «intensification de la stimulation nerveuse, qui résulte du changement rapide et ininterrompu des impressions externes et internes*», Le citadin est sou! nis A de multiples choes générés par l'environnement urbain et dont il cherche, tant bien que mal, 4 se protéger. Ceux-ci, A terme, modifient profon- dément le psychisme des individus et créent une mentalité pro- prement urbaine, caractéristique de la modernité, et dont les traits marquants sont la propension a l'individualisation, a l'in- tellectualisation et a la rationalisation des rapports sociaux que Simmel analyse comme une «protection de la vie subjective conwe la violence de la grande ville ». Incontestablement, la question de la transformation des cadres de l'expérience sous Veffet du choc métropolitain appar de Benjamin pendant toutes les années 80. Elle le conduit a définir la modernité comme une incapacité A trans- générationnelles (Erfakrung), ins- crites dans des formes de sociabilité communautaires au profit comme le grundmotiv sim- mélien des essai mettre des expériences inte dexpé chocs subis passivement par la conscience. Cela dit, en dépit des proximités thématiques et méthodolo- giques, Benjamin prend aussi ses ¢ vis du sociologue berlinois: d’une part, il ne fait pas de la Groszstadt un concept sociologique, la forme générique de la socialité ou de la «me talité » moderne; d'autre part, il n'inscrit pas 'émergence de la ville moder: uum spatial qui irait du rural a Vurbain ou du village a la ville, comme si la métropole était la forme culturelle la plus achevée d’un processus de modernisa- tion, De telles conceptions qu nent dans la pensée évolu- tionniste et fonctionnaliste de la sociologie allemande, de Ténnies a Spengler ct dont Simmel représente l'articulation ambivalente, conduisent 4 une forme d'écologie urbaine dont Benjamin est assez éloigné. Méme s°il est sensible au théme sim- mélien de la « métropolisation de sa société®», les formes cultu relles ne sont pas pour Benjamin le produit des formes urbaines cuces strictement individuelles (Eslebnis), procédant de st aces vise e dans un conti 5. Georg Simmel, « Les grandes villes et la vie de lesprit », in Philosophie de la modernité, Payot, Pacis, 2005, p. 234 6. expression est de Stéphane Jonas, « La métropolisation de la société dans leeuvre de Georg Sim 1000, el », in J. Rémy (dlir.), Georg Simmel : Ville et moder. nité, L'Harmatian, Par WALTER BENJAMIN, D'UNE VILLE A UAUTRE 0 m: Vexpression des forces productives, Il s‘agit la d’une démar= cation importante ; la Grande Ville n’est pas le dype de la société tionnelle et désench ntée ~ mais le lieu de production de mythes et de fantasmagories modernes résultant de l’effet de saturation du capitalisme avancé et dont il importe de se libérer. Bien plutat, ce qui est en jeu dans Paeuvre de Benjamin, c’est Ia genése d’un regard moderne sur la ville, la mise au jour des conditions a partir desquelles la ville advient a la conscience. A travers ses analyses sur les matériaux et les formes architecturales aux XIX* et XX° sigcles, sur les pratiques urbaines, sur les médias de la culture de masse, dans l’attention portée aux grandes trans- formations de la métropole aussi bien qu’aux détails les plus modestes de la vie citadine Benjamin a cherché a définir ce que pouvait étre une compétence, voire une expertise citadine a par- tir de laquelle Uhabitant des grandes villes prend conscience de son réle dans le processus de production capitaliste. En ce sens, nité n’est ni une culture ni un état d’esprit: elle est la mode! indissociable de la maniére dont la ville est ressaisi dans la réfle vité d'une Vexpérience. Cette expérience, Benjamin ne Va jamais vécu en un lieu unique, ni méme privilég é. Elle s'est toujours cleux oft s’es le sort d'une modernité is et Berlin, ou pour le décliner autre- ment, entre la capitale du XIX¢ siécle et celle du XX¢ siécle, entre la grande ville naissante et la métropole triomphante, mais tenue dans un entr jou contradictoire: entre aussi entre la ville de Pexil et celle de l'enfance. + Les études réunies da 1s ce volume se proposent d’explorer cet entre-deux urbain en questionnant de facon spécifique les concepts, les figures ou les themes qu’il mobilise. Il a semblé évi- dent de faire appel ici A ceux qui, non seul en France mais aussi a ’étranger, avaient le plus contribué versant de l'ceuvre de Benjamin, soit en s'efforcant de situer sa philosophic urbaine dans son espace culturel propre, soit en ins- crivant certains des concepts de Benjamin au ceeur de leur réflexion personnelle sur la ville ou l’architecture. Si ces ti rées comme exclusives, elles deviennent indissociables dés qu'il faire connaitre ce démarches peuvent paraitre opposées, et méme parfois con: s’agit de Benjamin, tant ce dernier, en marge des reconnaissances id PHILIPPE SIMAY éc institué académiques et des modes de pen: s'est toujours tenu Ala croisée des chemins, C'est donc en cette croisée que, venus horizons différents, se rejoignent les essais qui suive! Le lecteur remarquera aisément que les articles réunis dans ce recueil se distribuent en quatre sections. La premiére est privilégié de r jamin a ancré son projet d’tme préhistoire de la modernité. Si le Paris du Second Empire fut en effet pour Benjamin Ie lieu ott les fantasmagories urbaines transfigurent faussement le capitali cn promesse de bonheur, il fat aussi un terrain de lutte. L’article de Michael Léwy le rappelle bien, en revenant sur un théme trop souvent négligé dans l'étude du Livre des passages : celui de la bar- ricade, De 1830 a 1848, les barricades ont représenté un disposi- tif urbain redoutable : pour tenir en échee tout u modernisation du vieux Paris, entrepris par le baron Haussm: consacrée & Paris comme un I sistance ot Ber me | suffisait en effet de quelques hommes Mais avec les wavaux de -gim an, les barricades vont perdre beaucoup de leur efficacité, ainsi qu’en témoigne l’écrasement de la commune en 1871. Non seu- (les larges percées et les artéres rectilignes ont facilité la mobilité de Partillerie, mais elles ont aussi déuruit le issu urbain lem des faubourgs, encore susceptibles d’abriter des ilots de résis tance. Dans les « embellissements » du Préfet de Paris «chaque pierre porte le signe du pouvoir despotique » du Michael Léwy, en commentant les nombreuses citations que Ben- jamin a consignées sur le sujet tique de l'espace urbain oi les pavés, les rues et les immeubles deviennent l’expression matérielle, spatiale et stratégique du conflit entre les classes. La barricade peut étre ainsi vue comme dispositif réglé qui défait l'espace de représentation du pouvoir en retournant contre lui le mobilier urbain. La destruction de Vunité spatiale de la ville capitaliste libére les forces révolution- naires que l'urbanisme et l’architecture ont réduites a l'inertie Une telle lecture s’avére fructueuse pour comprendre les straté- gies ultérieures de détournement politique de espace urbain. En dépit de son efficacité relative, la construction de bari n’a jamais disparu, ainsi qu’en témoignent les soulévements de cond Empire. pus présente ici une lecture poli- ades 58 ou les affrontements récents a Genes au sommet du G8 m en 2001. La raison en est probablement qu'il se joue dans ces constructions de fortune quelque chose qui reléve d’une compé- WALTER BENJAMIN, D'UNE VILLE A L'AUTRE tence populaire 4 redistribuer ce que la ville, en ses murs, a accus mulé d’hommes, de bi as et de capitaux. ‘Tout 4 Vopposé des communards se tient le Maneur aux moti vations politiques incertaines. Sa figure émerge vers 1840 d'une littérature populaire et commerciale propre a la grande ville, celle des Physiologies - sorte d’anthologies illustrées, qui tentent vaine- ment d’en définir les contours. Le flaneur semble endosser toutes Ics identités, tenir tous les réles. On a vu en lui le bourgeois deésceuvre, l’étudiant libre de son temps ou la figure démocratique du citadin qui succombe au charme de la marchandise. Dans tous les cas, il apparait comme un étre dont la sensibilité est détachée de toute préoccupation politique et morale. Régine Robin nous propose ici une autre lecture © ait du fli modernit evenant sur la fagon dont Benja- neur baudelai ment au flineur des Physiologies, le flaneur baudelairien percoit le pouvoir dillusion de la marchandise et tente de s’en déprendre. Il part a la recher de la vie mod Jeux et le poétique. Mais cet extraordinaire pouvoir visuel, capable de déch mina en la figure allégorique de la - Contr he des aspects Epiques , il « herborise le bitume » pour y découvrir le nm mervei ffrer la ville comme un texte, est sans cesse sa m Dans la rue le poéte perd son auréole : il est soum une infinité de stimulations externes et A un état de veille perma- ne (qui confinent sa capacité d’analyse Pinattention tion est fragmentée, sans unité possible. Reste donc a savoir ce que le flaneur saisit véritablement de la ville, et si derrier sation du merveilleux ne se cache pas la perception la plus tri- viale. L’article montre bien ce que cette lecture du flaneur b A Hessel, 3 distraction que Benjamin mobilise pour comprendre les transfor- mations urbaines de son temps. Ce point permet de mieux com- prendre comment le flaneur s‘est construit 4 mi chemin entre nt comme expression de Ia grande ville qu comme l’antidote A la vie métvopolitaine. I nous invite aussi a considérer le flaneur comme une figure de la résistance urbaine ; ve, certes, mais dont Benjamin a dit qu'elle éta ne du courageux’». On notera qu’ la difference Sa percep- la ser udelairien doi Kracauer, aux concepts de choc et de Paris et Berlin — auta istance pa «Tessence m 7, Ch. « Deux potmes de Friedrich Holderlin » in Bwores J, Paris, Gallimard, «Polio e: 2000, p. 122. 14 PHILIPPE SIMAY de bien des utopies architecturales qui n’accordent qu’un réle subsidiaire aux modalités de la libre occupation de l'espace urbain, Benjamin, comme Breton ou Debord, nous rappelle la préséance du piéton, et nous invite A reconsidérer les pouvoirs de la déambulation, ici définie comme la vraie capacité du ci agir avec son environnement et, par suite, a le redéfinir, Mais nerie estelle encore d’actualité? C'est sur les avatars contem- porains du flancur que Régine Robin termine son analyse, nous rappelant que celui-ci revient aujourd’ hui dans sa version post- moderne comme une figure dégradée de V'urbanité. Et ce n'est pas sans ironic, que par un étrange retournement de histoire, le flaneur est redevenu ce qu’il était 4 Vorigine : un signe vide. adin a La deux s que celui me section porte sur le Berlin de Benjamin. Les asa é a consact je natale constitu sformations de la capitale allemande qu'une topographie de la modernité of les lieux et les choses constitue: moins une source informations sur les w taussi bien le matériau de la mémoire que celui d’un sursaut révolutionnaire. Le texte de Guy Petitde mange qui compare Sens unique et Enfance berlinoise permet de li s20etla , semblable 4 un labyrinthe, est encore mesurer la distance entre la crise du Berlin des ann ville de sa jeunesse, q chargé des mystéres que l'enfant découvre et déchiffre en ses lieux d’élection. Dans les deux livres, ’écriture de Benjamin, empreinte d’une profonde désillusion et marquée pa tée du nazisme, signale le contraste entre la conscience poli- tique d’une ville ravagée par la crise économique et l'esprit de Vadulte qui reconstruit la vision d’autrefois. Berlin, ville révée qui, au début du sigcle, ne correspond déja plus ace qui est désormais l'une des plus grandes métropoles d'Europe - la Groszstadt par excellence ~ mais que Benjamin tente de ressaisir A travers le regard de l'enfant, non comme un passé retrouvé ou recomposé mais comme le fragment d’une promesse que le pré- sent n’a pas tenu, Robert Kahn s'intéresse quant a de la mémoire. De tous les matériaux requis pour penser la ville, c'est au verre que Benjamin a consacré la plus grande attent Présenté dans « Paris, la ville dans le miroir » comme une surface fléchissante et un espace de capture, il devient, dans Paris, eapi- ¢ la mon- au ve re comme matiére on. WALTER BENJAMIN, D'UNE VILLE A L'AUTRE 5 tale du XIX si Ve éricur et ‘le, Vinstrument de annulation entre Pint térieur, mais aussi, dans « Expéri au sans aura, ennemi du mystére et dépourvu de mémoire. En revanche, dans Enfance berlinoise, le verre apparait, sous la forme d’étres ou d’objets, autrement que comme un matériau transpa- rent ou réfléchissant, Ia aussi le pouvoir de séparer, de faire obs tacle, de diviser l'espace ~ tout en donnant A voir. Le verre a pour supréme et paradoxale qualité d’opacificr, mais aussi de rendre lisibles les rapports entre intériorité et extériorité, structure fami- liale et individualité, éros et répression sexuelle, exploités et exploiteurs. Le verre n'est done pas seulement un matériau, indexé sa fonction constructive: c'est aussi une matiére, et peut étre avant tout une matidre littéraire. C'est un «médium », le Hiew méme dun passage qui permet une fois de plus 8 Benjamin de quéte insatiable de lorigine et sa t réflexion sur le langage. En cela, le verre — en début du sigcle et celui des années 30 ~ convient parfaitement ace et pauvreté », le maté- s anci ne le Berlin du Vexpression de la nostalgie de Penfance dont l’adulte se souvient au moment ot sa subjectivité est menacée de se vider ou de deve- nir un « je transparent », de verre, La lecture de Robert Kahn n'est pas étrangére aux questions architecturales. Elle n’étoffe pas simplement le registre des propriétés du verre, elle nous conduit surtout a considérer cel ci avec plus de circonspection: sa transparence cache une complexité, voire une ambignité. En tant que médium, le verre porte la marque des ambivalences de Vaide et de Vobstacle : il a propres velléités avec lesquelles tout effort de lecture ou de construction doit composer. Tl importait de consacrer une part de la réflexion aux liens qu unissent architecture, ville et cinéma tant ils occupent une place centrale dans la réflexion de Benjamin sur le médium filmique. Crest la trois me section de notre ouvrage. Dans «L'ecuvre d'art 4 Vere de sa reproductibilité technique », Benjamin définit en effet le mode de réception propre au cinéma et 4 architecture: celui de la «distraction » (Zerstreuang). Alors que le tableau demande un temps d’arrét, le «rec individuel du spectateu (Sammlung), le propre du cinéma et de architecture tient en ce que leur sens s" lement » pose par une diffusion le plus souvent incons- cience, s‘insérant dans le cours de la vie quotidienne. Ce mode de réception ne renvoie pas une inaptitude ala concentration mais 16 PHILIPPE SIMAY constitue au contraire ut mode de connaissance passif, diffus et périphérique caractéristique de la vie citadine. Mais jusqu’a quel point cette connaissance par distraction offre-telle aux masses Fopportunité de maitriser les déterminations qui les affectent et de constituer une expérience de la modernité? C'est A cette ques tion que se confronte Graeme Gilloch, Partant d'une double lec- i-ci interroge les potentialités révolutionnaires du film, Pour l'un comme pour l'autre, le film représente le médium correspondant historiquement aux trans- formations de la grande ville: seule l'image mouvante est désor- mais capable de capter les rythmes nouveaux de la métropole. Plu urbain et capture des aspects de la réalité Gtrangers aux expé- ture de Benjamin et Kracauer, celu encore, la caméra pénétre de facon inédite environnement riences coutumiéres. Non seulement le film - nouvel «incons- cient op transforme aussi la perception quotid monde dans lequel nous vivens pour reconfigurer notre expé- rience de la ville. Néanmoins, le statut de Pexpérience cinémato- graphique n’a rie 1: Benjamin y voit une reproduction de lexpérience catastrophique de la ville moderne. Au cinéma, révéle l’essence cachée de la ville, mais il enne et désabusée du devide les masses rejouent ce q) Fespace métropolitain : le traumatisme de choes successifs mais qui, ici, adviennent 4 la conscience. Le cinéma d’avant-garde aurait pleinement saisi la fonction révolutionnaire de la dialec- tique du choc subi et du choc pergu : les techniques filmiques quil mobilise (montages ultrarapides, surimpressions de plans, agrandissement, ralenti, etc.) produisent dans la conscience des spectateurs un effet « explosif» et edévastateur» qui les place dans un état d’alerte permanent. Le film, comme instrument déveil, deviendrait ainsi une arme de critique politique immé- diate. Kracaner, en revanche, est nettement plus circonspect, Pour lui, le film est moins une étincelle révolutionnaire qu’une dynami sation des facultés perceptives. Sa fonction est essentiellement heuristique: il nous aide 4 redécouyrir le monde avec des yeux nouveaux, nous fait percevoir ce que nous ne voyions plus. Les films expérimentaux, par leur trop grandes tendances formelles, manquent donc ce qui fait la valeur du film: sa capacité a rédimer Ia réalité physique et sociale. Le pouvoi reste done incertain dans la mesure ot il participe lui aussi des elles subissent quotidiennement dans de dévoilement du film WALTER BENJAMIN, D'UNE VILLE A L'AUTRE 17 fantasmagorics du capitalise. Instrument d’un nouvel enchante- ment, il peut tour a tour révéler le contenu inconscient de la métropole comme le voiler tout a fait. Andrew Benjamin prolonge cette discussion en rappelant que chez Benjamin la notion de « distraction » est indissociable de celle d’«ennui». Sclon lui, ces deux notions caractérisent les . Ces humeurs, s’apparentent plus des modalités, des dispositions ou, pour employer les mots de Hei- degger, a des « tonalités fondamentales » qu’a de simples mouve- ments de la subjectivité. C'est A partir de ces modes que l'on peut rendre compte de la constitution de l'expérience moderne qui trouverait dans la masse son lieu d’émergence. Si le film et Varchitecture mot pour autant les individus. La distracti etre regardé masses 3 la conscienc humeurs de la modernit sent les masses, ils ne tra 1sforment pas n et ennui peuvent ak on et une disponibilit ique mais non pas comme le moment d'un réveil. L’expérience de la modernité est ainsi fortement comme une di des stabilité : les masses sont que de nou- affecté par une ambivalence et une en attente, aussi bien de ’étincelle révolutionnair velles fantasmagories culturelles. La derniére section de ce livre est consacrée 4 architecture et plus particulié modes d*habiter. Charles Rice nous propose ainsi un examen approfondi des remarques de Benjamin sur Pintérieur domes- tique du Second Empire. Contrairement aux passages qui repré- sentent une forme architecturale datée et désormais révolue, ment a la réflexion de Benjamin sur les Vintérieur du XIX sigcle semble désigner une modalité d’occu- pation spatiale dépourvue d'historicité. Dans Paris, capitale du XIX siéele ainsi que dans le Passagenwerk, Benjamin bat en bréche cette représentation essentialist de l'habitation que la bour- geoisie a donné d’elle-méme. Les intérieurs y apparaissent bien plutét comme la compensation de I'aliénation qui est au coeur de l'expérience de la grande ville. L'espace domestique const tue un refuge dans lequel le bourgeois peut se livrer aux « fan- tasmagories de 1 eur». Loin des chocs de la ville, il aménage son en) nement privé afin d'y imposer sa marque. L’ameublement du salon dans le style Biedermeier - saturé de tentures épaisses, de fautcuils capitonnés, de bibelots et d’argen- PHILIPPE SIMAY teries = traduit obsession de la ace, de l’emprunte et du de son existence historique. Charles Rice voit dans cette lecture de Vintérieur bourgeois un outil de la conception du temps chez Benjamin : Vintérieur devient une image dialectique, la cristall sation des contours historiques précis de espace domestique bourgeois au moment méme ov il appai vrable pour le présent. Cette image nous conduit tout 3 la fois a une immersion dans 1’i reflet, dans laquelle le bourgeois cherche la preuve dérisoi ait comme irrécou- térieur bourgeois et ai sa dislocation : elle délivre Vhabitat de sa résistance rétrog) ade pour libérer le potentiel révolutionnaire de l'architecture de verre. Enfin, Wolfgang Bock nous invite 4 un étrange parcours architectural qui débute avec Kafka et Dante dans l’enfer des passages parisiens pour finir avec Scheerbart dans une tour de verre. L'intérét de Benjamin pour la Glasarchitektur de Sche bart est bien connue. Ber jamin y a vu Péloge d’une architecture dans laquelle il devient impossible de laisser des traces: le signe dune pauvreté bart aurait partagé avec Brecht, Klee ou Loos et qui anticiperait les constructions du Bauhaus ct de Le Corbusier. Faire de Scheerbart le pr rne, alors que jéré comme le pére spirituel de VExpression- nisme architectural, a de quoi surprendre, L’analyse de Wolf gang Boc! venant sur l'ensemble des textes que Benjamin a consacré a Scheerbart, et notamment sur son compte rendu du Lesabéndio, aide & mieux comprendre ce qui, de prime abord, semble relever du contresens ou du tour de force. On découvre fasciné par Parchitecture organique, plus proche ici de la mystique de Bruno Taut que du fonctionnalisme de Walter Gropius. Le verre apparait comme un outil purificateur, régénérateur des expériences perdues et non comme le maté riau qui contraint a toutes les assumée, d’une « barbarie positive » que Sch cur du Mouvement mod: uw celui-ci est con: en bandonner. Ce fait, la encore, nous invite 4 une lecture plus nuancée sur le sens du verre chez Benjamin. Il indique que pour Benjamin la «perte de l'expé- rience» s'est décliné 2 soit sous le motif de sa restitutio in integrum, cher aux Expressionnistes, soit sous celle de sa liquida- ale, ainsi que le prénent les Constructivistes. Que Ben- jamin ait regardé dans ces deux directions, voila bien ce qui indique l'ambivalence méme de la modernité. tion radi ‘imay 01 lowy Page La ville, lieu stratégique de l’affrontement des classes Insurrections, barricades et haussmannisation de P: dans le Passagenwerk de Walter Benjamin Michael Liwy INTRODUCTION L’espace urbain comme lieu du combat entre les classes: voici un aspect souvent négligé par les travau Ia ville dans le Passagenwerk. Pourtant, il occupe une place de choix dans ce projet inachevé. Le traitement du sujet par Walter Benjamin est inséparable de sa méthode historiographique, qu’on pourrait tenter, provisoire- ment, de définir comme une variante hérétique du matérialisme historique, fondée (entre autres) sur deux axes essentiels: 4) une attention systématique et inquiéte pour l’affrontement des classes, du point de vue des vaincus ~ au détriment d’autres topoi classiques du marxisme, comme la contradiction entre forces et rapports de production, ou la détermination de la superstructure par l’infrastructure économique b) la critique radicale de l'idéologie du Progrés, sous sa forme bourgeo: s aussi dans ses prolongements dans la culture politique de la gauche La ville dont il est question dans le Livre des Passages est, comme I’on sait, «la capitale du XIX" siécle ». I] faut ajouter qu'il s‘agit aussi de la capi Crest, en d’autres mots, ce qu’avait écrit Friedrich Engels dans un article de 1889, cité par Benjamin, qui partage sans doute cet avis: « La France a Paris, une ville of ( toutes les fibres nerveuses de histoire européenne et d’oit par- tent a intervalles réguliers les impulsions électriques qui font trembler tout un monde (...)'.» savants sur le théme de e,m: le révolutionnaire du XIX siecle. seul .) se rassemblent 1. Walter Ben Paris, 1998, p. 715. amin, Paris, capitate du XIX siécle, Le Livre des Passages, Cerf, 20 MICHAEL LOWY Je suivrai dans cet essai un ordre chronologique : 1) Insurrections et combats de barricades (1830-1848); 2) La Haussmannisation de Pari e «embellissement stratégique » (1860-1870); 3) La Commune de Paris (1871). Ils'agit de matériel puisé dans trois chapitres du Passagenwerk : «Mouvement social », « Haussmannisation, combat de barri- cades », «La Commune». Comme I’on sait, le Livre des Passages a un statut qui reste encore énigmatique: s’agit-il d’un ensemble de matériaux clas- sés en vue de la rédaction d'un ouvrage? Ou d'un collage de citations comme nouvelle méthode d’exposition? A moins que ce ne soit un mélange des deux. En tout cas, on a affaire a des ments de nature trés hétérogéne. On pent distinguer les catégories suivantes: — commentaires de Walter Benjamin — sans doute la source la plus importante pour sais pensée — citations précédées ou suivies d’un commentai com do le mouvement de © qui les éclaire; — citations d’auteurs marxistes ou socialistes, dont on peut que Benjamin partage les opinions (encore que...) suppos servent a mettre en — citations de travaux d’historiens, qu ides é évidence un aspe — citations d’auteurs réactionnaires, qui illustrent l'attitude des couches dominantes ; leur usage par Benjamin est souvent teinté d'ironie. ements qui Vintéresse ; Il nest pas toujours aisé de comprendre pourquoi auteur de cet énorme recueil a choisi telle ou telle citation. La place de certains documents dans son argument reste mystérieuse, cer- tains détails semblent sans térét, et on est obligé aise livrer a des conjectures, sans pouvoir toujours trancher. Cela dit, dans l'ensemble, les piéces du puzzle prennent leur place et l'on peut reconstituer le discours de Benjamin, et son objet dans ces trois chapitres: la ville (Paris) comme lieu stratégique du conflit entre les classes - au XIX* siécle, mais avec des échos, souvent ns la conjoneture de 'Europe des années 1930. ites, LA VIL LIEU STRATEGIQUE DE L’AFFRONTEM 21 INSURRECTIONS ET COMBATS DE BARRICADES (1830-1848) Le matériel don! pitres du Livre combats de barricades ». La premiére chose qui frappe est 'intérét, la fascination méme de Benjamin pour les barricades. Elles apparaissent, au cours des citations et commentaires, comme l’expression maté- rielle, visible dans l’espace urbain, de la révolte des oppri- més au XIX" siécle, de la lutte de classes du cété des couche subalternes. La barricade est synonyme de soulévement popu- laire, souvent vaincu, et d’inte ruption révolutionnaire du cours ordina sera question ici provient de deux cha- « Mouvement social » et « Haussmannisation et 4 ¢ des choses, te dans la mémoire populair dans l'histoire de la ville, de ses rues et ruelles, Elle illustre uti géographie urbaine dans sa matér teur des maisons, pavage des voies. Elle est aussi, pour les insur- gés, un moment enchanté, une illumination profane, qui présente aux oppresseurs la face de Méduse de la révolte «au milieu des rouges éclairs » et qui brille, selon un poéme du blan- quiste Tridon, «dans l’éclair et dans l"émeute » (720, 731). Enfin, elle est une sorte de lieu utopique, qui anticipe les rap- ports sociaux de avenir: ainsi, selon une formule de Fourier, citée ici, la construction d'une barricade est un exemple de «travail attrayant’>. La curiosité de Benjamin pour les détails de la construction des barricades est illimitée. I] prend note du nombre de pavés - 8 125 000 pour ériger les 4 054 barricades des Trois Glorieuses de 1830° — utilisation d’omnibus (carruages tirés par les chevaux) renyersés pour les fortifier’, le nom des constructeurs — Napo- sation, par les dominés, de Ia lité: troitesse des rues, hau- 2. Mid, p. 164. 3. Mbid., p. 162. 4. Ibid, p. 149 et 165, Page 22 MICHAEL LOWY léon Gaillard a planifié la puissante barricade rue Royale en 1871" - leur hauteur — en 1848 beaucoup montaient a la hauteur @un premier étage* — l'apparition du drapeau rouge en 1832”, ete. I enr gistre aussi les méthodes peu orthodoxes du combat popu- laire autour des barricades: par exemple, le jet par les fenétres, sur la téte des militaires, de meubles ou de pavés*. On dirait qu’il tente, par ces détails, de image, la plus précise possible, de la barricade comme lieu maté- riel, espace urbain construit et symbole ant de Paris comme capitale révolutionnaire du XIX* siéel t surtout, il s*intéresse au réle des femmes dans les combats de bai se faire une ades: on les voit verser de 'huile bouillante ou de Peau cuses » les aspergent d’huile de vitriol, tandis que d’autres fabriquent de la poudre’, En Juillet 1830, une jeune femme a pris des vétements masculins pour se battre & cété des hommes: elle sera ramenée en triomphe par les canonniers insurgés". Il est question aussi des Bataillons de Femmes, d’Eugénie Niboyet et des « Vésuviennes ». Dans absence de commentaires, on peut seulement supposer que Benjamin prend acte de la transgression, par les femmes insurgées, du réle social qui leur est imposé par le patriarcat. Reste la question de lefficacité insurrectionnelle de la barri- cade. Benjamin cite l'opinion d'un hi victoricux de juillet 1830: « Les rues Saint-Denis et Saint-Martin brilante sur les soldats; des « sulfé torien sur le soulévement 5, Ibid, p. 166. 6. Mid. 7. Mid, p. 724 8, Ibid., p. 160 et 161 9. Ibid, p. 712-713. 10. Ibid, p. 723. o1 LA VILI LIEU STRATEGIQUE DE L’AFFRONTEM 23 sont... la béné gés derrie liction des émeutiers (...) Une poignée d’insur- © une barricade tenait en échee un régiment.» Le jugement de Friedrich Engels ~ pourtant auteur, en 1847, dune piéce en un acte représentant un combat de rues avec des barricades dans un petit Etat allemand, couronné par le triomphe des républicains" - est plus sobre: effet des ba cades est plus moral que matériel, elles sont surtout un moyen débranler la fermeté des soldats". Les deux opinions ne sont pas contradictoires, et, dans labsence de commentaire explicite de Benjamin, on pour- rait supposer qu'il les considére comme com- plémentair I] faut ajouter que la barricade n’ét x ‘ seule méthode de lutte insurrectionnelle. Blanqui- un personage qui apparait sou- t dans les notes de Benjamin — et ses camarades de la é des Saisons », préféraient des formes de comb rues plus offensives, plus proches du «coup de main » révolu- tionnaire. Ainsi, le 12 mai 1839, il avait concentré mille hommes flartin, pensant « profiter de nouvelles troupes connaissant mal les détours des rues de Paris». Latent v «Soci des entre la rue Saint-Denis et la rue Saint on de Benjamin ne se porte pas seulement sur les insurgés, mais aussi sur le comportement de l'adversaire dans Vimpitoyable affrontement des classes - les puissants, les gouver- nants. Suite aux soulévements de 1830, 1831 et 1832, le pouvoir - Louis Philippe, la Monarchie de Juillet — envisage de construire des fortifications dans les quartiers «sensibles », Le 11. bid., p. 155. La citation vient de Dubech et D'Espezel, Histoire de Paris, 1926, 12. Ihid., p. 164. 13, Ibid, p. 148. 14, Hbid., p. 165. Ihs'agit d'un passage de la biographie de Blanqui par G. effroy, une source souvent citée par Benjamin, ‘imay 01 lowy Page ABEL LOWY 24 Mi républicain Arago dénonce, en 1833 cet «embastillement de Paris »: « tous les forts projetés auraient action sur les quartiers les plus populaires de la capitale... Deux des forts, ceux d’Italie et de Passy, suffiraient pour incendier toute la rive gauche de la Blanqui dénonce lui aussi, en 1850, ces premiéres ten- ine de Paris, exposés par un certain M. de Havrincourt: selon cette théorie stratégique de la guerre civile, il ne fallait pas laisser séjourncr les troupes dans les foyers Wéemeute, mais construire des citadelles et tenir les soldats en garnison, a l’abri de la contagion populaire" Police et Armée coopérent dans la répression des souléve- ments populaires: comme le rappelle Hugo a; en Juin 1832, les agents de la premiére, aux ordres du préfet Gis- quet, fouillaient les égouts la recherche des derniers v: de insurrection républicaine, tandis que les troupes du g Bugeaud balayaient le Paris public". Benjamin prend acte aussi de utilisation, pour la premiére fois lors de Pinsurrection de Juin 1848, de Vartillerie dans le combat de rues". Les extraits et commentaires de Benjamin pour cette pr: mitre période offrent le tableau de Paris comme licu d’émeute, Seine tatives de militarisation urh: Les Misérables, cus eral d’effervescence populaire, de soulévements a récurrence, par- fois victorieux (Juillet 1830, Février 1848), mais dont les victoires sont confisquées par la bourgeoise, quite A susciter des now velles insurrections (Juin 1832, Juin 1848), écrasées dans le sang. Chaque classe tente d’util jer, l'espace urbain a son avantage. On voit s’esqutisser, en pointillé, une tradition des opprimés, dont la barricade est l'expression matérielle visible ser et de modi _ Hl. HAUSSMANNISATION : LA REPONSE DES PUISSANTS (1860-1870) La Haussmannisation de Paris ~ c’est-dire les travaux de per- cement de grands boulevards «stratégiques » dans le centreville, en détruisant les « quartiers habituels des émeutes », entreprise 15. Ibid, p. 164 16, Ibid, p. 167. 17. Bhid., p. 72 18. Did, p. 164. LA VIL SIQUE DE L’AFFRONTEMENT 25 par le Baron Haussmann, préfet de Paris sous Napoléon II - constitue la réponse des classes dominantes la récurrence insupportable des insurrections populaires et a leur méthode de lutte préférée, la barricade. Présentée comme une opération d’embellissement, renouveau et modernisation de la ville, elle est, aux yeux de Benjamin, un exemple paradigmatique du caractére parfaitement mystificateur de Vidéologic bourgeoise du Progrés. Cela s’applique aussi A un autre argument utilisé pour justifier les travaux: I’hygiéne, la démolition de quartiers «insalubres », «l’aération » du centre de Paris. Chez certains de ses apologétes, cités par Georges Laronze, biographe du Baron Haussmann (1932), argument hygiénique et le stratégique sont étroitement associés: les nouvelles artéres participeraient « au combat engagé contre la maladie et Ia révolu- tion; elles seraient des voies stratégiques, percant les foyers d démie, permettant, avec la venue d’un air vivifiant, I’ reliant (...) les casernes aux faubourgs’ modernisatrice d’Haussmann suscitait des admira- rrivée de la force armé: L’eeuvr teurs encore au XX° siécle, comme cet auteur d’un ouvrage sur Paris paru A Berlin en 1929, un certain Fri. Stahl, que Benjamin cite avec une pointe d'ironie: le préfet de Pai doyer enthousiaste, fut «Le seul urbaniste génial de l’époque moderne, qui a contribué indirectement a la création de toutes les métropoles américaines. Il a fait de la ville un ensemble dont s, selon ce plai- Vunité est manifeste. No . i Pa achevé’ il n’a pas détruit Pa Convaincu du contraire, l'auteur du Passagenwerk collectionne les citations qui dénoncent, sur tous les tons, le caractére profon- dément destructeur des travaux entrepris par Haussmann — lequel, d’ailleurs, n’hésitait pas A se proclamer, avec beaucoup dautosatisfaction, «artiste-démolisseur"». Les commentaires de Benjamin sont tout a fait explicites A ce sujet: le Baron Hauss- mann « partit en guerre contre la ville de réve que Paris était encore en 1860»; il cite longuement l'ouvrage Paris nouveau et Paris futur, dun certain Victor Fournel, qui donne «une idée de Vampleur des destructions provoquées par Haussmann »; en 19, Ibid, p. 153 20, Ibid, po U7. 21. Bid, p. 158. 22. Ibid, p. LSI 26 MICHAEL LOWY rasant les batiments anciens, on dirait que l'«artiste-démolisseur » cherchait a effacer la mémoire historique de la ville: selon Four- nel, « Paris moderne est un parvenu qui ne veut dater que de lui, et qui rase les vieux palais ct les vieilles églises pour se batir ala place de belles maisons blanches, avec des ornements en stuc et des statues en carton-pierre ». Dans ce que Benjamin désigne comme «sa remarquable présentation des méfaits d’Hauss- mann », Fournel décrit le Paris ancien comme un ensemble de petites villes, chacune avec sa singularité: « voila ce qu’on est en twain d’effacer... en percant partout la méme rue géométrique et rectiligne, qui prolonge dans une perspective dune lieue ses ran- » Méme son de cloche chez deux autres auteurs souvent cités dans ce contexte, Dubech et D'Espezel: « Par pour toujours d’étre un conglomérat de petites villes ayant leur physionomie, leur vie, of I’on naissait, oti l'on mourrait, 04 l'on aimait A vivre (...)” On dirait que Benjamin reprend, au sujet de Mhaussmannisa- tion de Paris, une de ses critiques fondamentales a la modernité capitaliste: son caractére homogénéisateur, sa répétition infinie du méme, sous couleur de «nouveauté », son effacement de l'ex- pé : du passé cette autre citation de Dubech et D’Espezel: le premier t frappe dans l’ccuvre du préfet de Pa périence historique... Haussmann trace une ville artificielle, comme au Canada ou au Far West...9; les voies qu'il a construites « sont des percées surprenantes qui partent de n’im- porte of pour aboutir nulle part en renversant tout sur leur pas. sage®s. Du point de vue humain, la principale conséquence de cette modernisation impériale est — selon plusieurs commenta- teurs, dont l'urbaniste Le Corbusier“ - la désertification de Paris, devenue une ville «désolée et morne » of «la solitude, la gées de maisons, toujours les memes aces: Cestle sens de it qu is c'est «le mépris de l'ex- nce collective et de la mémoi: longue déesse des déserts » viendra s‘installe1 Cependant, l’ceuvre de I'« artiste-démolisseur » n’a pas fait 23, Ibid, p. 168-169. 24, Mid, ps 13% 25, Ibid, p. 156. 26. hid, p. 149. 27. Ibid., p. 154; d’aprés un ouvrage anonyme, Paris désert. Lamentations d'un ie haussmannisé, 186% 30 MICHAEL LOWY tuant ainsi «une admirable méthode de défense et de maintien de Pordre*». On touche ici 4 aspect le plus tion: son caractére d’« embellissement stratégique » (I'expression date des années 1860). Le «fait stratégique » commande, consta- tent Dubech et d’Espezel, «léventrement de Vancienne capitale"», Mais c’est Friedrich Engels qui r jeu politico-militaire des twavaux de Haussmann: il s‘agit, écritil, de la «maniére spécifiquement bonapartiste de percer de longues portant de l'Haussm: ‘sume au mieux l’en- artéres droites et larges a travers les quartiers ouvriers aux rues Etroites », avec l'objectif stratégique de rendre «plus difficiles. les combats de barricades». Les boulevards rectilignes avaient, entre autres, le grand avantage de permettre Putilisation du canon contre d'éventuels insurgés — une situation prophétique- ment évoquée dans une phrase de Pierre Dupont en 1849, plac par Benjamin en exergue du chapitre sur I’ Haussmannisation : «Les capitales pantelantes se sont ouverte Bref, les «embellissements stratégiques » du Baron Haussmann étaient une méthode rationnellement planifiée d’étouffer dans Vecuf toute velléité de révolte, et, si elle avait lieu malgré tout, de Vécraser efficacement - en faisant usage du dery puissants, selon Benjam crit Benjamin Lui méme, dans Paris, capitate du XIX’ siécle (1935), qu’on peut consi dérer comme une sorte d’introduction au Passagenwerk: «L’activité de Haussmann s‘intégre dans Vimpérialisme de Napoléon III, Lequel favorise le capital financier, (...) Le véri- table but des travaux de Haussmann était de protéger la ville contre la guerre civile. Il youlait rendre a jamais im poss Vérection de barricades Paris. (...) La largeur des boulevards doit interdire la construction de barricades et de nouvelles per- cées doivent rapprocher les casernes des quartiers ouvriers."» Les références a actualité des années 1930 sont rares d: au canon". » ier recours de le sang... comme I’ ple le 44. Thid., p. 161 45, Ibid, p. 157. 46, Ihid., p. 167-168. 47. Ibid, p. 145. 48, W. Benjamin, Euures If, Paris, Gallimard, «Folio-Kssais », 2000, p. 64. La section intitulée «Haussmann ou les barricades » dans cet essai puise large- ment dans le matériel qu’on trouve dans le Passagensverk LA VIL SIQUE DE LAFFRONTEMENT 31 Passagenwerk, Voici une des plus impressionnantes: «L’ceuvre ‘Haussmann est aujourd'hui accomplie, comme le montre la guerre d’Espagne Ber jamin se référe sans doute a l’écrasement, sous les bombes de la Luftwaffe, de la ville basque de Guernica, ainsi que de certains quartiers populaires de Madrid. Les bombardements aériens seraient-ils une forme moderne de «l’embellissement straté- gique » inventé par le préfet de Paris? Il y a évidemment une sorte @ironie amére dans la remarque de Benjamin, L’analogie qu'il esquisse se référe, probablement, & deux aspects essentiels de I’ Haussmannisation : la destruction de quartiers entiers, et Vécrasement préventif des «foyer d’émeute ». Cela dit, je ne pense pas que l'auteur du Livre des Passages vou- lait établir un signe d’identité entre ces deux événements de nature radicalement différente, et encore moins une généalogie historique. Sa petite remarque esquisse plutdt une sorte de constellation unique entre deux modalités, parfaitement dis- tinctes, de «démolition stratégiqu avec des moyens tout 2 fait différents”. », par les classes dominantes, de destruction urbaine com de maintien de ordre et de neutralisation des classes populaires. Son ironie vise aussi, dans doute, l'idéologie conformiste du Progrés: depuis Hauss mann les puissants ont considérablement « progressé » dans leurs moyens de destruction, et dans le niques au service de la guerre civile. Qui peut nier la sup des bombardiers de la Luftwaffe hitlérienne sur les humbles pelles et pioches du préfet de Napoléon IIL? Comment les révolutionnaires parisiens des années 1860 ont= répondu ~ avant la Commune de Paris ~ au défi de la Hauss ation? Quelle riposte ontils trouvée 4 la modernisation impériale de la ville? En fait, trés peu de tentatives de souléve- ment ont eu lieu pendant le Second Empire. Benjamin en mi tionne une seule, celle organisée par Auguste Blanqui en 1870: «Pour le putsch d’aotit 1870, Blanqui avait mis 300 revolvers et 400 poignards a la disposition des travailleurs. Il est caractéris- tique des formes de combat de ru préférérent les poignards aux revolvers”. >» © moye rs instruments tech- mann A cette époque que ceux-ci Comment interpréter 4 W. Benjamin, Paris..., p. 169. 50, Ihid., p. 166, 32 MICHAEL LOWY ce commentaire sibyllin? On peut supposer que Benjamin se limite 4 constater la préférence des insurgés blanquistes pour des méthodes de combat «corps 4 corps», proches de usage quotidien du couteau comme instrument de travail ou moyen de défense. Mais il est plus probable que sa remarque ai connotation critique, mettant en nique » des révolutionnaires, et la disproportion cri leur instrument de combat favori, le poignard, ct ceux dont dis- posaient les forces de ordre: les fusils et les canons eu une vidence le «retard tech- nte entre Iv. LA COMMUNE DE PARIS (1871) Ce chapitre du Passagenwerk est beaucoup plus court que les deux pr cédents: 6 pages sculement (contre 25 et 26). Hest du sceau d’une certaine ambivalence de l’auteur envers marq le Commune de 1871. Prenons la question capitale du rapport de la Commune a la Revolution Francaise. Benjamin observe que «la Commu tout a fait le sentiment d’étre Phéritidre de 1793"»; cela se tra- duit y compris dans la géographie urbaine des co} mpré gnée de mémoire historique, puisqu’«un des derniers centres de de la Commune » fut «la place de la Bastille Lrauteur du Livre des Passages aurait pu traiter ce rapport intense du peuple insu un exemple frappant du «saut de tigre dans le passé », au moment du danger, qui caractérise les révolutions, selon les Théses Sur le concept d'histoire (1940). La Commune aurait pu étre, de ce point de vue, un cas de figure bien plus attrayant que la Révolution de 1789, qui cherchait son inspiration —& tort selon Marx ~ dans la République romaine (exemple cité par Benjamin, sous une lumiére favorable, dans les Théses de 1940). Or, les divers commentaires sur la Commune cités par Benjamin suggérent plutét une distance critique, confirmée par ses propres notations. Par exemple, lorsqu’il affirme qu’ «Ibsen voit plus loin que bien des chefs de la Commune en France », en vant a son ami Brandes le 20 décembre 187 ne avait nbats, ésistanc gé de Paris a sa tradition révolutio’ ire comme «Ce dont nous éc 51. Did, p. 789. 52. Ibid, p. 791 LA VIL RAT! SIQUE DE L’AFFRONTEMEN’ 33 vivons aujourd'hui, ¢ Révolution du siecle précédent (...)".» Plus explicite et plus sévare encore est opinion du marxiste allemand — et biographe de Marx ~ Franz Mebring, dans un article «A la mémoire de la Commune de Paris », publié dans Die Neue Zeit en 1896: «Les derniéres traditions de la vieille légende révolutionnaire se sont elles aussi effondrées pou mune (...). Dans histoire de la Commune les germes de cette révolution [la prolétarienne] sont encore étouffés par les plantes grimpantes qui, parties de la révolution bourgeoise du XVIIF siécle, ont envahi le mouvement ouvrier révolutionnaire du XIX" siécle. » Comme Benjamin ne commente pas ce texte, on ne peut pas savoir s'il partage effectiv jugement, mais sa remarque au sujet de la clairvoyance d'Ibsen va dans le méme sens*. e ne sont que des miettes de la table de la toujours avec la chute de la Gom- ement ¢ Le moins qu’on puisse dire c’est que opinion de Mehring est parfaitement contradictoire avec ce que Marx avait écrit dans son célébre texte de 1871 sur la Commune, La guerre civile en France, qui présente celle-ci plutot comme Vannonciatrice des révolutions 4 venir. Or, non seulement Benjamin ne cite pas une seule fois ce docume que » du marxisme - hautement prisé par Lénine ~ mais il préfére se référer 4 une remarque tar- dive d’Engels, dans une conversation avec Bernstein, en 1884, qui, sans critiquer explicitement le document de Marx, le pré- sente comme une exagération «légitime et nécessaire», «compte tenu des circonstances ». Sur le fond, Engels insiste sur la prédominance des blanquistes et des proudhoniens parmi les acteurs de insurrection, ces dernie des partisans de la révolution sociale », ni «a fortiori, des marxistes» — un jugement qui, soit dit entre parenthéses, est, dans sa premiére partie, injuste (le proudhonien Varlin n'était-il pas un « partisan de la révolution sociale »?) et dans la deuxiéme, anachronique (il n’existait pas de «marxistes » en 18711). En tout cas, Benjamin semble partager la mauvaise opinion t «class p. 79: jamin cite aussi un commentaire des historiens A. Malet et P. Grillet qui renforce cette lecture critique: la majorité des élus de la «des démocrates jacobins de la tradition de 1793» (p. 789). 55. W. Benjamin, Paris... p. 792. Jommu LA VILLE, LIEU S RAT! SIQUE DE L’AFFRONTEMEN’ 35 France du milieu des années 1930, Les deux longues du chapitre sur la Commune datent d’avri mai 1936: on peut done supposer qu’une pa plupart- des matériaux a été rassemblée au cours des années 1935-36, les années du Front Populaire. Or, la stratégie du Parti Communiste Francais consistait, depuis 1935 constituer une coalition avec la bourgeoisie démocratique - cen- séc ue représentée par le Parti Radical - au nom de certaines valeurs communes: la Philosophie des Lumiéres, la République, les Principes de la Grande Révolution (1789-1793). On sait, par sa correspondance, que Benjamin nourrissait des séricuses réserves envers cette orientation de la gauche francaise. Il se peut done que les critiques de Benjamin aux illusions de la Commune ~ représentées, selon lui, par l'appel de Proudhon Ala bourgeoisie, an nom de la Révolution Frangaise — soient en fait une mise en question, certes implicite et indirecte, de la politique du PCF a cette époqu Ce n'est qu'une hypothése, bi pond bien 4 Vidée que se fait Benjamin d’une historiogr A partir du point de yue du présent - une quin et ses risques de déformation. Bien siir, il existe aussi des aspects de la Commune qui sont présentés, dans ce court chapitre, sous une lumiére favorable. Crest le cas notamment d’un passage d’Aragon ~ extrait d’un article paru dans le périodique Commune en avril 1935 = qui célébre, en citant Rimbaud, les «Jeanne-Marie des faubourgs », dont les mains «ont pali, merveilleuses Au grand soleil, d'amour chargé Sur le bronze des mitrailleuses A wavers Paris insurgé. » itations les plus 1935 et de tie - ou méme la achercher a np entendu, mais elle corres- critique, rédigée démarche féconde, ma Ss avoir ses problémes, est pas si La participation féminine dans la Commune est aussi dans un autre paragraphe du méme texte d’Aragon, qui constate la présence, dans les Assemblées de la Commune, cétoyant des poétes, des écrivains, des peintres et des scientifiques, des «ouvrigres de Paris», Comme on I’a yu a propos des souléve- évoquée 59, W. Benjamin, Paris... p. 789. 40 qu'il s’cffondre, totalement épuisé, dans sa chambre qui l’ac- cueille, étrangére et froide’.» Il est fort difficile d’échapper au mythe de la rue, alors méme qu’on cherche 4 le donner a voir et a l'analyser. Ce sera un des reproches que lui fera Adorno. Partons donc, a la suite de Walter Benjamin la recherche de ce promeneur soli entre Berlin et Paris. e,dec ans la solitude de l’exil, I, IMPOSSIBLE FIGURE DU FLANEUR. 1. Le signe vide des physiologies du XIX siécte. Le flaneur est une invention parisienne de XIX" sitele. Il émerge dans le cadre d’une littérature déja industrielle que Ben- jamin appellera « panoramique »: les Physiologics. Il s’agissait danthologies illustrées (on en comptait plus de 120 au milieu du XIX" écle), fai- sant partie de collections visant a invento- rier, a classer, A maitriser tous les types sociaux de l'espace urbain. Comme l'in- dique Richard Sieburth: « Les physiologies peuvent done étre considérées comme une manifestation de ce que Benjam nomme le “déclin de l’aura”, en ce qu’elles sont des reproductions ou des jeurs sens du terme. En pre- tant que marchandises pro- duites en vue d'une consommation de a copies, ap mier lieu e masse, leur valeur commerciale se situe t dans le fait qu’on pe bon marché et dans la simple ] Mais nsun é reproduire quantité d’exemplaires vendus [ les physiologies é autre sens, dans la mesure oi elles préte} daient étre des représentations précises atiriques) des types sociaux contemporains, elles fonctionnaient comme des versions tardives du speculum consuetudinis, c’est-d-dire qu’elles fournissaient (en videmme' at les sient des copies (quoique 3. W.Be jamin, Paris..., p- 434, 45 Page 41 41 image et en texte Ala fois une reproduction de modéles familiers tirés de la vie moderne, destinés a rendre le champ entier de la diversité visible, plus lisible, plus accessible 4 leurs lecteurs'. » Mais s'il était facile de cerner «la grisette » ou «1’étudiant » comme type, le flaneur ménageait des surprises. Le « parfai : sera protéiforme et polymorphe. Louis Huart, dans sa Physialogie du flanew* cherche vainement 4 fournir une défin flaneu n. Il essaie, dans un premier temps de saisir ce qu'il n'est pas. Le flancur n'est ni un bossu, ni un boiteux, ni un obése. II ne fait pas partie, non plus de la catégorie des gens riches, des débiteurs, ni de celle des «petits vieux », des rentiers ou des flaneurs du dimanche qu'on rencontre a Montmartre, encore moins de celle des «assis ». Il UL pourrait voisiner avec le chiffonmier. La catégorie du «parfait fla grouperait les poetes, les artistes et les petits cleres d'avoué. Paresseux, oisif, improductif, le flaneur remet en ques- serait le cousin des badauds, des musards, des batteurs de pav neur» r tion la raison bourgeoise d’une société fondée sur le travail, la productivité et l’activité sociale. Il déambule dans la ville, ransfor- mée en un immense mur d’affiches. Paris, écrit Huart croule litt ralement sous les réclames, les affiches, les graffitis, les c. Petitbourgeois, poéte, chiffonnier ou lecteur, tous ces réles sont interchan- geables, Sa complexité, ses visages prot gent toute définition. Dés les années 1840, il apparait comme un signe vide propre a prendre toutes les places. C’est une des conclusions de l'étude de Sophie Piantoni-Marin: « Cette ultime transparence le rend tout A fait apte a étre investi de sens par imaginaire de la société, a étre un échangeur dans le systéme de représent prospectus, les enseignes. Il reste une é formes décow tion de Ia littérature panoramique, 4 étre une condition et un idéal de lisibilité et de visibilité totale vers quoi tendent les physiologies et les recueils collectifs. A la fois objet du regard, parce que point de mire universel, et regard qui transforme en objet spectaculaire et spéculaire, le flaneur est l'incarnation du panoramisme méme*. 4. Richard Sieburth, « Une idéologie du lisible. Le phénoméne des “Physio- logies”», Romantisme, 1985, p.12-13, 5. Louis Huart, Physiologie du flaneur, Paris, Aubert et Cie, Lavigne, 1841 6. Sophie Piantoni-Marin, Bilans, inventaires, cadres et cycles: la littérature “panoramique” en prose. 1850-1914». These pour le grade de Docteur de Université de Paris IM, Déc. 1999. Inédite, p. 141 imay 02 robin 9/12/1 pe EGINE ROBIN st cette littérature que Benjamin découvre et dévore Ala Bibliotheque nationale, qu’il met en fiches, et c'est & partir de la lecture de cette littérature qu’un nouveau projet émerge od la figure du flaneur sera centrale transformée en allégorie. 2. Le flaneur comme allégorie. En 1935, Ala demande de Max Horkheimer, qui dirige, & New York, l'Institut de recherches sociales de Francfort, en exil depuis 1933, Benjamin envoie une premiére esquisse de son projet sous le titre: Paris, capitale du XIX: siecle, Dans ce texte d’une cinquantaine de pages, il met en rapport un phénomene typique de la fantasmagorie urbaine, expression sensible du capi alisme dans la culture, avec des figures ages symboliques du XIX est ainsi qu'un chapitre sera dévolu a Fourier en association avec les Passages, que Grandvil avec les expositions univer- selles, que Baudelaire sera associé aux rues de Pari mence son odyssée. II «cherche un refuge dans la foule », Avec lui, «intelligence va au mar- ché ». Le flaneur est au seuil de deux mondes, dans une position ambigué, a la fois ango et enivrante. La réflexion sera reprise par deux fois, recentrée sur Baudelaire et largement développée. Il ne m’appartient pas d’évoquer ici Vhistoire de I’élaboration de ces textes écrits dans la solitude précaire de lexil, au milieu du danger de la guerre imminente, puis de l'arrivée des troupes allemandes a Paris, dans V'espérance d’une aide matérielle de Horkheimer et Adorno, de Vobtention d’un visa, toujours sous la pression critique de ses amis. Cette histoire a été faite’. Je ne tutélaires, persor siécle. voisine! C'est dans ce cadre que le flancur com- nte 7. On retiendra I’ ptroduction de Rolf Tiedemann a la waduction frangaise du livre des passages sous le titre de Paris capitale du XIN siéele, cit., p. 11-46, la préface de Jean Lacoste aux exposés successifs de Benjamin réun sous le litre: Charles Baudelaire un poste lyrique a Uapogée du capitatisme, P 1979, p. 5-19; la présentation par Rainer Rochlitz des Envres en francais (trois volumes), aux éditions Gallimard, « Folio-Essais », 2000, vol. I, p. 7-50, et l'in- ris, Payot, 45 Page B retiendrai ici, pour mon propos, que les derniers états connus de il, le texte de 1938, « Le Paris du Second Empire chez jolemment critiqué par Adorno et celui que Ben- jamin envoie en 1939 4 New York et qui parait dans les cahiers de Vinstitut aprés sa mort: «Sur quelques thémes baudelairiens’. » Benjamin avait tout d’abord hésité. Comme dans les Phystolo- gies, le flaneur était polymorphe: badaud, homme des villes, détective, passant, chiffonnier, poete. Il pouvait endosser bien des identités. I pouvait se faire rebelle, asocial, marcher a contre courant; il était insituable. Il se tenait sur le seuil de la rue, dans les passages qui étaient son monde, sur le seuil de la société reconnue et de la boheme, sur le seuil de deux époques, de deux cultures: celle du monde du symbole of les choses pou- vaient correspondre a leur nom et celle de Vallégorie, dans un monde de ru es. Le flaneur était dans la foule, et tout a la fois, séparé d’elle. 1] la coudoyait, mais sans illusion. Si le fétichisme de la marchandise, Phabitait et s'il restait fasciné, il avait cep. dant compris le pouvoir d’illusionnement de cette fantasmage a rie. Les derniéres lignes de 'essai sont les suivantes: « Trahi par ses derniers alliés, il se retourne contre la foule ; il le fait avec la rage impuissante de celui qui se bat contre la pluie et le vent. Telle est l'expérience vécue que Baudelaire a prétendu élever au rang de véritable expérience, Il a décrit le prix que Vhomme moderne doit payer pour sa sensation : l’effondrement de laura dans Pexpérience du choc"... » Pour comprendre pourquoi le poate flaneur dans le Paris du Second Empire devient le symbole de homme moderne, il faut recou min partage avec ra quelques concepts-clés que Benj Siegfried Kracauer. Kracauer, avait dés le départ forgé la notion de «distraction » ou de «dispersion », (en allemand: Zerstreuung) & propos du Ber- troduction d’Enzo Traverso a la correspondance entre Adorno et Benjainin, aux éditions de La Fabtique, Paris, 2002, p. 741. 8. Walter Benjamin, «Le Paris du Second Empire chez Baudelaire » i Charles Baudelaire un pote lyrique a Vapogée du capitalisme, cit 9. W, Benjamin, «Sur quelques themes baudelairiens » Euores HL, cit., p. 10, W. Benjamin, «Sur quelques théines baudelairiens » in Charles Baudelaire byrique a Uapogée du eapitatisme, cit., p. 207-208. 45 Page 45 une signification morale", » C'est bien cette surface qu’il faut sai- sir. Ge sont les expressions quotidi ments du public qui reflétent le mieux état d’esprit contemporain. Kracauer s'est fait le chroniqueur de cette culture de la surface, du fugitif, de Péphémére, du nouveau tempo de la ville, de son rythme. Fli il arpente Berlin, enregistre les métamorphoses de la physionomie urbaine, voit tous les films qu s'y donnent, comme feuilletoniste a la Frankfurter Zeitung, perce le secret d’une nouvelle consommation culturelle, de nouvelles formes esthétiques, analyse la culture de la distraction dont nous parlions plus haut, les espaces culturels du public anonyme. Trés vite, cependant, cette culture devient culte, mythe et bloque toute pensée critique alors que ses potentialités étaient énormes, en particulier celle de pouvoir « faire tout sauter », S'affirment alors uniquement la pompe, I’ nancement de l'ordre, alors que la distraction ne se justifiait que comme reflet d’un désordre qu’on ne maitrise pas, comme repré- sentation de la décadence. On «recolle les more Benjamin utilise la méme notion pour décrire les traits prin- cipaux du flaneur. « On ne retrouye pas dans cette image [la dé ville et 'incorporant son rythme] un trait significatif du vér table Baudelaire - ¢’est-A-dire de celui qui se consacre a son ceuvre. Ce trait, c’est la distraction. Avec le flaneur le plaisir de voir célébre son tr nes, banales, les engoue neur léalisme, un ré-ordon- “AUX >, sla inition que donne Baudelaire du flaneur marchant d omphe. Il peut se concentrer dans Pobserva- tion ~ cela donne le détective amateur; il peut stagner dans le simple curieux — alors le flaneur est devenu un badaud. Les des- criptions révélatrices de la grande ville ne sont le fait ni de l'un, ni de l'autre. Elles sont le fait de ceux qui ont traversé Ia ville en état d’absence, perdus dans leurs pensées ou leurs soucis".» Le poéte flaneur marche dans la ville, absorbé par autre chose. 15. S, Kracauer, «Culture de la distraction », ci, p. Ol. 16. W. Benjamin, « Le Paris du Second Empire chez Baudelaire » in Charles Baudelaire. Un potte lyrique a Uapogée du capitalisme, cit., p. 101-102. Dans «Leuvre d'art a ere de sa reproductibilité technique » (1935), il éerivait a propos de ta réception dans la distraction : » Mais rien ne trahit de maniére plus éclatante les énormes tensions de notre Epoque que li le Saffirme a Or, c'est précisé ment ce qui se produit dans le cinéma par I'effet de choc que provoque la stc- cession des images», in Ewvres I, cit, p. 109-110. it que cette dominante ta Je domaine visuel lu 45 Page 50 50 REGINE ROBIN graphiques. Tout cela grouille dans le désordre et continue a vivre méme coupé en morceaux, comme les animaux inférieurs. C'est pour cette raison qu'on fait avec des frag: qu’on colle ensemble des images si vivantes®. » Ces fragments qu’on colle ensemble, ce seront également des citations. Dans le méme ouvrage de 1928, on trouve cette ents de timb: remarque insolite: « Les citations dans mon travail sont comme des brigands sur la route, qui surgissent tout armés et dépouillent le flaneur de sa conviction”, » Ici c’est le flaneur qui est dépouillé, mais il pourra étre également celui qui dépouille qui entasse et qui, grace au patchwork de sa construction, invente des formes nouvelles. Benjamin insistera beaucoup sur la citation, les emprunts sans guillemets, le « donner a vo dune époque, le kaléidoscope de son discours social. Dans son article de 1931 sur Karl Kraus, il développe sa théoi tion. Karl Kraus, ditil a lutté toute sa vie contre le verbi 1» je de la cita- ge des journalistes, de l'information bombardée qui transforme le lan- gage en Vavilissant. Dans Die Fackel, la publication qu’il a tenue, seul, jusqu’a sa mort, Kraus part en guerre conte la grande presse vienmoise de son temps. Son arme? Le démon de limita: t tation dit Kraus, n’interprate pas, elle « photographie »: «Ne rien déclarer, répé ter ce qui est. Reproduire ce qui apparait. Citer et photogra- phier®. » La citation isole ce qu'elle cite, elle détruit en méme temps qu'elle sauve, elle ne conserve pas mais purifie, c permet au langage d’échapper 8 la glu du sens, de se libérer de la doxa dans laquelle le mot est pris. Certes, les citations de Kraus et celles de Benjamin ne vont pas dans le méme sens, leur finalité différe. Kraus exhibe le discours dominant de son temps pour le ridiculiser. Citer la grande presse, méme sans grand recul, c'est montrer toute l'inanité de ses raisonnements, et ses 1's conservatrices qu'elle entend masquer. En ce sens, l'en- teprise de Kraus s'apparente & celle de Flaubert: constituer un dossier de la bétise humaine. La démarche de Kraus est de part on, V'effet miroir, la satire, la citation. L relle vale W. Benjamin, «La boutique de timbres », Sens unique, Paris, 10/18, 1978, 26, Bid., p. 177. 27. Kark Kraus, cité par Gérard Raulet, Le caractére destractour, Esthétique, théo- logie et potitique che: Walter Benjamin, Pacis, Aubier, 1997, p. 16. 45 Page 55 du phénoméne dans son éphém: neuse, longte aujourd’ht singularité”. » Sociologie fla- rouve ses lettres de noblesse nps occultée qui re Forme du parcours, de la déambulation chez les flaneurs des années 20, comme Franz Hessel, dont le tempo ne s'accorde pas au rythme de la foule, ce sont des « suspects ». «Marcher lentement dans les rues animées procure un plaisir , c’est un bain particulier. On est débordé par la hate des autr dans le ressac. Mais quelqu’habile que yous soyez a leur céder le passage, mes chers concitoyens berlinois ne vous facilitent pas les choses. J’essuie toujours des regard méprisants lorsque j’e de fliner parmi les g Jai impression qu’on me prend pour un pickpocket™. » Ainsi commencent, les promenades dans Berlin de Franz Hessel". Tous le regardent de travers. I veut entrer dans les cours intérieures qui sont un des charmes de Berlin. Ily parvient le matin, 4 l'heure des chanteurs d’orgues de barbaric. « Mais je voudrais bien aussi participer aux soirées de ces cours, vivre les derniers jeux des enfants que Von rappelle les filles rentrer et vouloir sai 1s affair sans cesse du haut des fenétres, et voit ressortir; seul, je ne trouve e, ma qualité d Walter Benjamin a célébré, & propos de Hessel «le retour du flineur » comme avec Kracauer celui du chiffonnier autre figure baudelairienne. «Sur l’asphalte ot il marche, ses pas réveillent une singuliére résonance, Le bec de gaz qui éclaire le pavé jette une lumitre équivoque sur ce double fond. La ville, auxiliaire mnémotechnique du promeneur sol terpelle plus que son enfance et sa jeunesse ; elle interpelle plus que son histoire elle-méme. Les ouvertures qu'elle propose, c’est la scene immense de la flanerie que nous croyions a jamais révolue. Et courage ni prétexte pour forcer Vente rus est trop apparente re, voila quelle revivrait ici, 4 Berlin, of elle ne s’est jamais autant épanouie"! » Mais Hessel est plus poéte que sociologue. Il aime se laisser 38, Franz Hessel, «le suspect » in Promenades dans Berlin. Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1989, p. 31 Wid. 410, Tide, p33. 41. W. Benjamin, «le retour du flineur» in Franz Hessel, op. cit, p. 255. 45 Page 58 REGINE ROBIN a pu penser qu'une certaine flanerie est en danger. Ce n'est pas seulement qu’elle ne serait plus 4 méme d’absorber la mémoir de Ia ville, c'est que ses conditions de possibilité pour, en voie de disparition, l'espace public de la rue, le tissu urbain, les places, espace de déambulation, surtout en Amérique du nord. Pour prendre un exemple personnel, il y a quelques années, a Las Vegas, dans un de ces grands hétels voués au jeu, au clin- quant et au spectacle, au faux, au simulacre, le Mirage, j'ai pu faire Pexpérience que hotel A Las Vegas est unc totalité ma chande de laquelle il est difficile d’échapper, de s’extraire car il yatout: de gr rants de toute gamme, des bars qui restent ouverts taurants ferment, des bars avec des orchestres de jazz, toute sorte de boutiques depuis le stand de journaux jusqu’au drug- store, depuis la boutique de vétements de luxe ou de plage, jus- qu'au T-Shirts bon marché. Il n'y avait pas encore le branchement de l’Internet partout dans les chambres, ma coup sir, c’est fait aujourd’hui. Il y avait, bien entendu, des pis- cines avec air conditionné et des dalles de sport, et de remise en . Ty avait des agences de voyage qui vous organisaient des excursions vers le grand Canyon du Colorado ou Ia vallée de la mort en petit autocar cli matisé, A Ia limite, on n’avait pas 4 mettre un pied dehors oi il faisait en permanence quelque 43 degrés 4 Vombre au cas ott il y aurait de 'ombre dans ce désert. J'ai tenté 'aventure de sortir sans voiture et de partir en promenade d'un hétel al’autre. C'est presque impossible tant les obstacles sont grands, Or, c'est précisément ce que je voulais faire: trainer. Le nouveau flaneur, serait celui qui «traine », qui résiste a Ja fonctionnalité des lieux, a leur amnésie, a leur rythme. Cer Morawski® pensent que le flaneur est encore possible lorsqu’on ne succombe pas a Disneyland, quand on se questionne et remet en question les fausses utopies, les univers paradisiaques de la consommation de masse, quand on r autres, c’est dans le Cyberspace qu’il peut se réfugier. jent étre ‘ands halls avec des machines a sous, des restau- quand les res- sa forme avec le matériel le plus modern ins, comme Stefan siste au simulacre. Pour 45. Stefan Morawski, «The Hopeless Game of flanerie » in Keith Tester (ed.). The Flaneur, cit. Cité par Graeme Gilloch. «The return of the flaneur The Afterlife of an Allegory », cit, p. 107. 45 Page 59 59 Marcher a pied, voir les tournants de la route alors que tout le monde est en automobile ou en avion, détourner les usages, les nger de rythme, transgresser. Dans ces expériences de détournement, de dérive et de subver- sion, outre celles de Sophie Calle et de Guy Debord, et plus récemment de Francois Maspéro a propos de RER, j’évoquerais celle de Julio Cortazar et Carol Dunlop dans Les Autonautes de la cosmoroute™. Ils décident de descendre ’autoroute qui va de Paris 4 Mar- seille, comme des milliers d’autres vacanciers. Mais au lieu d’uti- liser 'autoroute pour aller le plus vite possible, en ne s‘arrétant qu’aux péages et & quelques aires de stationnement pour refaire le plein d’essence, se rafraichir ou déjeuner au plus vite, ils font le pari inverse. S’arréter dans toutes les aires de stationnement, avec journal de bord, photos, repérages des lieux, deser it d’une expédition, d’une aventure épique. Ethnologie vagabonde du « touriste », sur le mode de «comment peuton étre persan? », cette «expédition » est totalement dépay sante et prend l’autoroute a conwre-usage, telles ces familles qui installent des tabourets de toile sur du paysage. Mais il ne suffit pas de « résister » po} cite. Il semble que les ruses du simulac rables. Reprenons l'exemple de Las Vegas. D’énormes complexes architecturaux, de nouveaux hotels aux lignes postmode dies, sollicitant les plus grands noms de V'architecture ont été édi- fiés qui entrainent un nouveau tourisme. Celui-ci n'est plus comme autrefois centré sur le jeu et les casinos. «New York, New York », « Paris », « Venise » sont des micro-villes, des copies minia- tures, des simulacres, des villes pseudo fondées sur des clichés, des images culturelles fortes quoique figées, rassurantes & l'image des Physiologies du XIX° sicle.Dans le Gentre-ville, au nord du Strip de Las Vegas, dans une région qui vit le démarrage de la splendeur de Las Vegas, mais qui fut longtemps a demi désertée au profit des grands casinos et hétels du Strip, Fremont Street a lieux et leur fonctionnalité, c| ptions comme s'il s’agi otement pour «jouir » que le flineur ressus- soient incommensu- nes har- 46, Julio Cortazar et Carol Dunlop, Les Autonauctes de la cosmoronte, nard, 1984. Je do’ oublié. I] en parle magistralement dans son essai sur I'accélération: Pas le emps, Arles, Actes Sud, 2002, mon ami Lothar Baier la redécouverte de ce bi 60 REGINE ROBIN été transformée en une zone piétonniére recouverte d'un immense dais avec un déluge de néons, de lur iéres et de sons, avec un foisonnement de boutiques et de restau arcades, ces zones piétonniéres, véritables « Simeity électro- niques » abolissent la frontiére entre le dedans et le dehors, entre le Boulevard et les magasins, e ¢ la simulation et la représenta- tion, Tout invite 4 la déambulation consumériste, dans la reconnaissance jubilatoire des signes. Tout est fait, du reste pour créer illusion et rendre puissante cette nouvelle fantasmagorie des temps du virtuel. Réalisant totalement la mar- chand Vexpérience vécue, Las Vegas est vérita- blement la capitale du XXF siécle, la ville post-cinéma- tique par excel- lence®™ ete nouveau flaneur ation de déambulant dans la zone _piétonnitre (appelée The Fremont Experience) est un pseudo-flaneur dans un pseudo espace public. Flaneur virtuel 4 nouveau victime du féti- chisme de la marchandise 4 ’ére de la reproduction numérique. 2. Le flaneur comme nouvelle figure allégorique. Yaurait-i déroute? de nouvelles formes d’écriture pour cette nouvelle Quelque chose qui vie recherches sur le montage, la mosaique, le fr drait renouer avec les gmentaire, Pesthé- tique de la prise de vue cinématographique des années 20? Quel type de discours viendrait faire écho, dans I’écriture a 'impro- bable flanerie des nouvelles arcades de Los Angeles et de Las ées, géographes, sociologues, urba- 47. Voir Juliet Flower MacCannell, «Las Vegas: The Post-Cinematic City » in Performance research, 2001, 6 (1), p. 46-64. 45 Page 61 61 nistes, spécialistes des jeux vidéos, littéraires, au carrefour des disciplines et des ge nique, hétérogene, infernal, la nouvelle spatialité des mégalopoles comme Los Angeles ou Tokyo par exemple, qui incorporerait le kaléido- scope de la migration, le chaos-monde langagier de ces milliers d’émigrants, de ces nouvelles métropoles comme Edward Soja les qualifie". D’une méditation sur la migration des points de vue, sur Vi minoritaire des ethnies n’ayant pas voix au chapitre, jusqu’a la simulation, dans l’écriture, de la mosaique des points de vue du travelling, et des changements de focalité, une nouvelle écriture est sur le point de bouleverser nos habitudes de représentation et d’exposition. Lanthropologie culturelle, dans son moment réflexif, a pro- duit des textes manifestaires oii des ethnologues comme James Clifford, George E. Marcus, Talal Asad, James A. Boon se sont engagés résolume s‘agissait de prendre son écriture ethnologique comme objet et res, s'interrogent sur une écriture polypho- thme bride, qui prendrait en compte le r sporas qui traversent les post- scription du discours dans une ethnologie déconstructiviste”. Il de voir la facon dont elle constituait ses objets, comment sa mise fique pouvait fa quelles paroles lui étaient données et quelle place occupait, le narrateur, la voix qui narre, juge, explique, rend compte de ces procédures. Mettre en avant, donc, la réflexivité, déconstruire le discours de Vethnologie autoritaire, hiérarchique, centralisée et monologique, et promouvoir une épistémologie et une écriture dialogique, polyphonique, dé-centralisée, dé-hiérarchisée, consciente de ses totalisations partielles, renongant a la catégori- sation de l'autre; trouver donc des techniques de représenta- tion, d'interprétation de I’expérience de l'autre sans le réifier dans un carcan conceptuel qui Lui est étranger, des techniques de wi rsenal d’écri- ture en parfaite symbiose avec les phénoménes qui bouleversent les grandes villes aujourd'hui. Gette écriture déconstruction- en texte spé ire ger autre, quelle place et ‘met ation, de transfert, de traduction, tout 48, Edward Soja, Pastwetropolis, Oxford, Blackwell, 2000, 49. Voir en particulier le livre emblématique, Writing Culture, sous la diree- tion de J. Clifford et G.E, Marcus, Berkeley, University of California Press, 1986; et de James. A. Boon, Other Tribes, Others Scribes, Cambridge University Press, 1982, De Berlin a Berlin Guy Petitdemange « Cest pour moi une vieille habitude de youloir étre séduit par des villes!» Les lumiéres de la ville La ville enveloppe l'euvre de Benjamin, comme le Sud Faulkner, la Sicile Lampedusa, la mer Mel Kafka, Avee Kafka, & qui le rattachent tant d’affi est total: d'un cété, des villages endormis et silencieux, des routes fuyantes, des corps reployés sur eux. qui s‘agitent, ici et 1a des bruits qui retentissent jusqu’a devenir lle, la campagne és, le contraste némes sans paroles et cosmiques = une cloche, le galop d’un cheval, le vent = et presque toujours la nuit, la tombée du jour, comme si la vraie vie sétait réfugiée sous le sol, dans les terriers of l'on s’active infati- gablement, scrupulcusement, avec une patience qui semble igno- rer ce quelle espére encore; une seule ville lumineuse chez lui, Oklahoma, qui n’en est pas une, mais un cirque, le grand air, la course joyeuse dans un espace paradisiaque qui se découvre comme une surprise miraculeuse, une exception, un gymnase enfin ludique. Pour Benjamin, qui avait remarquablement noté cet embarras de Kafka devant la ville moderne aussi désolante et agressive que la campagne’, la ville c’est le renversement de uni vers campagnard: la foule, mille promesses et menaces, des 1, Lettre & Adorno du 27 mars 1938, citée par Jean Lacoste dans son trés beau recueil Veyager avec : Walter Benjamin. Les chemins dit labyrinthe, Pacis, La quinzaine liutéraire-Louis Vuitton, 2005, p. 21. Dans les pages qui suivent, de nombreuses citations proviennent de Walter Benjamin, Sens unique précédé de Enfance berli- noise et suivi de Paysages urbains, traduits par Jean Lacoste, Les Lettres 1978. Les chifires entre parenthéses renvoient 4 la pagination de cet ouvnage. 2. Lettre a Gershom Scholem du 12 juin 1938, Correspondance Il, Paris, Aubier, 9, p. 248, elles, 7° GUY PETITDEMANGE, rieure. Celle-ci est remise dans les choses qui désormais vien- nent vers soi autreme chez Benjamin, secréte ouvriére, la doule dispersée; surtout elle ouvre les yeux. Les mots répercutent des éboulements antérieurs; mais il ya comme une fécondité de la souffrance qui conduit plus pur méme, laquelle . Dans la joie de la ville il y a toujours elle est enfouie et ‘ment A la chose finit par tenir dans le nom qui emporte le monde, telle la Béa- trice de Dante, théme récurrent chez Benjamin. Jamais chez Benjamin la ville ne signifie l'oubli qui efface, le divertissement qui détourne, l’exotisme qui remplace. La ville est presque la femme aimée, ce qui promet, ce qui illumine, ce qui laisse sur le bord du chemin et ne peut que cela et peut tout cela. Voyage dont est parfois esquissée la logique dramatique : « Celuila seul connait un étre, qui l’aime sans espoir» (200). Mais de ces cataclysmes subjectifs qui litt ruption de la ville, le texte dit peu, trés peu. L’exposition, la pré- sentation, la Darstellung ~ en ces pages de circonstances ou de commande, le plus souvent écrites pour assurer quelques res- sources ~ a pour trait tout premier un parti pris d’objectivité. Le moi glisse en retrait. Seule compte la chose apparaissante, ce pre- micr contact, une sorte de certitude aprés un chen} «Trouver des mots pour ce qu’on a devant les yeux ~ comme cela peut étre difficile. Mais lorsqu’ils viennent, ils frappent le réel a petits coups de marteau jusqu’a ce qu’ils aient gravé l'image sur lui comme sur un plateau de cuivre» (317). La confidence dit mal ce qui se cherche en soi-méme ; ce sont les choses mises la, miné- rales, millénaires, selon un ordre secret qui donnent voix, la voix juste, a 'expérience intérieure, parce qu’elles replongent dans le corps vivant du temps et du monde. Chez Benjamin, immense Jement dictent l’i tatonnant: crédit fait A la parole passe par le crédit fait aux choses qui puri- mondent sans aucunement la sacrifier. Tous les fient la parole, I textes de Benjamin sur la ville ou les villes doivent beaucoup de leur extréme qualité & cette catharsis qui les épure comme un tor rent lave les cailloux sur sa route. L’auteur a disparu dans le tableau, antique réve du peintre chinois qui ne laisse plus rien de luiaméme que la figure, laquelle est proprement sa transfiguration, «le vieux peintre qui montrait 4 ses amis son dery représentait un pare et un sentier étroit qui long trayersait un bosquet d’arbres et aboutissait devant une maison- ier tableau. I it une riviere, DE BERLIN A BERLIN 75 sables comme des poémes sans en étre, sans vouloir en étre, si forte que soit partout la présence de Baudelaire, de Proust, Aragon, de Breton un genre, ni seulement provocation, ni seulement description, ni seulement évocation, comme jamais achevés, ces textes retentissent et annoncent. Ce qui peutétre se chere pas le concept, le concept du concret? Qu’est done le concret? Qu'est la chose, que sont les choses? Le concept s'aborde par ce tact poétique qui laisse étre. Il ne peut se réduire a une objectivation précipi- téc. Il n’y a pas de retard dans le vrai; le retard est dans le dis- cours, dans sa forme. Rien ne peut se substituer au concret, sol du vrai; rien ne peut remplacer l'expérience sensible toute pre- miére, ici, en ce lieu dans l'enfance qui en a fait soupconner la saveur inoubliable, dans l’enceinte de la cité, Berlin ou Jérusa- lem, - «c'est pour cela que le Potsdam de mon enfance dans un paons de jour un de ces luisants émaux de eaux et les remparts de Inassimilables e en eux, ne serait-c air si bleu, comme si les morios ou ses vulcains, se et ses aurores étaient éparpillés su Limoges sur lesquels les cré Jerusalem se détachent d'un fond bleu foncé» (46) - la vie en commun, autre nom de l’universel. A Vhorizon de ces explorations si ngula- nous en prenions conscience, il y ale goat qui est et tient et vient, Ia chose par les choses, les maisons, les mystéres de la rue, lineessant mélange de la nature et de la culture, la présence des autres. Vient un moment of il faut savoir «conclure une paix dialectique avec le monde pour saisir le concret» (268). Aux pires heures des années noires, Benjamin trouva un grand plaisir apaisant a lire le De natura rerum de Lucréce: les choses, la chose, ce qui est, étoile polaire de toute une vie, brisée dans le voyage, mais qui dit le prix total du voyage, parti d'un lieu sans comparaison, celui de l’enfance, Berlin. volontairement purifi ensemble ets rise, bien avant qu dec Berlin ou la véforme de Ventendement Sens unique est la premiére percée de Berlin dans lceuvre de Benjamin, une venue au jour, une parution avec éclat. Le regard balaie la ville en surface, non pour la peindre au repos, mais pour en faire sentir les tressaillements A un moment de transi- 80 GUY PETITDEMANGE étalée, au temps des monuments immémoriaux ne des trophées, avant que individu ne soit livré ala nécessité et pris a la gorge, 4l’époque du non encore du stratége calculateur, avant le Sens unique, lorsque la ville était comme une dispersion illimitée et des horizons qui s‘infiniti- sent, avant l'art de la réplique et de Vironie, quand régnait encore la fluidité du sentiment, avant le monde comme scéne lorsque le monde était encore le monde, avant d'avoir a choisir entre leffondrement ou la révolte, quand il n’y avait que 'élan, Enfance berlinoise est le rappel de cette magic oii I’enfant et les choses vivaient en vivante métamorphose, sans domination, sans asservissement. Monde révolu, mais qui n'est pas parti sans lais ser de lecons. C’est une sorte de préhistoire, mais pas sans impact sur l'histoire qui se déroule. Dans cette remontée vers «toute lenfance» (83), Ber enchaine presque inextricablement des sentiments qui s’entre Vombr. de la mére, dans l'affection protectrice et la présence des femmes, de celles aussi qui ne sont pas du lignage, la petite éco- ligre Louise, la commerelle, qui dés le premier moment, familia- risent avec le devenir libre et avec la mort. Tc se propager par ondes. Temps de ‘’éternel retour’, non du sens unique, temps de la rou et de l’atmosphére de chaleur et de lumiére qu’elle engendre. La solitude se creuse, pour ne cesser de s’enrichir. Elle se peuple de choses les plus diverses, la pluie, la neige, les nuages, la loutre, le silence, qui toutes parlent une langue secréte, intime, surtout lourde de promesses, promesses de bonheur dans des espaces inexplorés. Sans censure, sans interdits, illimitée, c'est lenfance portée par «Vivresse archaique de la souveraineté» (84); non que l'enfant soit 'en- fant-roi, mais il est enfant recu et comme salué par des visages, des gestes, des choses qui tournoient et lui font une sorte de féte. Rare est pareil enjouement chez Benjamin. Déploiement des ailes du désir. D’un autre cété, c’est la face obscure, envers de Péternel retour: le temps du pére, de sa voix retentissante, de l'autorité monumentale qui encombre et barre horizon. Il est le symbole dun pouvoir qui enferme, calfeutre, recourbe l’espace vers lin téricur oii l'on se cache et s’échappe. Ce monde borné, éroit, éveu min la confiance, a choquent comme en ressac. D’un c6té le bonheur semble OPTIQUE URBAINI 109 nation et de discernement. Et c’est 1a le mieux que l'on puisse érer, Dans lessai sur l'«Cuyre d'art», de loin la considéra- tion la plus développée par Ber film et un guide, bien qu’il ne s’agisse nullement d’un guide exhaustif ou définitif, quatre notions clés apparaissent: I’illumi- nation du détail, 'explosion du quotidien, effet de choc, et le concept de distraction. Si la « préhistoire » de la modernité selon Benjamin explore Paris, «capitale du dix-neuvieme siecle », en tant que site pré- éminent des fantaisies architecturales, du fétichisme de la mar- chandise, de lillusion et de l'aveuglement, alors le film est capable de pénétrer et d’agir sur ce monde imaginaire avec une précision chirurgicale"’. Par le b de la caméra et du médium (gros plan, agrandissement, ralenti, slef voir le discerne esp min a l'affinité élective entre le ais de la technique et des ruses Im met au jour ce que V'ecil humain voit sans pou- . Un monde nouveau apparait devant nous, sor- tant de l'ancien, Benjamin insiste sur cet aspect prosthétique de la technique cinématographique: Parmi les fonctions sociales du film, la plus importante consiste & établir l'équilibre entre l'homme et l'équipe- ment technique [...] Si le film, en relevant par ses gros plans dans généralement cachés d’accessoires familiers, en explorant des milieux banals sous la direction géniale de l’objectif, étend, d'une part, notre compréhension aux mille déter- minations dont dépend notre existence, il parvient, d’autre part, 4 nous ouvrir un champ d'action immense et né (GSI, 2, p. 730; trad. p 305). Vinventaire du monde extérieur des détails insoupso! Le film capture et reproduit pour nous ce que notre percep- tion courante évite: ce qui se dépla mouvement, ce qui est trop petit, trop grand ou trop lent. Benja- min rapproche la révélation de ces choses vues et pourtant non- vues a la « découverte » par Freud de l'inconscie nous «ouvre 'accés a 'inconscient visuel comme la psychanalyse aV'inconscient pulsionnel » (GSI, 2, p. 731; trad. p. 306). Si architecture et les objets de la ville moderne doivent étre ¢ A toute allure, ce qui est en tra caméra 10. Dans un note, Benjamin compare explicitement le cameraman au chi- rurgien (voir GS I, 2, p. 728; uad. p. 300) Table PHILIPPE SIMAY : WALTER BENJAMIN, D'UNE VILLE A L’AUTRE MICHAEL LOWY: LA VILLE, LIEU STRATEGIQUE DE L'AFFRONTEMENT DES CLASSES. Jnsuraections, barricndes ef haussmannisation de Paris dans le Passigenwerke de Walter Benjamin... 0.2.0... 0.. esse... 2210 IV, La Commune de Paris (871 REGINE ROBIN : LIECRITURE PLANEUSE 66000000000 cee cece cence L Limpossible figure du flineur_. ce 40 I. Le signe vide des physiologies du XIX siecle 0 2. Te flineur comme allégorie IL La forme montage ou le flineur m a 1. Entre Berlin et Paris : Ie fragment et la citation... 2. Entre Berlin et Paris : de la mosaique au retour du fine ILL. La postmetropolis. Le devenir du flineur aujourd’hu .s et détournements Berlin, les brumes . 2 Berlin, Ia magie des commencements 79 Berlin, quel liew? .. . : 282 ROBERT KAHN : L'ENEANCE HERLINOISE BT LE MONDE DE VERRE 85 1. Transparence et opacité: le verre et la construction du personnage . . 86 Il. Le verre dans le rapport mode de production/ force productive... ..90 IML, Le verte et la relation mimétique ...eee eee receveeeer eee eee ee BB. GRAEME GILLOCH : OPTIQUE URBAINE, Le film, la fantasmagorie la ville chez Benjamin et Kracauer bese 101 Bibliographie . MCC a rhe Met ea Toutes cron m@er uteri mcslecces ctbeng) itd Mo Metre eee Mauer oui omen tra te toire: Paris, capitale du XIX* siécle, et Berlin, capitale du XX’ siécle. A la question: «Comment habiter le moderne? », Benjamin répond par une Gionnante philosophie de l'architecture, ob se mélent exils ct souvenirs d’enfance, flancric ct pratiques révolutionnaires, transparence et opacité, cinéma et expertise sociale. C’est 3 cet inventaire que ce volume oma Gee Rah Creu reece cute Geta emt Macca ri omnes crit os convergent ses autres architectures linguistiques, esthétiques ou politiques. Philippe Simay est Directeur de programme au College SRT aetna oes arora nae re eg Laboratoire d’Anthropologie Sociale (Collége de eee SE ee TM em eS mm eR M Mrs ee cream ed ee se A) Te ee en eM rae eA BoE ee ee aay ae eae ee er te eRe yg urbaine- Je film, la fantasmugorie et la ville chez Benjantin et Cre em Tt ce ae a TT ome ed et od Dee Mae eee Oa ee cre Re oe er ne em aL OT re ee plai-pied avec le Temps. La conception benjaminienne de P habitat organique et cristallin, d'aprés Paul Scheerbart, éditions de l'éclat wow lybercchit net 9 782841 621088 Pere aa we DS Leas) ieee a

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