26 REAug 1980 Nr. 1-4 PDF

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Dossier sur |’Ad martyras de Tertullien* I — Lms DESTINATAIRES DE 1,« AD MARTYRAS » Dans un article récent, paru dans la Revue des études augustiniennes', René Braun a avancé la thése que la lettre Ad martyras de Tertullien ne serait pas le premier écrit conservé du docteur carthaginois*, mais se situerait entre les livres Ad nationes et l'Afologeticum et serait par conséquent écrite en été 197%. Si je détends un autre point de vue, dans cette communication, ce n'est pas pour le plaisir d’étre en désaccord avec René Braun — on n’attaque pas sans trembler un grand spécialiste de Tertullien —, mais parce que j’avais l'intention, déja avant 1a publi- cation de son article, de réexaminer ce probléme, et que René Braun m’a aidé a préciser ma position. * La lecture d'un article de René Braun paru dans cette Revue a suggéré & Willy Rordorf le théme de sa communication au Congrés patristique d’Oxford, en septembre 1979, que nous publions ici. Layant soumise 4 René Braun, il en a regu en réponse des remarques faites au fil des pages, que nous publions a la suite pour permettre une parfaite information du lecteur, 1. R. BRAUN, Sur la date, la composition et le texte de I's Ad ma-tyras ode Tertullien, in REAug 24, 1978, 221-242. Depnis environ deux décennies, il y avait une espéce de consensus entre les critiques sur cette question ; ef, en part. E, Diexxurs, Clavis Patrum Latinorum (1951), 1961"; IpEM, Tertulliani Opera, CC 1, 2, 1934. p. 1127 3 F. Scruto, Ter- tulliano. Tye opere pavenctiche (Ad martyras, De patientia, De paenitentia), 1960, p. Xtv; R. BRAUN, Deus Christianorum, 1962, 567 (la 2° éd. de 1977, 721, met encore avant I'Ad mart., A savoir en 196, le traité Adv. udaeos, toutefois avec un point d'interrogation); A. QUACQUAREEIL, Q.S.F. Tertulliani Ad Martyras, 1963, 23; J.-Cl. Frmpourtan, Tertullien et la conversion de la culture antique, 1976, 487. 3. T. D. Bary , Tertullian, ro7t, 528, envisage aussi cette datation. 4 W. RORDORF - R. BRAUN D’emblee, j'aimerais dire ma pensée : je suis d’avis que Dom G.D. Schle- gelt avait raison de supposer que la lettre Ad martyras est adressée aux martyrs chrétiens qui nous sont connus par la célébre Passio Perpetuae et Felicitatis. Les ressemblances de circonstances entre les deux écrits sont telles — a vrai dire, elles sont beaucoup plus nombreuses que Dom Schlegel ne I'avait pensé — que tout porte a croire qu'il s’agit des mémes événements. Dom Schlegel avait seulement le tort de prétendre que Tertullien serait aussi I’éditeur de la Passio Perpetuae et Feticitatis, ce qui n’est pas nécessaire 4 l’appui de sa thése ; nous pouvons laisser ouverte cette question qui ne concerne pas directement notre sujet®. La thése de Dom Schlegel suppose évidemment que l’Ad martyras n’a été écrit qu’a la fin de l’année 202 ou au début de I’année 203, c’est-a- dire pendant la persécution au cours de laquelle Perpétue, Félicité et leurs compagnons ont subi le martyre. Or, la phrase finale de l’écrit n’exclut-elle pas cette datation ? Voici cette phrase finale : «Ad hoc quidem vel praesentia nobis tempora documenta sint : quantae qualesque personae inopinatos natalibus et dignitatibus et corporibus et aetati- bus suis exitus referunt hominis causa, aut ab ipso, si contra eum fecerint, aut ab adversariis eins, si pro eo stetcrint (6, 2)*. » A juste titre, on a pensé qu'il s’agit 14 d’une allusion 4 une situation de guerre civile, et puisque la période des guerres civiles prenait fin avec la victoire de Septime Sévére sur son rival Clodius Albinus, lors de la bataille de Lyon le x9 février 197, on supposait que !’Ad martyras était écrit peu avant ou peu aprés cet événement?. Il me semble pourtant qu’on peut donner une autre interprétation de cette phrase finale. Tertullien I’écrit a la suite d’une réflexion d’ordre général qui dit ceci : « Nemo non etiam hominis causa pati potest quod in causa dei pati dubitat », La phrase finale fournit les exemples concrets qui illustrent la vérité générale qu’on peut et doit éventuellement souf- frir «A cause d’un homme » ; en effet, l'expression hominis causa y est reprise. Nous ne sommes pas obligés d’y voir !’allusion A un seul événe- ment de l'histoire récente. Tertullien pouvait tras bien parler, en rétros- pective, de /oute la période des guerres civiles qui est encore dans toutes 4. G. D, Scurucnt, The «Ad martyras» of Tertullian and the circumstances of its composition, in Downside Review 63, 1945, 125-128. Avant : K, A. H. KEiuNEx, BaK* 7, 1912, p. 93; P. DE Lanrionis, La crise montaniste, 1913, p. 345-353. Cf. aussi Chr. MOHRMANN, Tertullianus, Apologeticum en andere Geschrifien, 1951, Pp. 195 note b, 5. R. BRAUN, Nouvelles observations linguistiques suy le rédacteur de la « Passio Perpetuae +, in Vig Chr 33, 1979, 105-117, vient de consacrer une étude fort inté- ressamte A ce probléme. 6, Nous citons d'aprés l’édition de J. G. P. Borlefis parue dans CSEL 76, 1957, 1-8. 7. Voir la discussion de cette question chez R. BRawy, art. cil. (note 1), 222 8,, et A, QUACQUARELL, op. cit., 21-23. DOSSIER SUR L'eAD MARTYRAS DE 1 TULLIEN 5 les mémoires de ses contemporains oit plusieurs fois, on avait fait Yexpé- rience qu’a cause d’un homme, on s’était entretué entre concitoyens. L’expression praesentia tempora n'est pas un obstacle a cette interpréta- tion ; ce pluriel ne vise pas le présent d'une maniére ponctuelle, mais voit l’actualité dans toute son étendte. On pourrait traduire cette expression par « notre époque », comme au début du traité De praescrip- tone haereticorwm ot Tertullien prend la plume « a cause de la condition de notre époque » (condicio pracsentium temporum) qui fait que beaucoup de chrétiens sont attirés par I’hérésie ; 14 aussi, il ne s’agit pas du moment chronologique précis, mais de la condition générale de toute P’époque’. En revanche, le verbe de la phrase finale de !'Ad martyras qui est au présent (referunt), ne suppose-t-il pas que les événements dont Tertul- lien parle se passent au moment-méme ott il écrit ? Pas forcément. La forme verbale du présent peut justement exprimer la vérité générale que Tertullien veut démontrer : il s'avére que les hommes sont préts & tuer et a se faire tuer hominis causa; et son époque fournit la preuve, de maniére répétée, qu’A cause d'un homme, on est capable de déclen- cher des guerres civiles. C’est la legou des années 193-197, et cela pour- rait se reproduire aussi 4 l’avenir. Tertullien aurait done trés bien pu écrire cette phrase en 202/203 seulement. Je n’aurais peut-étre pas le courage de le prétendre, s'il n'y avait pas un passage paralléle dans l’Apologeticum, au chap. 35, 9 : « Unde Cassii et Nigri et Albini ? unde qui inter dnas laurus obsident Caesa- tem ? unde qui faucibus eius exprimendis palaestricam exercent ? unde qui annati palatium irrumpunt, omnibus tot Sigeriis atque Parthentis andaciores®? » Tertullien parle, vers la fin de l’année 197, non seulement d’événements qui se sont passés au début de la méme année, mais d’événements qui temontent d’une part 4 175 (soulévement de Cassius Avidius contre Marc-Auréle, donc vingt ans en arriére), d’autre part 4 192 et 193 (assassi- nats de Commode par Narcisse et de Pertinax par les prétoriens, et soulévement de Pescennius Niger contre Septime Sévére), et il raconte ces événements comme s’ils se passaient actuellement | Cependant, il y a un autre probléme qui semble s'opposer 4 une datation de l’Ad martyras aux années 202/203. C’est le probleme du rapport qu’il y a entre les séries d’exempla constantiae paiens qui se trouvent dans le premier livre Ad nationes et 1’Apologeticum d’une part, et dans l'Ad martyras autre part. Or, c'est 1A ot la démonstration 8, Notous en passaut que le nombre des interprétations données & praesentis imperii triplex virtus de De Pallio 2, 7 n'est pas & méme d'angmenter notre confiance en ce genre de critére pour la datation | 9. CER. BRAUN, Tortullien et les séditions contre les empereurs (Apol. 35, 8-9), in Rev, Et, Aug., 26, 1980, ci-aprés p. 18-28, 6 W. RORDORF - R. BRAUN savante de René Braun, dans son article mentionné!9, me rend service, car elle montre la relativité des arguments qu’on peut avancer dans ce domaine. Tandis que J.G.P. Borleffs!! et C. Becker!® étaient convaincus, sur la base de la comparaison de ces séries d'exemples, que l'Ad martyras devait étre antérieur au premier livre de l’Ad nationes et a 1’Apologeticum, René Braun croit maintenant potivoir démontrer, 4 partir d’une compa- raison du méme genre, que I’Ad martyras doit bien se situer entre le premier livre de l'Ad nationes et l’Apologeticum. A qui donner la préfé- rence ? Je suis évidemment tenté de donner raison 4 R. Braun contre J.G.P. Borleffs et C. Becker quand il s’efforce de prouver |’antériorité du premier livre de 1’Ad nationes par rapport & 1’Ad martyras'® ; en revanche, j'ai l’impression que son argumentation est beaucoup plus faible quand il veut établir l’antériorité de l’Ad martyras par rapport 4 VA pologeticum'4, Cependant, 14 n’est pas le probléme. I] me semble que les deux groupes d’érudits n’ont pas pris suffisamment en considération un fait important, a savoir le fait que 1’dd martyras s’adresse A d’autres destinataires que les livres Ad nationes et 1’ Apologeticum : la, il s‘agit de chrétiens, hommes et femmes, en partie de condition humble, qui attendent le martyre, ici, ils’agit de patens que Tertullien ne connait pas, mais dont il peut suppo- ser qu’ils ont une bonne culture générale. Par conséquent, on pent étudier les livres Ad nationes et l’Apologeticum en les mettant sur le méme plan — et tous les critiques sont arrivés, sans doute avec raison, a Ja conclusion 10. Voir note 1, 11. J. G, P, Borrgrrs, De Tertulliano et Minucio Felice, 1925, 38-40. 12. C BECKER, Tertullians Apologeticum. Werden und Leistung, 1954, 98 ; 351- 352. 13. Art, cit., 224 ss, L/argument le plus fort de R. Braun est Vinsistance sut Ja différence de climat : l'Ad nationes se présente comme une ceuyre polémique sous la forme de la retorsio, tandis que dans l’Ad martyras, on voit les traces de Ia perséeution violente. 14. Ar. cit., 229 ss, R, Braun ne pent s'appuyer que sur des arguments de struc- ture et d’équilibre stylistique (229). I,’exemple coneret qu'il étudie (Ad nat, I, 18, 4 / Ad mart. 4, 7 | Apol. 50, 8) ne Ini sert que pour établiz ’'antériorité de 1'Ad nat. pat rapport A1’Ad mart. (230 s.). Avant (225, note 22), il est vrai, il dit que C. Becker «a fort bien établi pat des rapprochements textuels qu'dp était postérieur & Mart qu'il remploie selon la technique habituelle A Tertullien ». Mais si l'on regarde les arguments de C. Becker, op. cit., 350-354, ils sont, en fait, assez maigres : 1. ¢ Ebenso sind die Erzdhlungen und Anekdoten von Mart. im Apol, in gleicher Weise gestrafft wie die von Nat » (351). Mais pourquoi ces récits et anecdotes sont-ils plus déve- loppés dans l'Ad mart. que dans I'd nat. 2. 2. ¢ Auch die Auswahl der Beispiele ist im Apol. besser durchdacht. Das wenig gliickliche Heraklitbeispiel (mart. 4, 5) fehlt ; Lucretia ist neben Dido als exemplum castitatis itberfliissig » (352). C, Becker ne se pose pas la question de savoir pourquoi ces deux exemples se trouvent dans VAdmart. | 3. «Auch die Anordnung ist nicht mehr willk(irlich » (352). Becker n’explique pas pourquoi il est de cet avis, DOSSIER SUR L'ctAD MARTYRAS» DE TERTULLIEN + que VApologeticum est & situer apras les livres Ad nationes!® —, mais il faut traiter I’Ad martyras comme un cas a part. Examinons les exempla constantiae paiens tels que la lettre Ad martyras les présente (au chap. 4), 4 Ja lumiére de la situation dans laquelle ses destinataires se trouvent ! La premiére chose qui frappe c’est que Tertul- lien fait une large part aux exemples féminins (cing exemples de femmes se trouvent a cété de cinq exemples d’hommes) ; il en donne lui-méme la raison : « Immo et ultro appetita famae et gloriae causa nec a viris tan- tum sed etiam a feminis ut vos quoque benedictae sexui vestro respon- deatis (4, 3)16». Tertullien met méme en téte de liste Lucrace (elle _n’est mentionnée ni dans les livres Ad nationes ni dans ’Apologeticum). Ensuite, le docteur carthaginois donne six exemples de supplices subis par le feu, deux supplices subis par la torture et un exemple seulement de « crucifixion » (c'est ’exemple de Régulus) et de mort par les bétes sauvages (c'est T'exemple de Cléopatre) ; ainsi, ilmetl’accent apparemment sur la crémation etles tortures, R. Braun!? a déja fait cette observation, et il cite a l’appui une phrase de P. Allard : « peu de martyrs paraissent avoir été condamnés au feu pendant les deux premiers siécles... Au 1° siécle, elle (= la peine du feu) devient trés fréquente!® ». Quant aux tortures, il faut se rappeler queles chrétiens incarcérés ont souvent été torturés avant leur martyre!®, non seulement pour qu’ils soient poussés A I’apostasie, mais aussi pour qu’ils dénoncent les autres chrétiens ; on ne s’étonne donc pas que Tertullien s’arréte plus longuement qu'il ne le fait dans 1'Ad nationes et dans l'Afol., A l’exemple de Léaena, la courtisane d’Athénes : if veut encourager les chrétiens en prison 4 stivre son exemple héroique, si nécessaire??, Le dernier exemple, celui de 1a flagellation des jeunes Spartiates, me donne l'occasion de dire un mot 4 propos d’une constatation qui concerne toute la série des exemples dans 1’Ad martyras : Tertullien est ici plus explicite, plus détaillé que dans les deux écrits apologétiques Ad naliones et Apologeticum. Cela s’explique aisément : il s’adresse des chrétiens 15. Cf. en part, A. SCHNEIDER, Le premier livre Ad nationes de Tertullien, 1968, 26 85. 16. R. BRAUN, art. cit., 228 (cf. sa note 28), le remarque aussi. 17, Art. cit, 225; 228 8. 18, Art. cit., 226, note 27. Passio Perp. et Fel. 11, 9 (= éd, van Beek ; voir note 36 infra) mentionne justement le fait qu'un groupe de chrétiens avait été brdlé vif pendant la méme persécution. 19. CE. déja Pline le Jeune, Lettre X, 06, 8; Actes de Carpus, Papylus et d'Aga- thonice 23.35 ; Busdbe de Césarée, Hist, eccl. V. 1, 1-63 (= récit de la persécution & Lyon en 177), passim ; cf. aussi Tertullien, Apol, 2, 10-11. 20, Peut-étre les exemples du chap. 5 visent-ils cewx parmi les chrétiens qui seraient tentés de se livrer témérairement au combat, comme Quintus dont parle Mart, Pol, 4 ? (ef. aussi Passio Perp. et Fel. 19, 2). Cette explication me satisferait davantage que les considérations stylistiques de R. BRAUN, art. cjf., 228 8 W. RORDORF - R. BRAUN qui n’ont pas beaucoup de notions de culture générale. Il ne suffit donc pas de faire une bréve allusion 4 un exemple pour se faire comprendre, comme il peut Je faire dans les ceuvres apologétiques, mais il doit chaque fois bien expliquer de quoi il s'agit ; A ce sujet, on peut aussi noter qu’il souligne, quandil parle de Didon, de la femme d’Hasdrubal et de Régulus qu'il s’agit 1a d'exemples de l'histoire carthaginoise, apparemment pour éveiller davantage l'intérét des confesseurs carthaginois auxquels il s’adresse”!, Cela me semble montrer a 1’évidence qu'il est important, quand on compare des textes comme les exempla constantiae contenus dans le premier livre Ad nationes, dans 1’Apologeticum et dans l’Ad marlyras, de prendre en considération aussi la situation des destinataires, Sinon, on peut difficilement expliquer le fait que Tertullien aurait une fois augmenté le nombre des exemples et enrichi leur description de détails, ensuite de nouveau réduit leur nombre et abrégé leur description (si J’on suppose l’ordre Ad nationes — Ad martyras —. Apologeticum), ow qu'il aurait au contraire d’abord réduit le nombre des exemples et abrégé leur description, ensuite de nouveau augmenté leur nombre et enrichi leur description de détails (si l'on suppose l’ordre Ad martyras — Ad nationes — Apologeticum). Il Jusqu’a présent, j’ai voulu démontrer qu'on n'est pas obligé de dater de 197 la lettre Ad martyras, ni d’admettre son antériorité par rapport a V’Apologeticum. Maintenant, j’aimerais passer A la démonstration Positive que 1'Ad martyras pourrait trés bien s’adresser 4 Perpétue, Félicité et leurs compagnons martyrisés au printemps 203. Je commence avec le terme de benedictus comme désignation des chrétiens auxquels’ Tertullien s’adresse dans sa lettre (I,1.2 } 2,4 5 3,1.33 4,3; 5,2). Quand on regarde le Dictionnaire latin-francais des auteurs chrétiens d’A, Blaise™, on nous dit que ce terme équivaut a l’expression «mes fréres », Mais il s'agit-la d’une erreur évidente. A la fin de son traité De baptismo, Tertullien s’exprime ainsi : «Vous done les bénis (benedicti), vous que la grace de Dien attend, vous qui allez remonter du bain trés saint de la naissance nouvelle, yous qui pour Ja premiére fois allez tendre vos mains pres d'une Mere et avec des fréres, deman- dez au Pére, demandez au Seigneur comme don spécial de sa grace l’abondance at. Un détail me semble aussi significatif : seulement en Ad mart, 4, 8, Tertullien mentionne le terme grec diapactiyaois ; il pouvait apparemment supposer. que certains chrétiens d'origine grecque ou en tout cas parlant le grec (comme Perpétue : cf. Passio 13, 4) pouvaient le comprendre, 22, 1954, 113. DOSSIER SUR L'«AD MARTYRAS» DE TERTULLIEN 9 de ses charismes |... Je ne vous demande plus qu’une chose ; de yous souvenir dans vos priéres du pauvre pécheur Tertullien (20, 5). » De toute evidence, Tertullien s’adresse done a des catéchwménes. Et sil leur dit qu’ils sont des benedicti, c'est — notre passage le montre claire- ment —- parce quils ont la chance de renaitre prochainement et de recevoir, 4 cette occasion, la grace divine d’une maniére spéciale®4, Or, Tertullien emploie le terme de benedicti comme désignation des chrétiens auxquels il s’adresse, dans deux autres traités®®. Souvent, on a pensé que ces écrits sont la preuve que Tertullien était, pendant cette période au moins, catéchéte de I’Figlise de Carthage tout en restant laic®®, Iin effet, on a aussi l’habitude de rapprocher chronologiquement ces écrits les uns par rapport aux autres et de les situer 4 une période qui va de 198 & 206 environ®’. Cette période — on le voit — cadre avec le martyre de Perpétue, de Félicité et de leurs compagnons quia eu lie au ptintemps de 20378, Cependant, je n’en ai pas fini pour autant avec les arguments que le terme benedicti me fournit a l’appui de ma thése. La persécution sous Septime Sévére — et il semble bien qu’il y en ait cu une®® — était dirigée contre les catechwménes. Cette affirmation de la Historia Augusta® est confirmée par la Passio Perpetuae et Felicilatis qui nous dit clairement que les jeunes chrétiens incarcérés et martyrisés étaient des catéchuménes*!; en Egypte, il y a aussi eu des catéchuménes victimes de la persécution®?, Tout nous porte donc a croire que Tertullien a écrit sa lettre Ad marty- ras 4 des catéchuménes incarcérés pendant 1a persécution sous Septime Sévére. Nous sommes atrivés au point de notre étude of une comparaison Trad. de R. F. Refonlé, dans SC 35, 1952, 96. 24, CE. F, J, Déxour, Das erste Gebet der Tauflinge in der Gemeinschaft der Briider, in AuC 2, 1930, 142-155. Cf. Passio Perp. et Fel. 3, 3, infra 88, 25. De cultu fominayum IL, 4, 1; 5, 539, 4; 13, $3 De oratione 1, 4, Il est inté- ressant de noter que Ter‘ullien évite dans les traités De spectaculss, De idololatria et De pacnitentia qui pourtant semblent supposer des catéchuménes parmi les lec- teurs, de s'adresser directement A eux et ne les appelle jamais benedicti. 26. Cf. par ex. K, A. H. Kellner, dans Bd? 7, 1912, xxv s.; J. QUASTEN, Initiation aux Paves del’ Eglise 11, 1958, 293; en dernier lien, T. D. BARNES, Tertullian 1971, 117 s. (mais avec réserve). 27. Cf. R. BRAUN, of. cit., (note 2), 568 ss, (1962) ; 721 (1977) ; J.-Cl. FREDOUILLE, op. cit. 487, Cf. déja CC 1, 2, 1954, 1627 s. 28. Cf. T. D. BARwxs, Pye-Decian + Acta Marlyrum, in JTS x, 8. 19, 1968, 521-525. 29. Cf, W. H. C. PREND, A Seueran Persecution ? Evidence of the « Historia Augusta «, in Forma Futuri. Studi in onore del Cardinale Michele Pellegrino, 1975, 470-480. 30. Spartianus, Severus 17, 1 : « Tndaeos fieri sub gravi poena vetuit, Idem etiam de Christianis sauxit. » » at. Passio 1, i. 32. Eusthe de Césarée, Hist, eccl. VI, 3-5. ro W. RORDORF — R. BRAUN entre 1’Ad marlyras et la Passio Perpetuae et Felicitatis non seulement se recommande, mais s’impose. J’aimerais cependant souligner une nouvelle fois que cette comparaison ne présuppose ntllement que Tertullien soit en méme temps I’auteur ou le rédacteur de 1a Passio Perpetuae et Felici- tatis®3, Ma comparaison n’aura donc aucun recours & des arguments d’ordre stylistique, mais se limitera 4 réunir les ressemblances de cir- constances entre les deux écrits*4, Pour le faire, je suivrai l’ordonnance- méme des chapitres de la lettre Ad martyras®, Chap. 1 1, 1: Inter carnis alimenta, benedicti martyres designati, quae vobis et domina mater ecclesia de uberibus suis ct singuli fratres de opibus suis propriis in carcerem subministrant... (cf. 2, 7) » L’Eiglise et des fréres envoient des dons matériels aux chrétiens incar- .cérés. Cf. Passio 3, 786: « Tunc Tertius et Pomponius, benedicti diaconi qui nobis ministrabant, constituerunt praemio, uti paucis horis emissi in meliorem locum carceris reftigeraremus » ; — 9,1 : « Deinde post dies paucos Pudens... multos ad nos admittebat ut et nos et illi invicem tefrigeraremus » ; — cf. 16, 4. Ne parlons pas du pére de Perpétue qui lui rend souvent visite en prison. 1. 3: «Inprimis ergo, benedicti, nolite contristare spiritum sanctum, qui vobiscum introiit carcerem... » C'est un passage important. Tertullien est trés affirmatif : le Saint- Esprit est entré en prison avec les chrétiens auxquels il s'adresse. On peut se demander s’il serait aussi affirmatif s'il s'agissait de catéchuménes qui n’ont justement pas encore recu le Saint-Esprit®?. Or, le cas de Perpétue, de Félicité et de leurs compagnons de martyre est différent : 33. G. D. SCHLEGEL, art. cit., 127, le suppose néanmoins, Sur ce point, je me distance de cet autenr. R. BRAUN, art. cit., 222, note 7, l’attaque aussi A cause de cette supposition. 34. Ici, mon étude tirera profit des observations de Dom Scurncnr,, art. cit., mais j’ai passablement augmenté leur nombre ; en fait, Dom Schlegel n'y consacre que 11 lignes de son article de 4 pages ! 35. J’aimerais souliguer que R. Braun, dans Ia deuxidine partie de son article (232 ss.), fait des suggestions trés utiles pour la compréhension du genre littéraire de ln lettre Ad martyras de Tertullien ; cf. aussi C, Tramerrt, Stoicismo nell’ Ad martyras di Tertulliano, in Augustinianum 15, 1975, 309-323. 36, Nous citons d'aprés I'édition de C. I. M, I. van Beek, Passio sanctarum Per- peluae et Felicitatis, I, 1936 (N. B.: van Beck donne une autre numérotation des Paragraphes a I'intérieur des chapitres que les éditions courantes !). 37. Aussi lea futurs martyrs non baptisés ue secoivent le Saint-Esprit qu’au moment de leur confession devant le tribunal ; cf. Hippolyte, Traditio apostolica 9. Voir aussi D. van Daman, « MAPTYC - XPICTIANOC », in Freiburger Zejischrift far Pilosophie und Theologie 24, 1977, 286-303, DOSSIER SUR L'« AD MARTYRAS » DE TERTULLIEN 1 Ils furent baptisés aprés leur arrestation ; cf. Passio 3,5 : « In ipso spatio paucorum dierum baptizati sumus ; et mihi Spiritus dictavit non aliud petendum ab aqua nisi sufferentiam carnis®*, » 1, 4-5: «Domus quidem diaboli est et carcer, in qua familiam sam continet ; sed vos ideo in carcerem pervenistis, ut illum etiam in domo sua conculcetis ; iam enim foris congressi conculcaveratis... fugiat conspectum vestram et in ima sua delitescat contractus et torpens tamquam coluber excantatus ant effumigatus... » L’allusion au diable n'est en soi pas étonnante. Etonnante est pourtant la maniére dont Tertullien en parle : il le décrit comme serpent qui, par lattitude des confesseurs, est mis en fuite ; les chrétiens l’ont « foulé aux pieds» (conculcaveratis), Cette maniére de s'exprimer est proche d'un passage de la premiére vision de Perpétue ; cf. Passio 4,4.7 : « Et erat sub ipsa scala draco cubans mirae magnitudinis, qui ascendentibus insidias praestabat et exterrebat ne ascenderent.., Et desub ipsa scala, quasi timens me, lente eiecit caput ; et quasi primum gradum calcarem, calcavi illi caput, et ascendi®®, » Est-ce que Tertullien aurait eu connais- sance du récit de cette vision au moment ov il écrit sa lettre, ou inverse- ment, la vision de Perpétue serait-elle influencée par la lettre de Tertullien? 1, 6: « Quam pacem quidam in ecclesia non habentes a martyribus in carcere exorare consueverunt. » On dirait qu'il s’agit-la d’une constatation d'ordre général. En effet, le probléme de Ja réconciliation des chrétiens par l’intermédiaire des confesseurs s’était déja posé avant l’époque de Tertullien*®, Cependant, il est curieux que la vision de Saturus fasse implicitement allusion 4 ce genre de problémes dans la communauté actuelle de Carthage’! ; ef. Passio 13,1-3 ; 5-6 : « Et exivimus et vidimus ante fores Optatum episco- pum ad dexteram et Aspasium presbyterum doctorem ad sinistram, separatos et tristes. Et miserunt se ad pedes nobis, et dixerunt : « Com- Ponite inter nos, quia existis, et sic nos reliquistis », Et diximus illis : « Non tu es papa noster, et tu presbyter ? Ut vos ad pedes nobis mitta- tis ? » Et moti sumus et conplexi iflos sumus... Et... dixerunt illis angeli : 38. Cf. note 24 supra. Puisque leur baptéme est tont récent, Tertullien appelle les futurs martyrs encore benedicti. 39. Pour Vinterprétation de cette vision, voit M.-L. von Franz, Die Passio Perpetuae. Versuch einer psychologischen Deutung, in Acon. Untersuchungen zur Symbolgeschichte, 1951, 387-496 ; M. Mmstrn, Vases sacrés ef boissons d'éternité dans les visions des martyrs africains, in Epehtasis. Mélanges patristiques offerts au Cardinal Jean Daniélou, 1972, 130-153. 49. Cf. Husébe de Césarée, Hist. eccl. V, 2 (= martyrs de Lyon en 177). 41, La méme observation est faite par H. Corstnr, Proposte per wna lettura della « Passio Perpetuae », in Forma Futuri, Studi in onore del Cardinale Michele Pelle~ grino, 1975, 5t1 9, 12 W. RORDORF — R. BRAUN « Sinite illos refrigerent ; et si quas habetis inter vos dissensiones, dimit- tite vobis invicem ». Et conturbaverunt eos, et dixerunt Optato : « Corrige plebem tuam, quia sic ad te conveniunt quasi de circo redeuntes et de factionibus certantes ». Tertullien envisage d’ailleurs 1’éventualité que les confesseurs soient appelés 4 accorder la paix 4 ceux qui la demande- raient : « et ideo eam (sc. pacem) propterea in vobis habere et fovere et custodire debetis, ut si forte et aliis praestare possitis (Ad mart. 1,6)" ». Chap. 2 2, 1: «Cetera aeque animi impedimenta usque ad limen carceris deduxerint vos, quousque et parentes vestri!3, » Pourquoi Tertullien mentionne-t-il ici les parents des confesseurs comme inpedimenta animi ? L'affection des parents peut certainement étre un probléme pour chaque confesseur et futur martyr, mais nous savons que pour Perpétue, lopposition obstinée de son pére A Vidée que sa fille sacrifie sa vie, était Je grand problame de ses derniers jours ; ef. Passio 3,1.4 : « Cum adhuc... cum prosecutoribus essemus et me pater verbis evertere cupiret et deicere pro sua affectione perseveraret... "Tune paucis diebus quod caruissem patre, Domino gratias egi et refrige- ravi absentia illius »; ef. chap. 5-6. 2, 1-3 ! «Nee hoc vos consternet, quod segregati estis a mundo... Maiores tenebras habet mundus... graviores catenae imbuit mundus... peiores immundi- tias expirat mundus... plires postremo mundus reos continet », Tertullien se met A décrire les frayeurs de la vie en prison. Tous les prisonniers de I’époque faisaient sans doute des expériences analogues, mais il y a de nouveau des détails qui s’expliquent mieux si l’on les compare avec le récit de la Passio. Déja l’entrée en matiére (nec hoc vos consternet) rappelle exclamation de Perpétue au moment ott elle entre en prison : « Post paucos dies recipimur in carcerem : et expavi, quia numquam experta eram tales tenebras, O diem asperum ! Aestus validus turbarum beneficio, concussurae militum » (Passio 3, 5-6). La suite de la description de Tertullien dans I’Ad mart. se lit comme un écho de ce passage de la Passio ! 2, g-10 : « Btsi corpus includitur, etsi caro detinetur, omnia spiritui patent : vagare spiritu, spatiare spiritu, et non stadia opaca aut porticus longas propo- nens tibi, sed illam viam, quae ad deum ducit ; qotiens eam spiritu deam- 42. Les coutfesseurs anront d’aillenrs soin, au moment de leur martyre, de montrer leur concordia en public : Passio 21, 7. 43. A. QUACQUARELLL, op. cit., 70, met ici nostri au Hen de vestri ; il s'agit pro- pablement d'une faute d'impression, DOSSIER SUR L'« AD MARTYRAS» DE TERTULLIEN 13 bulaveris, totiens in carcere non eris. Nihil crus sentit in nervo, cum animus in caelo est. Totum hominem animus circumfert et quo velit transfert. » Tertullien donne le conseil aux confesseurs de quitter la prison en esprit, de se promener sur la route qui méne a Dieu, d’étre dans le ciel, méme si la jambe est attachée aux fers. Les visions de Perpétue et de Saturus ne sont-elles pas les exemples concrets de cette expérience spirituelle ? Passio 8,1 dit méme : « Die quo in nervo mansimus, ostensum. est mihi hoc...», Faut-il s’étonner que Perpétue dise, en 3,9: «et factus est mihi carcer subito praetorium, ut ibi mallem esse quam alicubi ». Chap. 3 Apparemment, Tertullien s’adresse ici plutot aux’ hommes parmi les confesseurs. D’abord, il exploite le thame de la milttia (3,1-2), ensuite celui de I'agon (3, 3-5) ; chaque fois, il commence par s’adregser aux benedicti. TI serait un peu maladroit de la part de Tertullien de s’étendre si longuement sur ces deux exemples, s'il s'agissait d’un exercice pure- ment rhétorique. Or, on nous dit que le soldat Pudens qui surveillait les confesseurs se convertit au christianisme sous l'effet de leur exemple (Passio 16,4). Par ailleurs, on nous relate de Saturninus ce qui suit : « Saturninus quidem omnibus bestiis velle se obici profitebatur, ut scilicet gloriosiorem gestaret coronam » (Passio 19,2). N’est-ce pas 1a le désir dun homme qui a l’habitude du combat dans l’aréne ? On pourrait dailleurs mentionner aussi la derniére vision de Perpétue avant le martyre qui est riche en allusions aux combats de laréne (Passio 10). Chap. 4 C'est le chapitre qui présente les exempla constantiae dont nous avons déja parlé. Je ne veux pas répéter ce que j’ai déja dit sur la situation des destinataires qui s'y refléte, mais relever quelques points supplé- mentaires qui pourraient concerner Ia situation particuliare de Perpétue et de Félicité. En effet, Tertullien s’adresse maintenant en particulier aux femmes parmi les confesseurs qu'il appelle denedictae (dd mart. 4, 3) et qu'il veut exhorter A rester fermes, méme si elles ont peur du martyre#4, Il est frappant que Tertullien souligne, par deux fois, que les parents et les proches étaient présents aux supplices dont il fait mention (4, 4 ; 4, 8); dans le deuxiéme cas, celui des Spartiates, il indique aussi qu’il s’agissait de gens nobles et jeunes : cela rappelle la situation de Perpétue ; cf. Passio 2, 1.3 : « Apprehensi sunt adolescentes catechumeni inter hos et Vibia Perpetua, honeste nata, liberaliter instituta, matronaliter nupta... Erat autem ipsa circiter annorum viginti duo», Et l’exemple de la 44, Mais Saturus a aussi peur : ef, Passio 19, 3 | 45. Fant-il relever le fait curienx que Perpétue mourra comme Imcrace, c’est-A-dire en se portant elle-méme le glaive A la gorge ? (Passio 21, 9). 14 W. RORDORF — R. BRAUN perle (4, 9) potivait toucher en premier lieu une personne comme Perpétue qui était en mesure d’apprécier sa vraie valeur®, Chap. 6 Le passage célébre qui fait une allusion aux praesentia tempora et dont nots avons parlé, peut indirectement confirmer notre impression gén¢- rale: Perpétue, Félicité et leurs compagnons de martyre étaient justement aussi des personnes qui allaient subir un sort inattendu natalibus et dignitatibus et corporibus et actatibus suis (6, 2). Je pense que l’évidence accumulée des similitudes de circonstances entre la lettre Ad martyras de Tertullien et la Passio Perpetuae et Feli- citatis nous autorise A avancer, plus fermement que Dom Schlegel ne Vavait fait, ’hypothése de travail qu'il s’agit ici et 1a des mémes per- sonnes, ou en d’autres termes, que Tertullien s’adresse dans sa lettre 4 Perpétue, Félicité et leurs compagnons de martyre. Willy Rorporr II — QUELQUES REMARQUES EN RE&PONSE P. 5 : Je ne pense pas que l’expression pracsentia tempora signifie «notre époque »; il s'agit, selon moi, des « circonstances présentes ». C’est le sens habituel de tempora. Comme je l'ai observé dans une étude sur le vocabulaire du temps chez Tertullien (présentée le 15/1/1977 ati sémi- naire de J. Fontaine sur la « sacralisation du temps », et encore inédite), le mot tempus, surtout au pluriel, correspond le plus souvent A xa1pdc, katpot, dans les citations scripturaires du Carthaginois. Les deux autres passages ot il emploie la méme expression praesentia tempora (Ap 39, 3 et Praes I, I, que cite W. Rordorf), comportent aussi le sens de « cir- constances présentes ». D’ailleurs pyaesens a toujours chez notre auteur une signification précise. Quand il veut dire « notre époque », il écrit hoc tempus (Marc I, 18, 4) ou nostra aetas (Ap 23, 3, et Nat II, 16, 6). P. 5 : La comparaison de la phrase finale de Mart avec Ap 35, 9 ne me parait pas adéquate. D’abord, dans Ap 35, 9, Tertullien ne fait pas nommément référence aux pracsentia tempora. D'autre part les présents s'y expliquent par la généralisation rhétorique qui caractérise ce passage 46. Ajoutons que G. D. Scunment, art. cit., 128, tire un paralldle entre 1a fla- gellation volontaire mentionnée en 4d mart. 5, 1 et Passio 18, 9; mais on ne sait pas trés bien daus quel sens il y anrait ici « influence » ; il s’agit plutot d'une coinci- dence fortuite. DOSSIER SUR L’« AD MARTYRAS» DE TERTULLIEN 15 (cf. les pluriels de noms propres et de cas individuels, voir ci-dessus Pp. 00) et qui est patente de la mise en paralléle avec Naf I, 17, 4 ou les verbes de la seconde proposition sont au passé. P. 6-7 : Déja S. Oswiecimski!” (De soriptorum romanorum uestigiis apud Tertuldanum obuiis quaestiones selectas, in Archivum Filologicene 24, Krakéw 1951, p. 43-46) avait observé que, si certains exempla cons- tantiae avaient été plus développés dans Mart, cela tenait au fait que cet opuscule était destiné A un public chrétien peu familier avec les lettres. I/auteur d’ailleurs n’en tirait aucune conclusion quant a la chronologie relative, admettant celle qui était traditionnelle. Mais lVargument me parait difficilement utilisable pour Ia thése défendue par W. Rordorf ; car le groupe des emprisonnés de 203 n’était pas cul- turellement ni socialement homogéne : Perpétue était une jeune femme instruite (liberaliter instituta). Si Tertullien n'a pas tenu compte du cas particulier de Perpétue quand il détaille la description des exempla constantiae destinée 4 des chrétiens sans grande culture, pourquoi aurait-il songé & elle, comme il est indiqué plus bas (p. 13s), lorsqu’il évoque les nobiles adolescentes de Sparte et V'exemple de 1a perle ? Ein ce qui con- cerne notre étude comparée des trois catalogues, elle ne s’est pas attachée tellement au critére matériel du nombre (augmenté ou diminué) des exempla ni a celui du volume (grossi ou réduit) de leur description, Elle a voulu mettre en relief une évolution dans le plan méme de ces trois développements, plan qui, selon la séquence Nat /Mart /Ap, est de plus en plus dominé par l’idée de la g/orva et 1a distinction entre mors et tormenta } c'est aussi cette séquence qui rend mieux compte de la place faite aux exempla anonymes empruntés & 1’époque contemporaine : ils forment le deuxiéme volet du diptyque dans Nat I, 18, 7-10; ils sont conservés, mais avec une importance réduite, dans Mart 5 ; ils disparaissent complé- tement dans Af. P. 8-9 : En dehors de Bapi 20, 5, ici cité, aucun des passages ot Tertullien emploie benedictus pour s’adresser & des chrétiens ou des chrétiennes (ainsi dans le De oratione et le De cullu feminarum) n'impose de penset qu'il ait en vue des catéchuménes. A Praes 30, 2, benedictus qualifie le pape Fleuthére. Dans la Passio (dont le latin est contemporain de celui de Tertullien et certainement influencé par son usage), le méme terme est appliqué a des diacres (3, 7) et au catéchéte Saturus (x1, 1). Nile TLL ni aucun dictionnaire ni aucune étude, 4 ma connaissance, ne fait état d’une limitation de denedictus pour désigner les seuls catéchumeénes. D’autre part, que Tertullien ait été catéchéte de I’église de Carthage entre ‘199 et 206, est une simple présomption, fondée d’ailleurs sur ces trois traités qui ont conservé des vestiges de la forme orale de I’homélie. 47. Notre attention a été attirée sur cette étude par Pierre Petrrmencry, Qu’ilen soit vivement remercié, 16 W. RORDORF — R. BRAUN Mais cette présomption n’est pas plus forte qu’une autre, qui me parait préférable et qui a pour elle une assertion précise de Jéréme, & savoir que Tertullien était prétre de Carthage. Quant a l’existence d’une per- sécution de Septime Sévére contre les catéchuménes, il se peut qu’elle soit admise 4 nouveau aujourd’hui 4 la suite de J’article signalé par Ja note 29. Mais la persécution qui s’est déchainée A Carthage en 197-198 et que refléte 1’A pologeticum (comme je crois l’avoir montré par la com- paraison avec l’Ad xationes I) visait tous les chrétiens sans distinction. P. 10: C’est une coutume générale que d’envoyer des vivres aux chré- tiens incarcérés. Elle est attestée par Tertullien lui-méme A A? 39, 6, dans une phrase qui rappelle singuliérement le début de Mart : « qui... in custodiis.., conflictantur, alumni confessionis suae fiunt ». Les destinataires de l'Ad martyras d'aprés 1, 3, étaient baptisés au moment de leur incarcération. Perpétue et ses compagnons ont été bap- tisés apres leur arrestation, pendant la garde a vue, donc également avant Vincarcération proprement dite. De ce fait, quand ils sont en prison (au moment oi, selon W. Rordorf, Tertullien leur adresse sa lettre), ils ne sont plus des catéchuménes (voir en particulier Pass. 20, 8 et 10). P, 1x: L’expression de Tertullien avec conculcare (Mart 1, 4) et celle dela Passio avec calcare caput sont l'une et l'autre des citations implicites de Gen 3, 15 selon la traduction de la VI africaine (la Vulgate se sert de conterere). Chez Tertullien méme, on trouve soit conculcare, soit calcare (par ex. a Cult I, 6, 3). Onne peut déduire de cette rencontre que Tertullien connaissait la vision de Perpétue quand il rédigeait sa « Lettre aux martyrs ». P. 11; Le probléme de Passio 13 est différent de celui qu’évoque Mart 1,3, méme si, dans les deux cas, se manifeste la haute autorité spirituelle et morale dont jouissent les confesseurs dans l’église du temps. Tertullien vise la réconciliation des pécheurs pénitents avec I’église. Le passage de la Passio a trait A une dissension entre un évéque (Optat) et un prétre (Aspasius) qui, tous deux, demandent aux emprisounés de trancher leur querelle : ce 4 quoi, d’ailleurs, ils se refusent. Et, 4 propos de ce méme passage de Mart, on peut remarquer que Jes dissensions et les découragements, contre lesquels Tertullien met en garde ses destinataires avec tant de solennité, ne trouveraient aucune confirmation dans les récits et les visions de la Passio. P. 12 : Les parents des confesseurs ne sont pas mentionnés, A propre- ment parler, comme impedimenta animi. La comparaison porte sur deduceve ad limen carceris. Les incarcérés ont laissé 4 la porte de leur prison leurs parents, qui les ont accompagnés jusque 1a (selon la coutume générale) + puissent-ils aussi (souhaite Tertullien) laisser dehors tout ce qui est une géne pour l’Ame et sa réalisation d’une vie.pleinement chré- DOSSIER SUR L' «AD MARTYRAS» DE TERTULLIEN 17 tienne. Tout au plus y a-+t-il ici une allusion 4 l’enseignement de Matth. 10, 35-37- P. 12: La description du cachot chez Tertullien a surtout une valeur symbolique (comparaison avec le mundus); je n’y retrouve aucune des notations concrétes et précises de Perpétue, en particulier I'aestus ualidus et les concussurae militum. P. 13 : Le miles optio Pudens, dont il est question 4 Passio 9, 1,21, 1 et 4 (x6, 4 fait aussi allusion 4 lui sans le nommer), s'il s’est converti intérieure- ment au christianisme, n’a pas pour autant renoncé a son « état»; il ne fait pas vraiment partie du groupe des « martyrs désignds », et on ne voit pas pour quelles raisons, étant donné son réle plus que marginal, Tertullien aurait songé 4 lui pour développer le theme du martyr « sol- dat du Christ ». Ce théme, d’ailleurs, ne constituait pas un exercice de pure rhétorique, étant enraciné dans l’enseignement de I’Kicriture sainte (Paul). René Braun Tertullien et les séditions contre les empereurs (Apologeticum 35, 8-9)* Notre propos est d’¢lucider une allusion historique qui fait probléme dans le célébre passage de l’Apologeticum ot Tertullien, affirmant le loyalisme des chrétiens a I’égard des Césars', en vient, par rétorsion, a dénoncer les agissements déloyaux de toutes les catégories sociales constitutives de I’état romain : aprés le wulgus, dont il évoque les « coups de langue» et les acclamations hypocrites (§ 6-7), il passe aux celeri ordines dont il dit : «Plane ceteri ordines pro auctoritate religiosi ex fide : nihil hosticum de ipso senatu, de equite, de castris, de palatiis ipsis spirat | Vude Cassii et Nigri et Albini ? unde qui inter duas laurus obsident Caesarem ? unde qui faucibus eius exprimendis palaestricam exercent ? unde qui armati palatium irrumpunt, omnibus Sigeriis atque Partheniis audaciores ? De Romanis, nisi fallor, id est de non Christianis. » (1p. 35, 8-9) «Assurément, les autres corps sociaux, en proportion de leur autorité, fout preuve d'une religiense loyanté ! Aucun souffle hostile ne vient du sénat méme, des chevaliers, des camps, du palais méme ! D’ott viennent les Cassius, les Niger les Albinus ? d’od viennent ceux qui assiégent César entre deux lauriers ? doit viennent ceux qui s'exercent & la palestrique pour V’étrangler ? d’oi viennent ceux qui, en armes, fout irruption dans le palais, plus audacieux que tous les Sigérius et Parthénins ? Du nombre des Romains, si jene me trompe, C'est-A-dire de ceux qui ne sont pas chrétiens ! » De ce passage, rhétoriquement trés élaboré, avec les affirmations iro- niques du début, les interrogations oratoires de la partie centrale, l’anti thése de la clausule, avec ses parallélismes étudiés, ses anaphores insis- *Commuuication présentée & la 8¢ Conférence Internationale des Htudes Patris- tiques (3-8 septembre 1979). 1. Sur cette attitude, voir en dernier lien C. Munmr, L’Liglise dans VEmpive romain (II*-IIT® siécles), 3° Partie, Eglise et Cité, Paris, 1979, p. 176. TERTULLIEN, APOLOGETICUM 35, 8-9 19 tantes, avec sa recherche de généralisation (verbes au présent, noms au pluriel) et de stylisation littéraire (renvoi au poéte Martial), nous rappellerons d’abord que la premiére ébauche se trouve dans un passage, non moins célébre, de 1’Ad nationes (I, 17, 4) ot, pour défendre ses coré- ligionnaires contre le reproche de conspiration, Tertullien s’exprimait en ces termes : « Agnoscimus sane Romanam in Caesares fidem : nulla umquam coniuratio erupit, mullus in senatu uel in palatiis ipsis sanguis Caesaris notam fixit, nulla in prouinciis affectata maiestas | Adhuc Syriae cadaneram odoribus spirant, adhuc Galliae Rhodano suo non lauant ! » « Nous connaissons assurément la loyauté romaiue & I'égard des Césars : jamais aucune conjuration n’a éclaté, jamais le sang d’un César n’a imprimé sa marque dans le Sénat ou dans le palais méme, la majesté impériale n'a jamais été arubitionnée dans les provitices. Encore aujourd'hui les Syries exhalent l'odeur des cadavres, encore aujourd'hui les Gawles ne sc baignent pas dans leur Rhoue ! » De l'un A l’autre de ces passages*, c’est la méme idée, le méme mouve- ment, marqué par la méme ironie de l’attaque. Mais le développement de T'Ap. est plus étoffé, mieux équilibré; il s’instre dans un diptyque qui oppose la foule A la hiérarchie, il substitue & une vision géographique du monde romain une vision plus politique : tandis que disparait la mention des provinces, un dénombrement des hautes classes sociales introduit, entre le sénat et la cour, I'ordre équestre (egues) et I’armée (casiva). D’autre part, la liste des exempla de déloyauté politique est considérablement enrichie : Pescennius Niger et Clodius Albinus, les deux compétiteurs de Septime Sévére, dont Tertullien rappelait les retentissantes défaites dans le passage de Naf, ne sont plus seuls mainte- nant. A leur cété, et nommément désigné comme eux, prend place Avidius Cassius, coupable de rébellion contre l’autorité de Marc Auréle en 175 ; et trois autres personnages (ou groupes de personnages) sont évoqués a leur suite par le procédé de J’allusion qui avait déja été utilisé pour désigner Niger et Albinus dans le passage de Naf. De ces trois allusions de 1'A., qui, reconnaissons-le, devaient étre, comme c’est le.cas pour celles de Nat., parfaitement transparentes aux contemporains, sous peine d’affaiblir beaucoup l’argument de 1’apolo- giste, les deux derniéres n’ont pas fait problame pour les modernes. T’une ne peut que concerner I’assassinat de Commode, étranglé, on le sait, par un jeune athléte de la cour, Narcisse, qu’avaient soudoyé les conjurés 2. Epigr. 4, 78, 7-8. Ch. notre étude Tertullien ot les podtes latins, aus AFLNice, 2, 1967, p. 30-31. 3. Bonne comparaison dans A. SCHNEIDER, Le premier livre Ad nationes de Tertul- Hien, Rome, 1968, p. 285-286. 20 RENE BRAUN Laetus, Eclectus et Marcia, en 1924 ; l’autre, del’avis de tous les commen- tateurs, vise l'assassinat de l’empereur Pertinax, victime, le 28 mars 193, d’une mutinerie des soldats qui, au nombre de deux cents ou de trois cents, pénétrérent par la force dans le palais au moment oti il sacrifiait aux dieuxS, Mais A quel événement, a quels personnages Tertullien fait-il allusion dans l’interrogative unde qui inter duas laurus obsident Cacsa- rem ? Les modernes ont donné A cette question des réponses diverses. Kellner®, sous une forme il est vrai dubitative, pensait a l’attentat dirigé contre Hadrien dont parle Spartien (SHA, Hadr. 7, 1). Mais,outre, que, dans cette mention des insidiae Nigrini, rien ne se référe au liew signalé par l'Ap., il convient d’écarter a priori un événement qui, pour Tertullien comme pour ses lecteurs, ne relevait pas de l'histoire contem- poraine. Notre auteur ne caractérise-t-il pas ailleurs (Mare I, 17, 4) l'empereur Hadrien comme étant ante hoc tempus ? Généralement, et en vertu du contexte, on a pensé que l’empereur en question devait étre Commode; quant & l'indication topographique, elle a été rapportée a um lieu-dit de Rome, le Loretwm de V’Aventin (xr région), qui, avec son Lorvetum maius et son Loretum mimts, paraissait s’accorder a l’expres- sion de I’écrivain; et c’est ainsi que J.-P. Waltzing (Comm. Ap. p. 232), dont l’explication remonte 4 Oehler (t. I, p. 246, note w), et, a sa suite, Ja plupart des commentateurs et éditeurs récents de Ap. voient 18 une allusion 4 un attentat contre Commode qui se serait déroulé en cet endroit et qui nous serait inconnu par ailleurs’. Solution paresseuse et qui, d’aprés ce que nous avons dit plus haut, aurait di éveiller des doutes : pourquoi Tertullien aurait-il fait choix de mentionner un événe- ment si obscur qu’il n’aurait laissé aucune trace dans la chronique du temps ? Une solution originale a été présentée par l’historien F. Grosso dans une communication 4 l’Accademia dei Lincei en 19668 : Tertullien ferait allusion ici au soldat qui, dans le groupe des mutins révoltés contre Pertinax le 28 mars 193, porta le coup fatal a l’empereur, le tongre 4. Dion Cassrus (cité d’aprés 1'édition de la Loeb Class, Libr.) 73, 22,5 574. 16,55 Héropren I, 17, 11 ; SHA, Comm. 17, 2 ; AURELIUS Victor, Cazes. 17, 9 (faucibus pressis). Voir H. Patri, L'eremplum chez Tertullien, Dijon, 1940, p. 60 et T.D. BARNES, Tertullian, A historical and literary study, Oxford, 1971, p. t10-111 (note 9). 5. Cf. Dion Cassrus 74, 9-10 ; H¥ropren I,5; SHA, Pert. 11. Voir également H. Péred, ibid. et T.D. Barus, ibid. Sur une autre identification possible selon Kellner, voir ci-dessous n. 19. 6. BKV, t, IT (Kempten-Mnnich, rors), p. 134, 1. 3. 7. C. Mouraann, Tertullianus Apologeticum on andere geschriften..., Utrecht Bruxelles, 1951, p. 94, 2. 6; O. Tuscarr, Q.S.F, Tertulliano. L'Apologetico, Turin, 1951, p. 197, 1. 7; C. BECKER, Tertullian. A pologeticum, Munich, 1932, p. 286; P.Frassinert, Tertulliano e l' Apologetic, Genes, s.d. (1974), p. 97. Sur le Loretums de l'Aventin, cf, R.E., 26 Halbb. (1927), c. 1443, et P. Grimal, Les jardins romains*, Paris, 1969, p. 167. L’identification des duas Zaurus de Tertullien avec ce Loretum se rencontre déjA dans l’édition de N. Rigault, Paris, 1634. 8. Tertulliano @ Vuccisione di Pertinace, dans RAL 21, 1966, p. t4o-150. TERTULLIEN, APOLOGETICUM 35, 8-9 21 Tausius, du moins d’aprés 1'Histoire Auguste’ dont notre apologiste, contemporain des faits, confirmerait ainsi le témoignage. Sa démons- tration, malheureusement, ne nous a pas patu convaincante. Sans doute ce savant a-t-il eu le mérite, a la suite de plusieurs archéologues'®, de corriger les vues de ses prédécesseurs qui avaient, nous l'avons vu, identifié les « deux lauriers » de notre passage avec le Loretwm de l’Aventin. Et de fait plusieurs documents!! permettent d’établir l’existence, 4 Pépoque impériale, d’un lien-dit inter duas Laurus (-r0s) ou ad duas Laurus ou méme également Laure(n)tum, Lore(n)tum, qui se trouvait sur la Via Labicana, a trois milles de Rome, a l’endroit of l’on voit aujourd'hui les vestiges du Mausolée d’Héléne (Tor Pignattara) et les catacombes des saints Marcellin et Pierre, sur l'emplacement du vaste Jatifundium impérial dit Subaugusta & l'époque constantinienne. Il y avait déja la, & T’époque précédente, un champ d’exercices militaires qui, sans doute, a cause de deux magnifiques lauriers, avait donné ce nom au site ; atte- nantea ce terrain se trouvait aussi une villa impériale qui fut agrandie par la suite. Dans les mémies liewx on a retrouvé le sepulchretum de la garde personnelle de lempereur, les fameux equites singulares, casernés dans la région du Latran®, I ne nous paratt pas douteux que l’allusion de I’A/. concerne effective- ment les « deux lauriers » de la Voie Labicane, comme le pense F. Grosso ; mais, pour le reste, son interprétation nous semble forcée et intenable. Selon lui, Tertullien aurait plus spécialement visé le champ d'exercices 9. SHA, Pert, rt, 9, Comme le rappelle F, Grosso, Hc, p. 150, le biographe de Pertinax dans I’Histoire Auguste remonte & Marius Maximus, contemporain de V'éyénement. 10, L.c., p. 141-148. Outre les études auxquelles se référe cet article (T. ASHBY et G. Lwert, La villa dei Flavi cristiani «ad duas lauros » e il suburbano imperiale ad oriente di Roma, dans Atti della Pontificia Accademia Romana di Archeologia, ser. III, Memorie IL, 1928, p. 157-192, et I. W. Durenmann - A. Tscumra, Das Mausoleum der Kaiserin Helena und die Basilika der heil. Marcellinus und Petrus an der Via Labicana vor Rom, dons [DAT 72, 1957, p. 44-110), voir G, TomAassnrrt, La campagna Romana, antica, medioevale ¢ moderne, 111, Rome, 31913, p. 379 et p. 388-393, et T. Asay, The Roman Campagna in classical times, Londres New York, 1970 (1927), p. 146-147. rx, Liber Pontificalis 1, 44, XXvt, p. 182, Duchesne (construction par Constantin d'une basilique des saints Marcellin et Pierre in ¢erriturio inter duos lauros) ; ibid. I, p. 183 (fundum Lauretum on Laurentum) cf. note 90, p. 198, et note or, p, 199 5 ibid. T, p. 255 (Via Labicana appelée Via Laurentina) ; Chron. Paschale 591, 19 s. Bonn (év ‘Payy pésov S00 Sagvov) ; Chyon. min. I, 303, 454, 2 (in Campo Martio— in sexto ad duos lauros) ; Agnellus 42 (in loco qui vocatur ad laurum) ; Cont. Prosperi Reichenav. 1, 490, 3, 27 (ad duos lauros) : ces quatre derniers textes ont trait & I'assa- ssinat de Valentinien III en 455 (cf. R.E., 2 R., 14 Halbb. (1948) ¢. 2257). La forme Loretum se trouve encore dans un document de ro6s conservé aux archives de $8. Maria Nuova : cf, T. Asnny et G. Luctt, l.c., p. 157; G. TOMASSETTY, 0.0, p. 3903 DEICHMANN-TScHIRA, 1.c., P. 75. x2, Sur ces découvertes archéologiques et épigraphiques, voir B, M. Friaxrr, dans Notizie degli Scavi di Antichila 73, 1948, p. 150-151, et A. FERRUA, Nuove inscrizioni degli equites singulares, dans Epigraphica 13, 1951, p. 96-141. Sur cette garde de Vempereur, voir M, Durry, Les gohories prétoriennes, Paris, 1938, Ds 29-34. 22 RENE BRAUN militaires ott les equites singulares auraient eu un casernement suburbain ; et il aurait ainsi cherché a désigner le triste héros du 28 mars 193, Tausius, qui aurait appartenu 4 ce corps. Mais pour arriver a ces conclusions, qui reposent d’ailleurs sur une part d’hypothéses!®, F. Grosso a da soumettre le langage de notre apologiste 4 une exégése bien compliquée. Tout d’abord, inter duas laurus ne se référerait pas au lieu de l’agression, mais équivaudrait A une sorte de périphrase pour caractériser le per- sonnage, en sorte qu'il faudrait traduire «ceux des deux lauriers »; dautre part, obsidere serait A prendre non pas au sens propre d’« assiéger » ou « attaquer », mais au sens figuré de «se tenir continuellement autour» ; et l’ensemble de la proposition serait 4 traduire ainsi : « d’ot viennent ceux des « deux lauriers » qui se tiennent autour de l’empereur!# ? », Mais rien, ni dans l’usage de Tertullien ni dans le contexte, ne saurait justifier une pareille traduction. Méme si nous laissons 4 obsident son son acception normale, selon une indication du méme savant qui suggére que Tertullien a pu vouloir jouer sur le double sens du mot, « faisant allu- sion 4 ceux qui, au camp des deux lauriers, s’exergaient pot se tenir toujours auprés de l’empereur, et a ceux — les mémes — qui, le 28 mars 193, s'étaient massds autour de Pertinax pour lui porter de plus prés le coup mortel!5 », cette exégése nous parait devoir soulever contre elle deux objections majeures qui se déduisent du contexte : d’abord, comment admettre que Tertullien ait songé au barbare Tausius dans cette revue des Romains qui ont comploté ou agi contre l’empereur ? Ensuite, et surtout, comment admettre que, par deux fois, il ait évoqué le méme événement : car F. Grosso, lui aussi!®, rapporte a l’assassinat de Pertinax !’allusion aux armati qui pénétrent dans le palais. Serait-il plausible que notre apologiste, aprés avoir voulu désigner !’auteur du coup mortel porté cet empereur, ait évoqué ensuite le meurtre de Commode pour revenir, aussitét aprés, aux soldats mutinés dont faisait partie ce méme Tausius ? Un pareil désordre, une telle bizarrerie seraient contraires a l’esprit général de ce développement équilibré o& tout se tient et se répond. C'est précisément cet aspect du texte qui pourra nous mettre sur la voie, une fois retenue l'identification topographique. Nous avons vu que la premiére phrase dénombre les quatre catégories qui forment la hiérarchie da corps social romain. Ce ne peut étre un hasard si quatre interrogatives Viennent ensuite, commandées chacune par wnde. Il est clair que Tertullien @ voulu établir une correspondance entre les exempla de déloyauté, pré- 13, Que Tausins fit un eques singularis reste une hypothése (cf. B. HomL, Kaiser Pertinax und die Thronbesteigung seines Nachfolgers im Lichte der Herodiankvitik, dans SDAW 1956, 2, p. 18 et n. 64). Hérodien (2, 5, 1-9) ne parle que des prétoriens et il attribue & quelques uns d’entre eux la mort de Pertinax (ibid. 8) ; cf. DURRY, 0.6. P. 382, Quant a l'existence d'un casermement des eguites singulares aux « deux Jauriers », elle est aussi une hypothése, 14. L.c., p. 148-149, 15. Ibid, p. 50, 16. Ibid. p. r4r et p. 148, TERTULLIEN, -\POLOGETICUM 35, 8-9 23 sentés.dans un tetpéxwAov, et la quadruple énumération initiale. Et de fait, avec Cassius, Niger, Albinus, nous avons trois sénateurs rebelles de senatu) ; \’'auliculus Narcisse!’ illustre les trahisons sorties du palais = de palatiis) ; es mutins du 28 mars 193 fournissent un exemple de rebellion partie de l’armée (= de castris), Remarquons au passage que ces deux derniéres allusions sont présentées en un ordre inversé, selon le procédé du chiasme qui est moins ici coquetterie rhétorique que recherche d'évépyeia, la succession chronologique des événements étant ainsi sauvegardée!®, Pour revenir A notre seconde interrogative, il y a lien de présumer, dans ces conditions, quelle correspond & de equite, Comme eques est ici un terme politique, et non pas militaire, du fait de sa mise en binéme avec senatus, il faut s’attendre que Tertullien fasse allusion 4 un personnage du second ordre de l'état, ordre équestre, ce que n’était évidemment pas le cavalier ‘Tausius!®, Or, parmi les personnages qui ont défrayé la chronique dans les derniéres années de Commode, il en est un qui, appartenant précisément & Vordre équestre, a eu une fin dont certaines circonstances, A condition que 1’on se fie au récit d’Hérodien et que l’on interpréte correctement tune de ses données, concordent tout a fait avec les expressions de Ter- tullien, Il s'agit de Cléandre. On connait assez bien la figure décriée de ce Marcus Aurelius Cleander, ancien esclave phrygien, devent on ne sait comment tpogévg (gouverneut) du jeune Commode et qui, ayant gagné sa confiance, fut élevé par lui jusqu’d ce fastigium equestre que constitue la préfecture du prétoire, tout en restant a cubicnlo et a pugione, c’est-a-dire le chambellan et le garde du corps de l’empereur*’. Ce tout puissant favori périt ignominieusement, en 189 ou au printemps de 190, Ala suite d'une émeute provoquée pat son impopularité qui était générale = 17. On admet généralement que Narcisse était un jeune affranchi appartenant au personnel du palais : cf, Hfropren I, 17, 11 (éd, C. R. WHITTAKER, tT, p. 121, n, 2). 18, Le souci chronologique se trouve déja dans le rangement des trois sénateurs factieux. Voir le texte de patalléle de Scap. 2, 5 oit la chronologie a été inversée, 19. Cette considération nous permettra d'écarter l'identification proposée “ by a process of elimination ” par T.D. BARNES, o.c., p. 111 en note, selon qui Tertullien ferait allusion ici A 1a conspiration de 183 contre Commode, ourdie par ses parents Ummiidius Quadratus, Lucilla et Clandius Pompeianus. Outre que, de l’aveu méme de ce savant, inter duas laurus fait difficulté et reste, de fait, sans explication dans cette hypothidse, il faudra admettre que cette conspiration « sénatoriale » ne saurait constituer l’exemplum requis par le schéma que nons avons décelé. Pour les mémes raisons, on écartera la supposition de Kellner (0.c., p. 135, m. 4) qui prétend que ‘Tertullien, patlant des armati (qui) palatium irrumpunt, a di faire allusion aussi a cette agression de Claudius Pompeianus contre Commode (cf. SHA, Comm. 4, 2). 20. Cf. RE. 4 Halbb. (1896), ©. 2463-2464 ; M. DURRY, 0.0., p. 150, p. 158 et n. 4, P. 184, p. 381. Des découvertes épigraphiques récentes ont permis de mieux connaitre ses titres. Voir H.G. Prnaum, Les carriéres procuratoriennes équestres sous le Haut Empive, t. I, Paris, 1960, p. 465-472 et t. III, Paris, 1961, p. 1007-T008 ; G. Bourverr, Esclaves et affranchis impériaux sous le Hawt Empire romain, Naples, 1970, p. 33 (en note) et p. 245, : 24 RENE BRAUN i fut mis 2 mort par ordre du prince, son corps abandonné a la pro- fanation, sa téte promenée au bout d’une pique a travers la Ville®. Sur la chute de Cléandre, nous disposons principalement de deux sources, une séche et bréve notice de Dion Cassius (ou plutét de son abréviateur Xiphilin) et un récit ample, coloré, pathétique d’Hérodien®. Ces deux sources concordent sur les points principaux : survenance d’une disette & Rome ; hostilité du peuple 4 l’égard de Cléandre tenu pour responsable ; naissance d’une manifestation de masse hostile Cléandre et favorable & Commode, manifestation qui, de Rome, se dirige vers le suburbanum ott réside alors le prince ; réaction de Cléandre qui, 4 l’approche de la foule, lance contre elle ses soldats en maintenant Commode dans l’ignorance ; échauffourée meurtriare ; révélations faites A l’empereur par une dame de la cour sur ce qui se passe ; frayeur de Commode qui fait mettre A mort Cléandre et les gens de son entourage. Dans le détail des faits, il y a certes des divergences considérables entre les deux récits ; il n’entre pas dans notre propos de les relever toutes. Ce que nous retiendrons ici, ce sont les trois points sur lesquels une convergence décisive se dessine entre les indications d’Hérodien et celles de Tertullien : la trahison de Cléandre, la modalité particuliére qu'elle a revétue, 1a localisation de la scéne. L'imputation d’avoir trahi l’empereur, que suppose bien évidemment Vallusion de I'Ap., est absente de la notice de Dion-Xiphilin qui ne présente pas Cléandre comme ayant ambitionné l’empire ; et, s’appuyant sur elle, la plupart des historiens modernes ont fait du préfet du prétoire la victime d’un complot, d’une machination montés contre lui et peut-étre méme contre Commode, et non pas un traitre a son César®’, Mais Héro- dien, au contraire, avec toute la précision désirable, impute a Cléandre le crime de s’étre laissé entratner par la richesse et le luxe a désirer I’em- pire, d’avoir stocké le blé pour faire par la suite des distributions et gagner ainsi la confiance du peuple et de l’armée, d’avoir construit un gymnase et des thermes dans la méme intention®4. La méme accusation est reprise dans le discours que l’historien préte 4 Fadilla, sceur ainée de Commode, quand elle lui ouvre les yeux sur les agissements de son favori?, 2t. R.E., "4 Halbb, (1896), ¢. 2464 ; DURRY, 0.¢., p. 381. Voir surtout F. Grosso, Ea lotta politica al tempo di Commodo, Turin, 1964, p. 290-308 ; C.R. WHITTAKER, The revolt of Papirius Dionysius ad.t90, dans Historia 13, 1964, p. 348-369 ; A. BIR- MEY, Septimius Severus, Londres, 1971, p. 128-129. 22. Dion Casstus 73, 13 ; Hfropmn I, 12, 3-13, 6. Contre la critique excessive @Hérodien par E. Hohl (Kaiser Kommodus und Herodian, dans SLAW 1954, I, Berlin 1959), F. Grosso (0.c., p. 301-302) a défendu cet historien ; il reconstitue Vévénement (p. 294 s.) en s'appuyant sur Dion pour la premiére partie, sur Hérodien pour la seconde, 23. Cf, Wuirraxer, I.c., p. 350; F. CAssona, Pertinace durante il principato di Commodo, dans PP 105, 1965, p. 470-471. 24. , 12, 3 (mpdg Baothetag émOupiav) ; 12, 4. 25. I, 13,3 (KAgavépog éni of tov te Sfpov xai td otpatianKdv drdicev): Selon Dion Cassrus 73,13, 5, c’est Marcia, 1a concubine de l’empereur, qui Ini onyrit les yeux, TERTULLIEN, APOLOGETICUM 35, 8-9 25 De cette trahison, quelle a été la forme particuliére ? Tertullien, géné- ralisant un cas individuel, parle de ceux qui obsident Caesarem. On a habituellement ici traduit ce verbe par « attaquer », « agresser », « com- mettre un attentat », en oubliant que le sens exact de ce terme est « assié- ger», «investi », « bloquer », «tenir enfermé », et que c’est ce sens qu'il présente toujours chez notre auteur®®, Or, ainsi entendu, il caractérise trés précisément la forfaiture de Cléandre d’aprés ce que dit et suggére le récit d’Hérodien. Kn effet, tandis que Dion-Xiphilin se contente d'une simple incidente pour noter que « personne n'informait Commode de ce qui se passait®? », Hérodien souligne la volonté du tout puissant favori dinterdire toute communication entre l’empereur et le reste du monde : il attribue l’ignorance de Commode au fait que « Cléandre empéchait de rien lui annoncer de ce qui se passait » (I, 12, 6) ; il précise plus loin que « par peur de Ja puissance de Cléandre, personne ne voulait annoncer ce qui se passait A Commode » (I, 13, 1), De sa narration ressort l'image @’ un. César « chambré », « isolé », « séquestré » par son cubicularius maitre de l’armée, langant les equites singulares*® contre Ia foule venue délivrer son souverain de ce blocus, n’attendant que I’heure propice pour le dernier assaut qui lui donnera le tréne ; et c’est bien la méme image que Tertullien veut exprimer par la métaphore militaire du verbe obsiderc. Quant 4 la localisation de l’épisode qui marqua 1a chute de Cléandre, Dion-Xiphilin et Hérodien, s’ils sont d’accord pour le situer dans un suburbanum ov-séjournait alors Commode, ne le sont plus sur le nom de cette propriété impériale. Pour le premier, il s’agit de la Villa Quinti- liana ; ce domaine, qui avait été confisqué en 182 lors de la condamnation des deux Quintilii, se trouvait sur la Voie Appia, A cing milles de Rome?®, C’est cette donnée qui est acceptée généralement par les historiens 26. Nous ‘avons relevé les traductions suivantes : « attaquer » (WazrziNc), « nachstellen » (KELINER), ¢ eindringen » (BECKER), ¢ aggrediscono » (BUONATUTT, FRassinurt), « besiege » (Mayor), ¢ lay in ambush » (BARNES, 0.c., p. 110). Dans les dix autres passages ob Tertullien a employé ce verbe obsidere, il'signifie toujours « assiéger », qu’il s’agisse du sens propre (Iud. 7, 8) ou de valeurs plus ou moins figurées : ainsi le cité est assiégée par les chrétiens (Nat. I, 1,2 et Ap. 1, 7); les chrétiens sont assiégés par leurs persécuteurs (Nat. I, 7, 19 et Ap. 7, 4, 00 ce verbe est distingué de opprimere, Scorp. t, 11) ; le diable assiége le chirétien, 1a foi (Paen. 7, 9, Ind. 7, 6) ; la vérité, la chasteté sont assiégées (Nat. II, 1, 3 et 9, 22). Cf. TLLIX, 2, fase. 2 (1971), ¢. 219 s, (l'emploi transitif est défini : sedendo ocoupare, occupatum uel inclusum tenere). 27. Dion Casstus 73, 13, 5 : Kat pmbévog of (= Commode) ynviovtos 1d yevoyievov. 28. Cf, Higxoprey (I, 12, 6) qui désigne ‘précisément of fucthewot taneig. S'agit-il des equites singulares (DURRY, 0.¢., p. 381. 2. 4, HOWL) on de prétoriens & cheval (Grosso, La lotta, p. 297) ? Nous préférons la premiére interprétation. Voir la discussion de Whittaker dans son édition d'Hérodien, t. I, p. 79, 0. 3. 29. Dron Cassrus 73, 13, 4 : év 1@ Kuititig npoaotet. Mais n’attendrait-on pas plutét.Kuivedidve ? Sur ce suburbanum, voir T. AsuBY, La Villa. dei Quin- tii, dans Ausonia 14,1909, p. 48-88, et C, ToMAssRTTI, 0.c., t. II, Rome, 1910, P. 89-95. 26 RENE BRAUN modernes*?, Ia localisation des faits chez Hérodien, telle qu'elle est interprétée par les mémes historiens, présente il est vrai une difficulté : la fin de Cléandre est rattachée par cet auteur A I’épisode de 1a peste durant laquelle, nous dit-il, Commode se retira sur le conseil des médecins &g tiv Aabpevtovl. Ce Aabpevtov (ou Aabpevtog ?) a été compris comme étant la localité de Laurentum, sur la céte entre Ostie et Lavinium, A vingt-cing milles au sud de Rome®, Comme, aussitét aprés dans Je récit d’Hérodien, nous retrouvons Commode év xpoaoteig (I, 12, 5) lors de 1a manifestation populaire contre son préfet, et comme ce terme ne peut évidemment pas convenir 4 une localité aussi éloignée de Rome, ona accusé l’historien de négligence, de contradiction ou de contamination maladroite de sources divergentes. Or on supprimera toute incohérence dans les données de sa narration si l’on admet, a la lumiére du passage de V'Ap., qwil situait la retraite de l’empereur et, du méme coup, le blocus organisé par Cléandre dans Ja villa suburbaine inter duas lanrus de la Via Labicana, qui était peut-étre déja désignée par le nom attesté plus tardivement de fundus Laurentus (ou fundus Laurentum)®, Tl n'y a rien d’étonnant A ce qu’Hérodien, qui a vécu 4 Rome et en particulier & la cour de Commode dans ces années-l en qualité sans doute d’affranchi 30. R.E., 4 Halbb. (1896), c. 2464 ; O. Hinscnmnrp, Der Grundbesite der romis- chen Kaiser in den ersten drei Jahrhunderten, dans Klio 2, 1902, p. 70 ; HOHE, Kaiser Kommodus und Herodian, l.c., p. 20; FP. GRosso, La lotta, p. 204; WHITTAKER, édit. d’Hérodien, t. I, p. 78, n. 2. 3t. I, 12, (avec description de ce yopiov trés salubre : peyiotoig KatéoKtOV Sagvnpdpoig dAceatv). 32. Cf. O. HinscHFELD, L.c., p. 69 ; Hout, Kaiser Kommodus und Herodian, 1. p. 19 et p. Too ; F. GRoss0, La lotta, p. 251-253 ; WHITTAKER, The revolt of Papirius, Ze., p. 350-351, et édition a’ Hérodien, t. I, p. 74, 1. 1. On connait la thése hyper- critique de J. Carcorrxo (Virgile et les origines d'Ostie, Paris, 1919, p. 220-270) selon qui la mention de Laurentum par Strabon (Geogr. 5, 3, 5) devrait étre tenue pour fallacieuse. Ce savant, qui note (p. 233, m. 3) le caractére singulier de la forme féminine employée par Hérodien, pense que I’historien a en yue une villa impétiale de la région laurentine (p. 254). 33. Sur cette désignation, voir ci-dessus p, 21 et note rr. Le rapprochement du passage de I’4p. avec le passage d’Hérodien a été fort bien vu par D. Hérault dans son édition de 1'Ap. (Paris, 1613), dont Oehler (t. I, p. 245-246, note w) cite le commentaire pour le taxer ensuite d’erreur ; il est admis également par La Cerda (1641, p, 180) qui pense le renforcer par un argument tiré de l’emploi de eius dans la proposition suivante (argument, A vrai dire, non décisif, dans la mesure of Caesar, auquel renvoie eius, est senti comme un nom de fonction et nullement comme une désignation personnelle). On le retrouve dans l’édition de N. Rigault (Paris, 1634), qui le fait suivre d’un malencontrenx rapprochement avec le Loretum de l’Aventin (cf, ci-dessus 1. 7). Dans sa réédition de 1664, Le Prieur ajoute A son tour un commen- taire (Commodum imperaiorem inuuit qui e suburbanis locis ef Laureto vediens in quod secesserat inleremptus est) qui n’était pas de nature 4 éclaircir 'allusion, Plus pres de nous, J.E.B. Mayor, dans son édition (Cambridge, r9t7, p. 367) se contente de citer sans commentaire Hérodien I, 12, 2 et SHA, Comm, 17, 1-2, Dans E, Buo- NAIUTI -E, PaRatorE, Tertulliano. Apologetico, Bari, 1972, p. rot, la note 78 (« Allu- sone a ura sommossa contro Commodo, di cui ci parla Erodiano I, 12 ») manque aussi de précision et d’exactitude, TERTULLIEN, APOLOGETICUM 35, 8-9 27 impérial, ait été au courant d’une telle désignations4, Quoi qu’il en soit, plusieurs éléments deviennent plus vraisemblables dans I’histoire de cette curieuse manifestation populaire si le suburbanum en question est & une distance de trois milles (et non pas de cing milles) de Rome. Si dautre part, comme le pense F. Grosso®, les equttes singulares avaient bien un casernement au champ d’exercices attenant A la villa, on compren- dra d’autant mieux leur intervention contre la foule sur l’ordre du préfet du prétoire. Ainsi donc il conviendra, croyons-nous, de voir dans I’allusion de 'Ap. une source non négligeable pour établir l'histoire de la chute de Cléandre, ou, plus exactement, pour localiser cet épisode. Car sur J’inter- prétation politique des faits, il est bien évident que Tertullien, comme sans doute aussi Hérodien, refléte la version officielle, celle qui a été donnée par Commode pour justifier la mise A mort de son favori : on peut supposer en effet que l’empereur n’a pas manqué d’accuser son eubi- cularius de l’avoir trahi en l’enfermant aux « deux lauriers » pour le couper du peuple de Rome. Plus perspicace, plus critique, Dion-Xiphilin a pris ses distances vis-a-vis de cette coloration de I’événement ; il a laissé entendre aussi que, derrigre le peuple, il y avait quelqt'un, le préfet de lVannone Papirius Dionysius, ennemi juré de Cléandre ; et les historiens modernes ont sans doute eu raison, dans cette direction, de chercher a déméler les fils d’un complot qui s’était ourdi dans l’ombre contre le trop puissant préfet du prétoire®®, Tertullien, lui, s'en est tenu aA la « these du pouvoir », accréditée sfirement dans les milieux populaires. On ne peut douter en tout cas que le fait ait eu un large retentissement, jusque dans les provinces et en particulier en Afrique®”. Si l’expression d'Hérodien qui parle de « guerre civile » (I, 13, x) est trés exagérée, il reste que ’inter- vention des equites singulares contre la foule et les affrontements qui ont suivi entre divers corps de l’armée, ont dé étre meurtriers. La chute brutale, réalisée en I’espace d'un jour, d’un préfet du prétoire univer- sellement hai® est de ces événements qui frappent les esprits. Les antistiles Romani imperit auxquels Tertullien adresse son Ap. sept ou huit ans aprés, 34. Cf, F, Grosso, La lotta, p. 34-35 et p. 301-302 ; WarrtaKur, édit, d’Hérodien, t.I, p. XXXUL W. Wimmer, Kaiserium, Rom und Welt in Herodians Meta Markon Basileias Historia, Zurich, 1967, p. 70-74, a montré la crédibilité du témoignage d’Hérodien pour les ¢ sachliche Fragen ». Voir cependant G. ALYétDY, Herodians Person, dans Ancient Society 2, 1971, p. 204-233, qui est bien obligé de reconnaitre (p. 232) des indices d'une connaissance personnelie du Colisée et du Forum Romanum chez Hérodien, 35- F. GRosso, Lc., p. 146-147. 36. DION Cassrus 73, 13, 1-2; ef. TF. Grosso, La lola p, 290-291 (connivence de Pertinax dans le complot) ; WurrraKer, The revolt of Papivius, l.c., p. 368 Cissoxa, 1.c., p. 468 (pour qui les conjurés ont été hostiles autant a’ Pertinax qu’d Cléandre) ; A. Bruny, Septimius Severus, p. 129. 37. Sur Ja liaison entre ces événemients et le proconsulat de Pertinax en Afrique, voir G. PrcaRn, Pertinay et les prophétes de Caelestis, dans RHR 155, 1959, p. 41°52. 38. Cf. AMMTEN MARCEIIAN, Res gestae 26, 6, 8. . 28 RENE BRAUN comme tous ses lecteurs du moment, devaient en retrouver sans peine le souvenir, I! n’est donc pas étonnant que l’apologiste iui ait consacré une allusion, au méme titre qu’a I’assassinat de Commode et 4 celui de Pertinax. Mais le souci d’évoquer, pour mieux convaincre, des événements con- temporains tout & fait mémorables n’a sans doute pas été le seul motif qui I’'a guidé dans son choix d’exempla de déloyanté politique. Par cette liste noire qui va d’Avidius Cassius a la tragédie du 28 mars 193, il enten- dait aussi souligner sa volonté de loyalisme et de fidélité & l’égard de Yempereur régnant, celui qu’il appelle constantissimus principum dans une des premiéres pages de cette méme ceuvre®®, ce Septime Sévére qui s’érigea en héritier et vengeur de Pertinax et fut particuligrement dur a Y'égard de la garde prétorienne tenue pour responsable de sa mort*®, qui exigea du sénat, en 197, la réhabilitation et la consécration de Com- mode et fit livrer aux bétes son assassin Narcisse*!, qui enfin s’était proclamé lui-méme fils de Marc Auréle*. René Braun (Nice) 39. Ap, 4, 8, Sur cette attitude de Tertullien & l’égard de Septime Sévére, cf. nos observations dans REAug 24, 1978, p. 223, 1. 15. 40. CE A. BIREEY, o.c., p. 158 et p. 164. 4t.- Ibid. p. 198-199. D'aprés Dion Casstus (74, 16, 5), Septime Sévare fit livrer Narcisse aux bétes avec cette proclamation : + Voici celui qui a étranglé Commode ». 42. Ibid, p. 184 et p. 198, Le théme du baton d’Aaron dans l’ceuvre de saint Ambroi Le théme du baton d’Aaron revient fréquemment dans I’ceuvre de saint Ambroise. Aprés avoir rappelé briévement les données bibliques auxquelles se référe le docteur milanais, nous verrons le parti qu’en ont tiré avant lui les Péres des quatre premiers siécles. Puis nous étudierons la facon dont ce théme est orchestré dans ses écrits, en les passant en revue dans l'ordre chronologique, et nous constaterons que toute sa théologie du sacerdoce se retrouve ici en résumé. I. Lugs Données BIBLIQUES Immédiatement aprés la révolte de Coré, d'aprés le livre des Nombres, Je Seigneur jugea bon de confirmer de fagon éclatante !’élection d’Aaron au sacerdoce en faisant fleurir et fructifier son baton}, qui avait été déposé dans le sanctuaire en méme temps que celui des onze autres chefs de tribu®, Selon une tradition dont fait état l’épitre aux Hébreux, le baton du premier grand-prétre aurait été conservé par la suite dans Yarche d’alliance?. 1. Eu son sens premier, I'hébreu matidh a pent-étre désigné, comme le grec fa B80¢ et le latin wirga, un morceau de bois flexible (rameau, baguette). Mais par extension, ces trois mots ont également servi & désigner n'importe quelle espéce de baton (méme plus gros et rigide), en particulier les « batons de commandement », les sceptres des chefs de tribu. C’est probablement de ceux-la qu’il s’agit ici, et c’est pourquoi nous parlerons du « baton » d'Aaron, La traduction de la Bible de Jéru- salem, ¢rameau », ne convient guére : les matidt en question sont certainement assez gros, car Moise doit pouvoir y « écrire», — c'est-A-dire sans doute y graver, — les noms des chefs.de tribu. ‘ 2. Cf Num,, xvit, 1-11, 3. CE Hebr,, 1, 4. 30 ROGER GRYSON D’aprés le texte hébreu, les fruits portés par le baton d’Aaron étaient des amandes. Mais la Septante, sutivie par les anciennes versions latines, parle de « noix », et Ambroise considére toujours qu'il s’agissait d’une branche de noyer4. Le méme fait se remarque 4 propos de la tige d’amandier que Dieu désigne A Jérémie, dans un des dialogues préludant & son ministére prophétique®. Ambroise rapproche a plusieurs reprises ce passage du précédent. En fait, le noyer n'est mentionné qu’une seule fois dans l'Ecriture : dans le Cantique des Cantiques, un des amants déclare étre descendu « at jardin du noyer »®, Te méme verset du Cantique parle de grenadiers, dont le fruit, comme celui du noyer, a fait l'objet de diverses interpré- tations allégoriques chez les Péres’. II. LA TRADITION PATRISTIQUE Philon a commenté la floraison du baton d’Aaron dans son traité Sur la vie de Moise8. Tt commence par expliciter la legon qui resort du prodige : le choix d’Aaron comme grand-prétre avait Dieu pour auteur, et nul homme ne peut s'arroger, de sa propre autorité, le droit de célébrer les rites sacrés, Puis il s’étend longuement sur la signification symbolique des fruits portés par le baton miraculeux : des noix. Dans la plupart des fruits, observe-t-il, 1a partie comestible est distincte de 4. Whébreu a shegédim (amandes) la ot la Septante traduit kdpua, et les anciennes versions latines nuces. Les autres versions grecques ont traduit avec plus de précision, aybySaha, et la Vulgate amygdalas. Ambroise parle toujours de nuces et de wirga nucea on nucina, On pourrait admettre, a lz rigueur, que le traducteur de la LXX avait bien compris le terme hébren et entendait désigner des amandes par le mot xdpvov, ces dénominations botaniques n'étant pas toujours employées de fagon rigoureuse dans les anciennes versions grecques de la Bible, Mais la lecture de VHexameron montre qu’Ambroise, pour sa part, distinguait parfaitement entre aux (noix) et amygdala (amande) ; ef. Hexam., IIL, 56 et 58 (CSEL 32-1, 99, 11-15 100, 16-19). Du reste, les considérations allégoriques qu'il développe & partir de la structure de la nuv indiquent clairement qu'il a en vue Ja noix, uon I'amande. 5. fer., 1, 11-12, Hébreu : maggél shdgéd ; LXX : Buxtnpiay xupvivnv ; Theodo- tion : paBdov duvy8aAlvny ; Aquila et Symmaque : péBSov aypunvodav (en voca- lisant shdgéd, comme an y, 12) ; Vulgate : wirgam uigilantem (méme remarque). Voir & ce propos Jénomm, Comin. in Ecel., ad Eccl., x1t, § (CC 72, 355-356). 6, Cant., vt, 10, Hébren : ‘él ginnat ’égdz ; LXX : elg Kijmov Kapbag ; Vulgate : in hovtum nucum ; Ambroise : in hortum aucis. 7. Pour bien les comprendre, il importe d’avoir une idée précise de la structure de ces fruits. On peut voir par exemple les articles Amande, Amandier, Grenade, Grenadier, Noix, Noyer, dans DB I, col. 437-440 3 IIL, col, 337-342 3 IV, col. 1709 1710. On consultera également les agronomes latins, spécialement PLINE, Hist. nat., XV; 24, 4-5 (sur I'amande), XIII, 34 (sur la grenade), XV, 24, 1-3, et XXIII, 77 (sur la noix), ainsi que CorumnLin, De arboribus, 22 (sur amandier) et 23 (sur le grenadier), 8. Vit. Mos., IL, 174-186 (CW IV, 240, 15 - 243, 20). LE «BATON D'AARON» D'APRES AMBROISE 3r la graine ; dans la noix, au contraire, la semence et la chair sont une seule et méme chose. Il note, en outre, que la partie intérieure de la noix est protégée par une écale épaisse et par une coque dure comme du bois. Ces deux particularités font de ce fruit le symbole de la vertu parfaite. De méme que dans la noix, en effet, 12 méme chose est A la fois principe et fin, — la chair est & 1a fois semence et fruit achevé, — de méme chaque vertu est en méme temps principe et fin : principe, parce qu'elle croft sous l'impulsion de son propre dynamisme interne, et non d'un dynamisme extérieur a elle ; fin, parce qu'une vie conforme A la nature conduit nécessairement a l’accomplissement de la personne humaine. D’autre part, de méme que la chair savoureuse de la noix, enfermée a l'intérieur d'une écale amére et d’ume coque dure, est d’accés difficile, de méme Ja vertu, qui constitue le bien supréme de f’Ame, ne s'acquiert qu’au prix de luttes longues et pénibles et sera refusée a ceux qui rechignent devant l’effort nécessaire pour y accéder, Clément de Rome donne une version circonstanciée de I’événement en question, qui ne coincide pas exactement avec le récit biblique et fait état, en particulier, de précautions spéciales qui auraient été prises par Moise, — les douze batons mis sous scellés, ainsi que la ‘ente, — pour qu’aucune fraude ne soit possible, et que le miracle soit indiscutable®. Leuseignement qui se dégage de cette histoire, dans l’intention de Vauteur, est clair : l’élection au sacerdoce est le fait de Dieu Iui-méme, et le peuple n’a pas autorité pour a remettre en question. Justin se borne A rappeler en trois mots le prodige qui confirma le choix d’Aaron comme grand-prétre!, C’est pour lui une des nombreuses merveilles qui ont été opérées grace au bois sous 1’Ancien ‘Testament, et qui prédestinaient cet élément a devenir l'instrument de la mort rédemptrice du Christ. Le commentaire d’Origéne sur la floraison du baton d’ Aaron se trouve dans sa neuviéme homélie sur les Nombres!!, L’auteur commence par rappeler, en citant I Cor., 1v, 2t, que le béton est un insigne d’autorité. Puis il fait voir dans le baton d’Aaron une figure de la croix du Chris! Je grand-prétre’ véritable, dont les fruits sont constitués par l’ensemble des croyants. Mais il ne s’étend pas sur ces deux points et passe immédiate- ment au symbolisme de la noix. Les trois parties de celles-ci évoquent pour lui les différentes lectures possibles de l’Ancien Testament. L’écale amére est a rejeter, comme la lettre de la Loi. La coque signifie la doctrine morale de !’Ecriture, I’ascése qui demeure indispensable tant que nous vivons dans ce corps sujet 4 la corruption et aux passions, mais qui deviendra inutile quand cette enveloppe se sera brisée et dissoute et 9. I Cor., xii (FUNK-Braiamyu, p, 58). Sur ce texte, voir A. JaunmRT, Thémes lévitiques dans ta + Prima Clementis », dans Vigiliae Christianae, 18 (1964), p. 199-200. to, Dial., xXXXvi, 4 (GooDSrrED, p. 199) : « "PaB80g v Aupav BAaotdy Ko- nicaou dpyiepéa udtdv ansdette », 11, Hom, in Num., IX, 7-9 (GCS 30, 63-67). 32 ROGER GRYSON quielle sera devenue, par la résurrection, incorruptible et spirituelle. La chair, enfin, enfermée et cachée au coeur du fruit, c'est «le sens des miystéres de la sagesse et de la science de Dieu, qui restaure et nourrit les Ames des saints, non seulement dans la vie présente, mais aussi dans la vie future », Origéne rappelle, en passant, que le baton de Jérémie était également de noyer et que, d’aprés le Cantique, la bien-aimée allait se promener «au jardin des noyers ». Pour terminer, il épilogue sur le fait que le baton miraculeux a produit successivement des bourgeons, des feuilles, des fleurs et des fruits. Il y trouve un signe de la générosité surabondante dont Dieu fait preuve dans l’accomplissement de ses promesses, ainsi qu’une figure des quatre ages de la vie spirituelle. Le maitre d’Alexandrie pouvait également trouver l'occasion de parler du baton d’Aaron en décrivant le mobilier du sanctuaire, du moins s'il se sotivenait de la tradition rapportée par l’épitre aux Hébreux, selon laquelle ce baton avait été conservé dans le Saint des Saints. En fait, il n’en dit rien dans les homélies sur les Nombres qui traitent de ce sujet!®, et il y fait seulement une bréve allusion dans la neuviéme homélie sur 1’Exode. Il se borne 4 déclarer, 4 cet endroit, que le baton d’ Aaron signifie «Yenseignement sacerdotal et l’austérité fleurie de l’ascése », que l’Ame doit avoir en elle, si elle veut devenir un sanctuaire de Dieu!. Enfin, il faut signaler un fragment du commentaire d’Origéne sur le Cantique que nous a conservé Procope!4. L’auteur, expliquant la phrase « Au jardin du noyer, je suis descendue voir a la naissance du torrent... », découvre dans la double enveloppe, amére et dure, qui renferme le fruit du noyer le symbole des tentations auxquelles le juste est en butte. Ces tentations sont également figurées par le torrent, conformément a la parole du psalmiste : « Notre dame a franchi le torrent »15, A tout cela, les Péres du ive sidcle n’ajouteront pas grand’chose de neuf. Hilaire de Poitiers voit dans le baton un insigne d’autoritél® et un symbole des paroles sévéres qui sont parfois nécessaires pour maintenir les auditeurs dans le droit chemin!’, Grégoire de Nysse applique a la vie sacerdotale une interprétation moralisante de la structure de la noix!8. 12. Cf. Hom. in Num., V, 1 et 3; X, 3. 13. Hom, in Exod., IX, 4 (GCS 20, 242) : « Sit et uirga Aaron intra eum, doctrina sacerdotalis et florida seueritas disciplinae ». 14. In Cant. eve.*procop., ad Cant., vt, 10 (PG 13, 209): « Eig xfinov Kapiag xaréBnv... Kara te napdderma of Sixaior xapiat eici, épovtes xapnov 81d thy npds Oxdv Gepanslay teputixdy, Sid tO EpKos Exew nepi adré, 6 pévtor mKpdv kai ~oA@Bec, Etepov Bé te oxAnpdv. “Ev toic Be mepiéyetat 4 too dikaiov Kaprds, Bid 18 mKpsv Kai GKANPOY TOV meIpacLdV. “ALAA Kal xeIGAPOVG 6 mEIpacHds LE- Yowto, Katd TO yeIéppovv SiAAGev H yoxt, HuoV » 15. Ps, CXXU, 5. 16. Tract. in ps. CxxIv, 7 (CSEL 22, 602-603) : « In uirga potestatem intelligi counenit ; insigne enim potestatis est. Virgam accepit Moyses, qua posset omutia ; fuit et nirga Aaron, Sed fuit et uirga Pharaonis, fuit et uirga Nabuchodonosor ». 17, Tract. in ps. 11, 35-37 (CSEL 22, 64-65) ; avec citation de J Cor., 1v, 21. 18, Ihistoire du baton d’Aaron est racontée dans la Vie de Motse, I, 70-71 LE «BATON D'AARON » D'APRES AMBROISE 33. III. Lus écrrrs p’AMBROISE De wirginibus, I, 2 Dans la préface de son premier ouvrage, le De uirginibus, V’évéque de Milan multiplie les protestations d’humilité, S'il se risque & prendre la plume, en dépit de la médiocre estime en laquelle il se tient, c'est parce que rien n’est impossible 4 la miséricordieuse bonté de Dieu. Celui qui a su faire parler l’4nesse de Balaam!®, dit-il, saura bien remédier & Vinhabileté de ses porte-parole humains. Puis il renchérit : Dans V’arche de l’Ancien Testament, le béton du prétre a fleuri; c’est chose aisée, pour Dieu, que de faire produire également une fleur, dans la sainte Eglise, & ce bois noueux que nous sommes*?, Et comment désespérer que Dieu puisse parler par des hommes, continue Ambroise, alors qu'il a fait entendre sa voix dans un buisson rempli d’épines?! ? Dans ce contexte, la floraison miraculeuse du baton d’Aaron apparatt au docteur milanais comme un signe de la toute-puissance de Dieu. Il ne doute pas que celle-ci sera capable de pallier l'absence de dons naturels chez un prétre de son Eglise, tout comme elle a su faire bour- geonner le baton du grand-prétre, au mépris des lois de la nature, dans le sanctuaire de !’Ancien ‘'estament. De Iacob, IT, 19 Le livre de la Genése, au chapitre xxx, explique comment Jacob, durant son séjour en Mésopotamie, parvint a s’enrichir aux dépens de son beau-pére Laban, en obtenant de lui que, dans son troupeau, toute chévre A la robe tachetée lui reviendrait, de méme que tous les moutons noirs, et en usant ensuite d’un artifice pour multiplier les bétes de la couleur voulue. Cet artifice consistait 4 mettre sous les yeux des chévres, at’ moment oi elles s’accouplaient, des baguettes fraiches de peuplier, d’amandier et de platane qu'il avait partiellement écorcées, de maniére 4 leur donner un aspect tacheté, et, pour les moutons, 4 veiller que leur regard se porte sur des animaux noirs au moment de Yaccouplement ; il n’en usait que vis-d-vis des bétes.robustes, afin de s’assurer un bétail de qualité®. (Dannizou, SC 1 bis, p. 28-29) et expliqnée ibid. II, 284-286 (p. 122-123). Le symbolisme de la noix interfére avec celui de la grenade ; ef. II, 192-193 (p. 93-94)- 19. Ch. Num., xxrt, 22-35. 20. Virg., I, 2 (CaZzantca, p. 2). a1. Cf, Exod., m1, 1-6, 22. Ch. Gen., XXX, 25-43. 34 ROGER GRYSON Cette histoire, dont nous ne donnons ici que les grandes lignes, est racontée de facon fort confuse, surtout dans la Septante et les anciennes versions latines, et saint Jéréme ne connaissait aucun exégéte catholique qui en efit tiré le sens au clair®*, Cela ne les avait pas empéchés, cependant, de spéculer abondamment & ce propos. Justin fait mention des batons utilisés par Jacob dans un florilége de textes vétéro-testamentaires sur le bois*4, Aux yeux d’Irénée, les brebis de couleur variée qui deviennent le salaire de Jacob préfigurent le salaire du Christ, c’est-d-dire les hommes de toutes les nations que la foi aggrégera en un seul troupeau®®, Clément d@’Alexandrie, qui voit également une figure du Christ en Jacob, présente le « baton de storax » comme un sceptre royal et, avec la méme arriére- pensée que Justin, — le bois de la croix —, reléve le fait que, par le bois, la nature a été « changée en mieux »°*, Pour Origéne comme pour Irénée, les brebis de I’histoire annoncent ceux d’entre les nations qui, par la foi, adhérent au Verbe de Dieu ; en Jes prenant sous son gouverne- ment, celui-ci purifie et ennoblit les meurs et les coutumes les plus variées?”, L/interprétation qu’Ambroise propose de ce passage dans le De Iacob s‘inscrit dans la ligne générale de cette tradition exégétique. Il fait preuve d’originalité, cependant, lorsqu’il voit dans les trois essences d’arbre dont Jacob fait usage, — le storax, le noyer et le platane*® —, une préfiguration du mystére de la Trinité. Le storax évoque pour lui «Vencens et le sacrifice du soir qui est offert & Dieu le Pére dans le psaume »®°, Concernant le noyer, voici ce qu'il déclare : 23. CE. Hebr. quaest. in Gen., ad Gen., XXX, 32-33 (CC 72, 37): « Multum apud LXX interpretes confusus est sensus, et usque in praesentem diem nullum potui inuenire nostrorum, qui ad liquidum quid in hoe loco diceretur exponeret », 24. Dial., UXXXvt, 2 (GOODSPEED, p. 199): « PGBSoug Pardv "laxdB sig tag Anvods 2Gv b8dtaV syKicofoal ta mpbBata tod untpAdEAgoD, Iva ta yevvaneva gE abtav xthontal, énérvzev>. Sur le contexte, voir P. PRIGENT, Saint Justin et VAncien Testa- ment, Paris, 1964, p. 194-202 25, Adv. haer., IV, 21, 3 (SC 100, 682) : « Variae ones, quae fiebant huic Iacob merces : et Christi merces, qui ex uariis et differentibus gentibus in unum cohortem fidei conuenientes fiunt homines ». 26, Paed., II, 10, 50 (GCS 12, 265): «"laxdB 8é énoipawvey 14 npoPata AGfay ta dmodswOévta, onHeiov Exov BactAiKdy A4BSov ctupaKivny, évadAdectew pErerv B14 tod Eddov éxl 16 Béltiov thy gow » 27. Contr. Cals., IV, 43 (SC 136, 296): «Ta norxida 8Ovn énlonpa yivopeva tO XOr@ tO Ged roditederat, Sobévra KTIOLG tH tpomIKaig KahovHEVO “laKdB. "And yap tHv BOvav of sic aitév moteiovres éSndobvro Sa tv dvarerpanyevov nepi AGBav Kai “Jao » 28. L'hébren parle de peuplier, d’amandier et de platane, Mais, comme saint JérOme Vavait déja remarqué (Hebr. quaesi. in Gen., 1.c.), la LXX a manqué de précision ici et, en particulier, elle parle de noyer (kapvivny) au lien d’amandier. Symmaque traduit correctement (4vySaAtvny), de méme que la Vulgate (amygdali- nas). 2g. Cf, Ps. CXL, 2. LE «BATON D'AARON » D'APRES AMBROISE 35 Par le baton de noyer, un présent saccrdotal est offert au Christ ; c'est en effet Je baton d’Aaron qui, déposé 4 l’écart, a fleuri; par lui, la grace sacerdotale de la sanctification s'est manifestéc**. Quant au platane, il y trouve une allusion 4 l'Esprit-Saint ; de méme, explique-t-l, que l’on « marie » la vigne au platane, pour qu’elle produise des fruits abondants*!, de méme c'est la grace de l’Esprit-Saint qui veille en nous sur les fruits de la passion du Seigneur. Il est difficile de saisir ce que l’évéque de Milan veut dire en écrivant que « par le baton de noyer, un présent sacerdotal est offert au Christ », L’un des deux manuscrits les plus importants et les plus anciens du De Iacob, l'Audomaropolitanus 72, a laissé un blanc devant Christo. Nous avons l'impression que plusieurs mots ont dai tomber. L’inter- prétation que J. Lécuyer propose de ce passage nous parait suppléer de fagon gratuite a l'inintelligibilité du texte. Nous nous bornerons done & noter que pour saint Ambroise, le baton d’Aaron symbolise la grace du sacerdoce (sacerdolalis gratia), qui est une grace de sancti- fication, Nous verrons plusieurs fois cette formule revenir par la suite et nous en comprendrons alors mieux la portée. De Isaac uel anima, 64 Dans le De Isaac, Ambroise présente le mariage du patriarche et de Rebecca comme une allégorie de l'union du Christ avec I’Eglise ou avec les Ames chrétiennes. Il retrouve cette allégorie dans le Cantique des Cantiques, qui est abondamment cité tout au long de l’ouvrage. Voici comment il explique la scéne du «jardin du noyer » : ‘Tandis que l’époux fait son éloge, I’épouse s’éloigne, rongissant des louanges prononeées en sa présence. Mais ensuite, l'amour de son époux la fait revenir ct elle déclare : « Au jardin du noyer, je suis descendue voir A la naissance du torrent »®*, Ot est ’Hglise, en effet, sion 1 of le baton fleurit, et la grace dn sacerdoce ? C’est 1a qu’elle est souvent, afin d’étre éprouvée dans les amer- tumes et les tentatious. Par le noyet, nous comprenons les amertumes ; par le torrent, les tentations, mais supportables malgré tout, car il est écrit : « Notre Ame a franchi le torrent »%, Fille descend donc au lien d’amertume, 12 oft flen- rissent la vigne et les grenadiers**, dont le fruit aux graines nombreuses ct & 30. Lac., IL, 19 (CSEL 32-2, 42) : « Per nucinam uirgam sacerdotale Christo munus offertur ; haee enim uirga Aaron, quae regosita floruit, qua sacerdotalis gratia sanctificationis emicuit ». 31. Sur ces « mariages » entre la vigue et différentes espéces d’arbres, voir Cor , De arbovibus, 16, 32, Le sacerdoce chrétion selon saint Ambroise, dans Revue del Université @'Ottawa, 22 (1952), sect. spéc., p. 116. + 33.°Cant,, VI, 10. ‘ 34. Ps. c 35. CE. Cant, v4, 10, 36 ROGER GRYSON Vaspect varié est protégé par la foi et la charité, comme par une enveloppe @un seul tenant qui en reiferme le corps tout entier"*. L’épouse qui se proméne « au jardin du noyer » figure a la fois I'iglise prise comme un tout et chacune des Ames qui la composent. Les détails du texte entrent aisément dans le cadre de cette interprétation. Od est I’Riglise, en effet, sinon 14 of fleurit la grace du sacerdoce, symbolisée par l’arbre dont provenait le baton d’Aaron ? L’écale amére de la noix évoque, d’autre part, les épreuves auxquelles 1'Figlise est soumise ici- bas ; de méme le torrent, symbole des tentations, par référence au psaume CXXIII. Quant au fruit des grenadiers, dont il est question également dans le texte du Cantique, ses graines nombreuses et d’aspect varié repré- sentent soit les différentes catégories de fidéles®’, soit les multiples vertus de 1’Ame chrétienne ; le principe de cohésion de ces deux ensembles, analogue al’ enveloppe qui renferme les graines de la grenade, est la foi et la charité, De Ioseph, 46 En commentant le second voyage des fils de Jacob en Egypte, pendant la grande famine®*, Ambroise fait voir en Benjamin la figure de saint Paul®?, Les présents que le jeune homme emporte avec lui pour les offrir 4 Joseph — résine, miel, encens, casse, myrrhe, yetse, noix et double somme d'argent —, évoquent pour lui, dans cette perspective, la prédication de l’Apétre des Gentils. A la fagon d’une résine spirituelle*’, explique-t-il, la parole apostolique agcége ensemble les pierres vivantes dont est batie l’Eglise, et A l'instar du miel, elle s’avére capable de guérir en douceur les maladies de 1'dme, sans qu'il faille recourir 4 l'amputation. Pour ce qui est de l’encens, de la casse et de la myrrhe“!, ces aromates 36. Is, anima, 64 (CSEL 32-1, 687). 37. CE. Ob. Val., 7 (CSEL 73, 333). 38. Gen., xian, 11-24. 39. Que Benjamin soit une figure de saint Paul est uit liew commun de l'exégése patristique. La justification s’en trouve évidemment dans le fait que lapétre appartenait & la tribu de Benjamin (cf. Rom., x1, 1; Phil., un, 5), L'idée est trés ancienne, puisqu’on la rencontre déja dans une recension chrétienne des ‘Testaments des douze patriarches (Test. Benj., x1). Bile est & la base du commentaire d'Hippo- lyte sur les bénédictions de Benjamin par Jacob et par Moise, 40. L’hébren a sarf, ce qui signifie proprement « baume s (grec éxoBdAcapov, latin opobalsamum) ; mais la Septante a traduit priv, et lea versions latines, a sa suite, resina. 4t. L’hébren parle seulement de denx sortes d'aromates, neh’ét et lot, Le premier terme est traduit par la Septante Oupiapa, d’oh iucensum dans notre texte ; mais cette traduction n'est sans doute pas tout a fait exacte, comme l’observe saint Jéréme (Hebr. quacst, in Gen., ad Gen., sur, 11, CC 72, 48); Aquila et Symmaque ont otdpat, ume autre version grecque AdBavov, et la Vulgate storay, Le mot Iét désigne proprement la gomme du ciste, le ladanum ; mais il a été traduit otaxth pat la Septante et stacte par les versions latines subséquentes, y compris la Vulgate ; gutta (myrrhe), employé par Ambroise, est pratiquement syuonyme de stacte. Il LE «BATON D'AARON » D'APRES AMBROISE 37 sont interprétés comme symbolisant le premier Ja priére#, ct les deux autres l’ensevelissement*?; or, I’objet central du message paulinien n’est-il pas la passion et la mort du Sauveur ? Restent & mettre en relation avec la prédication de l’Apétre les trois derniers présents de la liste, lyeuse!4, les noix#® et la double somme d'argent’. Saint Ambroise n’est pas embarrassé pour si peu : Lyeuse toujours verte, et les noix, dont la coque est dute, mais le fruit tendre, — ce nest pas sans raison que la verge sacerdotale d’Aaron était de noyer, et le baton de Jérémie de méme, — ainsi qne la double somme d'argent, qui douterait que ces présents ne sont pas choisis au hasard ? La vie du patriarche, en effet, et la parole de Apétre ne demeurent-elles pas dans le eceur de chacun comme wn arbre toujours vert ? Et la parole des saints ne brille-t-elle pas, comune l’argent purifié par le feu, de l’éclat des préceptes du salut*? ? nest pas question de « casse » dans I’hébreu, ni dans les versions ; la mention de cet atomate dans notre texte est sans doute entratnée par la citation du Ps. XLIV, 9. o& guita et casia sont étroitement associées. 42. Liew commun de Vallégorie chrétienne ; ef. Ps, CXL, 2, et Apoc., v, 8, VI, 9, VI, 2, etc, 43. La myrrhe est fréquemment interprétée par les Péres comme un symbole de la mort et de l'ensevelissement du Sauvenr, en particulier dans es commen- taires de Ps. XLIV, 9 (p. ex. Basie pe Crisantn, Hom, in ps. XLIV, ad v. 9, PG 29, 405-408), de Cant., I, 12 (p. ex. THfopoRnT px CvR, Comm. in Cant., ad Cant, 1, 12, PG 81, 81) et de Maith., 11, tr (p. ex. Inistn De Lyon, Adv. haer., TIL, 9, 2 [SC 211, 106], Basta: DE CésaRtn, In sanctam Christi generationem, 6 (PG 31, 1472), AMMROISE Di MIEAN, Exp, Luc., 1, 44 [CC 14, 5], LHON Ln GRAND, Sermo 1V de Epiph., 3 [PL 54. 246-247], etc.). Certains Péres, cependant, voient dans la myrrhe comme dans Vencens une allusion a la divinité du Christ, p. ex. [RAN Curvsostomn, In Math, hom. VILL, 1 (PG 57, 83). 44. La Septante ct les versions latines ne parlent pas de I'yeuse (chéne vert, ilex), mais de térébinthe (espace résineuse, lat. ferebinthus, gr. tepéuivdog). Dans le texte hébreu, il est question de pistaches (sorte de noix allongée, bdtenim), ce qui donne un sens plus satisfaisant. 45. Hébr, : shegédtm ; LXX : eépva ; Aquila et Symmaque : dubySaAa ; Vulgate : amygdalae ; anciennes versions latines et Ambroise : nuces. 46. L’hébreu Rasép mishendh signifie «une deuxitme somme d’argent » plutét que «une double somme d’argent », mais c'est dans ce sens que la Septante et, A sa suite, les versions latines ont compris l’expression (td dpyiplov dicabv, pecu- niam duplicem). 47. Ios., 46 (CSEL 32-2, 105, 7-13). Voici l'ensemble du texte sur les présents de Benjaiin, tel qu'il apparait dans 'édition de Schenk! : « (104, 20) ... Aduenit (21) portans secum resinam, qua lapides matmorum conectuntur, (22) eo quod prae- dicatione propria tamquam spiritali resina uiuos (23) lapides etiam iste conecteret : portans etiam mel, quo noxia (24) uulneris interius exeduntur sine acerbitate aliqua sectionis. (105, 1) Talis enim Pauli praedicatio, ut putrem aboleret adfec- tum (2) conruptumque euacuaret umorem disputationis suae aculeo, urere (3) magis aegra mentis wiscera cupiens quam secare, Incensum (4) orationis et casiam et guttam sepulturae insignia esse Dauid (5) propheta nos docuit dicens : ‘Murra et gutta et casia a (6) uestimentis tuis '. Venit enim Paulus crucem Domini (7) praedi- Care, ilicem semper uirentem et nuces, quarum testa durior, (8) fructus tenerior -— meritoque nirga sacerdotalis Aaron nucina (9) et Hieremiae baculum huiusmodi—, argentum quoque duplex. (10) Non otiosa munera esse quis dubitet, cum et patrigrchae uita (11) et apostoli sermo semper uirescat in pectorjhys singworum 38 ROGER GRYSON L’auteur voit méme dans cette « double somme d’argent » une allusion anticipée A ce passage de la premitre épitre 4 Timothée dans lequel saint Paul prescrit d’accorder une double rémunération aux presbytres qui se dévouent au ministére de la parole‘, Ainsi qu’on I'aura remarqué, Ambroise escamote les noix quand il indique le sens symbolique des derniers cadeaux. Il se contente de faire observer que si la coque en est dure, la chair en est tendre, et que le baton d’Aaron, tout comme celui de Jérémie, était en bois de noyer. Ce présent, tout comme les autres, n'a pas été choisi au hasard, note-t-il ; mais la signification allégorique ne nous en sera pleinement révélée que dans les écrits ultérieurs du docteur milanais. Epistula XLI, 2-4 Dans cette lettre, Ambroise rapporte & sa sceur Marcelline le discours quil a tenu & Théodose, le jour ou il contraignit ’empereur a annuler les mesures prises contre les chrétiens qui avaient incendié la synagogue de Callinicum. C’est le début de ce discours qui nous intéresse ici : Ui est écrit dans le livre du prophéte : « Prends-toi un baton de noyer »*#, et nous devons examiner pourquoi le Seigneur a dit cela au prophéte. Cela n’est pas écrit sans raison, en effet, puisque nous lisons aussi dans le Pentateuque que le baton de noyer du prétre Aaron, aprés avoir été longtemps déposé a Vécart, a fleuri, En parlant de baton, il semble vouloir signifier que la parole autorisée du prophéte on du prétre doit aller droit au but#, en ne cherchant (x2) et eloquium sanctorum sient argentum igne examinatum (13) praecepti salubris fulgore resplendeat ? Nec inmerito duplex (14) argentum referint, in quibus Pauli praefigurabatur aduentus, qui (15) laborantes presbyteros in uerbo atque doctrina uplici honore (16) donabat ». Il nous semble que ce texte est mal ponctué A partir de la p. tos, 1. 3. Une lecture attentive montre, pensons-nous, qu'il faut un point aprés praedicare (p. 105, |. 7), et non aprés uestimentis tuis (1, 6), ot un point-virgule suffit, ni aprés duplex (1. 9), ot aucune ponctnation ne doit figurer. D’une part, en effet, la proclamation par saint Paul du mystére de la Croix est & mettre en relation (enim) avec la myrthe, symbole de lensevelissement, et d'autre part, ilicem et nuces ont la méme fonction grammaticale que argentum (quoque), & savoir sujet de esse. La signification allégorique de ces trois présents est indiquée conjointe- ment dans la subordonnée qui suit. En ponctuant comme les éditeurs, on ne saurait aboutir ni & une construction grammaticale, ni & un sens satisfaisants. Lear méprise s'explique par l'assimilation fréquente de la croix a I'yense toujours verte dans Vexégise des Péres ; mais ce n’est pas le cas ici. 48. Ch. I Tim, v, 17. 49. Ter., 1, 11. Cette forme du texte, qui se retrouve dans Apol. alt, 50 (voir plus loin), est singuliére. D'apras le Bible, Dieu demande & Jérémie ce qu'il voit, et le prophéte répond : ¢ Une branche d’amandier », La forme citée par Ambroise ne se rencontre dans aucune version grecque ou latine, 2 uotre connaissance, bien qu'il se référe apparemment a wue lecture liturgique. Peut-étre s’agit-l d’une variante harmonisante ; cf, Num., xvit, 2 (17) (Septante). 50. Je conjecture qu'il faut lire prophetica plutot que prophetia, comme dans Migne ; cf. Off, IIL, 89 (KrarycEr, p. 206), Pour le sens de auctoritas, voir T. G. Ric, Auciorijas bei Tertullian, Cyprian ynd Ambrosiys (Cassiciacum, 29), LE «BATON D'AARON » D'APRES AMBROISE 39 pas tant & prodiguer des conseils agréables que des couscils utiles. Ft si le prophete regoit l'ordre de prendre un baton de noyer, c'est parce que le produit de l'arbre en question, dont Venrveloppe est amére, et la coque dure, renferme un frnit A P'intérienr. A son image, le prophéte aussi doit proférer des paroles dures et amnéres et ne pas craindre d’annoncer des choses tristes. De méme également le prétre : son enseignement pourra sans doute, pendant un temps, paraitre amer A certains et, comme le baton d’Aarou, demeurer longtemps oublié dans les oreilles de ceux qui n'y prennent point garde ; il n’en fleurit pas moins un jour, alors qu’on le croit desséché, C’est pourquoi l’Apétre dit d’autre part : « Que voulez-vous ? Que je vienne 4 vous avec un biton, ou bien avec charité et en esprit de douceur ? »", Il parle d’abord, en effet, de baton et frappe comme avec tm baton de noyer ccux qui s'égarent, pour les consoler ensuite en esprit de douceur. Ainsi, celui que le baton a privé des sacrements célestes, Ja donceur lui en rouvre l’accés, A son disciple également, il donne des instruc- tions analogues : « Réfute, exhorte, menace », Deux choses dures, une done ; mais si elles sont dures, c’est encore en vue d’adoucir. De méme, en effet, qu’aux corps sonffrant d'un excés de bile, une nourriture on une boisson amére paraissent douces, tandis que des aliments doux leur sont amers, de méme quand Vame est malade, le souffle tiéde d’une aimable flatterie aggrave son état, alors qwan contraire, I'amertume d’une réprimande procure w1 soulagement*?, Le point de départ de ce développement est un passage de Jérémie (1, 11-12), qui venait d’étre In®4, Ambroise rapproche d’emblée le baton de noyer du prophate de celui du prétre Aaron. I! exploite ici successive- ment et, dans une certaine mesure, concurremment plusieurs symbolismes afférents A ces batons. La rectitude en signifie que le prophéte et le prétre, dans leur enseignement, ne doivent pas biaiser, ni chercher a ménager leurs auditeurs. L’écale amére et la coque dure des noix signi- fient qu’ils ne doivent pas craindre de dire des choses désagréables, si cela est nécessaire au bien de ceux qui les écoutent. La floraison tardive et inespérée du baton d’Aaron signifie que la parole du prétre, aprés avoir paru longtemps sans effet, peut parfois porter des fruits tardifs et ines- pérés, Le baton est, enfin, symbole de correction sévére et de chatiment ; il évoque, en particulier, l'excommunication dont le pécheur est l'objet pendant la durée de la pénitence publique®, Wiirzburg, 1975, p. 212-213. Le symbolisme de la rectitude de la sirga est exploité également, en un autre seus, dans Exh, wirg., 31 (PL 16, 360). Mais, contrairement Ace qui est indiqué dans Migne et dans lédition de M. Salvati (Sant'Ambrogio. Scritti sulla verginitt, Corona Patrum Salesiana, ser. lat., 6. Turin, 1955, P. 432), le texte qu’Ambroise a en yue A cet endroit n'est pas Num., xvu, $, mais [s., XI, 1. Ti ne s’agit pas 1a du baton d’Aaron, mais de 1a tige de Jessé, en laquelle la tradi- tion exégétiqne clirétienne a reconnn une figure de Marie. 51. I Cor., Ww, 21. 52. I Tim, w, 2. 53. Ep. XUI, 2-4 (PL 16, 1161), Ce texte n’est pas sans rappeler Vexorde de Ia premidre homélie sur les Rois d’Origene (Hom. in Reg., 1, 1; PG 12, 995-997). 54. Ch. ibid, 5. 55. Voir Ambroise de Milan. La pénitence, iatt, R, GRvgON (SC 179), Paris, 1971, Ps 35°37. fae ROGER GRYSON De wirginitate, 98 Comme beaucoup d’autres écrits ambrosiens, le De wirginitate n’est pas un ouvrage d’une seule venue. Ambroise y a enchainé, sans toujours parvenir 4 masquer les transitions, des piéces visiblement hétérogénes. Les nombreuses citations du Cantique des Cantiques dont il est parsemé, lui conférent néanmoins une apparence d’unité. L’auteur évoque notam- ment la scéne qui se situe « au jardin du noyer »: Le Verbe de Dieu est convié «au jardin du noyer »', oft se trouve Je frnit dont parle un texte prophétique’’, et la grace du sacerdoce. Celle-ci est amare dans les moments d’épreuve, dure dans Jes moments de fatigue, mais féconde en yertus intérieures. C'est pourquoi également le baton d’Aaron, qui était de noyer, a fleuri, non par I'effet de sa nature, mais par celui d’une puissance cachée**, La mention du noyer dans le texte du Cantique évoque par association d'idées le baton de noyer dont il est question au début du livre de Jérémie. Comme dans le sermon adressé 4 Théodose, l’évéque de Milan rapproche aussitét celui-ci du baton d’Aaron, dans lequel il reconnaft 4 nouveau un symbole de la grace du sacerdoce. L’écale de la noix est amére, et Ja coque en est dure, a l'image des épreuves qu’implique l’exercice du ministére sacerdotal. Ces enveloppes renferment néanmoins un fruit savoureux, tout comme les aspects pénibles de la vie du prétre. Ambroise souligne également que la fécondité du baton d’Aaron ne lui vient pas de sa nature, mais de la puissance cachée de Dieu. Cette idée rappelle la préface du De uirginibus, Apologia Dauid altera, 50 Dans l’Apologia Dauid altera, ot l'on a proposé récemment de recon- naitre le compte-rendu tachygraphié de sermons prononcés par Ambroise devant des évéques gaulois réunis 4 Milan en septembre 3905°, Ambroise veut dévoiler a ses auditeurs les « mystéres » cachés dans I’histoire de David et de Bethsabée. Il leur rappelle qu’ils ne doivent pas s’arréter a la lettre de !’Kcriture, mais chercher 4 en pénétrer le sens spirituel. Cest ce qui a été dit au prophete : « Prends-toi un baton de noyer »**; et il est question encore dans un autre texte d’un baton de noyer*!. Par la, nous 56. Cant, vt, 10 (x1). 57. Cf. Jer., 1, 11. Tel est bien le sens, et non pas ¢ le fruit de la lecture des _pro- phetes », ainsi qu’ont compris plusteurs traducteurs ; cf. Ep. XLI, 5; Fid., V, Exc. fr., 1, 132; Virgt., 112, ete. . 58. Vivgt., 98 (CAZzANIGA, p. 45). 59. Voir F, C1aus, La datation de I's Apologia prophetae David's et de I'« Apologia David altera ». Deux couvves authentiques de saint Ambroise, dans Ambrosius lepis- copus, t, TI (Studia patristica Mediolanensia, 7), Milan, 1976, p. 168-193. 60, Ter., 1, 11. 61. Ci. Num., xvit, 8, LE «BATON D'AARON » D'APRES AMBROISE 40 comprenons quelle est en quelque sorte la ragle de la prophétie et sa pointe : comme la noix, elle est amare A I'extérieur, dans l'enveloppe ; elle est dure au milien, & cause de la coque ; mais A V'intérieur, elle est tendre et remplie de fruit, Par conséquent, méme si vous entendez dans le sens historique des choses améres et si vous apprenez dans le sens figuratif des choses dures, comptez néanmoins que vous trouverez du frait dans le sens mystérieux", Le symbolisme qu’Ambroise découvre dans la noix est ici tout autre que dans les textes précédents. Il fait état du baton de Jérémie et d’un autre baton de noyer, qui est évidemment celui d’Aaron; mais il lui importe peu dans ce contexte que ce baton ait été celui d’un prétre. La structure de la noix évoque ici pour tui le triple sens des Ecritures vétéro-testamentaires®?, De sacramentis, IV, 1-3 Dans sa quatriéme catéchése mystagogique, Ambroise en est arrivé & ce moment de la liturgie baptismale oi les néophytes, aprés les rites baptismaux proprement dits, sont introduits dans le sanctuaire. Avant d’expliquer Ja portée de cette cérémonie, il revient un instant A ce qui l’a précédée : Dans I’Ancien Testament, les prétres avaient coutume d’entrer souvent dans Ja premiére tente ; dans la seconde tente, le grand-prétre entrait une seule fois par an. C'est évidemment cela que l'apdtre Paul explique aux Hébreux en rappelant la suite de I'Ancien Testament. Or, il y avait dans la seconde tente la manne ; il y avait aussi le baton d’Aaron, qui s’était desséché, puis avait refleuri, et l’'auttel des parfums'*. A quoi cela tend-il ? A vous faire com- prendre ce qu’est cette seconde tente, dans laquelle Ie prétre yous a introduits, celle dans laquelle le grand-prétre a coutume d’entrer une fois par an, c’est-2- dire le baptistére, of le baton d’Aaron a fleuri, Il était desséché, puis il a refleuri. Toi aussi, tu étais desséché et tu as commencé a refleurir dans l’ean courante de la fontaine. Tu étais desséché par les péchés, tu étais desséché par les erreurs et les fates, mais tu as déja commencé a porter du fruit, planté que tu es pres du cours des eaux. Mais tu poutrais peut-ttre dire : « Qu’importe au peuple que le baton du prétre, qui s’était desséché, ait reflenri ? » — Le peuple Ini- méme, qu’est-il, sinon le peuple sacerdotal ? A qui a-t-il été dit : « Vous, vous @tes une race élue, un sacerdoce royal, un peuple saint »**, comme le dit l’apdtre 62, Apol. alt., 50 (CSEL 32-2, 393). 63. Sur les trois sens des Eeritures d’aprés saint Ambroise, voir V, HAHN, Das wahre Gesetz, Eine Untersuchung der Auffassung des Ambrosius von Mailand vom Verhdlinis der beiden Testamente (Miinsterische Beitrige aur Theologie, 33), Miinster, 1969 ; H. Savon, Saint Ambroise devant l'exégdse de Philon le Juif, t, I, Paris, 197; P. $5-81; L. F Prezorato, Le dottrina esegetica di sant’Ambrogio (Studia patristica Mediolanensia, 9), Milan, 1978. 64. CE. Hebr., 1x, 2-7. 65. Ch Ps. I, 3. 66, I Peir., 11, 9, 42 ROGER GRYSON Pierre ? Chacun est oint pour le sacerdoce, oint aussi pour Ja royauté ; mais clest une royauté spiritnelle et un sacerdoce spirituel'’. Le baton d’Aaron qui s’était desséché et qui a refleuri devient ici le symbole du néophyte, qui s’était desséché dans le péché et que le baptéme a régénéré. Ce qui rend possible ce rapprochement entre le baton d’un prétre de l’Ancien Testament et un nouveau chrétien, c’est le fait, souligné par saint Pierre, que le peuple chrétien est un peuple de prétres. Epistula LXIIT, 58 La lettre A l’Eiglise de Verceil est adress¢e A une communauté divisée sur le choix d’un nouvel évéque. Ambroise ne manque pas de tirer parti de histoire du baton d’Aaron, pour l'inciter & faire preuve de souplesse et de docilité, et pour la préparer a accepter le pasteur qui lui sera donné. Ht pour nous faire voir que, dans les prétres, c'est la grace de Dien qui est A V'ouvre plutét que Ja grace des homunes, c'est le baton d’Aaron seul qui a fleuri, parmi tous ceux que Moise avait regus de chaque tribu et déposés & V'écart, Ainsi, le peuple comprit que, daus Je prétre, il faut voir une fonction qui releve du jugement de Dieu ; et il cessa désormais de revendiquer pour Ini au nom d'un jugement humain pareille grace, alors qu’auparavant, il estimait que pareil privilége Ini revenait. Ce baton, par ailleurs, que signifie-t-il d’autre, sinon que la grdce du sacerdoce ne se flétrit jamais et que, dans I"humilité la plus profonde, elle posséde en sa fonction la fleur de la puissance qui lui a été confiée ? Ou bien, peut-etre, cela aussi se rapporte-t-il A un mystére ? A notre avis, en effet, ce n’est point par hasard que ce fait s'est produit vers la fin de la vie du prétre Aaron. Cela semble vouloir dire que l’ancien peuple, pourri par V'infidélité prolongée de ses prétres, retrouvera dans les demiers temps, A Vimitation de I'figlise, le zéle pour la foi et la piété et que, par une grace renouvelge, on verta s’épanouir en Ini de nouveau une fleur morte depuis tant de sitcles", Ftant donné toceasion de la lettre, Ambroise s’attache avant tout a souligner que le choix des prétres reléve en derniére analyse de Dieu seul, et qu'une fois ce choix arrété, le peuple n'est pas qualifié pour Je contester. Ce n’est pas la grace des hommes qui est 4 l’ceuvre dans les prétres, mais la grace divine, qu’il revient & Dieu seul de dispenser. Cette grace est évoquée par la germination mystérieuse du baton d’Aaron ; a l’instar de ce dernier, elle conserve intacte sa fécondité, méme quand il semblerait qu'il faille en désespérer. Ambroise voit également une signification au fait que le miracle s'est produit a la fin de la vie d’Aaron. Le peuple élu, dit-il, a fini par pourrir a cause de l’infidélité prolongée de ses prétres, mais il refleurira A la fin des temps, stimulé par l'exemple de I'figlise. On trouve une idée du méme genre dans une lettre & Félix de 67. Sacr., IV, 1-3 (CSEL 73, 46-47) ; trad. Bort (SC 2shis, 103). 68, Ep, UXITI, 58 (PL 16, 1255-1256). LE «BATON D'AARON » D'APRES AMBROISE 43 Come, dont la date ne peut étre précisée. Interprétant les différents objets conservés dans le Saint des Saints, d’aprés l’épitre aux Hébreux®, le docteur milanais présente la verge d’Aaron, une fois de plus, comme le symbole de Ja « grace du sacerdoce », et il note & son propos qu'elle s’était desséchée jadis, mais qu'elle a refleuri dans le Christ7°, ConcLUSION Le baton d’Aaron symbolise aux yeux d’Ambroise la « grace du sacer- doce », la grace qui est 4 l’ceuvre dans les prétres et qui est capable d’opérer en eux et par leur intermédiaire des merveilles, malgré la pauvreté de leurs moyens naturels. Cette grace, Dieu seul peut l’accorder, et c’est a lui seul, par conséquent, qu'il revient d’appeler au sacerdoce. Le baton d’Aaron était en bois de noyer, tout comme celui dont il est question dans le livre de Jérémie, Ce détail n'est pas sans intérét, A Vimage de la noix, dont I’écale est amére et la coque dure, mais la chair tendre et savoureuse, la grace du sacerdoce a des aspects rebu- tants, en raison des épreuves qu’elle entraine et des fatigues qu'elle impose, mais elle est riche en fruits spirituels. La double enveloppe signifie également que le prétre, comme le prophéte, ne doit pas hésiter 4 prononcer des paroles désagréables, si cela est nécessaire au bien de ceux qui lui sont confiés. Dans d’autres contextes, la structure de la noix symbolise le caractére ambigu des Heritures. prophétiques, dont Je sens littéral peut choquer, mais dont le sens mystérieux est, plein d’enseignements, ott bien encore les tentations auxquelles |’Yéglise est en butte ici-bas. Dune fagon générale, ce fruit est done évocateur de réalités dont l’aspect extérieur est peu engageant, mais dont la saveur cachée se révéle 4 qui sait aller au fond des choses ; telle est la grace du sacerdoce. Le baton d’Aaron était desséché depuis un certain temps déja quand il a refleuri. Ainsi la.grace du sacerdoce, qui s’était desséchée sous l’Ancien Testament, a-t-elle refleuri dans le Christ. Ainsi la parole du prétre, aprés avoir paru longtemps sans effet sur des auditeurs mal disposés, porte-t-elle parfois des fruits tardifs et inespérés. Ainsi encore les néo- phytes, membres nouveaux-nés du peuple sacerdotal, se sont-ils longtemps desséchés dans le péché et dans l’erreur avant de refleurir dans les eaux du baptéme. L’objet de ce prodige éclatant fut désormais conservé dans la partie Ja plus sacrée du sanctuaire, le Saint des Saints. Ceci indique que I’Eglise, qui est le Saint des Saints véritable, se trouve 1a ot fleurit la grace du sacerdoce, et inversement. 69. Cf. Hebr., 1x, 4. 70. Cf. Ep. IV, 4 (CSEL 82, 36). 44 ROGER GRYSON C’est donc, en fin de compte, toute la théologie sacerdotale d’Ambroise que nous voyons s’esquisser 4 propos du baton d’Aaron”!. Le sacerdoce chrétien se situe dans le prolongement du sacerdoce vétéro-testamentaire qui en était 1a figure; celui-ci avait dégénéré au fil des siécles, mais il a retrouvé une nouvelle jeunesse dans le Christ. A l'image du peuple d'Israél, le peuple chrétien est un peuple de prétres : chacun des chrétiens, par son baptéme, est oint pour un sacerdoce spirituel. Le sacerdoce minis- tériel, dont sont revétus certains membres du peuple chrétien, est une grace que I’on regoit en vertu d’un choix divin, et qui agit puissamment en celui qui Ja regoit pour lui faire produire d’abondants fruits spirituels, en dépit des difficultés auxquelles il ne peut manquer d’étre confronté. Elle confére une autorité dont le détenteur ne doit pas hésiter a faire usage en cas de besoin, méme s'il devait s’aliéner les sympathies de ceux au détriment desquels elle s’exerce. L’Eglise n’est présente que 1a of la grace du sacerdoce est présente, tout comme il n’y a de prétres véri- tables que dans la vraie Bglise. Les considérations d'Ambroise autour du baton d'Aaron s’inspirent de la tradition qui I'a précédé, L'idée qu’il appartient & Dieu seul de choisir ses prétres apparait 4 ce propos chez Philon et Clément de Rome. La structure de la noix fait l'objet déja chez Philon de considérations mora- lisantes qui ne sont pas sans rappeler celles du docteur milanais. Origéne y avait découvert, de son cdté, une allégorie des trois sens de 1’Ecriture, et il avait rapproché le baton d’Aaron du baton de Jérémie et du « jardin du noyer » dont parle le Cantique. Hilaire souligne que le baton est un insigne d'autorité et un instrument de chitiment, symbole d'un ensei- gnement sévére. Grégoire de Nysse voit dans la noix une image des joies et des peines de la vie sacerdotale. Les deux sources majeures d’Ambroise sont donc ici, comme souvent en matiére d’exégése, Philon et Origéne. Mais l’imitation, chez 1’évéque de Milan, est rarement servile ; il a suffisamment assimilé ses sources pour user librement des données qu'il y puise. Il orchestre le théme du baton d’Aaron avec plus d’ampleur et de variété que ne l’avait fait aucun de ses devanciers, et les traits originaux ne manquent pas. La notion-clé de gratia sacerdotalis, autour de laquelle s’articule son inter- prétation du prodige, lui est propre dans ce contexte, ainsi que beaucoup des remarques qu’il Iui inspire. On aura relevé, notamment, les diverses téflexions que lui suggére le fait que le baton était desséché depuis long- temps au moment de sa floraison miraculeuse. Comme le scribe de l'Evan- gile, le docteur milanais a done su tirer du trésor de la tradition, selon la formule consacrée, « noua et uetera », Roger Gryson 71. Cf. R, GRyson, Le Préire selon saint Ambroise, Touvain, 1968, p. 319-329, Interior Peace in the Confessions of St. Augustine* It would possibly be a matter of surprise to some that the word confessio occurs only 23 times in the Confessions, whereas pax is quite as frequent, occurring 20 times itself and is implicit in 3 instances of pacificus. The word pax may be said to emerge from Book IX onwards, since there are only 3 occurrences up to that point!. Words of related meaning also provide the basis for the following considerations. Quies and its cognates, for example, appear 23 times. The epithet inguietum occurs 7 times ; inquiefudo 3 times. The verb requiesco (20 occurrences) and yeguies (3 occurrences) round out the study. ‘This critical examination of the above texts extends beyond a mere philological interest. The purpose of the paper is to set forth the evidence, both philosophical and biblical, for Augustine’s pursuit of peace. 1. Occurrences of « pax » and « pacificus », Still unable to conceive of evil as a privatio boni, and at the same time elaborating a theory of aesthetics in the treatise De pulchro et apto, no longer extant, Augustine writes : “ And since I loved the peace which isin virtue, and hated the discord which is in vice, I noted the unity Abbreviations : REA — Revue des Etudes Augustiniennes ; RA — Recherches Augustiniennes ; — AM — Augustinus Magister ; EA — Estudio Agustiniano ; AS — Augustinian Studies ; LCL — Library of Christian Classics. A version of this paper was read at the Conference on Patristic, Mediaeval and Renaissance Studies, Villanova University, 1 October r978. 1, The distribution is as follows : Book IV-1 ; V-r ; VII-1 ; 1X-5 (pacificam) ; X-4 ; XI-1 (Pacifici) ; XII-3 (pacificam) ; XTI-7. I have used as a control for this study the Index Verborum compiled by C.1,. Hrdlicka and subsequently entrusted to the Fiudes Augustiniennes. Also, I have checked De Labriolle’s text against Skutella’s and found no variant readings. 46 GEORGE P, LAWLESS there is in virtue and the division, as it were, there is in vice’ ”. There are resonances here of a strong ethical bent which is germane to all ancient philosophy, obfuscated, however, by Manichaean mythology and cosmology which are vigorously challenged elsewhere in vivid detail*. Echoes of Pythagoras vis 4 vis beauty and the Neoplatonic accent on disunity are favorite themes which Augustine deepens profoundly, utili- zing the Christian doctrines of Creation and Incarnation‘, Troubled by eversores who disrupted his classes in Carthage, Augustine is now critical of students in Rome who refused to pay their fees. He underscores his own selfishness because he was, in fact, financially inconvenienced. Notwithstanding his personal discomfiture, he expresses the wish that such students would prefer learning to money and, further- more, prefer “ You, O God, the truth and fullness of our sure good, and our most pure peace,§ ” to such learning. “ For it is one thing, " says Augustine, “to see the land of peace from the wooded mountaintop, and not to find the way...; but it is quite another matter to keep to the way that leads there..0” ‘The métaphor of Christ, the Way, is rooted, of course, in Acts 18.25 and Jn 14.67. An American drama, Look Homeward Angel, catches the idea common to most ancient ecclesiastical writers who view men and women as peregrini, resident aliens, whose journey is a return to the Iather of all mankind’, ‘To be sure, the sounds of Neoplatonism are muted, because the complete context of the concluding chapters to Book VII 2. 4.15.24. All citations are from the Confessions, and will be noted thus. ‘The title of other writings will be appropriately identified. In a few instances I have utilized the translation, A.C. OuTIaIR, Augustine : Confessions and Enchiridion, LCL V. 7, Philadelphia ro55, yet always with modifications of my own, 3. De nat, boni 41-8. 4. One of the earliest expositions of creation and fall from the unity of God is set forth in the De veravel. 21.41 to 23.44. The fallof angels and men takes within its purview the perspectives of providence and redemption ; its consequences are both personal and collective ; the context is essentially Christological. 5. 5-12.22. Castissimam is not employed in a restrictive sense signifying sexual overtones, but possesses an intellectual and moral aspect which presupposes disci- pline of the body, the interior senses, for example, the mind, and the exterior senses as well, ‘Tacitus in the Agricola 4, describes his mother-in-law simply as rarae taitilatis — his laconic style deliberavely omits mulier -- to mean that she possessed every virtue and lived a disciplined life, God is referred to as the Truth by Augus- tine for the first time in the De beata vita 4.34 and thereafter many times. 6. 7-21.27. 7. 7.20.26. CE. De trin, 4.15.20 ; De civ. Dei 11.2 ; all of Serm. 346 develops the theme of Christ as the Way. ‘This theme is stressed in the Retract, 1.4.3 where Augustine criticizes his statement in the Solil. 1.13.23 as susceptible to meaning that there was another way of salvation. besides Christ. “8, De vere rel. 52. tox furnishes an excellent example of Augustitie's method which blends Greek philosophy with, Pauline thought :. This is the return from ‘temporal to eternal realities, and the transformation of the old man into the new. ” Similar examples : /bid. 54.105 and De trin, 12,10.15. INTERIOR PEACE IN THE « CONFESSIONS » a7 radically emphasizes the role of grace, the function of Jesus Christ as Redeemer, the work of the Holy Spirit and other Pauline themes. Augus- tine frankly admits the Platonists tell nothing of these realities. His consciousness has deepened immensely. The “land of happiness, ” which had been described just ten years earlier in the De heata vita, is now the “ land of peace ”. When describing the decision to resign his professorship before the early autumn vintage holiday, Augustine mentions his students “ who did not meditate on Your Law or Your peace, but on foolish lies and legal battles® ”’. He continues with an extended exegesis of Psalm 4 and comments on the second verse : “ How long will you love vain words and seek after lics ?” We are hardly surprised, therefore, with the exclamation!® : “ Oh, im peace | Oh, in (the direction of) the Selfsame ! Oh, why did he say : “T will lie down aud sleep. Surely, Vou are the Selfsamie and You do not change. In You is rest and oblivion to all labor. There is no other besides You, nor are we to strive for the many other realities which are not what You are. ” ‘The attributes of self-identity, immutability and rest are equated with the Being of God. The peace of man is threatened by his tendency : ad alia multa adipiscenda. Prepositions, as always, are telling evidence : o in pace! oinid ipsum! The former denotes a final resting place ; the latter defines direction towards Being itself, which is characterized by the above three attributes. To demonstrate that “ Augustine’s notion of so-called self-identity (idipsum) is primarily biblical, both in origin and significance”, ” is crucial to an accurate understanding of his thought. 9. 9.2.2. TO, 9.4.12. 11, The last four books alone list 298 names or attributes of God. See Ritamary Bravrey, “ Naming God in St. Augustine's Confessions ", The Thomist r7 (1954) 186-96. Ps. 4.9 echoes Ex. 3.14. ‘The fo hen of Plotinus is altogether separate from being, intelligence and life, whereas the biblical ‘ ego sum qui sum’ identifies God with these three neoplatonic hypostases. Coninienting upon Ex. 3.14 Augustine writes : “ God is existence in a supreme degree — he supremely is — and is therefore immutable. Hence he gave existence to the creatures he made out of nothing ; but it was not his own supreme existence, To some he gave existence in a higher degree, to some in a lower, and thus he arranged a scale of existences af varions natures, " De Civ. Dei 12.2. (Italies mine.) 12, James. P, ANDERSON, St. Augustine and Being, The Hague 1965, p. 30. Ch Chapter IV, ‘Self-Identity ’, pp. 20-33. ‘To Anderson's catena of texts we add 48 GEORGE P. LAWLESS The remaining three references to peace in Book IX refer, not sur- prisingly, to Monica, who was the victim of malicious gossip on the part of servants. ‘The proverbial mother-in-law found no substance to such reports!?, Monica was an effective peacemaker, Augustine fittingly employs the phrase “ sit ergo in pace cum viro ” on the occasion of her untimely death!®. This was, of course, a conventional expression of the christian hope. "The climax of the following passage justifies its presentation at length'*: “ Late have I loved You, Beauty ever ancient, ever new, Late have I loved You. Alas, You were within, I was without, and in my tnloveliness I was rushing and seeking to find You in the lovely things You have made. ‘You were with me, but I was not with You. These things kept me far from You. If they did not exist in You, they would uot exist at all. You called and shouted and You broke my deafness, You glittered and gleamed and routed my blindness, ‘Your fragrance was such, I drew my breath and inhaled You, I tasted, yet I remain hungry and thirsty, ‘You touched me, and I continued to burn for your peace. * Sequences such as this enabled Alexander Souter somewhere to suggest that Augustine and Plato were the greatest poets of Antiquity. Harnack noted — again we rely on memory — that Augustine gave a soul to Latin, and further maintained that although Augustine was not the greatest Latin writer, he was, nevertheless, the greatest writer of Latin. Literary genius is not my concern and need not detain us. The above excerpt squares perfectly with the earlier passage in Book X, 6.8-9.16, the well-known Deus semper idem of the Solil, 2.1.1 ; the equally famous ef pervenit ad id quod est, in ictu trepidantis aspectus. Conf. 7.17.23. We part with Skutella’s punctuation and prefer to relocate the comma to a position after esi, thus highlighting the sense rather than the subordinate clause, in the custom of so many Latin texts edited under German auspices, Cf. also Ev, in Ps. ror.2.10 : PL 37.4311-12 for a commentary on Ex. 3.13-15. Cf. F.-J. THonnarp, + Caractéres platoniciens de Fontologie augustinienne », 4M I (1954) 317-27, which similarly stresses the concreteness of Being, both living and personal, which derives from Ex. 3.13-15. Anderson, op. cit., furnishes a wider range of evidence to demonstrate the Augusti- nian divergence from the Platonic and Neoplatonic traditions. Immensely helpful as these latter influences are, they remain instrumental and secondary. 13. 9.9.20. 14. 9.9.21. 15. 9.43.37 16, 10,27,38. CE Pierre BLANCHARD, ¢ L/espace intérieur chez saint Augustin d'aprés le livre X des Confessions », AM I (1954) 535-42. INTERIOR PEACE IN THE « CONFESSIONS » 49 which is propaideutic to an analysis ot memory. So often in this context memory means consciousness. The rich Augustinian themes of love, the all-present God, creation, beauty, time and interiority are all absorbed in the author’s burning ardor for peace — el exarsi in pacem tam. Augus- tine stresses the significance of sense data, imagination and fantasy, which he equates with homo exterior, whereas illuminationism, mind, heart, will, memory and grace constitute the homo interior, There is no dualism here. Memory recombines the images which emerge from a sensory world!?, ‘The vocabulary throughout indicates a holistic view of man. After a penetrating analysis of memory which he variously describes as venter animi, campus, lata practoria and ingens aula", the author furnishes. an almost clinical description of temptation on the basis of I Jn2.16, the lust of the flesh, the lust of the eyes and the pride of life. ‘The writer depicts himself “ grieving over the fact that I am incomplete, hoping that Vou will bring to completion in me Your mercies to the fullness of that peace — usgue ad pacem plenariam — which my inner and outer being will have with You when death is swallowed up in victo- ry,” The same thought is expressed usgue in pacem, likewise stressing interiority and insisting that peace is not the possession of the proud?®, ‘The final example in Book X suggests that peace is the reward of a righteous life, made possible through the Passion of Christ in His tole as Mediator between God and men, and available in faith to persons of both Old and New Testament times®. The opening paragraph of Book XI repeats the first sentence of Book I : Magnus donvinus et laudabilis valde. ‘There follows an enumeration of the Beatitudes with peacemaker in its customary climactic position®. This instance is the sole citation in Book XI. In Book XII we read?? : 17. Do. Gen. cont. Manich. 1. 24.42 1 6 Jamvero ab adolescentia et deinceps, ubi vatio jam incipit in homine pracvalere, accedit quingue sensibus cognitio et actio, quibus vita regitur of administyatur.» Also, En, in Ps 27, sorm. 2.12 : « Quis digne laudet hoc ipsum quod in nobis viget, vegetans corpus, movens membra, sensus exse¥ens, et memoria tam mulla complectens, intellectu tam multa discernens, quis digne laudet ? 9 ‘The validity of sense data is attested to : De quant. animae 25.48 ; De mus. 6.5.10 ; De trin, 12.2.2 and elsewhere. See Terry L. Mmrme, “ Saint Augustine and Sense Kuowledge ", 4S 8 (1977) 11-19. 18, Wendelin SCHMIDT-DENGLER, “ Die ‘aula memoriae’ in den Konfessionen des heiligen Augustin ”, REA 14 (1968) 69-89. 19, 10.30.42. 20. 10.38.63. 21, 10.43.68. 2a. IL.t.1. 23. 12.11.12, Augustine furnishes a similar account of contemplation in En. in Ps 27, serm. 2.7-12, Tae “ city in the heavens above this visible heaven ” transcends the world of space, time and motion. Ibid. 18 offers one of the many expressions of the theme of the two cities intersecting heaven and earth. 5° GEORGE P. LAWLESS “I cannot find a term that I wonld judge more agreeable for ‘ the heaven of the heavens of the Lord’ then ‘ Your house ’— which contemplates Your delights without any slippage towards anything else, the pure intelligence of saintly spirits which is one in virtue of its perfect harmony** and rests on the foundations of peace, belonging to the citizens of Your city in the heavens, above the visible heaven. * ‘There is a fusion here of scriptural language, specifically Psalms 115.16 : “the heaven of heavens’ and 84.4 : ‘ Vour house,’ happily combining with Neoplatonic allusions. ‘The following excerpt likewise displays a similar mixture of language?®. “ I shall not be turned away from such dispersion and deformity until You bind together my entire being in the direction of peace belonging to my dearest mother (the heavenly Jerusalem) where the first fruits of my spirit have their definite origin, and conform and confirm all that I am, forever, my God, my mercy. * Augustine addresses an imaginary interlocutor in words which convey both fraternal and peaceful concern**, Exhibiting excellent exegetical acumen, he readily acknowledges the elusive character of the introductory verses in Genesis, which refuse to yield a monochrome interpretation?’. An irenic outlook coupled with brotherly love provides the most congenial setting for biblical hermeneutics. The last book of the Confessions*® furnishes seven illustrations of peace : 24. Consordissime, 12.11.12, Other instances include : concorditer 9.11.2: concordias 9.9.20 ; concordiam 10.36.59 and 12.30.41 ; concordes 13.15.16. A favorit word with Augustine, we are surprised by its infrequent use in the Confessions. 25. 12.16.23. 26. 12.25.35. 27. Ibid. 28, Ci. Adolf Hors, Die Welt der Zeichen bei Augustin. Religions-phinomenolo- giscke Analyse des 18, Buches der Confessiones. Wiener Beitrage zur Theologie, II, INT ZRIOR PEACE IN THE « CONFESSIONS » 5r the peace that is concomitant with good will?® ; the peace of the heavenly Jerusalem”; peace as an essential predisposition for beholding the Vision of the Trinity?! ; a final prayer for peace of quietness, the peace of the Sabbath, peace without an evening’*, Biblical echoes are every- where deliberate. « My weight is my love ; by it I am carried wherevér I am carried. By Your gift we are enkindled and carried upward. We burn inwardly and move forward. We ascend steps within the heart, and we sing a canticle of degrees ; we glow inwardly with Your fire — with Your good fire — and we go forward because we go up to the peace of Jerusalem.*4 The verb inardescimus (glow) recalls the exarst in pacem titam (10.27.38). One could argue convincingly that the thematic variations of confessto laudis, confessio fidei, confessio peccati and confessio vitae corroborate the artistic unity of all thirteen books as well as their theological cohe- rence. The Augustinian motifs of love and interiority are paramount with a warmth that is the trademark of the Master. Movement is forward and upward as well as inward. The song is the ‘ canticle of degrees’ set forth successively in Psalms 120 to 134, wherein Augustine subsequently orchestrates the ascent of the soul towards God and the heavenly Jerusalem in the Discourses on the Psalms®4, Augustine’s continuing quest for wisdom is temporarily overtaken by his pursuit of peace. Both goals are intimately interrelated. ‘Wien, Herder, 1963. After some preliminary remarks on method, Book XIII is examined from the viewpoint of religious intention, imagination, speculation and realization, Cf. F, Cavnit, ¢ Le livre XIII des Confessions », REA 2 (1956) 143-61. 29. 13.9.10. 30. Ibid. ; Gal, 4.26 ; Ps. 122.6. 3X. 13.01.12. 32. 13.35.50 : « Pacem quietis, pacem sabbati, pacem sine vespera ». 33. 13.9.10. 34. Augustine always had a receptive attitude towards music, Conf. 10,33.49-50 relate how impressed the rhetorician was with singing in the Basilica at Milan and ecclesiastical music generally. With excessive scrupulosity, however, he reproaches himself for the pleasures of the ear, Sermons and Discourses on the Psalms contra vene this harsh self-criticism. His first reference to music occurs in the De ord. 2.14.41 where he commends music as a liberal discipline. In the same work Augus- tine chides Monica for rebuking Trygetius, when the latter is heard chanting a psalm in the privy. The body is depicted as cantus animae spiritualis. En. in Ps. 12.6, History is viewed « velut magnum carmen cujusdam ineffabilis modulatoris ». Ep. 138.5 and Conf. 11.28,37-8, There is the well-known theoretical treatise’ De musica. Cuthbert Burtur, Western Mysticism, and ed., London 1927, p. 33, Says that Augustine is singular among the Fathers in employing the imagery of music to express mystical experience. 52 GEORGE P. LAWLESS 2, Affinities Between Peace and Rest. Before examining the motif of rest, we do well, however briefly, to include an overview of pondus, a very important word, which regularly deepens and advances the dynamic movement of Augustine’s thought. The cluster of associations is interesting ; the word appears 15 times. ‘There is the favorite triad from the Book of Wisdom 11.21, “ menswra, numerus, pondus®® ", We find maivrum ponderc®®, pondere cupiditatis®”, pondere (negotiorum)", A significant passage refers to “ the weight of the wide number of different impulses in a single soul.29 ” Here Augustine is his best in depicting the depth of the human spirit. Pondus refers to sluggishness*’, cumbersone restraints‘!, pride. Augustine is snat- ched away from God by means of his own dead weight which he describes as consuetudo caynalis’®, We have just seen in context the famous text : “ pondus mewm amor meus : 20 feror, quocumgue feror'* This, together with the remaining 4 instances, all occur in 13.9.10. The spatial connotation is featured in each sample. We noted above Augus- tine’s penchant for interiority as if to suggest a depth dimension in terms of “inner space‘. ’’ Herein, there is a focal point of consciousness combining space and time in an exquisite harmony and unity both personal and collective, this latter aspect to be fully developed in the De civitate Dei. 5.4.7. Werner Brmxwartes, « Augustins Interpretation von Sapientia 11,21», REA 15 (960) 51-6t. 1, Crutemunto, « Numerus et Sapientia », ES 3 (1968) ro9-121. W. J. Rocky, “ Measure, Number and Weight in Saint Augustine ”, The New Scholasticism 13 (1941) 350-76. 36. 9.8.18. 37- 13.7.8. 38. 8.6.13. 39. 4.12.22 : ¢ ubi distribuuntur ista pondera variorwm et diversorum amorum in anima una... et tamen capilli eius magis numerabiles quam affectus eius et motus cordis eius. + 40. 10.4.5. 41. 10.40.65. 42. 4.15.27. 43. 7.47.23 : «diripiebar abs te pondere meo... » 44. 13-9.10. Cf. De civ. Dei 11,28 : « ita enim corpus pondere, sicut animus amore forty, quocimgue ferhur. », Georges DE PLINVAI, « Mowyentent spontané on mouve- ‘ment imposé ? Le ‘feror ’ augustinien », REA 5 (1959) 13-19. |. 45+ Supra, note 16, What we might designate the “ principle of interiority ” is essential to an understanding of Augustine's spirituality. See the texts cited by Marie ComzAu, Saint Augustin Exégéte du Quatriéme Evangile, Paris 1930, p. 383. INTERIOR PEACE IN THE « CONFESSIONS » 53 Closely related to the concept of peace is the word gitiesco and its cognates quies, quietus’®, Rest is not to be confused with sloth”. The concluding paragraph of Book II refers to God as rest and life ; these categories are equated with the joy of the Lord‘. In a brilliant sequence which attempts a descriptive definition of God, while at the same time studiously safeguarding God’s apatheia and immutability, Augustine offers a series of antitheses* : “,, ever active, ever at rest. . jealous, yet free from care. angry, but You remain calm, .. ” This effort to depict the mystery of God is one of the most eloquent and most memorable in the literature of the world. The music of this entire sequence rings in the ear when read either silently or aloud. The final sentence ends in silence. Augustine exclaims : “ And woe to those who keep silent concerning You, since even those who speak much are dumb {50 He adds the postscript : “ Who shall bring me to rest in You ?5!” A close and critical comparison with the conclusion of Book ‘XIII reveals an almost identical structure of thought. The summons of creation calls out to man. Augustine alludes to Genesisas vox libri tui®®. It is as though the music of the spheres in the tenth book of Plato’s Republic and the eschatology of Cicero’s Somnium Scipionis are fully come to life? ; “ Be not foolish, my soul ! Do not let your pride stir up such a commotion, that it deafens the ear of your heart. Listen | The Word is calling you to return, With Him is a place of undisturbed rest, where love never deserts a man, unless he deserts it first, ” The association of the Word with creation is explicit in this context, and in two other citations of the famous Ambrosian hymn Deus, creator 46. There are 23 occurrences, two of which are citations from St. Ambrose : guiesco 5 ; quies 1x (St. Ambrose 2x) ; quietus 6 ; quistius T. 47. 2.6.13 + «el ignavia quasi quietem appetit : quae vero quies certa praster domi- num 2» 48. 2.10.18 : ¢ quies est apud te valde et vita imperturbabilis ». The scriptural refe- rence is to Mt, 25.21. semper agens, semper quietus... zelas et seourus es... irasceris et 53: 4-11.16, 54 GEORGE P. LAWLESS omnium®*, There follows almost immediately with equal insistence upon creation and interiority®5 : “ He is deep within the heart, but the heart has wandered away from Him. Return, transgressors, to your heart, (Isaiah 46.8) Hold fast to Him who made you. Stand with Him and you shail stand fast. Rest in Him and you will be at rest. ” Rest is inseparable from order, whereas unrest is always symptomatic of disorder5®, The nexus between rest, order and space, both inner and outer space, is, therefore, a patent Augustinian motif. The temporal dimension is equally important, rooted as it is in the distinction between the immutable and the mutable®’, which, in turn, derives from the revea- led doctrine of creation™. Time is a basic metaphysical construct for Augustine’®. He elaborates his theory of time in Book XI. Unlike Plato who regards time as a moving image of eternity, the Bishop of Hippo points out that existence itself, not essence, determines time. T.S. Eliot’s Burnt Norton reiterates Augustine’s thought, I quote a very brief portion of the poem® ; “ Words move, music moves Only in time ; but that which is only living Can only die.’ Words, after speech, reach 54. 9.12.32 and 11.27.35. De musica 6.2.2. Cf. 7.18.24 : « Verbum enim luum, acterna veritas... sanans tumorem et nutriens amorem. » Douglas W. JouNson, « Ver- bum in the Harly Augustine (386-397) », RA 8 (1972) 25-53. ‘The author concludes that Verbum is the equivalent of “ the expression or address of God to the world, i.e., something mote like ‘ word * than like Mind or Nous ”, p. 50. 55- 4.12.18, 56, 13.9.10 : « minus ordinata inquieta sunt : ordinantur et quiescunt.» 57. See the texts listed in Vernon BouRKE, Augustine's View of Reality, Villanova 1964. Cornelius Petrus Maver, Die Zeichen in der geistigen Entwicklung und in dev Theologie Augustins, II, Teil: Die antimanichiische Epoche, Wiirzburg 1974, + Das ontologische Schema mutabile-immntabile », pp. 114-130. B. ZuM BRUNN, « L/immu- tabilité de Diew selon saint Augustin +, Nova ef Vetera 41 (1966) 219-25 58. De civ. Dei 11. 6 : « procul dubio non est mundus factus in tempore, sed cum tempore ; quis non videat quod tempora non fuissent, nisi creatura fierct 2 « Conf. 11.27, 36 : « in te, anime meus, tempora metior. » Ibid. 11.20.26 : « prassens de practeritis memoria, prassens de prassentibus contuitus, praesens de fuluris expectatio. » Cf. B. BAILLEUX, « La création et le temps selon saint Augustin », Mélanges de science veligieuse 26 (1969) 65-94 and M. MoREAU, « Mémoire et durée », REA T (1955) 239-50. 59. John M, Quiny, “ The Concept of Time in St. Augustine ”, Augustinianum 5 (1965) 5-57. Hugh M. Lacey, “ Empiricism and Augustine's Problems about Time ”, Review of Metaphysics 22 (1968) 219-45. Different viewpoints are portrayed in the following articles. John L. MorRISON, “ Augustine's Two ‘Theories of Time *, The New Scholasticism 45 (197t) 600-10 and Wilma G. JESS, “ Augustine : A Consistent and Unitary Theory of Time ”, Ibid. 46 (1972) 337-51, 60. T. 8. Error, Collected Poems, London 1963, p. 194. INTERIOR PEACE IN THE «CONFESSIONS » 55 Into the silence. Only by the form, the pattern, Can words or nmsic reach ‘The stillness, as a Chinese jar still Moves perpetually in its stillness. Not the stillness of the violin, while the note lasts, Not that only, but the co-existence, Or say that the end precedes the beginning, And the end and the beginning were always there Before the beginning and after the end. ‘And all is always now. ” God’s rest is beyond time in the manner of His vision and immuta- bility®l, Nevertheless, He creates the realities which are seen in time, time itself and everything that exists with time®*. God, meanwhile, is ever at rest because He is rest Himself®*, This truth, Augustine concludes, is beyond the grasp of men and angels, Such knowledge is a gift of the Holy Spirit available only to the person who prays, As distas- teful as the alliance may at first sound, the juxtaposition of time and space with the Augustinian concepts of distentio, intentio and memoria yield what can only be described as a metaphysics of prayer. The five remaining uses of words stemming from guiesco furnish exam- ples of various personalities. Monica was often obliged to ascertain the mood of Patricius before talking with him®. Students at Rome enjoyed a reputation for study and discipline superior to that of the students at Carthage’, Ambrose is singled out for reading silently in his study, a somewhat unconventional practice, occasioned no doubt by his busy round of duties as a bishop", Augustine, Alypius, Nebridius, Romanianus dream of a commune consisting of approximately ten persons, two of whom would be charged. with the task of domestic management on an annual basis, thus permitting others to live undisturbed in pursuit of their religious and philosophical interests*’. In the final citation, Augus- tine endeavors to assuage opponents in controversy suggesting that peace and quiet are essential to a proper understanding of Scripture". * Restless is our heart, ” is without doubt the most celebrated phrase 61. 13.37.52. 62, Ibid. 63. 13.36.51 and 13.38.53. 64. 9.9.19. 65. 5.8.14. 66. 6.3.3. Bernard M. W. Kyox, “Silent Reading in Antiquity ", Greek, Roman and Byzantine Studies 9 (1968) 421-35. ‘There is 9 reference to silent singing in 10.8.13. 67. 6.14.24. 68, 12:16.23, 56 GEORGE P. LAWLESS in the Confessions®. Augustine describes the turbulence of adolescence”, the unsettling task of declamation™, and his. restlessness to imitate what he sees in public shows’. He commends one of his closest friends, Nebridius, for his ability to set aside virtually every distraction of mind’, He depicts with vivid strokes the misera inguietudo of fallen angels as well as men, when the purposes of creation are frustrated’. It is impos- sible for restless persons in all their vagaries to escape both themselves and God, no matter to what extent they may plunge themselves into diversionary activities’. After successive encounters with Manichacism and scepticism, there followed a phase of Neoplatonic enthusiasm. Ambrose urged the professor of rhetoric to read the Scriptures with Isaiahforastarter. Although his anxiety increased, Augustine attended church in Milan to the extent that his busy life permitted?®, 3. Uses of “ requiesco” and “ requies ”. Prepositions tell the entire story. Originally they functioned as adverbs, and for this reason they were always associated with verbs. Christianity effected a linguistic revolution as the many prepositional prefixes in St. Paul, for example, demonstrate. In Late Latin we find an incredible expansion in the use of prepositions owing to the fact that case endings begin to flatten out and make way for the indeclinable substantives of the Romance languages. ‘The prepositions in, ad, cum super, per and post have both temporal and spatial significance when linked with requiesco and vequies. “ You prompt man to take delight in praise of You, because You have made us tending towards Vou, and restless is our heart, until it comes.to rest in You’, * 69. 1.1.1. « inquictum est cor nostrum ». John BURNABY, Amor Dei: A Study of the Religion of St. Augustine, London 1938, p. 98, quite accurately faults Pare Fulbert Cayré for suggesting that “ the Confessions should be read as the thankful devotions of a heart that has already found rest ”. 70. 2.2.2 ; 2.3.6 ; 2.20.18, 7. 1.17.27. 72. 1.19.30. 73. 8.6.13. 74. 13.8.9. 75. 5.2.2 and 6.3.3. 76. 8.6.13 ; ansitudo also occurs in 9.3.5. There is one instance of anxietas in the Confessions : 9.12.32. : * gfe rev. Ch. Albert Pincwenre,’ ¢ Et inguietuni ‘ést cir nostrum. Appimnti per una lezione agostiniana », Augustinus 13 (1968) 353-68. The imagery of unrest is treated in Sister Mary Norma Rocklage, A Thematical Analysis of the Imagery in the Confessions of St. Augustine (Doctoral Dissertation), St. Louis University 1965. INTERIOR PEACE IN THE «CONFESSIONS » 57 This famous text is rarely, if ever, translated correctly into English. Iam unable to find an English version which does justice to the original. "There is one theologian who approximates an accurate translation, but he fails to furnish a translation and resorts to the original Latin’. The most accurate translation I have read appears in French?® : « C’est toi qui le pousses A prendre plaisir & te louer parce que tu nous a faits orientés vers toi et que notre cceur est sans repos tant qu'il ne repose pas en toi. The French orientés vers toi is a precise translation, Augustine conceives of life essentially in terms of movement. He maintains that “ being is not the same thing as living,® ” and he further suggests that “ living is not the same as living happily®'. ” The verb requiesceré is to be cons- trued in a dynamic sense which underlines the tension between human happiness and the disorder or confusion occasioned by the passions. Augustine much prefers the words amores, affectiones, affectus®. « Entre le tumulte et l’apaisement — entendu au sens dynamique du verbe requiescere — s'étend et se tend la durée intérieure de existence humaine : celle de ‘ notre coeur ', personnel on collectif, Elle place bien tonte I'ceuvre d’Augustin sous le signe fondamental du temps humain, et de sa relation & l'Eiternal, c’est-A-dire A l'absolu divin, seul capable de donner un sens a l'ephémére tont tendu vers Ini". » ‘The poignancy of the Vergilian phrase, sunt Lacrimae rerum found expression in- Augustine’s tears at the premature death of a friend®, and on the occasion of his mother’s death®®, In the former case Augustin took refuge in bitterness and found no assuagement for his grief§®.’ Such was his extraordinary sensitivity that he accuses himself of carelessness for using a term of endearment concerning his friend’’, Inability to conceive of God as a spiritual substance was a source of unrest®®, Cassi- 78. Norman PrrreNcEx, God In Process, London, 1967, p. 55, suggests ‘ towards God ' instead of ' for God 79. SOrIGWAC, TREHOREL, et Bourssou, Les Confessions, Livres I-VII, Guvres de saint Augustin, Paris 1962, p. 273. 80. De Gen. ad litt. 1.5.10: « Non hoc est ei esse quod vivere. » Br. 13.4.5. 82, En. in Ps 6.9 : «Nam locis suis continentur, animo autem locus est affectio sua.» This is a commonplace thought with Augustine. 83. Jacques FONTAINE, La littdvature latine chrétienne, Paris 1970, p. or. 84, 47-12. 85. 8.12.33. 86. 4.6.11 and 4.7.12. 87. Retract. 2.6.2 ; PL 32.632. 88. 7.14.20, 58 GEORGE P. LAWLESS ciacum is remembered as a place where time for attentiveness to God was plentiful®®. Still troubled with thoughts of unchastity, Augustine describes peace of conscience in the wake of a nocturnal emission during the course of sleep". There is no respite for the eyes, whereas the ears are less bothersome instruments of temptations®'. God is a good listener to his confessions and the “ rest of his labor. ” There is only one instance of a citation from Scripture : “ and you will find rest for your souls.9% " In language that reflects Neoplatonic vocabulary, the Bishop of Hippo insists that creation is by no means incompatible with the immutability of God. Created being is not coeternal with God, yet it cleaves to Him — cohaerentem Deo — with a chaste love and rests in true contemplation of Him alone®, Man's most worthy response to creation is an act of praise. The bodily senses are not always to be trusted because they tend to roam vagrantly. ‘The soul wishes simply “ to exist and to rest in the created things she loves®, "’ ‘There is no fixity of place for such created realities. The weight of cupidity is a deterrent along the more excellent way of love. The depth dimension in man responds not so much to place as to feelings and loves. The same Spirit which moved over the waters is poured forth in our hearts in order to mollify man’s anxiety, and enable him to come to the supreme rest®*, Man’s true repose is found in the Holy Spirit®?. Man is a burden — sarcina — to himself®8. Rest is equated with beatitude — beata vita, but both realities are equally elusive®®, That God alone is rest punctuates the conclusion of Book VI', Although Augustine rejected both astrology and Manichaeism, his restlessness is particularly acute prior to his reading of the Platonists in the translations of Marius Victorinus?¢l, 89, 9.3.5. 90. 10.30.41. Or. 10.34.51. 92, 12.26.36. 93. 7.9.24 3 Mz. 11.29. 94. 12.15.19. 95. 4.10.15. 96. 13.7.8. Cf, Anne-Marie LA Bonnarprire, « Le verset paulinien Rom, V, 5 dans l'cuvre de saint Augustin +, AM IT (1954) 657-65. The text occurs more than, zoo times in Augustine's writings. 97+ 13.9-L0 : « in dono tuo requiescimus : ibi te fruimur, requies nosiva locus noster ». Ch De trin. 1.15.18. 98. 4.7.12. Maurice JouRJON, « Sarcina. Un mot cher & l'évéque d’Hippone », Recherches de science veligieuse 43 (1955) 258-62. 99. 4-12.18. 100, 6.16.26. rot. 7.7.11. INTERIOR PEACE IN THE « CONFESSIONS » 59 It is significant that 14 of the 33 uses of requiesco and requies occur in Book XIII. Just as God rested on the seventh day, Augustine prays that he will find rest on the Sabbath of eternal life!*. This requiescamus in te is a variation of et tw-solus requies (6.16.26) and the donec requiescat in te (1.1.1). These three passages point to the artistic and theological unity of the Confessions. Present time is contrasted with future time in terms of work and rest. There are three instances in the penultimate paragraph of Book XIII‘, The dialectic between operari (opera) and vequiescere (requies) affirms God’s sustaining activity and continuing providence. Although the Trinity remains a puzzle to Augustine in the context of creation, the Spirit who moved over the waters is said to be the Holy Spirit. “ For those in whom Vour good Spirit is said to rest, He actually causes to rest in Himself!¢4, "The fall of angels and men brings darkness, but the light of creation perdures. Every obedient mind cleaves — in- haeret — to God and finds rest in the Spirit who moves immutably over all things mutable?5, Augustine reiterates the goodness and greatness of rational creation, and insists that God alone suffices for its rest and beatitude!®, Creation clearly is not self-contained. Again the reader is reminded that rest and enjoyment are found in the Holy Spirit}0?. In the final paragraph of the Confesssions, the author concludes : “You, the one good God, never cease to do well. Certain good works are ours owing really to Your gift. But these are not eternal. Still we hope after this life to find our rest in Your great sanctification. You are the Supreme Good, 102, 13.36.51, CE, Georges Forrmt, « La typologie du ‘ sabbat ' chez saint Augus- tin », REA 2 (1956) 371-90. ‘There are striking affinities between the concluding paragraphs of the Confessions and the final chapter of the City of God. This latter work employes the additional words otinm and concordia to describe the beatitnde of the eternal Sabbath as well as the proverbial phrase “the eighth day ". Unlike the final book of the Confessions, which is trinitarian with a heavy accent upon the doctrines of Creation, Providence and the Holy Spirit, the City of God stresses in the last chapter alone, the doctrines of Creation, Incarnation, Atonement and Resurrection, 103. 13.37.52. 104. 13.4.5. « hos in se vequiescere facit. » ‘This is a causative sense of the verb facere. 105. 13.8.9. : . 106, Ibid.:4... quam magnam ralionalem oreaturam feceris, owi nullo modo sufficit ad beatam requiem, quidguid te minus est, ac per hoc nec ipsa sibi. » IO. 13.9.10 : Cf. De tin. 15.18.32 : « guocirca vectissime Spivitus sanctus, cum sit Deus, vocatur etiam donum Dei, » Lbid, 5.11.12 5 5.15.16 ; 5-46.07 ; 15.19.33. 60 GEORGE P, LAWLESS ever at rest, because You Yourself are Your own rest! ” Augustine contrasts his own evil life with the goodness of God!" He expressly states that his heart is quickened by the Spirit of God. Whether men and angels are able to understand and express the unicity, the good- ness, the eternity, the holiness, the providence of God, the divine activity and rest remains a question. The same problem is posed in the poetry of T.S, Eliot!” : “ Words strain, Crack and sometimes break, under the burden, Under the tension, slip, slide, perish, Decay with imprecision, will not stay in place, ‘Will not stay still. » Krister Stendahl, Dean of the Harvard Divinity School, is fond of obser- ving that the language of theology is poetry plus and science minus. For Augustine, the only suitable language is the language of praise and prayer. In the last sentence of the Confessions prepositions again tell the story : a te petatur, in te quaeratur, ad te pulsetur. The following conclusions emerge from this study : 1) The Confessions is a well constructed book ; Augustine is not in this case, a poor planner of books. 2) The treatment of peace is an integral feature of the Confes- sions. 3) The theme of ‘ peace’ resonates with the themes ‘ quiet’ and ‘rest’. 4) While the Neoplatonic categories of motion (kinesis) and rest (stasis) furnish an underpinning for the theme of peace, the biblical motifs of creation and sabbath are, to be sure, much more deter- minative, and 5) Book XIX of the City of God with its famous description of peace as franquillitas ordinis offers a blueprint for peace vis A vis the people of God. As portrayed in the Confessions, the quest for peace by a man, who is one of the world’s most indefatigable searchers for God, reflects clearly the theology of person and the theology of history which is, according to Daniélou, the fundamental axis of St. Augustine’s thought™?. 108. 13.38.53. 109. John C. CoorER, “ Why Did Augustine Write Books XI-XIII of The Confes- sions ? ? AS2 (1971) 37-46. Also, David Burra, “ The Confessions of Augustine : An Exercise in Theological Understanding ”, The Journal of Religion 50 (1970) 327- St : _ Fo. T. 8, EL1or, op. cit., p. 194. 111, Jean Danutrou, The Bible and the Liturgy, Notre Dame 1956, p. 276, INTERIOR PEACE IN THE «CONFESSIONS » 61 Significantly, Book XXII of the City of God furnishes evidence that pax becomes virtually synonymous with gaudium and beatitudo. Not infrequently Augustine juxtaposes pax with sapientia. When the Bishop of Hippo articulates his theology of grace during the Pelagian phase of his writings, the nexus between the absence and presence of peace is often nuanced in the tension between concordia and discordia. These themes take us too far afield and are the subject of other studies. George P. LAwLuss Washington Sermon inédit de saint Augustin sur la Circoncision dans un ancien manuscrit de Saragosse Lorsque durant 1’été 1960, je voulus consulter aux Archives de la Seo de Saragosse le codex 17-34, mentionné briévement dans un fichier manuscrit, il fut impossible de retrouver ce volume. J’ignorais alors que la collection de manuscrits avait été pillée peu d’années auparavant!, Heureusement le codex désiré avait été photographié en 1956 par le Servicio nacional de Microfilm de Madrid?, qui eut l'obligeance de me fournir un double du film. Le manuscrit contenait la belle homélie de Jean Scot sur le prologue de saint Jean, dont j’envoyai des agrandisse- ments @ l'abbé Bd. Jeauneau, qui préparait alors une édition critique de ce texte. Ce savant poursuivit son enquéte sur la tradition manuscrite de Jean Scot jusqu’aux Etats-Unis, et quelle ne fut sa surprise, le 6 sep- 7, de découvrir le codex de Saragosse A la Bibliothéque de Yale de New Haven, dans le fonds T. E. Marston, qui l’avait acheté 4 un libraire local en 1958. En fait, seule la seconde partie du manuscrit original (48 f.) est conservée 4 New Haven, car selon une déplorable habitude, le vendeur a dépecé le volume. La premiére partie 1. Seule la dispersion des manuscrits grecs a été étudiée. Cf. J.-M. OLIVIER, Les manuscrits grecs de l'Avchivo-Biblioteca del cabildo metropolitano (La Seo) de Savagosse, in Scviptorium 30, 1976, p. 52-57. 2. CE, Servicio nacional de microfilm. Boletin 4, 1956, p. 34, 2° 193. 3. CE W.-H. Bon, Supplement to the Census of Medieval and Renaissance Manus- cripts in the United States and Canada... New York, 1962, p. 88, n° 208 (La cote est aujourd'hui T, E. Marston n° 137), On suppose que l’acheteur ignorait la pro- venance du manuscrit, car le catalogue le présente comme écrit par un scribe du Nord de l'Europe. Ci. Ved. JRaUNEAU, Jean Scot, Homelie sur le prologue de Jean (Sources chrétiennes, no 151). Paris, 1969, p. 112-113. SERMON INEDIT DE SAINT AUGUSTIN 63 (132 f.) était en vente & Londres en 1966 et 1967 pour 550 Livres sterling!, J’ignore quel en est le possesseur actuel®. I. L/ANCIEN CODEX 17-34 DE LA SEO DE SARAGOSSE. Le manuscrit original comprenait 180 f. non numérotés, mesurant 290 X 195 mm. II était composé de deux parties, aujourd'hui séparées, la premiére écrite sur deux colonnes de trente-deux lignes, la seconde sur deux colonnes de trente lignes, |’une et l'autre du xrre siécle, ou du début du xmr®. L’origine pourrait en é@tre Saragosse méme. En effet un manuscrit du xv® siécle, du Chapitre de Santa Maria del Pilar (Escorial, P. III. 5, ff. 83-95) est une copie des neuf premiéres homélies de la seconde partie. La Seo a recueilli la bibliothéque du Pilar. Le codex 17-34 pourrait en provenir. Promitre partie : ff. 1-132. 1. — ff, r-rag¥ : Grégoire le Grand, Homélies sur I'fivangile. PL. 76, 1075-1312. Quelques homélies portent en marge des indications de lecons : I-III ou I-III + I-VI, ce qui indique un usage séculier, 2, — ff, 129¥-131v : Videns Iesus turbas ascendit in montem... (Mt 5, 1). Homelia lectionis eiusdem. In primis paupertatem commendauit, quia hoc sibi multum placuit ... /... lucis principes letitia largitorem, qui uiuit. Commentaire des béatitudes, inconnu par ailleurs, qui utilise le Tract. 95 de saint Léon (C.C.L. 138 A, pp. 582-590), le De wirtutibus et uitiis d’ Alcuin (P.L. ror, 617 A-618 D) et un sermon pour la ‘Toussaint (Ps. Augustin, S. ap. 209, P.L. 39, 2135-2137). 3. — f. 1327 : Explicit liber omeliarum. VI Kal. octobris. anno XXI. Regnante Karolo rege. Ce colophon ne saurait permettre de dater le manuscrit, car il a été certainement copié par le scribe sur son modéle. Il pourrait s'agir de Charlemagne ou de Charles le Chauve. 4. Cf, Dawsons of Pall Mall, catalogue n° 162, juin 1966, p. 36-37, n® 46 avec une planche, et Catalogue n° 168, juin 1967, n° 333. 5. Nous utiliserons les abréviations suivantes : Homéliaire de Toléde ; R. Gui corn, Les homdéliaives du moyen dge, Rome, 1966, p. 161-185. ‘Alain de Farfa : R. Gritcor, ibid, pp. 17-70. Paul Dincre : R, Griicoms, ibid., pp. 71-114. 4 RAYMOND ETAIX Seconde partie : ff. 133-180. 1. — ff. 133-134" : Sermo de aduentu Domini (En marge : Leonis pape). — Sanctam et desiderabilem, gloriosam .../... feliciter peruenire, ipso adiuuante... Césaire, S. 188. C.C.L. 104, pp. 767-770. Avec des variantes ; il manque p. 729, lig. 10-21 de I’édition de Morin. 2. — ff. 134-135": Item sermo de aduentu Domini. — Karissimi, Christus uenit medicina celestis ... /... iocundemur in misericordia eius, qui cum Deo... Homéliaire de Toléde, n° add. 1. P.L.S. IV, 1983-1985. 3. — ff. 1357-136" : Item de aduentu Domini. — Etsi ego taceam, fratres karissimi, tempus nos ammonet ..,/... mundamur ab omni peccato, per Dominum nostrum... Maxime, S. 61a. C.C.L. 23, pp. 249-251. 4, — 4. 136'-¥ : Item sermo natiuitatis Domini nostri, — Karissimi filii, propitia diuinitate diem Domini ... /... tam deuotissime praeparamur, ipse qui cum Deo... Homéliaire de Toléde, n® 2 = Césaire, S. 187, 1-4. C.C.L. 104, pp. 763-765 (Bd. Morin, pp. 721-724, lig. 24; p. 725, lig. 13-20). Abrégé et remanié, avec ime conclusion originale publiée ci-dessous pp. 72-73. 5. — ff, 136v-137" : Item de aduentu Domini nostri Iesu Christi. — Dominus Iesus Christus, dilectissimi fratres, postquam salutifero aduentu suo .../... in odorem suatitatis, qui cum Deo Patre... Sermon sur Mt 3, 17 publié ci-dessous pp. 73-74- 6. — ff. 137'-138 : Item sermo de aduentu Domini nostri. — Descendet Dominus sicut pluuia in uellus (Ps 71, 6). Hec uerba accepit Dauid propheta de libro Iudicum ... /.,. hoc ieiunii tempore sacrum celebramus aduentum, qui cum Patre et Spiritu sancto, Sermon sur Gédéon publié ci-dessous pp. 74-75- 7, — ff. 138-140 : Item sermo beati Iohannis Crisostomi in aduentu Domini. — Prouida mente et profundo cogitatu .../... perfectaim prome- reberis indulgentiam, per Dominum nostrum Tesum Christum qui... Ps. Chtysostome. Ed. Bale, 1558, t. II, col. 896-900. 8. — ff. r40%-r4rv": Item sermo de ‘adtientu Domini. eae Fratres, quid in uobis tanta pigritia est .../... uos estis templum, Dei et Spiritus SERMON INEDIT DE SAINT AUGUSTIN 65 eius habitat in uobis, cuius regnum gloriosum sine fine permanet in secula seculorum, Amen. Homéliaire de Toléde, n° 79. Seule la premiére partie est composée & Vaide de Ps. Augustin, S. Mai 107. P.L. 47, 1147-1148. La seconde partie est publiée ci-dessous pp. 76-7. 9. — fi. rqzv-r42r : Item de aduentu Domini nostri. — Fratres karis- simi, quam timendus est dies iudicii de qua pena nos eripere dignetur ille cai est honor et gloria, uirtus et potentia in secula seculorum. Ps. Augustin, S. ap. 251. P.L. 39, 2210, 10, = ff, 142'-143" : De natiuitate Domini nostri. — Natiuitatis dominice sacramentum, fratres karissimi, quod iuxta apostolum .../... uitam tribuat sempiternam, ipse qui cum Patre... Centon composé pour l'essentiel & partir de Ps, Augustin, S. Caillau T, 7, § 8, 16-18, 27 (P.L.S. IL, 912-925) et S. ap. 119, 4-5 (P.L. 39, 1983. 1984). Identifications dues au regretté Pére H. Barré. 11, — ff. 143"z44" : Item sermo de natiuitate Christi. — Veritas de terra orta, est... (Ps. 84, 12). Filius Dei de carne processit .../... uestigiis tuis, ipse qui cum Deo... Avec quelques coupures, Augustin, Enarr. in Ps 84, 13-16. C.C.L. 39, DD. 1173-1175. 12, — ff. r44t-145" : Item sermo sancti Augustini de natiuitate. — Cle- wietitissimus Pater omnipotens Deus .../... et habitauit in nobis, cui est honor et gloria in sectila seculorum. Amen. Ps, Augustin, S. Mai 76. P.L.S. I, 1184-1186. 13, — ff. 145'-147% : Item beati Augustini de natiuitate. — Castis- simum Marie uirginis uterum .../... ut pater dicaris Domini Saluatoris, qui cum eterno Deo Patre... Ps, Augustin, S. ap. 195. P.L. 39, 2107-2110. “44. — ff, 147v-149" : Item sermo de natiuitate. — Exortatur nos Dominus Deus noster, dilectissimi fratres, pariter .../... interposicione sociauit, qui cum Patre. Ps, Ildefonse, S. 13, 1-6. P.L., 96, 280-282 C 15 (Cf. Homéliaire de Toléde, n° 4). 15, — ff. 149'-r50" : Item sermo natalis Domini. — Gaudeamus, fratres karissimi, simul in unum .../.. animos nostros emundemus, ut tum’ dapife nostro“sine fine’regnemus, per ipsum Dominum Tesum Chris- tum 7 Homéliaire de Toléde, n° 6. P.L.S. IV, 1938-1040.

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