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[BAAL de Chauffe]

Bande Annonce
Il y a très, très longtemps, non, encore plus longtemps que ça, non, mais... FAITES
UN EFFORT NON DE NON ! Il y a une éternité, donc, au moins ça, oui, un vieux nain,
défraîchi, déambulait allègrement sur les sentiers battus à mort de la ténébreuse Fluocadhil, à
peine quelques heures après sa victoire, à la tête d'une flopée de gens difficilement vivants,
sur une autre flopée de gens diablement vaincus et rarement épargnés, et la création de «
l'Institut de Beauté Offshore Apadbol », anciennement connu sous le nom de « Peudlard, Ma
gît ici ». Il y a une éternité, aussi, mais un peu plus récemment, cette fois-ci, ce même nain, un
peu moins sûr de lui, s'éclipsait discrètement d'une terre qu'il avait pourtant conquise,
Fébrildhil, dite « Sauce Elfe Confidente », fort peu à propos. Inquiet, tourmenté, il ne faisait
plus parler de lui et, comble de la dramatique vérité s'il en est, ne parlait plus lui-même à qui
que ce soit, ou presque.

Althâr, car si vous en doutiez, c'est de lui que nous parlons en tant que narrateur, avait
un problème, et pas des moindres : une entité démoniaque à laquelle il avait,
malencontreusement, prêté allégeance au cours de la soirée qui l'avait vu sacré Mister Daifen,
en avait après des gens qu'il ne connaissait ni de Dave, ni d'Abraham. Un Dieu terrible,
terrifique, terrifissime même, qui serait bien capable de vous terrifier, vous, outrageusement si
jamais vous décidiez de le défier en terrifiant à votre tour quiconque pour votre propre compte
à vous. En somme, un Dieu pas bien gentil, pas bien innocent et pas bien inoffensif. Baal, car
si vous en doutiez aussi, même si c'est écrit dans le titre, c'est bien sur lui que se portent
désormais les projecteurs métaphoriques de notre narration de narrateur qui parle d'Althâr,
avait en effet besoin de rassembler six cents, et soixante, et six personnes quelconques pour
réaliser ses desseins. Et quand nous disons quelconques, c'est complètement et arbitrairement
quelconques, la seule condition, et il en faut bien une, étant que chacune de ces six cents, et
soixante, et six personnes possède une âme. Ce qui réduit, il est vrai, considérablement le
nombre des personnes susceptibles de se sentir menacées, et exclut notamment les Morts-
Vivants de l'affaire, même s'ils y jouent les méchants et, selon certains préjugés et croyances,
les orcs, les elfes, les nains, les nerlks, les primotaures, etc. Et plus généralement les femmes.
Vous devez théoriquement vous demander actuellement en quoi consiste ce fameux
dessein attribué à ce certain Baal, si vous n'avez pas déjà mis fin à votre lecture, tout colère
que vous êtes suite à votre mauvaise interprétation de la phrase précédente. Rassurez-vous,
alors que notre plume progresse inexorablement vers le coin inférieur droit de notre rouleau,
nous commençons à avoir une idée farfelue qui pourrait bien satisfaire votre curiosité. Mais
avant, revenons à Althâr, qui ne sait rien de l'introduction de cette histoire, qui n'a pas même
encore commencé.

Althâr ne se doute de rien. Il ne se rappelle même pas qu'il est un suppôt de Baal, et
que ce dernier s'apprête à faire un truc qu'on suppose horrible, même si on n'en sait rien pour
l'instant, et que cela implique des gens qui ont une âme. Un grand nombre de gens. Six cents,
et soixante, et six exactement. Pour être précis. Qu'en a-t-il à faire de gens qu'il ne connaît pas
le moins du monde ? Eh ! Bien TOUT ! Sinon l'histoire est finie, tuée dans l'œuf, mangée
dans la marmite, tirée dans l'étui... Althâr est juste le protagoniste d'une histoire qu'on imagine
horrifique et qui implique un grand nombre de victimes potentielles. Six cent et soixante et
six, exactement. Repassons à Baal, car nous n’avons finalement rien à dire sur le nain.

En même temps, si nous vous disons de suite ce qu'il en est des desseins de Baal...
Disons juste que pour les accomplir, il a besoin de ces six cent soixante six quidams.

Althâr, après plusieurs mois d'errance, tant spirituelle que géographique, pose ses
valises sur un continent au nom bien tarabiscoté, euh... Zztopdhil. Et là, que se passe-t-il ?
Vous le saurez dans deux jours, parce que là, il n'est pas encore arrivé...
[BAAL d’Engagement]
Un Réveil… Mortel.
Il était une fois, sur la lointaine ElPasodhil, trois nains couturiers. Gibbons, Hill et
Beard étaient célèbres pour les motifs très détaillés qu'ils étaient capables de coudre sur les
vêtements qu'ils créaient. Des paysages montagneux, principalement. Leur célébrité les amena
dans leurs jeunes années à quitter leur île natale, alors qu'ils se lançaient dans la conquête de
Daifen toute entière afin d'offrir leurs blouses au monde entier. La légende raconte qu'au
cours de leur voyage, ils tombèrent tous trois amoureux d'une grange qu'ils s'achetèrent et
aménagèrent à leur goût sur une île nommée BBKingdhil, un autre grand blousemanne.
Quelques année plus tard, ils rachetaient le territoire entier et le renommaient selon leur envie,
ZZtopdhil, du nom de leur désormais fort renommée petite entreprise.

Mais ceci n'est qu'une légende et, le seul fait établi, c'est que ces gens ne sont plus là,
béni soit leur souvenir, et que la propriété de cette terre reviendra à celui qui s'en montrera le
plus digne ; à celui qui, part sa force et sa bravoure, saura s'imposer comme le vainqueur
incontesté de la joute à venir. C'est, à défaut d'une meilleure raison, pour cela qu'Althâr
Anthâar a débarqué hier soir sur les rivages abandonnés jusqu'alors de ZZtopdhil,
accompagné d'un petit détachement de nains capables, dans l'optique d'ériger dans les plus
brefs délais un bivouac et, pourquoi pas, un peu plus tard, un fortin, un fort ou même une
forteresse. Quelques heures auront donc suffit à dresser une palissade autour de quatre tentes,
elles-mêmes disposées autour d'un tas de branches et de brindilles sèches arrachées à la
nature, constituant le foyer à venir d'un joyeux brasier attisé dans l'espoir d'apporter la chaleur
à ceux qui sont loin de chez eux. Chez les nains, la première soirée est toujours festive. Que
ce soit pour remercier Calypso de la réussite de la traversée ou pour vérifier que les réserves
ne se sont pas étiolées en chemin, cette manifestation a pour avantage de vider les têtes,
d'attaquer sérieusement les provisions, de détendre les muscles, et de préparer à la dernière
nuit paisible avant de nombreuses semaines.

Ce matin, un calme quasi-angélique règne sur le bivouac. Quelques tonneaux roulent


de-ci, de-là, entre les tentes, portés par une brise légère mais prenante. Pas un de ses hommes
n'est levé, ce qui n'étonne guère vraiment Althâr, mais quelque chose cloche. Alors que ses
yeux s'habituent peu à peu à la lumière, plutôt sanguine soit dit en passant, et que les vapeurs
éthyles qui engourdissaient jusqu'alors son esprit se retirent peu à peu, il remarque quelque
chose, un signe. Un mauvais présage.

« Un soleil rouge se lève... Beaucoup de sang a dû couler cette nuit. »

Et cette odeur qui le prend à la gorge. Une odeur de... La nourriture serait-elle avariée
? Alors qu'il inspecte le campement, sans trop oser déranger ses hommes, Althâr ne repère
aucun détail visuel susceptible d'éveiller sa crainte. Son odorat, par contre, est
dangereusement mis à contribution... Les bottes ?

Sans vraiment faire attention, Althâr retourne devant les cendres de ce qui avait été la
veille au soir un feu de joie acceptable et s'assied, groggy, sur un rondin épargné par les
flammes. Sentant le pourpre du Soleil lui taper sur le crâne alors qu'il tente d'identifier une
masse sombre à l'ouest, il ne peut être que soulagé lorsqu'une brise chaude lui caresse le cuir
chevelu, accompagnée d'une forte baisse de luminosité. Une brise chaude, certes, mais
irritante, piquante... Acide. N'y pouvant plus, Althâr se retourne, insupporté, et...
« Mon nom est Baal, immortel ! La voix du démon tonne dans l'immensité réduite du camp.
Mon nom est Baal, et au nom du contrat signé de ta main, tu es mon serviteur, dans ce monde
et dans l'autre, jusqu'à ce que ta tâche soit accomplie ! »

Debout à quelques mètres de lui, drapé dans une lourde cape, dégageant une aura de
soufre, l'être ne sourit pas. Non pas que cela aurait été plus rassurant pour Althâr s'il avait
souri, mais au moins, cela aurait atténué les sombres ténèbres qui semblent sourdre de lui.
Évidemment, c'est un démon. Le nain est suffisamment réveillé pour reconnaître au moins
cela. Pas de teint rougeâtre cependant, ni de cornes. Non, l'unique problème c'est l'absence
totale d'ombres et de sensation d'humanité. Comme si... Comme si un quelconque cosmique
dessinateur avait, de sa gomme, supprimé cet appendice inutile, et s'était au passage épargné
quelques menus détails.

Un peu piteux de la veille, Althâr se plonge dans ses pensées à toute vitesse, pour
trouver à quoi ce démon peut donc faire allusion. Au bout de quelques secondes
particulièrement douloureuses et embrumées, il lui faut bien admettre qu'il n'en sait rien. La
voix pâteuse encore, il s'adresse à Baal.

« Salutations ? Hésite-t-il. Le démon s'incline paisiblement. Un bon point. Et donc, vous


êtes... Baal ?

- Je suis le démon qui vient porter malemort et violence sur le monde. Je suis l'annonciateur
de la destruction. Les trompettes de Jéricho vibrent sur mon ordre d'un jazz d'enfer. La Mort
marche à mes côtés. Je suis Baal.

- Hem... Althâr se retient, in extremis de demander si la Mort est, pour l'occasion, en R.T.T.
Et donc, Baal, enfin... Que me voulez-vous ? »

Bien plus tard, le fier nain avouera qu'au lieu de poser cette question, il aurait dû
essayer de se débarrasser de l'encombrant personnage comme il se débarrasse des témoins de
Jéhovah le samedi matin : violemment et dans la douleur.

« Je viens en ces lieux choisis par toi seul te faire appliquer le contrat que tu as signé et pour
lequel tu as engagé ton âme et ta vie, immortel ! Althâr ouvre de grands yeux ronds à
l'immense satisfaction du démon. Car tu as signé un contrat ! Qu'apparaisse la lourde table de
la destinée ! »

Dans un concert de fumée violette qui ne sent pas la rose, d'éclair et de feu, s'élève du
sol une tablette en pierre qui vient flotter, presque avec défiance, devant Althâr, où trônent ces
quelques mots, frappés au burin infernal.

« Moi, ci-devant Althâr Anthâar, m'engage à servir sans restriction le démon porteur de
malemort et de violence, l'annonciateur de destruction, le chef d'orchestre des trompettes de
Jéricho, aux côtés de qui marche la Mort, le funèbre seigneur des funestes destins, écraseur
de crevettes et massacreur d'espoirs, ci après nommé Baal, et à accomplir son dessein.

Par le présent contrat, j'engage donc ma vie et mon âme, et ne m'estimerai relevé de mon
serment qu'une fois que Baal aura accompli son grand œuvre. »
Et en dessous, sa propre signature et des lignes mouvantes et insaisissables qui doivent
certainement être celle du démon.

« Je proteste ! Je n'ai pas pu signer ceci ! Je ne me souviens pas avoir donné des coups de
marteau si puissants ne serait-ce qu'une fois dans ma vie ! Se défend le nain.

- C'est une copie, soupire Baal. Depuis un certain foutu incident commis par une certaine
foutue personne, cette foutue bureaucratie d'en bas nous interdit de sortir les foutus originaux
des archives.

- Mais, commence Althâr, enchaînant sur tout un tas de "mais" qu'il serait indécent d'écrire.

- Il suffit, Immortel ! Tu as signé, tu assumes.

- J'étais saoul ! Proteste Althâr de tout son cœur.

- Dommage. Susurre le démon. Cela dit, on s'en fiche. Passons à l'aspect technique de la
chose. Ton royaume est mon royaume, et ce n'est pas réciproque. Aussi j'ai pris la liberté de
remplacer tes ridicules petits nains par quelque chose de plus... substantiel. Les Morts-
Vivants, tu verras, c'est tellement mieux ! Ensuite, j'ai besoin d'un certain nombre d'âmes à ma
botte. Alors tu vas moissonner, le plus vite possible. La Mort est en R.T.T.

- Non. Crache Althâr en se retournant.

- Pardon ? Tique le démon.

- J'ai dit non.

- Mais... Vous avez signé le contrat !

- J'étais saoul ! Un de mes scribes va étudier le dossier, voyez avec lui.

- Comment ?

- Ça se passe comme ça et pas autrement. J'ai un Royaume à faire tourner, une guerre à
gagner, alors t'es gentil, tu viens pas me les briser menu avec tes histoires de soumission et de
servitude. Donc, pour faire simple, tu me rends mes forgerons fissa, tu arrêtes de gonfler tes
pectoraux, c'est indécent, et alors seulement il y aura éventuellement une chance que j'écoute
plus avant tes bêtises. En attendant, salut ! »

Et Althâr de retourner sous sa tente prolonger sa nuit, en espérant qu'à son réveil il ne
se souviendrait pas d'un cauchemar aussi crétin.
[Deuxième BAAL]
A la Recherche de la Nouvelle Tare
« Tout le monde sait que Dieu est noir, que le Diable est une femme et que mon zizi était une
clé. »
Golmen Bher, écrivain

« MAIS CA NE VA PAS ! CA NE VA PAS DU TOUT ! DU TOUUUUUUUUUUUUT !


AH NON NON NON ! »

C'était un cri du cœur. Baal était excédé devant l'incompétence du moins que rien qui,
tantôt plein d'espoir mais désormais terrifié, avait osé venir se planter devant lui et lui faire
perdre son précieux temps. Le manque d'originalité de cet incapable était effarant, de même
que son apparence : humaine...

« Sais-tu seulement ce qu'on recherche ? Sais-tu seulement pourquoi tu es ici ?, demanda


Baal, d'un ton méprisant.
- Bah euh... Je suis pas d'accord moi..., murmura le candidat.
- Pardon ? PARDON ?
- Je suis très connu dans mon plan hein... Et j'ai des fans et tout...
- MAIS JE M'EN FOUS ! Tu es nul ! Nul ! Du talent, les mondes en manquaient avant ton
ascension ! Et tu sais quoi ? Depuis que t'es là, ils en manquent toujours !
- Eeeeeeeeeeeeeet... COUPEZ ! C'est dans la sphère ! »

Alors que le clap se refermait devant l'ovobjectif, œil ovoïde télépathe muni d'une
excellente persistance rétinienne, magné de griffe de maîtresse par une camérarpie hilare, le
candidat, répondant au doux nom de Joni, fondait en larmes. La Nouvelle Tare est une
audition inter-planaire qui invite tous les êtres de nature ou de comportement, éventuellement
d'aspiration, démoniaque à imaginer et présenter à un jury composé de Baal (ou Kyan), Lilith,
Mary Fess' (depuis que les gentils ont gagné sur Certadhil et Miséricordhil) et Zagam (en
qualité de président élu démoncratiquement des enfers), une tare, une malédiction ou un fléau
totalement inédit qu'ils pourraient déverser sur les mondes. Le gagnant de la précédente
édition étant le célèbre Drazankhar, qui avait fait l'unanimité avec son idée d'industrialiser les
processus de résurrection dans le but de conquérir Daifen et quelques autres mondes, le jury
était devenu particulièrement exigeant, et l'on s'attendait à une recrudescence de candidats
tous plus ingénieux les uns que les autres. La récompense étant de 3D6x10.000XP et un
soutien logistique pour application de la nouvelle tare, les candidatures étaient effectivement
devenues innombrables, mais l'effet en avait été inverse : peu de concurrents concurrentiels et
un niveau général frisant l'humainement acceptable, voire le politiquement correct.
Donc, alors que le clap se refermait devant l'ovobjectif le temps d'une page télépathétique de
publicité, Joni, alité, était évacué par les services amédicaux, démoli qu'il était par la dure
vérité, et un Officielfe Noir se présentait devant Baal, un sourire énigmatique gravé sur le
visage et une flûte de Sang-pagne à la main.

« Ah bah voilà une gentille Elfette, c'est qu'ils me donnent soif ces mignons !, s'exclama Baal.
- Euh..., hésita le messager.
- Bah quoi ? Donne !, éructa le juré.
- Non mais c'est qui ce guignol ? Je suis UN Elfe, Noir, officiel de plus ! Cette flûte est à moi
et, pour votre gouverne, je dois avoir dans les mille ans de plus que vous, de même que
quelques centaines d'XP, aussi, dont la plupart sont allés se fourrer dans la capacité spéciale «
Empoisonnement efficace mais discret ». CA, c'est pour toi, tocard ! »

Et l'Elfe de lui remettre un parchemin scellé par le sceau matriarcal. Intrigué par
l'importance qu'allait sûrement revêtir l'information contenue par cet impromptu rouleau tout
en appréciant les formes de l'arrière train de l'Officielfe qui s'éloignait, Baal fut soudain
étreint simultanément, et paradoxalement, par deux sentiments : une troublante anxiété et une
délicieuse excitation.

Mais avant de vous parler de ce qu'il y avait dans cette fameuse lettre, il est nécessaire
de vous situer quelque peu le contexte.

Les temps étaient durs pour les démons. Des armées de paladins assoiffés de sang
parcouraient le monde, à la recherche de gloire, de hauts faits et d'héroïsme. La meilleure
façon pour ce faire, comme indiqué dans le plan de carrière qui leur est fournit dès qu'ils ont
signifié leurs vœux, était de massacrer, détruire, annihiler, complètement pourrir et tuer
jusqu'à ce que mort s'en suive tout ce qui ressemblait, de près ou de loin (les ordres ne sont
jamais trop regardants sur la marchandise), à un démon. Ce qui, dans pas mal de villages, se
trouvait inclure le rebouteux du crue, quelques clercs sodomites, et un bon paquet de roux.
Seulement, dans ce petit monde de furieux de la Holy Avenger, l'épée, se trouvaient quelques
braves héros qui, eux, avaient la fibre, la vocation. Ils défendaient la veuve, sans lui passer
dessus, contrairement à certains de leurs confrères, et plaçaient l'orphelin dans des maisons de
charité plutôt que de le foutre à la baille ou de s'en servir comme appât. Mais le pire, c'est
qu'ils savaient reconnaître un démon. Combien étaient tombés sous leurs coups ? Le petit-
démon-mineur-des-choses-qui-disparaissent, Murphy-le-poissard, le-charmant-déclencheur-
de-bagarre, le-démon-de-midi-moins-le-quart, et beaucoup d'autres. Drazankhar, notamment.

La petite entreprise démoniaque connaissait bien la crise, et il fallait impérativement


découvrir de bons jeunes avec la flamme sacrée... Hem, pardon, avec la flamme maudite, pour
relancer le fonds de commerce. Et donc, l'émission La Nouvelle Tare arrivait à point nommer.

L'injure ne sera pas faite de tout vous expliquer de nouveau. Voici, cependant, le cœur
du problème.

Les coûts de production d'une émission intra-planaire sont énormes. Le staff


(technique, bande de sales druides, pas le bâton) l'est tout autant. Le cachet demandé par les
membres du jury ferait pleurer n'importe quel Crésus. Enfin, les pressions sont nombreuses
sur les têtes des dirigeants. (Ben ouais, les dirigeants sont multicéphales, parfois multiplement
microcéphales, ET carnivores.) L'holocéphalodiffusion, c'est bien, ça touche du monde, mais
le coût d'élevage des ovobjectifs est incroyablement élevé. Sans parler du coût de stockage
des bandes, tout étant retranscrit pour archivage... Cela a même, dans les premiers temps,
poussé les démons à inventer une nouvelle forme de damnation pour les humains, et ainsi
naquirent les écoles de commerce... Enfin bref, l'impératif ultime est celui de l'holodiance. Il
faut en faire. Si une émission telle que La Nouvelle Tare, à l'heure de pointe, touche moins de
35% du P.A.D. (paysage audiospirituel démoniaque), elle est produite à perte. Voilà
précisément la raison pour laquelle ce brave elfe à la sexualité plus ou moins invertie (ça
dépend des périodes, de l'orbite de la lune, de l'intensité des secousses sismiques, du sens du
vent ET de l'âge du capitaine) était venu trouver, là, maintenant, enfin, plus haut, Baal.
Baal n'était, à cette époque, pas encore le démon que l'on connaît aujourd'hui. C'était
un simple fonctionnaire, qui, en astiquant les bons tentacules, avait bien mené sa barque pour
se faire une place loin du soleil. Diplômé d'une très grande école d'esthétique démoniaque, il
avait un goût certain en matière de femmes et d'effrayance. Aussi la production (Endemonol)
l'avait recruté pour être membre du jury qui allait trouver le nouveau Drazankhar (les anciens
ayant été tués lors d'un tragique accident d'eau bénite). Mais Baal avait le défaut de sa qualité
: il était beaucoup trop exigeant, et les candidats, les vrais, ceux qui manquaient de confiance
alors qu'ils étaient pétris de talent, se faisaient de moins en moins nombreux. Non seulement il
avait une tendance marquée à massacrer unilatéralement (sauf une ou deux fois) les candidats
qui ne lui plaisaient pas, mais en plus il n'amusait plus l'holodiance. Dès lors : placard.

Fin de la pause image, retour à l'histoire.

Les yeux de Baal s'ouvrirent à ce moment-là, selon témoins, comme des soucoupes à
la vue de la proposition de salaire qui figurait en bas de la page. Muté aux archives, pour un
C.D.D. (Contrat démoniquement durable), il toucherait par semaine l'équivalent de huit mois
d'XP dans cette émission pourrie. Sans plus réfléchir, il enfonça le démonicrophone dans
l'appendice anal du pauvre candidat, sous l'ovobjectif ravi, et fila sans demander son reste,
non plus que ses indemnités de licenciement.

La suite, pauvres de vous, vous allez la savoir...


[Troisième BAAL]
Double Faute, Premier Service
« Ma femme m'a quitté, mais je m'en contrefiche ! » Hurla Baal en enfonçant la porte du
Heaven's Bar, à la stupeur générale. Ben quoi les gars, continua-t-il. Z'avez jamais vu
quelqu'un d'heureux ? Tournée générale ! »

Aussitôt, tout le monde se jeta dans le plus grand désordre vers le zinc, agressant
littéralement le tenancier de commandes. Et quand je dis littéralement, cela signifie qu'une
bande de démons pas forcément mineurs lui balancèrent en pleine tronche mot de pouvoir sur
mot de pouvoir.

Une fois le miroir recouvert d'une substance que la décence m'interdit de décrire... En
fait non.
Une fois le miroir recouvert d'une substance étrange, plus ou moins verdâtre, mais
avec quelques tendances à virer au jaune ou au rouge le plus vif par endroits, granuleuse aussi
là où aux fluides biologiques du pauvre barman [Pour la petite histoire, il faut savoir que
n'importe quel être ne peut pas répondre à plusieurs mots de commandement en même temps :
un, cela passe. Deux, encore. Au-dessus, l'issue est fatale : le corps se lance dans toutes les
tâches demandées en même temps. Alors, imaginez ce pauvre barman et la grosse vingtaine de
commandes. D'où la substance.] s'ajoutaient des lambeaux de peau, des morceaux de cornes,
voire des résidus de cervelles ; les clients se servirent eux-mêmes tandis que Baal, un peu
penaud et franchement hilare surtout, s'éclipsait avec toute la discrétion dont il pouvait être
capable avant que la Brigade Anti Débordement n'arrive.

Évidemment qu'il s'en fichait que sa femme l'aie quitté. Même si elle était un avatar
tentaculaire du lucre et du vice, au bout de cinq siècles de mariage et d'un ou deux siècles de
plus de vie commune, il en avait fait le tour. Place à un nouveau Baal, plus libre, plus grand,
plus fort, plus audacieux, dont la femme ne le tromperait pas avec le dentiste, le plombier et le
petit livreur de lait de bouc en même temps !

Place, donc, à un Baal célibataire et archiviste.

Bien sûr, dit ainsi, cela ne sonne pas très bien. Et si je payais pour lire ce genre
d'âneries, je vous assure que je massacrerai les auteurs à la pelle. Ou à la boule de feu. Au
choix. Mon cœur balance, en fait. La boule de feu, c'est très pratique mais bon, ça ne laisse
pas de traces sinon un tout petit tas de cendres, et encore, pas toujours, cela dépend de la
puissance avec laquelle on la lance, ce qui fait que généralement, moi, je me retrouve avec
simplement un peu de roussi sur le sol. Et rarement encore. Tandis que la pelle... La pelle, tout
de même, c'est autre chose. C'est plus artisanal, on y met beaucoup plus de passion et de
grandeur. La pelle, c'est jouissif : le coup de tranche, le coup de plat, tant et tant de manières
de massacrer joyeusement ! Mais je m'égare.

Les archivistes infernaux ont sans doute le travail le plus complexe et responsabilisant
qu'on puisse trouver dans le multivers. Être archiviste consiste à classer. Ce qui en soit, bien
sûr, n'est pas bien difficile. Mais rappelez-vous que « classer », c'est intégrer de l'ordre dans
les choses. Or, comment intégrer de l'ordre en enfer, c'est-à-dire précisément au point du
multivers qui ne supporte pas l'ordre ? C'est un coup à se prendre un retourné claqué des lois
physiques en pleine pogne. D'où le salaire démesuré. Et la demande de talent.
Car il ne faut pas croire, surtout, que Baal est un incapable de premier rang. Au
contraire : il est intelligent. Très intelligent. Brillant même. Un esprit comme il en existe peu.
Il est capable de trouver des problèmes pour résoudre une infinité de solutions. Lors de la
dernière crise démonique majeure, alors qu'il n'était encore qu'étudiant sur les bancs de la
classe préparatoire, il avait formulé, en quelques jours, l'échappatoire que le Conseil
Démoniaque mettrait deux mois à trouver. Un esprit tellement brillant qu'il est un des rares,
en ce monde de chaos, à réussir à concilier les concepts d'ordre et de désordre. [Précisons ici
qu'un démon quelconque, mis à part peut-être Rek, mais il n'est pas quelconque lui, exploserai
à l'idée même d'ordre. Quant à conceptualiser l'ordre dans le désordre, l'inverse ou la
réciproque... Cela, cependant, demeure un moyen assez amusant de se débarrasser de
n'importe quel démon et de repeindre les murs de sa cuisine dans des tons originaux. La
réalité fait mal. Très mal.]

Ainsi, aux archives, il accomplissait un boulot du tonnerre de... D'enfer. Les


rayonnages multidimensionnels de l'immense bibliothèque n'avaient jamais été aussi bien
rangés que depuis sa nomination. Certes, au début, il avait fallu être très clair avec les démons
qui venaient y faire leurs recherches, et leur apprendre à ne pas penser à l'ordre. Baal n'aimait
vraiment pas retrouver de morceaux sur les livres. Non plus que des flaques étranges sur ou
sous les plans de travail. Enfin, bref.

Tout ça pour dire que Baal faisait son travail avec maestria, et que les XP tombaient.
Dégringolaient, même. Chaque mois. Avec une régularité inquiétante, Baal recevait son
salaire de 400000XP. Impressionnant, non ?

Ce qui est vraiment impressionnant, c'est que, tout pris par son boulot, Baal ne les
répartissait pas ! Il les laissait s'accumuler stupidement dans un coffre de la Demonic Bank of
Stockland sans jamais s'en préoccuper. Il était trop affairé à ranger le désordre auto-
reproductible des archives. Aussi, bien qu'étant potentiellement l'un des plus puissants
démons de l'histoire multiverselle, il n'en demeurait pas moins un jeune démon de second
ordre terriblement, terrifiquement intelligent. Mais un peu con sur ce coup…

Une précision s'impose ici. Des chercheurs, du haut de leur savoir, ont édicté que la
génération spontanée n'existe pas. Imbéciles. Dans les archives (démoniaques ou pas
d'ailleurs) la génération spontanée existe. Le chaos naît de lui-même, sans qu'on lui demande,
et se reproduit tout seul, comme un grand. Faites l'expérience : rangez précisément vos livres
sur des rayonnages, scrupuleusement. Fermez la porte et revenez, mettons, une semaine plus
tard, en ayant empêché quiconque de rentrer. Le désordre régnera. Incroyable, non ? A noter :
le même principe d'auto-reproduction du chaos s'applique aux chambres des adolescents.

Un boulot à plein temps, donc, qui empêchait Baal de faire attention aux choses de la
vie. Comme par exemple ces deux démons qui, bien innocents, s'amusaient à allumer en
douce des incendies dans le coeur des deux jeunes démones juste à côté d'eux. Spectacle
touchant que la parade nuptiale de ces êtres inoffensifs, qui se préparaient à s'aimer et se
chérir, ou pas, jusqu'à ce que mort s'en suive. Miracle toujours renouvelé de la nature qui
séduit les âmes et déchaîne le feu des passions.

Au sens figuré normalement, mais selon le principe bien connu dit de « «littéralité des
lieux communs dans un espace fortement magique », les archives prirent feu.
Communément, ici, les auteurs auraient voulu placer une longue, très longue
description de l'incendie, des livres qui hurlaient au feu tandis que les démons archivistes se
tortillaient de douleur sur leurs rayonnages. Je vous prie de le croire, les auteurs auraient
vraiment voulu décrire comment le feu, d'abord faible et contenu dans la salle des livres pour
enfants, était devenu de plus en plus intense, dévorant dans un premier temps cette maudite
salle, attisant sa flamme par des ouvrages sacrés enfin, pas au sens religieux, plutôt genre
incontournables, tels que « Petit démon deviendra grand », « Manuel de torture pour les tout
petits » ou encore « Le paladin, la Holy Avenger et le souffle du diable ». Nous aurions
vraiment apprécié de pouvoir vous expliquer de quelle manière insidieuse le feu avait pu
combattre les secours, prétendant s'arrêter, s'essouffler, à leur approche, se dissimulant
derrière des étagères ignifugées, sournoisement, attendant les vaillants soldats de l'eau, et
bondissant soudainement sur eux dans un souffle putride pour les dévorer sans pitié aucune.
Cela aurait été un plaisir de ne pas vous épargner les hurlements des pauvres âmes faméliques
torturées par le feu maléfique, plus ou moins magique, qui les brûlait sans les tuer encore, se
gargarisant de la souffrance de ces pauvres hères, gagnant encore en puissance à mesure qu'il
tuait et tuait, et tuait encore. Sincèrement, du plus profond de notre coeur, nous vous assurons
que vous décrire l'incendie et comment finalement il parvint, en cet instant précis du récit, à
détruire les archives en entier, ne laissant des bâtiments autrefois glorieux qu'un large tas de
déchets légèrement fumés, aurait été notre plus grand plaisir. Vous expliquer comment Baal
échappa miraculeusement à la mort en se faufilant sous des sièges, se protégeant derrière des
gamins de passage, affrontant même le feu de ses mains nues (ce qu'il ne fera pas deux fois,
notez bien), comment, sautant du quatrième étage pour sauver sa vie, se rétablissant dans les
airs, plantant ses griffes (fournies à la naissance à tout démon) dans la pierre dure pour ralentir
sa chute, il survécut, tout cela nous aurait délicieusement fait plaisir mais nous avons le regret
de devoir le résumer ainsi.

Le feu prit dans les archives. Il dévora tout le bâtiment. Baal s'en sortit
miraculeusement... Pour tomber dans les griffes de la justice.

De Justice, pardon. Justice Von Remur. Démone très expérimentée. Très très
expérimentée. Très griffue aussi. Non, nous ne la décrirons pas. Pas envie. La flemme, ouais.

L'incendie des archives n'avait pas de coupable. Ce qui pour Justice, était
inconcevable. Par contre, il avait un responsable, responsable qui coûtait très cher à
l'administration. Dont Justice était la connétable, aussi, en plus d'être la porte parole.

Baal fut donc accusé d'avoir laissé se répandre le feu, et ergo de l'avoir laissé dévorer
la bibliothèque. Sa défense consistant à dire : « J'étais en train de mettre de l'ordre dans le
département quantique » ne tenant pas la route, il fut condamné. Justice lui retira sa fiche de
perso sans lui permettre d'ajouter les innombrables points d'XP qu'il avait pu accumuler
pendant les deux trois siècles qu'avaient duré son emploi (admirez l'ellipse : deux trois siècles
en une demi page. Fortiches, les auteurs, non ?), stipulant que s'il voulait la récupérer, il allait
devoir fournir à Justice, qui avait une petite faim, six cent soixante six âmes, et pas une de
moins. Fraîches, de préférence.

Voilà donc que notre pauvre Baal se trouvait à la rue, et sans aucun pouvoir.

Ce qui est pitoyable, n'est-ce pas ?


Si vous avez réussi à nous suivre jusqu'ici, vous serez heureux de comprendre enfin
quelque chose à propos de cette histoire. Ce jour précis qui avait vu Baal nommé au poste
d'archiviste à l'Institut Démoniaque des Archives l'avait aussi vu recevoir quelques menus
privilèges. Parmi ces privilèges, une demie douzaine de formulaires d'Allégeance. Ce jour
précis qui avait vu sa promotion - mise au placard diront certains - avait aussi vu sa femme le
plaquer. Et c'est précisément le soir de ce jour précis qu'il débarqua au Heaven's Bar, prêt à
prendre un nouveau départ dans la vie. Tout ça, vous l'avez, je l'espère, compris.

La causalité, on est pas là pour vous expliquer comment ça marche. Cependant, ça


entraîne parfois l'occurrence d'évènements, théoriquement complètement distincts,
simultanément, entraînant l'occurrence d'un seul et unique événement directement causé par
l'occurrence simultanée des précédents éléments qui eux, finalement n'étaient pas si distincts
qu'on aurait pu le croire.

Dans le cas qui nous concerne, ce soir là, précisément, au Heaven's Bar, un vieux nain
avait lui aussi quelque chose à fêter. Althâr Anthâar venait d'être élu Mister Daifen et, après
une cérémonie en grandes pompes, il n'avait pas trouvé meilleur endroit que le Heaven's Bar
pour partager sa joie avec le multivers - la taverne étant déserte à ces heures tardives.

Au moment précis où Baal offrit sa tournée générale à la populace en ce lieu réunie,


Althâr, sentant le mauvais coup venir, se téléporta derrière le bâtiment. Quelques instants plus
tard, Baal, s'étant adroitement faufilé, dégommait la porte de derrière et s'écrasait dans une
flaque de boue, aux pieds du nain, surpris. Aussi, l'aidant à se relever et ayant encore quelques
tonneaux à vider pour pouvoir considérer qu'il avait effectivement dignement fêté sa victoire,
Althâr lui proposa d'aller finir la soirée à la taverne, où ils pourraient discuter.

Quelques heures plus tard, Althâr Anthâar, saoul comme une barrique, s'engageait à
servir sans restriction le démon porteur de malemort et de violence, l'annonciateur de
destruction, le chef d'orchestre des trompettes de Jéricho, aux côtés de qui marchait la Mort, le
funèbre seigneur des funestes destins, écraseur de crevettes et massacreur d'espoirs, Baal, et à
accomplir son dessein. Par le contrat qu'il venait de signer, et les précédents chapitres nous
ont appris qu'il ne s'en souviendrait pas, il engageait donc sa vie et son âme, et ne devrait
théoriquement s'estimer relevé de son serment qu'une fois que Baal aurait accompli son grand
œuvre.

Ceci explique bien des choses, non ? Et ensuite ? Le temps d'y penser et on vous tient
au courant !
[Quatrième BAAL]
L’Avocat du Diable
Quand Althâr se réveilla, rien n'avait changé. La même odeur immonde de corps en
décomposition planait dans son campement, et avait même réussi à se frayer un chemin
jusque dans sa tente, tandis que les morts qui ne pouvaient plus gésir, eux, étaient occupés à
vaquer de droite et de gauche, dodelinant de la tête dans une parodie de vie lente et
perturbante pour tout homme dépourvu d'une solide armure, d'un certain pouvoir ou d'un fort
taux d'alcoolémie.

Althâr ne portait pas d'armure, en tout cas pas au saut du lit, mais il possédait quelque
puissance mystique assimilable à un pouvoir certain. Aussi, quand il mit un pied en dehors de
son logis de fortune, il ne fut en rien effrayé par les affreuses goules déjà rongées d'humidité
que le soleil du matin lui découvrit, tout juste incommodé. Il arborait cependant des sourcils
aussi froncés que son nez, qui cherchait vainement à s'affranchir de la puanteur morbide
environnante.

Ses hommes, ses précieux nains, des goules ! Il n'avait donc pas, comme il l'avait
secrètement espéré, cauchemardé. La réalité était telle. Il cligna lentement des yeux, très
lentement, comptant calmement jusqu'à dix.

« Bonjour, mortel. Baal te salue. »

Althâr rouvrit les yeux pour découvrir le démon, droit comme un i, devant lui,
accompagné d'un petit être étrange à la peau grisâtre. Le regard du seigneur dragon s'attarda
sur cette créature bizarre, à la peau grise et au teint blafard, le visage dévoré par une paire de
lunettes aux verres épais et à la monture qui témoignait, si le sourire forcé de la chose n'en
disait pas assez long, d'un manque total d'humour. Les yeux froids, gris aussi, plissés de
l'individu, enfoncés tels des clous sous de massives arcades plantées de sourcils broussailleux
qui se rejoignaient en une fine ligne noire quand ils étaient froncés, semblaient s'ouvrir non
sur le monde mais sur une terre inconnue, certes, mais indéniablement maléfique. Dégarni sur
le haut du crâne, chauve ou presque, le sinistre individu tenait, serré entre des mains qui
paraissaient des griffes, un truc rectangulaire noir et brillant, antédiluvien aurait-on dit- on
apprendra sous peu ce qu'était ce truc. Antédiluvien semblait aussi son costume, sans doute à
la dernière mode d'il y avait des éons. A la vue de cette créature, Althâr frémit, saisi d'un
sentiment étrange.

« Laissez-moi vous présenter Typiton, énonça calmement Baal. Je l'ai déniché dans les
turpitudes des Enfers. C'est mon avocat. Crut-il bon de préciser. »

Althâr eut un tic nerveux.

« Mon client m'a fait venir depuis l'Enfer pour m'occuper d'un contentieux qui me semble plus
que louche, Monsieur Anthâar, aussi, si vous le permettez, je voudrais que nous nous
asseyons ensemble autour d'une table pour en discuter calmement, car, voyez-vous, il n'est pas
de problème, aussi épineux soit-il, qui ne puisse être résolu par une étude opiniâtre et farouche
du cas, ainsi que par la collaboration d'esprits brillants qui peuvent, si le coeur les en dit,
s'écouter paisiblement, se nourrir les uns les autres, permettant à l'ensemble d'être plus perçant
que la somme des parties et ainsi de trouver des solutions que l'on n'aurait pas attendu de
l'individu isolé et qui souvent se révèlent plus surprenantes que le problème en lui-même,
problème qui évidemment peut tout simplement se résoudre purement et simplement quand
les parties en viennent à s'entendre comme par miracle, et combien ai-je connu de ces cas où,
après des heures, des mois voire des années de discussions incessantes et non constructives, le
cas se résolvait tout seul, sans qu'aucune des parties ne fut morte ou abattue par l'autre, et c'est
pour cela que je vous enjoins... »

Althâr jeta un regard désespéré à Baal.

« ... car c'est par la réunion que nous seront forts et vaillants et que nous triompherons de ce
qui vous préoccupe, préoccupation, et j'ose le dire, qui me paraît bien exagérée, voyez-vous,
car j'ai jeté moi-même un petit coup d'œil sur le dossier complet et je dois vous avouer que je
ne peux pas comprendre d'où vient votre incompréhension ni ce qui suscite votre refus de
vous plier aux termes du contrat que vous avez passé, à vrai dire, contrat solide, écrit de la
main d'un spécialiste, d'un maître dirai-je même si elle n'avait été la mienne, la décence
m'interdisant d'ainsi me célébrer moi-même, cela étant du plus mauvais effet, vous en
conviendriez bien... »

Althâr chercha une hache du regard ou un gantelet d'armure à écraser sur l'immonde
avocat.

« ... cependant je vois que vous ne vous passionnez pas pour ces petits détails qui font tout le
sel de ma profession, aussi vais-je rapidement passer sur la description de ce contrat pourtant
de toute beauté pour en venir au fait le plus simple, le plus pur, le plus beau que je puisse
énoncer : vous vous êtes complètement fait avoir. »

L'avocat se tut ici, arborant un sourire non plus forcé mais démoniaque. Althâr grogna
lentement, tandis que la main de Baal se posait sur son épaule.

« Alors, si on reparlait de mes six cent soixante six âmes ? »

Tiens, c'est l'heure de la pub. Pourquoi une pub, me direz-vous ? Eh bien, pour
plusieurs raisons. Non ! Sincèrement, ce n'est pas uniquement pour que le chapitre atteigne
une taille respectable, car je vous garantis qu'en continuant avec cet incroyable flot de
conneries ça ne sera pas obligatoirement un problème. C'est juste qu'on s'est dit que ça serait
pas mal, et voici d'ailleurs quelques éléments de justification. Premièrement, les auteurs ont
besoin de quelques minutes pour réfléchir à ce qui va se passer après. Ensuite, pour ceux qui
ont la vessie grosse comme un lampion, c'est le moment d'y aller, vous allez rien louper.
Enfin, on va pouvoir vous prouver que chez ÂK. Publishing, on n'est pas que drôle, on n'est
pas que beau : on fait aussi dans le drame familial, dans le drame sentimental, dans le drame
épique, le drame piquant, le dramatiquement incorrect et malsain, le drame mystique ou
dérangeant, le drame diététique et bien-sûr le drame porcin. Parce qu'on sait ce que signifie la
croix rose, on a pour vous une exclusivité :

AMAN

C'est l'histoire d'une femme qui aime son mari éperdument et qui jamais n'a douté de
lui. C'est l'histoire d'un mari qui, croulant sous d'injustes dettes, va conduire sa famille au
bûcher. C'est l'histoire d'une fillette qui, échappant miraculeusement au brasier, verra ses
parents brûler dans les flammes d'un enfer où ils n'auraient jamais dû se trouver, voyant ainsi
son enfance partir en fumée.
Cette fillette, Aman, découvrira bien trop vite la puanteur d'une ville qui la rejette,
s'enfonçant peu à peu dans les viscères malades d'une société décadente et malhonnête, où elle
trouvera pourtant la lumière, dans les bras d'une vieille meneuse de revue à la tête d'un bordel
en vue, et qui en fera sa protégée.

Bien vite elle apprendra ce qu'une bonne éducation coûte dans pareil milieu, et tout
aussi vite elle s'en accommodera, voyant en la vie un jeu dont les règles sont bien simples : du
bon temps pour de l'argent, de l'argent pour de la drogue, de la drogue pour du bon temps.

Aman, à l'aube de ses 18 ans, sera une fille cultivée, éveillée aux choses de la vie,
immunisée au malheur, tant elle en aura vu. Pour rien au monde elle ne voudra échanger son
Empire d'excès et l'amour de sa mère adoptive. Et pourtant, sur un coup de dé, tout lui sera
pris. Encore.

Deux clients du bar assistant au drame lui offriront leur protection, et débutera alors
un nouveau cycle pour celle qui aura déjà tout perdu deux fois avant même d'entrer dans le
monde des adultes. A l'enfance tronquée et à l'adolescence débauchée succèdera une nouvelle
vie d'aventure, de danger, de sang et de gaieté.

" Et dire qu'on va encore entrer dans la légend..."

Avec comme protagonistes principaux Celimbrimbor, Althâr Anthâar et la toute jeune


Aman, primée au festival interplanaire de la jeunesse dorée pour son interprétation sanglante
de Dawn, la princesse mortelle, sur une idée originale du Pr. Tolkien qui en aura confié la
rédaction à Celimbrimbor et Althâr Anthâar, une épopée sincère, bientôt sur vos écrans !

« Non »

Baal n'entendit pas tout de suite la réponse douce mais ferme du seigneur nain. Plutôt,
il se déroula un phénomène physique extrêmement fréquent et intéressant, sans explication
aucune, que nous allons tenter d'illustrer ici. Baal, tellement persuadé qu'Althâr n'allait
pouvoir qu'abonder dans son sens, et dès lors répondre « oui », était aussi éloigné que l'on
peut l'être d'imaginer que le nain allait dire « non ». Dès lors, quand ce simple mot franchit les
lèvres du seigneur, la réalité telle que Baal la voyait, l'attendait, la prédisait même, fut frappée
d'extinction. Or, on ne tue pas une réalité comme cela. Elle a une certaine tendance à vouloir
se défendre férocement. Frustrées d'être passées du statut de potentialités probables à celui de
possibles non advenus, les suppositions de Baal entrèrent de plein fouet en conflit avec
l'affirmation [La négation, non ? Enfin, je veux dire, même si Althâr dit « non » avec la force
d'une affirmation, c'est tout de même une négation, n'est-ce pas ?] avec la négation [Permets-
moi te de répondre que je ne suis pas d'accord. Stricto sensu, je te suis, il s'agit bien d'une
négation, mais là, elle se transforme en affirmation, puisque par ce « non » Althâr affirme
qu'il ne veut pas renouer le dialogue avec Baal. Donc…] avec l'affirmation [Tout de même,
c'est prendre une liberté linguistique audacieuse et presque fallacieuse. La langue a ses
règles, ses coutumes…] avec la négation [Certes oui, mais, premier argument : je suis celui
qui narre, et, second argument, si tu continues à me casser les pieds, je bouledefeus !] avec
l'affirmation d'Althâr.

Aussi, ce ne fut pas « non » que Baal entendit. A vrai dire, il n'entendit rien. Les lèvres
bougèrent, mais sans qu'un son en sortît, du moins pour les oreilles de Baal. Qui se crût donc
obligé de demander :
« Comment ?

- Non, j'ai dit. La voix d'Althâr était douce, et ferme. Et charriait des glaçons. Voire des
icebergs. Mettons que la quantité de glace qu'elle contenait faisait passer la banquise et les
fjords les plus majestueux pour des cubes à rafraîchir des boissons anisées que l'on boit sur la
terrasse, généralement en été.

- Mais tu n'as pas le choix. Contra Baal. Le contrat [Très drôle !] [Merci.] est clair.

- J'ajouterai, s'empressa d'ajouter [Tu deviens lourd…] [C'est moi qui narre ! Na !] l'avocat
démon Typiton [Hop !], qu'il est plus que clair, il est limpide. »

Le pauvre hère, incapable de voir que la colère d'Althâr enflait, ouvrit sa mallette
étrange.

« Attendez que je le démarre, il est un peu long à sortir de sa veille, mais je vais vous montrer
le document aussi vite que possible. Evidemment, c'est un PDF, aussi ne sera-t-il pas
modifiable, mais si vous le souhaitez, je prendrai en notes toutes vos remarques et me ferai
joie de les apporter en addenda au contrat, tant qu'elles ne nuisent pas à l'objectif premier
dudit contrat qui stipule, je vous le rappelle, que vous vous engagez à aider Baal [Tu ne vas
pas remettre les titres de noblesse, quand même ?][Flemme. Quoique...], le démon porteur de
malemort et de violence, l'annonciateur de destruction, le chef d'orchestre des trompettes de
Jéricho, aux côtés de qui marche la Mort, le funèbre seigneur des funestes destins, écraseur de
crevettes et massacreur d'espoirs, à réunir six cent soixante et six âmes.

- Non. Répéta Althâr, obstiné.

- Ah, mais mon bon monsieur, ce n'est pas une proposition. Repartit l'avocat. S’il-vous-plait,
regardez plutôt... »

Il tourna vers Althâr sa mallette désormais ouverte en deux, un côté brillant d'une
lueur verdâtre et maléfique et l'autre couvert de petites inscriptions qui ressemblaient
vaguement à des runes ou des lettres. Typiton escomptait sans doute que le nain lusse [Je ne
pense pas que cela existe…] [Moi non plus !] l'exemplaire PDF du contrat et se résolût
[T'exagères…] [Je sais.] à s'y conformer.

En lieu et place de quoi un poing vengeur traversa les inscriptions ainsi que le crâne du
pauvre avocat qui disparut aussi sec.

« Oh bah non... Ca coûte cher un portable... Un Packard en plus... Je vais devoir le faire passer
en frais professionnels... Ah mais je n’ai plus d’emploi…, se lamenta Baal
- Et si on parlait de la façon dont vous allez m'empêcher de vous écorcher vif, Baal
d'opérette..., Déclara Althâr, plus glacial que le vide galactique, sans relever l'anachronie. »

On en reparlera plus tard, de la manière enfin, si on la trouve...


[Cinquième BAAL]
Le Chapitre auquel qu’on a pas donné de Titre
Le bruit résonne comme un coup de tonnerre au-dessus d'un océan de calme.
Surprenant, inattendu, il n'en est que plus terrifiant. Les échos métalliques se prolongent
longuement dans la clairière, suivis d'un son d'abord grinçant, puis mou et désagréable. Le
gémissement qui le suit flotte un instant, avant qu'un fracas impressionnant ne vienne le
couvrir. Du silence, un temps, puis des grincements cadencés aux effluves de fer. Connaissez-
vous le chant du prisonnier ? Eh bien c'est à peu près ça, mais pendant qu'il se gargarise, le
prisonnier.

Le silence, encore. Il reprend ses droits sur la clairière en même temps que la nature :
bruissement des feuilles, chant des oiseaux, pousse de l'herbe, murmure de quelque ruisseau,
des animaux, aussi, et puis, et puis, cet ahanement irrégulier qui déchire l'harmonie. Un
halètement qui s'accélère, ralentit, de façon erratique, dans une course à laquelle se mêlent des
pleurs et des reniflements, composant la chanson complexe et merveilleuse de la vie gisante
qui hésite entre une agonie lente et une survie malhabile.

Soudain, un son discordant, un air donné d'une voix fausse et mal placée :

« Always look on the bright side of life... »

L'intrus, guilleret, pénètre dans la clairière. Il se dirige sans hésiter vers la source de la
divine comédie. Le sourire de la créature s'agrandit encore. Elle n'a rien d'humain, ou, au
contraire, elle possède juste le strict nécessaire de plus qu'humain qui dérangerait tout
observateur aiguisé. Ainsi, ses yeux trop rouges ou bien les pointes discrètes qui percent sous
son front trahissent sa nature. De même que ses traces de pas, où l'herbe se racornit, puis brûle
avant de laisser place à des cendres.

Pire, sa silhouette, à vrai dire, est floue. Ses contours semblent mal tracés dans l'air,
comme si le dessinateur divin n'avait pas encore décidé quelle forme il allait donner à sa
nouvelle esquisse. Ainsi, comme les traits de crayon s'effacent, changent, se déforment sous la
gomme et le nouveau projet, l'être varie. Littéralement, il déborde parfois de lui-même,
laissant voir une créature démesurément grande et à la luisante puissance, parfois il se
rencogne, diminue jusqu'à n'être plus qu'une ombre, mais une ombre maléfique, pleine de
malveillance, une ombre qu'il ne fait pas bon contempler trop longtemps. Et puis, d'autres
fois, il rayonne, s'agrandit et se métamorphose en un ange étrange, aux yeux tristes et
profonds, qui regretterait une faute.

Cependant, sous ses aspects mouvants, la créature revêt une apparence simple : celle
d'un démon peu élevé dans la hiérarchie maligne. Un démon au sourire éclatant, portant, dans
la main droite, une coquille d'huître. La coquille est banale, tout ce qu'il y a de plus commun,
sans même la trace infime d'une éventuelle et ridiculement petite perle. Il faut même supposer
que l'huître est passée de vie à repas avant que la coquille n'atterrisse entre ses mains.
L'unique chose qui la distingue des autres coquilles d'huîtres, qui ne demandent rien d'autre
qu'à vivre paisiblement leur vie d'huître, accrochées à un rocher sans âge, sont ses bords
effilés. Très effilés. Voire tranchants. Et un peu rougis, aussi. Carmin. Sanguin, presque.

Baal se penche auprès du paladin tombé au combat contre un surnombre de danseur de


guerre. Surnombre provoqué par le simple fait que le danseur de guerre porte deux épées, là
où le paladin, du moins quand il n'est pas trop avancé sur son plan de carrière, n'en porte
qu'une. C'est pour cette précise raison que nous n'avons pas accordé le mot « danseur » en
nombre. Aussi, Ratatouille246 voit d'un œil pas très réjoui le démon se pencher sur lui. Son
meujeu lui en avait pourtant parlé : il ne faut pas jouer tout seul dans le coin, y'a des persos
violents qui se baladent. Y paraîtrait même que deux d'entre eux ont rasé une ville pour sauver
une putain, ou vont le faire dans un futur proche, il ne sait plus. Faut se promener à plusieurs.
Et lourdement armé. Avec un cheval. Rapide, de préférence, le cheval.

Bref, alors que vous me lisez dans mon soliloque, Ratatouille246 se trouve proprement
égorgé par Baal et sa coquille d'huître. Voici d'ailleurs l'âme du brave paladin qui s'élève.

« Pourquoi une coquille d'huître ? » Demande-t-il

- Tu trépassais au mauvais... Pardon ? Baal s'interrompt, surpris, d'habitude les béjaunes


demandent d'abord "Pourquoi moi ?"

- Pourquoi une coquille d'huître ? Même mon pote Bernard n'est pas assez taré pour se battre
avec une coquille d'huître. Et pourtant, il est complètement...

- C'est bon, c'est bon, j'ai compris l'idée générale. Baal l'arrête d'un geste impérieux de la
main. Ben, en fait... C'est une longue histoire. [Tu blagues là j'espère ?!] [Ben non, attend, on
a quand même six cent soixante six âmes à expliquer !] [Six cent soix... Toutes ?] [Ben ouais,
on a assez joué avec l'ellipse narrative comme ça, tu ne trouves pas ?] [On va perdre tout le
monde, t'es barré !] [Mais...] [Laisse, j'ai une idée.] [Mauvais signe.] [Regarde...] [Lis.] [Lis
et apprend, gamin.] En fait, je marchais sur la plage après une déconvenue des plus tragiques
qui m'est survenue alors que je tentais de négocier avec un rustre des plus malpolis afin qu'il
s'accorde avec moi et m'offre un certain quota d'âmes -vous ai-je dit que mon avocat démon
Typiton y a laissé la vie- de façon à ce que je rejoigne les royaumes infernaux où je pourrais
récupérer ma feuille de perso et répartir les [Attend !] [Pardon ?] [Le dis pas, pense à tous les
joueurs ! C'est indécent.] [Exact.] points d'XP que j'ai en rabe. Et je dois en avoir un sacré
paquet maintenant ! Regarde comme je grésille ! Or donc sur cette plage je marchais, les yeux
penchés vers mes pensées, sans rien voir au-dehors, ni l'or du soir qui tombe descendant vers
Harfleur, ni les [Hem hem.] vagues. C'est alors que j'eus faim. Je me précipitai à toutes jambes
vers la grève où je découvrais un rocher et quelques huîtres. Elles me firent un repas assez
sympathique, ma foi. Cela variait de l'ordinaire. [Toi, tu sais plus ce que tu dois raconter.]
Cependant, ce repas fut émaillé d'une péripétie peu commune : je me coupai la main sur les
bords de l'une d'entre elles en tentant de l'ouvrir. [Owned noob !] [STFU.] L'idée a donc
germé en moi : trouver les agonisants et les finir à grands coups d'huîtres enfin, à petits
moulinets calcaires... C'est chié, non ?

- Vous êtes le plus taré des tarés que...

- Et vous ma six cent soixante-cinquième âme. » Coupe court Baal en l'empochant.

La nature gronde contre ce rassemblement d'XP totalement contre nature, qui risque à
tout moment -il suffirait que Baal meure- de former un vortex qui noierait le monde, puis
finalement elle se tait, résignée. Le démon se retourne et fait un pas vers une direction
quelconque, sachant pertinemment que tous les chemins mènent à Mort. Et donc aux
agonisants.
Une petite précision ici avant d'aller plus loin. Il est admis dans le pacte de lecture que
le monde que nous décrivons ici n'est absolument pas soumis aux règles de la physique tel que
l'est le vôtre. Aussi ne serait-il pas surprenant de voir des cochons voler, des poules avec des
dents et la pluie tomber à l'envers. Cependant, et les auteurs vous prient de bien les en vouloir
excuser, il est une loi que notre force n'arrive pas à retenir : la loi de Murphy. Veuillez donc
bien nous excuser, mais c'est pourquoi il est logique, purement et simplement logique, qu'un
râteau se trouva là, les dents en l'air, posé, paisiblement et l'air quelconque, attendant juste le...

« Mais quel est l'abruti qui laisse traîner des choses pareilles dans un bois ! » La voix de Baal
déchire l'espace tandis qu'il se masse le nez.

[Hem ?] [Bon, oui.]

Déchire littéralement l'espace, provoquant une rupture dimensionnelle assez amusante


dont les effets seront décris plus tard. Sachez seulement qu'elle fait jouer des contrebasses, un
camion bleu, une bonne cinquantaine de manchots, un léopard gris des neiges et un
informaticien.

Pendant ce temps-là, précisément, Althâr se promène sur le champ de bataille, au


milieu de ses troupes mortes vivantes qui ont bien du mal à exécuter son ordre à la lettre : tuer
jusqu’à la mort, ça va de soi, mais surtout veiller à ce que ceux qui se sont trouvés sur le
chemin du nain ne trépassent pas suite aux coups de ce dernier. Althâr, parmi tous ses défauts,
est loin d'être stupide. Depuis que Baal est venu le trouver voilà quelques semaines, il n'a eu
de cesse de scruter plusieurs plans de conscience afin d'examiner si celui-ci avançait dans ses
menées, et son inquiétude a grandi tant et si bien qu'à la fin, il a décidé de venir en personne
marcher parmi ses troupes pour...

...soigner les blessés.

Il sait très bien que Baal le suit à la trace, tel le putride charognard qu'il est, achevant
les mourants d'un coup de coquille d'huître. Mais malgré tous les pièges que l'alchimiste peut
poser pour empêcher le démon de poursuivre son œuvre, rien ne semble être capable d'arrêter
la marche implacable de l'adversaire rampant. Là, vous vous dites qu’il pourrait le tuer. Bande
de c... coquins ! On vient de dire que par sa simple mort il pourrait détruire le monde, et
ébranler, voire annihiler, le multivers tout entier !

Aussi Althâr « le destructeur de mondes » Anthâar se retrouve à empêcher un paladin


de défunter sobrement des suites de ses blessures. Par la même occasion, il découvre tout un
pan de magie qu'il ne connaissait pas bien. Réparation des tissus, remodélisation des muscles,
reconstruction des organes internes, soin des blessures extrêmes, dans des conditions assez
amusantes, parfois. Ainsi, pas plus tard qu'à l'instant, il s'évertue à remettre en place la tête
d'un commandant humain qu'il avait distraitement presque décapité, sans faire exprès, en fait,
quelques instants plus tôt.

« Mais pourquoi ? Balbutie un soldat à qui Althâr vient de replacer le pied droit à la place du
coude gauche, par accident. Pourquoi tant de haine ?

- Pour empêcher la fin du monde, mon garçon, tout simplement. Vois-tu, un soir de déprime,
quand la lune était basse et les nuages noirs, quand mes pensées, aussi lourdes que le ciel,
tournaient étrangement sur elles-mêmes et que sourdaient en moi des idées nauséeuses de
suicide et de massacre, quand la température chutait bien sous zéro, j'ai voulu trouver refuge
et chaleur humaine dans un estaminet qui m'avait l'air paisible. J'y voulus déposer mon coeur
de plomb et mon esprit y embrumer. Althâr ne prête aucune attention aux gémissements du
garçon, non plus qu'aux regards scrutateurs et torves des zombies nécrophages. Sais-tu, mon
garçon, combien j'y réussis ? Je n'ai aucun souvenir de cette nuit-là passée la porte de la
taverne, et cela me pèse aujourd'hui. Comme le fatum souverain qui préside à la vie des êtres
peut rattraper celui qui s'en croit protégé... Il y'a quelques semaines, un suppôt de Satan, un
démon sans pouvoir, est venu me trouver. »

Les zombies sont lents d'esprit, c'est pour cela qu'ils sont résistants à la douleur.
Jusqu'ici, tout va bien. Cependant, lent d'esprit ne signifie pas -et cela fut l'erreur de le croire
de nombreux nécromants- dépourvu d'esprit. Pour peu qu'on leur laissât le temps nécessaire
pour faire naître une pensée, la développer puis la mettre en œuvre, et les zombies sont de
redoutables adversaires. Sachez seulement que le temps moyen autorisé pour un coup dans les
compétitions zombies d'échecs est d'environ huit jours, quatre heures, vingt et trois minutes et
cinquante-sept secondes. Tout cela pour dire que pendant qu'Althâr soliloque sous les yeux
implorants du guerrier chenu, les zombies ont tout le temps d'intégrer le fait que de blessé
mortellement à mort, il n'y a qu'un pas, qu'un nécrophage qui se respecte ne peut que et doit
franchir.

Aussi, alors qu'Althâr explique avec force rhétorique comment il a tenté de contrevenir
aux menées du démon en posant un peu partout des pièges qui auraient endormi un dragon, un
zombie plus rapide que les autres -une vingtaine de minutes au cent mètres- abattit sa massue
avec une lenteur affligeante sur le premier défunt en puissance qui passait sous sa main.
Respectant donc la consigne du patron mais, bizarrement, bien trop tard…

Une nanoseconde après la mort du paladin -écrasé sous la masse, deux cent kilos au
centimètre carré- le zombie se voit dévisagé par le regard songeur, et stupéfait non, affolé de
son chef de guerre. Le seigneur prend une grande respiration, recouvre son calme et refait
mentalement les comptes après avoir pris soin de guérir tous ceux qui avaient failli périr par
sa main. Baal en avait achevé six cent soixante et quatre avant le paladin dont il vient
d'apprendre la mort, à l'instant, par un de ses chauves garous. Plus le droit à l'erreur, donc.
Une âme de plus et... Althâr se fige.

Il se relève doucement, et se gratte distraitement le nez, pensant à la suite des


événements.

A cet instant précis, Justice pousse un cri suraigu de félin qui désaccorde l'orchestre de
jazz de l'Infernal bar. Les contrebasses sursautent, et la retransmission en direct par InfernFM
sursaute également, réveillant Bernard au volant de son camion bleu, qui quitte la route, droit
vers un bâtiment officiel. Il s'encastre dans un mur, et son chargement de manchots s'évapore
dans les locaux. Aussitôt, par réflexe, Bernard lâche son animal de compagnie, Furr, un
léopard gris des neiges qui s'en va les récupérer tant bien que mal. Entrant dans un bureau en
poussant un rugissement bestial, il effraie un simple informaticien qui surmonte sa peur et
appuie tout de même sur le bouton « envoi » de son moniteur.

A cet instant précis, alors, Baal, toujours en train de se masser le nez, entend les
trompettes de Jéricho jouer pour lui, et la Mort lui tend un papier avec son sourire millénaire.
[Sixième BAAL]
Power Overwhelming (Comprendront ceux qui Pourront)
Baal regarde fixement la Mort droit dans les yeux. Enfin, dans les trous qui constituent
ses globes oculaires. Il cligne doucement des paupières, réitérant mentalement le compte de
toutes les âmes qu'il a capturées jusque là : tous les pauvres types qu'il a achevés alors
qu'Althâr s'évertuait à leur laisser en souvenir un semblant de vie pour finalement les
abandonner là, tels des poissons oubliés sur la grève. Vivants, certes, mais tellement
vulnérables ! Le temps s'arrête pour Baal, parce que cumuler six cent soixante six âmes sans
s'en rendre compte, ça fout un coup, quand même, et tout recompter ensuite, eh bien, ce n'est
pas une tâche des plus aisées. Ainsi Baal énumère mentalement tous les hères qu'il a fauchés,
un par un, lentement, consciencieusement, devant les orbites vides de la Mort, un tantinet
désespéré que le démon par lequel le changement survient soit un abruti fini, et tentant avec
moins que plus de réussite de singer l'impatience, chose ardue s'il en est pour un être qui n'a ni
yeux, ni paupières, ni même sourcils.

« Je sens comme une perturbation dans la force. S'écrie Althâr en se grattant le nez avant
d'éternuer. Celim doit être arrivé dans la tente de commandement. »

Le nain se téléporte le plus naturellement du monde jusqu'à ladite tente, laissant là le


cadavre de zombie - si l'on part du principe essentiel ici qu'un zombie n'est plus vraiment un
cadavre - et les quelques adversaires qu'il a pu récupérer pour leur éviter de mourir par sa
main. Voilà longtemps qu'il n'a pas discuté avec Celimbrimbor, et puis celui-ci lui doit encore
quelques piécettes qu'il avait perdues suite à un pari un peu spécieux.

Il apparaît dans la tente où Celim l'attend paisiblement, et nous allons jeter un voile
pudique sur ces touchantes retrouvailles pour retourner à nos moutons et voir si Baal a fini de
compter les siens.

« Tu crois que ça vaut le coup, Rétroaction ? Demande Baal à la Mort. Parce que c'est quand
même un peu cher en XP... Tu n'aurais pas le bouquin de règles ou un Codex Démoniaque
sous la main, par hasard, non ? »

La Mort ne répond pas. Non pas parce qu'il n'en a pas envie ou parce qu'il ne le peut
pas, mais tout simplement parce que la musique antéchristique qui résonne dans la petite
clairière depuis que Baal a enfin compris qu'il avait réussi à collecter le nombre d'âmes
nécessaire à sa résurrection sociale lui prend violemment la tête. Il n'a pas eu autant la
migraine depuis la fois où il a dû cueillir un vainqueur du méga-jackpot-ultime à Lost Vegas.
Deux semaines, il a mis à s'en remettre. Alors autant être clair : les tergiversations de Baal à
propos de la façon la plus pertinente de dépenser tout son content d'XP passe un peu au-
dessus de son crâne chauve. Enfin, pas chauve, mais sans cheveux. Toujours rester poli en
parlant de la Mort. On ne dira donc désormais plus chauve, en parlant de la Mort, mais glabre.
C'est plus respectueux.

Agacé suprêmement, finalement, la Mort s'empare de la feuille de Baal et lui montre


deux choses. La première, le nombre total d'XP qu'il a à dépenser. La seconde, un calcul qu'il
vient d'effectuer, faisant la somme totale du coût de tous les pouvoirs qu'il est actuellement
possible d'acquérir.

« Ouais, vu sous cette angle, autant tout cocher, c'est ça ? » Lance Baal mi-dépité, mi-blasé.
La Mort secoue la tête de bas en haut, lançant un las regard au démon signifiant clairement : «
Exactement, abruti. »

Baal s'exécute alors, faisant une croix dans toutes les cases, même celles devant des
pouvoirs qu'il ne comprend pas vraiment, comme Rétroaction par exemple. Il s'aperçoit même
qu'à la fin, il lui reste encore de nombreux points à dépenser. Alors, il coche, encore et encore,
jusqu'à ce que finalement il n'ait plus rien à acquérir.

« Est-ce que je peux changer mon xp en po ? Non ? »

Le démon se gratte la tête de dépit devant le sourire un tantinet goguenard de la Mort.


Puis son visage s'éclaire. Et il se met à acheter point de destin sur point de destin. En théorie,
il n'en n'aura pas besoin, mais tout de même, au cas où...

Quelque part, en Enfer, une clochette, une toute petite clochette en métal fin, au doux
tintement qui n'avait jamais résonné jusqu'alors, une simple clochette, très jolie, artistement
décorée, ce genre de clochette que l'on croirait ne jamais entendre sonner, sonne. Sonne pour
avertir qu'un démon de l'Enfer vient de dépasser le niveau Deity and Semi-Gods pour le
niveau suivant et va vaguement commencer à poser problème.

« La force m'envahit » Hurle Baal, rayonnant de puissance.

Il vient d'accepter les modifications de sa feuille de perso, et les conséquences s'en


font immédiatement ressentir.

Baal, si vous avez lu toute cette affligeante prose, ne ressemble pas à grand-chose. Ne
ressemblait pas, pour être exact, à grand chose. Pas très grand, pas cornu, pas suivi d'une
ombre fidèle et dévouée, pas plus qu'ailé ou muni d'une queue, au bas du dos en tout cas. Un
démon quelconque, en somme. Pas moche, pas beau, pas effrayant, pas risible. Banal.

A présent, Baal a changé. Certes, physiquement, cela n'est pas flagrant. Mais son corps
n'a pas envie de passer de son petit mètre quatre vingt cinq aux douze et quelques mètres
réglementaires pour sa puissance. Et puis, les stalagmites sur le front, c'est dépassé de nos
jours. Quant à la paire d'ailes, ou plutôt les sept paires d'ailes, c'est tout simplement hors de
question.

Pourtant, tout ceci se voit. Et cruellement, d'une certaine façon. D'abord, parce que
Baal a récupéré son ombre. Enfin, une ombre. Une grande ombre. Qui a une fâcheuse
tendance à être tachyophile et dissolvante. Elle aspire la lumière, tel un gigantesque trou noir.
Et puis, quitte à pousser la ressemblance jusqu'au vice, elle aspire aussi la nature aux
alentours et tout ce qui la touche. C'est-à-dire une zone que l'on pourrait définir comme une
figure qui, ramenée à un cercle, ferait seize mètres de rayon. Une figure sans lumière, sans
âme, sans rire autre que celui de Baal, inextinguible. Car le voici, Baal, porteur de malemort
et de violence, annonciateur de la destruction, celui pour qui sonnent les trompettes de Jéricho
et avec qui marche la Mort !

« Typiton avait une âme. »

Baal sourit, heureux d'avoir trouvé le chiffre qui lui manquait pour faire tomber juste
son calcul.
« Et donc, Althâr s'est planté. »

Son sourire s'élargit. Il va expliquer à ce maudit immortel qui l'a rossé qui c'est, le
patron, pour lui faire comprendre qu'à lui, on la lui fait pas, que finalement, ben si, on la lui
fait.

Aussi, préparant ses nouveaux pouvoirs, affûtant ses griffes, crocs, appendices
pointus, armant ses sorts destructeurs, faisant jouer ses bonus en répartie cinglante, Baal se
téléporte près d'Althâr, sans pouvoir le rater, puisqu'il est lié par le contrat à ce dernier.

« Tu devrais vraiment essayer la.... Commence Celimbrimbor, nonchalamment installé dans


un fauteuil d'air

- Incline-toi devant ma toute puissance ! Tonitrue Baal, tandis que la Mort se place à ses côtés
et que son ombre prend le parti d'éviter soigneusement l'elfe à qui Baal vient de couper la
parole. Me voici, devant toi, moi, Baal le tout puissant ! Prosternez-vous, déclame Baal, tout
heureux de voir qu'il peut faire tomber une deuxième victime sous sa coupe, devant moi, et
vous serez épargnés par les flammes de la Géhenne. Pour les impressionner un peu plus, il
change de stature, pour coller un peu mieux à son niveau. Tremblez ! »

Les réactions des deux êtres [Eh oui : on ne peut décemment pas les appeler autrement
: imaginez la crise d'Althâr si l'on le nommait elfe, et celle de Celim si l'on le nommait nain.
D'autre part, Althâr refuse d'être appelé dieu ou demi-dieu, tandis que Celim n'est pas
alchimiste. Oser les nommer bourrins revient à signer son arrêt de mort, quant à brutes
épaisses, eh bien, c'est la même. Donc, voilà.] le laissent un peu étonné. Le nain se contente
de le regarder, en clignant lentement des yeux et en se frottant les ongles contre sa tunique,
tandis que l'elfe semble fulminer doucement. En somme, il aurait tout aussi bien pu dire «
Alors, ça vous la coupe, hein ? » qu'ils n'auraient pas bougé beaucoup plus.

« Prosternez-vous devant votre maître, ai-je dit ! » Essaye-t-il à nouveau, pour la forme.

La Mort plonge ses orbites vides dans les yeux des deux autres et commence à reculer.

L'ombre laisse échapper des petits gémissements qui pourraient passer pour des « kaï
kaï » apeurés.

Puis Celimbrimbor frappe.

On n'interrompt jamais Celimbrimbor quand il parle de boules de feu. Jamais. Surtout


quand il est de mauvais poil. Parce qu'avec Celimbrimbor, y'a des jours où faut pas le faire
chier. Et y'a des jours tous les jours. [Honteusement piqué à Krän, mais le contexte ferait rire
les auteurs.]

Et donc, il cogne.

Pas la petite gifle amicale ou le coup sans conséquence qu'on le voit porter d'habitude.

Non.
Celim n'est pas stupide au point de ne pas reconnaître un archi-archi-démon-futur-
remplaçant/tombeur-du-patron quand il en voit un. On pourrait le croire, mais non.

Aussi ajuste-t-il sa frappe.

Pour expliquer rapidement la chose, il déplace le curseur de « petite bagarre entre


potes » à « extinction de nova par le souffle du coup ». [Pour ceux qui voudraient tenter
l'aventure, c'est la position intermédiaire du curseur.]

Baal encaisse. Dans un premier temps du moins. Un milliardième de picoseconde


pendant lequel il croit pouvoir tenir le coup. Puis en fait, non.

Alors Baal vole. Entre les dimensions. Directement en Enfer. Emportant avec lui la
Mort, pas mécontent de s'en tirer vivant, et son ombre, qui abandonne l'idée de lancer un
regard torve à l'elfe en partant quand elle voit le sourire carnivore qu'il lui décoche.

« Je disais donc, reprend Celim, tu devrais vraiment essayer la boule de feu pour ton menu
ménage. C'est tellement plus efficace que le petit personnel, de nos jours ! »
[Septième BAAL]
Judge Dead
« Elle est morte, la Justice. Soupire le petit démon en regardant le corps dépecé, écartelé,
bouilli, découpé, massacré, dispersé, détruit, pourrissant et bouffé aux mites de Justice Von
Remur.

- Ouais. Répond Baal, se curant les dents pour enlever un morceau du greffier parti se loger
insidieusement entre ses canines. Tu veux un des yeux restant ?

- Merci, non. Tu ne l'as pas ratée. T'as de la moutarde ?

- Ouais. Ah, en fait non. Du piment ?

- Passe toujours.

- Tiens.

- N'empêche, j'ai pas tout compris, comment est-ce que tu as pu lui arracher les tripes de
l'intérieur tout en, de dehors, lui bourrant la gueule de météores ?

- Bah, je t'expliquerai un jour.

- Ouais. Pis aussi le coup des yeux qui explosent puis repoussent, puis explosent puis
repoussent en explosant.

- C'était marrant ça, non ?

- Bof... Le mieux, enfin, le mieux, ce que j'ai préféré, c'est quand tu l'as fait rentrer dans un
espace d'un pico-millimètre cube en la dilatant pour qu'elle fasse une taille équivalente à
l'infini.

- Oh... Le démon semble un peu déçu. Mouais... Pas mon moment favori. Plutôt quand je lui
ai écartelé les bras et les jambes en même temps.

- Ah ! Ouais, ça c'était marrant.

- Mais je ne suis pas morte ! Une troisième voix s'élève. Je suis toujours là ! Baal ! Je vais te
tuer !

- Si, non, non. Fait Baal en réponse. C'est juste le décalage que j'ai induit : je trouvais que ça
ajouterait un peu de charme si tu te voyais te faire dévorer par tes propres animaux de
compagnie. Mais techniquement, tu es morte. Y'a que ton âme qui reste, pour l'instant, ici.
Mais je ne vais pas tarder à arranger cela.

- Tu n'en as pas le pouvoir.

- Je ne parierai pas sur ça, moi, si j'étais vous, Mme. Justice. Parce que mine de rien, c'est plus
le même Baal depuis qu'il est revenu de ses pérégrinations.
- Tu ferais mieux de l'écouter, Justice. Tu souffrirais moins.

- Maudit sois-tu ! Puis elle se met à hurler de douleur quand Baal décide que finalement, il
n'est pas obligé de couper la liaison entre le corps de Justice et son âme détachée, et qu'il n'a
aucune raison d'être ainsi gentil et de l'empêcher de ressentir la douleur. Il en profite d'ailleurs
pour lui arracher un nouveau morceau de viande tout en décochant un joli coup de pied au
cadavre.

- Je vous l'avais dit, Mme. Justice. Il s'est fait les griffes, le Baal.

- C'est pas faux. Passe-moi le sel.

- Le voilà. T'as pas peur que les autres démons viennent te chercher des noises ?

- Quels autres ?

- Ben, je sais pas moi, les autres. Belial, Uriel, Asmodée, tout ça... Le patron ?

- Oh, ces autres ?

- Ben ouais.

- Ben non. Puis le patron, personnellement, je l'ai jamais vu. De là à ce qu'il n'existe pas, il n'y
a qu'un pas...

- Alors non ?

- Non.

- Comment ça, non ?

- Juste « non ».

- Ouais, je veux bien, mais pourquoi ? Et comment ?

- Ils essaient depuis tout à l'heure.

- Oh. Belote.

- Ouais.

- Et ? Rebelote.

- Comment ça « et » ?

- Ben, et après ?

- Ben ils n'y arrivent pas.

- Pourquoi ?
- Ils meurent. Enfin, presque.

- Ah ?

- Oui. Je me suis arrangé pour nous protéger un peu quand même. Et puis le premier qui met
un pied sur mon ombre...

- J'avais oublié.

- Ouais. Asmodée a payé de son corps pour comprendre.

- Vraiment ? Dix de der.

- Treize tentacules et la moitié de son crâne gauche. J'ai coupé, distribue.

- Aïe...

- Pas mieux. Mais s'ils ne se baladaient pas en agitant leur essence à qui mieux-mieux aussi...

- Y'a du vrai dans ce que tu dis. Mais...

- Quoi ?

- Eh ben, euh... Dehors, c'est comme ici ?

- Comment ça « dehors » ? On est dehors !

- Oui, je le sais bien mais, enfin, en dehors de la bulle en fait.

- Oh... Eh bien, à vrai dire, je ne sais pas très bien. Tiens, il était là le valet ?

- Ah bon ?

- Non. Avant mon combat contre Just... Il pouffe. Avant l'exécution de Justice...

- Ce n'est pas drôle ! Hurle Justice entre deux soubresauts de douleur.

- Si, si, je te jure. Enfin, bref. Avant l'exécution de Justice, c'était à peu près comme avant.
Sauf, évidemment, les endroits que j'ai traversé, ruinés de fond en comble.

- Oh.

- Oui.

- T'es passé par le neuvième district sur le septième plan ?

- Celui avec les bureaux d'Endemonol ?

- Oui.
- Oui.

- Oh.

- Famille ?

- Ouais.

- Désolé.

- Pas grave. Mes gosses étaient chez leur belle doche avec ma femme de toute façon.

- Chien alors ?

- Oui...

- Mes condoléances.

- Tu peux, il était gentil, lui. Belote en passant.

- Désolé, encore. Mais gentil, c'est pas un métier ici-bas.

- Il y avait plus de vie dans son œil quand il remuait la queue que dans la queue de Le Pen
quand il remue son œil... Et Re. Merde, tu la passes quand même.

- Juste pour voir, comment s'appelait-il ? Ouais, dix de der !

- Parce qu'en plus tu tiens une liste des gens que tu as tués ?

- C'était un chien.

- C'est la même chose.

- Son nom ?

- Koubiac.

- Oh.

- Ben quoi ?

- Non, rien, Parker, rien.

- Quoi ?

- Laisse tomber. Je te propose un truc : si tu gagnes la prochaine levée, tu gagnes une surprise.

- Tssk.
- T'es pas partant ?

- Donne.

- Tu vois, quand tu veux.

- Ouais. N'empêche, tu fous un beau boxon.

- Je sais.

- Mais c'est sympa. Valet tournant ? Je prends !

- Atout pique alors. Tu trouves ?

- Ouais.

- Pourquoi ?

- Ben, ça fait changer les choses un peu.

- Merci.

- Mais je suis sérieux, hein. Ne t'imagine surtout pas que je te dis ça pour te faire plaisir.
Coupé ton as.

- Merci. Ah, merde, mon dix.

- De rien. Tiens, t'aurais pu le faire celui-là.

- Ouais, j'aurais pas dû joueur ça au tour d'avant.

- J'suis d'accord. Maintenant, tu finis fanny.

- Oh ?

- Ouais. Be

- Ah.

- Et Re.

- Oh.

- Et dix de der. Tu sais bien que Parker Lewis ne perd jamais...

- J'avais oublié, l'espace d'un instant. Pourtant je l'ai aussi, ce pouvoir...

- Ca vient avec l'habitude. Par contre, moi, j'ai pas oublié la surprise !

- La voici.
- Ouaf !

- Koubiac !

- Grouf !

- Merci Baal ! Merci !

- C'est rien Parker, c'est rien.

- Merci du fond du coeur, en plus, il est comme avant.

- Je sais, je sais... Justice ?

- Quoi ? Se contorsionne l'âme de feu la féline démone.

- Dis « Au revoir ».

- Jamais !

- Tant pis.

- ...

- J'ai pas rêvé, tu l'as avalée ?

- Wouf !

- Ben ouais.

- Mais c'est carrément énorme !

- On s'en lasse.

- Attends, t'as avalé son âme.

- Tu sais, au bout de la six centième, on fini par avoir l'habitude.

- Six cent...

- Mes pérégrinations.

- Quand même... T'as un pouvoir spécial pour cela ?

- C'est « Avalement d'âme ». Ca vaut rien, c'est dans les tous premiers à acquérir.

- Tu me le conseilles ?

- C'est lent, mais très pratique sur le long terme, si tu trouves un pigeon.
- Oh... Combien coûte-t-il ?

- Je ne sais plus, je l'ai eu en promotion gratuite... Moins de cent je pense.

- Génial ! Je peux me le prendre !

- Si tu le dis.

- Sérieux.

- Bon... C'est pas tout ça, mais j'ai à faire moi.

- Ah ?

- Ouais.

- Tu pars alors ?

- Ouais. Tu ferais mieux de remettre ta combinaison ignifugée.

- C'est pas faux ça. Où vas-tu ? Ruiner ce monde de fond en comble ?

- Non, je vais plutôt aller voir le taulier.

- Directement, comme ça ?

- Ouais.

- Tiens, t'as coupé la bulle.

- Ouais. Comment tu sais ?

- Y'a une moitié d'Asmodée là-bas... Ah, non, a plu.

- Je sais.

- J'aime pas ton sourire sardonique.

- Personne ne l'aime.

- Salut la Mort !

- ...

- Tu as bien mis ta combinaison ?

- Ouais. Eh ! Et Koubiac ?

- T'inquiète, je l'ai un peu protégé.


- Merci.

- De rien.

- Il ne reste plus rien de Justice, t'as vu ?

- Ouais. Et plus un rat.

- Ouais.

- ...

- ...

- Bon, ben, au-revoir alors ?

- C'est ça, au-revoir. »

Et un raz-de-marée de flammes se déverse sur ce plan de l'Enfer au moment où Baal se


transporte jusque chez Satan.

[Moi, j'assume pas ce chapitre.][Moi, si.][Parker Lewis... C'est navrant !][VTFF][Toi aussi,
connard.][Par contre t'as cartonné sur le titre !][Merci.][Edit Celim : Ah ouais, t'as vraiment
cartonné sur le titre!][Merci.]
[Huitième BAAL]
Retours (au pluriel, mais oui, mais oui) vers le Futur
Dans le très célèbre -et à juste titre prisé- Guide du Routard Interplanaire, les Portes de
l'Enfer sont décrites ainsi :

« Est-il possible pour l'œil humain de se poser encore aujourd'hui sur une splendeur pareille
sans voir quelque larme apparaître pour obscurcir sa vision ? Est-il croyable qu'un tel chef-
d’œuvre soit resté et reste encore méconnu, voire méprisé, de tous ? Croyez m'en, voyageur,
rares sont les merveilles de cet acabit qui encore de notre temps subsistent à travers les plans.
Injustement spoliées de leur grandeur, les Portes de l'Enfer souffrent d'un défaut rédhibitoire
pour la plupart des gens : derrière se trouve l'Enfer, plan des mille et mille et mille iniquités,
de la violence gratuite, etc. Ces croyances sont dépassées, et il faut les rejeter pour pleinement
apprécier le spectacle.

Comprenez bien : les portes de l'Enfer ne sont pas deux simples battants laissés là, ouverts au
tout venant. Quand j'évoque ces portes, je vous parle de Jardins. Antiques, fabuleux,
ravissants, et rouge.

Retranscrire les merveilles dont regorgent ces jardins, pour ma plume, s'avère bien compliqué.
Cependant, je vais tenter ici de vous en donner un aperçu suffisamment conséquent pour
compléter les gravures des pages 123 et 124.

Rouge. Voilà l'impression qui se dégage au premier abord : de la terre rouge, des cailloux et
des rochers rouges, des herbes rouges, des plantes rouges (et trop souvent carnivores). Parfois
une légère teinte d'oranger vient casser ce monochrome reposant. Ensuite, la chaleur et la
sécheresse marquent les esprits. Il fait en effet plus chaud dans les jardins que dans le reste du
plan, et une humidité minimale y est maintenue de façon artificielle pour empêcher plantes et
faune de dépérir.
Car ces jardins sont peuplés d'une myriade de petites bêtes, plus ou moins amicales. Ainsi, j'ai
pu, lors de mon périple, croiser l'indémodable et très connu chien cerbère, avec ses trois têtes,
mais également des centaures noirs, ou bien des gnomes sans intelligence. Les démons plus
puissants ne s'abaissent pas à arpenter l'entrée des Enfers. D'une part, ils habitent ce plan,
donc ne batifolent pas constamment dans un endroit presque purement touristique, d'autre
part, accueillir un voyageur avec un Effrit pourrait causer d'irrémédiables torts à l'image
conviviale que l'office de tourisme du plan s'efforce de faire perdurer depuis quelques éons
maintenant.

L'allée principale des Jardins est une mosaïque de dalles (rouges, s'il fallait le préciser)
dessinant de très étranges aperçus de l'esprit du maître des lieux, que jamais je n'ai pu
rencontrer, malgré mes demandes incessantes, j'ai nommé l'Innommable en personne.
Parcourir cette allée donne une impression de dégagement du monde, comme si l'on quittait
presque définitivement le séjour des vivants. Quand on sait qu'à l'origine cette entrée était
celle des défunts, l'ironie est appréciable. Des brumes s'élèvent un peu partout alentour,
laissant apparaître des ombres, des silhouettes, jamais menaçantes, mais toujours inquiétantes.
Bientôt, un choix s'offre à l'explorateur : trois voies différentes, pour trois itinéraires
différents. Il n'est pas permis de revenir sur ses pas, aussi vous décrirai-je mes pensées quand
je me suis engagé sur celle de droite, qui semblait plus amicale, plus touffue, comme si j'allais
pénétrer dans un bois :
"Nel mezzo del cammin di nostra vita
Mi ritrovai per una selva oscura
Ché la dirrita via era amarrita[...]" »

Le couple referme le Guide du Routard Interplanaire, et jette un regard désabusé au


paysage désolé qui se tient devant eux, tandis qu'au loin, deux personnages argumentent avec
un troisième. Prudents et quelque peu effrayés par les flammes et les boules de feu en
suspension un peu partout, les deux amoureux préfèrent faire demi-tour et aller passer le reste
de leur lune de miel ailleurs.

La suite prouvera qu'ils n'ont vraiment, mais vraiment pas tort de procéder de la sorte.

Quelques heures avant ces événements, Baal se lève doucement et coupe court à sa
discussion avec Justice pour aller expliquer sa façon de voir les choses au Patron. Au Boss. A
l'Innommable enfin, à celui qu'on ne sait tellement pas qui il est qu'on préfère ne pas trop en
parler.

Ainsi marche-t-il paisiblement dans les rues de l'Enfer, sans craindre les attaques des
démons qui l'assaillent maladroitement, réduisant à néant leurs vains efforts en riant, les
soufflant, tels des fétus de paille. C'est une véritable hécatombe, un holocauste aveugle et
irraisonné. Quiconque croise le chemin de l'archi-démon est voué à l'annihilation. Non pas
que cela l'amuse, Baal, de tuer tout le monde, mais si tout le monde l'attaque, eh bien, n'est il
pas en droit de se défendre ? Quitte à provoquer une sorte d'apocalypse barbare et fratricide.

Son chemin n'est que sang, tourbe glaireuse, boue mortuaire et cadavres fumants. Il ne
fait pas de détail ni ne s'embarrasse de pitié. Son ancienne femme est venue le trouver, pour le
séduire à nouveau et s'assurer la complicité de ce qui est sans nul doute l'être le plus fort des
Enfers, voire du multivers, et son squelette encore animé est toujours visible, encastré dans
une fontaine de lave. Ses hurlements, puissants, témoignant de la présence jadis de poumons à
l'endroit où désormais s'engouffre une brise nauséabonde, égaillent la place de leur funèbre
chant. Baal est devenu puissant, et parce que puissant, cruel. Non, pas cruel, plutôt, lucide. Il
sait qu'il est le destructeur de mondes, que la Mort marche à ses côtés. C'est, d'une certaine
façon, son destin, et rien d'autre. La lassitude qui l'habite est presque pitoyable, mais il n'en
n'a que faire. Ruiner ce plan de fond en combles, détruire ce qui est pour faire advenir ce qui
sera, et finalement, en prendre le contrôle et régner en maître absolu sur les Enfers, semble
actuellement représenter pour lui la meilleure des perspectives d'avenir.

Mais pour cela, il faut abattre l'Innommable.

Des rumeurs courent au sujet du maître des Enfers. Personne ne l'a jamais vu, ni même
aperçu hors de son bureau, tout au fond du plan, ni à l'intérieur même, nul n'ayant jamais reçu
le privilège douteux d'y être invité. Certains racontent qu'il s'agit d'un ridicule bureaucrate,
mesquin, acerbe et impuissant qui aurait triché sans se faire prendre. Des succubes prétendent
qu'elles ont pu rendre service à ce maître des Enfers, et qu'il n'est pas si impressionnant que
cela. Moins, ajoutent-elles en riant à leurs clients, que les centaures, en tout cas. D'autres se
plaisent à diffuser l'idée qu'il s'agit ni plus ni moins d'une des créatures ancestrales qui
créèrent le multivers et tous les plans d'existence, un Dieu, en somme, et peut-être même LE
Dieu. Peu sont ceux, mais il y'en a, qui s'interrogent sur l'existence même de ce maître. Des
érudits ayant poussé leur réflexion le plus loin possible avant d'être arrêtés et exterminés par
la police du Maître ont même affirmé avec force qu'il n'existait pas.

Baal s'en fiche. Il est le plus puissant sur ce plan, sur ce monde. Aussi, maître ou pas,
il faudra bien qu'il s'incline devant lui. Ainsi est la loi du multivers : tuer ou être tué.

Sa destination l'oblige à passer immanquablement devant les Archives démoniaques,


là où tout à commencé, là où il était trop absorbé par son travail pour penser à dépenser son
salaire, pour penser à vivre même. Il sourit doucement. Nul besoin d'anciennes archives : tout
est dans sa tête, puisqu'il a tout lu et tout retenu. Fascinant ce pouvoir de rétroaction,
véritablement fascinant : plus aucun événement de sa vie passée ne lui est étranger. Il se
souvient de tout. Parfaitement. Aussi, dans un rictus ténébreux, il déclenche un incendie dans
les archives. Un puissant incendie, décalque étrange de celui-là même qui l'avait chassé de
son emploi et jeté sur les routes. Quelque chose de suffisamment incroyable et rapide pour
outrepasser sans encombre les sécurités anti-incendie des Archives, dont les ouvrages
précieux méritent une protection hors du commun. Impossible qu'elles ne faillassent, à moins
que le feu ne prenne dans toutes les dimensions, toutes les salles de l'immense bibliothèque
infernale, en même temps. Baal s'était longtemps demandé, d'ailleurs, comment le feu avait
donc bien pu prendre à son époque, les défenses étant déjà installées. Et puis, la question
l'avait désintéressé et s'en était allée.

Le feu dévore les Archives et s'élève de toutes parts en un instant. Baal soupire, puis
s'éloigne, se rapprochant pas à pas de l'endroit où son destin l'attend. Et puis, quand il a tourné
le dos au feu, celui-ci s'interrompt, brusquement, sans raison, dans un flash de lumière bleu, et
les Archives restent, intactes, comme si jamais ce feu n'avait eu lieu, pas dans ce temps, en
tout cas...

Le puissant démon arrive enfin devant les portes de la demeure où est réputé vivre et
dormir le maître des Enfers. Il regarde la Mort, à côté de lui, qui soudain préférerait être
ailleurs, et passe.

Tout simplement, passe. Il n'a pas envie de briser la porte, ni de l'ouvrir non plus que
de frapper. Alors il la traverse, comme s'il avait été immatériel. Amusant comme il se trouve
chaque seconde de nouveaux pouvoirs.

Par exemple, celui de défense passive. Aussitôt arrive-t-il dans la salle derrière la porte
qu'une meute de démons protecteurs et de golems se jette sur lui, avec l'intention de n'en faire
pas de quartier, des sorciers incroyablement forts et asservis au Maître lancent leurs sorts les
plus destructeurs à son endroit et à son envers, pour ne pas lui laisser la possibilité de
répliquer.

Du moins, l'état d'esprit général vise à ceci.

Cependant, dans la demie seconde où cet assaut est lancé, la défense passive de Baal
s'active sans qu'il ait besoin de le vouloir, et un instant plus tard ne reste plus rien des
attaquants, sinon des cendres ou une bouillie étrange répandue sur les murs, selon le cas.

Le démon sourit encore plus.


Le bureau du patron est à l'étage, comme lui indique la secrétaire épargnée par la
contre attaque. Elle ne sait pas s'il n'est pas occupé, mais elle est sûre qu'il se fera un plaisir de
rencontrer Baal. Celui-ci opine du chef doucement en la décapitant d'une aile distraite et saute
jusque devant la porte en bois précieux qui fait un dernier rempart entre lui et son objectif.

Il la pousse, et comme de juste, celle-ci s'ouvre en grinçant.

Plutôt encore, avant que Baal ne dialogue avec le jardinier, dans la tente d'Althâr, le
nain discute encore avec l'elfe, sans se soucier plus du démon qu'ils viennent de chasser.

« N'essaie pas de me distraire avec ta boule de feu, Celim. Je veux mon or.

- Ce pari était stupide ! Laisse tomber veux-tu ! Et puis tu es déjà riche, que t'importe deux
misérables pièces d'or.

- Le principe, Celim.

- Ton espèce surtout.

- Ne me tente pas, vieille bique rabougrie. Menace Althâr.

- Essaie juste, pour voir. » Réplique l'elfe.

Cette dispute affligeante se poursuit pendant pas loin d'une heure, avant d'être
interrompue par un bruit de téléportation peu maîtrisée bien reconnaissable : celui de la
vaisselle qui se brise suivant celui de la réalité crachant une pustule glaireuse dans le seau de
l'existence. Un petit démon vert-de-gris et terrifié se relève péniblement du tas de porcelaine
qu'il vient de détruire (porcelaine qui se demande encore comment elle a atterri là) et fait face
aux deux êtres devant lui.

« Hem... Bonjour ? Tente-il, conscient de la colère latente chez les deux bougres.

- Trois, commence Celimbrimbor en levant une main menaçante.

- Je suis un plénipotentiaire envoyé par le Conseil des Enfers et...

- Deux, continue Althâr, non moins effrayant.

- Le Conseil des Enfers voudrait... Souhaiterait que... Enfin, vous voyez, c'est-à-dire que...
piaille le petit démon, vert de peur à présent.

- Un, grogne l'elfe.

- Baal est arrivé en Enfer et il casse tout ! Aidez-nous c'est vous qui êtes responsables et vous
devez nous aider parce que sinon Baal il va tout détruire et personne ne se sortira vivant de
cette histoire alors vous qui avez le pouvoir de le faire agissez et puis d'abord c'est de votre
faute tout ça si vous n'aviez pas massacré six cent soixante six misérables âmes on aurait eu la
paix mais il a fallu que vous vous en mêliez et voilà comment tout ça a dégénéré c'est de votre
faute de votre faute de votre faute de votre faute ! Trépigne le démon en cognant
désespérément de ses petits poings serrés contre le plastron d'Althâr.
- Silence ! Tonne ce-dernier en le saisissant sans ménagement et le haussant à sa hauteur. Que
veux-tu ?

- De l'aide contre Baal... Pleure l'autre.

- Baal ?

- Le démon que t'as envoyé paître tout à l'heure.

- Oh.

- Eh bien quoi ?

- S'il vous plaît, juste un peu d'aide...

- Non. La sentence tombe, de même que le démon, relâché. Allez, file avant que je ne décide
de te tuer. Ou que lui s'en charge. »

Un regard sur le sourire carnivore de l'elfe décide le démon qui disparaît en hurlant,
plus par habitude et par principe que par conviction :

« Je reviendrai ! Et ma vengeance sera terrible ! »

Les deux êtres se regardent en silence, avant que Celimbrimbor ne pose une question :

« Il n'a pas dit que c'était en Enfer cette affaire ?

- Pas mes oignons, répond laconiquement le nain.

- Et il a bien parlé de Baal, non ?

- Rien n'à faire.

- Ce qui signifie que Baal a trouvé ses âmes. Ce qu'il a dit aussi.

- Où veux-tu en venir ?

- Eh bien, au fait que tu t'es fait rouler dans la farine par un démon mineur, et qu'il est hors de
question que je paye quoique ce soit à un incapable stupide au point de se faire avoir par une
sous loque. »

L'ironie des propos de l'elfe achève d'énerver Althâr, qui l'agrippe par le col, et les
voilà tous deux qui apparaissent en Enfer.

Ils restent bouche bée un court instant.

« Mais c'est quoi ce bordel ? » Déclarent-ils dans un beau concert d'intelligence.

Pendant ce temps, Baal dialogue avec son jardinier.


[BAAL Neuve]
De l’Utilité des Ramasseurs de Balles
Rétroaction : n. f. 1) Didact. Effet rétroactif.

Rétroactif : adj. Qui exerce une action sur ce qui est antérieur, sur le passé.

Il n'est plus de minute, il n'est plus de seconde. L'éternité règne. Une éternité de
lassitudes. Ainsi pense la Mort, seul dans l'immensité des sphères, désertée par les vivants. Le
froid stellaire ne le touche pas, le silence ne l'atteint pas. Il est assis, seul, démesurément seul,
sans plus personne aux côtés de qui marcher, sans plus aucun démon pour le divertir, sans
aucune âme à faucher, ni qui que ce soit pour avérer son sourire immémorial.

Non pas qu'il cherche quelqu'un avec qui discuter. Après tout, il ne parle pas. Il n'en a
pas le droit. C'est dans les règles du multivers. Règles qu'il a lui-même édictées un jour, voilà
une éternité plus tôt.

Il porte son regard tout autour de lui et ne contemple plus aucune étoile, plus aucun
trou noir, plus aucune trace de matière. Tout a disparu. Oh, pas d'un seul coup, bien
évidemment, cela n'aurait pas été normal, mais lentement, seconde après seconde, milliard
d'années après milliard d'années. Le lent processus du temps a fait son oeuvre et l'entropie a
finalement bien gagné ce combat. De toute façon, cette victoire était inéluctable. Et la Mort
connaissait le fin mot de l'Histoire.

Les alentours ne sont même plus, qu'il contemple pourtant. La scène semble si vieille...
Il flotte comme une odeur rance de création morte, non pas ratée, mais disparue, tout
simplement partie. Comme une mélancolie universelle partagée par un seul être, le seul être
qui soit encore, au temps et à l'espace, suffisamment présent pour contempler la fin.

La Mort se plaît à regarder tout ce vide à ce moment. Pas par plaisir, ce qui serait
pervers et mesquin, ni encore par sentiment du devoir accompli. Car, après tout, il est la Mort,
et la Mort se doit de faire mourir tout ce qui a été, est et sera. Non, c'est, tout au contraire, un
plaisir triste, mélancolique, comme celui que ressent quelqu'un à la fin ou au début d'une
œuvre, quand tout se confond et que les possibilités semblent infiniment vastes, infiniment
belles, infiniment possibles. Ce même plaisir étrange qui fait dire que là, il y avait une planète
entièrement recouverte d'eau dont les habitants étaient exclusivement des animaux sub-
terrestres. Que là, il y'avait cette Taverne où tout a commencé pour Aman. Que dans cette
direction s'élevaient les plus hautes et belles montagnes du multivers. Qu'un jour cette place
avait été la plus belle du multivers. Et que tout cela n'est plus.

Dans ce vide absolu, la Mort se déplace vaguement, sans prêter attention à rien, son
sourire inamovible ne reflétant plus grand-chose.

Il serait possible de gloser des heures sur le vide, sur ce concept assez effrayant pour la
pensée humaine, presque insaisissable même, mais cela n'est pas le propos. Pourtant, à ce
moment précis, l'odeur du vide change, si cela est possible. Du moins, la perception qu'en
avait la Mort change.

Quelque chose de jeune, de neuf, flotte dans l'air. Comme si tout était encore possible,
à venir, comme si quelque chose attendait une réponse. Comme si là sera une planète
totalement recouverte d'eau aux habitants sub-terrestres. Comme si là il y aura une Taverne où
tout commencera pour Aman. Comme si un jour cette place sera la plus belle du multivers.

Etrangement, le sourire de la Mort semble vrai. Et le voilà qui claque des doigts.

Une étincelle, aucun son, un peu d'énergie dans un volume pas plus grand qu'une tête
d'épingle. La Mort claque des doigts.

Bang.

Parmi les nombreux bonus qu'avait reçus Baal lorsque sa feuille de personnage lui
était revenue se trouvait une très grosse bonification en intelligence. Pour les quelques fous
qui auraient lu cette affligeante prose depuis le début, cela ne change en rien le fait qu'à
l'origine Baal était supérieurement intelligent. Au contraire même. Chez un crétin congénital
résultat de générations de consanguinité, dont l'éducation se serait limitée à regarder une
latrine plusieurs heures par jour, tous les jours de l'année, chaque année, un bonus en
intelligence se fait immédiatement sentir. En effet, le bonus appliqué à une telle personne lui
permet de comprendre subitement que deux multipliés par deux font quatre, et d'en saisir les
conséquences.

Chez un être tel que Baal, le problème est tout autre. Il faut un réagencement complet
de la structure cérébrale du démon. Il est nécessaire d'opérer une destruction/reconstruction
des schémas de pensée, des habitudes qui se sont installées là depuis des siècles. Autant dire,
pour donner un exemple parlant, qu'il faut réussir à faire comprendre, appliquer, démontrer et
utiliser la théorie des quantas (toute la théorie des quantas, des cordes au mistigri) à Isaac
Newton ou Sharon Stone. Un joli grand écart à accomplir. [Hum...]

Et un saut pareil ne se fait pas en un jour. Enfin, pas tout à fait. Pendant tout son
périple, les synapses de Baal ont opéré leur bizarre alchimie, ses neurones ont changé, muté,
son esprit aussi, et à l'instant où il pénètre dans le bureau, ce savant changement est terminé,
et d'un seul coup, Baal comprend. Aussi n'a-t-il pas vraiment le temps d'être surpris.

Rétroaction.

Astaroth est un prince démon. Il s'est autoproclamé tel voilà si longtemps qu'il ne doit
plus rester grand monde d'assez vieux pour s'en souvenir.
A l'époque, il avait eu les moyens de sa politique : puissance, volonté, brutalité, mais aussi
ironie, délicatesse, tact et style approprié à une carrière pareille. Aussi avait-il bien vite
rajouté à la liste de ses titres qu'il était le bras droit du patron. Un des, plus précisément, parce
qu'il n'avait pas envie de se coltiner deux ou trois brutes épaisses qui possédaient également
cette distinction sur leur curriculum vitae.

De cette façon, Astaroth a pu observer depuis des siècles le mécanisme de


reproduction, ou plutôt de rajeunissement, des élites : un démon un peu plus puissant que la
masse normale se lève et massacre joyeusement un des bras droits du chef pour prendre sa
place. Jamais lui, évidemment : très tôt, il a saisi le grand intérêt de la communication et de
l'entretien d'une image effrayante et susceptible de dissuader des morveux de venir lui
chercher querelle. Et puis, aussi, plutôt que de rester à dormir sur sa couronne, il a continué à
rire un peu partout, à semer la mort et la destruction où il le pouvait, parce que, au final, c'est
assez marrant.
Pourtant cette fois-ci, tout a été différent. Bien trop différent et Astaroth est par trop
intelligent pour sortir de son trou au moment où Baal passe, porteur de malemort et de
violence, la Mort ricanant à ses côtés, tandis que l'orchestre de Jéricho trompette un peu en
arrière. Astaroth a laissé passé l'orage, comme il l'a souvent fait au fil des éons, et finalement,
ne s'extirpe de sa cachette que maintenant, pour contempler les ruines de ce qui, quelques
instants plus tôt, était son monde.

« On continue de suivre les traces ?

- Ca a quand même l'air beaucoup plus marrant par là.

- J'sais pas, je n'ai pas envie de perdre mon temps ici, tu vois. J'ai des responsabilités moi, tu
sais, Celim, je ne suis pas oisif, j'ai une fille, des choses à faire...

- C'est bon, c'est bon, on suit les traces alors. Abdique Celimbrimbor avant même de
combattre.

- Et puis, tu ne t'es pas assez amusé dans les jardins ? Qu'est-ce que t'as mis à ce pauvre chien
tricéphale.

- Bof.

- Je ne te savais pas si cruel.

- Bof.

- Bon, on continue ?

- Ouais. » Soupire le mage.

Il commence à marcher un peu en avant d'Althâr, fatigué de ses soliloques sur ses
responsabilités à la Chimère. Depuis qu'ils ont quitté les jardins, il s'ennuie, aussi s'abime-t-il
dans ses pensées.

Une barre de métal d'environ un mètre cinquante d'épaisseur et de trente centimètres


de large s'abat violemment sur sa figure et l'envoie voler paisiblement à quelques cent mètres
plus loin.

Astaroth exulte.

Althâr pouffe doucement.

Celimbrimbor plane, plane, tombe.

Le temps recommence à s'écouler.

« Vous entrez sur les terres du prince démon Astaroth, serviteur du tout puissant Baal ! Même
pour les princes démons le vent tourne, ne peut-il s'empêcher de penser. Trépassez, mortel !
- Hem... Alors, juste pour préciser, on n'est pas à proprement parler mortels, Asty, nous en
veut pas. Explique Althâr. Ensuite, est-ce que tu peux me dire pourquoi t'as pas commencé à
courir ?

- Comment ?

- Je t'explique. Le type que t'as envoyé là-bas, et je ne sais pas encore pourquoi il n'est pas
revenu, ça ne va pas lui plaire, tout ça. En plus, c'est mon pote : donc, ça ne me plaît pas non
plus. Capicce ?

- Pardon ? Astaroth, pour paraître plus impressionnant, prend son apparence de démon,
s'enflammant littéralement de la tête aux pieds. Vous trépasserez si vous ne faites pas
allégeance à Baal !

- Très bien, souffle très vite le nain en soupirant. T'es vraiment très mal barré Asty. »

Et le prince démon d'abattre de toutes ses forces son braquemart de métal sur la tête
d'Althâr Anthaar qui, pour lui faire plaisir, hurle une petite seconde de frayeur, avant de saisir
la poutre, de l'arracher à la poigne du terrifiant démon, et de la briser en deux.

La flamme qui recouvre Astaroth s'éteint.

Son teint devient blafard.

Althâr sourit.

Celimbrimbor aussi.

« Mais ? » Miaule le terrifié démon.

Un clignement d'yeux plus tard, Althâr et l'elfe reprennent leur chemin (tout droit) en
discutant gaiement, laissant Astaroth à sa place.

Empalé sur la poutre, les bras écartés étrangement tandis que ses jambes sont tordues
en plusieurs angles absolument pas naturels. L'autre morceau de la poutre empêche d'entendre
les hurlements de douleur qu'il pousse sous l'effet du feu qui dévore ses entrailles qui se
reconstituent au fur et à mesure qu'elles brûlent. Ses yeux crevés par ses deux propres cornes
recourbées par une force insane jusqu'à ses globes oculaires laissent échapper des torrents
d'un liquide noir comme les gouffres qui attaque sa chair dans un sifflement presque réjoui,
tandis que sa peau se pèle doucement en lambeaux qui viennent se tresser en de fines
cordelettes qui le fouettent avec violence, jusqu'à ce qu'il soit temps qu'elles deviennent corde
pour le pendre, quand ses souffrances seront échues.

Pendant ce temps Baal est assis à son bureau dans la pièce qui lui sert depuis toute
éternité de quartier général à l'Enfer, et d'un claquement de doigts presque distrait et
dédaigneux déclenche l'incendie qui va ruiner la bibliothèque.
Qui va ruiner la bibliothèque dans le passé. Qui va provoquer son renvoi. Qui va
l'inciter à récupérer sa feuille de perso et en cocher, enfin, les cases, toutes les cases, pour
aller se venger du Boss. Qui va lui faire comprendre qu'en fait, le Boss, c'était lui. Depuis
toujours. Qui va lui rappeler que si en cet instant précis il n'engendrait pas un feu à ce
moment-là de son passé, il n'aurait d'ici à maintenant pas le pouvoir de créer, alors que ces
lignes sont écrites, l'Enfer, il y a encore plus longtemps.
[Dixième BAAL]
Apocalypse Two Minutes Ago
Le silence enveloppe l’Enfer de sa chape de plomb. Il n’est plus de son. Ce mutisme
n’est pas celui, incroyable, de l’expectative, d’une foule retenant son souffle et attendant un
grand événement. C’est un silence de mort, un silence agressif, dans un certain sens, comme
celui des sauvages plaines où vivent les plus terribles prédateurs. Pourtant ici il n’est pas de
plaine, il n’est pas de steppe, il n’est pas de jungle. Seulement les décombres chaotiques d’un
monde qui vient de s’effondrer. Baal est déjà passé en ces lieux, leurs blessures en témoignent
avec douleur. Des pierres gisent, ça et là, morceaux déchirés avec violence d’un pan de mur
ou d’une cheminée. Des membres arrachés à leur corps jonchent les rues sans pudeur, étalant
un peu partout des fleurs qui rougeoient en flaques visqueuses et luisantes ou bien tournant
déjà à ce brun foncé que revêt le sang quand il est depuis trop longtemps exposé à l’air. Ce
charnier dispersé à ciel ouvert dégage une odeur insoutenable aux âmes pusillanimes. De rares
bâtiments tiennent encore debout, portes et fenêtres béantes, explosées parfois, d’où cotonne
lentement une fumée noire aux insensés reflets jaunes, à l’aspect mortel, létal, jouant de façon
morbide à masquer des cadavres étranges pendus aux rebords dans un ultime effort pour se
sauver. La Mort les a saisis, non par surprise, mais ils sont tous figés dans des postures
bizarres, que même leurs corps démoniaques n’auraient pas pu prendre naturellement. Les
traits crispés des visages visibles sont affreusement déformés, et leurs gueules déchirées en
d’inconcevables mimiques semblent pousser des cris qui, par un mystérieux phénomène
d’écho, résonnent encore et encore dans la vallée de l’Enfer, rebondissant contre des murailles
invisibles. Prisonniers ici, ils emplissent l’endroit d’un tohu-bohu assourdissant qui sonne
dans le silence à présent brisé comme des pleurs et des grincements de dents affreusement
déformés, comme si le feu, qui brûle ça et là de tristes éléments de cette improbable scène,
parvenait à chatouiller les ondes sonores. Il dévore tout, prenant son temps pour parcourir
presque amoureusement les courbes sulfureuses des ruines de ce qui demeure malgré tout
l’Enfer, et son ouvrage sera bientôt fini, tant la catastrophe, tout sauf naturelle, qui a ébranlé
cet endroit, s’est révélé destructrice.

La flopée de charognards difformes qui, jusque là, becquetait avidement les corps
flanquant la place, s’égaille dans une même envolée de plumes quand, soudain, Althâr et
Celimbrimbor sortent d’un bâtiment qu’ils viennent de visiter. Leur allure tranche avec
l’atmosphère de recueillement qui s’installe à présent que le mage a dissipé le sort qui faisait
s’échouer les cris des défunts. Ils semblent tous les deux contrariés par quelque chose et
parlent fort en gesticulant beaucoup :

« Non ! Non, on n’a pas le temps de faire un bowling avec les restes des démons !
S’époumone l’elfe.

- Mais…

- Alors tu vas me faire le plaisir d’ôter tes doigts des orifices de cette caboche et…

- Mais…

- Et de bouger un peu ! Je veux du sang ! »

Et les charognards, qui volent un peu plus loin, d‘exploser en un feu d’artifice de fluides
corporels divers.
« Si tu le prends comme ça, abdique le nain.

- Oui ! Oui je le prends comme ça ! On est en Enfer, nom d’un chien ! En Enfer et pas encore
le moindre machin, truc, chose…

- Démon, corrigea l’autre.

- Démon, oui, si tu veux, bref, pas la moindre victime à massacrer !

- En même temps, on n’est pas vraiment là pour…

- JE – VEUX – DU – SANG ! » Hurle Celimbrimbor en détachant les mots soigneusement.

La frustration qu’Althâr lit alors dans les yeux de son vieil ami l’empêche d’ajouter
quoique ce soit, et finalement il lâche la tête qu’il tenait en main.

Ou plutôt, il l’envoie percuter les bâtiments en face de lui.

« Strike ! » Crie-t-il en sautant de joie.

Celimbrimbor ne daigne rien répondre et emboîte le pas au nain qui exécute une petite
danse de la victoire en se dirigeant vers les deux seules constructions encore intactes du plan.

Au bout du chemin se dresse effectivement ce qui, à distance, semble être le palais du


maître des lieux ainsi qu’un second bâtiment, moins imposant mais tout aussi antique. Ils
avancent d’un bon pas, cherchant vainement à se préoccuper d’éventuels pièges tendus par
des démons agressifs et violents comme ce joyeux drille d’Asmodée. Pourtant, il n’est pas
d’âme pour venir les inquiéter et finalement ils s’intéressent à l’architecture des ruines qui
bordent la voie.

Peu de monde le sait, mais l’Enfer demeure un plan fastueux et exceptionnellement


beau. De fait, au cours des temps et au long du multivers, de nombreux architectes,
dessinateurs, peintres, constructeurs, ont échoué ici, parfois côté torture, parfois côté délices
(car l’Enfer n’est pas un plan monolithique, mais propose tant un repos bien mérité à ceux qui
le méritent qu’un châtiment approprié à ceux qui l’ont cherché), et ont souvent participé à
l’érection des splendeurs de l’Enfer. Il faut avoir vu les allées à colonnades dont les bas-
reliefs évoquent les grandes batailles des temps passés et à venir, pour saisir un peu la
maestria avec laquelle ces artistes ont décoré les lieux. Car ce plan, hors quelques endroits
précis et prévus à cet effet, est tout sauf un plan infernal. Le rouge souvent s’estompe en des
myriades d’autres couleurs, et précisément sur ce chemin que parcourent les deux êtres,
l’Enfer ressemble moins à ces gravures qui décorent les livres qu’à un décor verdoyant, où
coulent quelques rivières et où le ciel bleu surplombe de nombreux arbres aux essences
multiples. Même le passage de Baal n’a pas réussi à altérer l’harmonie qui règne ici et ainsi
Althâr et Celimbrimbor se trouvent dans un paysage qui semble l’Arcadie rêvée des hommes.
Autour d’eux se révèlent des temples majestueux aux portiques qui ont dû être imposants,
comme en témoignent des ruines nombreuses mais en bien piètre état. Sur les pierres antiques,
des scènes incroyables se jouent, avec tant de réalisme que certaines figures paraissent se
mouvoir sur le minéral inanimé. Loin des odeurs de charnier de tout à l’heure, l’herbe grasse
et les fleurs qui bordent le chemin dégagent des effluves doux et de complexes mais agréables
fragrances.

Ils arrivent alors devant la gigantesque façade de la bibliothèque, au pied des portes
des Archives Infernales, grandioses, magnifiques, intactes. Althâr et Celimbrimbor restent
muets devant une telle beauté. Le portique des archives s’élève à plus de vingt mètres de
hauteur, soutenu par simplement deux colonnes lançant délicatement des arcs audacieux et
entrelacés pour venir assurer l’assise du lourd ouvrage. Sur la grande surface de marbre,
gravées par un maître, des lettres annoncent la fonction de l’endroit, tandis qu’en-dessous, en
caractères plus petits, une phrase énonce la philosophie de ces Archives : « Tous les savoirs
passés, présents et à venir, pour tous, à tout moment. ». Pour décorer les contours de ce
fronton, plutôt que de dessiner des frises compliquées et peu visibles d’en bas, les
constructeur semblent avoir opté plus simplement pour un relief droit, sorte de petite corniche
en marbre qui souligne le propos et s’orne en quelques points de petites fioritures sans
prétention.

Sous ce fronton, le vide des colonnes et des entrelacements et, surtout, le vide de
quatre niches immenses dans lesquelles dorment des statues non moins grandes, représentant
la Mort, le Savoir, l’Amour et la Patience. Ces effigies, d’environ dix mètres de haut,
surplombent le visiteur sans les toiser pourtant de leurs regards inchangés depuis des
millénaires, l’accueillant, plutôt, avec presque un léger sourire de contentement au coin des
lèvres. Telles les divinités tutélaires de la sagesse, elles trônent paisiblement, invitant
quiconque à rentrer d’une main amène. Même la Mort semble calme et serein (c’est un
homme) en ce lieu si tranquille.

Celimbrimbor franchit le premier le double battant des Archives sans se préoccuper de


savoir si Althâr le suit ou non. De toute façon, il le suivra, il le sait. Tout deux souffrent de la
même soif atavique de connaissance, le nain plus encore sans doute que le mage. Tout deux
alors se perdent pendant quelques temps dans ce temple du savoir, parcourant les rayonnages
avec avidité, dévorant ouvrage sur ouvrage, vérifiant des connaissances qu’ils avaient depuis
longtemps, en avérant certaines qu’ils avaient induites d’observations minutieuses ou d’éclairs
de compréhension géniaux.

Ils ont bien du mal à en sortir et, quand, finalement ils sont dehors, ils ne peuvent
s’empêcher de se retourner, rêveurs, vers cet ouvrage incroyable. Pourtant, il ne leur faut pas
y rester, et ils savent tous les deux que les attend quelqu’un, autre part.

Ils reprennent alors leur chemin, mais pour un temps beaucoup moins long. Ils en
profitent cependant pour admirer la voute céleste et les constellations qui s’offrent à eux grâce
à la nuit sombre mais sans nuage. Etrangement, Celimbrimbor sourit, comme par anticipation
de quelque chose. Althâr fredonne doucement une chanson reposante. Le tableau serait
presque touchant, et touche rapidement à sa fin : les voilà devant la porte d’entrée de la
demeure de l’Innommable.

Ils se regardent un instant, comme s’ils hésitaient, et Althâr pose la question :

« Tu vas la défoncer à coup de boule de feu ?

- Non, pas envie.


- Avec autre chose ?

- Non, vraiment, non, pas envie.

- A coup d’épaule alors ?

- Non plus.

- Tu ne vas donc pas la détruire ?

- Pas du tout.

- Très bien. Alors, si tu permets… »

Et le nain de poser la main sur le loquet et de pousser la porte.

Les voici entrés dans le hall de la résidence du grand maître du Plan, et ce qui saute
aux yeux, à cet instant, ce n’est pas la décoration intérieure ou le goût exquis dont elle
pourrait témoigner, mais les cadavres éparpillés un peu n’importe comment, un peu partout
aussi, dans la pièce.

« Baal est passé par ici, dirait-on. Soupire Celimbrimbor.

- Déçu ?

- D’une certaine façon, oui. Les cadavres disparaissent de la salle qui se nettoie d’un seul
coup. Je n’aurai toujours pas eu de sang.

- Reste calme. Baal est là haut ?

- Oui, tu l’as senti ?

- Je te rappelle que je suis lié à lui.

- Oh, oui, j’oubliais presque. Enfin, plus pour longtemps, non ?

- Que non. »

L’air de rien, ils se téléportent devant la porte du bureau privé dans lequel Baal les
attend. Du moins, ils supposent tous les deux que Baal les attend, même s’ils n’en savent pas
grand-chose. Baal est un grand démon, il fait ce qu’il veut, à plus forte raison s’il est
désormais le maître incontesté des Enfers. Pourtant, même en sachant qu’il risquait d’être
absent à leur arrivée, ils ont préféré venir directement ici, considérant qu’il s’agissait du
moyen le plus rapide et le plus propre pour le trouver, plutôt que de devoir retourner l’Enfer
pierre par pierre et n’en laisser après leur passage que des ruines fumantes.

Ce qui explique aussi pourquoi Celimbrimbor fulmine. Ils ont réglé la question sur un
bête jeu de hasard, et l’elfe avait perdu, laissant finalement à Althâr le choix de la méthode. Et
le nain étant parfois un partisan du moindre effort…
Quoiqu’il en soit, ils sont à présent devant la porte simple.

« Celim ! Regarde ! Althâr se précipite sur un ouvrage traitant de l’alchimie à travers les
plans. Le légendaire De Opera Magna ! »

Le mage soupire. Ses sens lui apprennent que le démon est de l’autre côté de la porte.
Qu’il les attend avec un léger sourire aux lèvres. Que la Mort est toujours à ses côtés. Que les
joueurs des trompettes de Jéricho gisent égorgés à ses pieds.

L’elfe sourit de son air le plus carnivore, pousse la porte, et entre.


[Onzième BAAL]
Le Choc des Titans
Le démon observe son ennemi fermer la porte avec douceur et précaution, comme s’il
ne voulait pas abimer les précieuses gravures figurant sur le bois. Puis il le laisse contempler
un instant les tapisseries soignées, les ouvrages lourds de connaissances pesant sur les
étagères et les tapis aux dessins compliqués. Finalement, quand l’autre s’arrête devant son
bureau, le regard serein et l’allure paisible, il prend la parole :

« Vous êtes Celimbrimbor. Vous êtes l’elfe qui m’a asséné ce coup de poing mémorable tout
à l’heure. Et vous êtes en transition en ce multivers. Composé de magie pure. Le nain que
vous avez laissé derrière vous se nomme Althâr Anthâar. Alchimiste et magicien très puissant
également. Stratège redoutable et érudit passionné. Vous comptez tous deux parmi les êtres
les plus capables, puissants et fous, à votre manière, du multivers. Votre mort n’est pas
inscrite dans l’Histoire. Et je ne prétends pas être capable de vous terrasser.

- Pourtant… Continue un Celimbrimbor laconique.

- Pourtant, il est hors de question que je me rende sans combattre. Et quand bien même en
aurais-je l’intention qu’à lire vos yeux je me doute qu’il me faudra en découdre.

- Oui. Cela me déplaît, pourtant, d’une certaine façon.

- Vous êtes un monstre, Celimbrimbor.

- Vous avez tort, Baal. »

Le souffle de glace atteint l’elfe avant qu’il ait fini sa phrase. Cela ne l’empêche pas de
la conclure sans encombre, le sort n’ayant aucun effet sur les défenses puissantes qu’il a
dressées en observant le bureau.

Lui comme le démon sait que la bataille ne se jouera pas sur la maîtrise des
élémentaires. Non plus qu’elle ne sera déterminée par l’encyclopédie de sorts que l’un,
comme l’autre, pourrait utiliser. Aussi Celimbrimbor fait-il apparaître une lame scintillante
comme l’argent dans sa main droite et se précipite-t-il sur Baal.

Le maître des enfers pare le premier assaut d’un revers de dague presque négligeant,
son autre main se changeant en poinçon démesuré pour transpercer une image de
Celimbrimbor qui s’est déjà transporté quelques pas en arrière. Un instant plus tard, il apparaît
derrière l’archi démon pour lui asséner un coup vertical puissant qui vient de fendre le bureau,
tandis que la senestre de Baal, plaquée contre son torse, invoque une puissante boule de feu
qui précipite l’elfe violemment contre une des étagères du fond de la pièce. Celui-ci a
pourtant la ressource d’envoyer une volée de traits glacés sur son adversaire, qui les esquive
sans mal et se retrouve au point de chute de l’elfe, les bras écartés et la gueule grande ouverte
pour l’accueillir.

Le coup de pied qui le frappe fait exploser son nez dans une rapide gerbe de sang.
Sans montrer aucun désarçonnement, il réplique immédiatement en le saisissant par le pied et
en envoyant Celimbrimbor à travers la pièce tel un lutteur. D’un sort rapide, il s’assure une
réception confortable pour ne pas quitter des yeux le démoniaque individu qui s’est déjà
soigné et est en train de faire apparaître une lance qui grésille de puissance. Un juron
s’échappe des lèvres de l’elfe : il n’a jamais prévu d’artefact de bataille, n’en ayant jamais
possédé. Il se rétablit et époussète sa chemise. Le premier assaut n’aura pas servi à grand-
chose, si ce n’est à vaguement éprouver les forces en présence. Il grimace intérieurement :
voilà longtemps qu’un adversaire ne lui avait opposé pareille résistance.

Baal, de son côté, fait tout son possible pour ne pas paraître essoufflé. Les sortilèges
qu’il a utilisés, les défenses qu’il a mises en place, la vitesse avec laquelle il a enchaîné tout
cela, l’épuisent. Ses réflexes sont soumis à très rude épreuve, et l’invocation de la lance des
ténèbres n’est pas sans conséquence sur son organisme. Il est certes une réserve de puissance,
mais le fait que l’autre ne transpire pas une goutte commence à l’inquiéter. Pourtant
l’exaltation de la bataille court dans ses veines comme jamais elle n’a couru. Mieux que cela,
tout au fond de lui, loin en son être, quelque chose de neuf s’est éveillé. Quelque chose qui lui
hurle qu’il ne veut pas mourir. Alors, mystérieusement, un sourire éclaire son visage.

L’elfe se raidit lorsqu’il le voit et se prépare au choc qui ne tarde pas à survenir. Le
démon s’est déplacé plus vite que le son, et Celimbrimbor ne cesse depuis le début du combat
de passer de niveau de conscience en niveau de conscience afin de ne le pas perdre de vue. Il
arrête la pointe de la lance à mains nues. Le sourire renouvelé sur la face du démon lui
apprend que ce n’était pas une bonne idée, une picoseconde trop tard pour qu’il puisse réagir.
Un puissant courant le traverse, tandis que le poing droit de son ennemi s’abat avec force sur
sa figure, lui cassant quelques dents et lui broyant la mâchoire. Coincé contre le mur, il ne
peut pas trouver d’échappatoire. Aussi se transporte-t-il plus loin. Du moins essaie-t-il : la
lance semble l’empêcher d’user de ses pouvoirs, comme si elle dissociait les particules de
magie qui le composent. Il déglutit par réflexe. Cette situation n’est pas bonne. S’il lâche la
lance, Baal lui enfonce dans les entrailles. S’il ne la lâche pas, le démon lui détruit le visage
petit à petit, jusqu’à finalement exploser son cerveau. Il s’agit donc de miser sur sa rapidité.
De toute façon, il n’entrevoit pas d’autre solution, sinon massacrer Baal à coups de pied.

Contre toute attente du démon, il lâche la lance. Cette infime surprise, cette possibilité
étant la plus improbable de toutes dans l’esprit de Baal, donne le ridicule temps de latence
dont l’elfe avait besoin. Il se retrouve de l’autre côté de la pièce, la face en ruine mais vivant,
les mains brulées d’atroce manière, des spasmes incontrôlés agitant tous ses membres. Plutôt
que de se soigner, il saute immédiatement à un niveau de perception lui permettant d’agir sur
le temps, et ralentit, au prix d’une rare dépense en énergie, celui relatif de Baal. Même si, par
sécurité pour lui-même, il ne peut pas maintenir cet effort trop longtemps, cela lui laisse
toujours l’opportunité de se soigner correctement.

Et ainsi quand Baal se retourne vers son adversaire, il a la surprise de le retrouver


intact, pas même essoufflé, comme si le combat venait seulement de commencer. Le démon
regarde alors Celimbrimbor d’un nouvel œil. Leurs réserves d’énergie n’ont rien à voir. Si la
sienne est un bassin, celle de l’elfe est une véritable cascade ininterrompue versant dans un
océan infini. Baal tremble. Le tour de la lance ne fonctionnera pas deux fois. D’ailleurs,
quelque chose lui dit que la lame qui vient d’apparaître dans la main gauche de son ennemi
sera pour quelque chose à la fin de son arme.

La valse mortelle reprend, beaucoup plus lente cette fois-ci, l’elfe prenant un soin tout
particulier à rester hors de distance de la lance de son adversaire qui, lui, au contraire, essaye
de percer cet éloignement.
Et puis soudain, Celimbrimbor rompt, feinte, feinte encore, et d’un pas osé, se retrouve
à quelques millimètres du manche abhorré, qu’il brise d’un puissant coup de sa main gauche.
Il y laisse son arme, évidemment, sous la puissance du choc, mais plus rien n’est à craindre de
cet artefact immonde. En contrepartie, Baal, qui a laissé échapper son arme à l’instant où il a
compris qu’elle ne lui servirait plus de rien, appose ses deux mains sur le dos de son
adversaire et de deux puissants chocs qui provoqueraient des tremblements de terre, tente de
détruire la colonne vertébrale de l’elfe.

Celimbrimbor encaisse le coup sans broncher. Il a cessé de prendre le combat à la


légère et ses défenses les plus solides l’entourent sans faille désormais. Son sourire se fait
carnassier quand sa main droite vient, d’un revers virulent, presque, frapper le visage du
démon.

S’ensuit alors un spectacle incroyable où l’elfe semble être partout à la fois, se


renvoyant Baal à lui-même, l’assommant de coups plus surpuissants les uns que les autres,
anticipant les moindres contremesures du maître des enfers qui gémit de douleur sous le
déluge. Pourtant il n’a pas épuisé les dernières de ses ressources et réussit un instant à se
croire tiré d’affaires quand il tente de se transporter loin de Celimbrimbor. La muraille
magique à laquelle il se heurte lui apprend que l’elfe s’est assuré que personne ne quitte l’aire
de combat. Il ne reproche pas, bien au contraire. En aurait-il eu la puissance et la possibilité, il
l’aurait également fait. Un sourire amer tord ses lèvres quand un coup plus puissant que les
autres lui brise les côtes dont plusieurs viennent lui perforer les poumons. Il sait que, sans
répit pour se soigner, il ne pourra pas se rétablir correctement. Il essaie néanmoins, en
désespoir de cause.

Et puis la trombe s’interrompt, et Baal de n’en pas comprendre la raison. Il est au


milieu de la pièce, en lambeau, déchiré, saignant par tous les pores de la peau, à l’agonie déjà,
mais tout s’est arrêté. Il est à peine suffisamment conscient pour commencer à se régénérer,
en priorité sa cage thoracique, qui menace son existence tout autant que l’elfe.

« Vous avez perdu, Baal. »

Ce n’est même pas une question. Les yeux du démon contemplent le plafond et des
larmes de frustration apparaissent dans leurs coins. Il avait compris, pourtant.

« Vous avez vaillamment combattu. »

Il lui avait assené des coups qui abattraient des montagnes et lui n’avait pas bronché.
Où « vaillamment » ?

« Ce fut un combat dont je me souviendrai. »

Mais que foutre !

La pensée du démon déchire l’espace et le temps dans le multivers, sous le regard


attentif de Celimbrimbor.

Que foutre ! Il ne veut pas mourir !


La Mort apparaît dans la pièce, son sempiternel sourire vissé sur les lèvres. Il ne
mourra pas.

Celimbrimbor se penche auprès du démon et de sa main gauche effleure délicatement


le visage de ce dernier, pour lui fermer les yeux et essuyer ses larmes. Baal est mort. L’elfe
nettoie le corps d’un sort paisible, et redonne au démon l’apparence qu’il avait quand il est
entré dans le bureau : grand, noble, beau, puissant, magnifique et serein.

Baal est mort.

[Non, mais, sérieusement, vous auriez vraiment voulu que cela se passe comme ça ?]

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