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Naipaul Et La Révolution Iranienne
Naipaul Et La Révolution Iranienne
a ville é ^ t libérée mais elle restait ville demeurait un vaste campement. l’argent du pétrole, qui affluait
L la création du shah. Un an après Ici ou là, on poursuivait la
la révolution, elle attendait toujoursconstruction de petits bâtiments.
sa justification. Pour beaucoup de Mais, au sommet des hauts immeu
chaque jour, comme par magie.
Cette soudaine opulence avait créé
(importé) la cité moderne, avait
gens — ainsi, le personnel dé l’hôtel bles inachevés, les grues ne bou nourri les inégalités et les troubles
se rassemblant pour bavarder dans geaient toujours pas. Avec la pluie et qui conduisirent à la révolution. Et
des chambres inoccupées et à peine la neige, les fûts métalliques des cette même richesse avait donné à la
entretenues, ou, dans la salle équipée engins avaient rouillé ; les murs de révolution le temps de voir venir.
d’un standard téléphonique I I T , cet brique grossièrement cimentés mais Avenue de la Révolution (ancien
homme dormant à même le sol, pas encore enduits de plâtre parais nement Shah-Reza), au sud de
enroulé de la tête aux pieds dans une saient se désagréger. Les magasins l’université de Téhéran, les mar
couverture, comme sur le sable du regorgeaient de produits d’importa chands d’images proposaient tou
désert — pour beaucoup de gens, la tion : c’était là qu’allait l’argent. jours des vues de lacs suisses ou de
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JEUNE AFRIQUE - N<> 1094 - 23 DECEMBRE 1981
IR A N lentement de l’homme au lit puis aux
système du pays risque d’être vrai prenait ses cours de mathémati(|ues
ment bouleversé, cette classe, la d’une fine écriture persane, mais en meuMes très simples de la chambre
petite bourgeoisie, s'oppose à la employant les chiffres occidentaux pour revenir sur l’ayatollah. A un
révolution. Khomeiny appartient à (ou arabes ou indiens). La plupart de moment, on présenta un gros plan de
cette classe. C’est un petit bourgeois ses manuels étaient américains. Il sa main gauche : des doi{ '
et il ne peut pas accepter le socialis avait été nourri par tant de civilisa et une 'peau incroyablement lisse
me. tions ; tant de choses avaient pour un homme de duatre-vin^s
— Mais, avez-vous toujours vu concouru à faire de lui ce gu’il était. ans. Une ou deux fois, le petit doigt
les choses comme ça, Behzad ? Mais maintenant, en ce qui aurait dû se souleva, comme d’un ^ste iiivo-
Quand Khomeiny parlait de tyran être l’aube de sa vie intellectuelle, lontaire, puis retomba. Il ne fit pas
nie, de fraternité et d’égalité, ne comme nombre de ces musulmans d’autre mouvement au cours des cinq
saviez-vous pus qu’il parlait de auxquels il s’opposait, il s’était coupé minutes que dura la séquence, ni ne
l’islam ? L’islam peut passer pour lui-même du reste du monde. montra la moindre émotion. Ce
une idéologie politique. L’ignoriez- Behzad, ainsi que les autres n’était plus un homme méditant la
vous ? étudiants d’Iran et les trois cent mille vengeance ; c’était un homtne qui
— Pour exprimer ce qu’ils veulent, jeunes Iraniens qui, selon les estima avait accompli son œuvre. Pendant
les gens emploient des expressions tions, étudiaient à l’étranger, étaient tout ce temps, en fond sonore, on
différentes. Ainsi, la petite bourgeoi en fait les enfants du shah, les entendait un chœur masculin psal
sie dit : “ Nous sommes musul premiers fruits intellectuels de l’Etat modiant trois mots : « Khomeiny e
mans. ” L’islam n’est pas pour le iu’il avait tenté d’édifier. Mais ils Imam ! Khomeiny e Imam ! »
socialisme.
— Mais n’est-ce pas là que vous
avez commis une erreur ? Quand
S ormaient une classe trop neuve, pas
assez mûre, à laquelle il manquait
une tradition intellectuelle ; ils
« Khomeiny est notre imam. » Le
guide suprême, le représentant du
douzième imam, l’imam caché, le
nous sommes allésau rassemblement étaient trop nombreux ; et ni eux ni régent de Dieu. (...)
pour la prière de Taleghani, au mois l’Etat n’avaient étéen mesure de faire
d’août, vous m’avez dit qu’il s’agis face à la situation. (...) * ♦
*
sait d’un événement politi()ue. Ce Ce soir-là, les programmes de
n’était pas du tout ainsi queje voyais télévision se terminèrent par un petit
les choses. film de cinq minutes, sans commen I D eux rues plus bas, avenue de la
— Peut-être queje ne les vois plus taire, montrant Khomeiny au repos Révolution, dans cet ancien <]uartier
ainsi maintenant. Je vous ai dit ça après sa crise cardia de magasins chics qtii faisait partie
parce que la religion que, dans sa chambre de la cité bour^oise crééepar les h ^
meurt un peu partout d’hôpital de Téhéran. au nord du vieux Téhéran, un petit
dans le monde. Il y a Il était allongé sur une garçon s’était assis par terre, près
beaucoup de gens qui chaise lonjgue ; une d’un tas de sacs en plastique remplis
essaient de la ranimer, couverture jaune dissi d’ordures. Utilisant des détntus
mais ils n’y parvien mulait sesjambes et ses prélevés dans les sacs, il avait allumé
nent pas. Même les pieds. La caméra passa un feu au milieu du trottoir (...). Mais
Américains s’y met il ne cherchait pas à se réchauffer.
tent. Us viennent nous L'ayatollah Une expression de colère sur le
Khomeiny caricaturé visage, il déchirait sa chemise ; et,
parler d’Allah. Mais en sous les traits du shah
vain. » par Levine. déjà, son ventre était dénudé. Il
Je le laissai à ses Le guide suprême est faisait très froid ; le vent souillait
livres et à ses notes. Il un petit bourgeois. (...). Ses pieds nus étaient crasseux ;
son visage, lui aussi, était sale. Des
gens s’arrêtèrent pour lui parler ; il
leva les yeux — un re^rd fixe dans
un doux visageaux traits régulkrs—
et continua à mettre sa chemise en
lambeaux ; et les gens cm s’étaient
arrêtés reprirent leur cnemin. Un
bossu, qui visiblement n’avait pas
toute sa raison, sortit de la foule des
passants, tourna autour de l’enfant et
du feu (...) puis s’éloigna. (...)
U n brasier au milieu du trottoir, a
l’heure de pointe : signal de détresse,
auquel personne ne pouvait répon
dre. Les larmes des enfants n’étaient
belles que sur les images. Poussée à
son paroxysme, l’hystérie de ce petit
garçon aurait correspondu à létat
d’esprit de bien des passants ; et cela
faisait peur. (...)
M. Jaffrey était un chi’ite origi
naire de l’Inde. 11 avait commencé
par émigrer au Pakistan, avant de