PPN AA00,4 029
Repenser le n
ationalisme
Théories et pratiques
F 4S) 94.0
Sous la direction de
Alain Dieckhof?
Christophe Jaffrelot
Svs 6pChapitre 1 / Pour une THEORIE
DU NATIONALISME
Christophe Jarrreior!
[En France, le natfonalisme est longtemps resté le domaine de
prédilection des historiens, principalement du fait du caractére
tnés national de la diseipline-reine de Vhexagone. Les poitstes
1. Ce terte proctie dun numéro des Questions de
recherche du CERI, « For a Theory of Nationalism » (OUR
110, 2003). Fy revisite la eowe critique des thiores de a
nation et du ationlisme que Javus entreprise dans + Les
Imdéls explicate dela nation et du nationalism» dans Gil
Delanna-etPiere-André Tague? (te), Tories 0
Tsme, Paris, Kimé. 199]. zs
2. Voir Raoul Girard « Auour de 'dlogienationaliste
Revue fangs de science politique, (15) 2, juin 1983 ef Pier
‘Nera i), es Lewx de memoire La Nation, vl. 2, Par, Gall-
‘mad, 1986. Parm les polite, plusieurs exceptions novires
imisitent dire mentionnées : Pere Hassnr, « Nationalsme et
‘eins internationales», Reve rangaise de cence politique,
10(3), juin, 1965, Guy Michelat ct Jean-Pierre Thomas, Dimer
sles du mationalsme, Pars, Armand Colm, 1966, Gil Delannet
ft Piere-André Tague ar). Theos nationalism, Pars,
Kiné, 1991, Guy Hermet, Histole ds nations ct di nationllsne
‘enEurope, Paris, Le Sel, 1996, Pere Bimboum (ir), Socio-
loge des nationalisms, Pars, PUF, 19982" e Gi Delano
ft Piere~André Taguieff i), Natonalismes en perspective,
Paris, Berg Intemational, 2001. Porm les anthropolgues, Martel
Meus fat naturelemen igure de pionier atyplque en raison de
sow aril a Maton» datant de 1920 freprodut dans Ann
soriologigue "stl, 1953-1954 et dan Eves, Pars, Editions
‘de Mina, tome 3, 1968), mais i fout aust ce les travaur de
ovis Dumont, notamment, Esai sir Tndviduliste, Pars, Le
Sei, 1983 etdéoogieallemande, Paris, Gallimard, 19),
5. analyse de Mare Dstcnnc etic des plus élirantes
(Marcel Destienne, Comparer Tincomparable, Pei, Le Seu
2000).30 | Roemer atone
britanniques et américains 'y sont de leur cOté intéressés dé la
fin de la Seconde Guerre mondiale. Depuis, Paccumulation des
crits en anglais sur le question ~ et bien sir leur qualité - permet
de penser quil s'agit d'une sous-discipline & part entiére de la
science politique anglo-saxonne',
Lintérét croissant des politistes pour le nationalisme ses de fit
‘radu ces dix demiéres années par Ia multiplication de revues et
‘Couvrages spécalisés. Pam! les premieres, Nations and Nationa
lism a vale jour en 1995 ; National Identities, en 1999. Parmi les
‘ouvrages de référence, on peu citer The Nationalism Reader publié
fen 1995 sous la direction 'Omar Dahbour et Micheline Ishay :
Nationalism, para en 2000 et dirigé par John Hutchinson et
Anthony Smith; et Becoming National : A Reader, écrit sous la
diretion de G. Eley etR.G. Suny, et publié en 1996. Depuis 2000,
il existe méme une Encyclopaedia of Nationalism rélisée sous la
direction d’Athena Leoussi et Anthony Smith, Mats la théorie du
nationalisme a-t-lle pour autant progressé ?
4 Phere Bimbaum a souligné le contrast qui demeurait
entre les politistesanglo-sazons et Tews” homologues
‘Francais Sur la question du nationalome
‘Dans a precipitation, nombreur Son ceur gui awourd hu,
tout pariulerement dans un monde anlo-saron plas sensible
4 ue socitagte des valeurs sengagent dans des recherches de
tous genes? Vindustrie du nationaisme remplace dans es
préeceupations de beaucoup celles du corporaisme ou de Eat
‘Ara dir es socologuesfrangais marqués plus profondé-
‘ment par es traditions darkheimicnnes ow marssesparissnt
demeurés encore crt dlasson ces formes dation cole-
tive ont ces valeurs nationalisesenren malisement dans des
logiques stracurles peu propices sisi les variations des
‘aginaires = (sir Pere Birnbaum (cd), Socilogie des nato-
nalsmes, Puri, PUR, 1998 2", p 2
our une itomieouNATONALMe | 3Y
En alia notion méme d'une théorie du nationalisme semble
problématique, comme Craig Calhoun Ia ert ily a dja dix ans :
‘Le natoalsme est rp divers pour quune seule thre puss
"expiquer tout enti. Une bonne pare du conten e es tendances
Daiculires des dives nationalismes est éceminge par des tradi
ions hsorigues singles, par Piaventvité des ears et par Is
ontngences du contexte internation?»
Ce point de vue rejoint celui de John Hall, selon lequel « aucune
Ugorie unique et universelle du nationalisme n’st possible. Nos
concepts doivent tre aussi dives que lest histoire», Cequi est en
‘use fei nest ren moins que la vocation des sciences sociales &
roduire des outils d'analyse applicables a différents contextes’
‘st done temps de réagira ces tendancesrégresives qu nous ramé-
neraient & une science sociale peu analytique et essentillement
préoceupée de typologies.
Le constat plutdt pessimiste de Calhoun et Hall résulte en partie
‘de a confusion conceptuelle qui régne dans un domaine paticulié-
rement folsonnant. Bien que les chercheurs qui se sont intéressés au.
nationalism aienttenté dy mettre un peu ordre, leur tiche n'a
5. Craig Calhoun, Nationalism, Minneapolis (Minn,
University of Minnesota Pes, 1997, p. 123.
{John A, Hall, Natinalsms : lassie and Explained»
Duels, 61993, p.
7. Voir ce suet également G, Stokes, «The Undeveloped
‘Theory of Nationaliom », Wold Polis, 3 (1), octobre 1978 +
ALN. Waldron, « Theories of Nationalism and. Historical
Explanation», Word Polis, 37 (3), eri 1985
8. Anthony D. Smith, Theories of Nationalism, Londres,
Gers Duckworth, 1971 :E Hass, « What is Nationalism and
‘Why Should we Study I?» International Organization, 40 (3),32 | epenserteraionaime
souvent pu abouti, faute de déméler de fagon convaincante un
écheveau oi s'entremélent ces quatre concepts majeurs que sont le
patriotisme, la nation, le nationalisme et thn
CCommensons parla notion de « patritisme » qui s‘avére beau
coup moins heuristique que les trois autres et dont nous dispose
rons dans cette introduction. Ele est utilise la plupart du temps
dans une perspective normative: le patrotisme est respectable ~
voine moral parce qu'il désigne une défense ~ qui peut étre
hnéroique ~ de la nation. Axjun Appadurai définit ainsi le patio
tisme comme Iaptitude du citoyen & mourir pour son pays", alors
aque le « nationalisme sapplique davantage & ceux qui sont
cengagés dans des politiques expanslonnistes et agresives. Mais «le
patriotisme estil possible sans le nationalisme», s‘interroge
‘Michael IgnatiefP! 2 En ral, il s'agit bien souvent des deux Faces
dela méme médaile Cette dichotomie est aussi trompeuse que celle
‘opposantnationalisme civique et libéral d'une part et nationalisme
cthnique et ferme autre part (voir sur ce point le chapitred’Alain
DieckhofT dans ce volume), les deux oppositions coincidant
Joppé une perspective vértablement nationalist. Les défenseurs du
26, K: Deutsch «Nation-Buding and National Development
Some issues for Plc Research dans K. Deutsch et WI ole
(eds), Nation Building, New York (N.Y), Atherton Press, 1962
Dr
22. Connon-«Nation- Building oF Nation Destroying?»
Worl Baltes 24-3)-avril 1972, p. 329.
28, W. Connor applique aussi som raisdinement certains
pays earopéens, tele le Grande-Bretagne, ols minority, lee
Fcossais par eemple, wont acquis wre conscience collective
PoURUNE THEomEDUNATONISHE | 41
ation building ont rotalement ignore cet aspect des choses, non seule-
‘ment parce quis ont adopté une théorie européanocentrique et tléo-
Jogique dea modernisation, mais auss parce que le nationalisme ne
‘constituaitmullement Vobjet de Teur ede, Ils voulaent expliquer
‘comment eformalentles nations partir des progres techniques, non
Vologie qui s'affimait en parallle. Les théories du mation building
hie sont pas des théores du nationaisme. La méme remarque peut
oppliquer aux théses de Benedict Anderson et d'EmestGellner qui
lendenttousdeuxconfondre sentiment national et nationalisme,
Le sentiment national n'est pas le nationatisme
communautés imaginées » sont-lles nationalists ?
Les travaux de Benedict Anderson ~ qulreposent en grande parte,
‘comme ceux de Deutsch, su les processus de communication ~tral-
tent également davantage du nation building que du nationalism.
‘Anderson ckerche pourtant, ui aussi & laborer une théore générale
ela nation et du nationalisme, deux phénoménes qu selon lui sont
pparusIfpoque modeme aprés une révolution en trois temps dans
lessystémes de valeurs dominants: 1) la marginalisation progressive
cla langue relgieuse (eatin, par exemple) censée donner acc la
\Verité; 2 affilissement de Vide selon laquelle Ia socket sorga-
hise par nature autour de souverains datés d'un staut divin ;
2) abandon dune conception du temps fataliste et anhistorique, ot
Ja cosmologe ne se distinguait pas de histoire de homme.
Ces ruptures épistémiques coincident avec le développement des
techniques de éition et apparition da captalisme de Fimprimé »,
ql Jouent un réle considérable dans le modéle d'Anderson, Le
qapris que le processus de modernisation at atcint un seul
iertant Dur culture et leurs intrts en danger, fsorsont dis
ime coup la ristalisation de leur ientite42 | kepemer te nanoraione
‘développement du livre surtout sous sa forme romanesque ~t dea
presse éerite va en effet de pair avee invention une communauté
imaginge et d'une notion du temps dans laquelle les événements,
‘Sorganisent selon un ordre séquentel et chronologique Le lecteur se
Place dans un aps de temps particulier et au sen dune société celle
dont tui parent les imprimés ~ oil voit les différents personnages,
jouer leur rile social le long dun axe tempore! linéaire. Pour
Anderson, "homme se trouve exactement dans la méme situation,
lorsquil observe sa nation qui, elle aussi, constitue une entité
abstalte enracinée dans le passé et toumée vers Favent. En oute le
‘développement dea presse engendte le sentiment nélt eppartenit
‘une « communauté imaginée » en suscitant au méme moment les
_mémes pensées chez les membres d'une communauté («nationale»),
dont es frontires sont déimitées parla langue
«La signification de cet érémonie de mse [J efit de reson
Joumal est paradoale Ele accompli dans lesilence de nimi,
ans Tes repls du cerveau. Cependant, chaque communcant est
parfaltementconsient qu la eeémonie qu'il accompli xt epro-
ule dans le méme temps par es miles ou des milion) nutes
personnes dnt coal existence, mals dont ignore ttalemen
"ident En our, ete érémonie se pte sans ese chaque jour
‘ou chaque demi-journée tout au long de Fannée Quelle figure plus
‘latante peut-on enisager d'une communauté imagine stculrsée
ecinsete dans histoire”? +
Cette definition du sentiment national comme fait mental sous-
tendu par le développement des moyens de communication de
‘masse peut compléter le modele eybernétique de Deutsch, qui ne
29, Benedict Anderson, Imagloel Communities :Refetions on
‘he Origin and Spread of Nationalism, Ladies, Verso, 1983, p38.
POURUNE THEOMESUNATONAME | 43,
pe quéreattention ala nature et origine dela conscience natio-
hale. Mais Ia théorie d’Anderson sert ict davantage & &
moment important du processus de construction nationale -'émer~
ence du sentiment national, d'une nationalité -, qu’ analyse le
hationalisme en tant qu'déologle. Anderson n’aborde pas vraiment
Ja question du nationalisme, sauf pour die quil est enraciné dans le
passé et quil dépend dune conception du temps linéaire et abstait,
Paralelement incidence du « capitalisme de imprimé:
Anerson éudie celled fonetionnement de administration dans les
colonies européennes, et en particulier dans empire hispano-amnes-
‘alin, Le processus de construction de VEtat constitu ii le point de
depart de sa démonstation : dans les unités administratives de cet
‘empire at moderne a réduit ls clivages régionaux en mettant en
place, d'une part « une langue dEtatnormalisde» (aux conséquences
‘quivalentes & celles du «eapitalisme de Vimprimé », autre part
«Vinterchangeabilité humaine » par laquelle les bureaucrats se
-voyalent inposer des afectations au asad dans des régions quis ne
«connaissient pas auparavant. Cette application de idéal-type webe-
rien de Etat rationnel a créles conditions d'émergence du sentiment
national non seulement parce que les agents administratifs ont fin
par particper d'une culture a la fois professionnelle et personnelle
plus homogéne, mais aussi parce quis se retrouvalent & intervalles
réguliers dans la capitale ol ls étaient appelés pour de véitables
« péleinages bureaucratiques». Cs demier ne servaient pas unique-
rent favoriser la solidarté et Ja culture commune de ceux. quils
rassemblaient :il créaient une nouvelle conscience deo fondée sur
‘un rapporta Autre jusqu‘alors incon
«Au cous de ce plerinage peu confortable, fle fonction indi
se] eacomtrat des compagons de vyageenqul nist sent
ment qu ce compagnonnage eit fond non seulement surtl jet44 | nepemerienevonaone
pacer, mais aus surla ata partagte dea nassance outre-
me. Le fait dire né en Amérique, fice une semaine apr,
Tamivée de son pate, le condarmnait& une postion subordonnés,
alors méme que nla langue, nla relgion, ni Yascendance oles
bones maniéresne le dstinguaient de Espagnol né en metropole
In avat rien faire: alt irémésiablement un Cole”
[Anderson conctut que «les fonctonnares extol péerins et les
employés dela presse réoles des provinces ontjoué un ble historique
décisf™ » dans la fragmentation de empire hispano-américain en
dix-huit Etats nations séparés, Cette évolution soudaine s'est
produite tts tt dans cette région —au début du xx’ see -, pour se
‘épéter ensuite ailleurs selon leméme schéma usqu'au mouvement de
‘colonisation du xx‘ siécle, qu’Anderson appelie la + demitre
‘vague +. En Indonésie, par exemple les chefs du mouvement nationa~
list aientisus une intelligentsia familiée de Fimprime et parfois,
‘employée dans administration ~ ayant, en tout cas, suvi des tudes
modems. 'éducation ‘un réle majeur, non seulement parce
‘que des manuels scolaires standardiséscréaient une nouvelle «forme
‘expérience commune», mals auss parce que le systéme éducatit
constituait le crewset d'un nouveau groupe social. Pour fare des
fallat se rendre & Batavia, au Centre, et de cette
fagon, «le systéme scolaire colonial du 2x sicle donnait Hew & des,
pélerinages semblables aux voyases des fonctionnsires pratiqués
depuis longtemps » ls savaient« que Batavia ait leur Rome et que
alt “leur” capitale qui donnalt leur sens & ces voyages, qulexpli=
quat pourquoi “nous” sommes “IA” “ensemble™ », Et is étaent I
30. hip. 58-59,
31. Wid, p65.
32. Bld, p11
our une rwtomieouNATONALsMe | 45,
‘ensemble en tant qu'ndigines, ce qui «sghifiait la fos que ces,
personnes taient “inférieures” et quees occupaient la place queles,
Lemodele'Anderson combine done deux dimensions. Elles sont
respectivement résumées dans le «capitalisme imprimé »et dans les
pélerinages de Vimtlligentsia qui permettaient & ses. membres
‘Tacquérirune nouvelle conscience nationale a sein dun systéme
‘lucatif centralise et uniforme ou en tant que bureaucrates, Mais
Anderson trate-til vraiment du nationalisme commeil le prétend ?
1 ulise plus souvent le expressions national consciousness (cons
sience nationale) ou. nation-ness (appartenance nationale)". Si
Vinteligensia s'est forgée un nouveau sentiment e'appartenance, et
si elle est partie prenante d'une communauté plus large (la
‘nation »). cela nvimplique pas nécessairement une volonté de
controler Etatou de promouvoir sa propre identté contre un Autre.
1 est alleurs surprenant qu’Anderson s'intéresse si peu & Vinci-
‘dence du complexe de supériorité des colons, en Indonésie ou
ailleurs, en termes de ressentiment protonationaiste ou de éforme
culture au sein du milieu indigéne, méme sl souligne que lune
des conséquences importantes d!exclusion des notables locaux par
Etat colonial fut 'émergence dun sentiment de reetcollectif, Par
‘exemple, exclusion de "intelligentsia des categories supérieures de
"administration n'a pu que frustrer ses aspirations & obtenir davan-
lage de powoir eta di favoriser la cistallisation du nationalisme,
Les compléments qu’Anderson a apport la seconde élition de
Imagined Communities visaient & corriger ces lacunes. Dans la
préface, i explique quaprés la publication de a premigre éiton, ila
‘compris que ce qui «considérat comme une nouvelle contribution
33. bi, p. 112.
34. bid, p. 123,46 | Reps eneoraome
significative ta rflexion sur le mationalisme ~ la modification de a
conception du temps ~ avait besoin de son nécessire corolla, Ia
modification de a conception de espace” » Doitleitre du dixitme
chapitre de cette seconde édition, « Census, Map, Museum », dans
Jequel il explique qu'au x" siécle, tat européen essayalt de
contrler som terrtoie en dénombrant les populations, en cartogra-
pant le monde et en archivant le passé, Les populations étaient
systématiquement clasées et comptabilisées, des frontires dim
talent les pays ou les régions et le passé archéologique tombait sous,
1a coupe de tat qui, en partie pour se lgitimerlu-méme, dressait
Finventaire des monuments historiques ees estampillalt«symboles
collectfs en es ffichant su es timbres de la poste nationale ou sur
‘autres supports. Ce processus de standardisation culturelle refétait
la volonté de Etat, y compris dans le colonies, éablir une «grille
de classification globale ». Pour Anderson, ce «style imaginaire » a
‘ouvert la Voie au nationalisme, car ile acré la grammair quiallait
terme rendre possible Vutlistion de “Birmanie™ et “Birmans”,
<@°Indonésie” et d"Indonésiens™ », Les deux mots, soulignés par
nous dans cette demiérectsiton,résument Ia faiblesse persistante de
la théorie d’Anderson, par ailleurs extrémement stimulant, du point
de vue de Véeude du nationalisme : I n'est pas dans son intention
‘explquer le nationalisme, mais d'isoler les conditions préalables
susceptibles de «rendre possible» un sentiment 'apparterance
national. Cette approche présente de nombreusesaffinitésavee ce que
‘Michel Foucault appelait es effets de la microphysique, ces pratiques
invisiles de pouvoir qui finissent par créer le sujet modeme””
35 hi, pan
36. Wi, p. 185
137. Vendy « Whither “Nation” and “Nationalism” ? »,
Daedalus, 1993, p. 41
your ume ritome ouNATINALISME | A7
Anderson tite done de nations sans nationalists, non seulement
parce que Is processus qui décritssontclairement«inconsciens »~
iin’ apasdacteur-, mais aussi parce quiln‘exist pas dene idéo-
Joie, voire politique en termes de controle du pouvolt, Ce qui ext
jeu, Cestémergence d'un sentiment national formant au total un
‘sultatnon intentionnel
mest Gellner: la théorie de la modernisation revisitée
(Commeson tree lasse rainde la grande euvre 'EmestGeliner,
ations and Nationalism, refete la méme confusion entre theories de a
ration (ou du sentiment national) et théores du nationalisme. La
premiére facettedeson modélesinsée ben dans le cadre dea théore
de la modemisation selon Deutsch, ce que Gellner appelle la
‘transition » des scitéstradtionneles aux société industrielles, Les
premiéres, qualifies d' agroetres», présentaient une strict division
sociale entrees literati qu, grice& leur pouvolr et leur instruction,
‘alent dépestaies d'une « grande tradition», tla masse de ceux qui
ravallaent la terre et étaient uniquement porteurs d'une « petite
tradition” », A ebté de cette division horzontale reposant sur la
58. Geller, Nations and Natonalism, Oxford, Basi
‘Backwel, 1983, p. 9-12 A.D. Smitha remis encase ce pont de
re Ila reprcké & Geller deteir compte, parm les soiees
naires « premodernes uniquement des « gropes ethiques
Aarstocraques»~ comme la sorte indienne des castes ~ dns
lesguesle grande ation touche raremen d'autres caries que
cles des plus leis et des gouserants I! soln en revanche
Ueistence de «groupes etbnigues dématiqus» dan sgl «une
caltur etique unique pene selon des ders cir la plpart
estates de a population, me si sa base deme urbane et
‘ne des zones raales sles conseroent des variates & cette
falure» (Anthony D. Smith, The Ethie Origins of Nations,
send, Basil Blackwell, 1987, p77). Cette homoginété48 | taper le neonatone
Jichotomie entre culture de Iie et culture popular, existaient de
nombreux civages vrtcaux dans la socité rurale en raison des lok
sonnements gcgraphiques et du mode de vie autarcique des commu
nnautés paysannes:lescoutumes ets dialects different ainsi parfois
l'une vallée& Faure. Selon Emest Geller, cette hétérogénété cult
rellereprésentit le pineal obstacle a formation une nation
‘La modernisation industriel, d’od procéde le naionalisme selon|
Gellner, est allée de pair avec Mhomoxndisation eultuelle de la
société &ssued'un long processus inhérent a logique éeonomique
du capitalsme : fondé sur une technologie évolutive et Tidée de
progres, celul-e implique des gains de productivité constants. D'ot la
nécessté, pour la population active, d'étre extrémement mobile au
plan professionnel et donc de disposer d'une solide formation initiale
permettantpolyvalence et reconversions.Dés ors
‘le niveau instruction et de compétence technique,
standards, une monnae conceptuele commune, qu es xi des
membres de cette soc pour qu pulsent re convenablement
sun ioe
‘ularte vent du fot que ces populations se considéent
‘lues + dune fag ou dune autre (J ober les etnies les
‘lus démotiques, aspect sare et misionnaire apart inté-
frente de leur essence. D'0i leu capacité mobilise de puis-
ont sentiments de soliart ct. perptrer des aces scrfiiels
‘au non dele commanauté Dai, également, la presence rcur-
rente de leaders charismatiques et hommes ints pergus
comme les symbules de unite de lz communcuté toute
entire» (bid, p. 83). Les ezemples donnés par Anthony D.
‘Smith pour illstrer son propos concerentestenilement les
Erase, les amphyctiones (Sumer, Phéncie, rice) et les
confdértions tribales (turgues, perses, mongole). Cette
‘rtique de Geller rnvoe bien sr eu posta de Smith selon
Tequel le nationalisme puiscrait ses racines dans un substat
‘etnigue ben antricar a période moderne (oii).
oun ume gomieounAnoNALine | 49
«employs et quis jousent dune ctayenneté morale plein et el
‘ts le quil ne peu out slaplement pas re dispensé pat es
Famille ou les communauté locales I ne peut tre four que par
quelque chose qui ressemble un systéme modeme déduction
“natonle’, une pyramide ta hase de laquelle ily ales écles
primal, ob ensegnen es Intute et gul sot ighes pa des
sens sotant oles supéiurs. Cee pyraidedétermine la ale
rinimale dune unit politique viable”
Le processus de construction nationale progresse ensuite au
sythme de entrée dans le systéme éducatif de populations de plus
«en plus Eloignées des grands centres, qui comprennent quapprendre
Ja langue éominante et posséder une instruction minimale sont les,
conditions nécessaies de leur ascension sociale et de leur capactté&
ddfendre leurs droits vis-A-vis de administration de IEtat-nation
cen construction, Au-dela,'éducation produit un équlibre moral en
mettant es gens en phase avec les valeurs de a société dont ils sont
de facto des membres, puisque «les limites de la culture dans
laquelle ilsont été éduques sont aussi celles du monde dans lequel ils
peuvent ~ moralement et professionnellement ~ resprer. éuca-
tion d'un bomme est de loin son plus précieux investissement et, de
Fait elle li confere son identi»
‘Lhomogéneisation culturelle engende ainsi une nouvelle cons~
ence nationale que Gellner appelle« natlonalisme «. Pour lui, «le
nationalisne nest pas le révell d'une force ancienne, dormante,
latent, méme si est ainsi qu'llse présente lu-méme. est en ralité
ta conséquence d'une nouvelle forme d'organisation sociale fondée
sur de hautes cultures profondémentintériorisées et dépendant de
438. E.Gellner, Nations and Nationalism, 0p. i, 1989, p. 4,
40. Ibi, p. 36.50 | kepmerlenationtime
education, chacune protégée par son propre Bat. I wemplole
certains culture préexistantes,génralement en es transformant
mais ne peut pases uss toutes :ilyenatrop. Une haute culture
able, soutenantun Eat modeme ne peut pas dscendre a-desous
«une dimension minimale », quiet celle quexige a mise en place
durable dun systéme éducaieicace
Ce que Gener nome « nationalisme » nest finalement qu'une
nouvelle forme de conscience collective, le sentiment 'apparteir&
cette innovation quest IEat-naton. Ce sentiment nincorpore pas
nécessirement une dimension idéologique nationals. La théorie
de Gener rappel jusquiel cole du nation buiing:Végra-
tion nationale rest ene principale et vue comme dépendant
de Mhomogéncistion culturele dans le contexte dela modemisa-
tion socio-économigue conduit par Etat On le voit, le ntionae
lisme n'est pas plus objet central de oeuvre de Geliner qu'il ne
eat dans celled Anderson
a eritigue de Hall en témoigne dallurs de fagon évidente
Clu-tremet en cause Funiverslité de I théore de Getiner en
remarguant + quelle ne permet pas «expliqur la toute premiére
‘apparition du nationalisme au xv scl en Grande-Bretagne ct en
France »,puisque dans ces deux pays «les sentiments nationalistes
préexistent incontestablement emergence de Tindustie™ >. Cet
lan indice supplemented fait que Gellnerne stress pas a
nationalisme en tant qvidéologe, mas pluto a constraction de
ta nation e¢ a sentiment national
Las tories passéesen revue usgue sont des thoi da fabri-
cation dela nation ou dela fabriation du sentiment national, et non
41 Bid, p. 48,
42.4 A, Mal « Nationalism: Classified and Explained»,
Daedalus, 1999, p. 5
es théores du natlonalisme. Rogers Brubaker a récemment souligné
lacliférence qu exist entre lenationalsme et es autres concepts és
i la nation tels que le sentiment de nation (nationhood) ou, la
+ nationitude »(nationnes) Considérant que« lenationalisme peut et
oit &tre compris sans faire appel aux “nations” comme entiés
substantiles" », I souligne queles nations ne doivent pas étreconst-
Arges comme des ents rfies, incarnées par définition dans des
nationalismes. t de critique «cette envahissante tournure esprit
substantiate et realise, qui attibue une existence réllee¢ durable
aux nations comme collectivtés..»Hreproche tant 4 Anderson qu’
Gelner lear approche développementaliste de la nation, qui donne &
penser quelle est quelque chose qui grandit et se développe et qui
donc «existe» ensuite de maniére stable. Pour Brubaker, la nation est
lune « catégorie de pratique » et non une «categorie analyse». Les
vraies catgories analyse sont nationhood et nationness, deux
notions qui désignent, a premiére « une proprité variable de certains
sroupes la seconde « quelque chose qui arrive» et non quelque
chose qui se développe. Mais, si Brubaker s'attarde sur ces deux
concepts Fourles opposer celui de nation »ilnes'Intrese guére &
‘a question du nationalisme. Il insite simplement sur Vidée que «la
che analytque a accomplir(..est de penserlenationalisme sans es
nations!» et que « enationalisme n'est pas engendré pales nations.
est produit -ou plus exactement Iles induit- par certains champs
politiques», Masi ajouteen note: les champs politiques ne sont
49. Brubaker, Nationsiom Reframed : Nationbood and
‘he National Question inthe New Europe, Cambridge,
Cambridge University Pres, 1996, p. 7.
‘44 Ti, p. 15,
45. bid, p. 18-18,
46. bid p21.
47. Wid, 9.17,pas les seuls a pouvoir engendrere nationalism, des champs éeono-
rmiques et des champs cultures le peuvent &alement™ », De tells,
considérations ne font nos yeux qu'ajouter la confusion, Rese Ia
nécessité de découpler la notion de nationalisme de celle de nation,
cexcellente étape prliminaire pour une comprehension corecte du
nationalisme comme iologie ce que la plupart des auteurs passés en
eve jusqu'et ont pas fait, except, mals dans une certaine mesure
seulement, Ernest Gener.
Les rivalités collectives, ferments du nationalisme
Les conflits socio-ethniques et l’émergence du nationalisme
Gelnera en effet développé ailleurs une théorie ds nationalsme
en plus de celle dela nation que nous avons analysée plus haut, Sila
: 17) depuis la Revolution frangoise, tows es indivi asprent
1 ig leurs vies et curren tte ier la satisfaction de
leurs intr, Lorsque ete vlan est erate dune fagn ou
‘Tune autre, es coltions sociales se constituent pour éiminer
Tes ostaclesaurgues es groupes ues forment ont confronts
Lanaturedes coalitions qu se constituent ast ees caracteist-
our Une HtORIESUNATONLSME | SS
Une telle analyse du nationalisme en termes de confits ot se
superposent les clivages soclo-économiques d'une part et cultuels
tw ethniques de Tautre, sous-tend plusieurs autres théorlesinspi-
‘es du marxisme ou du paradigme instrumentalist,
Le débat marsiste
Selon Tom Naim, «la théorie du nationalisme constitue le grand
chee historique du marxisme™, Du point de vue des relations
lnterationales, Fapproche marxiste traditionnelle du nationalisme
analysaitcephénomene politique comme un combat entre impéra
lisme e€ ant-impérialisme, Ces deux « mes »relétaent Faction
des classes capitalists ou des bourgeoisis indigenes luttant pour
leurs intéits économiques sous le couvert dune idologie nao
hale fondamentalement instrumentale. Cette conception, apparue
our la premiére fois d'une maniére formelle dans les crits de
nine et dans les débats animés par Rosa Luxemburg et Otto
‘ues de leur action varen ex fonction des traits spécifiqus de
oppression ressente la Revolution francaise, ls mourements
mtionau dm sie lalate des lasses, anticoloilisme et
‘es mouvements de minors sont auton de variates du méme
‘hénoméne. Dons chague as, une conscience de groupe oppartt
‘x réaction dla domination ov agresionextreure, comme on
_rat lecontaer dans ecu des communautscthniques «Les
csemlesdtres humains parant une meme langue guides par
tes valeurs analogue ct se rferant &'um passe commu nt
teuiours erst mais ce nest que lorsque des rolins des
gruvernants gut soit ne parent ps la me langue, sit nes
ratachen pas au mee passe ct om! pergus comin des “ares
‘quent enous" » bid p. 8). Mai, comme Geller, Ronen me
{i ven deta transformation de ce «sentiment de nous vn de
lige nationalist
55.1 Naim, The Break-Up of Betain: Criss and Neona-
‘hnalism, Londres, Verso, 198, p. 228,Bauer, a dominé la pensée marxiste du nationalisme jusque dans les,
années 1960%.
hus récemment, certains auteurs marxistes, frappés de voir &
‘quel point leurs prédécesseursavaient sous-estimé le fait nationa-
liste en raison de leur focalisation sur la question des classes,
sociales, ont entrepris de reformuler la théorie. Ceux qui étaient
‘engagés dans action ont soutenu Ia thése d'une identité fon
‘mentale entre classes et nations opprimées”. Une tlle interpréta-
tion du nationalisme s'est révélée proche de celle de Gellner ;
comme elle, elle se situait dans une perspective matérialiste. Nairn,
Balibar et Wallerstein citent ailleurs beaucoup Gellnes™
‘eur analyse reste touteois réductionnist, voiresimplise. Pour
Naim, I économie politique mondiale» capitalist étant respon
sable du « développement inégal” » entre pays il lui faut désa~
‘morcer la protestaion des groupes périphériques et éviter quis ne
forment un front ni, doi son recours au nationalisme qui revét ii
‘une fonctionnalité dans le développement moderne », pulsque
56, Pour une histoire des ides marsistes sur le natonal-
sme, soir HB. Davis, Towards 2 Marxist Theory of Nationa:
lism, New York (WY), Monthly Review Press, 1978 ; We
Connor, The National Question in Marxist-Leninist Theory and
Strategy, Princeton (¥., Princeton Univesity Press, 1984
‘Pur ume analyse marist es classigue du phenome nati.
alist, soir Peter Worse, The Third Worl, Londres, Weiden-
{felt and Nicolson, 1964
57-1. M. aut, The Nanal Question. ecololsing the
‘Theory of Nationalism, andres, Zed Books, 1987.
58. Nair, The Break-Up of Bean: Cis and Neona-
ional, Londres, Verso, 1981, p. 330 et p. 349: E.Balbar
I. Wallerstein, Race, nation,
159.7. Naim, The Break-Up of Britain: Criss and Neona-
‘ionalism, op cit, p. 335,
rou une wtomeounarionsusue | 57
cette “solution” réside dans lesimplisme, 'émotion, le populisme
Vulgaie, le romantisme haut en couleurs qui caratérsent généra-
Jement Tidéologie nationaliste® s. Largument développé par
Balibar et Wallerstein renvote de fagon moins directe mais tout
aussi contsstable a antienne de a « fausse conscience»:
+ Les ul nationals se constituent pat de a stuctre lobale
‘det cunomie-monde, en fonction da rle ques jet dans une
plriode dannde, en commencant parle centre. Mica: lls se cons
tituent es une conte les aus en tant qunstrumentsconcurens
dea deminaton dy centre sur a peciphéie »
Le nationalisme n'est plus, dés lors, qu'un stratageéme des Etats
dominant. A force de ramener idéologie au rang de simple just-
fication de la domination au niveau macrosocial, les auteurs en
viennent utiliser des formules pour le moins problématiques, est
ainsi que ke
risant 1a réatistion dfs] objects [capitalistes!”
cisme est analysé comme « la formule magique favo-
savoir le
maintien dune force de travail sous-payée et de la paix sociale,
puisqu’l impose Vidée d'une infériorté des races oi se recrutent les
La reflexion des tenants de Finstrumentalisme qui expliquent le
nationalisme & partir de conflits de pouvoir dans le cadre stato-
national se révéle souvent plus stimulante.
60. bi, 9. 354
6t.E.Baltbart Wallerstein, Rac, nation, class. Lesiden-
ths mbiguts, op. cit, p. 121
62. Thi, p. 129 ep. 11
63. i, p48Conflits de pouvoir, instrumentalisme et nationalisme
Le meileu représentant de ce courant est histrien John Breuily
ont la synthése magistrale nous raméne- comme chez Stein
Rokkan ~ au x site, "époque oi sont apparus ls premiers Eats
‘movdemes. La naissance des premiers tats-nations "Europe oceden-
taledécoule chez Breuilly dela superposition des antagonismes politt-
‘ques et religieux entre pays protestants du Nord et monarchies dx
Sue, De méme, le mouvement pour Funité nationale en Halle en
[Allemagne et en Pologne au xn" sicle est issu ses yeux de Yoppos
-tomrpolitque des classes dette foretes dabandonnerleurspréroga~
tives ou dépossédés du pouvoir par des« Etats multinationaux® ». Le
iméme raisonnement est appliqué au mouvement des nationaliés
{Europe centrale, né au moment ol Tempire des Habsboung passe
une structure féodale 8 une forme plus centalsée'. Les nationa-
lismes anticolonialistes constituent également, & leur fagon, « une
tentative pour capturer le pouvoir ¢'tat” ». En somme, pour John
Breuily, 'Etat modeme « fagonne la politique nationalist et tui
ourniten méme temps son but principal :la conguéte du pouvoi ».
De ce point de vue, Mdéologie nationaliste n'est presque rien
‘autre qu'un haillage, un masque dissimulant les aspirations poli-
tiques de ses partisans. Selon Breully, trois fonctions Tui sont part-
culigrement assignées par ses promoteurs: la coordination des,
différents elements (social, économique, rligleux, etc) de Yoppost~
tion politique, la mobilisation de groupes marginaux émanant du,
(64,00 BAG Nasonaism and the State, Manchester,
Manchester Unversity Press, 1982, p. 46-47.
165. 1bi, p. 88-8
6 bid, p. 112-113.
7th, p. 137.
68. bi, p. 352
«peuple, et la légitimation d'un mouvement de fermetureculta-
relle dans un environnement international ot daminent les idéaux
Le contenu culture de cette unit sociale pet change
mais es frontiéres, fines par cs valeur doivent demeurer
les movements revivalistes. Son modéle présente en fet de
ombreux traits communs avec la théori du natlonalisme que '
ésente cress, dans laquelle le rapport aux autees (supposés
Wenagant) jou un re essentie.
Whnicité et mythomoteurs
La théore de ethnicté de John Armstrong présente également
‘quelques situs avee cette théore du nationalism. Sinspirant
An parte des travaux de Bath, Armstrong postu que ls «groupes
fede se defnir non en reference leu props cracls
is par exclusion, Ceti
rangers
Sur ceté Base, Armstrong recherche, & travers une multitude
Aenemples tings de Thistle de TEurope et du Mayen-Orient, Ios
Iwai dmergence et de composition d's
Vethnicité dans Yhistore ancienne, ct sut sa tajeetoie jusqu’s
eae te sits cbt
tiques afin que le « nous» puisse se dfférencier d'un «eux » Ces_processus
consequent, ¢crire Phistaire dun groupe ethnique ne consistera ques rit
a reconstituer 'évolution de s.culture, mais & analyser la modi
rontires = cest-dire des. crttres @app:
ue le groupe aura préservée
res. Cette approche interactionniste de Tethnicté, ainsi
“Barth Te souligne Iui-méme, comporte des « varlantes modernes
su thie aver en eft
‘orang: dss Is empsanciens dans fa egyance collective & des
ssc npg el
line langue pariculitrement pune-etanclenne, nostalgie collective
Gon ge Jer nomad oe, Cage cen ee Sa BS
Imythes plus ou moins suseptibles de promouvoir affirmation une
156.1. A. Armsirong, Nations Before Nationalism, Chapel
‘Mil. C), The Universit af North Cratina Press, 1982p. 5
157. Bid, p. 4
cat
152. F. Barth, «Introduction » dans F. Barth (cd), Et
Groups and Boundaries ~ The Social Organization of Cul
Difference, Londres, Allen & Unwin, 1969, p. 21
153. Ibid, p. 10.
154 Ibid, p. 4
155. bid, p. 1894 | tepoerenaenalane
conscience ethniqu, pu
trong Nations Before Nationalism. Ceui-< ngnor pas pour autant
ta strate des acters qui valorisent tl ou te mythe. Cenains
‘ imaginaires » (par exemple, ide que VEmpireislamique, mongol
‘ou byzantin est a pique dun ordre cosmigu) conFrent sins une
relité politique aux divisions socials: « ur une longue pévode. le
pouvoir Kstimane des stractares mythiques se consoide en fasion
tant avec dautesnythes pour fomer un mythomotcur qui din
Videntié asocge 4 une socetépoltique donnée™». Ce mytho-
moteur «suscite ds affects intenses en soulignant
groupe contre les forces dangers, CestAdire en renforgant
importance sentiment de frontire™»
Armstrong 5 rfc tujour Barth, mas insite en alte
une nowele dimension, ident cultreie~Tondée sur des
‘mythes et des mythomotcurs du groupe ethniga, com
‘aspect du moins restaitinchangé dans le temps. Cet ajout indique
‘ane ante de plus ente theories de ethnic et théorles du
nationalsme : Vapproche Armstrong nous permet en effet de
mete celle ’A.D, Smith cn perspective, en montrant que les
rythes ont été ulists pat les groupes ethniques pou abr leurs
fronti¢res avant l'avénement de Etat scientifique et l'invention
subséquente des ents nationalistes fondées sur le mythe dun
sige dor Le point faible des analyses d'Amstrong tent cependant
au fait qui ne distingue pas 'époque de¥ groupes ethniques de.
celle dy navonalsme, comme st ce demier put directement
force dans les myths antérieur, Haul pu fale un pas de plus, et
rmontrer que ses mythomoteursethniques aint des constrictions
idéologiques, comme les nationalismes moderns.
soldarté da
150.1, p 9
159. bi
Uidéologieethnique avant le nationaisme
idee suivant aquele ethncté ext parfols une construction
ologiqu et done que Fdéologi, en mate Hentai, est anté-
rire aux temps moderes, e trouve cay par plusieurs rues de
¢as concemant la formation des «nation »euopéennes au Moyen
Ae. Checban Is orignes de « nation » hongroise dans es textes
lige Ia primauté de Tidéologle dans a
tion rupture diashronique qui marque le
sage dime «conscience de gape thnique une conscience
nationale mas I montre que cete transition st produ tt.
sta i TEauteur a en effet exhume une Gesta
‘Hungarorum écrite entre 1282 et 1285 par un clere de la cour de
Ladislav 1, dans laquelle i observe un process de construction
iWelogiquerelevant une lgiqueidenttaireIl'agt une reconsti-
tution de a ation ~ tive ~ des Hongros ave es glrieux Huns.
ete marche est tts représentatve de + historiographie “nator
hale” européenne » gu spparut, selon Sas, au mile da siecle,
i i'n ibaa 6 vl Sa Ge
chrstianisme, ql jusquet avait contrat les «histories »\a ne
commencerleus ris qu avec eablssement de Elise =
«Dans tote "Europe es auteussvalisen pour trouver un peuple &
Wa ignité ances qu at dj &€ important, si possible, dans
"Amiquié € don Hs puisent fie le précuscur de leur propre
peuple (ens ou nario gre aux moyens de lascence” dea combi
"alson torque, logique ou éymologique et en fappuyant sur la
‘eadition orale alors revalorse
160.1. Sees, « Sur le concept de nation », Actes de la
recherche en slences soils, 64, septembre 1986, p. 52,
161. id, p. 55-56En Hongtie, cette quéte historcist est déterminée par des consl~
erations sociales stratégiques. Dans la Gesta Hungarorum, on.
‘observe en effet que la structure de ancienne société des Huns telle
quelle est décrite se trouve dominée par une noblesse unique
(communitas) qui nest rien d'autre que «1a corporation qui se
ouverne elle-méme"», cesta-dire le modéle «organisation,
sociale auquel aspralt la petite noblesse hongroise du xa sil,
dont Fauteur de ce texte se révele ere le porte-parole. I traduit,
+ dans le cadre coloré du récitépique, expression d'une revendica-
tion politique apparue en Hongrie en 1280 : le roi doit assocer la
totalité des nobles présents aux assemblées provinclales 'exercice
«du pouvoir et des prerogatives de juridiction et, inversement, Ia
communitas de la noblesse (doit se délarerpréte enforcer le
pouvoir du roi contre les pulssantsenclins au “relichement™ »
{Cette approche fone sur un discousethnique préationaliste a
“ds ideologies nouvelles qul
‘en se réclamant d'un age d'or judiceusement inferpété, En outre,
nombre de ces récitsremontant époque prémodere sont surdéter=
rminés pa le rapport & "Autre, comme tant didéologies nationals
esti le principal enscignement de engudte de Rogers Smith ~ qui,
hala, nen tee pas les conséquences ~ dans Stories of Peoplehood'™.
‘Lun des exemples qu'il Invoque Fappui desa démonstation est, en
162. Ibid. p61
163. thi, p62
164, Rogers M. Smith Stores of Peoplehood. The Polis
and Morals of Polcal Membership, Combridge, Cambridge
Univesity Press, 2003.
igiiment leur revendication politique
Pou uNe Paton ousAToNALEuE | 97
fet, la pitoresque History of the Kings of Britain de Geoffrey de
Monmouta, qui présente les Britanniques comme les descendants de
Brutus, un Mls d'Enée, prince troyen fondateur de Rome. Ce réit
serait né du sentiment dinféirité de la Couronne britannique et de
‘ss ses vs--vis ds hriiers de Charlemagne, et aurait eu pour but
de couper Therbe sous le pied des Franca qul, eux, prétendaient
descend des survivans dela Troe antique.
Les groupes ethniques comme groupes d'intérét
nes tories de ethnic eles aussi centées sur des dyna
miques sociales, présentent bien des afinités avec les thories du.
sur les confis entre groupes. Le groupe
‘thnique epparat ici comme uns grouped intéet slot les termes
de Glazer et Moynihan". Les auteurs admettent que la modernisa-
Ton a réduit les Garis sociaux et culturels entre les groupes ethni-
(ques, « mas, pusque ces groupes avaient chacun eu une histoire
diferente, ts occupaient également des positions sociales dtTé-
rentes au sein de la société. Par conséquent, le groupe ethnique
pouvait devenir un point de crstalisation pour Vacations
ints indviduels qu collect ». La revendication auprés de
‘Etat davaneées socio-économiques sous couvert de défense dan
sroupeethnique Gait un exerece plus Kegitime UE ui-mgme, en
particulier & mesive GWil Gat devens plus interventionnist, avait
reconnu au groupe ethnique une fonction redistebutrce, ce qu lui
rmettait de définir les limites de «V'assistance » quil apportat
ux groupes ethniques.
Certs
165. Glazer et D. Moynihan fds), Etnlcty. Theory and
Experience, Cambridge (Mass, Hareard Unversity Press, 1975,
2.
166. tb, p 8.Daniel Hel, pour lequel «une classe se confond parfois avec un
froupe ethnique, soutien ul aussi que «ethncité a gagné en
importance pare qu'elle pu asocer inter et en ae»
Vintar de Glazer et Moynihan, Bell met en évidence le rle de tat
dans ce processus : «1a politstion des décisions qui affectent la
vie en commun des indvidusrenforce encore le Beso organiser
le groupe; tes regroupements ethniques deviennent slors an
moyen facile de revendiquer des droits pour le groupe ou de se
deéfendre contre autres. groupes™ » Cette interpretation de
ethncitérappeleclairement celle du nationalism fondé sur les
intéétssocio-économiques et la competition entre groupes pour
accéer aux ressources matiilles.
Tout en sattachant davantage aux conflis entre groupes
Donald Horowitz adopte un pot de vue siiaire'™, Il ne soulgne
as uniquement lesconséquences de ces confit dans le domaine
socio-€conomique, mais les observe également dans univer
symboligue IL remarque ainsi que este de soi dun groupe peut
we dont joi Tangu
dans Cespace public, Le combat men€ parce groupe pour que
167. Bel «Ethnicity and Socal Change», dans N. Glazer
1D. Moynihan es), op. cp. 170
18. i, p. 170-171
168. Vir également le modéledéveloppé par Gurr et Hor
(1. &. Garret. Harf,Bhnic Conflict in World Politics, Boulder
(Cota, Westiew Press, 1994), méme save tré dcevat
170.D. Horowite, Enie Groups and Confit, Berkey
(Cat), University af California Pres, 1985, p. 216-228
swells prennent pour source Ie confit ou a construction idéolo-
que: Incontestablement, Jes theories du nationalisme présentent
tlavantage de poi
favec elles de
Dans ce chapitre, Je souhaitals dssiper la confusion née de
‘amalgam op frequent entre les theories de la nation et celles dur
ligner ies afin exist ene es hori da
chic; cect afin de proposer ue
Tori du nationalisne onde sur les travaux OxBtants
skpassant ies ypologissclassigues
lesthéaries du nationalisme sot généralementsubdiviséesen dex
irandesctégore: celles ql prisentent comme un produ dela
tnderisation fod sur des ident paraltement males. celles
quiTimerpitent comme a continuation decaracéistiqusehniqus
préexistantes, Cette summa disio ene +modemistes» et
pennants» se retouve souvent che les théoricens de ethni-
i” hiding mi pe i:
!malysent comme des constructions déivant des process de moder
seta aon dealin nti a cectn ae
Etat) ou risultant de stratégies instrumentalistes c par_
des ltesenconlitinourleconrl de Eiatoulaciationd un nouvel
fiat ;3) eles qui rehabiltent le rte des ids et de a culture
‘agent Te natfonalisme comme une idéologe, quelle sit dif
‘depuis TOccident ou fagonnée par ls intlligensia locales & parte
‘Cun bagageethnique pré-existat,
171. Hutchinson A.D. Smith (ls, Ett, Orford,
Oxford University Press, 196, . 8100 | Repener ie nana
Dans les pages qui précédent, je me suls toutefois esayé &
passer cette typologic, non seulement pour rjeter la premiere
approche en raison de son simplisme, mais surtout pourinté
a Le madéle explicati auguel nous somm
ics pas prestige de
un age or mythique dans Iquel.neligensia en question
prétend etrouver equ fat prestige de cet Autre dOminateur be
nationale se présente, ds lors, come une loge fond sur
‘une stratégie de tigmatisaton et imation de At:
i pour rendre compte de ete gene stores du nationa:
lame décrivant la crisaisation des ides et des inagnaires sn
les mix armées, il faut recourir & datees approches pour
analyser la suite dela trajectoire nationalist. Le nationals
en fletvaient que lorsqulacauiert es dimension
“mouvement papulaire™. Dans un premier temps, des intllectuels
172. Dio la mise en garde de Walker Connor & ce sujet.
Pour Iu, un des problmes majews aurquls sont confronts
les checheurs qu veulent dater Vemergence des nations est
‘deter le moment ola conscience nationale touche les
masses et nest plus left dune elie. (Wolter Connor, Ehno=
nationalism, The Quest for Understanding, Princeton (2)
Princeton Univesity Press, 1994, p. 223)
your une Homi ounAroNALsMt | 101
[dans notre modéle, «est le moment oles réformis
Valises inventent un age dor national). ans une seconde période, —
‘es groupes de press sein de cette dite pour
ments de masse’. Le passage au politique qui suit Ie
jremier moment est rendu plus intelligible & parti des grilles de
lecture qu’offent les théories du nationalisme fondées sur les
‘conf: Tintelligentsia sensbilisée & Vidgologie nationalist optera
\Vautant pus volontiers pour une statégle nationalist qu'elle sera
entrée en conflt avec d'autres groupes (des daminants ou des pairs)
pour le contréle de resources économiques ou de I'état - ou la
‘réation dun nouvel tat comme dans le modéle de Gellner, Ele
‘ssoira ersuite ses revendications politiques sur son idéalogie
hationalise qui gagnera alors en ampleur. Dans la troisiéme phase,
celle de la politique de masse, elle emploiera les principaux
symboles de cette idéologie pour mobiliserla population qui aidera
4 réaliser ses objects La théorela plus appropriée icles a théorie
Instrumencaliste, mais celle du nation building, t plus particuligre-
‘ment leur variante cybernétique, Savérent éyalement utiles, Elles
‘montrent comment le processus de modernisation (qui va du déve-
loppement des communications 8 T¥tablissement d'un appareil
«rEtat en passant par la mise en place d'un systéme éducatif
1s} a permis une familiarisation des communautés
suparavantisoldes et hetérogénes avec le discours nationaliste, et
173, identification de cs dfirentes phases estou ceur
des travaur de Miroslav Hrach (vir M Hoch, Socal Pron
Aons of National Revival In Europe, Cembridge, Cambridge
Unisersity Pres, 1985).PounuMe HLoRIE DU KATONALEME | 103,
tesa condutes&reoindre le mouvement nationalist, Comme le |
Souligne Anderson, le processus de modernisation rend ct tes
nations «posible»
Ce schéma rete clairement la diférence ente théories da
natonalisme et théris de a nation: pour expliquer ls premiére
ot deuréme phases des mouvements nationalists, il nest a
besoin den reveir aux thores de Rokkan, Deutsch ou Anderson
aqui prétendent alter du nationaisme, mas qul portent en fl sur
Ja conscience nationale, Vidéologie ne jouant presque aucun dle
dans ces modes
“Alors que es thorles dela nation présentées tort comme de
thdories du nationasme ne se sont done pas avrées tes utiles
dane note eff. pour Slaborer un odes explicaif du naionas
Tisme, celles qui ont Fednicté pour objet principal nous somt Cus
‘rand secous. Les théores du nationalsme fonds sur Fideolog
artagent en effet ben des points communs avec cele de Feth-
»-des_fronies_du_ groupe
{hories~ celle de Banh au premier chet ~ témoignent en eet a
role décisif du rapport Autre et de afb importance de Vhéi=
tage culture, comparé au mainten des fronéres di groupe, dans
ta fabrication des idemtts ethniqucs. Le travail d Armstrong nous
aide a déerypter le re historique des mythes que Ton rtrouve a
cau des théries du nationaisme metiant accent sur invention
lum Age dor collect Les recherches de Sz elle, montrent que
eerie de els myths collect est parol Teuve, ds le Moyen
‘Age, de groupes sociaux en quéte de pouvoir, signe que cele
strtége nest pas Tapanage des sculs nationalists de epoque
‘moderne. Enfn les thores du nationaisme de Geller, Breil,
Brass et Ronen fondées sur les conflis entre groupes socio-
économiques et/ ou politique trovent un écho presque para
dans les travaux de Glazer, Moynihan, Bellet Horowitz, selon
lesquels es groupes ethniques serient des groupes diner més de
leurs rivals - ou de leur rapport Etat.
Ces conchisions provenant po
Vressentiel d'une lecture
ede textes théorique, elles demandent & étre étayées par
hes travaux empiriques"*,Seul un travail de falsification au sens
‘he Karl Popper est en effet susceptible de valider ou dinvalider le
mode propos ic
cctE centrées sur
174. lesa testées pour ma part su les teens indies et
poistanais, en paricaler dane deus textes, Les Nationalists
Findus fp. it) et « Nationalism Without Nation. Pakistan
Searching forts deni» dans Caer (ii) Pakistan
“ationalism
ook, 2001, p. 7-50