Si cette analyse trouve parfois quelques points d'appui dans les écrits anciens,
elle ne résiste cependant pas a l'examen des sources. La Vita Antonii est l'oeuvre d'un
évéque, Saint Athanase. Saint Antoine, Saint Basile, Saint Jéréme, Saint Augustin et
Saint Jean Cassien ont été impliqués dans les controverses théologiques de leur
Epoque, en lien étroit avec les évéques.
En fait, loin d'apparaitre comme un mouvement de contestation face a la
décadence ecclésiale réelle ou supposée, le monachisme primitif apparait plutot
comme l'expression peut-étre la plus élaborée et le fruit le plus précieux de cet « age
dior des Peres de I'Eglise ». On peut méme dire quen lui s'expriment les éléments
essentiels de la synthése des Péres élaborés a partir du Il ¢ siécle, Une synthése qui
alliait de maniére unique, dans la continuité de la tradition philosophique comme le
souligne déja saint Justin, a la fois expression rationnelle de 1a foi (la recherche du
vrai ou orthodoxie), d'od découlait un art de vivre, qui essayait d'exprimer dans le
coneret de lexistence quotidienne les conséquences de la logique de I'Incamation (le
désit de vivre bien ou la morale), ce qui conduisait & une authentique expérience
spirituelle et intérieure (U'expérience intérieur du beaut ou Theoria).
Penser la vie religieuse, dans sa forme monastique des origines, comme le
résultat spécifique d'un aboutissement et non comme une expression de contestation,
nous oblige a revoir notre maniére de comprendre l'institution qui va naitre de cette
intuition. Il existe donc un lien étroit entre ces trois dimensions de I'existence
humaine qui constituent le génie de la synthése patristique, & savoir la recherche de la
vérité en théologie, un art de vivre qui s'inspire d'une morale ascétique et une
spiritualité qui exprime le désir de Dieu et I'expérience de la vie intéreure. La vie
religieuse ne se comprend pas en dehors de cette synthése. Elle en exprime le fruit le
plus beau et le plus abouti.
Premiére ture au Xie
La Régle de Benoit, comme toute la tradition monastique ancienne, s'inscrit
dans cette perspective dont les éléments fondamentaux vont demeurer fortement liés,
en occident, selon certains auteurs, jusqu'au début du XII ¢ siécle. Ce n'est donc pas
sans raison que l'on a fait de Saint Bernard le dernier des Péres. Comme le soulignait
Benoit XVI dans laudience générale du 4 novembre 2009, la querelle qui oppose
Saint Bernard et Abélard va marquer un tournant décisif dans l'Eglise latine. En effet,
alors que pour Bemard, «la théologie a un but unique: celui de promouvoir
Vexpérience vivante et intime de Dieu », sa mission étant ainsi définie comme une
«aide pour aimer toujours plus et toujours mieux le Seigneur », pour son opposant
‘Abélard par contre, qui introduit dlailleurs le terme technique de « théologie », celle~
ci est d'abord et avant tout un exercice de « I'examen critique de la raison ». Le XIle
siécle est donc le siécle qui marque une premiére rupture dans la synthése patristique
des origines, la rupture entre la théologie et 'expérience intérieure.
Dans un long article quill a consacré a cette controverse, « a séparation entre