Enfin, le troisiéme fondement concerne fe rapport instauré par le christianisme
avec le temps et l'histoire. Dans son Traité d'histoire des religions, Mircea Eliade'®
distingue deux conceptions du temps : le temps sacré et le temps profane. Le temps
sacré se distinguerait par son caractére mythique et cyclique du temps profane. Et,
pour les sociétés archaiques, le temps profane n'aurait d'intérét que dans la mesure ot
jl souvrirait au temps mythique par la médiation du rite, qui permettrait d'entrer en
communion avec la source de la vie et de se régénérer. On a souvent opposé cette
conception circulaire du temps, qui privilégie le lien avec les origines, la vision
linéaire du temps, telle que nous la connaissons, et qui nous vient de I'héritage judéo-
chrétien. En fait, dans un article du dictionnaire de Patristique sur le temps, P.
Siniscalco affirme que, dans le cadre du christianisme, cette distinction n'est peut-étre
pas aussi évidente quill y parait”. En effet, il existe une dimension rituelle et cyclique
dans I'Ancien Testament et dans la vision chrétienne du temps. La liturgie chrétienne
connait elle aussi des rythmes cycliques. Pour cet auteur, il y a en fait trois éléments
essentiels qui distinguent le temps chrétien des autres visions du temps.
La premiére différence tient au refus, dans la vision judéo-chrétienne, de la
notion de « fatum », de destin au sens d'un avenir déja écrit qui s'imposerait 4 nous d
maniére inéluctable, comme dans les tragédies grecques. Certes, la tradition
chrétienne ne nie pas les déterminismes ni les conditionnements qui peuvent peser sur
existence humaine, quiils soient génétiques, psychiques ou sociologiques, mais elle
continue d'affirmer que l'homme conserve sa capacité de choisir et de décider, méme
si celle-ci est fortement influencee. L'affirmation de Ja liberté humaine est une donnée
essentielle du christianisme. La parabole des talents, comme le notait fort justement
le philosophe Luc Ferry, est au coeur de la vision de 'homme dans le christianisme :
« Cette parabole d'apparence anodine représente en réalité une véritable révolution.
Elle signifie que la valeur morale d'un étre dépend non pas des dons naturels quil a
regus au départ, mais de ce qu'il en fait ; pas de Ja nature, mais de Ja liberté. C'est une
rupture avec le monde aristocratique, ott la hiérarchie sociale refléte les inégalités
naturelles »"®.
La seconde différence tient 4 la vision du temps Iui-méme. Comme le dit le
livre de l'Apocalypse, le temps se déploie d'un alpha vers un omega, c'est-a-dire d'un
commencement vers un devenir, une fin. Et dans cette perspective, le temps n'est pas
répétition de lidentique dans un mouvement cyclique d'éternels recommencements et
de réincarnations, mais il va vers un accomplissement, travers un progrés continuel
de Thumanité, Le progrés quiil soit personnel ou social, fait partie de la vision
chrétienne du temps. Et cela se traduit, dans la vie spirituelle, par T'idée de
cheminement, de croissance. Nous sommes appelés & grandir, a développer nos
capacités. Le temps est espace oi la liberté humaine va sexercer pour transformer
tout ce matériau dont chacun de nous est constitué en une ceuvre dart unique et
originale. Le temps est nécessaire non seulement pour la croissance de chacun entre
1 Mireea Eliade, Traité dhistoire des religions, Payot 1987, p 326-343.
” DECAT 2, Cerf, 1990, p 2383-2384.
'8 Christophe Barbier, "Seul Ie chrstianisme est séeularise”, YExpress, 2008. Voir également Luc Ferry, Le
christianisme, livre audio, 3 CD, Fremeaux et associés, 2009,
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