DERRIDA Psyche Inventions de Lautre Ed A PDF

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JACQUES DERRIDA Psyché Inventions de l'autre GALILEE Ab PA O56 JD 433 81168 1483859+01 medi Univ. Biblicthek Bielefeld wil Y, rue Linné, 75005 Pari © ISBN 2-7186-0324-0 Avant-propos Ces écrits ont accompagné, en quelque sorte, les ouvrages que j'ai publiés au cours des dix derniéves années', Mais ils en ont été aussi bien dissociés, séparés, distraits. Cela se marque dans leur formation, qu'on entende sous ce mot le mouvement qui engendre en donnant forme ou la figure qui rassemble une multiplicité mobile . la configuration dans le déplacement. Une formation doit avancer mais aussi s'avancer groupée. Par guelne loi, dite on non dite, elle est tenue a s'espacer sans trop se disperser, Si l'on faisait de cette loi une thiorie, la formation de ces écrits procéderait comme une chéotie distraite. Loi d'une théorie discontinue ou allure discréte de la série, des textes se suivent donc, s'enchainent ou correspondent entre eux, malgré la différence visible des motifs et des thémes, la distance qui sépare les lienx, les moments, Jes circanstances. Et les noms, let noms surtout, des noms propres. Chacun des essais paraft en effet consacré, destiné, vaire singuliévement dédié & quelqu'un, tvés souvent 4 Tami, homme ox femme, lointain ou proche, vivant ou non, connu ox inconnu, Cest parfais, mais ce n'est pas toujours un patie ox un penseur, le philasophe ox Vécrivain, Crest parfois, mais ce n'est pas toujours celui ou celle qui met en scéne dans ces mondes qu'on appelle la politique, le théatre, la psythanalyse, architecture, De cette situation quasiment épistolaire, certains textes semblent témoigner mieux que d'autres, La Lettre 4 un ami japonais, par exemple, Envoi, Télépathie, . La lettre de Platon ow ... sept missives auraient pu, bar le jeu de quelque métonymie, tenir lien de titre on de préface. Mon choix 1 Je n’en ai exclu qu'un ensemble d’essais consacrés a |institution universitarte et 4 Henseignement de la philosophic Ils paraitront dans un volume séparé, Da druit & La Philosophie Psyché fut autre, En n'interrompant qu'une seule fois ordre chronolagique, j'ai pensé que Psyché, Invention de l'autre, jouerait mieux ce vile. A mi-parcours (1983), telle psyché semble pivoter autour de son axe pour véfléchir a sa maniéve les textes qui l'ant précédée comme ceux qui l'ont suivie, Du méme coup, un miroir mobile feint de rassembler le livre: dans ce qui lui resemble en tout cas, son image ox san phantasme, Cela reste aprés tout, technique du simulacre, le propre toxjours d'une préface. Simulacre et spéculavité. Ul s'agit ict de spéculer sur un miroir et sur la logique dévoutante de ce qu'on appelle tranquillement le narcissisme. Ll y a de ta complaisance, déja, dans le geste qui consiste @ publier. Tout simplement a publier, Cette premiére complaisance est élémentaive, aucune dénégation ne saurait Veffacer. Que dive alors du geste qui vassemble des écrits antévienrs, qu'ils sient ox non inédits'? Sans dénier ce surcroft d'exposition, disons qu'il fait aussi Vobjet de ce livre. Mais le mirair nommé psyché ne figure pas un objet comme un autre. Ni un geste parmi d'autres celui qui se prend 2 voxloir montrer le miroir. Qu'on lui reconnaisse on non ce dvoit, qu'il en fasse on non un devoir, il fant bien qu'il se regarde montrer en s’écoxtant parler, Est-ce possible? Et pourquoi s'exposer @ ce risque? A lautve chaque fois advessée, la question devient aussi demande. Sous sa forme la plus génévale et la plus implicite, om ta traduivait ainst en quelques mots : gu'est-ce qu'une invention ? et que signifie invention quand elle doit étre de \'autre? L’invention de !' autre, cela implique- til que l'autre reste encore moi, en moi, de moi, ax miexx pour moi (projection, assimilation, intériorisation, introjection, apprésentation analogique, ax mieux phénoménalité)? Ox bien gue mon invention de l'autre reste Uinvention de moi par l'autre qui me trouve, me découvre, m'institue on me constitue? A me venir de lui, Vinvention de l'axtre alors lui reviendrait. Y a-t-il a choisir entve ces modalités? L'autve sans moi, au-dela de moi en mot, dans Vexpérience impossible du don et du dexil, dans l'impossible condition de V'expérience, n’est-ce pas encore autre chose? Le don, le deuil, la psyché, est-ce pensable au-deld de tout psychologisme? Et que veut dire alors penser? Si la question correspond, si elle correspond toujours a quelque demande venue de l'autre, alors elle se laisse déja précéder par une étrange affirmation. Pour veiller sur elle, peut-étre faut-il d'abord se tendre d la veille de la question. 1 Quand ils ne sont pas simplement inédits, comme les plus longs et les plus récents d’entre eux, voire inédits en francais, comme bon nombre d’entre eux, es textes ne sont jamais en tous points conformes a la premiére version dont Je fiew de publication esr chaque fois mentionné Psyché Tnvention de l'autre Que vais-j¢ pouvoir inventer encore? Voila peut-étre un izcipit inventif pour une conférence, Imaginez ; un orateur ose se présenter ainsi devant ses hétes. Il semble alors ne pas savoir ce qu’il va dire. Ii déciare avec insolence qu'il se prépare 4 improviser. Il va devoir inventer sur place, et il se demande encore: que vais-je bien devoir inventer? Mais simul- tanément il semble sous-entendrc, non sans outrecuidance, que le discouts d’improvisation restera imprévisible, c'est-a-dire comme Whabitude, « encore » nouveau, original, singulier, en un mot inven- tif, Et de fait un tel orateur romprait assez avec les régles, le consensus, la politesse, la rhétorique de la modestie, bref avec toutes les conven- tions de la socialité, pour avoir au moins inventé quelque chose dés la premiére phrase de son introduction. Une invention suppose toujours quelque illégalité, la ruprure d’un contrat implicite, elle introduit un désordre dans 1a paisible ordonnance des choses, elie perturbe les bienséances, Apparemment sans la patience d'une préface — elle est elle-méme une nouvelle préface —, voici qu'elle déjoue les artendus, * Texte de deux conférences prononcées 4 !'université de Comell en avril 1984 et 4 l'université de Harvard (Renato Poggioli Lectures) en avril 1986 Psyché La question du fils Cicéron n’edt certainement pas conseillé a son fils de commencer ainsi, Car vous le savez, c'est pour répondre 4 la demande et au désir de son fils que Cicéton définit un jour, une fois parmi d'autres, la rhétorique de l'invention oratoire |, Une référence 4 Cicéron s'impose ici. Pour parler de l'invention, il nous faut coujours rappeler une latinicé du mot. Elle marque la construction du concept et l'histoire de la problématique. La premiére demande du fils de Cicéron porte d'ailleurs sur la langue — et sut la traduction du grec en latin : « Stzdeo, mi pater, Latine ex te audire ea quae mihi tu de ratione dicendi Graece tradisti, si modo tibi est otium et si vis» (« Je bridle du désic, pére, de t’entendre me dire en latin ces choses suc l’éloquence que tu m’as données {dispensées, rapportées, livrées ou traduites, léguées] en grec, si du moins tu en as le loisic et le souhait. ») Cicéron le pére tépond 4 son fils. [1 lui dit d’abord, comme en écho ou comme en réplique narcissique, que son premier désic de pére, c'est que son fils soit le plus savant possible (doctissimum). Pac sa demande brilante, le fils esc donc allé au-devant de la demande patemelle. Son désir briile du désir de son pére qui n’a donc pas de mal 4 s’en satisfaire et 4 se le réapproprict en le satisfaisant. Puis le péte enseigne 4 son fils que la force propre, la vis de !'orateur, consiste dans les choses dont il traite (les idées, les objets, les thémes) aussi bien que dans les mots; il faut donc distinguer l'invention et la disposition, Vinvention qui trouve ou découvre les choses, la disposition qui les situe, les localise, les pose en les disposant . « ef res, et verba invenienda sunt, et collocanda », Néanmoins Vinvention s'applique « proprement » aux idées, aux choses dont on parle, ct non a !'élocution ou aux formes verbales, Quant 4 1a disposition, qui situe aussi bien les mots que les choses, la forme que le fond, on la joint souvent a l'invention, précise alors Cicéton le pére. La disposition, l'aménagement des lieux conceme donc aussi bien ics mots que les choses, Nous aurions donc, d’une patt, le couple « invention-disposition » pout les idées ou les choses, et, d’autre part, le couple « élocution-disposition » pour les mots ou pout la forme. Voila mis en place un des sopoi philosophiques les plus tradi- I CE. Partitiones oratoriae, 1-3, et De inventione, Livre 1, VI Invention de l'autre tionnels, C'est ce que cappelle Paul de Man dans ce trés beau texte intitulé Pascal's Allegory of Persuasion'. Je voudrais dédier cetre conférence 4 la mémoice de Paul de Man, Permettez-moi de le faice trés simplement, en essayant de iui emprunter encore, patmi toutes les choses que nous avons reques de lui, quelque trair de cette sereine discrécion qui marquait la force et le rayonnement de sa pensée. Je tenais a le faire aussi 4 Comell parce qu'il y enseigna et y compte beaucoup d’amis, parmi ses anciens collégues ou étudiants. L’an dernier, lors d'une conférence analogue ’, et peu de remps aprés son dernier passage parmi vous, je cappelais aussi qu'il dirigeait en 1967 le premier programme de vorre université 4 Paris, C’est alors que jappris a le connaitre, 4 le lire, a 1écouter, et que commenga entre nous, je lui dois tant, une amitié dont ia fidéliré fut sans ombre et testera, dans ma vie, en moi, un des plus rares traits de lumiére. Dans Pascal's Allegory of Persuasion, Paul de Man poutsuit donc son incessante méditation sur le théme de Vallégorie, Et c'est aussi, plus ou moins directement, de Vinvention comme allégorie, autre nom pour invention de autre, que je voudrais patler aujourd'hui. Est-ce, invention de |’autre, une allégotie, un mythe, une fable? Aprés avoir souligné que l’allégorie est « séquentielle et natcative », bien que le «copic» de sa narration ne soit pas nécessairement «tempore! », Paul de Man insiste sur les paradoxes de ce qu'on pourrair appeler la tache ou l’exigence de l’allégorie, Celle-ci porte en elle des « vérités exigeantes ». Elle a pour charge d’« articuler un ordre épisrémologique de la vérité er de la tcomperie avec un ordre narratif et compositionnel de la persuasion ». Dans le méme déve- loppement, il croise 1a distinction classique de la rhétorique comme invention et de la thétotique comme disposition : « Un gtand nombre de ces rextes sur le rapport entre vérité et persuasion appactiennent au corpus canonique de la philosophie et de la rhétorique, souvent cfistallisés autour de fopoi philosophiques aussi tradirionnels que la telation entre jugements analytiques et jugements synthétiques, logique ptopositionnelle ct logique modale, logique et mathématique, logique L. In Allegory and Representation, ed §, Greenblatt, Johns Hopkins University Press, 1981, p. 1-25, 2 « Les pupilles de Muniversité. Le prinape de raison et l'idée de l'universite », depuis publiée dans Diacritics (automne 1983, « The principe of reason, The uni- versity in the eyes of its pupils ») puis dans Le Cahier du Collége International de philosophie, 2, 1986, Psyché et thétorique, rhétorique comme inventio et thétorique comme dis- positio, etc. » (p.2). Si nous en avions ici le temps, nous nous setions demandé pourquoi et comment, dans je droit positif qui s’institue entre le XVIF et le XIX‘ siécle, le droit d’auceur ou celui d’un inventeuc dans je domaine des arts et des lettres ne tient compte que de la forme et de la composition. Ce droit exclut toute considération des « choses », du contenu, des thémes ou du sens, Tous les textes de droit le soulignent, souvent au prix de difficultés et de confusions : l'invention ne peut marquer son originalité que dans les valeurs de forme et de composition, Les « idées », elles, appartiennent 4 tout le monde. Universelles par essence, elles ne sauraient donner licu 4 un droit de propriété, Est-ce la une trahison, une mauvaise traduction ou un déplacement de I'héritage cicéronien? Laissons certe question suspen- due. Je voulais seulement commencer pat un éloge du pére Cicéron. Méme s’il n’avait jamais inventé autre chose, je trouve beaucoup de vis, de force inventive 4 quelqu’un qui ouvre un discours sur le discouts, un ttaité de l’art oratoire et un éccit sur l'invention par ce que j’appellecai la question du fils comme question de ratione dicendi qui se trouve étre aussi une scéne de fraditio en tant que tradition, transfert et traduction, on pouttait dice aussi une allégoric de la métaphore. L’enfant qui parle, interroge, demande avec zéle (stu- dium), est-ce le fruit d’une invention? Invente-t-on un enfant? Si l'enfant s’invenie, est-ce comme la projection spéculaire du natcissisme parental ou comme I'autre qui, a parler, a répondre, devient |’in- vention absolue, la tcanscendance icréductible du plus proche, d’au- tant plus hétérogéne et inventive qu'elle parait répondre au désir parental? La vérité de i'enfant, dés lors, s’inventerait en un sens qui ne serait pas plus celui du dévoilement que celui de la découverte, pas plus celui de la création que celui de la production. Elle se trouverait 14 of la vérité se pense au-dela de tout héritage. Le concept de certe vérité elle-méme cesterait sans héritage possible. Est-ce possible? Cette question retentira plus loin. Concerne-t-elle d’abord le fis, enfant légitime et porteur du nom? Que vais-je pouvoir inventer encore? Dun discours sur l'invention, on attend certes qu'il réponde 4 sa promesse ou qu'il honore un contrat : il devea traiter de |’invention, Mais on espére aussi, la lettre du contrat ’'implique, qu'il avanceca quelque chose d’inédit, dans ies mots ou dans les choses, dans V’énoncé ou dans |’énonciation au sujet de Vinvention, Si peu que ce soit, pour ne pas décevoir, il devrait inventer. On attend de lui Invention de autre qu'il dise l'inattendu. Aucune préface ne l’annonce, aucun horizon d’attente ne préface sa réception. Malgré toute l'équivoque de ce mot ou de ce concept, !’inven- tion, vous comprenez dé quelque chose de ce que je voudrais dire. Ce discours doit donc se présenter comme une invention. Sans se prétendse inventif de part en pact et contindment, il doit exploiter un fonds largement commun de cessources et de possibilités régiées pour signer, en quelque sorte, une proposition inventive, au moins une, et il me pourra intéresser le désir de l’auditcur que dans la mesute de certe innovation signée, Mais, voila ot la dramatisation ec |’allégorie commencent, il aura aussi besoin de la signature de Yautte, de sa contresignature, disons ici celle d’un fils qui ne serait plus V'invention du péte. Un fils devra ceconnaitre linvention comme telle, comme si I'héritiec restait seul juge (retenez ce mot de juge- ment), comme si la contresignature du fils détenait l'autorité légi- timante, Mais présentant unc invention et se présentant comme une invention, le discours dont je parle devra faire évaluer, reconnaitre et légitimer son invention par un autre qui ne soit pas de la famille ; par l'autre comme membre d’une communauté sociale et d'une institution. Car une invention ne peut jamais étre privée dés lors que son statut d’invention, disons son brevet, sa patente — son identifi- cation manifeste, ouverte, publique, doit lui étre signifiée et conférée. Traduisons ; paclant de l'invention, ce vieux sujet grand-patemel qu'il s’agitait aujoutd’hui de réinventer, ce discours-ci devrait se voir accordec un brevet d'invention. Cela suppose contrat, promesse, engagement, institution, droit, légalité, légitimation. Il n’y a pas d'invention naturelle, et pourtant |’invention suppose aussi origina- lité, originaticé, génération, engendrement, généalogie, valeurs qu’on associe souvent 4 la génialité, donc 4 la naturalité. D’ow 1a question, du fils, de la signature et du nom. On voit déja s’annoncer la sttucture singuliére d’un tel événe- ment. Qui la voit s’annoncet? Le pére, le fils? Qui se trouve exclu de cette scéne de |’invention? Quel autre de !’invention? Le pére, le fils, la fille, la femme, le frére ou la sceur? Si invention n'est jamais privée, quel est encore son cappott avec toutes les scénes de familie? Structure singuliére, donc, d'un événement, car l’acte de parole dont je parle doit étce un événement : dans la mesure de sa singularité d'une part, et pour autant que, d’autre part, cette unicité fera venir ou advenir quelque chose de nouveau. Il devrait faite ou laisser venir le nouveau d’une premiére fois. Autant de mots, le « nouveau », L'« événement », le «venir», la «singularité », la « premiére fois » Psyché (« first time » o& le temps se marque dans une langue sans le faire dans une autre) qui portent tout le poids de !'énigme. Jamais une invention n’a lieu, jamais eile ne se dispose sans quelque événement inaugural, Ni sans quelque avénement, si l'on entend par ce dernier mot l'instauration pour l'avenir d'une possibilité ou d'un pouvoir qui testera a la disposition de tous. Avénement, car I’événement d'une invention, son acte de production inaugurale doit, une fois reconnu, une fois légitimé, contresigné par un consensus social, selon un systéme de conventions, valoir pour /’avenir. Il ne recevra son statut d'invencion, d’ailleurs, que dans la mesure oui cette socialisation de la chose inventée sera garantie par un systéme de conventions qui lui assurera du méme coup [inscription dans une histoire commune, Vapparcenance a une culture: héritage, patrimoine, tradition péda- gogique, discipline et chaine des générations, L’invention commence A pouvoir étre répétéc, exploitée, réinscrite, Pour nous en tenir 4 ce réseau qui n’est pas seulement lexical et qui ne se réduit pas aux jeux d’une simple invention verbale, nous venons de voir concourir plusieurs modes du venir ou de la venue, dans l'énigmatique collusion de Vinvenire ou de Viaventio, de Lévénement et de lavénement, de Vavenir, de Yaventure et de la convention, Cet essaim lexical, comment le traduire hors des langues latines en lui gardant son unité, celle qui lie la premiére fois de Pinvention au venir, 4 la venue de l'avenir, de l'événement, de T'avénement, de la convention ou de |’aventute? Tous ces mots dorigine latine sont certes accueillis pat exemple en anglais (et méme dans son usage judiciaire trés codé, trés étroit, celui de « venue », ct méme celui de « advent» réservé 4 la venue du Christ), sauf, au centre du foyer, le venir méme. Sans doute une invention revient- elle, dit l'Oxford English Dictionary, a « the action of coming upon or finding », Méme si cette collusion verbale parait aventureuse et conventionnelle, elle donne 4 penser, Que donne-t-elle 4 penser? Quoi d’autre? Qui d’autre? Que faur-il encore inventer quant au venir? Qu’est-ce que cela veut dire, venir? Venir une ptemiére fois? Toute invention suppose que quelque chose ou quelqu’un vienne une premiére fois, quelque chose 4 quelqu’un ou quelqu’un 4 quel- qu'un, ct qui soit autre, Mais pour que V’invention soit une invention, Cest-a-dire nique, méme si cette unicité doit donner lieu 4 répétition, il faut que cetce premieére fois soit aussi une derniére fois, l’archéologie et l'eschatologie se faisant signe dans Vironie du sew/ instant, Structure singuliére, donc, d'un événement qui semble se pro- duire en parlant de lui-méme, par /e fair d'en parler, dés iors qu'il invente au sujet de l’invention, frayant sa voie, inaugurant ou signant Invention de Pautre sa singularicé, |'effectuant en quelque sorte au moment méme od il nomme et décrit la généralité de son genre et la généalogie de son topos: de inventione, gardant en mémoire la tradition d’un genre et de ceux qui l’ont illustré. Dans sa prétention 4 inventer encore, tel discours dirait le commencement inventif en parlant de lui-méme, dans une structure réflexive qui non seulement ne produit pas de coincidence et de présence a soi mais projerte plutét l'avénement du soi, du « parler» ou « écrire» de soi-méme comme autre, ¢’est-d- dire 4 /a trace. Je me contente ici de nommer cette valeur de « self- reflexivity » qui fut souvent au centte des analyses de Paul de Man, Elle est sans doute plus retorse qu’il n’y parait, Elle a donné licu aux débats les plus intéressants, notamment dans les études de Rodolphe Gasché et de Suzanne Gearhart '. J’essaierai d’y revenir moi-méme une autre fois. En parlant de lui-méme, un tel discours tenterait donc de faire admettre par une communauté publique non seulement la valeur de vérité générale de ce qu'il avance au sujet de l’invention (vérité de Pinvention et invention de la vérité) mais du méme coup la valeur opératoire d'un dispositif technique désormais 4 la disposition de tous, Fables: au-del@ Sans V’avoir encore cité, je décris depuis tout 4 du Speech Act Yheure, d’un doigt pointé vers la marge de mon discours, un texte de Francis Ponge. II est bref : six lignes en italiques, sept si l'on y inclut le titre (je reviens dans un instant sur ce chiffre 7), plus une patenthése de deux lignes en caractéres romains. Bien qu’ils s’inversent d’une édition 4 l'autre, italiques et romains donnent peut-étre 4 remarquer cette descendance latine dont j’ai parlé. Ponge n’a jamais cessé de la cevendiquer pour lui-méme et pour sa poétique. De quel genre ce texte reléve-t-il? Il s’agit peut-étre de l'une de ces piéces que Bach appelait ses Ieventions *, piéces contrapuntiques 1 Rodolphe Gasché, « Deconstruction as Criticism », in Glyph, 6, 1979 Johns Hopkins University Press) et « Setzung und Ubersetzung * Notes on Paul de Man », in Diacritics, hiver 1981. Suzanne Gearhare, « Philosophy before Literature Deconstruction, Historociry, and the Work of Paul de Man», in Diacritics, hiver 1983 2 On pense aussi aux Inventions musicales de Clément Jaanequin (1345 environ), Celles de Bach ne furent pas seulement didactiques, méme si elles éraient Psyché a deux ou trois voix. Se développant 4 partir d’une courte cellule initiale dont le rythme et le contour mélodique sont trés nets, ces « inventions » se prétent pacfois 4 une éctiture essentiellement didac- tique ', Le texte de Ponge dispose une telle cellule initiale, c'est le syntagme « Par le mot far... ». Certe « invention », je ne la désignerai pas par son genre mais par son titre, 4 savoir par son nom propre : Fable. Ce texte s’appelle Fzb/e. Ce titre est son nom propre, il potte, si l'on peut dire, un nom de genre. Un titre, toujours singulier comme une signature, se confond ici avec un nom de gente, comme un roman qui s’intitulecait roman, ou des inventions inventions. On peut le parier, cette fable intitulée Fzé/e, construite comme une fable jusque dans la « moralité» finale, traitera de la fable. La fable, Tessence du fabuleux dont elle prétendra dite la vérité, ce seta aussi son sujet général. Topos : fable. Je lis donc Fadle, la fable Fable. aussi destinées enseigner la technique du contrepoint, On peut, et on le fait souvent, les traiter comme des ¢xetcices de composition (exposition du chéme dans sa tonalité principale, réexposition & la dominante, nouveaux développements, exposition supplémentaire ou finale dans ie ton indiqué 4 fa clé), Hy a les inventions en la majeur, en fa mineur et en sol mineur, etc Bt dés qu'on met le citre Inventions aa pluriel, comme je le fais ici, on laisse penser a la virruosité technique, 4 l'exercice didactique, aux variations instrumentales Mais faut-il se lassser aller 4 penser ce qu'on laisse ainsi penser? 1 in Proémes, 1. Natare piscem doces, Gallimard, 1948 Le terme prodme, en sa valeur didactique remarquée par le docre doces, dit quelque chose de I'invention, du moment inventif d'un discours : commencement, inauguration, incipit, intro- duction Deuxiéme édition de fable (avec invetsion des italiques er du romain) Tome premier, Gallimard, 1965, p. 114. Fable trouve et dit la vérité qu'elle trouve en la ttouvane, Cest-a-dire . en ta disant Philosophéme, théoréme, potme, Un Eureéa trés sobre, réduit 4 Ja plus grande économie de son opérarion. Préface fictive a Fureéa de Poe «.. jloffre ce livre de Verités, non pas seulement pour son caractére Véridique, mais 4 cause de la beauté qui abonde dans sa Vérité, et qui conficme son catactére véridique, A ceux-li je présente cette composition’ simplement comme un objet d’art; disons comme un Roman; ou si ma prétention n’est pas jugée trop haute, comme un Potme, Ce que j‘avance ict est veat, donc cela ne peut pas mourir, » (trad, Baudelaire, Exores en prose, Pigiade, p.697) On peut dite que Fable est un spongisme, car ici la vérité se signe (signé Ponge) st Exreéa est un podme Crest peur-étre ici Ie lieu de se demander, s‘agissant d’ Eureka, ce qui se passe quand on traduit exrema pat inventio, ettretes pat inventenr, enviské pat « je rencontre, je trouve en chetchane ou par hasard, aprés réflexion ou par chance, je découvre ou jobtiens » Invention de l'autre FABLE Par le mot pat commence donc ce texte Dont la premiére ligne dit la vérité, Mais ce tain sous Pune et Pautre Peut-il étve roléré? Cher lecteur déja tu juges La de nos difficultés.. (APRES sept ans de matheurs Elle brisa son miroir), Pourquoi ai-je souhaité dédier la lecture de cette fable a la mémoire de Paul de Man? Tout d’abord parce qu'il s’agit d'un éccit de Francis Ponge. Je me rappelle ainsi un commencement. Le premier séminaite que j'ai donné a Yale, a l’invitation et aprés V'inccoduction de Paul de Man, ce fut un séminaire sur Francis Ponge. Il s‘intitulait Le chose, il duca trois ans, et traita aussi de la dette, de la signature, de la conttesi- gnatute, du nom propre et de la mort. En me cappelant ce commen- cement, je mime un cecommencement, je me console en le rappelant 4 la vie par la grace d'une fable qui est aussi un mythe d'origine impossible. Ensuite parce que cette fable resemble aussi, en ce croisement singuliet de l'ironie et de I’allégotie, 4 un poéme de la vérité, Il se ptésente itoniquement comme une allégorie, « Dont la premiére ligne dit la vérité » ; vérité de Vallégorie et allégorie de la vérité, vérité comme allégotie. Toutes deux sont des inventions fabuleuses, enten- dez par la inventions de langage (/zri ou phanai, c'est pacler, affirmer) comme inventions du méme et de l'autre, de soi-méme comme de T'autte. C'est ce que nous allons essayer de démontrer '. 1 Au moment d’entreprendre cette lecrure de Fadle, je dois rappeler one coincidence, & la fois érange et inquiérante (anheimlich, uncanny), crop urgente & la mémoite d'une amitié pour que je puisse ici la tare, A la méme date, une certaine « Remarque a suivre » scelle 4 la fois la promesse et l'interruption De 1975 4 1978, a linvitation de Paul de Man, je donnai 4 l'université de Yale un séminaire sur La chose, Chaque année, j'y présentai deux cours paralleles, l'un consacré a la Psyché L’allégotique se marque ici dans le théme et dans la stcucture. Fable dit V'allégotic, le mouvement d'une parole pout passer a l'autre, de Vautte cété du miroir. Effort désespéré d’une parole malheureuse pour franchir le spéculaite qu'elle constitue elle-méme. On dirait dans un autte code que Faé/e pose en acte la question de la téférence, de la spécularité du langage ow de la lirtérature, et de la possibilité de dire l'autce ou de parler @ l'autre. Nous vercons comment elle le fait mais dés maintenant nous savons qu'il y va justement de la mort, de ce moment du deuil ot le bris du miroir est a la fois le plus nécessaite et le plus difficile. Le plus difficile parce que tout ce que nous disons, faisons, pleurons, si tendus que nous soyons vers LYautre, reste em nous. Une partie de nous est blessée ct <’est de nous que nous nous entretenons encore dans le travail du deuil et de I'Brinnerung. Méme si cette métonymie de J’autre en nous constituait déja la vérité et la possibilité de notre rapport a l'autre vivant, la chase selon Heidegger, V'autre a fa chose sclon Ponge (1975), Blanchot (1976), Freud (1977). La lecture de Ponge suivait de prés une conférence prononcée & Cetisy-la- Salle au cours de été précédent, Or elle marquait, précisément au suet de Fable, une sorte de suspension, en signe d’atrente, done je ne pouvats savoir alors ce qu'elle tenait ainsi en réserve, Une ligne de points de suspension, chose fotr inhabitucllc, en aura consigné a la fois la mémoire ct le programme. D’abord dans la premiere publication partielle de ce texte (« Signéponge », Digraphe, 8, 1976, p 26), puis, sous le méme cicre, dans le volume bilingue paru en 1984 aux Etats-Unis (Columbia University Press). Celui-ci fur dédié A Paul de Man mais ne parut que quelques jouts aprés sa mort, Le premier exemplaire me fut apporté 4 Yale, autre coincidence, a la fin d’une cérémonie en mémoire de Paul de Man. Je redécouvrais bouche bée, le jour méme, cette page écrite prés de dix ans auparavanr : « ... cette histoire reste une histoire sans événement au sens traditionncl du moc, histoire de la langue ct de I’écriture dans leur inscription de la chose méme en tant qu’autre, de la serviette- &ponge, patadigme de la chose méme comme autre chose, chose autre inaccessible, sujet impossible Ihistoite de la serviette-éponge, telle du moins que je fa raconte de mon cété, voila une fable, histoire au titre de fiction, simulacre ct effet de langue (febrda) mais telle que pat elle seule fa chose en tant qu’autre et en rant qu’autre chose peut advenir dans Iallure d'un événement inappropriable (Ereignis en abime). Fable dune alluce (jappelle allure fa démarche de ce qui vient saos venir, ce dont ily va dans cet étcange événement) of cicn ne va autrement que dans ce petit texte (vous voycz que je ne commente en ce moment qu’un petit pokme erés singulicr, ttés court, mais propre 4 tout faire sauter discrétement, irremplacablement) intieulé Fable et qui commence par * Par le mot par commence donc ce texte / Dont la ptemitte ligne dit la vétité. " (Rematque 4 suivrc) La serviette-Cponge, histoire emblématique de mon nom comme histoire de autre, blason adoré du * sujet impossible * (vous savez que expression de mise en abyme appartiont otiginellement au code des blasons), fable et autre maniére de faice Vhistoite,.. » (P03 de !'édition bilingue.) Invention de l'autre mort la manifeste dans un pilus de lumiére. C’est pourquoi le bris du miroir y est encore plus nécessaire. A Vinstant de la mort, la limite de la réappropriation narcissique devient terriblement cou- pante, elle accroit et neutralise la souffrance: ne pleurons plus sur nous, hélas il ne pews plus s’agir que de {'autre en nous alors qu'il ne doit plus s’agir de !'autte en nous, La blessure narcissique s’accrott a Vinfini de ne plus pouvoir étre narcissique ct de ne méme plus s’apaiser dans cette Erinnerung qu'on appelle travail du deuil, Au- dela de fa mémoire intériorisante, il faut alors penser, autre maniére de se rappeler, Au-dela de {'Erinnerung, il s'agirait alors de Gedacht- nis, pour reprendre cette distinction hegelienne sur laquelle Paul de Man ne cessait de revenir ces derniers temps pour introduire a la Philosophie hegelienne comme allégoric d'un certain nombre de dissociations, par exemple entre philosophie et histoire, expérience littéraire et théorie littéraire '. Avant d’étre un théme, avant de nous dire l'autre, le discours de (autre ou vers l’autre, {’allégorie a ici la structure d’un événement. Et cela d’abord par sa forme narrative ?, La « moralité » de {a fable, si l'on peut dire, ressemble au dénouement d’une histoire en cours. Le mot « Aprés » (APRES sept ans de mafheurs Elle brisa son miroir) vient en capitales séquentialiser la singuliére conséquence du « donc » initial (Par le mot par commence done ce texte) — scansion logique et temporelle qui parait en premiére ligne pour ne conclure qu’a un commencement. La parenthése qui vient aprés marque fa fin de (histoire, mais nous verrons les temps s’inverser tout a !"heure. Fable, cette allégotie de l'allégorie, se présente donc comme une invention, D’abord parce que cette fable s’appelle Faé/e, Avant toute autre analyse sémantique, et quitte 4 fe justifier plus tard, j'avance ici une hypothése ; 4 Vintérieur d'une aire de discours qui s’est 4 peu prés stabilisée depuis Ja fin du xvi siécle européen environ, i! n'y a que deux grands types d’exemple axiorisés pour Vinvention. On invente, d’une part, des Aistoires (récits fictifs ou fabuleux) et, d’autre part, des machines, des dispositifs techniques, au sens le plus large de ce mot. On invente en fabulant, par la 1, Paul de Man, « Sign and symbol in Hegel's Aesthetics », in Critical Inquiry, &é 1982, vol 8, 4, p, 1982 2 «Allegory is sequential and oarrative,.. », Paul de Man, Pascal's Allegory of persuasion, O.C., p.\ ct suiv. Ou encore: « . allegory appears as a successive mode, », «The thetotic of temporality», in Blindness and. Inright, Minnesora University Press, 2" éd, p 226, Psyché production de récits auxquels une « réalité » ne correspond pas hors du récit (un a/iéi par exemple) ou bien on invente en produisant une nouvelle possibilité opératoire (/’imprimerie ou une atme nucléaire, et j'associe a dessein ces deux exemples, la politique de {’invention — qui sera mon théme — étant toujours 2 /a fois politique de la aulture et politique de fa guerre). Invention comme production dans Jes deux cas — et je laisse 4 ce dernier mot une cerraine indétermination pour {'instant. Faéula et fictio, d’une part, sekbné, epistemé, istoria, methodos d’autre part, ¢’est-a-dire art ou savoir-faire, savoir et recherche, information, procédure, etc. Voila, dirais-je pour {'instant sur un mode un peu dogmatique ou elliptique, les deux seuls registres possibles et rigoureusement spécifiques pour toute invention aujourd'hui. Je dis bien « aujourd’hui» car cette détermination sémantique parait relativement modeme. Le reste peut ressembier 4 de l'invention mais n'est pas reconnu comme tel. Et nous essaierons de comprendre quelle peut étre I'unité ou l'accord invisible de ces deux registres. Fable, 1a fable de Francis Ponge s’invente en tant que fable. Elle raconte une histoire apparemment fictive — qui semble durer sept ans. Et {a huitiéme figne le rappelle. Mais d’abord Fadéle raconte une invention, elle se récite et se déctit elle-méme. Dés le commen- cement, elle se présente comme un commencement, {inauguration d'un discours et d’un dispositif textuel. Elle fait ce qu'elle dit, ne se contentant pas d'énoncer, comme Valéry, justement Aw sujet d@'Euréka : « Au commencement, était la Fable. » Cette derniére phrase, en mimant mais aussi en traduisant les premiers mots de {'Evangile de Jean (« Au commencement fut le /agas ») est sans doute aussi une démonstration performative de cela méme qu'elle dit. Et fable, comme /ogos, dit bien le dire, parle de la parole. Mais tout en s'inscrivant ironiquement dans cette tradition évangélique, la Faéle de Ponge révéle ct pervertit, ou pluedt met 4 jour, par une légére perturbation, {’étrange structure de {’envoi ou du message évangé- lique, en tout cas de son incipit qui dit qu’a Vincipit il y a le logos. Fable, c'est simuitanément, grace 4 un tour de syntaxe, une sorte de pesformatif poétique qui décrit et effectue, sur la méme ligne, son propre engendrement. . Tous ies performatifs ne sont certes pas réfléchis, en quelque sorte, ils ne se décrivent pas en miroir, ils ne se constatent pas comme des performatifs au moment oti ils ont lieu. Celui-ci le fait, mais sa description constative n’est autre que le performatif méme. « Par le mot pat commence donc ce texte. » Son commencement, son invention ou sa premiére venue n’advient pas avant la phrase qui raconte et réfléchit justement cet événement. Le récit n'est autre que Invention de Vautre fa venue de ce qu'il cite, récite, constate ou décrit, On a du mal 4 discerner ~ c'est en vérité indécidable ~ la face récitée et fa face itante de cette phrase qui s’invente en inventant le récit de son invention. Le récit se donne a lire, il est lui-méme une légende, Puisque ce qu’il raconte n’a pas lieu avant lui et hors de fui qui Produit {’événement qu'il raconte. Mais c’est une fable \égendaire ou une fiction en un seul vers et deux versions ou deux versants du méme. Invention de l'autre dans le méme — en vers le méme de tous fes cétés d'un miroir dont fe tain ne saurait étre toléré. La deuxiéme occurrence du mot « par » dont la typographie méme rappelle qu'il cite 1a premiére occurrence, L’incipit absolu de la fable, institue une répétition ou une réflexivité originaire qui, tout en divisant {'acte inaugural, a la fois événement inventif et relation ou archive d'in- vention, lui permet aussi de se déployer pour ne rien dire que le méme, lui-méme, invention déhiscente et reployéc du méme, 4 Yinstant ott il a lieu. Et déja s’annonce, en souffrance, le désir de fautre — et de briser un miroir, Mais le premier « par », cité par le second, appartient en vérité 4 la méme phrase que lui, c'est-a-dire a celle qui constate l’opération ou {’événement ~ qui pourtant n‘ont lieu que par la citation descriptive et nulfe part ailleurs, ni avant elle, Dans telle terminoldgie de la speech act theory, on dirait que le Premier « par » cst utilisé (wsed), le second cité ou mentionné (men- tioned), Cette distinction parait pertinente quand on {'applique au mot «par». L’est-elle encore a l’échelle de fa phrase entiére? Le « par » utilisé fait partie de fa phrase mentionnante mais aussi men- tionnée. Il est un moment de ia citation, et c'est en tant que tel qu'il est utilisé. Ce que cite fa phrase, ce n'est rien d’autre, de « par » en « par», qu’elle-méme en train de se citer, et les valeurs d’usage ne sont en elle que des sous-ensembles de {a valeur de mention. L'événement inventif, c'est la citation ef le récit. Dans le corps d'un seul vers, sur la méme ligne divisée, l’événement d'un énoncé confond deux fonctions absolument hétérogénes, « usage » et « mention », mais aussi hétéro-référence et auto-référence, allégorie et tautégorie. N’est- ce pas la toute 1a force inventive, le coup de cette fable? Mais cette vis inventiva ne se distingue pas d’un certain jeu syntaxique avec les lieux, c'est aussi un art de la disposition. Si Fable est a la fois performative et constative dés sa premiére ligne, cet effet se propage dans fa totalité du poéme ainsi engendré. Nous aurons 4 le vérifier, le concept d’invention distribue ses deux valeurs essentielles entre les deux pdles du constatif (découvrir ou dévoiler, manifester ou dire ce qui est) ct du performatif (produire, instituer, transformer). Mais toute la difficulté tient 4 1a figure de la Psyché co-implication, 4 la configuration de ces deux valeurs. Fable est a cet égard exemplaire dés sa premiére ligne. Elle invente par le seul acte d’énonciation qui a la fois fait et décrit, opére er constate. Le « et » n'associe pas deux gestes différents. Le constat est le performatif méme puisqu’il ne constate rien qui lui soit antérieur ou étranger. Il performe en constatant, en effectuant le constat — et rien d’autre. Rapport 4 soi trés singulier, réflexion qui produit Je soi de {'auto- réflexion en produisant {'événement par le geste méme qui le raconte. Une circulation infiniment rapide, telle est /‘iromie, tel le temps de ce texte. Celui-ci est ce qu’il est, un texte, ce texte-ci, en tant qu'il fait passer dans I'instant la valeur performative du d'une allégorie qui parait toujours déployée dans {a diachronie du récit. Et la encore Fable serait exemplaire. Sa premiére ligne ne parle que d’elle-méme, elle est immédiatement métalinguistique mais c'est un métalangage sans surplomb, un méralangage inévitable et impossible puisqu’il 2’y a pas de langage avant lui; il n’y a pas d'objet antérieur, extérieur ou inférieur pour ce métalangage. Si bien que tout dans cette premiére ligne — qui dit fa vérité de (la) Fable — est a la fois lan; angage remier et _métalangage second — et rien ne fest. In "y a pas de métalangage, repete fa premiére ligne, I H’y a que cela dit l’Echo ~ ou Narcisse. la @_proprieté du langage, de_toujours pouvoir sans pouvoir parler de lui-méme, est ainsi_démo en_acte et selon un 1 patadigme, Je renvoie encore & ce ‘passage de Adlegories of Reading oa Paul de Man reprend la question de fa métaphore et du Narcisse chez Rousseau. Jen extrais quelques propositions en vous laissant reconstituer la 1. Antobiography as De-facement, Modern Languages Notes, 1979, p 921, reptis in The Rhetoric of Romanticism, Columbia University Press, 1984, 2 «The Rhetoric of Temporality », in Blindness and Insight, p 226. 3. Ibid, Invention de l'autre trame d’une démonstration complexe. « Dans !a mesure of tout langage est conceptuel, il parle déja du langage et non des choses [...] Tout langage est langage au sujet de 1a dénomination, c’est-a-dire un langage conceptuel, figural, métaphorique [...] Si tout langage est langage au sujet du langage, alors le modéle linguistique qui {ui sert de paradigme est cejui d’une entité qui s’en prend a eile-méme (confronts irself)'. » Loscillation infiniment rapide entre performatif et constatif, langage et_métalangage, fiction et non-fiction, auto- et hetero-refe- fence, etc,, ne produit pas seulement une instabilité cssentielle. Cette instabilité constitue L'éyénement méme, disons l’ceuvre, dont Tin- vention erturbe normalement, si on peut dire, les normes, les statuts et tes régles.” Elie én “appelle” a une nouvelle théorig, comine a ta constitution de nouveaux statuts et de nouvelles conventions capables de prendre acte de fa possibilité de tels événements et de se mesurcr 4 eux. Je ne suis pas stir que dans son état actuel la représentation dominante de fa speech act theory en soit capable, pas plus d’ailleurs que les théories littéraires de type formaliste ou herméneutique (sémantiste, thématiste, intentionnaliste, etc.) Sans fa tuiner totalement, puisque aussi bien elle a besoin d'elle pour provoquer ce singulier événement, !’économie fabuleuse d'une petite phrase trés simple (parfaitement intelligible et normale dans sa grammaire) déconstruit_spontanément la logique oppositionnelle qui ven. tient Ala_distioction intouchable” du petformadt edu constatif et 4 tant d’autres distinctions connexes ®. statu ta is PRS Est-ce que dans ce cas effet de déconstriiction tient 4 1a force 1 P 152-153 Cette phrase appelle une note Je la cite au titre de la psyché et du Narcisse qui nous importent ici Elle commence ainsi. « Cela implique que fe moment de réficxion sur soi du cagito, Ia réflexion sur soi de ce que Rilke appelle “Je Narcisse exhaucé” [sic], n'est pas un événement original mais lui-méme la version allégorique (ou métaphorique) d'une structure intralinguistique, avec toutes les conséquences épistémologiques négatives que cela entraine » Cette équation entre allégoric ct métaphore pose dans ce contexte des problémes sur lesquels nous reviendrons ailleurs, 2, «Le premier passage (section 516 de La volonté de puissance) sur Videntité a montré que Je langage constatif ost on fait performatif, mais le second passage (section 477) affieme (asserts) que la possibilicé de performer est, pour le langage, tout aussi fictionnelle que la possibilisé pour lui d'affitmer (¢o assert), [.] La difference entre langage performatif er langage conscatif (que Nierzsche anticipe} est indécidable; la déconstruction conduisant d’un mod&le a f'autte est itréversible mais elle reste toujours suspendue, si souvent qu’on la réptte » « Rhetoric of persuasion (Nietesche) », in Allegories of Reading, p. 129-130, Psyché d’un événement littéraire? Quoi de fa littérature et de la philosophie dans cette scéne fabuleuse de {a déconstruction? Sans pouvoir aborder ici de front ce probléme, je me contenterai de quelques remarques. 1, A supposer méme qu’on sache ce qu’est fa littérature, et mémce si par Ja convention en usage on classe Faé/e dans fa littérature, il n'est pas stir qu'elle soit de part en part littéraire (et par exemple non philosophique ; dés lors qu'elle parle de fa vérité et prétend la dire expressément), ni que sa structure déconstructive ne puisse pas se retrouver dans d’autres textes qu’on ne songerait pas 4 considérer comme littéraires, Je suis persuadé que la méme structure, si para- doxale qu'elle paraisse, se retrouve dans des énoncés scientifiques et surtout juridiques, et parmi {les plus instituteurs d’entre eux, donc parmi les plus inventifs. 2. A ce sujet, je citerai et commenterai briévement un autre texte de Paul de Man qui croise de maniére trés dense tous tes motifs qui nous occupent en ce moment : performatif et constatif, littérature et philosophie, possibilité ou non de fa déconstruction, C'est la conclusion de « Rhetoric of persuasion (Nietzsche) », dans Al/egories of Reading, p. 131: Si la critique de la métaphysique est steucturée comme une aporic encre langage performarif et langage consearif, cela revient dire qu’elle ese seructurée comme la rhétorique, Et puisque, si l’on veut conserver le terme de « lirtératute », on ne doie pas hésiter a Tassimiler a la thétorique, alors il s’ensuivrait que la déconstruction de Ia méraphysique, ou de la « philosophic », est impossible dans la mesure précise ott elle est « littéraire » Cela ne résout en rien le ptobléme du rapport entre liteérature et philosophie chez Nietzsche, mais cela établic au moins un point de « référence » plus stir depuis lequel poser fa question, Ce paragraphe abrite trop de nuances, de plis ou de réserves pour que nous puissions ici, en si peu de temps, déployer tous ses enjeux. Je risquerai seulement cette glose un peu elliptique, en attendant d’y revenit plus patiemment une autre fois; il y a sans doute plus d’ironie qu'il n’y patait, me sembie-t-il, 4 parler de V'impossibilicé d'une déconstruction de {a métaphysique, dans la mesure précise of elle est « littéraire », Au moins pour cette raison, mais il y en aurait d’autres, que 1a déconstruction 1a plus rigourcuse ne s'est jamais présentée comme étrangére a fa littérature, ni surtout comme quelque chose de possible, Je dirais qu'elle ne perd rien a s'avouer impossible, et ceux qui s’en réjouiraient trop vite ne perdent rien pour attendre. Le danger pour une rache de déconstruction, ce Invention de V autre Ee eee et_de devenir un oer e disponible de ins accessibles, t de la ae a deconstruction, de sa force et de son désir si Elle en a, C'est une certaine expérience de impossible : c'est-a-dite, j'y ferai retour 4 la fin de cette conférence, de autre, \'expérience de l’autte i tion de 1" impossible, en d'autres termes comme la seule ssible, Quane 4 A savoir o8 situet f"insituable « littérature » a eet pails Cést aussi une question que je délaisse pour {‘instant, Fable se donne donc, par {ui-méme, par elle-méme, un brevet d'invention, Et ¢'est l'invention, son coup double, Cette singuliére duplication, de « pat » en « par », la voici destinée 4 une spéculation infinie, et la spécularisation parait d’abord saisir ou glacer le texte. Elle le paralyse ou le fait tourner sur place 4 une vitesse nulle ou infinie, Elle le fascine dans une glace de malheur, Le bris d’un miroir, dit le mot de fa superstition, annonce le malheur pour sept ans. Ici, dans un autre caractére typographique et entre parenthéses, c'est aprés sept ans de malheurs qu'elle brisa fe miroir. APRES est en capitales dans le texte. Etrange inversion, Est-elle aussi un effet de miroir? une sorte de réflexion du temps? Mais si cette chute de fable, qui assure entre parenthéses le rdle classique d’une sorte de « moralité », garde quelque chose de renversant 4 1a premiére iecture, ce n'est pas seulement 4 cause de ce paradoxe, Ce n'est pas seulement patce qu'elle inverse le sens ou la direction du proverbe superstitieux. A Pinverse des fables classiques, cette « moralité» est le seul élément de forme explicitement natrative (disons donc allégorique), Une fable de La Fontaine fait en général le contraire ; un récit, puis une moralité en forme de sentence ou de maxime, Mais fe récit qui vient ici entre parenthéses et en conclusion, 4 la place de la moralité, nous ne savons pas oi situer le temps inversé auquel il se référe, Raconte- t-il ce qui se serait passé avant ou ce qui se passe aprés la « premiére ligne »? Ou encore pendant tout le poéme dont il serait le temps propre? La différence des temps grammaticaux (passé simple de 1a « moralité » allégorique aprés un présent continu) ne nous permet pas d'en décider. Et {’on ne saura pas si les sept ans de « malheurs » qu’on est tenté de synchroniser avec les sept lignes précédentes se faissent raconter par fa fable ou se confondent tout simplement avec ce malheur du récit, cette détresse d’un discours fabuleux qui ne peut que se réfléchir sans sortir de soi. Dans ce cas, le malheur serait le miroir méme. Et loin de se laisser annoncer par le bris d’un miroir, il consisterait, d’ot {infini de fa réflexion, dans 1a présence méme et fa possibilité du miroir, dans le jeu spéculaire assuré par je langage. Et en jouant un peu avec ces malheurs de performatifs Psyché ou de constatifs qui n’en sont jamais parce qu’ils se parasitent l’un {’autre, on serait tenté de dire que ce malheur, c'est aussi l’essentielle «infelicity » de ces speech acts, cette « infelicity » souvent déctite comme un accident par les auteurs de la speech act theory. En tout cas, par toutes ces inversions et perversions, par cette tévolution fabuleuse, nous sommes au croisement de ce que Paul de Man appelle allégorie et ironie, Nous pourrions a cet égard relever trois moments ou trois motifs dans « The Rhetoric of Temporality », 1, Celui d’une « conclusion provisoire » (p. 222). Elle lie L'al- légorie et_!'ironie dans la découverte, on peut dire !’invention, « of a truly temporal predicament ». Le mot « predicament » est difficile a traduire: situation embarrassante, dilemme, apotie, impasse, tels sont les sens courants qui {’ont emporté, sans fe faire disparaitre, sur fe sens philosophique de predicamentum. Je \c laisserai hors traduction dans ces quelques lignes qui pataissent écrites pout Fable : Lacte d’ironie, tel que nous {’entendons maintenant, révéle l'existence d'une remporalicé qui est certainement non organique, en ce qu'elle sc rapporte a sa source seulement en termes de disranve et de différence, ct ne laisse place & aucune fin, d aucune totalité [Cest bien la structure rechnique ec non organique du miroir} Lironie divise le flux de lexpérience remporelle en un passé qui est pure mystificarion et un avenir qui resre A jamais harcelé par une rechuce dans I'inauthentique, Elle ne peut que la réaffirmer ct Ia répéter a un niveau de plus en plus conscient, mais elle demeure indéfiniment enfermée dans l'impossibilité de rendre cette connaissance applicable au monde empitique Elle se dissout dans la spirale toujours plus étroite d'un signe linguistique qui s‘éloigne de plus en plus de son sens, et elle ne peur échapper a cette spirale Le vide temporel qu'elle révéle est le méme vide que nous avons rencontré quand nous avons découvert que Vallégoric implique toujours une antériorité inacces- sible, L’allégorie et ironie sont associées dans leur découverte commune d'un predicament véritablement temporel, (Je souligne.) Laissons au mot predicament (et le mot est un predicament) toutes ses connotations, et jusqu’aux plus adventices. Le miroir est ici le predicament ; une situation nécessaire ou fatale, une quasi~nature dont on peut définir en toute neutralité fe prédicat ou la catégorie, fa machinerie technique, {artifice qui 1a constitue. On est en proie au piége fatal et fascinant du miroir. Jaime prononcer ici te mot de piége : ce fut, il y a quelques années, un théme favori de discussions elliptiques, aussi amusées que désespérées, entre Paul de Man et moun Invention de Pautre 2, Un peu plus loin, voici lironie comme image spéculaire inversée de {'allégorie; «La structure fondamentale de l'allégorie réapparait ici [dans {’un des Lucy Gray poems de Wordsworth] dans Ja tendance qui pousse le langage vers 1a narration, cette extension de soi sur {'axe d'un temps imaginaire pour conférer de 1a durée 4 ce qui est, en fait, simultané dans le sujet. La structure de l’ironie est toutefois l'image en miroir inversée (the reversed mirror-image) de cette forme. » (P. 225. Je souligne.) 3. Ces deux images inversées en miroir se rassemblent dans fe méme : {’expérience du temps, « L'ironie est une sttucture synchro- nique, tandis que l’allégorie apparait comme un mode séquentiel capable d’engendrer la durée en tant qu’illusion d’une continuité qu'elle sait illusoire, Pourtant les deux modes, maigré ce qui sépare profondément leur affect et leur structure, sont les deux faces de la méme et fondamentale expérience du temps. » (P, 226.) Fable, donc: une allégorie disant ironiquement 1a vérité de Yaliégorie qu'elle est présentement, et le faisant en le disant a travers un jeu des personnes et des masques. Les quatre premiéres lignes : 4 la troisitme personne du présent de !'indicatif (mode apparent du constatif, bien que le « je», dont Austin nous dit qu’il a, au présent, le privilége du petformatif, puisse y étre ici implicite). Dans ces quatre lignes, les deux premiéres sont affirmatives, les deux autres interrogatives. Les lignes 5 et 6 pourraient expliciter l'intervention implicite d’un «je» dans la mesure of elles dramatisent la scéne par une adresse au lecteur, par le détour d’une apostrophe ou parabase, Paul de Man accorde beaucoup d’atrention a la parekbase, notamment telle qu’elle est évoquée par Schlegel en rapport avec Vironie, Ii le fait encore dans « The Rhetoric of Temporality » (p. 222) et ailleurs, Le « tu juges» est 2 /a fois performatif ct constarif, lui aussi, et « nos difficultés », ce sont aussi bien celles 1) de {’auteur, 2) du « je» implicite d’un signataire, 3) de la fable qui se présente elle-méme, ou bien 4) de la communauté fable-auteur-lecteurs, Car tous s’embarrassent dans les mémes difficultés, tous les réfléchissent et tous peuvent en juger. Mais qui est e//e? Qui « brisa son miroir »? Peut-étre Fable, la fable elle-méme, qui est ici, vraiment, le sujet. Peut-étre l'allégorie de la vérité, voire Vérité elle-méme, et c'est souvent, selon {’allégorie, une Femme. Mais le féminin peut aussi contresigner {ironie de auteur, Elfe parlerait de {’auteur, elle le diraic ou le montrerait {ui- méme dans son miroir, On dirait alors de Ponge ce que Paul de Man, s’interrogeant sur le «she» d’un des Lucy Gray poems (She Psyché seemed a thing that could not feel), dit de Wordsworth : « Wordsworth est {’un des rares poétes qui peuvent écrire de fagon proleptique au sujet de leur propre mort et parler, pour ainsi dire, depuis {’au-dela de leur propre tombe. Le * she ” est en fait assez vaste pour comprendre aussi Wordsworth, » (P. 225.) Elie, dans cette Fable, nous !’appelierons Psyché, celle des Métamorphoses d’ Apulée, celle qui perd Eros, le mari promis, pour Vavoir voulu voir malgré l’interdit. Mais une psyché, homonyme ou nom commun, c'est aussi le grand et double miroir installé sur un dispositif pivotant, La femme, disons Psyché, l’dme, sa beauté ou sa vérité, peut s'y réfléchir, admiret ou parer de {a téte aux pieds. Psyché n’apparait pas ici, du moins sous son nom, mais Ponge pourrait bien avoir dédié sa Fable 4 La Fontaine, Pour celui qui sut illustrer, dans fa littérature francaise, et 1a fable et Psyché, Ponge dit souvent son admiration; «Si je préfére La Fontaine ~ la moindte fable - a Schopenhauer ou Hegel, je sais bien pourquoi,» C'est justement dans Proémes, Pages bis, V. Paul de Man, lui, nomme Psyché, non pas le miroir, mais le personnage mythique. Le passage nous importe puisqu’il dit la distance entre les deux « selves », les deux moi-mémes, {’impossibilité de se voir et de se toucher en méme temps, fa « parabase permanente » et {'« allégorie de {'ironie » + Cette combinaison réussie d’allégorie ct d'ironie dérermine aussi fa substance du roman, dans son ensemble [La chartreuse de Parmé}, le mythos sous-jacent de l'allégorie. Le roman raconte l'histoire de deux amants auxquels, comme a Eros et 4 Psyché, la plénitude du contact n'est jamais permise, Quand ils peuvent se toucher, i} faut que ce soit dans une nuit imposée par une décision tout 4 fait arbitraire et irrationnelle, un acte des dieux. C’est le mythe d’une distance insurmontable qui !'emporte roujours entre les deux moi, et il thématise la distance ironique dont l'écrivain Stendhal croyair roujours qu'elle \’empottait entte ses identités pscudonymique et nominale, En rane que telle, elle réaffirme la définition schlegelienne de l'ironie comme « parabase permanente » et distingue ce roman comme |'un des rares romans du roman, comme I’allégorie de |"ironie Ce sont les derniers mots de « The Rhetoric of Temporality » (Blindness and Insight, p. 228). Ainsi, du méme coup, mais d’un coup double, une fabuleuse invention se fait invention de la vérité, de sa vérité de fable, de fa fable de fa vérité, la vérité de la vérité comme fable, Et de ce qui en elle tient au langage (fari, fable). C'est le deuil impossible de fa

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