Eribon Et Al. - 1999 - L'homophobie Comment La Définir, Comment La Comba PDF

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oMMUIINNIM 1025 446259 0 Meat) PT na De eee eT eee Peewee Nathalie Millet : Le Centre gai et lesbien Cee ce ee OCs crates Cee ud Poo) Peon oo ee eee ta Coo eee oy Pert EC seas ULES se eT | peered EUs) ieee reece rebar La médiation contre les discriminations homophobes en Suéde eB ae cs Les outils juridiques de lutte contre Mhomophoble UN PROJET DE LOI INTER-ASSOCIATIF Ee) L46259 rT Co INTRODUCTION vhomoPHoBIE festatioas de violence a I'égard des homosexnelles. Présentés comime un supposé puissant lobby, les gays et leshiennes ont été caricaturés comme une corporation menacaat la famille et remettant en question Péquilbre de la société) Des marcissiques structurelse, des sincapables affectits», des «pédophiles en puissance», des enéga- tionnistes de altérté+, des soboédés soxuels, tant de propos injurieux ont été temus, éerits voire proférés & la tribune méme de I’Assemblée Lors de la manifestation contre le Pacs le 31 janvier 1999, des millers de personnes niont pas hésité a se rallier au slogan sles pédés au biicher» sans que cela ne suscite la moinére réaction nide la société ni {des pouvoirs publics. Face une telle situation, tant les personnes que les associations sont dépourvues d'outils juridiques pour se protéger contre ce type ce violence. De méme que la xénophobie, le racisme, ou Yantisémitisme, Thomophobie est une manifestation du pouvoir qui consiste & désigner Yautre comme different, contraire, inférieur on anormal. Lassociation Aides se bat coatre toutes les formes de discriminstions, considérant calles-ci comme des phénamenes qui, de surcroit, empéchent une ges tion démocratique de I épidémie de sida. Aussi, il nous a paru néces: saire d’engeger une réflexion autour des différentes manifestations homophobes allant de I'njure et Vinsulte populaires aux elaborations ldéologiques des experts en sciences sociales. La préoczupatioa récen- ‘te pour I'hostilté envers les gays et des lesbiemnes change la fagon dont la question a été problématisée juscu’alors. Au lien de se consac- rer A étude du comportement homosextel, traité comme déviant,l'at- L ¢ récent débat autour du Pacs a donné lieu & de multiples mani tention est portée sar les raisons qui ménent & considérer une forme de sexualité comme déviante. De telle sorte que le déplacement de objet d'analyse vers 'homophobie produit un changement aussi bien épistémologique que politique. Epistémologique, car il ne s'agit pas tant de connaitre ou de comprendre Yorigine et le fonctionnement de Vhomosexualité mais piutét d’analyser hostiité que déclenche cette forme spécifique dorientation sexuelle, Ce n'est plus la question homosexuelle, somme toute banale, mais bien la question homophobe gui mérite dorénavent une problématisation particuliére. Qu’il s'agis- se d'un choix de vie sexuelle ou quill soit question d’une caractérs- tique stricturelle du désir érotique envers les personnes dn méme sexe, "homosexualité doit étre considérée comme une forme de sexua- lité anssi légitime que I'hétérosemualité. Mais la reconnaissance des homosexualités doit névessairement étre accompagnée de la pénalisa tion du discours homophobe. Or la répression n'est efficace que si elle est accompagnée de mesures pédagogiques qui permettent de renver- ser la situation actuelle de banalisation de "homophobie vaire de son encouragement. La joumée de réflexion contre homophobie organi- sée par Aides a Sida Info Service le 19 uin 1999 nous a permis de nous interroger sur les moyens pour contrer cette forme spécifique de vio- lence sociale. Les taxtes publiés dans les deux premi’res parties de cet ourage teprésentent les interventions de la joumée* Nous remercions les associations qui ont particiyé a cette joumée, Aides Fédération, Aides Paris Tle de France, Act Up, le Centre Gai et Lesbien de Paris, SOS homophobie, Sida Info Service, Lesbian and Gay pride film, Prochoix-Fonds de lutte contre I'homophobie, aiasi que les intellectuels et les politiques qui ont collaboré & cette entre: prise politique. Daniel Borrillo et Pierre Lascoumes Juristes volontaires @ Aide organisateurs de la journée contre Uhomophobie du 19 juin 1999 * Nous prion de ete tion pour joins en antene Ia ronwelleprpoeton flint lation side sex ios quo texte remargs dn médatear sued contre es dcraatons LES MANIFESTATIONS DE LHOMOPHOBIE CE QUE LINJURE ME DIT Quelques remarques sur le racisme et la discrimination. DIDIER ERIBON @inférieur, quelqu'un sur qui Yautre a le pouvoir, et d'abord le pouvoir de m'injurier. injure est donc ce par quoi s'exprime la dissymétrie entre les individus, entre ceux qui sont légitimes et ceux ‘qui ne le sont pas, et qui sont, par IA méme, vulnérables. Mais cela signifie que I'injure est également beaticoup plus que cela. Elle a éga- Jement la force d'un pouvoir constituant. Car la personnalité, l'identi- ‘6 personnelle, le plus intime de la conscience est fabriqué par I'exis- tence méme de cette hiérarchie et par la place que I'on y occupe, et donc par le regard de l'autre, le «dominant», et la faculté qu'il a de m'inférioriser en m'insultant, en me faisant savoir qu'il peut m'insul- ‘er, que je suis une personne insultable, et insultable a l'infini. Ainsi, je suis produit comme ce que je suis dans mon étre méme par ces mots de stigmatisation que l'autre peut m'adresser, me lancer & tout moment, en toutes circonstances, et méme quand je m'y attends le moins. Etplus encore : ce sont des mots dont je peux redouter le choc, la violence, sans qu'ils aient besoin d’étre prononcés, puisque je sais qu'ls peuvent l'étre, et que leur menace est toujours présente. Ainsi injure exerce ees effete méme quand elle n'ect pas proférée, comme dans le cas de ce professeur de collége interviewé par Régis Gallerand dans son étude sur les adhérents de l'association David et Jonathan, qui redoute chaque matin en entrant dans sa classe de voir éerites au tableau noir les deux lettres PD. L'injure, réelle ou potentielle, l'exis C e que T'injure me dit, c'est que je suis quelou'un d'anormal ou ‘COMMENT LA DEFINIR / COMMENT LA COMBATTRE tence de injure & Phorizon de ma vie définit mon rapport an monde et aux autres. Elle est ce qui institue la domination, et ce qui constitue les subjectivités assujetties. Sil'injure est investie d'une telle puissance, ce n'est pas seu- lement parce que je I'ai entendue, et que désormais je redoute de I'en- tendre & nouveau, c'est d'abord et avant tout parce qu'elle m’a précé- 46, Tout individu, lorsqu'il arrive an monde, arrive dans un monde of Je langage I'a précédé. Or ce monde dans lequel il arrive est un monde dans lequel existent des hiérarchies sociales, culturelles et raciales, et le langage contient d'innombrables mots qui marquent ces hiérar- chies, instaurent les frontires et assignent les places. Le langage est 1 avant les individus et il les attend pour pouvoir les insulter. Ainsi, puisque la conscience, la subjectivité des individus est fagonnée par Yapprentissage du langage, elle l'est en méme temps par les valeurs exclusion dont ce langage est le porteur et l'instaurateur (comme le rappelait Pierre Bourdieu lors du colloque de Beaubourg, en juin 1097, le grec catégorein, d’o vient notre mot "catégories", veut dire ‘accuser publiquements, Btre injurié, c'est étre rangé dans une caté- gorie, et une catégorie considérée comme inférieure). Ds lors que je découvre que telle ou telle injure que j'ai apprise en apprenant le langage s'adresse & moi, que c'est de moi quelle parle, ces mots de stigmatisation font entrer en moi le senti- tment de la honte, de la peur, de V'infériorité sociale qu'elle m'attribue et qui devient la définition méme de ma personnalité. L'injure est une partie fondamentale de l'identité personnelle des gays et des lesbien- nies, méme et peut-étre surtout lorsqu'ls s‘efforcent de laisser dans Tombre cette définition d’ewx-mémes qui leur vient d'autrui, d'en , sterroristess, sstaliniense, etc, (et vous connaissez tous le vocabulaire de l'indigna- tion utilisé par tous ces bien-pensants quand on énonce la vérité de leurs discours, 4 savoir qu'ils prénent la discrimination). La critique radicale du discours homophobe me semble donc relever de 'urgence. C'est cette bataille & I'itérienr du langage et des discours qu'il nous faut mener aujourd'hui, et ilne servirait rien, et il serait méme contre-productif & long terme, je crois, de vouloir euphémiser cette critique en invoquant des raisons d'efficacité straté- sique, dans le but de ne pas choquer ceux qui partagent le bon sens hhomophobe auxquels font appel implicitement ou explicitement les discours de la discrimination, ou encore en vertu de I'llusion qu'il serait possible de dialoguer avec les tenants de I'idéclogie homopho- be, alors méme quill est bien évident qu'ils sont en position de force discursive puisqu'ils sont en situation de force sociale et qu'ls savent bien qu'ils peuvent compter sur I'assentiment tacite du plus grand nombre, qui sera toujours en adéquation spontanée avec eux avant sméme qu'ils n'aient parlé. On ne gagnera donc rien & vouloir atténuer, pour des raisons tactiques, la radicalité de la critique en baptisant shétérocentristes» tous ces discours dont une bréve analyse historique et théorique suffi & montrer qu'ls reproduisent presque a I'identique la stricture, la rhétorique et la violence culturelle des discours homo- a1 COMMENT LA DEFINIR / COMMENT LA COMBATTRE phobes de la fin du sidcle dernier ou des années vingt et trente. Crest pourquoi la question qui est posée aujourd'hui de la pénalisation de l'injure est loin d’étre une question simple : car com- bien de discours juridiques, psychanalytiques, psychiatriques, sociolo- sgiques ou pseudo-sociologiques, politiques, etc. sont de l'ordre de 1' jure, en ce sens qu'ils font exister la. réalité sociale d'infériorisation que l'injure; la diffamation, le langage de la haine, viennent, en accord avec eux, inscrire dans la vie quotidienne des individus ? L'injure me ditla méme chose que ce que le droit me dit, ou ce que me disent tous Jes discours de ces faux savants et de ces fausses savantes : anormal ‘wes, anormal tu resteras», sinférieur tu es, inférieur tu dois rester». Aussi, il ne servirait pas & grand-chose de vouloir pénaliser l'injure hhomophobe (esale pédé», «sale gouines), ou les propos qui seront considérés par tous comme des incitations a la haine (comme ceux de ce député qui demandait qu’on signe le Pacs au service vétérinaire de la préfecture, ou ceux de ce sénateur qui proposait que l'on rebaptise le Pacs spratique de contamination sidaiques) si l'on n'entreprenait pas de sinterroger, en méme temps, sur la nécessaire pénalisation des incitations a la discrimination et des légitimations de la discrimination gja inscrite dans le droit et dans cet ordre, qu’on le considére comme ‘snaturele ou «symiboliquer (autre maniére de dire enaturel), mais qui pour les gays et les lesbiennes est celui de oppression dont ils sont victimes. Mais se poserait alors la question : comment pénaliser l'or- dre social tout entier. Comment pénaliser le discours de ceux qui refu- sent l'égalité des droits, dans la mesure oi c'est I'inégalité quivest aujourd'hui la norme, la loi, et pour certain le bon sens, ce bon sens homophobe qui est, comme chacun sait, la chose du monde la mieux partagée. Je ne voudrais pas avoir 'air de me désolidariser de la reven- ication autour de laquelle nous sommes réunis aujourd'hui, mais je voudrais simplement souligner qu'il risque de n'étre pas facile de cri- minaliser le bon sens. Dike et et eet de par Reflxiossula question gay ‘hes Fayed 12. LA LIGNE AZUR RENE-PAUL LERATON a Ligne AZUR est un espace de parole téléphonique qui souhai- te apporter une aide, une écoute, un soutien aux jeunes en diffi- culté avec leur orientation ow leur identité sexuelle. Tl est bien évident que l'homophobie est souvent présente dans les entretiens ‘que nous avons avec les appelants de la ligne. On peut, & partir des appels, déterminer trois situations d'homophobie. Ily a d'abord celle qu'on pourrait qualifier de «classique» et que nos collégues de SOS Homophobie entendent réguliérement: les témoignages ¢'insultes, humiliation, de mauvais traitements dont sont victimes de jeunes gays idefitifiés comme tels. Un exemple trés représentatif : un jeune gargon éléve d'un lycée professionnel d'une ville moyenne en Normandie. Il est réguliérement insulté, bousculé, pincé par «ses camaradess, et ceci parfois en présence d'enseignants qui apparem- ‘ment, ne réagissent pas. Pour échapper a cette vie infernale pour lui il s'installe dans une stratégie 'échec soolaire car ses parents l'ont ‘menacé de le retirer du lycée s'il ne passait pas en classe supérieu- re, Deuxitme situation : la peur de l'homophobie qui entrainerait un rejet de la famille en cas de scoming outs. Une trés grande proportion des demandes sur la ligne est en rapport avec le besoin de parler de son homosexualité un proche et bien stir, en priorité aux parents. L’homophobie traditionnelle ou parfois plus agressive du milieu fami- lial, qu'elle soit réelle ou grossie par un appelant fragilisé, est un frein a ce désir de parler, d'étre clair avec son entourage et de pou- a COMMENT LA OEFINIR / COMMENT LA COMBATTRE voir trouver auprés de Ini appui et soutien. Cette impossibi voie le jeune au silence et & la solitude, a cette impression sd'tre le seul comme gar, source de beaucoup d’états dépressifs et de condui- tes suicidaires chez les jeunes gays et lesbiennes. Dernier cas de figure, et peut-étre le plus grave, ce qu'on pourrait appeler I"homo- phobie intétiotisée. Beaucoup d'appelants semblent avoir totalement accepté ne vision négative et dévalorisée d'eux-mémes correspon: ant a l'image la plus dégradante du discours et des représentations hhomophobes. Ils ne s'estiment pas «des hommes» et trouvent que leurs sentiments et leurs désirs ne sont pas «normauxe. Certains nous demandent comment se soigner de cela. D'autres acceptent les insultes de leurs partenaires sexuels de passage qui, eux, ene sont pas des pédés. Ce manque d'estime de soi-méme est & la source de ‘pas mal de prises de risques de contamination. On se trouve lA dans ce qui a été le point de départ de la mise en place de la ligne Azur Comment peut-on protéger un individu —soi-méme— pour qui on n'a que du mépris ? Quelqu'un qui vit mal sa sexualité est: apte a s'ap- pliquer la prévention nécessaire? On voit bien A travers ces trois situations combien I'homo- phobie est a la source de difficultés et de comportements préjudicia- bles pour beaucoup de jeunes gays et lesbiennes. Certes, il ne faut pas généraliser. Celles et cewx qui appellent notre ligne vont mal et il/serait abusif, et cela rejoindrait une vision homophobe des choses, den tirer la conclusion que la différence affective et sexnelle et le bien-étre sont deux choses antagonistes. Pourtant toutes ces situa tions évoquées sur notre ligne montrent bien l'urgence qu'il y a dénoncer I'homophobie et & la prévenir auprés des plus jeunes. René pul Lerten at rena de Line Ast Sia ff Sere. 0 8012030 40 LE CENTRE GAl & LESBIEN NATHALIE MILLET € ressens 'homophobie quotidiennement, comme bon noitbre entre nous. Elle est au miewx complaisante, au pire violente et humiliante. En 1998, jai ressenti tne homophobie collective qui m’a heurté de plein fouet. Peut-étre ma position de militante au Centre gai & lesbien a exacerbé ma capacité de reconnaissance de ce racisme homophobe primaire qui n'a aucune raison de se cacher pits ‘ul est permis, parfois de -bon ton», et qui suscite en plus un cer- tain électorat. Aujourd’hui, n'importe qui peut avoir des propos insul- tants envers les homosexuels, largement entendus et relayés, par les, ‘médias notamment, sans que personne ne s'insurge, ni méme ne relé- ve. D'une part, le mépris verbal est une attaque personnelle perver- ‘se qui nous inflige, a chague fois, le poids de l'exclusion, de la dis- crimination et de Vhumiliation. D'autre part, ce mépris 1égitime le passage & ’acte, l'agression homophobe ou l'autodestruction. Qui n'a pas entendu des agresseurs se justifiant facilement par des «ce n'est, QU'Un pédé 's, En effet, en agressant les homosexuels on a au pire des circonstances atténuantes (les pédés et les goutines provoquent les agressions, c'est bien connu), et au mieux les félicitations pour avoir agi on bon citoyen. Je nc parle évidemment pas de jugcments pénautx mais de jugements populaires. Comment pourrais-je parler de recours en justice alors que rien aujourd’hui ne permet de dénoncer 4des propos ot des agressions a caractére homophobe, collectivement, en tant que telles. Tout aussi terribles sont les témoignages dés- a8 COMMENT LA DEFINIR / COMMENT LA COMBATTRE espérés de jeunes et de moins jeunes homos, conditionnés a I’hét sexualité, qui ont des comportements autodestructeurs et qui évo- quent le rejet pur et simple de leurs émotions, leurs sentiments et leurs attirances sexuelles pour ime personne de leur sexe. Ca com- ence &"école parle wsale pédé ou -enculé», souvent prononcé sans méme en connaitre la signification. Ca continue avec les allusions sur la prétendue faiblesse des gais ou la prétendue brutalité des lesbien- nes : «tu cours comme un pédé, xc’est un mec cette nana». On pour- rait poursuivre & Vinfini avec ces exemples, I'école et les bandes de copains bien sir, mais aussi la famille et la maison, qui est ainsi dis- sociée d’un éventuel endroit de ressourcement, le travail et tout le poids de ces interdits, la télévision et ses images au mieux négatives (bien qu’en nette amélioration), en fait, chaque lieu est concerné et personne n'y échappe. Une des conséquences de cette homophobie ordinaire, résulte de la digestion de toutes ces discriminations comme des informations, que Yon a du mal a détruire, a démonter ou analyser objectivement. exemple le plus flagrant, trés présent dans les témoignages récoltés au Centre gai & lesbien, c'est le rejet pur et simple de son propre désir d’enfants au moment méme ot 'on s'identifie comme homosexuel : Je suis pédé, je suis gouine, je n'au- rais jamais d’enfant!» L'auto-censure est évidente aussi dans le par- cours de la communauté homosexuelle sur la reconnaissance du cou- ple, l'accés au mariage, dans un premier temps, trés peu revendiqué, mais aussi la stratégie, la maniére d'aborder les projets de lois ou argumentation les justifiant. Nous devons aujourd'hui justifier une loi contre "homophobic, justifier un processus juridique, justifier 1a discrimination positive. En attendant une étude francaise sur le sujet, nous pouvons citer les recherches nord américaines qui démontrent ‘que 30% des jeunes qui attentent a leur vie ne peuvent affronter la découverte d'un désir différent et incompris. Rien ne justifie mieux action que nous menons que ce chiffre qui doit résonner dans nos esprits & chaque barriére que nous franchirons, car nous les franchi- rons, tontes ! Nottie Mi et serie tance ident Conte uit esbin de Paris, ‘ve Kelle 75011 Pass 143572197 16. SOS HOMOPHOBIE CHRISTINE LE DOARE des définitions et chercher les meilleurs moyens de la com- battre. Beaucoup d’associations homosexuelles ont pour objet, direct ou indirect, de lutter contre I'homophobie. C’est évi demment le cas de SOS Homophobie qui a essentiellement pour objectifs : - de promouvoir toute action susceptible de favoriser la Tutte contre tonte forme d’homophobie - et de contribuer a la recon- naissance des droits fondamentaux de la personne homosexuelle, Plus spécifiquement, depuis le 11 avril 1994 (5 ans et 2 mois) nous nous efforgons de mieux cemer I'homophobie pour mieux la com- dattre. Notre action s'articule autour de plusieurs axes, la tache essentielle étant de mettre sur pied un observatoire de l"homopho- bie en France et de publier un rapport annuel. Constituer in obs- ervatoire de I'homophobie implique d’animer une ligne d'écoute anonyme, qui se doit d’étre a la fois un lieu d'accueil de la parole, de soutien et d'informations destiné a sortir les appelants de leur isolement et leur donner les moyens d'agir, mais également une base de données, indispensable & l'établissement du rapport anmiel qui recense et analyse la nature et la fréquence des faits. actes, mesures, propos et comportements homophobes rapportés sur la ligne et repérés dans les médias. Nous avons au cours des années proposé plusieurs définitions de I"homophobie : pour rést- mer, nous affirmons que I'homosexualité comme orientation N ‘ous sommes donc ici pour parler de 'homophobie, proposer at COMMENT LA DEFINIR / COMMENT LA COMBATTRE sexuelle ou comme pratique sociale, reléve de l'évidence et ne doit pas donner lieu 4 quelque forme de rejet que ce soit. homophobie est donc pour nous une entrave au libre choix de mode de vie et de sexualité des individus. Pour rappel, le mot homophobie est un néologisme apparu dans les années 70 (homo abréviation de homo- sexuel } et phobie ( radical phobos = crainte). Il décrit des mani- festations de rejet a I'encontre de personnes ou de pratiques homo- sexuelles. A I'éooute des appelants, nous avons relevé une homo- phobie “habituelle” ou commune = il s'agit alors de moqueries, sar- casmes, persiflages ou non-dits vécus au quotidien, mais aussi et trop souvent une homophobie aigué voire meurtriére : avec son cor- ‘tages d'injures, de tentatives d'intimidation, de chantage, de coups et blessures, de viols et de meurtres. Toutes ces formes de violen- ce sont des expressions d'une homophobie larvée dont sont impré- ‘gnées nos cultures et nos valeurs. Homophobie cautionnée par des systémes sociaux, culturels et juridiques, figés sur la rigide répar- tition des réles sexuels attribués aux hommes et aux femmes, L'homophobie, c'est toujours la négation de la personne humaine et de sa différence. Je vous invite & consulter le Rapport Annuel 1999, vous y trouverez des données chiffrées, classées et analysées. Lassociation ne se limite pas a l'animation de cet observatoire, parallélement, elle s'attache a interpeller et éduquer, le public, les institutions et les pouvoirs publics; a faire preuve de vigilance et Glaborer des revendications. Depuis quelques temps déja. nous nous interrogeons sur les meilleurs moyens de faire reculer I'ho- mophobie et de parvenir enfin a faire de 'homosexualité tne véri- table alternative a 'hétérosenualité. Il nous arrive d’étre démunis face A des appelants qui subissent des discriminations ou des vio- ences contre lesquelles ils ne peuvent efficacement se défencre. Dans ces cas-la, les écouter, les soutenir, les conseiller, les réorienter ; puis, consigner ces faits et les dénoncer, est insuffi- sant, Les moyens d’actions que nous leur conseillons sont ineffi- caces car les dispositifs juridiques existants sont trop limités ou leur application difficile. Le nouveau code pénal comme le code du travail (article 122.45) prévoient que ne penvent s’opérer des dis- tinctions & raison des moeurs, I'usage méme du mot moeurs est a cHomaPHOsIE contestable, il n'encourage pas les homosexuels a s'en prévaloir, il renvoie attx notions de bonnes ou mauvaises moeurs. Mais surtout, les textes ne sanctionnent que le préjudice économique (le refus de fournir un bien ou un service, le refus d’embaucher, le fait de sanc- tionner ou de licencier quelqu'n). En aucun cas les provocations 4 la haine, les injures et diffamations publiques homophobes ne rentrent dans le périmétre couvert par la loi. En outre, ces lois, sont difficiles appliquer En ce qui concerne le droit du travail par exemple, il est trés dur de prouver que l'origine de la discrimi- nation est homophobe : 'employeur utilise toujours d'autres motifs et le ot la salarié/e homosexuel/le rencontre des difficultés pour obtenir les témoignages de ses collegues, inquiets d’étre eux- mémes soupconnés dhomosexualité. Les lois sur la presse proté- gent des injures et de la diffamation envers des personnes nom. mément désignées (mais pas envers un groupe de personnes), et lorsqu’elles sont homophobes, elles sont traitées comme des inju- res de droit commun, réprimées par des contraventions de la pre mitre classe, alors que les injures raciales font l'objet de contra- ventions de la quatriéme classe. Crest pourquoi, nous demandons, depuis quelques temps 46a, la condamnation par la loi de la haine homophobe. Plus fon- damentalement, nous pensons qu'il est temps d'exiger des pou- voirs publics qu’ils déclarent l'orientation sexuelle : liberté fonda- mentale. Nous pensons qu’avec les débats sur le statut du couple homosexuel, la lutte contre I'homophobie a franchi une étape et que c'est avec des problématiques et revendications de cette ampleur que les associations homosexuelles —qui devraient étre relayées par les associations de défense des droits de la personne ‘hnmaine— peuvent parvenir efficacement a lutter contre les iné lités de statut juridique entre hétérosexuels et homosexnels. Dans Je passé, les homosexuels ont été persécutés, ils demeurent fragi- 1isés par un vide juridique qui leur est encore aujourd’bui préjudi- ciable et qui pourrait les mettre de nouveau en danger demain, Les pouvoirs publics doivent prendre leur responsabilité, recomnaitre que orientation sexuelle est une liberté fondamenta- le et organiser la protection des personnes homosexuelles de facon pérenne a Vinstar d'autres minorités. Il serait légitime qu’ils le 1. fassent en adoptant des discriminations positives ainsi qu’ils le font pour d'autres catégories de population (les jeunes, les fem- mes... } La question essentielle sur laquelle la commission juri dique de notre association va travailler dorénavant c'est : Pent-on, et si oui comment, inscrire dans la loi orientation sexuelle comme liberté fondamentale ? Oi en est-on dans le reste de l'Europe ? Peut-on envisager une harmonisation européenne des droits de la personne et du couple homosexuels ? Christine Le Dar ext Prise de 3 Homophabie 01 48 064241. REFLEXIONS SUR LES MOYENS DE COMBATTRE UHOMOPHOBIE LE «OUTING» DE L’HOMOPHOBIE EST-IL DE BONNE POLITIQUE ? Définition et dénonciation ERIC FASSIN jomment définir Thomophobie ? La question en appelle aussitot ime autre : comment la combattre ? C'est qu’en effet la défini- sion est indissociable de la dénonciation, Autrement dit, Yenjeu théorique de la réflexion sur lhomophobie est inséparablement un eenjen politique. Nous pouvons done partir de I'idée qu'une bonne défi- nition ne sera pas (seulement) théoriquement fondée, mais (aussi, voire surtout) poitiquement efficace : la encore, les enjeux de savoir et de pouvoir se rencontrent. La lucidité s'impose d’autant plus quand on est par ailleurs amené & dénoncer les abus de pouvoir dn savoir. C'est ainsi qu'on a vu, dans les débats récents, combien la définition de la famille, loin d’@tre un préalable A des choix politiques, engageait dé, a prior, toute une politique de la famille. Définir, n'estce pas tracer un cercle pour déterminer ce qui compte on pas, qui doit tre pris en compte ou non ? Bref, cest un acte de pouvoir & vocation normative. On le vot tout particuligrement lorsque la défiition passe du registre scientifique au registre juridique — du descriptif au prescriptif : avec la loi, on <éfnit non seulement ce qui est, mais ce qui doit étre. Ayons présente a esprit cette mise en garde, au moment de COMMENT LA DEFINIR / COMMENT LA COMBATTRE réfléchir & une définition de 'homophobie qu’une loi pourrait prend- re en compte : expertise devient dangereuse lorsqu'avec la défini- tion, réputée objective, elle fait passer le choix politique pour une nécessité scientifique. Il n’est pas possible aujourd'hui de définir Vhomophobie de maniére politiquement neutre, pour ensuite sinter- roger sur le traitement juridique approprié qui permettrait de la com- battre : définir 'homophobie est d’embiée un geste proprement pol tique. C’est donc en termes politiques autant que théoriques qu'il faut penser la définition. Sill est particulizrement difficile d’en proposer ume défini- tion poltiquement efficace, c'est que lhhomophobie ne s'avoue jamais comme telle dans le débat public en France : qui aujourd'hni, député ‘ou évéque, juriste ou psychanalyste, sociologue ou anthropologue, se ira homophobe ? Nul n’ose plus défendre Phomophobie ; mil n’ose plus s’en réclamer, A l’évidence, I’homophobie n'a pas disparu pour autant; elle est simplement devenue illégitime. Au moment méme coi Phomosexualité ose enfin dire son nom, 'homophobie se trouve condamnée a la discrétion —on dirait presque : au placard. Les récentes controverses autour du PaCS en ont donne la pretve : dans le débat, dire d'un argument qu’il était homophobe a entrainé des réactions virulente— comparables seulement, dans leur vivacité, aux réactions suscitées par la menace de «outingy brandie par Act- Up Paris. Tout se passe comme s'il état également choquant de se voir taxer d’homophobie ou d'homosexualité : dans le premier cas, parve que l'accusation serait fausse, dans le second, parce que I'im- putation serait vraie. Il faut prendre au sérieux cette indignation ‘pour en comprendre les ressorts —méme si l'on peut s'étonner que Jes stigmates, homophobe et homosexuel, jouent ainsi dans le débat (mais non bien stir dans la réalité...) des réles symétriques. Crest du cété des définitions implicites de Yhomophobie qu’on peut chercher Vexplication de telles passions. L'usage actuel ‘ésite en effet entre deux définitions fort différentes. La premiére 2 eHOMOPHOBIE centend la phobie dans I'homophobie : il s'agit du rejet des homo- semuels, et de homosexualité. Nous sommes dans le registre,indi- viduel, d’une psychologie. La seconde voit dans I'homophobie un hétérosexisme : il s'agit cette fois de l'inégalité des sexualités. La ‘igrarchie entre hétérosexualité et homosexualité renvoie donc phu- tét au registre, collect, de Vidéologie. Pour mieux saisir le contraste, on peut proposer deux paral- [Bles. Premiérement, la comparaison avec la question des femmes montre qu’on pent distinguer denx mots: d'une part, la misogynie— rejet des femmes tout comme 'homophobie, selon la premiére défi- nition, peut étre rejet des homosexuels; d'autre part le sexisme— qui suppose l'inégalité des sexes, tout comme I'homophobie, dans sa douxiéme acception, signitie Vinégalité des sexualtés. exemple de la psychologie misogyne et de l'idéologie sexiste sugyére ainsi qu'on pourrait séparer entigrement les deux définitions: aprés tout, le sexisme n'empéche pas d’aimer les femmes. De la méme maniére, TTaffection pour les homosexuels ne conduit pas toujours, en France ayjourd’hni, & revendiquer I'6galité des sexualités. Un deuxitme paralléle esquisse une logique toute différen- te. Si nous passons de la politique des sexualités a la politique des sraces», nous superposons volontiers, au lien de les distinguer, deux acceptions du racisme, I'me psychologique, l'autre idéologique. Ne pas aimer les Noirs ou les Arabes, ou revendiquer l'inégalité des races, ce sont pour nous deux manieres différentes de dire la méme chose — l'une brutale et franche, l'autre euphémisée mais hypoct: te, Sagissant d'homophobie, on peut étre tenté, de la méme mani re, dinférer de l'déologie inégalitaire une phobie psychologique qui refuserat de s’avouer. ‘Nous sommes donc confrontés, non seulement & deux défi- nitions de homophobie, mais aussi A deux stratégies possibles pour tune politique égalitaire des semualités — la premiére, calquée sur la as COMMENT LA DEFINIR / COMMENT LA COMBATTRE politique des sexes, conduit a distinguer les deux définitions, quitte A choisir deux mots distincts; la seconde, calquée sur la politique des races, améne A les confondre en un seul mot. Comment choisir entre ces deux stratégies, c'est-i-dire comment articuler les deux défini- tions, psychologique et idéologique, dans le cas de 'homophobie ? Pareille ambiguité me semble éclairer actualité. Dans les débats récents, l'accusation d’homophobie s‘appuie sur la deuxime <éfinition (inégalité); mais en retour, la disculpation se fonde sur la premiére (la phobie). C'est un argument qui est attaqué, au nom de 'égalité des sexualités; mais la contre-attaque est une défense de la personne, qui se dit soupgomée & tort d'aversion homophobe — ‘comme si la dénonciation idéologique et a mise en cause psycholo- sgique ne faisaient qu'un. Ce «malentendu» antorise donc a se just- fier de hiérarchiser les sexualités en plaidant que, personnellement, on aime beancoup les homoseauels, C'est dilleurs la méme ambi- auité, entre idéologie et psychologie, qui permet, poltiquement, de répondre & une demande de reconnaissance en tenant le langage de la compassion, de la tolérance, voire de Yaffection. On e voit, le malentendu est efficace — du point de vue non pas de ceux qui veulent dénoncer lhomophobie, mais de ceux que vise ce discours antichomophobe. Cette efficacité, il ne faut pas en chercher l'explication dans la seule logique des rhétoriques : pour tre efficace, la riposte an discours ant-homophobe dait s'appuyer sur des sentiments partagés, sur une opinion commune, sur un bon. sens étahli. Bref, ce n'est pas dans le discours Ini-méme, mais dans sa réception quil fant chercher les clés de son efficacité, ou de son ‘manque d'efficacité — dans l'accord, ou le désaccord, entre sa rhé- torique et son public. En ce qui conceme 'homophobie, on peut dire quill y a anjourd‘hui en France oe qu'on peut décrire comme un «grand écart> dans l'opinion, qui ressort mieux sans doute par contraste avec les 26 cHoMOPHOBIE ‘Btats-Unis. Outre-Atlantique, Thomophobie de certains, virulente et déclarée, a pour contrepartie, dans d'autres catégories de la popula- tion, plus qu'une tolérance, une veritable reconnaissance de I'homo- semualité. Cest ainsi que les slibéranx» (au sens américain, de gau- che) qui rejettent I'homophobie selon sa premiére définition (psycho- logique), récusent @ordinaire d’un méme mouvement homophobie dans sa deuxiéme acception (idéologique) : si l'on n'est pas homo- phobe, pourquoi interdire aux homosexnels de se matier, ou d'avoir des enfants, au méme titre que les hétérosexuels ? A inverse, il est fort possible qu’en France la tolérance soit plus répandue — ow peut-étre homophobie estelle trop hon- teuse pour se faire entendre publiquement. Cette attitude »éclairée> caractérise en particulier, pardela les seules élites, des couches plus étendues qu’on pourrait caractériser sociologiquement (par des diplémes et des revenus assez élevés) ou bien idéologiquement (progressistes de gauche et modemisateurs de droite). Ces caté gories sociales sont les seules qui se fassent entendre dans le

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