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LE DUALISME PLATONISANT AU DEBUT DU XVII e SIECLE ET LA REVOLUTION

CARTESIENNE
Author(s): Geneviève Rodis-Lewis
Source: Rivista di Storia della Filosofia (1984-) , 1988, Vol. 43, No. 4 (1988), pp. 677-696
Published by: FrancoAngeli srl

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44025221

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LE DUALISME PLATONISANT
AU DEBUT DU XVIIe SIECLE
ET LA REVOLUTION CARTESIENNE

di Geneviève Rodis-Lewis

SUMMARY. In 1950 I attributed those innatistic elements studied by


Gilson in the first half of C17 to a «platonistic tendency». But in them
human knowledge remains generally conditioned by the Aristotelian
saying : everything comes by way of the senses. The two streams unite
to acknouledge the vital function of the soul. The Cartesian break upon
this point introduces a gnoseological and ontological distinction in what
had often remained vague. The animal-angel juxtaposition is frequent.
Bérulle takes up Pico della Mirandola' s microcosm man. Many authors
mention the body in terms of «prison». The P. Richeome employs quite
a number of formulas which must have struck Descartes. His friend
Silhon discusses both streams, without coming to an explanation of how
the soul reaches intellectual knowledge. Descartes maintains its intuitive
quality , without bodily support : mind can think without a body , even
if their union is a primary fact. And death does not occur because of
the absence of the soul, but because the bodily conditions of the union
are no longer working. Both animal and man have a vital «instici»
which is the consequence of a mechanical adaptation. But matter decays:
only man , by means of his knowledge, rules over its laws, «cares for»
the animal, and defends himself against the excesses of passions and
the diseases of the body.

Pascal déclare: «L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut


que qui veut faire l'ange fait la bête» (Br. n. 358). Opposé au Dieu
des philosophes, trouvant que tout composer par figure et mouvement
est «inutile et incertain» (n. 78-79), Pascal viserait-il alors Descartes
et son dualisme métaphysique, qu'un autre adversaire, Jacques Ma-
ritain, traite d'«angélisme»1. Mais, avec plusieurs de ses amis de Port-
Royal, Pascal admet la thèse qui caractérise la révolution cartésienne,

1. J. Maritain, Le songe de Descartes, 1931, p. 275: «un ange habitant une


machine et la dirigeant par le moyen de la glande pinéale».

Rivista di storia della' filosofia n. 4, 1988

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en instaurant une coupure


machine, certes bien plus
constituant les automate
scartes avouait, à la fin
que les chercheurs avaien
les inventer, il faut toujo
matérielles. «Toute la gr
sée», reconnaît Pascal (n.
gueil du philosophe, qui ne
me, est-il visé en celui qu
un thème très courant à l
schvicg, donne en note au
chapitre des Essais de Mo
critique «cette inhumaine
de la culture du corps (.
au lieu de se transformer
mise en garde est pratiqu
privilège d'un esprit resta
vénients pour elle de ce c
de «s'allier à lui» (1 .II, c.
et, comme dit le proverbe
En 1950, dans notre thès
tésianisme nous affirmio
nisme», à partir des tenda
terme convient mal à Cha
s'opposant à la thèse selon
n'ait d'abord passé par les

2. Essais, 1 .III, c. 13: Brunsc


pitre «De l'expérience» (qui a
menta» du Cahier de jeunesse
P.U.F., 1924; rééd. 1965, la Ie
p. 1113. Dans Descartes et Pas
rapproche cette autre citation du même chapitre (Villey p. 1069): «Je sais
mieux ce que c'est que l'homme que je ne sais que c'est animal, ou mortel, ou
raisonnable», et le dialogue de Descartes La Recherche de la Vérité..., contre
la définition scolastique «que l'homme est un animal raisonnable», d'où naissent
des questions: «qu'est-ce qu'animal», «qu'est-ce que raisonnable» (éd. Adam-
Tannery, AT, X, 515-516. Y ajouter la Méditation 2, AT, IX, 20).
3. Table analytique des matières, Introduction, § 4, p. 297, nommant pour
«la saisie de la spiritualité» Bérulle, Mersenne, Charron, Richeome, Du Pont.
Silhon (soit les p. 18-22).
4. Etudes sur le rôle de la philosophie médiévale dans la formation du sy-
stème cartésien, 1930, chap. I, nombreuses citations sur l'innéité, notamment
chez Mersenne (p. 40-46) développant longuement l'innéité de l'idée de Dieu.

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Le dualisme platonisant et la révolution cartésienne 679

il veut monter de «la connaissance de soi (...) à la connaissance de


Dieu» ( Sagesse , début). Alors que les scolastiques continuent d'écrire
en latin, ce courant dualiste est fréquent dans des ouvrages de vul-
garisation en français, sans former une école «platonicienne», et le
terme «platonisant», que nous préférons à présent, est à prendre en
un sens très général. Nous tenterons ainsi de préciser l'originalité de
Descartes, et peut-être sa reaction contre les ambiguïtés d'un éclectis-
me assez vague comme celui de son ami Silhon.
Le plus proche de Platon est Bérulle (qui a discuté avec Descartes,
mads précisément pour l'inciter à cette entreprise métaphysique, qu'il
avait jusqu'alors retardée5). Plus théologien que proprement philoso-
phe, dans le fragment sur la création de l'homme, après saint Augu-
stin, et, ici, surtout Pico de la Mirandola (comme l'a montré Jean Da-
gens6), il l'incite à s'unir à Dieu qui l'a fait libre. L'homme est «un
excellent composé» de «deux natures»; mais on y distingue quatre
fonctions: il «a existence comme les éléments; vie comme les plantes,
sentiment comme les animaux, et intelligence comme les anges». A
la matière première du corps s'ajoutent ainsi les trois fonctions tra-
ditionnelles de l'âme végétative, sensitive et raisonnable. Et Bérulle
conclut: «C'est un ange, c'est un animal, c'est un néant environné
de Dieu, (...), capable de Dieu, et rempli de Dieu, s'il veut». Pico
avait dit que toutes les créatures sont caractérisées, spécifiées par des
lois naturelles. Seul l'homme a le choix. Et voici la suite7: Selon sa
libre orientation, l'homme «se sensibili, sarà bruto, se razionali di-
ventirà animale celeste, se intellettuali sarà angelo e figlio di Dio».
L'alternative, ou la conjonction animal-ange, se nuance ici d'une acti-

5. Lors de la conférence chez le Nonce du Pape (à Villebressieu, 1631; AT,


1, 213), Descartes avait montré son «art de bien raisonner» et renvoyé à la
certitude des «principes» d'une philosophie nouvelle. Mais il en ajournait de-
puis neuf ans rétablissement, ne se jugeant pas assez mûr ( Discours de la
Méthode, = D.M., AT, VI, 22; fin de la 2e partie). La fin de la 3e partie
évoque les pressions amicales pour l'engager «à chercher les fondaments» d'une
«philosophie plus certaine que la vulgaire» (VI, 30). La rencontre avec Bérulle
dut être décisive; et Descartes put lui parier de trouver ces fondaments en Dieu,
comme il annonça ce projet à l'Oratorien Gibieuf (il lui écrit, en juillet 1629,
AT, I, 57, peu avant d'interrompre ce commencement de métaphysique). Mais
Descartes est parti aux Pays-Bas en octobre 1628; Bérulle meurt en 1629; et
il est excessif de penser, comme on le répète, qu'il fut directeur de conscience
de Descartes.
6. Bérulle et les origines de la restauration catholique, 1952, p. 273-275 (et
Pic de la Mirandole et Bérulle, 1950, p. 270-286).
7. Nous citons la traduction italienne qu'E. Garin donne, face au texte
latin (p. 107) du Discours sur la dignité de l'Homme. Il l'appelle dans l'Intro-
duction (p. 23) «il manifesto del Rinascimento».

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vité rationnelle, qui l'exa


inévitable relation au co
Dans ses Diversités , que
Jean-Pierre Camus (qui cr
voudrait, comme à l'Aca
gnées avant la philosoph
ges», et «s'instruit d'une
c. 3; t. VII, p. 368 et 390
peu aux sens» (1. XV, c. 3; t. IV, p. 207). Mais il n'est pas pour
autant platonicien, ni pythagoricien: à plusieurs reprises, il met en
garde contre l'ésotérisme, la métempsychose, ou l'âme du monde.
Malgré la fidélité globale de l'enseignement officiel à Aristote, le XVIIe
siècle se défie des exces du precedent: d'une part l'activité intellec-
tuelle capable d'abstraire du sensible (thème central pour notre pro-
blème) est-elle propre à chaque homme; ou participe-t-dl à l'unique
Intellect agent? (tendance averroïste de l'école de Padoue); d'autre
part le vitalisme de l'âme du monde n'ouvre-t-il pas sur le panthéisme?
(En fait, l'an 1600, célèbre pour le supplice à Rome de Giordano
Brano, est le dernier qui précède le XVIIe: 1601 sq.).
Un des amis fréquentés par Descartes à Paris après son retour d'Ita-
lie, même si son Socrate (qui se veut) chrétien ne fut publié qu'en
1652, Guez de Balzac devait aimer citer les vers d'Horace et de Vir-
gile. Le premier dit que l'âme est une parcelle de Yaura divine Des-
cartes le reprend dans la lettre à Chanut sur l'amour9« L'homme est
une part de l'esprit divin, selon Virgile. Et Balzac commente ces
paroles qui semblent «platoniques». Ce qui marque une réserve, mais
renvoie à Socrate), elles sont également chrétiennes, en tant qu'elles
signifient que l'homme n'est pas «tiré de la matière. «L'homme est
fait d'un dieu et d'une bête qui sont attachées ensemble»10. Il répète
«après Platon , que le corps est la prison de l'âme».
Avant d'en venir a Silhon, également ami de Descartes en ses années
parisiennes, évoquons quelques ouvrages que Descartes pourrait avoir
feuilleté au collège, en ses cures matinales de repos au lit: plus tard, il

8. Le Discours et sa Méthode (Actes du Colloque de Paris-Sorbonne, P.U.F.


1987), p. 187-207; «Descartes et les mathématiques au Collège. Sur une lecture
possible de J.P. Camus»: nous y étudions Camus, p. 191 sq., surtout, au t. III
des Diversités (1610) le chapitre «De l'excellence des mathématiques».
9. A. Chanut, 1er février 1647, AT, XV, 608, citant Horace, Satires, II, 2, 79,
Cf. Socrate chrétien, 1652, p. 189-191, suite de citations sur ce thème.
10. Ibid., p. 194; et p. 196, sur le corps prison; mais il ne faut pas le pren-
dre à lettre, comme Origene, «qui a fait une héresie de cette figure» (de
rhétorique).

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Le dualisme pîatonisant et la révolution cartésienne 681

ne lisait guère; et dès sa jeunesse, il se posait à lui-même de


stions, à partir d'un ouvrage à peine ouvert (Regulae 10; AT
403), et il restait ainsi imprégné de formules issues de texte
nombreux que divers, sans prêter attention aux auteurs, puisqu
vérité est à tous... La philosophie des esprits de René Du Pont (p
en 1602, et réédité jusq'en 1612) traite de Dieu, des anges et des
mons (renvoyant à saint Augustin pour leur création, évoquée
Genèse par la séparation de la lumière et des ténèbres11). E
sorte d'Appendice au livre V (sur les démons) traite «De l'âm
général» (p. 242 sq.): l'homme peut être appelé «animal-ang
244); l'Introduction (p. 2) disait «l'homme demi-animal et d
ange». Il rappelle les divisions de Platon (triple localisation) et d
stote (triple fonction), mais refuse de réduire, avec le second,
à la «forme» complémentaire de la «matière» du corps. Elle est
substance spirituelle, raisonnable, créée de rien par la divin
sance, pour donner vie au corps humain» (p. 271): il reprend ain
formule du «divin Platon» (ibid.) dans le Phédon (105 c-d), «l'âme
est porteuse de vie». Par ce dualisme, à la différence de «corps sujet
à toute corruption», «cette âme très noble et généreuse» aura part aux
«choses divines et célestes dont les notions sont imprimées en son
entendement» (p. 247 & 249 & v°); mais ici-bas elle ne sont con-
nues que par la foi, précisent les premiers livres sur Dieu, et ses
«dons», en la «Sapience» (choses éternelles) distinguées de la «Scien-
ce» (de la nature). «Remarquer et observer l'ordre, le nombre, et les
figures des choses, c'est une action de l'entendement (...) impossible
aux brutes» (p. 249): l'expression reste vague: y a-Ml intellection
pure des figures géométriques et de leur propriétés, ou sont-elles seu-
lement abstraites? Scipion du Pleix en sa Logique12 distingue de la
contemplation angélique la raison discursive de l'homme, qui l'op-
pose aux bêtes brutes. Mais, bien qu'il suive souvent «le Philoso-
phe» en sa Métaphysique, il parle de ses «deux parties» (et non de
forme et matière), et de l'âme considérée «hors de sa prison mor-
telle» (p. 187): un petit ouvrage au long titre ( Abrégé de philosophie
physique, métaphysique , morale et divine , sur la connaissance de Vhom-

1 1 . Cette interprétation augustiņ ien ne est reprise dans 'les Pensées de jeunesse
de Descartes, fragment des «Qlympica», AT, X, 218, sans qu'on puisse assurer
que Desoartes Fait lue dans S. Augustin. Elle se retrouve dans les notes d'une
Bible parue à Douai en 1617.
12. Son Corps de Philosophie paraît en 1602, avec de nombreuses rééditions.
Mais il est rarement complet, et nous n'avons trouvé la «Physique», avec la
«Métaphisyques», que dans une édition de Rome, 1640.

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682 Geneviève Rodis-Lewis

me et de sa fin11). Franço
à éplucher et sonder la nat
lorsqu'il fait l'âme humain
du même rang. Mais Plat
commun avec les choses
elle relève de la métaphy
ministère du corps, ou qu
A son retour à Paris, Des
mortalité de l'âme déclarée
et libertins (1621). Certain
il leur insufflera un sens
théologie et réflexion rat
foi sont par dessus, mais
rejettent la fausse inter
philosophie enseigne la v
la foi à la vraie philosoph
guments et raisons natur
démonstrations mathém
esprit médiocre y peut v
jésuite joint, en une volon
d'Aristote sur l'âme-form
Certaines formules pourr
qui conservera aussi la fo
mer l'«umion» des deux su
à l'égard des deux grand
stitué l'esprit à l'esprit»15
propre organisation, sans
vie de Platon, ou par les
selon Aristote. Richeome cite donc d'abord le De anima : elle est l'acte
premier d'un corps naturel, organisé, ayant la vie en puissance. L'hom-
me tient d'elle vie, sentiment et intelligence» (p. 21). Et parce qu'elle

13. Cité par R. Bady, L'homme et son institution; de Montaigne à Bérulle,


1964, p. 110-111.
14. Descartes doit rentrer à Paris vers 1621. Il avait lu au collège Le pèlerin
de Lorette qui lui suggéra le désir d'y aller en pèlerinage (le 23 septembre
1620: AT, X, 218; date rectifiée d'après la lecture du manuscrit leibnizien par
Foucher de Careil). Mais il ne partit pour l'Italie qu'en 1623: on peut supposer,
sans l'affirmer, qu'il y est alors allé. Il avait pu lire aussi Y Adieu de l'âme dévote
à son corps (1605), dont nous citons les phrases sur le corps prison, et le
«mariage bien ordonné» entre l'âme et le corps, dans L'Oeuvre de Descartes,
1971, note 82, p. 474.
15. Traduction, dans l'édition Clerselier de L'Homme (1664, p. 410) d'une
phrase de la Préface de Schuyl, qui avait publié l'édition latine de 1662.

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Le dualisme platonisant et la révolution cartésienne 683

est «forme (...) substantielle et spirituelle», elle est «ce qui est j
et marié à la matière qui tient lieu de mère, dit Platon, et fais
deux ensemble un composé et un tout» (p. 24-25). La forme app
la specifické (ainsi la taille fait briller le diamant: p. 28-29)
tendement est appelé «esprit comme les anges, mais non comple
me les anges» (p. 27). L'homme, «pour l'âme, porte la semblance
anges dont il est proche», et pour le corps celle des bêtes (p
61...). Par ce «mariage divin de l'esprit et du corps», plus ric
les anges, l'homme fait la «liaison des deux extrêmes de cet un
(p. 56-57), «petit monde ainsi (= mais aussi) grand monde, h
de l'univers, comme rappellent les platoniciens» (p. 58). Ce
du microcosme était développé chez certains Pères de l'Eglis
les quatre fonctions reprises par Pico de la Mirandola et Bérulle:
me a l'être avec les éléments, la vie comme les arbres, le sentim
avec les animaux, et l'entendement avec les esprits célestes
Certes Platon a tort d'identifier dans Y Alcibiade l'homme et son âme:
c'est (reproche opposé par Aristote, et que reprendra Descartes16)
la «faire seulement assister à la façon que le batelier est l'âme du
bateau lui donnant mouvement» (p. .31); mais bientôt on trouve «Pla-
ton excusé» (p. 35); car il «voulait signifier qu'elle est la principale
partie de l'homme, et qu'elle peut subsister séparée du corps, comme
le batelier peut subsister sans le bateau» (p. 35). Cette subsistance,
qui la fait substance, est à la base de l'immortalité, qu'ont reconnue
tous les grands philosophes, sauf Epicure (p. 76-78), remis à l'honneur
par les libertins. «Aristote sévère envers Platon» (p. 70), le critique
d'avoir dit que l'âme est «Harmonie»17. Mais le Timée en fait une
«semblance ayant part à la nature divine» (p. 73). La première raison
est métaphysique: «toute substance spirituelle est incorruptible et im-
mortelle», parce qu'elle ne dépend que de Dieu, qui l'a tirée du néant
par sa toute-puissance (p. 83-84). Et il est frappant que Richeome,
plus loin énonce ce qui conduira Descartes à limiter la démonstration

16. En 1637, Descartes n'a probablement pas encore approfondi l'union de


l'âme et du corps, que développera la sixième Méditation: il y reprendra la
formule (IX, 64) déjà énoncée dans le Discours (5; AT, VI, 59): «il ne suffit
pas qu'elle soit logée dans le corps humain, ainsi qu'un pilote en son navire,
sinon peut-être pour mouvoir ses membres» (la glande pineale fonctionnera
comme un gouvernail); mais «il est besoin qu'elle soit jointe et unie plus étroite-
ment avec lui pour avoir, outre cela des sentiments et des appétits (...) et
ainsi composer un vrai homme».
17. La critique de l'âme harmonie se retrouve dans le manuscrit dit «Carte-
sius», AT, XI, 649, avec déjà l'intégrité de l'âme, malgré l'illusion des amputés:
voir L'Oeuvre de Descartes, p. 110-111.

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684 Geneviève Rodis-Lewis

rationnelle à la spiritualit
sance de Dieu qui nous l'a
ce qu'il a fait, s'il voulai
sent avec raison, aussi n
Dieu a une fois arrêté en
(p. 231). La Bible le con
l'homme», et lui donne
Comme Descartes dans l
pas de franc-arbitre» (p.
talité (p. 89), jouissant i
contraire les arguments p
l'inquiétude même de l'h
leur (p. 89); et sans l 'imm
turelle» (p. 96-97). «La c
pour affectionner, est inf
de savoir» (p. 113-114)
«L'homme doit connaître l
oeuvres admirables» (p.
choses spirituelles: «Le s
de diamètre, l'âme sait q
que la mer est verte, le
l'âme n'en croit rien et s
rence» (p. 154). Et l'âme a
miques (il nomme «Galile
médicaments pour la sant
possession de toute la n
gneur» (p. 187-190) jusqu
se des milliers de volume
a la part belle. «Quant est
c'est une leçon chrétienn
(p. 182): Descartes le redira à Chanuit (6 juin 1647; AT, V, 53).
Mais dans son élan conciliateur et optimiste, Richeome rencontre, com-

18. Méditations ; Abrégé et 2e Réponses; AT, IX, 10 et 120: l'esprit n'est pas
sujet à mourir avec le corps; mais sa conservation ou sa destruction dépen-
dent de Dieu seul: «Et puisqu'il nous a maintenant révélé que cela n'arrivera
pas, il ne nous doit plus rester, touchant cela, aucune doute». Richeome ajoute
«le décret éternel de Dieu, fondement des sciences» (p. 231), expression frappan-
te, mais commentée en fonction des «modèles éternels» de Platon (p. 235).
19. AT, X, 219. C'est probablement la dernier fragment de la sections «Olym-
pica». La thèse est banale. Mais Descartes souligne «actionibus valde perfects»:
la perfection de l'instinct appuiera plus tard la réduction des bêtes à des ma-
chines.

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Le dualisme platonisant et la révolution cartésienne 685

me si cela ne faisait pas problème, les divers degrés d'abstr


dépouillant progressivement les objets de toute matière, jusqu'à
qui est propre et quii les individue et les rend différents des t
autres» (le lion, qui est aussi un universel); puis généralisan
un autre degré de précision», on abstrait jusqu'à l'animal,
vivant, puis l'être (p. 48-49). Or exister, subsister, sont aussi co
par l'ange: est-ce de la même façon, que l'homme, avec l'ang
naît l'Etre premier, «éternel parce qu'immuable, immuable par
est infini en toute perfection, ne pouvant prendre aucun accro
ment, ni recevoir aucun être nouveau» (p. 54)? Il sera capita
Descartes de rompre avec l'affirmation scolastique que rien n'e
l'entendement qui n'ait d'abord passé par les sens: c'est ce qui ju
dans le Discours de la méthode , la priorité donnée, dès le C
à la réelle distinction entre la substance spirituelle et une éven
matière, ce qui doit nous aider aussi à saisir Dieu comme pu
telligence20.
Or Descartes s'était trop vite appuyé sur les idées «distinctes»,
quand il a commencé à élaborer sa métaphysique nouvelle, sur les
deux points que, peu auparavant, son ami Silhon s'était proposé
d'établir: Les deux vérités : de l'existence de Dieu et de l'immortalité
de l'âme 21 . Pour avoir voulu dissiper l'éclectisme aristotélico-plato-
nique, Silhon, qui critique les deux, finit, dit Gilson22, par «accueil-
lir l'un et l'autre». Descartes a-t-il par réaction, approfondi le doute
jusqu'à le ruiner, parce que Silhon condamnait au départ ceux qui
disent «qu'il n'y a science de rien»23. Il rejecte, avec Aristote, la pro-
gression des causes à l'infini, et comme les platoniciens, il part de la
«créance» que l'idée de Dieu est «naturellement en nous»: toute âme
«porte en soi une idée de l'infinie perfection de sa cause» (p. 116).
D'autres expressions ont pu se graver dans la mémoire de Descartes,

20. Voir L'état de la métaphysique cartésienne en Î637, dans Descartes. Il


Discorso sul Metodo e i Saggi..., Atti... di Lecce; à paraître Istituto dell'Enci-
clopedia Italiana, Roma, 1988.
21. Ce petit volume est de 1626, quand Descartes est à Paris, et frequente Silh-
on et Railzac. (En mars 1630, il demandera de leurs nouvelles à Mersenne, AT,
I, 132). On n'a pas trace qu'il ait ensuite lu le gros volumes sur L'immortalité...
(1634), qui reprend les deux points, selon un ordre différent, et développe à la
fin les difficultés à concevoir des «espèces intentionnelles». Il mantient qu'en
cette vie l'âme ne peut penser sans le corps, ce contre quoi Descartes réagit
dans les deux lettres du printemps 1637 et 1648.
22. Etudes..., p. 3640.
23. Titre de l'ouvrage de Sanchez, négation issue du doute de la Nouvelle
Académie, et non de la pure interrogation pyrrhonienne. Les deux courants
sont alors très répandus.

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686 Geneviève Rodis-Lewis

qui les transformera comp


«les anges et les âmes rai
un entendement et une vo
est «fait à l'image et semb
pure et très simple enten
plus -tard: «par une même
tout»24.
Un certain mécanisme est à la mode: le corps est comme une «mon-
tre», et cette «belle symétrie de tant de ressorts, la dépendance si
réglée de tant de roues» appelle «au dehors quelque rare esprit qui
en a fait le dessein, et qui comprend la raison d'un si excellent artifi-
ce» (p. 112). Seul Descartes fera de la comparaison un modèle auto-
nome, libérant l'âme de toute animation vitale. Silhon explique par
«l'instinct» les plus étonnantes actions des animaux (fourmis, etc.),
sans préciser davantage: Descartes le réduira à la programmation de
la machine. Ses longs développements sur l'âme enfermée «en des
corps maladifs (...) et languissants» (p. 154 sq.) se rapprochent de
la «prison» platonicienne; et il reprend la formule: elle est «vrai prin-
cipe de vie» (p. 167). Et tout en la disant «forme», il justifie qu'elle
«doit être créée et tirée de rien», sans être «enclose dans la puissance
de la matière» (p. 166), en énonçant le principe d'équivalence onto-
logique qu'on retrouvera dans les Meditationes25: «un effet, en tant
qu'effet, ne peut avoir aucun degré de perfection que sa cause ne
lui ait influé, et qu'elle ne contienne formellement ou par eminence
et d'une plus noble façon» (p. 155). Mais Platon a «trop voulu af-
franchir l'âme de la société du corps» ( Immortalité , p. 31), en lui
accordant dès cette vie une connaissance purement intellectuelle. Et
c'est bien une telle «intuition», toutefois distincte de la vision beati-
fique, que Descartes voudra plus tard faire admettre à Silhon26. Pour

24. Principes, I, a. 23. C'est un écho de la thèse sur la création par Dieu de
«toutes choses», dont les vérités éternelles, qui «sont quelque chose» et de leur
innéité dans les esprits crées, où entendement et volonté sont distincts. Mais
«c'est en Dieu une même chose d'entendre, de vouloir et de créer» (à Mersenne,
27 mai 1630; AT, I, 152-153): c'est le contraire même de la formule de Silhon.
25. Méditation III, AT, IX, 33. Ce principe de causalité, appliqué à la réa-
lité représentative (ou «objective») de chaque idée n'apparaissait pas dans le
Discours. Son importance est soulignée dans l'Abrégé des Méditions (IX, 11).
26. Dans cette lettre de mars ou avril 1648 (Silhon proposé comme desti-
nataire en AT, XII, 465, au lieu de Newcastle, admis au t. V), Descartes ac-
corde à son correspondant que la vision beatifique sera intuitive (terme aussi
employé dans la lettre de 1637; AT, I, 353), et qu'en cette vie nous n'avons
pas, sans miracle, une «impression directe de la clarté divine»: nous raisonnons,
difficilement, à partir «des idées et des notions naturelles qui sont en nous».

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Le dualisme platonisant et la révolution cartésienne 687

celui-ci, l'âme est d'abord «occupée (...) à acheminer la perfe


du corps» (Deux vérités , p. 378), ce qui l'accapare entièrement
l'enfance, et la gêne ensuite pour exercer sa plus haute fonction
laquelle elle n'est pas forme» (p. 388), mais bien «de la cond
des anges» (p. 381). Cette affirmation, expressément dirigée con
routine de l'école» (p. 380) reste pourtant tout idéale: Dieu p
mais n'a pas voulu, pour ne pas nous détourner de la vie se
que ces «semences des vertus (...) pussent germer», avant qu
soit sortie «des liens du corps» (p. 393). Le platonisme (que Sena
dira valable pour l'Homme parfait avant le péché, qui l'a rendu a
télicien en le soumettant au corps) sera vrai pour nous après la
de prison. Mais l'aristotélisme est aussi contesté, dans la sép
si délicate entre intellect agent et patient28, et dans l'explicati
impressions sensorielles par l'émission réelle d'«espèces» (aux
Descartes croyait encore lors des songes de 1619): c'est «un secr
Dieu et les anges connaissent, et non point les hommes en cett
«un noeud qui n'est pas si aisé à délier» ( Immortalité , p. 10
Alors Descartes tranche le noeud! Il saisit intuitivement l'âm
tant qu'elle se pense directement. Car l'intuition aperçoit la
nécessaire entre ma pensée et mon existence, sans avoir besoin
me chez Silhon, de ce retour réflexif qui se perdrait en une rég
indéfinie29. Et cela établit, en même temps, la capacité de notr
tendement à penser sans image, ni appui corporel, des êtres spir
«l'âme par laquelle je suis ce que je suis» (Discours, 4; AT, V
puis Dieu, dont l'idée n'est pas alors présentée au départ: elle es
gagée au terme de la nécessaire corrélation entre mon imperfect
le parfait que je désire, ma contingence et son Etre nécessai

Mais Silhon se détourne «du droit chemin», en posant une radicale diff
«en la façon de connaître» (AT, V, 136-137): avec les aristotéliciens, il as
ici-bas l'entendement humain à abstraire du sensible.
27. Particulièrement dans L'Homme criminel ou la corruption de la nature
par le péché (1644), l'Oratorien Senault accorde à Adam une pensée tout
intellectuelle; mais depuis le péché rien n'est dans l'entendement qui n'ait
passé par les sens (p. 127-130 et 139).
28. A plusieurs reprises, Silhon insiste sur la nécessité d'un entendement
«séparé» selon Aristote, et distingué d'un entendement «pâtissant et pourris-
sant» ( Immortalité , fin de l'Introduction et c. 2-3).
29. Contre la conception reflexive de la conscience, commune à ses contem-
porains (par un retour se détachant du premier objet, sensible, de la pensée,
vers le sujet), Descartes insiste sur son immédiateté: textes groupés dans Le
problème de l'Inconscient..., p. 39-41, notamment la définition de la pensée:
2e Réponses, définition 1; Principes , I, a. 9, et la critique dans les 6e Réponses,
AT, IX, 225.

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688 Geneviève Rodis-Lewis

Méditations reprendront
à l'époque, et notamment
trouve chez le jeune Des
d'idées librement forgée
médiatement connue), et d
raient venir du dehors à n
cette pensée, qui s'affirm
dence et la certitude, se d
dépassée par une perfecti
le pouvait, comme elle se
(«je suis (...) mais combie
pense»: Méditation , II, AT
à moi, sans que je puisse
1 'experience en son imm
vérité de tout ce que je dé
avec une perfection qui dé
présentent une ligne abs
tifie, et découvre les prop
essences.

C'est pourquoi, dans les deux lettres très probableme


à Silhon, Descartes, en 1637, insiste sur «la connaissanc
et si j'ose ainsi parler, intuitive, de la nature intellectu
ral», qui «sans limitation (...) nous représente Dieu,
celle d'un ange ou d'une âme humaine» (AT I, 353).
lettre (de mars ou avril 1648; pour le destinataire,
refuse de réserver - comme Silhon - la connaissance intellectuelle
directe à la vision beatifique: cette proposition: «Je pense, donc je
suis» n'est pas «un raisonnement», mais «une connaissance première,
gratuite, certaine, et que nous touchons de l'esprit avec plus de con-
fiance que nous n'en donnons au rapport de nos yeux» (AT V, 136-
138).

30. Cette opposition apparaît dans la 5e Méditation: les «natures vraies et


immuables» des mathématiques ne peuvent être ni inventées ni reçues par les
sens (AT, IX, 51). Les Réponses à l'empiriste Gassendi insistent (sur la Méd.
5, § 1): nous pouvons penser le triangle en voyant un triangle peint, mais ses
propriétés nécessaires et sa construction avec trois vraies droites sont possibles
-parce que «ridée véritable du triangle était déjà en nous». Le premier lecteur
du manuscrit des Méditations objectait de même que l'idée de Dieu est consti-
tuée par addition et accroissement de nos perfections limitées. «Toute la force
de mon argument, répond Descartes, est que je ne pourrais accroître à l'infini
ces perfections, si nous n'avions notre origine en un Etre où elles sont infinies
en acte» (24 mai 1640; AT, III, 64).

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Le dualisme platonismi ei la révolution cartésienne 689

La dualité ontologique est première selon l'ordre des raisons; m


dans Tordre chronologique l'union substantielle de l'âme et du c
est d'abord vécue; et c'est pourquoi elle est indubitable, mê
nous ne comprenons pas comment une pure pensée et un corps
plement étendu peuvent agir l'un sur l'autre31. Descartes appro
dira cette union assez tard et donnera un sens nouveau aux «Pas-
sions de , l'âme»32. Avec Silhon, il dirait bien qu'avant la naissance,
l'âme ne peut faire germer les semence de vérité qui sont en elle. (Il
rit de Revius, objectant qu'alors le foetus n'a pas l'idée de Dieu: No -
tae in Programma , AT VIII-2, 366). Mais Silhon, avec tous les autres
vitalistes, a tort de la croire alors absorbée par la formation de l'or-
ganisme: elle subit des sentiments confus, qui lui signifient déjà ce
qui est bon ou mauvais pour le «tout» qui fait l'homme33. L'attribut
qui constitue son essence l'exige: dès qu'elle est créée, elle pense, sans
discontinuité.
Toutefois l'image des semences est bonne, en ce que les idées in-
nées sont d'abord des «dispositions», qu'il faut expliciter par un
effort de réflexion (même si chaque liaison est objet d'une intuition,
plus ou moins élargie: une pensée ponctuelle, instantanée est un non-
sens; Entretien avec Burman ; AT, V, 148). Descartes n'est guère
plus favorable à Platon qu'à Aristote: ce sont des Anciens, dépas-
sés (la Lettre-préface au traducteur des Principes admet qu'il est
moins dogmatique; AT, IX-2, 5-6). Mais lorsque Voëtius l'accuse de
soutenir les athées en prouvant Dieu par une idée qu'ils disent ne pas
avoir, Descartes se réfère au Ménon, à l'interrogation du jeune enfant
par Socrate; et ici encore il met en parallèle l'idée de Dieu avec celles
des vérités géométriques, qu'on ne tire pas de l'expérience, et qui se

31. Nous P«ex¡périmentons en nous-mêmes», par la «vie», disent les premières


lettres à Elisabeth (23 mai et 28 juin 1643; AT, III, 667 & 692). Et la Lettre
à Clerselier, en réponse aux instances de Gassendi, qui remplace les 5e Ré-
ponses dans la traduction des Méditations, récuse d'avance la «supposition (...)
fausse» (qui suscitera occasional isme, parallélisme ou harmonie préétablie», «à
savoir que si l'âme et le corps sont deux substances de deux diverses natures,
cela les empêche de pouvoir agir l'une contre ( = sur) l'autre» (AT, IX, 213).
32. Voir notre article à paraître dans Topoi (1987-1988) sur Les traités des
passions dans la première moitié du XVIIe siècle et l'amour; chez ies prédéces-
seurs de Descartes, parlant souvent de passions de l'âme.
33. Citations groupées dans Le problème de l'Inconscient... (p. 44-47) sur
les pensées prénatales, ou chez les hommes malades ou endormis. La Méditation
VI a découvert le «sens» vital de ces sensations incessantes; et la lettre à Chanut
sur l'amour, précise que les premières «dispositions du corps», bonnes ou mau-
vaises, suscitent avant la naissance, joie suivie d'amour, ou tristesse et haine
(1er février 1647; AT, IV, 604-605).

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690 Geneviève Rodis-Lewis

dévoilent peu à peu à notr


Reste une question que De
(comme l'affirmation d'une
évidence. Avons-nous vraim
porel? Que l'on se détache
images sensorielles, le débu
la pensée humaine, même l
soi, ne renvoie-t-elle pas
gnes (visuels, auditifs, ge
le «discours», qui en est l'e
tes ce qui révèle en l'hom
fin de la cinquième parti
avantages de la révolution
barrassaient ses prédécesse
sensitive de l'âme, dont n
problème de leur survie
supérieure et inférieure ( P
dans le cerveau, le coeur ou
dans quelle mesure elle est
apparaissait dans les Regul
dans la lettre à Mesland d
tiellement distincte d'un c
vellent sans cesse, elle lui
dualité37. L'homme ampu
moins le même homme, av
tinue. Mais certaines condit
l'âme en ce corps: la mort

34. Epistola ad Voetiumy AT,


Appendice à notre édition des
35. AT, VI, 59-60. Cf. à Newcastle, 23 novembre 1646: «si elles pensaient
ainsi que nous, elles auraient une âme immortelle aussi bien que nous, ce qui
n'est pas vraisemblable» (AT, IV, 576). La question est liée à la négation de
plusieurs fonctions hiérarchisées en Pâme.
36. Dans la République, l.IV, Platon distingue d'abord les deux fonctions,
raisonnante et désirante (439 d), puis y ajoute le «coeur» ou courage, qui
s'allie à l'une ou à l'autre. Regius affirme que «l'âme de l'homme est triple»,
ce que rejette Descartes (à Regius, mai 1641; AT, III, 371), car il distinguait
puissance («vis») végétative et motrice. Descartes réserve «mens sive anima »
à la faculté raisonnable, et réduit au corps les deux autres fonctions (ibid.,
372).
37. La lettre à Mesland du 9 février 1645 l'affirme, à propos de l'Eucharistie
(qui est «miracle» en ce que l'âme du Christ informe un corps non organisé
pour vivre); AT, IV, 168-169.

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Le dualisme phtonisant et la révolution cartésienne 691

les vitalistes, parce que l'âme s'en échappe (avec le «souffle»


tus : c'est pourquoi il préfère mens). On meurt quand le co
peut plus vivre, par maladie ou accident, en perdant «quelqu'un
ses principales parties»: les articles 6 et 7 des Passions part
dualisme, afin de mieux comprendre l'union (art. 30 sq.): par «
position de ses organes», le corps est «en quelque façon un e
visible» (art. 30), ce qui reste essentiellement différent de l'abs
indivisibilité de l'âme, et ne contredit pas la lettre à Mesland38
elle précisait déjà: «Nous croyons que ce corps est tout entier,
dant qu'il a en soi toutes les dispositions requises pour cons
cette union» (AT, IV, 166). Descartes avait été très frappé (prob
ment quand il fréquentait médecine et hôpitaux, après 1629-16
l'amputation d'une jeune fille qui disait souffrir de tel ou tel d
ignorant sous son gros pansement qu'on lui avait coupé tout l'a
bras39. C'est un argument hyperbolique pour se demander, alo
nous sommes sûrs que nous pensons40: avons-nous un corps? Il
ici distinguer l'entreprise critique et «l'assurance morale» de ce
«nul homme de bon sens n'a jamais douté»41. Cette rencontre, e
de soldats de la guerre de Trente ans42, lui fait dire qu'aprè
perdu un membre, on demeure le même homme, avec la même

38. Ibid., 167: «et même, en ce sens là, il est indivisible», si son ampu
n'exclut pas la vie, condition de l'union.
39. Froidmont, 3 octobre 1637, § 9, AT, I, 420. Le § 2, ibid., 414-415, op-
pose, en s'appuyant sur plusieurs textes bibliques, le principe de vie des bêtes,
leur sang, et «mentes humanas», qui ne peuvent être tirés de la matière; ce
qui est un très fort argument contre les athées. La description de ce cas est
reprise dans les Principes, IV, a. 196.
40. Après le Cogito, le Discours explicite que je peux encore «feindre que je
n'avais aucun corps, et qu'il n'y avait aucun monde» (AT, VI, 32). La Médi-
tation I, à partir de la folie, et des illusions du rêve, vécues par tous, met en
doute, après la complexion de mon corps (certains s'imaginent être de verre:
AT, IX, 14) le fait d'«avoir une tête, des mains...» (ibid., 16). L'illusion des
amputés appairaît, pour raviver ce doute, dans la Méditation VI (AT, IX, 61):
cela confirmerait qu'elle a été observée par Descartes après l'interruption du
commencement de métaphysique en 1629 (cf. «Hypothèses sur l'élaboration
progressive des Méditations de Descartes», Archives de Philosophie, 1987, p.
109-123).
41. L'«assurance morale» suffit dans le Discours, après que l'existence de
Dieu ait écarté le risque d'une erreur généralisée (AT, VI, 37-38); ce qui est
repris dans l'Abrégé des Méditations (AT, IX, 12).
42. Sans qu'on puisse affirmer qu'il y ait participé, après le printemps (1620),
il en a vu les horreurs (Entrée des estropiés dans le Ballet pour la Naissance de
la Paix; rééd. AT, V, 621). Il pouvait dès lors penser qu'un mutilé n'est pas
moins homme, sans connaître l'illusion des amputés.

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692 Geneviève Rodis-Lewis

Mais, en la période où pa
(évoquée dans la Pensée
vrai homme sans tête... C
logée dans la tête, même s
«siège» pour éclairer un
et de sa reaction: il a d'ab
à tout le corps», en tant q
tion de l'union. Non plu
sitions» requises pour q
naissance, par cette «union
n'a précisé à quel momen
à l'organisme en format
diverses fonctions, local
Descartes déclare qu'elle
qui est au milieu du cerv
un point, qui serait enco
compatible avec son essen
de l'hypophyse44) comme
prédécesseurs de Galien
tière subtile qui passe par
s'être distillée dans le coeu
face du dualisme; et, sans
qu'en l'absence à l'époque
leur seule structure, Desca
de la fermentation, sourc
Reste à se demander si

43. Immortalité : p. 21, il cite en latin le De anima d'Aristote (c. 1, 5-6):


l'âme est l'acte premier, ou 'k perfection première d'un corps organisé et ca-
pable de vie. Descartes parle du «/premiar moment que notre âme a été jointe
au corps», quand «les premières dispositions du corps (...) ont ainsi accompagné
nos pensées» (à Chanut, 1er février 1647; AT, IV, 604).
44. Descartes l'appelle pituitaire: «elle n'est pas, comme l'autre, dans le
cerveau, mais au dessous, et entièrement séparée de sa masse dans une con-
cavité de l'os sphénoïde» (à Mersenne, 24 décembre 1640; AT, III, 263). On
peut se demander si la confusion faite par plusieurs interprètes entre pineale
et hypophyse ne viendrait pas de sa désignation par un «H» dans les figures
de L'Homme...
45. Voir «De la métaphysique à la physique», Journées Descartes de San
José (Californie), 15-17 avril 1988 (Actes à paraître): Descartes enrichit cer-
tains «modèles», (notamment celui des forces centrifuges), en le subordonnant
aux lois établies par Dieu, pour y instituer le mouvement et la division indé-
finie, qui nous rend imperceptible le détail des «esprits» (corporels) d'où suit
la fermentation.

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Le dualisme platonisant et la révolution cartésienne 693

utile à la conservation de la vie: ranimai dispose d'organes sensor


proches ou analogues, avec excitation et réponse, et de manifestat
semblables à celles qui accompagnent nos passions: la pie n'aur
un véritable langage, mais elle peut articuler un mot quand sa m
tresse excite sa gourmandise; le dresseur apprend au chien de ch
à s'arrêter quand il flaire la proie, par la récompense ou la cra
et celle-ci explique ce que certains appellent «réflexe condition
un chien fouetté cinq ou six fois au son du violon s'enfuira dès q
l'entendra46.
Cette adaptation merveilleuse de l'instinct est produite soit par
l'intelligence de celui qui a conçu et réalisé ces machines, soit seu-
lement par «les lois qu'il a établies en la nature»47, et qui aboutissent
à une sélection naturelle des mieux constitués. Cet instinct «est en
nous en tant qu'animaux» et nous pouvons nous y «fier» (à Mer-
senne, octobre 1639; AT, III, 599). A l'époque de Descartes, mieux
valait se garder d'une médecine usant surabondamment des saignées,
et - comme Montaigne le disait aussi de Tibère48 - savoir par expé-
rience ce qui convient à chacun. Mais nos douleurs sont-elles compen-
sées par nos plaisirs, ou ceux-ci ne constituent-ils pas un danger? Les
bêtes en sont-elles privées, ou préservées de leurs inconvénients? A
la fin de sa vie, Descartes avoue à Morus qu'on ne peut démontrer
que la sensorialité qu'il leur reconnaît (la réaction à l'impression sur
l'organe) n'est accompagnée d'aucun sentiment49. Celui-ci, en tout cas,
distingue l'homme de l'ange. En affirmant l'union substantielle, en

46. A Mersenne, 18 mars 1650; AT, I, 134.


47. D.M., 5e p.; AT, VI, 42. Descartes répète «que c'est Dieu qui lui a
imposé ces lois» (à Mersenne, 20 février 1639; AT, II, 525; Monde , c. 7, AT,
XI, 36, etc.: cf. «note 45).
48. Essais , III, c. 12 «De l'expérience», éd. Villey en 1 vol., p. 1079: «Tibère
disait que quiconque avait vécu vingt ans se devait répondre des choses qui
lui étaient nuisibles et salutaires, et se savoir conduire sans médecine». Descar-
tes, de mémoire, corrige spontanément en «trente ans» (à Newcasle, octobre
1645; AT, IV, 329: Entretien avec Burman, fin.
49. On ne peut le prouver: 5 février 1649; AT, V, 276. (D'où la possible addi-
tion, à l'article 50 des Passions : «ni peut-être aucune pensée»). L'absence d'un
vrai langage reste le principal argument quand Descartes ajoute qu'il ne refuse
pas aux bêtes «sensus», ni «sentiment» (ancienne traduction, reprise dans notre
éditions de la Correspondance avec Arnauld et Morus ; reprise au t. III de l'édi-
tion Alquié des Oeuvres philosophiques , ni «sensibilité» (traduction A. Bridoux
dans la Bibliothèque de la Pléiade). Car il s'agit seulement du premier degré du
«sensus», défini dans les «Sixièmes Réponses, § 9: l'action d'un objet extérieur sur
un organe corporel, et la réaction de celui-ci. Seule la conscience éprouve le
2e degré, traduit par «sentiment». On pourrait proposer «sensorialité», pour
ce premier degré «qui nous est commun avec les bêtes» (AT, IX, 236 & 237).

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694 Geneviève Rodis-Lewis

refusant de faire de l'ho


çait Regius, Descartes ex
avec le batelier qui con
même (à Regius, janvie
intelligence, étrangère à
de puissance»50: contre H
cartes défend la séparati
tière. Mais mieux vaut n
ave ; Burman ; AT, V, 15
ont sur les corps avec
mondes et d'autres form
sance, l'homme est le s
substances hétérogènes d
autant, comme le disait
des perfections de l'un
( Deux vérités , p. 290).
trisme. L'absence de lim
nous en libère. L'urgenc
culées, de notre savoir n
«la plus parfaite moral
haute»51, enracinée dans
et de ses applications p
la lettre à Elisabeth du 1
le monde n'a plus de cen
pour nous. La transcen
dition pour que cette thè
nal de Cusa52 ne soit pas
à l'éternité de ses décret
gouvernent. Il accède à
ses propres limites; et

50. Descartes admet ce term


lettre à Morus du 15 avril 1649 (AT, V, 342). Mais auparavant il a exclu de
tout esprit, qui n'est pas corps, une véritable étendue: ni imaginable, ni
divisible, tous trois peuvent coexister en un même lieu: à Morus, 5 février,
ibid., 269-270.
51. La lettrenpréface du Traducteur des Principes joint les deux termes, au
sommet de l'arbre de la Philosophie. On peut toutefois penser que la plus
haute progresse (ce qui est toujours lié à une imperfection), «la plus parfaite»
présupposant «une entière connaissance des autres sciences» (AT, IX-2, 14),
dont Descartes avoue qu'elle demandera «plusieurs siècles» (ibid., 20), alors
que la vie exige des réactions immédiates.
52. A Chanut, 6 juin 1647, AT, V, 51-52.

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Le dualisme platonisant et la révolution cartésienne 695

l'amour. La seule philosophie nous y incite. La religion y ajoute


des trois merveilles qu'admirait le jeune Descartes (avec la liber
la création ex nihilo5i): l'Homme-Dieu qui se rapproche de nous
nous aider dans les peines de cette vie. Cependant l'amour in
tuel (et volontaire) pour Dieu doit faire accueillir tous les maux
nous envoie, «et la mort même», avec a fortiori les joies légitim
cette vie (à Chanut, 1er février 1641, AT, IV, 607 et 609).
L'union entre l'âme et le corps est ainsi faite qu'elle aide à ma
tenir la vie présente en bon état, sans qu'on doive directement
porter à Dieu, en chaque occurrence, la finalité de fait qu'expri
les sensations et les passions, en nous signifiant ce qui est géné
ment utile ou nuisible. Toute la fin de la sixième Méditation
que que ni Dieu ni l'homme ne sont responsables de ce qu'o
pelle erreurs des sens; ils répondent à notre situation (sans avo
valeur scientifique), mais peuvent se dérégler; car tout ce q
matériel tend à s'user ou à s'accélérer. Le traité des Passions pr
cette réflexion. Les bêtes, qui ont des réactions corporelles
gues, se laissent emporter en de plus grands maux par la fuite
plus petit ou l'attrait d'un appât minime (art. 138): l'homme
ces lois pour dresser ranimai, le dominer, et aussi pour le p
Quand le cartésianisme établit (contre leur radicale condamnation
par le stoïcisme) que les passions sont toutes bonnes de leur nature,
et que nous n'avons à redouter que leurs excès (art. 211), il permet
à l'homme de les éviter, et de se «dresser» lui-même, en dissociant,
par de nouvelles associations mécainiques, celles qui nous ligotent:
s'arrêter de boire quand il comprend que la soif est devenue dérè-
glement, et non plus signe utile d'un besoin. La réaction naturelle
est de fuir ce qui nous menace; mais le bien peut être ici d'un autre
ordre (art. 45). Les règles concrètes de conduite sont bien plus com-
plexes que le refus total de l'orgueil stoïcien. L'homme de Descartes
aspire à une «sapience», science et sagesse pratique, toujours en pro-
grès. Il faudra encore tenir compte de la complexité des circonstances.
Avec les siècles, la médecine deviendra plus sûre54, sans pouvoir em-

53. Cogitationes Privatae (section «Olympica», AT, X, 218).


54. Descartes, qui en 1637, passait par la médecine pour devenir «plus sage»
(D.M. 6e p., AT, VI, 62), sans y réduire pour autant toute la morale, avoue
avoir été déçu, après y avoir passé beaucoup de temps (à Chanut, 13 juin
1646; AT, IV, 441-442: «De façon qu'au lieu de trouver les moyens de conser-
ver la vie, j'en ai trouvé un autre, bien plus aisé et plus sûr, qui est de ne pas
craindre la mort». Dès lors, les racines métaphysiques prennent bien /plus d'im-
portance.

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696 Geneviève Rodis-Lewis

pêcher d'imprévisibles ac
fermeté, reste Pidéal de
qu'on puisse pour faire au

55. Il est remarquable que, d


AT, VI, 28), Descartes ait joint à l'idéal du jugement parfait, cet appel au
progrès, dont on doit «être content» (ibid.), terme repris dans Particle 148 de
son dernier ouvrage, Les Passions de l'Ame : on s'en contente, faute de la
perfection immédiate, mais cette «satisfaction» nous rend «heureux».

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