D. SAINT-JACQUES et A. VIALA APROPOS DU CHAMP LITTERAIRE
de la tradition et celle des applications de la tradition’. On souscrit. Mais
diverses reprises dans la premiere partie, sans que la question en soit traitée en
elle-méme, des remarques, des incises récusent I’idée que l'on puisse faire
remonter cette histoire au-dela du x1x° siécle. Ainsi par exemple la mention*
des antécédents de la bohéme littéraire au xvi siécle, tels que Robert Darn-
ton les a étudiés, est aussitét assortie de l’estimation que ce qui se passe au
xIx* sidcle est « sans précédent ». De méme a propos du processus d’institu-
tionnalisation et d’émergence’ oil, si sont bien exprimées des nuances, c’est
lassignation des limites qui est le principal énoncé. En revanche, dans la
seconde partie, nourrie pour une part de textes plus anciens, on lit a divers
moments des ouvertures sur une histoire plus longue du processus de cons
tution du champ. Ainsi notamment a propos du champ artistique du baroque
italien", ouencore a propos de Bayle décrivant la « République des lettres » en
des termes qui dessinent l'image d’un champ". Bref, il y aa la fois une affirma-
tion forte, et une hésitation sur les implications. Affirmation forte : il ne peut
€tre question de champ que lorsque se constitue une revendication nette par
les écrivains (ailleurs les artistes) de l'autonomie de leur pratique ; soit, selon
P. Bourdieu, en France avec Flaubert et Baudelaire. Hésitation sur les implica-
tions : cela s’inscrit sans doute dans un processus qui remonte plus loin dans le
temps, mais hormis quelques apercus, tant6t concédant tantot récusant,
Yauteur n’estime pas A propos ici d’engager cette histoire de plus longue durée.
Ce l’est en revanche, a l'évidence, pour les historiens et pour les « litté-
raires » (pour parler en termes commodes sans les revendiquer comme catégo-
ries absolues). Et pour le préciser, plutdt que d’en débattre en théorie, mieux
vaut travailler 4 partir de cas, comme P. Bourdieu le préfére avec raison. On
peut considérer avec lui que le point de départ du processus d’autonomisation
qui génére le champ littéraire pourrait bien étre sans cesse remis plus en
amont : toute pratique, la littéraire et l’artistique en particulier, s’assortit d'un
discours d’escorte destiné ala nantir de marques de légitimité. L’enjeu est done
non de chercher lorigine, mythique, mais les grandes configurations qui
jalonnent historiquement le processus. Et pour cela, un ensemble de facteurs
fondamentaux sont 2 prendre en compte, tels que ceux employés dans ces
Régles. Comme exemple, on les appliquera, en retour critique sur des travaux
antérieurs, au Xvil° siécle”.
Et d’abord les facteurs extérieurs, « morphologiques », qui ne décident
pas mais créent les conditions de possibilité : les modifications qui sur-
viennent au fil de l’histoire dans les populations concernées par de telles pra-
ent sur les logiques de la pratique elle-méme. On a pu ainsi
relever au xvur siécle un accroissement massif et rapide (de ordre du tri-
plement) de la population « cultivée », qui a bouleversé les conditions de
7. Ibid., pp. 426-427
8. Ibid, p. 86.
Pp. 191-192, 166 ss.
+ PP. 358-359.
11. Ibid, p. 287,
12. Voir A. ViALA, Naissance de l’écrivain. Sociologie de la littérature @ V'age classique, Paris,
Editions de Minuit, 1985; Les institutions de la vie littéraire en France au xvir' siécle, Lille,
ANRT, 1985.
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