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Linguistique Et Archeologie L Usage Du D
Linguistique Et Archeologie L Usage Du D
Aere perennius
édités par
PEETERS
LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT
2016
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . ix
James P. Allen
Subject–sḏm.f and Subject–ḥr-sḏm in Sinuhe . . . . . . 1
Michel Baud
Le nom du roi Houni . . . . . . . . . . . . . 9
Josep Cervelló-Autuori
Kom el-Khamasin. Histoire accidentée d’un site archéologique
égyptien . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Mark Collier
Pragmatic Implication and Conditionals with the Negative Third
Future in Late Egyptian . . . . . . . . . . . . 43
Philippe Collombert
Observations sur un usage iconique des hiéroglyphes . . .59
Laurent Coulon
Padiaménopé et Montouemhat. L’apport d’une statue inédite à
l’analyse des relations entre les deux personnages . . . . 91
Philippe Derchain
Quatre observations sur la Stèle de Pithom . . . . . .121
Andreas Dorn & Stéphane Polis
A Re-Examination of O. Cairo JdE 72460 (= O. Cairo SR 1475).
Ending the Quest for a 19th Dynasty Queen’s Tomb in the Valley
of the Kings . . . . . . . . . . . . . . . .129
Christopher Eyre
Reciprocity, Retribution and Feud . . . . . . . . .163
Dominique Farout
Un monument de Ramsès ii à Edfou
. . . . . . . . .181
Hans-Werner Fischer-Elfert
In Praise of Pi-Ramesse – A Perfect Trading Center (including
two new Semitic words in syllabic orthography; Ostr. Ashmolean
Museum HO 1187) . . . . . . . . . . . . . .195
Paul John Frandsen
To Kill or Not To Kill . . . . . . . . . . . . .219
Luc Gabolde
Observations sur un possible emploi particulier du mot sḳ . 241
Andrea M. Gnirs
Ein Hymnus in unerwartetem Kontext . . . . . . . .253
Carlos Gracia Zamacona
Verbes sans limite, verbes à limite. Étude préliminaire d’après
les données des Textes des Sarcophages . . . . . . .303
Pierre Grandet
Un document relatif aux grèves de Deîr el-Médînéh en l’an 29
de Ramsès iii et un fragment de l’Enseignement d’Amennakhté,
§39-48 : O. IFAO 1255 A-B (ONL 514 A-B) . . . . . .327
Ivan Guermeur
Le passeport d’éternité de Tsenapollôs. Le papyrus Tübingen
2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . .361
Dimitri Laboury
Le scribe et le peintre. À propos d’un scribe qui ne voulait pas
être pris pour un peintre . . . . . . . . . . . .371
Dominique Lefèvre
De certains esprits excellents. La stèle du ḫ ỉḳr n rꜤ Pennoub
(quai Branly 71.1885.10.42) . . . . . . . . . . .397
Bernard Mathieu
Linguistique et archéologie : l’usage du déictique de proximité
(pn / tn / nn) dans les Textes des Pyramides . . . . . .407
Juan Carlos Moreno García
Entre lexicographie et histoire économique : les terres nꜤꜤ et la
réorganisation des domaines des temples au iie et ier millénaires
avant J.-C. [avec une note sur sprt « graine (de caroube) »] . 429
Ludwig D. Morenz
Zwischen ästhetischer Präsenz und hoch determinierter Lesbar-
keit. Der monumentale Käfer von Amen-hotep III. . . . .449
Frédéric Servajean
Les deux arbres de l’épisode giblite . . . . . . . . .697
Ariel Shisha-Halevy
The Circumstantial Conversion in Coptic: Material towards a
syntactic profile . . . . . . . . . . . . . . .709
David P. Silverman
The Origin of the Book of the Dead Spell 159 . . . . .741
Anthony J. Spalinger
Plutarch’s “Egyptian” Dates
. . . . . . . . . . .763
Andreas Stauder
Ptahhotep 82 P . . . . . . . . . . . . . . .779
Marcella Trapani
Imitation et interprétation dans l’art égyptien : Le cas de quelques
fragments de peintures murales de Deir el-Médineh . . . .811
Michel Valloggia
À propos de la stèle Louvre C 90 . . . . . . . . .825
Youri Volokhine
Une façon égyptienne de prendre du plaisir . . . . . .837
Jean Winand
Traces d’indices actanciels en néo-égyptien . . . . . .861
Annik Wüthrich
Ihet, celle qui engendre le dieu solaire
. . . . . . . .895
Bernard MATHIEU
(Institut d’égyptologie François Daumas ;
UMR 5140, CNRS - Université Montpellier 3 Paul Valéry)
1
E. Edel, Altägyptische Grammatik (AnOr 34 et 39), 1955 et 1964, § 181-202 ;
C.E. Sander-Hansen, Studien zur Grammatik der Pyramidentexte (AnAeg VI), 1956,
§ 13-21 ; voir aussi P. Vernus, « La structure ternaire du système des déictiques dans les
408 BERNARD MATHIEU
1. LA PRÉSENCE DU DÉFUNT
L’illustration la plus évidente de cette relation particulière du signe
linguistique à son référent est l’emploi quasi systématique, dans les
Textes des Pyramides, du déictique pn après le nom du défunt : Wnjs pn,
« cet Ounas-ci », &tj pn, « ce Téti-ci », Ppy pn, « ce Pépy-ci », anx=s-
n=Ppy pn, « cet Ânkhesenpépy-ci », etc. L’absence, rare, du déictique
dans ce type de syntagme, s’explique par son remplacement possible par
J.-Cl. Goyon & Chr. Cardin (éd.), Actes du IXe Congrès international des Égyptologues:
Grenoble, 6-12 septembre 2004 (OLA 150), 2007, p. 183-193 ; H. Hays, « Old Kingdom
Sacerdotal Texts », JEOL, Ex Oriente Lux 41 (2009), p. 47-94 ; H. Hays, « Unreading the
Pyramids », BIFAO 109 (2009), p. 195-220 ; H. Hays, The Organization of Pyramid
Texts. Typology and Disposition (ProblÄg 31), 2012 ; B. Mathieu, « La paroi est de la
chambre funéraire de la reine Ânkhesenpépy II (AII/F/E). Contribution à l’étude de la
spatialisation des Textes des Pyramides », dans R. Legros (éd.), 50 ans d’éternité. Jubilé
de la Mission archéologique française de Saqqâra (BiEtud ), 2014 (sous presse).
7
H. Jenni, « The Old Egyptian Demonstratives », p. 120, qui se réfère aux analyses
de H. Diessel, Demonstratives. Form, Function, and Grammaticalization (Typological
Studies in Language 42), 1999.
8
Pour marquer l’opposition distancielle, le français a recours aux suffixes adver-
biaux -ci vs -là, ajoutés à une base commune (ceci vs cela, celui-ci vs celui-là, celle-ci vs
celle-là, etc.) ; il en est de même pour l’allemand actuel (dieser hier vs dieser dort).
D’autres langues modernes utilisent, comme l’égyptien ancien, des déictiques distincts :
anglais (this vs that), italien (questo vs quello), etc.
410 BERNARD MATHIEU
9
De la même manière, dans la littérature magique, le nom du patient (ou sa dési-
gnation) est presque systématiquement déterminé par le déictique de proximité ;
cf. H.-W. Fischer-Elfert, Altägyptischen Zaubersprüche, 2005, p. 18-19.
10
En P/A/S 23 = Pépy, antichambre, paroi sud, col. 23. Les conventions utilisées ici
sont celles de la Mission archéologique française de Saqqâra (MAFS) : voir notamment
C. Berger-El Naggar, J. Leclant, B. Mathieu & I. Pierre-Croisiau, Les textes de la
pyramide de Pépy Ier. Édition. Description et analyse (MIFAO 118/1), 2e éd., 2011, p. 6-
9. L’abréviation « AII » désigne la pyramide de la reine Ânkhesenpépy II, dont les textes
sont en cours de publication, cf. V. Dobrev, A. Labrousse & B. Mathieu, « La dixième
pyramide à textes de Saqqâra : Ânkhesenpépy II. Rapport préliminaire de la campagne de
fouilles 2000 », BIFAO 100 (2000), p. 275-296 ; B. Mathieu (avec la collaboration de
É. Bène et de A. Spahr), « Le registre supérieur de la paroi est de la chambre funéraire
(AII/F/E sup) », BIFAO 105 (2005), p. 129-138 ; B. Mathieu, « Le registre inférieur de la
paroi est de la chambre funéraire (AII/F/E inf) », BIFAO 108 (2008), p. 281-291.
LINGUISTIQUE ET ARCHÉOLOGIE 411
11
En P/F/Se 48-49.
LINGUISTIQUE ET ARCHÉOLOGIE 413
3. LA PRÉSENCE DU TEXTE
Les déictiques de proximité, comme on vient de le voir à propos des
offrandes, sont susceptibles de renvoyer, de manière interne, à un
élément du corpus textuel, ce dernier étant par définition, présent à lui-
même (« co-texte »). Cette présence, on le soulignera, est tout aussi
matérielle que celle d’artefacts, selon les conceptions égyptiennes, dans
la mesure où le signe linguistique, comme la partie du discours ou le
discours lui-même dans lequel il fonctionne, est conçu comme un objet,
au même titre qu’un élément du mobilier funéraire. Les exemples les
plus explicites de ce cas de figure sont les suivants.
a) Emplois anaphoriques (le déictique renvoie à un discours cité anté-
rieurement) :
– rx sw rr rA pn n Ra jr=f sn HkAw.w j.pn nj.w @r Axtj wnn=f rr m Rxj n
Ra wnn=f m %mHr n @r Axtj j.rx=j sw rA pn n Ra jry(=j) sn HkAw.w j.pn
nj.w @r Axtj wnn=j jr=j m Rxj n Ra wnn=j m %mHr n @r Axtj, de même
que celui qui l’apprendra, cette formule-ci de Rê, que celui qui les
utilisera, ces formules magiques hékaou-ci d’Horus de l’Horizon, il
sera un Connu de Rê, il sera un Ami d’Horus de l’Horizon, je
l’apprendrai, cette formule-ci de Rê, je les utiliserai, ces formules
magiques hékaou-ci d’Horus de l’Horizon, je serai un Connu de Rê,
je serai un Ami d’Horus de l’Horizon (§ 855a-856e = *2138j) ; pour
le syntagme HkAw pn, cf. aussi § 1318c). La « formule de Rê » et les
« formules magiques hékaou d’Horus de l’Horizon » correspondent
12
Voir en particulier G. Rudnitzky, Die Aussage über « das Auge des Horus »,
1956 ; J.G. Griffiths, « Remarks on the Mythology of the Eyes of Horus », CdÉ XXXIII
(1958), p. 182-193 ; R. Anthes, « Das Sonnenauge in den Pyramidentexten », ZÄS 86
(1961), p. 1-21 ; A. Fehlig, « Königskrone und Horusauge », GM 90 (1986), p. 11-25 ;
G. Meurer, Die Feinde des Königs in den Pyramidentexten (OBO 189), 2002, p. 192-
207 ; A.M. Rosso, « Une nouvelle tentative pour décoder la “symbologie” de l’Œil
d’Horus », dans J.-Cl. Goyon & Chr. Cardin (éd.), Actes du IXe Congrès international des
Égyptologues II (OLA 150), 2007, p. 1621-1628.
13
En P/F/Se 80.
414 BERNARD MATHIEU
14
Pour la lecture mHr, voir J. Quack, « Zur Lautwert von Gardiner Sign-List U 23 »,
LingAeg 11 (2003), p. 113-116, suivi par Ph. Collombert, « (m)Hr, “pyramide” ? », GM
227 (2010), p. 17-22. Cette lecture est confirmée par le jeu de mots : m Hr jr=f m rn=f n
MHr, ne t’éloigne pas de lui en son nom de Pyramide (§ 1657d).
15
Pour mHr pn, cf. aussi § 1278a, 1653c, 1654b, 1656b, 1657b, 1660b, 1661c, 1662c,
1663c, 1664c, 1665c, 166C, 1667c, 1668c, 1669c, 1670c, 1671c. Sur cette question de
l’actualisation, voir B. Mathieu, « La distinction entre Textes des Pyramides et Textes des
Sarcophages est-elle légitime ? », dans S. Bickel & B. Mathieu (éd.), D’un monde à
l’autre. Textes des Pyramides & Textes des Sarcophages (BdÉ 139), 2004, p. 252-253 et
n. 53.
416 BERNARD MATHIEU
appartenir au formulaire original, qui peut être établi grâce aux autres
versions (M, N) : kA.t tn, « cet ouvrage-ci »16.
Pénétrons dans les appartements funéraires.
Il semble bien qu’on puisse désigner comme tA pn, « ce pays-ci »,
l’espace intérieur dans lequel sont inscrits les textes, à savoir un espace
divin, où règne l’éternité djet. Les passages concernés n’autorisent
guère, en effet, une interprétation de tA pn comme se référant au monde
des hommes :
– tA pn pr m &mw nSS pr m #prr, ce pays-ci issu d’Atoum, le crachat
issu de Khéprer (§ 199a) ;
– Hm.t @r nsw n tA pn, l’épouse d’Horus, roi de ce pays-ci (§ 1396a)17 ;
l’épouse est Hathor, parèdre du créateur sous sa forme astrale ;
– Ax.tj nb.tj tA pn, les deux Esprits akh, les deux dames de ce pays-ci,
c’est-à-dire Isis et Nephthys (§ 1425c) ;
– n Sw p.t m N pn n Hm Sw tA pn m N pn D.t, le ciel ne sera pas privé de
ce N, car ce pays-ci, surtout, ne sera jamais privé de ce N (§ 1455c) ;
noter l’emploi significatif de D.t.
Une expression parallèle et, sans doute, de même sens, est p.t tn, « ce
ciel-ci » : Dr Sdt=k kA n N r p.t tn xr Sps.w nTr, puisque tu as emmené le
ka de N dans ce ciel-ci, auprès des Nobles du dieu (= les Enfants
d’Horus) (§ 815c). Dans le monde des dieux, l’opposition terre vs ciel
n’a pas cours, comme le suggère le § 1455c qui vient d’être cité. On ne
peut totalement exclure, toutefois, que les syntagmes tA pn et p.t tn aient
des significations plus précises.
C’est dans cet espace interne qu’évolue (métaphoriquement,
s’entend) le défunt. Son parcours dans l’autre monde, topographique-
ment situé dans un cadre architectural standardisé depuis Djedkarê-
Isési18, est évoqué parfois spatialement par le biais des déictiques de
proximité :
– xsbb N pn m wA.t tn xsbb &mw, si ce N est retenu sur ce chemin-ci,
Atoum sera retenu (§ 492d). L’emploi de tn implique la présence
matérielle du chemin dans l’espace des appartements funéraires ;
étant donné la situation systématique du TP 310 dans l’antichambre
des pyramides royales (W/A/N 36-38, T/A/N 15-17, P/A/W 50-51,
16
Sur kA.t, « œuvre, ouvrage, travail créatif », opposé à bAk, « service, travail
assujetti », cf. K.A. Kóthay, « La notion de travail au Moyen Empire. Implications
sociales », dans B. Menu (éd.), L’organisation du travail en Égypte ancienne et en
Mésopotamie (BdÉ 151), 2010, p. 155-170.
17
En AII/F/E sup 15-16 ; cf. B. Mathieu et al., « Textes de la pyramide de la reine
Ânkhesenpépy II (1) », p. 132.
18
On se reportera bien sûr à A. Labrousse, L’Architecture des pyramides à textes,
I. Saqqara Nord (BdÉ 114/1-2), 1996.
LINGUISTIQUE ET ARCHÉOLOGIE 417
19
La paroi ouest de l’antichambre, chez Pépy Ier, a été regravée en petit module. Lors
de cette deuxième phase de gravure, le TP 473 fut le premier texte ajouté à la séquence
antérieure gravée en grand module (observation personnelle à partir des traces de signes
conservées sur la paroi).
20
P. Barguet, « Les chapitres 313-321 des Textes des Pyramides et la naissance de la
lumière », RdÉ 22 (1970), p. 8.
418 BERNARD MATHIEU
21
B. Mathieu, « La signification du serdab dans la pyramide d’Ounas. L’architecture
des appartements funéraires royaux à la lumière des Textes des Pyramides », dans
C. Berger & B. Mathieu (éd.), Études sur l’Ancien Empire et la nécropole de Saqqâra
dédiées à J.-Ph. Lauer (OrMonsp IX), 1997, p. 289-304 ; B. Mathieu, « L’huissier, le
juge et le greffier. Une hypothèse sur la fonction du serdab dans les pyramides à textes »,
Méditerranées. Revue de l’Association Méditerranées 13 (1997), p. 11-28 ; J.P. Allen,
The Ancient Egyptian Pyramid Texts, 2005, p. 11 et n. 17.
LINGUISTIQUE ET ARCHÉOLOGIE 419
auprès de toi, Horus de l’Est ! Vois, ce N t’a apporté ton vénérable œil
gauche dans son intégrité (§ 450b-451a [TP 301]).
L’emplacement de ces textes et la nature de ces théonymes ne laissent
aucun doute sur la présence du dieu dans le serdab. Voilà qui justifie
l’emploi du déictique de proximité qui aurait pu paraître, sinon, en
conflit avec ce qui a été exposé au § 1.
Le syntagme Wr pn, « ce Vénérable-ci », quand il ne désigne pas le
défunt, peut s’appliquer, exceptionnellement il est vrai, et presque
toujours lorsque le défunt se confond avec lui, au résident du serdab : hA
Wsjr N pw rd~n n=k Gb jr.tj=k Htp=k m jr.tj Wr pn jm=k, ô, cet Osiris
N, Geb t’a donné tes yeux pour que tu te satisfasses des yeux de ce
Vénérable-ci que tu es (§ 583a-b) ; wrS Wr pn xr kA=f j.bAn rf Wr pn xr
kA=f wrS N pn xr kA=f j.bAn rf N pn xr kA=f. rs Wr pn rs N pn rs nTr.w
nhs sxm.w, Si ce Vénérable-ci séjourne auprès de son ka, si ce Véné-
rable-ci s’endort auprès de son ka, ce N séjournera auprès de son ka, ce
N s’endormira auprès de son ka ! Si ce Vénérable-ci s’éveille, ce N
s’éveillera, les dieux s’éveilleront et les puissants surgiront (§ 894a-d ;
cf. § *1915f). On remarquera la coexistence du déictique de proximité et
de la mention du ka, manifestation cultuelle sensible du dieu.
De même pour %xm nn / %xm pn, « le Puissant, ici / ce Puissant-ci » :
n srx=f xr %xm pn +d-Dd ra nb, il ne sera pas accusé auprès de ce
Puissant-ci, Celui qui perdure chaque jour (§ *1677b) ; anx anx=tj jt(=j)
Wsjr N m rn=k pw xrj nTr.w xa=tj m Wpjw BA xntj anx.w %xm nn xntj
Ax.w, vis pleinement, mon père Osiris N, en ce tien nom qui est auprès
des dieux, toi qui es apparu en Oupiou, le Ba qui préside aux vivants, le
Puissant, ici, qui préside aux esprits akhou (§ 1724a-c). Et pour Nxx pn,
« ce Vieillissant-ci », une appellation méprisante du dieu du serdab qui
intervient dans le cadre du motif traditionnel de la « menace aux dieux »
qui ne se soumettraient pas à leur nouveau maître : m xm N KA p.t sT Tw
j.rx=t(j) sw sT sw rx Tw m xm N KA p.t Dd(=j) jr=k Nxx pn, n’ignore pas
N, Taureau du ciel, puisque tu le connais, puisqu’il te connaît, ne fais
pas que N t’ignore, Taureau du ciel, ou je dirai de toi : ce Vieillissant-ci
(§ 332a-c, version W) ; la menace est claire, rappelant perfidement au
seigneur des astres, le « Taureau du ciel », la lune, sa phase décrois-
sante22 !
22
Le déterminatif du taureau a été minutieusement martelé, seul cas de martelage
dans la pyramide d’Ounas. Étant donné le soin apporté à ce martelage, on est tenté d’y
voir l’application concrète de la menace contenue dans le texte : le premier taureau, dans
un simple vocatif, est laissé intact, le deuxième, que l’on menace de vieillesse, est
iconographiquement atteint ; cf. B. Mathieu, « Modifications de textes dans la pyramide
d’Ounas », BIFAO 96 (1996), p. 311 et fig. 18.
420 BERNARD MATHIEU
23
Cette situation spécifique du défunt devenu lui-même officiant funéraire pour son
père a été parfaitement décrite par H. Willems : « Being thus restored to life, the deceased
himself also becomes a ritualist and assists in the mummification of Osiris. He becomes,
as it were, a netherworldly embodiment of the “beloved son” who takes care of the
funerary rituals for Osiris, the archetypal dead father », cf. The Coffin of Heqata (Cairo
JdE 36418) (OLA 70), 1996, p. 91. Voir également H. Willems, « The Embalmer
Embalmed », dans J. van Dick (éd.), Essays on Ancient Egypt in Honour of H. Te Velde,
1997, p. 343-372 ; H. Willems, « The Social and Ritual Context of a Mortuary Liturgy of
the Middle Kingdom (CT Spells 30-41) », dans H. Willems (éd.), Social Aspects of
Funerary Culture in the Egyptian Old and Middle Kingdom (OLA 103), 2001, p. 253-
372 ; J. Assmann, Mort et au-delà dans l’Égypte ancienne (trad. par N. Baum), 2003,
p. 85-95.
24
Cf. Urk. I, 279,10-12 ; H. Goedicke, Königliche Dokumente aus dem alten Reich
(ÄgAbh 14), 1967, p. 81 et Abb. 7 ; M. Eaton-Krauss, The Representations of Statuary in
Private Tombs of the Old Kingdom (ÄgAbh 39), 1984, p. 84-85.
25
Les statues représentées sur le schéma ne sont bien sûr qu’une simple évocation ;
j’ai utilisé la représentation d’une statue twt à laquelle travaillent des artisans sur un relief
LINGUISTIQUE ET ARCHÉOLOGIE 421
29
Cf. P. Lacau, « Suppressions et modifications de signes dans les textes funé-
raires », ZÄS 51 (1913), p. 1-64 ; P. Lacau, « Suppressions des noms divins dans la
chambre funéraire », ASAE 26 (1926), p. 69-81 ; A.J. Spencer, Death in Ancient Egypt,
1982, p. 156-157 ; R. Wilkinson, Symbol and Magic in Egyptian Art, 1994, p. 163 ;
I. Pierre, « Les signes relatifs à l’homme dans les Textes des Pyramides », dans C. Berger
& B. Mathieu (éd.), Études sur l’Ancien Empire, p. 357-364 ; A. Roccati, « Hieroglyphs
Concerning Royal and Private Textes », JEOL 35-36 (1997-2000), p. 27-32 ; G. Miniaci,
« The Incomplete Hieroglyphs System at the End of the Middle Kingdom », RdÉ 61
(2010), p. 113-134 ; B. Russo, « La vipère à cornes sans tête. Étude paléographique et
considérations historiques », BIFAO 110, 2010, p. 251-274.
30
Cf. B. Mathieu, « Les formules conjuratoires dans les pyramides à textes : quel-
ques réflexions », dans Y. Koenig (dir.), La magie en Égypte : à la recherche d’une
définition, Actes du Colloque international organisé par le musée du Louvre, 29-30
septembre 2000, 2002, p. 185-206.
31
Voir notamment S. Schott, « Die Zeremonie des ‘Zerbrechens der roten Töpfe’ »,
ZÄS 63 (1928), p. 101 ; L. Borchardt, « Bilder des ‘Zerbrechens der Krüge’ », ZÄS 64
(1929), p. 12-16 ; A. Moret, « Le rite de briser les vases rouges au temple de Louxor »,
RdÉ 3 (1938), p. 167 ; A.H. Gardiner, « A Unique Funerary Liturgy », JEA 41 (1955),
p. 16 et n. 4-5 ; G. Posener, « Philologie et archéologie égyptiennes », Annuaire du
Collège de France 74 (1973-1974), p. 397-405 ; J. van Dick, LdÄ VI, 1986, col. 1389-
1396, s. v. « Zerbrechen der roten Töpfe » ; R.K. Ritner, The Mechanics of Ancient
Egyptian Magical Practice (SAOC 54), 1993, p. 144-153 ; J. Assmann, « Spruch 23 der
Pyramidentexte und die Ächtung der Feinde Pharaos », dans C. Berger, G. Clerc &
N. Grimal (ed.), Hommages à J. Leclant, p. 50-52 ; J. Assmann, Mort et au-delà, p. 77-
78.
LINGUISTIQUE ET ARCHÉOLOGIE 423
Fig. 2. Mafdet armée d’un couteau dès (Jarre du règne de l’Horus Den)
(d’après W.M. Fl. PETRIE, The Royal Tombs
of the Earliest Dynasties II, pl. VII.7)
32
Cf. H. Kees, « Zu den ägyptischen Mondsagen », ZÄS 60 (1925), p. 2-5 ;
R.-A. Jean, À propos des objets égyptiens conservés au Musée d’histoire de la médecine,
1999, p. 33-74 ; C.A. Graves-Brown, « The Spitting Goddess and the Stony Eye: Divinity
and Flint in Pharaonic Egypt », dans K. Piquette & S. Love (éd.), Current Research in
Egyptology 2003, Proceedings of the Fourth Annual Symposium University College
London 2003, 2005, p. 57-70.
33
W.M. Fl. Petrie, The Royal Tombs of the Earliest Dynasties II, 1901, p. 25 et
pl. VII.7 ; T.A.H. Wilkinson, Early Dynastic Egypt, 1999, p. 289.
424 BERNARD MATHIEU
b) sn-nw j.pw jn nw n mAwD.w j.pn n.w sm.t, vous deux là, apportez les
pièces de ces palanches-ci de la colline (§ 445d [TP 300]). L’officiant
s’adresse à deux passeurs de l’au-delà, « Kherti de Nésat, et le passeur
de la barque iqéhet » (§ 445a), et précise : apportez cela (l’embarcation)
à N, car c’est N, Sokar de Ro-sétjaou ! N est destiné au lieu où se trouve
Sokar, Celui préside à Pédjou-Ché (§ 445b-c). Le contexte invite donc à
considérer ces mAwD.w, vocable traduit habituellement par « palan-
ches »34, comme s’appliquant ici à des éléments de la barque sokarienne
destinée au défunt. Étant donné la forme générale des palanches, il s’agit
vraisemblablement d’un terme technique désignant soit les armatures de
la coque, soit, plutôt, des éléments du système de portage de la barque,
en l’occurrence la barque iqéhet, ou encore la barque hénou ou djéné-
dérou35. On ne peut rien proposer, en revanche, pour la localisation
exacte de ces « palanches » et par conséquent pour celle d’une probable
barque sokarienne dans les appartements royaux ; la partie orientale de
la chambre funéraire, à l’est du sarcophage (Dat), où le défunt acquiert
sa mobilité (bA), n’est qu’une simple suggestion [Fig. 4]36.
c) Un dernier passage reste à considérer. Le ritualiste enjoint au défunt,
parmi les nombreuses formules d’offrandes situées sur la section
orientale de la paroi nord des chambres funéraires (X/F/Ne) : m n=k Drw
jb pn, prends donc la totalité de cette conscience-ci (§ 85a)37.
L’utilisation du déictique de proximité pourrait surprendre, si l’on ne
savait que dans la phase rituelle de momification et de la constitution du
nouveau corps (D.t) du défunt, la conscience (jb) fait elle-même l’objet
d’un traitement complexe et d’un processus de substitution : en effet, à
la conscience « antérieure » de l’être autrefois vivant se substitue une
34
Voir A. Varille, Inscriptions concernant l’architecte Amenhotep fils de Hapou
(BdÉ 44), 1968, p. 76-79 ; P. Vernus, « Le vizir et le balancier. À propos de l’Ensei-
gnement de Ptahhotep », dans C. Berger & B. Mathieu (éd.), Études sur l’Ancien Empire,
p. 437-443 ; D. Meeks, AnLex 77.1610. On ne peut guère affirmer que les palanches
retrouvées dans deux caveaux de Deir al-Médîna aient fait partie du mobilier funéraire ;
cf. B. Bruyère, Rapport sur les fouilles de Deir el-Médineh (1934-1935) II, Nécropole de
l’est (FIFAO 15), 1937, p. 122-123 et fig. 69.
35
Aucune mention de ce terme dans D. Jones, A Glossary of Ancient Egyptian
Nautical Titles and Terms, 1988.
36
Le TP 300, seulement attesté chez Ounas, est situé en W/A/E inf 26-27. Le texte
s’est toutefois transmis au Moyen Empire : Senousretânkh (Sen/F/E 39-40 = Sen 466-
467) ; J.P. Allen, The Egyptian Coffin Texts 8. Middle Kingdom Copies of Pyramid Texts,
(OIP 132), 2006, p. 286.
37
Les localisations de cette formule (TP 137) sont les suivantes : Ounas (W/F/Ne III
21), Téti (T/F/Ne II A 73, inédit), Pépy Ier (P/F/Ne II 86 et P/F/Ne V 36, en lacune),
Mérenrê (M/F/Ne III 30, inédit), Ânkhesenpépy II (AII/F/Ne A II 30, inédit), Pépy II
(N/F/Ne IV 30), Neit (Nt/F/Ne A III 30), Oudjebten (Oudj/F/Ne B III 30 = Oudj 74), Aba
(Aba/F/Ne A III 26 = Aba 196).
LINGUISTIQUE ET ARCHÉOLOGIE 425
38
Rapprocher aussi § 3e [TP 5] et § 1786b [TP N628 A].
39
Th. Bardinet, Les Papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique, 1995, p. 68-80 ;
voir aussi B. Mathieu, « Les Enfants d’Horus : théologie et astronomie », ENiM 1 (2008),
p. 10-11.
40
En P/F/Ne IV 96-98.
41
Comme il a souvent été dit, à juste titre ; voir déjà K. Sethe, « Zur Datierung der
Pyramidentexte », ZÄS 38 (1900), p. 64 ; H. Kees, Der Götterglaube im alten Ägypten,
1941, p. 214-sq. ; J. Sainte-Fare Garnot, Aspects de l’Égypte antique (PIFAO), 1959,
p. 132. Plus récemment : T.A.H. Wilkinson, Early Dynastic Egypt, p. 258 : « Although
the Pyramid Texts were only written down in the late Fifth and Sixth Dynasties, their
language and content strongly suggest an earlier composition. Therefore, it is not entirely
inappropriate to use them to illuminate royal mortuary ideology of the Early Dynastic
period. »
426 BERNARD MATHIEU
fois encore, les Textes des Pyramides nous renseignent au moins autant
sur les pratiques funéraires de l’Égypte archaïque que sur le conser-
vatisme de leurs héritières de l’Ancien Empire.