Du Discours Au Discours Par L'usage: Pour Une Problématique de L'exemple

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Langue française

Du discours au discours par l'usage : pour une problématique de


l'exemple
Alain Rey

Abstract
Alain Rey : Towards a problematics of the example.
Starting from a selection of texts and/or spoken language, dictionaries cannot but extract (exemplum), show or illustrate
(paradigma), and quote (citatio) phrases and sentences that are supposed to represent a language ; in fact they construct an
ideal state of language properly called a norm.
Examples and illustrations in dictionaries constitute the core of their more or less creative aspect in politics. With definitions and
semantic analysis which are often inspired by examples, illustration and quotation form their main witnesses of cultural ideology.
French lexicography, in particular, is linked to social and cultural values as these are embodied in literature, which comprises in
fact only a very small part of the total speech (Saussurean « parole ») in a language. Thus, the choice of examples dictionaries
make is one of the best possible ways to understand how a society chooses to construct its own linguistic model and norm.
Examples and illustrations in dictionaries constitute the core of their more or less creative aspect in politics. With definitions and
semantic analysis which are often inspired by examples, illustration and quotation form their main witnesses of cultural ideology.
French lexicography, in particular, is linked to social and cultural values as these are embodied in literature, which comprises in
fact only a very small part of the total speech (Saussurean « parole ») in a language. Thus, the choice of examples dictionaries
make is one of the best possible ways to understand how a society chooses to construct its own linguistic model and norm.

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Rey Alain. Du discours au discours par l'usage : pour une problématique de l'exemple. In: Langue française, n°106, 1995.
L'exemple dans le dictionnaire de langue Histoire, typologie, problématique. pp. 95-120;

doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1995.6446

https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1995_num_106_1_6446

Fichier pdf généré le 05/05/2018


Alain REY

DU DISCOURS AU DISCOURS PAR L'USAGE :


POUR UNE PROBLÉMATIQUE DE L'EXEMPLE

Dans un essai de typologie des dictionnaires *, j'adoptais comme point de


départ l'idée que le discours lexicographique, dont l'objectif est non pas de
donner une image, même partielle et déformée, d'une langue, mais une image de
certains usages de cette langue, était issu de procédures heuristiques et
didactiques portant sur un discours premier, réalisé ou virtuel. Ce discours-source,
formé de la totalité théorique de la parole saussurienne pour un système
linguistique donné 2, est en pratique réduit à un corpus fini ou à un ensemble
indéterminé d'énoncés (observés, modifiés ou produits ad hoc).
Dans le premier cas, un corpus sélectionné fournit par extraction, puis par
mise en mémoire un stock d'énoncés et de fragments d'énoncés déterminés par un
choix-découpage. Ces énoncés sont restitués dans le contexte spécifique du
dictionnaire. Dans le second, le discours source est virtuel ; c'est l'aptitude
discursive (une « compétence », si l'on veut) qui produit, selon des stratégies
propres, une production « exemplifiante ».
Le premier univers est celui de la philologie ; le second, celui d'une pratique
didactique et rhétorique propre au dictionnaire.

Dans les deux cas, on part du discours ou de la diseur sivité dans une langue,
en faisant agir de nombreux cribles, et on va vers cet autre discours, sé-
miotiquement complexe, hétérogène, démonstratif, idéologique-culturel,
didactique et passablement pervers qu'est le discours lexicographique, responsable du
texte des dictionnaires de langue.

Ce n'est pas seulement l'histoire des théories linguistiques qui peut en


rendre compte, mais celle des théories et des pratiques langagières, didactiques,
encyclopédiques, rhétoriques — et bien d'autres, jusqu'aux politiques de la
langue.

Extraire, montrer, invoquer


En France, l'exemple de dictionnaire a été étudié notamment par Quemada,
Dubois, Rey-Debove, R. Martin, sans parler des études spécifiques. Ces études

1. « Typologie génétique des dictionnaires » in Le Lexique, images et modèles, A. Colin, 1977.


2. Concept étudié par Klaus Heger sous le nom de « sigma parole » — cf. Heger К., 1968 :
« Sémantique et dichotomie de langue et parole » : Travaux de linguistique et de littérature,
Strasbourg, n° VII- 1, p. 47 et sq.

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restent en général valables et leurs points de vue complémentaires (philologique,
historique, socio-didactique, sémio tique. . . ) leur permettent d'aborder la plupart
des problèmes de Г exemplification dans les dictionnaires de langue (ceux que
posent les ouvrages encyclopédiques sont profondément différents). Cependant,
le concept d'exemple, pris généralement, s'inscrit dans une longue tradition,
essentiellement rhétorique et en partie juridique. Le rappeler permet de dégager
un arrière-plan qui n'a jamais disparu des problématiques modernes, mais qui a
souvent été occulté.

I. Le mot et la notion

1. Le mot

Le latin exemplum apparaît avec une valeur concrète. Tout d'abord il


désigne un échantillon, une copie exacte, et notamment un objet choisi dans une
collection ou une catégorie, objet qui est isolé et montré pour servir de modèle. De
là le sens second de « modèle à imiter ». Le mot vient de eximere, au supin
exemptum, « extraire, retirer (d'un ensemble) ». C'est un préfixé de emere
« prendre », puis « acheter ».
En emploi abstrait, exemplum est utilisé en rhétorique et sert alors
d'équivalent au grec paradigma, plus technique et toujours abstrait, et qui vient
de para-deigma, du verbe deiknunai « montrer ».
Ces indications ne suggèrent pas une quelconque « preuve par
l'étymologie » , mais rappellent deux concepts sources :
paradigma « ce qui est montré » ,
exemplum « ce qui est extrait » ,
alors que citatio correspond à « ce qui est appelé, invoqué ».
Ces trois concepts jouent encore dans le sémantisme A"1 exemple (et dans celui
de citation), quelles que soient ses applications particulières.
En français, esemple, attesté au XIe s., refait savamment en exemple, est
d'abord attesté pour « nouvelle, bruit qui se répand » et « récit tirant un
enseignement moral d'un fait ».
Ces valeurs archaïques font la synthèse entre deux types de fonctions
exemplifiantes : une fonction narrative, rhétorique et informative, et une
fonction pédagogique et morale. Elles évoquent d'une part un univers de discours, de
l'autre une valeur sémantique informative et didactique.
A partir du XIIe s. , on se rapproche du sens moderne qui est surtout moral et
didactique.

Des extensions surviennent dès l'ancien français où exemple s'applique aussi


à une personne digne d'être imitée (fin XIIe s.) ainsi qu'à un châtiment servant de

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leçon (1381). L'accent est alors mis sur les effets, sur la finalité de l'exemple, sur
un contenu pragmatique en rapport avec l'imitation et avec l'action corrective
(punition et peine à effet éthique). Le contexte culturel est évidemment chrétien ;
alors Vexemplum est à la fois un signe et un moyen d'action pour assurer le règne
du divin (cf. Г Imitation de Jésus-Christ).
Dans l'état actuel de nos connaissances, le mot ne s'applique à un passage de
texte cité pour servir d'attestation qu'au XVIe s. (1573, Dictionnaire français-
latin de R. Estienne : Woolridge 3). La valeur d'exemple-modèle semble ne se
répandre, surtout en grammaire, qu'au milieu du XVIIe s. Un peu plus tard, on dit
une exemple pour désigner un modèle d'écriture donné aux écoliers (« terme de
Maître à écrire », dit Richelet).
Dans la langue classique, on trouve surtout, en matière de dictionnaire, les
termes autorité, citation et phrase tirée des Auteurs. Ainsi, Richelet ne
mentionne pas le sens linguistique de exemple, sous cette entrée.
Notre emploi actuel d'exemple — en matière de dictionnaires — semble à la
fois une spécialisation du sens général (servir d'exemple à..., phrase dont on
trouve un exemple dans...), et une extension de l'usage des grammairiens. En
outre, l'opposition entre la notion de « citation » (le terme citation étant plus
ancien qu'exemple, dans ce contexte) et celle d'« exemple forgé », a dû inciter à
employer le mot exemple pour servir de générique.
Par ailleurs, la linguistique du XVIIe siècle ne fait pas clairement l'opposition
entre les éléments complexes (au-delà du mot) mais codés et ce qu'on peut
aujourd'hui nommer les « exemples libres ». L'ensemble est souvent désigné par
l'expression « les phrases reçues » 4 qui s'applique à la fois à des éléments du
système de la langue (locutions, etc.) et aux modèles littéraires de bon usage,
incarnés dans des énoncés (appelés « phrases ») qui sont pour nous des «
exemples ».
Au moins jusqu'au milieu du XVIIIe s. , exemple reste imprégné de la
conceptualisation dominante d'exemplum, qui est celle des grands rhétoriciens latins :
au premier chef Cicéron et Quintilien.
Aussi n'est-il pas inutile de rappeler l'économie du concept antique de
l'exemplum, qui s'inscrit en logique dans Vinductio et en rhétorique dans la
probatio.

2. Notion générale : logique et rhétorique


Dès l'antiquité, l'« exemple » s'applique à la rhétorique, à la dialectique et
à la morale, fréquemment appliquées au domaine juridique.

3. Comme le note T. R. Woolridge ici même, la valeur du terme est alors plus large qu'aujourd'hui :
c'est que l'exemple n'y est pas forcément exemple-de-forme linguistique, mais exemple-de-propriété
sémantique.
4. Le projet de Dictionnaire de l'Académie rédigé par Chapelain dit : « le trésor et le magasin des
termes simples et des phrases receiies », entendant par là syntagmes, locutions et phrases extraites des
Auteurs « les plus sains », garants du bon usage. Mélange donc, de lexical et de rhétorique « saine ».

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Paradigma chez Aristote (Rhétorique, Topiques), exemplum chez Cicéron
ou Quintilien concernent l'induction d'un fait particulier (ou de plusieurs) par
une autre fait particulier, impliquant une règle ou une tendance.
Ainsi l'« exemple » a valeur de semi-preuve par probabilité. Etant une mise
en rapport d'objets singuliers, il ne peut prouver une loi « universellement »,
mais il peut infirmer une proposition universelle (en tant que contre-exemple). En
termes d'épistémologie moderne — et franglaise — c'est un instrument de «
falsification ». Illustrant la règle ou la tendance impliquée, il a vertu pédagogique.

L'exemple est et demeure concret et singulier ; d'où, en morale, son


importance à côté de la règle (Kant ; Bergson qui considère que l'exemple est plus
efficace, parce qu'il convainc affectivement).

Si l'on réduit l'exemple en tant que modèle moral à sa fonction rhétorique et


logique, on peut le définir très généralement comme : « signe inductif d'une
catégorie de faits singuliers, renvoyant implicitement à une règle ou à une
tendance, c'est-à-dire à une norme ».
On voit que cette définition s'applique également à l'exemple de grammaire
et à l'exemple de dictionnaire, le premier insistant sur la « règle » et le système,
le second sur la « norme » et l'usage, avec d'importantes interférences.

Dans les Oratoriœ institutionis, livre V, Quintilien déploie tous les moyens
utilisables dans le discours pour rendre une assertion certaine. C'est la probatio,
élément essentiel de la démarche juridique. En écartant les preuves dites
naturelles, dont le caractère formel et a-logique est à nos yeux éclatant (elles incluent,
comme on s'y attend, les témoins, les pièces [tabulœ] du procès, l'opinion
commune, mais aussi les serments, les préjugés et même la torture ! 5), la
rhétorique de Quintilien divise la probatio en signes (signa), arguments et exemples.
Les premiers sont rapidement expédiés, car, pour Quintilien, ils rejoignent les
preuves naturelles — il s'agit d'une sémiotique de la conviction par indices,
symptômes, marques... Avec l'argumentation et ses modalités, enthymème,
raisonnement syllogistique (epicherema) et demonstratio, on est au cœur de la
rhétorique en tant qu'utilisatrice des propriétés analytiques du langage. Le
classement de Quintilien est assez divergent par rapport à la tradition cicé-
ronienne : ainsi le raisonnement par « epichérème » est plus précis que la
ratiocinatio de Cicéron, car il est défini par contraste avec la demonstratio.
Celle-ci revêt une importance particulière pour le lexicographe, car elle est
fréquemment déduite, toujours selon Quintilien, des éléments de la definitio.
Le dernier volet de la probatio, après les signa (naturels ou artificiels —
mais signum a ici une valeur spécifique et n'englobe pas le langage) et les
« arguments » , est donc constitué d'exempla.

5. La parenté lointaine et indirecte de la torture et de l'exemple au sein de la probatio peut être


exploitée rhétoriquement. Le discours recueilli est parfois mis à la question pour qu'il avoue le bon
usage, volens nolens.

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Ceux-ci (livre V, chap. XI) sont définis très juridiquement comme des
« preuves qu'on tire du dehors pour les appliquer à une cause ». Cette définition
est utilitaire et pragmatique. Plus essentielle, cette autre définition de Vexem-
plum, comme une « similitude » (similitude, qui traduit le grec parabole, a la
valeur de « comparaison » et inclut l'« analogie » ; Cicéron employait colloca-
tio) « fondée sur l'autorité de la réalité » (rerum gestarum auctoritas). Cette
« similitude exemplaire », qu'elle soit totale ou partielle, directe ou inverse
(exemples « dissemblables », contraires) est la plus efficace pour servir de
preuve.
Ainsi, quels que soient ces exemples rhétoriques chez Quintilien, récits à
moralités (les fables d'Esope), adages, proverbes..., ils ont pour nature une
similitude ou une dissimilitude et pour objet un raisonnement probatoire. Le
concept ainsi construit est pénétré de juridisme : ainsi les décisions judiciaires
sur un cas semblable à celui qui est jugé (la jurisprudence d'une cause) sont des
exempta. Se dégage alors une notion moins extensive de l'« exemple », auquel
peut s'ajouter l'auctoritas. Mais l'auctoritas répond bien à la première définition
de l'exemplum : il faut donc supposer aux exempta un caractère plus ou moins
net ou fort d'autorité. Quintilien refuse ce caractère à la jurisprudence, pour
exemplum, et l'accorde aux opinions pré-jugées. On peut interpréter ceci en
notant que l'expression langagière de ces opinions, qui relèvent, on l'a vu, des
preuves naturelles, fait partie des preuves artificielles « exemplaires », l'artifice
étant ici la mise en discours juridique de la sagesse des nations (coutumes,
dictons...). Relèvent aussi de l'auctoritas les proverbes, les sententiœ des
écrivains — par exemple celles que citent les ouvrages philosophiques — ou
encore la parole divine (oracles, etc.).
Il sera bon de garder en tête cette similitude probatoire plus ou moins
chargée d'autorité, en quittant le tribunal auquel pense Quintilien pour entrer
dans le dictionnaire. En effet, cette invention métalinguistique s'est répandue
socialement notamment lorsque les dictionnaires unilingues sont apparus, en
singeant le prétoire, au nom d'un système de valeurs élaboré en pleine idéologie,
c'est-à-dire en pleine contradiction avec les éléments logiques du langage. Ce
système est la norme. La force du « bon usage » , habillage démocratique d'une loi
du plus fort (socialement, intellectuellement, politiquement) est particulièrement
bien incarnée par la tradition lexicographique française. Mais cette pérennité de
la théorie rhétorique de Г exemplification est occulte : dans la doctrine classique
de l'arrangement oratoire (Du Marsais, Batteux), place est faite aux arguments,
aux « signes » — comme chez Quintilien — aux tropes, à l'arrangement, à
l'harmonie, au style, et guère à l'« exemple ».
Par ailleurs, la pertinence d'une idée générale — éventuellement d'un
concept — de l'« exemple » est garantie par la nature même du discours que
tiennent d'une part les grammaires, de l'autre les dictionnaires de langue.
Ces derniers, depuis la Renaissance jusqu'à la fin de l'âge classique et encore
dans la première moitié du XIXe s., procèdent d'un univers de discours réglé par

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la rhétorique et par une logique, d'abord aristotélicienne, puis, en France,
cartésienne (relayée par Port-Royal), logique dévoyée au nom d'une norme
sociale. Hobbes, Locke et Condillac conduiront ailleurs, dans le psychosocial. En
outre, la pédagogie de la langue, axée sur le latin et sur cette norme sociale
exigeante, très élitiste du langage, utilise elle aussi les ressources de la rhétorique
classique.
Le rôle de Г exemplification dans la description grammaticale, puis dans la
description des dictiones, ou manières de dire (mots et idiomes), ainsi que dans
l'analyse sémantique, elle aussi liée à la rhétorique par les tropes, donne à des
notions comme celle d'« exemple » une importance et une polyvalence extrêmes.
Ce qui se passe au XVIIe s. quant à l'« exemple » — par rapport aux
références possibles à l'antiquité — c'est que cette notion cède la place à celle
d'« autorité » et de « citation », tandis que la pratique exemplifiante va bien
au-delà de ce « lieu commun » qu'est le bon usage de la langue pour atteindre,
souvent à l'insu des lexicographes, la langue même, son système. Alors, l'exemple
de dictionnaire et l'exemple grammatical se confondent structurellement, sinon
fonctionnellement.

3. Interférences philosophiques

Reste à rappeler quelques points de la tradition logico- philosophique du


paradigma-exemplum, qui interfèrent d'ailleurs avec la conceptualisation
rhétorique et juridique et ne se sont pas entièrement effacés dans la notion d'«
exemple », même en lexicographie.
Depuis Aristote, le « paradigme » s'oppose à l'enthymème qui est une
déduction : c'est l'induction d'un fait particulier par un autre fait, qui permet
d'évoquer une loi de manière implicite. Comme on l'a vu en rhétorique, l'«
exemple » ne peut pas prouver une loi (produire une proposition universelle), mais il
peut infirmer une telle loi. Il a valeur de probabilité, plusieurs exemples
permettant d'induire une loi acceptable, sauf contre-exemple avéré (Topiques VIII,
157-160). Il a valeur pédagogique, permettant d'illustrer une règle ou un
concept.
Aristote nous fournira précisément un exemple ď exemplification
(Rhétorique I, 1357) dans le raisonnement inductif suivant :
« Tous les tyrans connus ont commencé par demander une garde
personnelle »
« Denys demande une telle garde »
Ce qui induit que Denys aspire à la tyrannie.
Comme on le voit, la tradition technique (logique et rhétorique) du
paradigma est abstraite — c'est une démarche qui passe de faits concrets invoqués à
une règle probable. En fait, il s'agit plutôt d'exemplification par similitude à
finalité probatoire que d'exemple. C'est le terme exemplum, plus concret (il peut

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signifier « échantillon », « copie fidèle ») qui correspond le mieux aux emplois
modernes de « exemple », notamment en linguistique. C'est plutôt en pédagogie
et en morale que la tradition du paradigma grec s'est maintenue, notamment
chez Kant, qui insiste sur le caractère factuel (non éthique) de l'exemple, ce
dernier relevant de la « raison pratique ». L'exemple, Vexemplum, est la base
concrète, factuelle, de la démarche inductive du paradigma aristotélicien.

Pour les philosophes comme pour les linguistes, l'exemple est finalement le
signe inductif d'une catégorie de faits relativement homogènes renvoyant ainsi à
une règle probable (point de vue logique), à une norme (points de vue social,
rhétorique, juridique...). Dans un dictionnaire, les exemples, faits de discours
individuels assumés ou non, renvoient donc inductivement à une catégorie de
faits (syntactiques, sémantiques, pragmatiques) pour dégager une norme, soit
objective (statistique, philologique), soit projective (sociale, politique,
idéologique).

II. Statut de l'exemple de dictionnaire

1. Statut fonctionnel dans le texte lexicographique

Le dictionnaire fournit une série d'assertions portant sur des objets-signes


sélectionnés en fonction d'une conception descriptive plus ou moins étroitement
soumise à l'élaboration et à l'imposition d'une norme.

Certaines parmi ces assertions sont synonymiques et explicatives (les


définitions, notamment) ; d'autres catégorisantes, d'autres encore exemplifiantes.
Les dictionnaires du XVIIe s. explicitent parfois leur propos, quant aux
définitions, dans une sémantique, soit de la signification (« ce mot signifie », « ce
mot se prend dans tel sens », etc.), soit de l'équivalence ontologique (« c'est... »).

Pour l'exemple, la règle est l'effacement de toute présentation, à moins


d'explicitation exceptionnelle, en cas d'hésitation quant à la norme.

L'intéressant article PEUPLE du Dictionnaire de Richelet fournit un large


éventail de possibilités, quant à l'exemplification 6.
Peuple s. m. Ce mot en général signifie... [explicitation « sémantique » de la
définition]
(ainsi on dit [explicitation d'exemples anonymes] ; il y a bien du peuple à
Paris, il y a une infinité de peuple à Paris).

6. Les passages entre crochets correspondent à mes commentaires. Les parenthèses appartiennent
au texte de Richelet, ainsi que les italiques. Le texte est interrompu :..., [...].

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Peuple s. f. [sic] Ce mot se prend dans un sens moins vague...
[explicitation « pragmatique » et « sémantique » de la définition]
(Et c'est dans ce sens que d'Ablancourt a écrit que le peuple est amoureux de
la nouveauté [explicitation d'une citation d'auteur servant d'autorité]...)
Peuple. Ce mot se prend aussi dans un sens plus resserré pour dire [... suit
une définition]
(Saint-Eustache est la paroisse de Paris où il y a lé plus de peuple [l'exemple
est implicite]...)
[...]
*Peuple. Ce mot se dit au figuré dans un sens assez nouveau...
[explicitation sémantique et pragmatique, alors que c'est la syntaxe qui est
en cause, ce que marque l'exemple référencé] (II faut estre bien peuple pour
[...] Nouvelles remarques sur la langue).

Alors que l'explicitation de la fonction définitionnelle est relativement


fréquente dans ce dictionnaire (et dans ceux de l'époque), celle de l'exemple est rare
et concerne la problématique de la norme, comme on le voit clairement par cet
article :
ANXIETE, Mot écorché du latin anxietas [...] Anxiété ne paroit pas encore
fort établi, et l'on ne le trouve dans aucun auteur bien fameux [ . . . ] Pour moi
[...] je serois dans quelque scrupule de m'en servir. Des gens moins
scrupuleux disent, II est dans une grande anxiété d'esprit.

Dans ce type d'explicitation des jugements de valeur, qui concerne l'origine


du mot, son emploi et son absence supposée des bons auteurs, la finalité réelle et
l'idéologie du dictionnaire se dévoilent clairement. Dans un sens, le caractère
implicite de ces jugements dans nos dictionnaires contemporains, héritiers de la
pseudo-objectivité scientiste du XIXe siècle, rend leur analyse encore plus
difficile.

Le statut fonctionnel de l'exemple, apporter la « preuve » de l'usage,


notamment du bon usage, par une séquence en discours, se reflète par le terme
employé au XVIIe s. de « phrase reçue » où. phrase est ambigu (syntagme, phrase
élémentaire ou complexe) et où reçu fait allusion à la sanction sociale de l'usage.
Ce terme entretient une ambiguïté encore active pour la notion d'«
exemple » : on considère aujourd'hui comme exemple toute séquence supposée
refléter l'usage d'un élément de discours et contenant Ventrée. Cette conception
initiale de l'exemple nous apparaît aujourd'hui comme trop large, et il convient
de distinguer de l'exemple proprement dit toute séquence contenant l'entrée et
qui est traitée à la manière d'une sous-entrée ou d'une valeur sémantique du
mot-entrée. Il s'agit par exemple de syntagmes figés (ou codés), de termes
complexes (syntagmes terminologiques), de locutions, expressions et même de phrases
codées (proverbes, allusions...). Ces éléments sont souvent repérables par le

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discours même du dictionnaire, qui les fait suivre de définitions, de gloses — et
pour les dictionnaires bilingues, d'équivalences en traduction.
Ces sous-entrées sont donc, dans l'économie de la description lexicographi-
que, assimilables aux sens distingués d'une même entrée (sémèmes) et sont,
comme ces significations, illustrables par de vrais exemples et des citations. C'est
le cas de petit peuple et de peuple poétique dans l'entrée peuple de Richelet, alors
même que peuple poétique ne semble guère avoir d'autre existence que comme
production rhétorique.

Pour nous, l'exemple stricto sensu est une séquence discursive (un fragment
d'énoncé ou un énoncé) qui ne fait pas partie du code lexical de la langue, et qui
peut comprendre, non seulement des phrases ou des passages au-delà de la
phrase, mais des syntagmes libres et des modèles de constructions. Bien entendu,
le passage de l'élément codé à l'élément exemplifiant « libre » est flou, comme
l'attestent les innombrables études sur le « défigement » des énoncés
idiomatiques.

2. Statut sémantique (et sémiotique) de l'exemple

D'après J. Rey-Debove — dont je m'inspire ici — , le propre du discours


lexicographique est de mettre en rapport, à des fins métalinguistiques, des
éléments autonymes, tels l'entrée, et, à des fins didactiques, des éléments de
langage non autonymes. L'exemple est lui-même autonyme, en ce qu'il signifie (ou
connote), outre son contenu propre, une caractéristique du discours qu'il
représente. Cependant, ces éléments (mots, termes, locutions...) qui composent
l'exemple sont eux-mêmes en usage, ne sont pas autonymes. Sur ce point, les
thèses classiques des logiciens, Carnap, Tarski, Strawson, selon lesquels tout
énoncé autonyme est formé d'éléments autonymes, sont clairement contrebat-
tues.
Cependant, l'exemple en lui-même peut évidemment être lu comme non
autonyme, comme en usage — et ajouterai-je, comme « exemple » précisément
d'un type de discours constitutif d'un usage. Ainsi, dans les termes de J. Rey-
Debove, l'exemple est l'objet d'une « double lecture » toujours possible.

Il s'agit d'ailleurs, non pas d'une opposition binaire tranchée, mais d'une
ambiguïté entre mention et usage, qui permet de voir plus ou moins, dans tout
exemple, deux sémantismes, l'un indirect, renvoyant à un signe de langage,
l'autre direct, renvoyant à un contenu conceptuel ou à un réfèrent. Ainsi, dans
les exemples non référencés de Littré, exemples supposés « forgés » , le romancier
Richard Jorif 7 a voulu trouver un corpus renvoyant à la vie et à la vision du
monde du lexicographe en tant qu'énonciateur individuel.

7. Dans le Navire Argo, Paris, François Bourin, 1987.

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Dans tous les cas où l'exemple est référencé, il renvoie selon moi à trois
niveaux de signifiance : l'usage langagier — comme tout exemple — par autony-
mie ; l'univers de discours indiqué (l'œuvre de X ; telle œuvre ; tel type
d'œuvre ; le discours de tel genre littéraire, de telle école, etc.) ; enfin, un univers
de référence extra-linguistique général qui correspond à la lecture naïve, extra-
lexicographique, non critique, des textes. C'est ce dernier référentiel qui suscite
notre étonnement quand la référence est omise ou effacée ; par exemple lorsqu'on
lit, dans l'article peuple de Richelet, cette assertion apparemment péremptoire :
« le petit peuple de Londres est méchant » .

L'opposition entre citation et exemple non référencé, déjà sensible, se révèle


aussi du point de vue énonciatif . Le second est censé être énoncé didactiquement
et lexicographiquement par l'auteur ou l'un des auteurs du dictionnaire ; alors
que le premier reçoit un énonciateur explicite, l'auteur d'une oeuvre socialement
perçue — source d'autorité. Or, cet auteur peut recourir et recourt
fréquemment, par la sémiotique propre au texte qu'il a produit, à un énonciateur ou
à une pluralité d'énonciateurs, en général fictifs et « littéraires » (tel le narrateur
proustien) : citer une pièce de théâtre, c'est recourir à une totalité
d'énonciateurs-personnages sans toujours les expliciter ; citer un roman, ce peut
être recourir à renonciation de personnages capables de contredire, au niveau de
la forme comme des contenus, l'énonciateur affiché qu'est l'auteur et le méta-
énonciateur qu'est le lexicographe.

3. Statut social et pragmatique de l'exemple

L'exemple s'insère dans le texte du dictionnaire non seulement fonctionnel-


lement, mais par le modèle de communication que permet le discours lexicogra-
phique en question.
Chaque dictionnaire construit ainsi une pragmatique de l'exemple au moyen
d'une chaîne de décisions et de choix, qui vont de l'image des usages de la langue
aux rhétoriques propres à chaque ouvrage. Le même type de choix et de
procédures est à l'oeuvre avec d'autres objets (définitions, marques, etymologies...).

C'est ainsi que l'appareil d'exemples d'un dictionnaire manifeste ou trahit


des positions pédagogiques, éditoriales — voire commerciales, et en général
idéologiques, autant et parfois plus que l'analyse des sens, les choix de
nomenclatures, la politique définitionnelle.
Ceci, tant pour l'exemple non référencé — qu'il soit ou non « forgé » — que
pour la citation philologique.

Ce statut socio-pragmatique fait (ou doit faire), tout autant que le statut
fonctionnel, l'objet des études de métalexicographie historique.

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III. Fonctionnements

1. Genèse, fonctions et pouvoirs de l'exemple dans les dictionnaires de


langue

1.1. Le discours-source que représente l'exemple à propos d'un élément-signe


(mot, sémème, syntagme figé, locution...) est ou non repérable dans son origine
selon le système de référence.
Celle-ci peut être complète (selon les connaissances philologiques) ou
partielle (références à un texte, sans lieu ; référence à un auteur). Lorsque toute
référence est absente, trois cas se présentent :
i) L'exemple, énoncé, phrase ou syntagme est prélevé sur un texte ou, bien
souvent, sur un autre recueil qui avait fait la même opération d'effacement, et
ceci sans autre opération que le découpage.
ii) L'exemple est issu d'un texte, mais ce texte a été modifié par interruption,
neutralisation des marques d'énonciation ou de discours (substantifs et adjectifs
mis au singulier, au masculin pour les adjectifs ; verbes à l'infinitif ou à
l'indicatif, etc.). Ainsi P. Corbin a pu étudier les manipulations productrices d'exemples
non référencés dans le Micro-Robert et qui procèdent d'exemples référencés du
Petit Robert. Ces derniers sont souvent empruntés, parfois avec des
modifications, au corpus de citations du Grand Robert, ce que vient d'analyser Alise
Lehmann 8. Ces procédures sont observables dans toute lignée de dictionnaires
(Richelet au XVIIIe s., ou encore la série Furetière-Trévoux ; les déclinaisons du
Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse).
Il arrive même que ces manipulations soient constitutives d'une méthode.
Ainsi, les syntagmes très abondants du TLF (au moins avant le 10e vol.)
proviennent en principe tous du corpus appelé Frantext, du fait du caractère strictement
philologique de ce dictionnaire, procédure qui illustre la frénésie scientiste du
corpus alimenté par ordinateur que l'on retrouve notamment en Grande-
Bretagne (le Co-Build, par ailleurs assez remarquable, publié chez Collins).
iii) L'exemple, en général un syntagme ou une phrase élémentaire
neutralisée, présenté sans référence, n'a pas de source repérable. C'est en
général le cas pour les dictionnaires élémentaires, certains dictionnaires
encyclopédiques (les Larousse actuels), les dictionnaires pour enfants. D'autres
dictionnaires marient deux ou trois des solutions décrites ici. La source supposée
des exemples sans référence est l'aptitude exemplifiante (discursive, rhétorique
et pédagogique) du lexicographe, à l'intérieur d'une conception explicite ou
implicite, plus ou moins normative, de l'usage. Ces exemples, mieux que tout
autres, sont des symptômes et des indices de l'activité lexicographique
individuelle. L'exercice qui consiste à gommer les finalités fonctionnelles de l'exemple

8. A. Lehmann, « Du Grand Robert au Petit Robert : « les manipulations de la citation


littéraire », in Lexique 12-13, Presses Universitaires de Lille, 105-124.

105
pour exercer une lecture non autonymique peut avoir des charmes. On
considérera à part, comme manifestation de l'ambiguïté de cette institution, la politique
du dictionnaire de l'Académie française, qui prétend mettre à contribution les
auteurs « immortels », alors qu'elle recourt aujourd'hui au service de
lexicographes anonymes, dévoués et soumis au joug assumé de la tradition.

Chez Richelet, illustrant le syntagme présenté comme figé : le petit peuple,


l'exemple le petit peuple de Londres est méchant (repris au XVIIIe s.) a été signalé
plus haut. Son incongruité trahit une source que j'ignore. Il pourrait s'agir d'un
ouvrage d'histoire faisant allusion au régicide de 1649.

Si l'idéologie des citations se laisse analyser par recours à une oeuvre, celle
des exemples sans référence est directement sociale. Dans le Petit Larousse de
1906-1907 édité par Claude Auge, sous gaiement, on lira avec amusement cet
exemple relevé par J. Dubois :
marcher gaiement à la mort
Assignable à l'idéologie de l'époque, cet exemple est probablement dû à un
lexicographe adepte de la fleur au fusil, mais peut aussi être emprunté à un
quelconque Déroulède. Cet exemple, par remanence, a été maintenu dans le Petit
Larousse jusqu'en 1950, date où il cède la place à travailler gaiement, lequel est
aujourd'hui éliminé. Ainsi la gaieté supposée du sacrifice patriotique ultime, puis
celle du travail, ne sont plus évocables décemment dans la société contemporaine,
évolution que reflète avec un certain retard le dictionnaire.

1.2. La production de l'exemple peut donc venir d'une extraction par rapport à
un corpus — qui suppose repérage préalable ou choix a posteriori, dans le cas
récent des « textes intégraux » emmagasinés dans l'ordinateur — ou d'une mise
en discours des unités décrites.

Les procédures de sélection, dans le premier cas, sont très complexes. Ainsi
Paul Imbs, pour la constitution du texte-corpus destiné au TLF, a-t-il procédé ou
fait procéder par sélection préalable d'oeuvres (à l'aide d'une batterie de
manuels, reflétant une idéologie pédagogique probablement modifiée par des choix
personnels — à en juger par l'abondance des extraits d'un Léon Cladel 9 dans
l'ouvrage), la mise en mémoire du corpus en texte intégral reportant la sélection
au moment de la préparation rédactionnelle. Alors, l'abondance de ce corpus a
conduit à des pré-sélections très complexes, soumises à des contraintes
matérielles soigneusement dissimulées au consulteur du produit fini. 80 % du matériel
étaient puisés à l'ensemble discursif caractérisé comme « discours littéraire en
français moderne » et produit entre 1790 et 1950 ou 60, ensemble qui permet
autant de choix, de dosages et d'exclusions qu'il y eut de décideurs potentiels.

9. Rien de scandaleux, d'ailleurs, dans le choix de cet écrivain original, énergique et injustement
oublié.

106
La plupart des autres dictionnaires procèdent de manière asystématique et
la sélection y est toute différente.

1.3. Sélectionné et découpé, fidèlement reproduit ou « traité », l'exemple


observé est alors restitué.
Le contexte général de la restitution de fragments de discours socialement
valorisés et cités est très large et variable, de l'exergue au titre (« les merveilleux
nuages »), de l'inclusion dans un texte didactique ou polémique, voire
propagandiste, à l'utilisation dans le discours littéraire (voir la « Seconde main »
d'A. Compagnon, à propos de Montaigne) ou dans le discours didactique.
Cette restitution va du recueil pédagogique, anthologique, au recueil de
citations, au dictionnaire de langue général ou à des dictionnaires spéciaux (de
locutions, par exemple).
Dans le cas très spécifique du dictionnaire général de la langue — à côté de
celui, non moins important, des grammaires — de nombreuses procédures sont à
envisager :
— découpage des extraits
— traitements et modifications repérables
— référencements par l'auteur, le titre, le lieu...
— disposition et ordonnancement dans l'article de dictionnaire
— présentation typographique.
Les solutions sont très variables. Ainsi, au XIXe s., alors que Bescherelle ou
Pierre Larousse disposent leurs extraits selon l'analyse sémantique, puis
terminologique, enfin encyclopédique de leur matériel lexical, Dochez et Littré
adoptent un double ordonnancement, d'abord chronologique pour l'ancien et le
moyen français, puis sémantique pour le français classique et moderne. Le
procédé de Dochez, qui consiste à énumérer les significations de son entrée, puis
d'aligner (a) des citations archaïques , en italiques (b) des citations « modernes » ,
renvoyant implicitement aux sens énumérés plus haut, revient à juxtaposer un
dictionnaire général élémentaire et une anthologie langagière. Littré, plus
raisonnable, fait de l'exemple-citation une illustration appuyant son analyse
sémantique.
Les dictionnaires modernes de la langue française ont en général adopté les
procédures mises au point par le Dictionnaire général, ne retenant de l'ancien et
du moyen français que des exemples de première attestation et donnant aux
exemples modernes le statut d'« exemple-de-l'usage » tel que cet usage est
analysé par le dictionnaire.
Ces considérations s'insèrent dans un domaine important de la critique
lexicographique : la place de l'exemple par rapport aux autres éléments du
discours du dictionnaire.
En général, ce discours met en œuvre une séquence : « objet à définir »
(mot, sens, valeur, locution) +« définition ou glose » +« exemple(s) », ce dernier
(ou ces derniers) venant à l'appui de l'analyse proposée.

107
Mais une relation réciproque — peut-être dialectique — entre la définition
et l'exemple est partout observable. D'une part, la répartition des traits
descriptifs entre définition et exemple n'est pas fixe : les premiers seuls sont supposés
être pertinents et cette pertinence n'est jamais établie d'avance ; d'autre part, de
nombreux exemples contiennent des traits définitionnels , sans même parler
d'exemples-définitions, choisis pour suppléer aux définitions du lexicographe ou
pour les compléter.
Il arrive aussi que la séquence définition-exemple soit inversée, pour des
raisons pédagogiques ou même théoriques (Marcel Cohen). La relation langue-
discours est alors en cause. Une véritable bataille pédagogique et éditoriale s'est
récemment livrée sur ce point, à propos des dictionnaires pour enfants.

1.4. La production d'exemples (non référencés) dont l'abbé Féraud disait qu'ils
étaient « faits à plaisir » — ce plaisir n'est pas toujours évident, au moins du
point de vue du lecteur ! — pose des problèmes particuliers : ces exemples sont
en général moins spécifiques que les exemples signés et correspondent
intentionnellement à l'illustration d'un fait de langue et d'usage plus qu'à une mise en
discours singulière. En cela, ils sont plus « exemples » que les citations. En
revanche, ils le sont moins, si l'exemple doit être une « autorité » (c'est le sujet de
la controverse entre l'Académie et ses concurrents) ou encore une référence
culturelle à un savoir suscité par les mots. Une telle fonction anthologique et
allusive est très active dans les dictionnaires, mais mal perçue par la plupart des
linguistes, qui vivent souvent sur l'idée fausse qu'un dictionnaire décrit une
langue, un système.

1.5. L'opposition (au sein d'un continuum) entre exemple anonyme et citation
référencée est très observable sur le plan génétique — production vs philologie,
cette seconde attitude étant imposée à la description des langues mortes ou
inconnues du descripteur. Le cas est fréquent dans les dictionnaires
d'anthropologues et d'ethnologues, faux unilingues où le métalangage est celui de la
communauté scientifique dominante. Cette opposition reste importante du point de vue
fonctionnel. Mais je ne la crois pas exploitable du point de vue linguistique ou
sémiotique. Ainsi, voir en l'exemple « forgé » (présumé tel) une « phrase » et en
la citation un « énoncé » (Martin, op. cit.) me paraît difficilement défendable,
sinon comme la manifestation d'une tendance assez vague à privilégier soit
l'aspect langagier (la langue et ses usages), soit l'aspect pragmatique-énonciatif.
D'abord, les deux catégories contiennent toutes sortes d'unités linguistiques :
syntagmes, propositions, phrases, séquences de phrases. De ce point de vue, la
production et l'extraction-découpage produisent les mêmes types d'unité. On
peut préciser que des unités de nature rhétorique (rythmiques, stylistiques,
métriques) ne sont mises en scène que dans la citation référencée (mais déjà le
Dictionnaire de rhétorique de Morier, avec ses méta-poésies exemplifiantes , me
dément. . .). Quant à la sémiotique de renonciation, elle est certes concernée, mais
seulement par les différences de mise en place des énonciateurs. Ce dernier peut

108
être anonyme, lexicographiquement assumé (espèce bien représentée du XVIIe s.
avec Richelet, Furetière, au XIXe s. : Pierre Larousse, mais devenue rare) ; il
peut être effacé, reconnu, et alors identifié à un auteur, à un texte, à un
personnage (théâtre, discours), avec des zones d'incertitudes difficilement évita-
bles (le cas du discours indirect libre dans certains romans). Les circonstances
d'énonciation, d'une manière générale, sont très peu caractérisées dans les
exemples de dictionnaires. A contrario, certains exemples non référencés sont
bel et bien des énoncés ; sinon, il serait difficile de caractériser, comme le fait R.
Martin avec malice, les exemples du D. F. C. 10 dans leur teneur culturelle et
idéologique.

2. Finalités de l'exemple : problèmes de représentativité

2.1. On l'a vu, l'exemple, qui est un extrait, est par définition destiné à montrer
(à « illustrer ») et à « autoriser », c'est-à-dire à justifier à la fois le travail
lexicographique et la conception de l'usage que ce travail présuppose et présente.
En outre, (a) il doit enseigner. Enseigner le bon usage, par les règles de la langue,
celles de l'usage sélectionné et parfois celles du style (dictionnaires de langue
« purs ») ; enseigner des contenus culturels valorisés ; des connaissances sur les
referents : dictionnaires dits « encyclopédiques ». (b) II doit convaincre,
manifestant une ou des idéologies (langagière, culturelle). Ce faisant (c) il met en
œuvre de facto de l'idéologie, en général.
L'exemple est par nature un signe, dont les signifiés sont extrêmement
variables et souvent pluriels (pour le même exemple). Ce signe est constitué sur le
plan du discours :
i) de collocations et constructions supposées usuelles ou nécessaires (dans
les usages sélectionnés). Ce sont des syntagmes nominaux et verbaux, des phrases
simples, souvent neutralisées. La nature de ces syntagmes est soumise à l'exem-
plification propre à chaque partie du discours. Métalangage et autonymie sont ici
dominants, mais le langage connotatif est lui aussi très actif.
ii) d'énoncés-phrases, référencés ou non, qui représentent des caractères
linguistiques et des contenus extra-linguistiques variés dans leur intention et dans
leur nature. Alors, l'autonymie est combattue par des effets discursifs déplacés,
mais qui restent actifs : l'exemple est aussi exemple d'un style, d'une rhétorique
personnelle, de contenus de pensée, de vérité ou de savoir, le tout mobilisant un
ensemble de jugements de valeurs socioculturels.

Le signifié ultime de l'exemple (son objet, sur le plan fonctionnel) se laisse


analyser en plusieurs éléments amalgamés, répartis en trois niveaux.

10. Feu le Dictionnaire du français contemporain de J. Dubois et al., dont les avatars — au sens
hindouiste — chez Larousse sont fort nombreux.

109
(i) Des éléments formels-fonctionnels, visant une caractéristique du système
de la langue, (a) soit morphosyntactique (exemples de nature morphologique et
syntactique, déployant l'axe syntagmatique), (b) soit sémantique et paradigma-
tique, et alors plus étroitement lexical. L'accumulation de données paradigmati-
ques donne à ce type d'exemple des traits communs avec la définition. On
comprend aisément que les exemples de « mots grammaticaux » (syncatégorè-
mes), de verbes, d'adverbes, et à un moindre titre les exemples d'adjectifs, sont
plutôt situés du côté de la morphosyntaxe, alors que les exemples de noms
substantifs accumulent les données paradigmatiques, impliquant plus
directement — et plus lexicalement — des traits sémantiques (l'aspect
sémantique étant bien sûr, toujours présent). À l'état pur, ce niveau (i) est fictif ou
plutôt asymptotique, dans les dictionnaires réels u.
(ii) Des éléments à la fois fonctionnels et sociaux, englobant ceux du niveau
(i), mais passant d'un objet théorique, le système de la langue, à ses actualisations
sociales (temporelles, spatiales, sociologiques), c'est-à-dire aux usages. On y
retrouve, pour l'exemple, l'analyse esquissée en (i), avec des traits
supplémentaires, qui supposent l'intervention de jugements de valeur quant au système
de la langue (rarement), quant à ses actualisations observables (usages) et surtout
quant aux discours effectivement produits dans l'un des usages concernés.
L'exemple devient alors probatoire, non d'un fonctionnement jugé conforme à un
système, à des lois, au sens scientifique (grammaticalité et sémanticité dans une
langue), mais d'un fonctionnement gouverné par des règles sociales, jugé
conforme à une sélection d'usages parmi d'autres qui sont, par le fait même,
écartés : soit niés, éliminés, soit « marqués ». L'exemple, témoin d'une loi au
sens scientifique, cède la place à l'exemple, preuve et modèle d'un usage, d'une
habitude sociale et, dans certains cas, d'une norme exclusive, d'une loi au sens
juridique — et plutôt d'une loi coutumière que d'un code. C'est l'idée même du
permis face à Г interdit, illustré par des auto rites. Qu'on habille idéologiquement
la norme prescriptive en « bon usage » n'y change rien.
Cependant, l'appareil d'exemples, qu'ils soient forgés ou référencés, permet
de donner à chaque dictionnaire un caractère plus ou moins normatif, caractère
que manifeste par ailleurs le système des marques.
(iii) Reprenant les aspects sémantiques de (i) et de (ii), aspects développés
autrement par les définitions, les gloses et une partie des remarques, l'exempli-
fication peut être celle des caractéristiques de certains discours socialement
acceptés quant à leurs « contenus » exprimés (au sens hjelmslévien de
« contenu » : forme et substance).
C'est sur ce plan que l'on peut distinguer pour l'exemple, comme le fait
R. Martin, des fonctions « rhétoriques » et « pragmatiques », « philologiques »

11. On peut admettre que les carcasses représentant des matrices syntacto-sémantiques (qui
émaillent si disgracieusement le TLF : « qqn fait qqch à qqn pour qqch », etc.) sont des exemples de
langue, quasiment avant tout usage !

110
et « épilinguistiques » — terminologie de Culioli — , puis « au-delà de la langue »
« encyclopédiques », « idéologiques » et « littéraires ». Tous ces adjectifs sont
justifiés, mais ils ne me semblent pas être situés sur le même plan, quant à la
fonction exemplifiante : ainsi « rhétorique » concerne des traits propres aux
discours exemplifiants (non à la langue ni à l'usage), « philologique » concerne la
relation entre l'exemple au sens d'« extrait » et son lieu d'extraction, qui est lui
aussi un discours choisi, déjà « extrait » de l'indéterminée parole saussurienne.
En revanche, « épilinguistique » et « encyclopédique » transcendent le discours
et font appel à des propriétés sémio tiques du langage (langue et usages), certes
incarnées par du discours.
Pour résumer, l'exemple de dictionnaire, qui est toujours du discours
(observé, produit, manipulé...) peut être exemple-de-langue — à mon sens, il ne
l'est presque jamais purement — , exemple-d'usage, exemple-de-norme et enfin
exemple-de-discours, quant à une unité donnée. Mais ce discours signifié, qui est
sélectionné de manière très « culturelle », est alors lui-même exemplifiant, et ce
qu'il exemplifie va du contenu de pensée original au stéréotype culturel répétitif,
comme il va du didactisme (« les discours de spécialité ») à l'esthétisme (« les
discours littéraires »), et de la « faute » 12 dénoncée ou éliminée au « bon
usage », en passant par les usages « marqués ».
Les caractéristiques essentielles des exemples de dictionnaire me paraissent
opposer une sémantique langagière surtout lexicale et, l'englobant, diverses
sémantiques organisées en une sémiotique englobante. Sa désignation la plus
généralement adéquate pourrait être l'adjectif culturel subsumant des
sémantiques peut-être bien extra-linguistiques, mais certainement pas
extradiscursives. Cette vaste organisation de contenus s'exprime dans une langue et
par ses usages, à l'intérieur desquels le dictionnaire sélectionne une norme (plus
ou moins tolérante) qu'il exemplifie par des bribes de discours. Cette
organisation, toujours de nature socio-culturelle, est modulée individuellement, mais ces
modulations (discours innovants, de savoir, de pouvoir ou d'imagination) sont
immédiatement reprises en terme de valeurs collectives. L'exemple signé
Mallarmé, qu'on cherchera vainement chez Littré, malgré la profonde connivence de
leurs points de vue sur le langage (sur le français), parce qu'il eût été du pur
discours non encore socialisé, relève dans les dictionnaires français
d'aujourd'hui de la même exemplification culturelle que celui de Hugo ou de
Racine. Le caractère toujours discursif de l'exemple requiert, pour qu'exemple il
y ait, que le fragment prélevé, par quelque aspect que ce soit, représente un
usage, un registre, un style, un type de contenu... dûment reconnu et classé,
c'est-à-dire du socio-culturel repéré ou repérable.
Une autre dimension de l'exemple concerne la structuration des savoirs —
scientifiques ou non — par les discours de spécialité, qui ne peuvent fonctionner

12. J'entends « faute » au sens de Henri Frei, comme règle d'usage non reconnue par le groupe
dominant et sa pédagogie, plutôt que comme écart idiolectal.

111
que grâce à des terminologies. Les termes ne sont pas des unités lexicales : ils
utilisent les mots, comme ils utilisent la syntagmatique, la siglaison, la formule
chimique, etc. pour en faire les pions d'un échiquier onomasiologique. Or,
l'exemple terminologique, lié à la définition terminologique 13, fleurit dans de très
nombreux dictionnaires spéciaux et envahit discrètement les grands
dictionnaires généraux (en France, le TLF, le Grand Robert en fourmillent). Un exemple
terminologique illustre l'usage d'un terme ; ce faisant, il opère une combinatoire
discursive censée révéler des propriétés référentielles, mais sans jamais
oublier — pour cause — leur expression dans une langue en « termes » . Sur le
plan paradigmatique, il peut révéler un pan des structures de désignation qu'on
appelle des « terminologies ». Grande différence avec le discours et l'exemple
encyclopédiques, lesquels sont par nature étrangers à une langue particulière et
à ses usages, qui sont traduisibles ad libitum, qui ne contiennent pas
nécessairement d'occurrence de l'entrée (mot, syntagme ; terme) et n'illustrent
qu'accessoirement un fonctionnement langagier. Ces exemples illustrent des
connaissances, non leurs moyens d'expression. Sont-ils encore des exemples, du point du vue
du dictionnaire de langue ? Dans les dictionnaires français dits encyclopédiques,
la différence entre le bloc « linguistique » (définitions, exemples, citations), le
bloc terminologique (définitions + exemples éventuels) et le bloc encyclopédique
(discours libre, dont le statut exemplifiant change de nature sémiotique), est
exploitée de manière claire et systématique par le Grand dictionnaire universel
de Pierre Larousse et dans ses déclinaisons 14 — cette tradition remontant à
Bescherelle.
S 'agissant de valeur littéraire 15 — ou plus largement, esthétique — ou bien
de pouvoir allusif et culturel — savoir partagé requis — , Г exemplification par
citations échappe aussi au rapport normal entre exemple et entrée. Tout comme
pour l'exemple (ou discours) encyclopédique, le statut d'occurrence dans
l'exemple est incertain : l'exemple peut certes illustrer le « bon usage » d'une unité
lexicale, mais il illustre surtout le discours même, dans sa rhétorique, dans ses
contenus de pensée, dans son rythme, sa musicalité, chacune de ces
caractéristiques étant typique d'un « style ». Il peut illustrer aussi la célébrité du
fragment discursif, son aptitude à être rappelé (mots historiques, etc.). Dans ce
type d'exemples, la qualité lexicologique, c'est-à-dire le rapport entre l'entrée
exemplifiée et l'exemple, s'efface au profit d'une représentativité stylistique ou
culturelle à l'occasion d'un fait de lexique. À côté des exemples illustrant les
mots-clés d'un écrivain ou d'une école (c/iet>eiure-Baudelaire ; absurde-Camus,
etc.), la plupart des citations littéraires jouent un rôle extra-lexicologique : leur

13. Voir De Bessé В., 1990 : « La définition terminologique », La définition, Paris, Larousse,
252-261.
14. Voir A. Rey, « la Lexicographie française depuis Littré » , in Encyclopédie internationale de la
lexicographie, II, Berlin-New York, 1989.
15. Sur la problématique : discours littéraire - exemple de dictionnaire, voir aussi A. Rey « le
Statut du discours littéraire en lexicographie », in Lexique, 12-13, Presses universitaires de Lille, 1995,
17-32.

112
répartition est largement arbitraire, souvent mnémotechnique. L'entrée de
dictionnaire n'est alors qu'un prétexte, un moyen commode pour retrouver la
« citation exacte » (phrase jugée esthétique ou phrase célèbre + référence
précise). Que le « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? » de Racine
figure dans un dictionnaire sous serpent ou sous siffler dépend de l'efficacité
mnémotechnique de ces deux entrées (tête, trop marginal, est éliminé) : en effet
Г exemplification du comportement des mots serpent et siffler est ici très
secondaire, car il s'agit d'un exemple-de-procédé-stylistique (allitération) et d'un
exemple-du-style-racinien, enfin et surtout d'un repérage de passage célèbre,
bien plus que d'un exemple lexical de langue ou d'usage 16.
L'opposition « contenus de pensée » (incluant les « contenus de savoir »
encyclopédiques) vs. « discours valorisé esthétiquement » me semble
parfaitement opératoire à l'intérieur de l'ensemble exemplifiant qui échappe à
l'illustration de l'usage langagier collectif et normal 17.
Reste à évoquer un aspect de l'exemple qui n'est pas toujours fonctionnel,
l'aspect idéologique.
L'exemple est, dans les dictionnaires développés, la principale tête de pont
des idéologies et en général des jugements de valeurs. Qu'il s'agisse de la
production d'exemples ou du choix des citations référencées, du choix des auteurs et de
celui des passages cités, qui n'est pas forcément redondant 18, l'idéologie est
partout. Mais, sauf en cas de volonté propagandiste affirmée, ce caractère n'est
justement pas exemplifiant : l'idéologie des exemples ne fournit jamais l'exemple
d'une idéologie.
En outre, on peut toujours lire en terme d'idéologie le résultat d'une
production d'exemples ou d'un choix de citations, qui trahissent plus et autre
chose que cela : l'intervention d'une personnalité individuelle ou collective
(« une équipe »), personnalité qui se marque dans tout ce qui n'est pas imposé
par la formule dictionnaire. Les définitions, le marquage des registres et des
usages, les plans d'articles même 19 trahissent de telles options. Celles-ci peuvent
véhiculer des thématiques, des attitudes, des obsessions, relevant ou non des
idéologies collectives ambiantes et affrontées.

16. On verra un indice de cette situation dans le fait que le vers racinien en question est cité in-texte
dans le Grand Robert à siffler, avec un renvoi à enfer, qui complète grammaticalement l'énoncé (vos,
dans vos têtes, renvoie к filles d'enfer), conceptualise la référence et précise le lieu cité, alors formé de
deux vers centrés sur le caractère infernal.
17. Dans un petit dictionnaire usuel, le choix des citations est explicitement orienté vers cette
fonction culturelle, les exemples non signés se réservant la représentation des faits de langue et d'usage
(le Robert pour tous, D. Morvan et al., Paris, Diet, le Robert, 1994).
18. Le lexicographe est à l'auteur cité ce que le metteur en scène est à l'acteur. Il peut utiliser les
contre-emplois. J'ai ainsi eu plaisir à illustrer dans le Grand Robert une philosophie déiste de la nature
par des exemples de Sade (à mettre entre toutes les mains) — alors que le même auteur, pour la première
fois cité dans un dictionnaire français, servait aussi à exempufier une partie notable du vocabulaire
erotique, emploi attendu de ses textes.
19. J'ai signalé ailleurs le caractère quasi militant du plan de l'article Roi dans Furetière (1690),
qui conduit de manière impressionnante du Roi des rois biblique à Louis XIV (Furetière, imagier de la
culture classique, in rééd. du dictionnaire de Furetière, Le Robert, 1978).

113
Enfin, s'agissant d'idéologie, le dictionnaire de langue commence par
véhiculer celle de la langue même. Comme toute attitude idéologique, qui consiste
notamment à considérer le culturel comme naturel, le jugement social sur la
langue considère l'idiome comme unitaire (unité naturelle, n'en doutons pas :
souvenez-vous du titre hénaurme d'un ouvrage de Marc Blancpain : Langue
française, langue humaine). Les dictionnaires officiels du français — au premier
chef ceux de l'Académie — prétendent décrire cet objet évident, alors qu'ils
sélectionnent ce qu'en ont fait les élites et les pouvoirs, écartant comme illégitime
la multiplicité des usages, gommant énergiquement la variation sociale. Or, pour
exemplifier la langue, il faudrait exemplifier la variation de ses usages. Ce que le
dictionnaire, objet non seulement social, mais politique, ne fait point ou fait fort
peu... Telle est l'idéologie première du dictionnaire.

Si, du point de vue linguistique, tous les exemples sont représentatifs d'un
usage, qu'ils exposent et qu'ils justifient (« illustration » et « défense »), cela
suppose un discours-objet qui soit observable et classable. En effet, les «
exemples » sont soit des « extraits » (ou « citations »), soit des réalisations supposées
canoniques d'une compétence d'usage. Seul l'exemple forgé pur, cet exemple,
« fait à plaisir », échapperait à la description d'un usage social établi de la
langue. Mais ce type d'exemples n'existe que dans les pseudo-dictionnaires
ludiques ou polémiques — et dans renonciation, elle aussi ludique et polémique,
de certains vrais dictionnaires (Pierre Larousse et ses acolytes, dans le Grand
Dictionnaire universel, en fournissent de savoureux exemples).
Des points de vue conceptuel et culturel, il en va de même, sauf si l'ouvrage
développe ouvertement la pensée d'un auteur. Mais le Dictionnaire
philosophique de Voltaire est-il encore un dictionnaire ?

2.2. La représentativité de l'exemple est évaluable par un jugement critique. Ce


dernier suppose la parfaite connaissance
(a) de l'objet que signifie l'exemple
(b) de la finalité du dictionnaire, qui oriente la représentativité de
l'exemple.
Il est en effet impossible d'évaluer la représentativité de ses exemples sans
envisager les finalités exemplifiantes du dictionnaire lui-même. Ces finalités, qui
ne sont pas identiques aux fonctions dégagées ci-dessus, dépendent des projets
lexicographiques .
Ainsi, la grande controverse entre exemples anonymes et citations
référencées, surtout littéraires, qui fit rage du XVIIe au XIXe s., correspond à deux
conceptions lexicographiques bien distinctes, sinon toujours bien définies :
— description de l'usage de la langue ; en fait d'un « bon usage », d'une
norme déguisée en langue : « le français »
— description des possibilités et des réalisations rhétoriques et
conceptuel es de cet usage.

114
L'histoire de la lexicographie française entre 1650 et 1900 est caractérisée
par ces deux controverses. Richelet et l'Académie 1694 sont entièrement animés
par la description d'un « bon usage » et l'ombre de Vaugelas, la collaboration
vraisemblable de Bouhours et de Patru pour Richelet, informent les réalisations
par ailleurs contrastées du pédagogue un peu agité (Pierre Richelet) et du collectif
assez médiocre mené par le sanguin Charpentier (l'Académie 1694 20), Furetière
échappant en partie à cette problématique. La philologie du XIXe s. modifie les
données ; elle a l'inconvénient de mêler deux idées : « discours (observé
scientifiquement, objectivement) » et « sélection discursive servant de caution à l'usage
retenu ».
Or, le dictionnaire n'est nullement devenu au XIXe s. un objet scientifique
issu d'un observable pur. Il est resté un objet rhétorique, idéologique,
institutionnel, fondé sur un observé-jugé choisi et hiérarchisé. L'implicite scientiste de
la linguistique contredit l'implicite idéologique du dictionnaire et ceci dès
l'origine de la philologie, grand instrument d'exaltation des origines ethniques —
notamment en terre germanique.
Or, à la même époque, le dictionnaire, en France, se met à exprimer des
intentions pédagogiques nouvelles ; l'aspect conceptuel-terminologique,
introduit par Furetière dans les dictionnaires généraux, triomphant à l'époque des
Lumières, va se diffuser socialement un siècle et demi plus tard, après une
Révolution et pendant des Restaurations. Avec Landais, Poitevin, les frères
Bescherelle, Pierre Larousse, la terminologie, support formel et lexical (ou plutôt
syntagmatique 21) du savoir encyclopédique, devient un enjeu essentiel de la
lexicographie. Celle-ci prétend ajouter à la « leçon de choses » une « leçon de
mots » et combiner les deux en un seul modèle d'ouvrage, le dictionnaire appelé
encyclopédique .
L'exemplification langagière ne change pas de nature, mais les autres
représentativités de l'exemple, et surtout de la citation, désertent l'illustration
rhétorique et pédagogique pour une autre fonction dominante : la représentativité
culturelle.
Alors que le trésor littéraire national demeure archaïquement le témoin
majeur de la démonstration lexicographique, l'apparition discrète de
témoignages signés provenant des discours de spécialité — science, technique,
arts, droit, politique, économie, finance, etc. — modifie (encore assez peu) les
équilibres. De même, alors que le discours en traduction était au XVIIe s.

20. Après la première version inachevée de ce dictionnaire, qui devait porter la marque forte, mais
peu subtile, arbitraire et autoritaire de Vaugelas, l'ouvrage animé par Colbert ne doit pas grand
chose — j'en suis persuadé malgré les commentaires récemment répandus par les Académiciens pour le
tricentenaire de cette édition — , aux grands noms de l'Académie. Bossuet ni Racine ne mettaient les
pieds aux réunions, la Fontaine y somnolait en attendant le fameux « jeton » dont il avait bien besoin
depuis la disgrâce de Fouquet. II est vrai que nos renseignements les plus vivants proviennent des
factums de Furetière, qui fut, on l'oublie trop, l'un des artisans les plus actifs du dictionnaire
académique, avant d'être expulsé de la Compagnie pour plagiat.
21. Je tiens en effet que l'unité fondamentale de la terminologie est le syntagme nominal, parfois au
degré zéro du nom.

115
complètement intégré à la référence du bon usage (l'auteur le plus cité par
Richelet est d'Ablancourt, véhicule de Tacite, César, Lucien, Thucydide, Martial
tournés en « bon usage français » 22), il devient aujourd'hui un témoignage
culturel extra -linguistique.
Aux XIXe et XXe siècles, après la constitution d'une linguistique qui se dit
scientifique et surtout d'une philologie exigeante, les discours récupérés (éditions
critiques, etc.) font l'objet d'une attention plus grande. Ceux qui sont le plus
valorisés sont ou les plus anciens ou les plus célèbres, avec des critères à la fois
historiques et esthétiques. La linguistique historique permet de voir dans un
appareil de citations, littéraire ou non, le témoin de la variation dans le temps des
usages (éventuellement du système même de la langue), en même temps que le
témoin d'un bon usage, ce qu'il était dans la période classique.
L'idée du bon usage ne disparaît pas pour autant, mais elle se transforme, et
l'apport de l'exemple en général, de la citation en particulier, est surtout la
justification d'un projet de norme garanti par l'histoire (c'est l'attitude de
Littré).
Cependant, grâce à l'apparition d'une histoire à intention scientifique et
d'une science de la critique des sources, on s'aperçoit que les discours valorisés,
notamment littéraires, sont aussi les supports d'un patrimoine d'idées et de
richesses culturelles. Non par hasard, la naissance de l'idée moderne de musée
(Lenoir), de celle d'histoire de l'art (Winckelmann traduit en français en 1784)
sont contemporaines de celle de philologie (grosso modo 1780-1810). Témoin de
l'histoire de la langue, de sa variation, après avoir été celui d'une rhétorique,
l'exemple en recueil est devenu aussi le témoin de l'histoire des civilisations, des
attitudes, des idées.
Les deux implicites de l'exemple de dictionnaire sont donc (i) une conception
illustrative et pédagogique du discours social valorisé et (ii) une conception
culturelle-idéologique — et toujours pédagogique — des richesses de la «
philologie » au sens renanien (« la science des produits de l'esprit humain »).
L'histoire de l'exemple en lexicographie est prise entre la représentation du
langage et la représentation culturelle des discours. Celle de la citation se situe
dans une dialectique de discours, d'un implicite à l'autre.
Le fait que, dans la totalité des discours sociaux mémorisés et valorisés, le
discours littéraire ait été si essentiel dans les dictionnaires français (et dans toute
la tradition européenne) correspond d'une part à la richesse de renonciation
littéraire par rapport à toute autre, d'autre part à la pertinence de ce discours,
reconnu et célébré, dans la constitution des grandes langues européennes,
sélectionnées parmi une forêt dialectale par l'idéologie culturelle d'un groupe social
dominant et par l'institution du pouvoir (avec des décalages temporels dont
l'italien est un étonnant témoin : 6 siècles de Dante à Pasolini !).

22. Il arrive même à Richelet de citer l'Arioste sans mentionner le traducteur.

116
Ainsi, dans les dictionnaires français depuis le XVIIe s. la citation littéraire
est l'image et le témoin d'usages et de procédés de discours, d'une rhétorique à
imiter — d'abord en rapport avec l'emploi du latin dans l'apprentissage du
discours — et par là d'un bon usage. Il est donc le signe de l'institution, non pas
de langues qui n'ont pas besoin de dictionnaires et de grammaires pour vivre,
mais d'un seul usage chargé d'idéologie. Pour le français, cet usage perçu et
valorisé se manifeste à partir du XVIe s 23. Il est en relation, aux XVIIe et XVIIIe s. ,
avec la doctrine de l'imitation (théorisée par l'abbé Batteux), avec la théorie des
langues et de la traduction et avec la doctrine esthétique et intellectuelle du
classement hiérarchique des discours. Il se caractérise par un refus de l'histoire,
du passé (le bon usage de Vaugelas n'a pas plus d'une génération d'âge), attitude
qui va se retourner, là encore, autour de 1800. Il est soutenu par une stratégie de
la reproduction, qu'incarne l'institution pédagogique. Les dictionnaires servent
clairement de support à cette institution, qui joue sur trois tableaux successifs :
mise en rapport des langues anciennes et du « vulgaire » (dictionnaires bilingues
à partir du XVIe s.), description du français par rapport à une pseudo-langue
universelle, le latin (les nombreux dictionnaires jésuites des XVIIe et XVIIIe
siècles), enfin description du bon usage du français en français et, aussi, quitte à les
marquer ou les proscrire, d'éléments étrangers à cette norme. De mémorables
batailles concernent les frontières de ce « bon usage » : affaire des « termes d'art
et de métier » ; affaire de la néologie, etc. Le complet mélange des critères de
variation — chronologiques, géographiques, sociaux — pour définir l'usage
accepté, critères tous soumis à une sorte de rhétorique généralisée, confère une
force brutale à l'ensemble. Les velléités d'analyse, si méritoires soient-elles, y
sont bloquées par un jugement global, assené avec plus ou moins d'autorité.
L'idéologie est évidemment celle de l'ordre social pyramidal qui culmine avec le
monarque de droit divin et sa cour, microcosme à tous égards exemplaire, une
fois épuré (« la plus saine partie de la Cour », appuyée sur « la plus saine partie
des écrivains », autre microcosme beaucoup plus dangereux, parce que moins
contrôlable).
Les dictionnaires français du XVIIe s. en recopiant assez platement les
diktats de Vaugelas (c'était moindre mal, à côté du snobisme antibourgeois fanatique
d'un Callières, qui était un franc imbécile), s'inspirant de cette doctrine de
l'unicité du bon usage, reflet de l'unicité du pouvoir, en arrivent à des positions
étonnantes.
Ainsi Richelet, qui au verbe chifler, variante archaïque de sifler (siffler), ne
peut se retenir de citer un auteur indiscuté, Guez de Balzac, mais doit retourner
l'« autorité » de l'exemple, s'agissant d'un mot certainement ridicule à la Cour
en 1680.

23. Je considère que le mythe d'un dialecte-langue médiéval source du français, le francien,
inventé par les philologues, projette vers les Xe-XIe siècles l'attitude sociale observable à la Renaissance.

117
Chifler v. a. Il signifie se moquer, railler. En ce sens, il est suranné, dites
sifler. Le peuple nous chifle, après nous avoir applaudi.
Balzac entretien 13. Si Balzac vivoit, il diroit, le peuple nous sifle.
En revanche, le sens de « boire » est glosé et exemplifié sans commentaire :
Chifler, v. n. Mot burlesque pour dire boire d'autant. Je veux chifler a long
[sic] traits à la santé des vivans & des morts. Saint-Amand.
Une fois casé dans le compartiment « burlesque », le verbe n'a plus besoin
d'être commenté et rejeté. En outre, le rapport évident entre ce registre et
l'auteur invoqué (qui aurait pu être Scarron, ou Sorel), rend toute remarque
superflue. Quant à l'évocation des mânes de Guez de Balzac comme référence
fictive et normalisée, on y verra l'effet d'une naïveté dont les inspirateurs du
dictionnaire « de Richelet » (Patru, etc.) auraient sans doute rougi. À la naïveté
près, cette remarque est normale, s'agissant de nier la pluralité des usages, que
requiert pourtant objectivement celle des discours, quand on utilise les textes
d'auteurs qui ne sont pas contemporains.
Ce fantôme d'écrivain mort, qui se corrige pour apaiser par ce sacrifice le
dieu du bon usage et pour rassurer le lexicographe, n'est que la projection
fantastique de l'aplatissement du grand Corneille, reprenant ses sublimes
alexandrins pour satisfaire l'esthétique de Vaugelas, celle d'un zélé et fort distingué
commissaire de police.
L'exemple de dictionnaire, dès l'aube du genre en France, véhicule donc
toute l'idéologie sociolinguistique (et pédagogique, et politique) du temps. Ce qui
le rend passionnant. Il faudrait d'ailleurs confronter la fonction de l'exemple
dans les dictionnaires pseudo-bilingues, où le latin suscite de pseudo-exemples —
qui ne sont que des traductions retournées, dans les purs dictionnaires français et
dans les oeuvres des remarquistes. Ainsi, le plaidoyer de Bouhours en faveur des
longs contextes marque une évolution implicite quant au rôle de l'exemple — qui
dépasse la fonction d'autorité — par rapport au côté décret-loi qui prévaut
chez Vaugelas.

Congé

Cet article, décidément trop pauvre en exemples, n'avait nulle prétention


méthodologique, ni théorique — encore que des points de théorie y soient
évoqués. Il s'agissait simplement de redonner à la notion d'exemple sa
souhaitable généralité, d'en rappeler les trois éléments sémantiques dégagés par
l'histoire : extraire (exemplum), montrer (paradigma), invoquer, appeler (citatio).
Chacune de ces opérations requiert une classe de compléments, parfois deux
classes. On extrait des fragment — pourquoi, comment ? — d'un ensemble, qui
est le discours humain incarné dans une « langue », dans des usages, et pris en
charge par des stratégies dont la rhétorique est certes un bon « exemple » . On
montre ces fragments discursifs, dont chacun est chargé, en tant que fait singu-

118
lier, d'impliquer par similitude une classe de tels faits d'où l'on pourra induire
une tendance, une vague règle (et non pas une loi, au sens scientifique). On
invoque ces mêmes fragments à l'appui d'une conception légale du langage et de la
langue : cette fois, c'est une loi au sens juridique ; loi coutumière mais stricte,
dont les exemples sont la jurisprudence, et plus généralement, c'est une norme.
Cette citatio en forme d'autorité, dans les dictionnaires, fait partie de la
prestidigitation fondatrice de nos lexicographies : substituer à la langue prétendument
visée un usage privilégié grâce à des bribes de discours choisis (extraits) et
disposés à cet effet.
Car les trois opérations qui se laissent déceler dans l'étymologie, ou plutôt
dans la philologie du mot exemple sont, dans les dictionnaires et les grammaires,
reprises et achevées ou finalisées par une quatrième, apparentée à la dispositio de
la rhétorique latine, et qui relève de la technique d'un nouveau discours, de
nature métalinguistique en partie, en partie connotative, bourré d'éléments
autonymes, et qui est le discours de la grammaire, le discours du manuel de
langue, le discours du dictionnaire.
Ce dernier est aujourd'hui fort étudié, parfois par les responsables de sa
production même. Naguère, la critique des dictionnaires était intuitive et
allusive ; elle l'est encore dans la presse, où, précisément, un ou deux exemples
suffisent à faire le printemps — ou l'hiver. Mais la métalexicographie la plus
sérieuse ne peut analyser la totalité d'un discours de dictionnaire. Elle aussi, doit
jouer d'exemple.
Ainsi, ce numéro de Langue française est-il rempli d'exemples d'exemples,
transférant le pouvoir exemplificateur de la construction d'un usage-norme à
celui de la connaissance des procédés mis en oeuvre à cet effet. Chaque texte de
dictionnaire fournit un corpus, de natures et d'intentions différentes ; ce que ce
discours a en propre, c'est l'articulation d'un lexique en deux niveaux structurés
(macro- et micro-). Même le premier (macrostructure) dépend de l'exemple, il est
vrai implicitement. Si l'on se borne à Г exploitation, qui apparaît avec la
microstructure (sauf dans d'élémentaires tom-pouces ou des dictionnaires
orthographiques sans commentaires), la tâche reste immense. D'autant, comme on le voit
partout ici, que Г entité-exemple, recouvrant la citation référencée, reste floue,
empiétant sur la glose, la remarque, la définition — soit que l'exemple en
fournisse des éléments, voire une formulation complète, soit que la définition
devienne exemplifiante — , les exemples servant parfois de base et de raison à
l'analyse sémantique (plans d'article), fournissant du matériel paradigmatique
(une autre partie des renvois de ce type peuvent provenir du corpus des
définitions).
La plupart des éléments du discours propre du dictionnaire peuvent être mis
en rapport avec les exemples. Ceux-ci, par la technique de l'exemple « forgé »,
évoquent, hors corpus de discours premier et pré-formé, la diseur si vité même,
non pas une théorique et générale « compétence » chomskyenne dans-la-langue,
mais une discursivité exemplifiante dans-un-usage, c'est-à-dire entièrement
socialisée — et passablement politique.

119
Alors que la définition — exp lici temen — l'organisation des articles —
implicitement — , les renvois sémantiques (quasi synonymes, contraires, «
analogies ») prétendent étaler les structures sémantiques du lexique et parfois des
terminologies, l'exemple, qui contribue aussi à cet effort, veut illustrer la syntag-
matique et par là le pouvoir analytique du logos ; il plonge plus avant dans le
sémantique, dans le pragmatique, le social, le culturel. Tout autant que la
définition, l'exemple manifeste la charge idéologique du dictionnaire, son
pouvoir d'action sur la perception du langage par la communauté, son aptitude
rhétorique à manipuler les matériaux sémantiques.
Sans craindre le paradoxe on pourrait dire, même à propos des dictionnaires
sans exemples — les fameux « squelettes » de Voltaire, qui parlait d'ailleurs de
« citations » — que l'exemple est plus important pour leur existence que tout
autre élément. Car un discours tel que celui du dictionnaire n'est que la mise en
abîme d'un discours fantasmé et socialisé, policé, que la société montre et
invoque, l'extrayant du discours global, réel, indéterminé et jugé informe, de la
parole irrépressible — et qu'il faut toujours réprimer.

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