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André Petitjean Enseignement Aprrentissage de L'écriture
André Petitjean Enseignement Aprrentissage de L'écriture
didactique
Résumé
S'appuyant sur l'exemple des manuels de la collection Maîtrise de l'écrit, l'article interroge la pertinence du concept de
transposition didactique pour l'enseignement du français, et plus particulièrement pour l'enseignement / apprentissage de
récriture au collège. Il apparaît que la confection de ces manuels a nécessité de nombreuses transpositions didactiques en
référence à une pluralité de savoirs théoriques.
Petitjean André. Enseignement / apprentissage de l'écriture et transposition didactique. In: Pratiques : linguistique, littérature,
didactique, n°97-98, 1998. La transposition didactique en français. pp. 105-132;
doi : https://doi.org/10.3406/prati.1998.2482
https://www.persee.fr/doc/prati_0338-2389_1998_num_97_1_2482
ENSEIGNEMENT / APPRENTISSAGE
DE L'ÉCRITURE ET TRANSPOSTION
DIDACTIQUE
André PETITJEAN
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directement
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et méta-théorique-
du concept de
« transposition didactique » ou sur la valeur intrinsèque de cette construction
théorique ( cf . entre autres, B. Schneuwly (1 995), C. Raisky, M. Caillot (1 996)...).
Il s'agit, par contre, de contribuer à la réflexion sur la pertinence de la transla¬
tion du concept, de la didactique des sciences à la didactique du français (voir, ici-
même, J. -P. Bronckart et I. Plazaola-Giger ainsi que J. -F. Halté), en nous arrêtant
sur renseignement/apprentissage de l'écriture.
Je voudrais montrer, en prenant comme étude de cas la collection de manuels
de Maîtrise de l'Ecrit, que l'élaboration d'un enseignement (contenus et démar¬
ches) susceptible de faire acquérir par les élèves une compétence scripturale, im¬
plique des « transpositions » de savoirs savants de référence. C'était vrai, hier,
pour la composition française ou la rédaction (cf. A. Petitjean (1 995, 1 997, 1 998a
et b et M.-H. Vourzay (1 998)), c'est encore plus vrai, aujourd'hui, à une époque où
se multiplient les théories de référence qui font de l'écriture et des écrits leur objet
de connaissance et dans un contexte où l'on voit les Instructions Officielles du pri¬
maire et du secondaire se placer dans un rapport de lieutenance de plus en plus
affirmé par rapport aux recherches.
Dans un premier temps, j'esquisserai une rapide contextualisation historique
de la collection Maîtrise de l'Ecrit (1), puis, j'examinerai les gestes de transposi¬
tion didactique mis en oeuvre dans l'élaboration des manuels (2).
(2)
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:
106
- programmation des quatre années du cursus en fonction d'une perspective
textualiste et générique ;
- organisation d'un enseignement en séquences, qui articulent lecture, lan¬
gue et écriture et décloisonnent les apprentissages ;
- accent mis sur la transdisciplinarité (le français au service des autres disci¬
plines et sur l'interdisciplinarité (le recours aux autres disciplines dans des
activités de français) ;
- intérêt pour les écrits méthodologiques (fiche de lecture, résumé, prise de
notes...).
Dans ce contexte, on regrettera que les nouveaux manuels de 5e, parus en
1997, soient en deçà des exigences des Instructions Officielles en matière d'ap¬
prentissage de récriture, comme je le montre ailleurs (A. Petitjean, 1998a, à pa¬
raître).
Les recherches sur l'écriture et sur le sujet scripteur ont fait l'objet, ces derniè¬
res années, de nombreux travaux, comme l'attestent les récentes synthèses sur
la didactique de récriture (voirC. Barré de Miniac, Ed. (1996) et Y. Reuter (1996)).
Je voudrais, pour ma part, en examinant tour à tour différents champs théori¬
ques (anthropologie, sociologie, psychologie, linguistique, sémiotique, généti¬
que textuelle, didactique de l'écriture), rendre compte des modalités de leur trans¬
position dans un moyen d'enseignement tel que Maîtrise de l'Ecrit.
1. Anthropologie et Sociologie
107
2) nous proposons, tout au long du cursus, un apprentissage des écrits métho¬
dologiques à l'aide desquels, en français et dans les autres disciplines, l'élève
s'approprie et restitue les savoirs scolaires (ex. : écrire une fiche de lecture, com¬
prendre des consignes et y répondre, faire des résumés pour élaborer un dossier,
prendre des notes, justifier une réponse...). Le lecteur de Pratiques reconnaîtra
les numéros de référence qui ont influencé ces chapitres : n° 72 : « Le résumé de
textes » ; n° 79 : « Le dossier et la note de synthèse » ; n° 86 : « Lecture/écriture »
et plus particulièrement l'article de D. Bessonnat sur la prise de notes ; n° 90 :
« Des méthodes en français ». Soulignons, ici, le fait qu'il manque, dans les ma¬
nuels, des activités sur les différentes formes de symbolisation des écrits sapien-
tiels (tableaux, schémas graphiques...).
Les recherches relevant de l'anthropologie de l'écriture portent aussi sur le
sens et la valeur que possèdent les écrits sociaux. C'est ainsi qu'Henry Boyer
dans R. Laffont (1984), reprenant partiellement l'opposition de R. Barthes entre
« écrivant » et « écrivain », oppose les écrits dominés par le principe de scription
(textes fonctionnels, conventionnellement tramés) aux textes dominés par le prin¬
cipe d'écriture (que l'invention soit fictionnelle ou sapientielle). Sachant qu'il
existe, bien entendu, entre ces deux polarités, une échelle d'écrits intermédiai¬
res. On émettra, ici, le vœu, sous la forme d'une commande aux anthropologues
et aux sociologues, que les travaux sur la lecture et les lecteurs (voir, entre autres,
la récente synthèse de C. Horellou-Lafargue et M. Segré (1996)) trouvent leurs
équivalents sur l'écriture et les scripteurs.
Signalons, cependant, autour du Centre d'Anthropologie des sociétés rurales à
Toulouse (D. Fabre, 1 993), quelques études sur les rapports entre écriture et sys¬
tèmes de valeurs pour des groupes sociaux (bateliers, tsiganes...), ainsi que sur
les modes de constitution de l'identité personnelle et sociale des individus à tra¬
vers l'écriture. Ces travaux sont à co-relier :
- aux travaux ethnographiques anglo-saxons, comme ceux de S. B. Heath
(1 983), J. S. Lofty (1 992) et L. Resnick (1990), qui mettent en valeur les distances
et les incompatibilités entre certaines pratiques scolaires de l'écriture et les traits
culturels propres à des communautés sociales précises.
- aux travaux sociologiques (B. Lahire (1993a et b) et sociolinguistiques fran¬
çais (D. Bourgain (1975, 1990 a et b), J. Boutet (1993), B. Fraenkel (1993)) qui
portent sur les pratiques scripturales domestiques et professionnelles (adminis¬
trations, entreprises).
- aux recherches socio-linguistiques sur l'engagement professionnel et la
construction des savoirs (en particulier C. Bachman (1987), F. Bautier (1989,
1995a et b) et E. Bautier, B. Chariot, J. -Y. Rochex (1993)).
Il ressort de ces travaux :
108
C’est ainsi, pour la seule année de quatrième, que l'élève est amené à produire
une assez grande variété d'écrits : compte rendu, résumé, consignes, fiches de
lecture, frises chronologiques, articles de faits divers, quatrième de couverture,
poèmes, textes de théâtre, récits de genres différents (policier, historique, fantas¬
tique).
C'est ainsi, autre exemple, que le chapitre consacré aux « scripts d'actions » en
sixième, permet d'assurer la transition entre écrits fonctionnels et écrits fiction-
nets et de travailler, en même temps, le social, l'affectif, le cognitif et le sémio-lin-
guistique. En témoigne l'intéressante utilisation de ce chapitre par S. Suffys
(1995) avec des élèves de 3e d'insertion qui doivent écrire un compte rendu de
stage. Il est vrai, cependant, que Maîtrise de l'écrit travaille insuffisamment les
problèmes de dissonance et de consonance entre les usages sociaux diversifiés
de récriture et les contraintes formelles de l'apprentissage de l'écriture. A ce ni¬
veau, comme le suggère Y. Reuter (1996), il est important de mener à bien, avec
les élèves, une réflexion sur les modes de légitimation des écrits : les écrits que la
situation scolaire prescrit ou proscrit ; les normes du scriptible scolaire et les cen¬
sures afférentes... On imagine, ici, les réticences de l'éditeur !
2. que l'enseignement de l'écriture au collège, qui repose essentiellement sur
un apprentissage implicite ou sur un apprentissage formel, établit une distance
culturelle trop grande pour les enfants qui appartiennent à certains milieux so¬
ciaux. J'entends ceux pour lesquels la culture professionnelle des parents est es¬
sentiellement technique, relève de l'exécution et s'accompagne d'une défiance à
l'égard des moyens techniques d'objectivation des pratiques (voir B. Lahire
(1993)). C'est pourquoi Maîtrise de l'écrit propose des activités scripturales non
seulement diversifiées mais accompagnées aussi d'un guidage permanent
(questions étayées, choix multiple de réponse...), sachant que le manuel veut
construire une position « participative » de l'élève (faire beaucoup écrire) et ga¬
gne en pertinence à être utilisé dans une pédagogie du projet et de l'écriture lon¬
gue ( et.. J. -F. Halté (1982), A. Petitjean (1982), C. Masseron (1 990)). On en repar¬
lera.
On doit enfin aux sociologues et aux socio-linguistes des analyses des repré¬
sentations de l'écriture. Il apparaît :
-que moins l'individu a un usage professionnel de l'écriture, plus il intériorise
un discours surnormé sur l'écriture qui s'accompagne d'une « insécurité linguisti¬
que » proportionnelle (M. Dabène (1987, 1990), N. Gueunier (1994)).
-que moins le niveau de qualification atteint par l'individu est élevé et plus il est
sensible, quand il parle de l'écriture, aux opérations dites de « bas niveau » (calli¬
graphie, orthographe, grammaire) au détriment des opérations dites de « haut ni¬
veau », et qui concernent l'élaboration du sens en fonction de l'enjeu communica¬
tionnel afférent à l'écrit. Comme l'ont montré les recherches en didactique (voir,
entre autres, Barré de Mignac, C., Cros, F., Ruiz, J. (1993)), il s'agit là d'un reflet
spéculaire des modalités de l'apprentissage scolaire de l'écriture qui privilégie la
grammaire phrastique au détriment de la production de textes.
En fonction de quoi, Maîtrise de l'écrit :
1) multiplie les activités sur les représentations des élèves en matière d'écri¬
ture, du type : « Pourfaire... on », ou : « Je dois penser à... » ou : « Vrai ? Faux? Ça
se discute », afin que l'enseignant puisse faire la part entre les représentations-
obstacles et les représentations constructives (voir aussi J. Fijalkow (1990,
1994), D. Bucheton (1995) et Y. Reuter (1996)).
109
2) propose (insuffisamment de mon point de vue) des activités réflexives sur
l'acceptable scriptural. Il s'agit de dépasser la situation d'injonctions contradictoi¬
res dans laquelle l'école place de nombreux élèves : s'approprier des tours lin¬
guistiques et rhétoriques est une nécessité pour les apprentis-scripteurs, mais,
simultanément, ces derniers se voient taxés de stéréotypie par des enseignants
qui reflètent, ici, leur culture littéraire et stylistique ainsi que leur insuffisante con¬
naissance des travaux de linguistique et de didactique.
3) reconfigure le dispositif didactique en plaçant l'écriture au poste de com¬
mande. Ce qui signifie que les règles du système de la langue (système graphi¬
que, structuration du lexique, constructions syntaxiques, cohésion textuelle...)
sont enseignées moins en fonction d’un programme grammatical qu'en fonction
des nécessités de la textualisation des écrits à produire.
2. Psychologie et psycho-linguistique
(5) On Fayol
M. trouvera
: “ La
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récente synthèse
du langage
sur les
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”, paru dans
niveaux
J. David
de traitement
et S. Plane,
de la éds.
production
(1997).écrite dans l'article de
110
de leurs points aveugles (cf . la critique, par C. Garcia-Debanc (1995), du méca¬
nisme des modèles rédactionnels) et par une opérationnalisation didactique de
leurs modélisations.
(6) Le livre de F. Revaz (1997) fournit une intéressante clarification théorique sur les textes d'action.
111
3. des activités qui, au niveau de la textualisation, exercent les élèves à maîtri¬
ser leur verbalisation. Ce qui implique des exercices consacrés aux opérations de
bas niveau (graphie et ponctuation) mais aussi sur le vocabulaire, la morpho-syn¬
taxe et la cohésion textuelle, en liaison avec la textualité et la généricité des écrits
enseignés. (J'y reviendrai dans la transposition des théories linguistiques.) Souli¬
gnons, ici, que les manuels travaillent insuffisamment sur la graphie et sur la
ponctuation. Cela est d'autant plus regrettable que l'on dispose des travaux de J.-
P. Jaffré (voir, entre autres : 1991, 1992, 1994) ; J. -P. Jaffré et J. David (1993) et
du numéro 70 de Pratiques sur la ponctuation (7). A quoi s'ajoute l'intéressant tra¬
vail de transposition didactique effectué par J. Chignier et a/// (1990), à partir des
historiens des systèmes d'écriture (Cohen, Gelb...).
4. des activités destinées à favoriser le contrôle, par les élèves, de leur produc¬
tion. C'est ainsi que le chapitre 1 du livre de 5e « Qu'est-ce qu'écrire ? ») est consa¬
cré à l'heuristique scripturale et que l'on multiplie, tout au long des manuels, des
moments de réflexions métaprocédurales.
A ce niveau, en référence au travail de J.E. Gombert (1990), les manuels ont
pour objectif de développer la conscience « métacognitive » des apprentis-scrip-
teurs. Cela passe par des réécritures guidées de textes et par des mouvements
réflexifs au terme desquels on récapitule, sous la forme d'encadrés mémoriels,
l'essentiel d'un procédé ou d'une procédure. Ces « Retenir » sont de deux types :
plutôt « déclaratifs » (ex. : « un dialogue en discours rapporté direct est un dialo¬
gue qui... ») ou plutôt « procéduraux » (ex. : « pour écrire une scène d'exposition,
je dois penser à, je n'oublie pas que... >>).
Cette conscience métacognitive, dont on sait l'importance dans l'apprentis¬
sage d'une compétence comme l'écriture, essentiellement faite de stratégies à
mettre en œuvre (voir M. Fayol (1993) et M. Fayol et J.-M. Monteil (1 994)), se dé¬
veloppe, à la fois, par l'imprégnation que procure la lecture des textes, grâce aux
activités d'écriture appropriées et par l'intermédiaire de connaissances métatex-
tuelles et métaprocédurales. Sans sous-estimer les dangers d'une verbalisation
« méta » trop formelle ( cf. B. Lahire) ni les difficultés de l'automatisation et du
transfert, on a pu apprécier les progrès obtenus dans les classes témoins.
Dans tous les cas, cela nécessite des décisions à prendre sur les capacités au¬
to-réflexives des élèves, telles que l'on peut les prédire à l'aide des expérimenta¬
tions et de la littérature sur les capacités métalinguistiques (voir, pour une syn¬
thèse, J. -P. Jaffré, L. Sprenger-Charolles et M. Fayol (1993)).
Ces savoirs scripturaux et textuels, glosés dans les « Retenir », portent aussi
bien sur la matérialité des écrits, sur les caractéristiques typologiques, sur les
spécificités génériques, sur les fonctionnements linguistiques que sur les opéra¬
tions scripturales. Illustrés par une exemple, ils ont l'avantage :
-d'être transformables en indices de reconnaissance qui aideront les élèves
dans leurs opérations de construction du sens d'un texte et dans leurs justifica¬
tions de leurs interprétations ;
-de servir d'outils-repères dans l'exécution des travaux d'écriture ;
- de servir de critère d'évaluation, en particulier pour clarifier les infractions
textuelles, qui peuvent être locales ou globales, relever de la planification ou de la
textualisation.
(7) Pour une récente synthèse sur les orthographes et leur acquisition, on lira L. Rieben, M. Fayol, C.A. Perfetti
(1997).
112
Soulignons, pour terminer, le fait que savoir écrire c'est aussi être capable de
profiter de deux spécificités de la production écrite par rapport à la production
orale : la lenteur du processus et le fait qu'il laisse des traces. Ces propriétés de
récriture permettent au scripteur de revenir en arrière, de relire, de corriger, mais
aussi d'anticiper et d'ajuster et expliquent la fonction intellective de l'écriture dé¬
crite par les anthropologues.
Or, ce qui apparaît comme un avantage, pour le scripteur-expert, l'apprenti-
scripteur n'en bénéficie pas car il se contente du premier jet, n'aime pas corriger
et réécrire ou, quand il le fait, privilégie les phénomènes de surface au détriment
des réaménagements conséquents de son texte. C'est pourquoi, en transposant
la théorisation des processus de révision (J. R. Hayes, L.S. Flower (1980) ;
A. Matsuhashi, E. Gordon (1 985) ; J. R. Hayes etalii{ 1 987), D.G. Brassart (1 989) ;
A. Piolat, J. -Y. Roussey (1989)) et en la croisant avec les travaux de génétique
textuelle, qu'ils aient pour objet l'étude les manuscrits d'écrivains (L. Haye ed.
(1979) ; A. Grésillon (1988 et 1994) ; B. Boie et D. Ferner (dir.) (1993)...) ou les
brouillons d'élèves (C. Fabre (1988, 1990, 1994), nous avons :
- consacré un chapitre entier, en 6e, aux enjeux des brouillons et aux opéra¬
tions que l'on y effectue (effacements, ajouts, reformulations, déplacements...) ;
- multiplié le activités de réécriture, par l'élève, d'un texte d'un autre élève car
pour apprendre à un scripteur à détecter ses malformations, à les catégoriser et à
les corriger, l'altérité textuelle est souvent plus efficace que l'auto-correction ;
- proposé de fréquentes pratiques de réécriture ( cf . C. Oriol-Boyer (1990 et
1992) ; Y. Reuter (dir.) (1994)).
A conditions qu'elle soient guidées et étayées, ces activités ont l'intérêt de four¬
nir à l'élève un lecteur temporaire qui interroge le scripteur, de susciter des débats
sur les types de stratégies ou de solutions scripturales possibles et d'apprendre
aux élèves qu'un écrit s'améliore.
Pour clore cette partie consacrée aux modèles rédactionnels, précisons que
nous avons conscience de la récursivité et de l'interdépendance des niveaux de
traitement mis en œuvre dans les tâches scripturales. Il s'ensuit, et c'est impor¬
tant pour l'usage de Maîtrise de l’Ecrit dans les classes, que la programmation
d'un enseignable, qui présuppose une décomposition tandanciellement analyti¬
que du processus, se doit d'être au service d'activités globales de production
d'écrits et non se substituer à elles.
3. Linguistique et sémiotique
(8) Le rapport de B. N. Grunig (1982) et son récent bilan (1998) donnent une idée de l'état de ce champ.
113
théories - qu'elles portent sur la langue, les discours et les textes, qu'elles décri¬
vent des unités du niveau phrastique ou supra-phrastique - pour confectionner du
savoir grammatical et textuel à enseigner susceptible d'améliorer les performan¬
ces scripturales des élèves.
Si j'en juge par les quatre volumes de la collection Maîtrise de l'Ecrit, on peut
classer, ainsi, dans un ordre d'importance décroissant, les théories de référence
convoquées :
- sémiotique narrative : théories du narrateur (G. Genette (1972) ; J. Lintvelt
(1981)... ; théories du personnage (A.J. Greimas (1966, 1973a et b, 1993) ; P. Ha-
mon (1977, 1983, 1984) ; V. Jouve (1992)...) ; théories du point de vue (pour une
synthèse récente, A. Rabatel (1997) ; théories du dialogue (G. Genette (1972 et
1 983) ; A. Banfield (1 973, 1 995) ; D Cohn (1 981 )) ; théorie de la description (P. Ha-
mon (1981)...).
- Théorisations linguistiques des catégories narratives : L. Danon-Boileau
(1982) pour le narrateur ; F. Corblin (1983), C. Masseron et C. Schnedecker
(1988), G. Achard-Bayle (1996), M. Charolles (1996), C. Schnedecker (1997)
pour le personnage ; L. Danon-Boileau (1982), J. Authier (1982, 1984), B. Com-
bettes (1989, 1990), D. Luzzati, Ed. (1991), S. Durrer (1994)... pour le dialogue ;
J.-M. Adam, A. Petitjean (1 989) pour la description, J.-M. Adam (1 985) pour le ré¬
cit ; F. Revaz (1987) pour les textes d'action...
- Théories des genres et descriptions de genres particuliers : M. Bakhtine
(1978, 1979), G. Genette (1986), T. Todorov (1978), J.-M. Schaeffer (1989),
D. Combe (1 992) pour la généricité ; P. Lejeune (1 975 et 1 986) pour l'autobiogra¬
phie, H. Mitterand (1980, 1987) pour le roman réaliste ; T. Todorov (1970 et 1978)
pour le fantastique et le policier ; A. Petitjean (1 984, 1 986, 1 987) pour la parodie,
les récits étiologiques et les faits-divers ; R. S. Suleiman (1983) pour les récits
exemplaires.
- Théories de l'énonciation : théorie des modes énonciatifs (E. Benveniste
(1966, 1970) telle qu'elle a été retravaillée par une reformulation de G. Kleiber
(1986) du rapport deixis / anaphore ; par un élargissement de l'énonciation aux
marques de subjectivité (C. Kerbrat-Orecchioni (1 980)) ; par une redéfinition des
types d'ancrages énonciatifs (J. -P. Bronckart (1985)) ; par une reconceptualisa¬
tion de l'instance narrative (L. Danon-Boileau (1992)) ; par une conceptualisation
de la polyphonie (O. Ducrot (1984)) et de l'hétérogénéité montrée (J. Authier
(1982, 1984)).
- Théories de l'organisation textuelle : types de séquentialités (J.-M. Adam
(1987, 1 990) ; plans d'organisation des textes (M. Charolles (1 988b, 1 994) ; pre¬
mier et second plan (B. Combettes (1992))...
- Théories de la cohésion textuelle : temps verbaux (H. Weinrich (1973), Co Vet
(1980) ; C. Vetters (1992) ; M. Vuillaume (1990)... ; progression thématique
(B. Combettes (1988 et 1993) ; chaînes de référence (C. Schnedecker (1997),
connecteurs et organisateurs (O. Ducrot (1980), J. Moeschler (1989), J.-
M. Adam, F. Revaz (1 989), C. Schnedecker (1992) et pour une synthèse : M. Cha¬
rolles (1988b et 1994)...).
Au cours de leur transposition, ces savoirs linguistiques ont rencontré, dans
l'espace du manuel, des contenus grammaticaux actualisés (types de phrases,
déterminants, relatives, affixes techniques et scientifiques, structuration du lexi¬
que, sémantique des verbes de perception...) et ont été réélaborés et rendus
compatibles en fonction d'une triple logique didactique :
114
- travailler avec (sur) les représentations et les savoir-faire des élèves ;
- finaliser l'enseignement de la grammaire ;
- décloisonner les apprentissages.
115
faire, ce qu'ils croient qu'il est juste ou faux de faire (9). En dépit du fait que l'accès
aux représentations ne s'effectue qu'au terme d'un travail interprétatif de l'ensei¬
gnant, l'enjeu didactique de ces interrogations est de permettre aux élèves d'ob¬
jectiver leurs représentations, de provoquer des conflits socio-cognitifs et de faci¬
liter les passages d'une formulation épilinguistique à une formulation métalin-
guistique concernant les processus et les procédés.
Il demeure qu'en l'état de nos connaissances, et partant de nos ignorances sur
les savoir-faire des élèves, dans la tension didactique entre posture application-
niste (on part des savoirs sémio-linguistiques en direction des élèves) et posture
implicationniste (on part des savoir-faire des élèves), pour reprendre une opposi¬
tion explicitée par J. -F. Halté (1 990, 1 992), l'élaboration des manuels de la collec¬
tion Maîtrise de l'Ecrit demeure dominée par une démarche applicationniste qui
affaiblit la portée du projet.
(9) En ayant
plexes,
duels,
ment
nant
(1947)
les
sophistiquées
questionnaires,
appelle
socio-cognitifs
écrits
conscience
etlesleurs
“ fabulations
pour
duassociations,
usages,
etpermettre
fait
langagiers
que"des
ou
lesd'isoler,
lecroyances
tris
représentations
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discussions
des
réponses,
concernant
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l'écriture
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de recueil
situations
et spontanées
suggérées,
les
diversifiées
écrits
problèmes...),
voire
sont
des
(entretiens
ce
des
élèves
que
objets
suffisam¬
J.concer¬
Piaget
indivi¬
com¬
116
de conscience grammaticale qui s'acquiert par la résolution de problèmes d'écri¬
ture, il importe cependant, comme le suggère C. Garcia-Debanc (1993), de tra¬
vailler, en priorité, d'une part, à partir des difficultés de textualisation des élèves
et, d'autre part, en fonction des faits de langue particulièrement prégnants selon
les genres de textes donnés à produire.
C'est pourquoi on multiplie, dans les manuels, les points de langue liés à la tex¬
tualisation des écrits : le rôle des déterminants dans les incipits de romans ; les
modalités du doute et de l'incertain dans les récits fantastiques ; les actes de lan¬
gage dans le texte théâtral ; la progression thématique dans les descriptions de
personnages ; les verbes de perception dans le point de vue...
Précisons ici, qu'au moment de la formulation, pour les élèves, des objectifs du
chapitre, des points de langue et des « Retenons », un difficile travail de transpo¬
sition didactique a été nécessaire. Il implique :
S'il fallait bâtir une échelle des opérations de recontextualisation des savoirs
de référence, on pourrait dire que les auteurs des manuels pendulent entre deux
extrémités.
- La notion enseignée conserve la formulation savante du concept emprunté à
la théorie (ex. : « une typologie d'arguments » ; « Du débat à la délibération : mise
en œuvre de la concession » ; « Classer les arguments au moyen de connec¬
teurs »...). L'avantage de la précision terminologique est certain, à condition que
mène.
la nomination conceptuelle n'entrave pas l'appropriation cognitive du phéno¬
- La notion enseignée se formule dans les mots du langage ordinaire des élè¬
ves (ex. : Le lecteur ne reconnaîtra peut-être pas l'application au personnage de
la théorie des référents évolutifs (G. Kleiber, C. Schnedecker, J.E. Tyvaert (Eds.)
(1997)) dans ces titres : « Un personnage, ça change » ; « Comment exprimer les
caractéristiques d'un personnage et ses changements ?» ; « Un personnage, ça
change parfois énormément » ; Un personnage, ça peut même se métamorpho¬
ser ». L'effort d'ajustement aux pré-acquis cognitifs de l'élève est indéniable mais
on prend le risque, aussi, d'une insuffisante clarté cognitive sur les procédés ob¬
servés.
117
3.3. Décloisonner les apprentissages
4. La didactique et l'écriture
Elaborer un manuel, c'est aussi prendre position sur les théories de l'apprentis¬
sage (théorisation des conditions d'appropriation des savoirs et des savoir-faire)
et sur les théories de l'intervention enseignante (modes de travail pédagogique
(M. Lesne (1977)) ; élaboration de situations d'apprentissage (M. Develay
(1992)) ; fabrication d'activités et d'exercices (P. Lamailloux, M.-H. Arnaud,
R. Jeannard (1993)) ; Recherches n° 24 (1996)...).
Je n'entrerai pas, ici, dans le débat épistémologique sur les théories de l'ap¬
prentissage et sur les stratégies d'enseignement (voir J. -P. Bronckart (1 995) et sa
confrontation critique des théories de l'apprentissage ; M.-L. Martinez (1989) et
sa présentation des théories du conflit socio-cognitif et du socio-constructivisme ;
O. Houdé et F. Winnykammen (1992) et leur note de synthèse sur les apprentissa¬
ges cognitifs individuels...).
Je soulignerait, simplement, qu'en tant qu'ancien promoteur et toujours parti¬
san de la pédagogie du projet et du contrat, j'ai été particulièrement sensible à la
théorie de « l'interaction de tutelle » de J. Bruner (1983). Ce dernier la définit
comme un ensemble de « moyens grâce auxquels un adulte ou un “spécialiste »
vient en aide à quelqu'un qui est moins adulte ou spécialiste que lui. »
Cette interaction médiatrice de l'enseignant doit s'entendre comme un disposi¬
tif qui est, à la fois, pédagogique et didactique.
119
Pédagogique, dans la mesure où il est important que l'enseignant établisse un
climat de confiance et d'entraide dans la classe. Ce qui passe, entre autres, par le
fait que l'enseignant :
-pratique lui-même les écrits qu'il propose,
-tienne compte des différences culturelles des élèves et explicite ses normes
et ses exigences,
- rassure, protège, encourage et sanctionne quand il le faut.
Didactique, dans la mesure où il est nécessaire que l'enseignant :
-diversifie les situations d'écriture (individuelle ou en groupe ( cf . C. Garcia-
Debanc (1990)),
- socialise les écrits produits et articule évaluation prédictive, formative et
sommative (cf. le numéro 44 de Pratiques, Repères n° 4, Le Français Aujourd'hui
n° 80, Recherches n° 21),
-travaille sur l'interaction lecture et écriture (cf. Y. Reuter (1994 et 1996) et
C. Garcia-Debanc (1995)),
-travaille sur la réécriture et l'amélioration des textes (cf. les numéros 4 et 1 0 de
Repèrese t C. Oriol-Boyer (1 990), S. Plane (1994) et D. Bucheton (1 994 et 1 996)).
Cette organisation technico-didactique n'est que partiellement transposable et
reproductible dans un manuel. Nous lui avons cependant emprunté cinq de ses
postulats majeurs. Je me contenterai de mentionner les quatre premiers car ils
ont déjà été abordés dans les pages qui précèdent :
1 . Simplifier les tâches scripturales par une décomposition programmée des
actes requis pour les réaliser (mise en séquence, questions et consignes
étayées par des formulations de guidage et de balisage).
2. Entraîner les élèves à automatiser les différents niveaux d'opérationnalisa¬
tion des processus rédactionnels.
3. Favoriser l'élaboration de critères de réussite (explicites et évolutifs).
4. Favoriser le contrôle de l'élève sur sa propre activité en cours d'écriture.
Je m'arrêterai un peu plus longuement sur le cinquième postulat : engager l'in¬
térêt et la motivation des élèves.
A l'origine de la non motivation des élèves, il y a bien entendu des causes extra¬
scolaires devant lesquelles l'enseignant peut se trouver très démuni. Mais il y a
aussi des causes intra-scolaires liées aux formes et aux contenus d'enseigne¬
ment mis en place dans la situation d'apprentissage.
C'est pourquoi, dans Maîtrise de l'écrit , on a essayé d'établir une relation dia¬
lectique entre le proximité référentielle et culturelle des élèves et l'apport distan¬
cié et structurant des savoirs. Cela se concrétise diversement :
-choix, dans les textes donnés à lire et à produire, d'écrits hétérogènes d'un
point de vue institutionnel, puisque l'on trouve aussi bien des écrits sociaux
ordinaires -on l'a vu -, des genres attractifs de la littérature de jeunesse, des
écrits littéraires légitimés ;
-incorporation, dans l'univers du manuel, de références familières à la socio-
culture des élèves (que ces références soient télévisuelles, cinématographi¬
ques, musicales...) qui cohabitent avec des références myhtologiques et his¬
toriques qui leur sont étrangères ;
-formulation de consignes et de guidages qui mélangent le ton sérieux et les
adresses humoristiques et font système avec le contenu ludique ou drôlati-
120
que de bien des textes donnés à lire ou à écrire ;
-mise en place d'un rapport plus expérienciel que sacralisé aux textes litté¬
raires qui apparaissent, certes, comme des réserves de modèles scripturaux,
mais que l'on peut aussi, le cas échéant, réécrire pour les améliorer. A ce ni¬
veau, Maîtrise de l'écrit fait écho à la réflexion qui a été menée sur les ateliers
d'écriture (voir, entre autres, C. Oriol-Boyer (1992), le numéro 61 de Prati¬
ques et C. Boniface (1992)).
Pour intéresser les élèves et les motiver, on a pris soin aussi de diversifier les
démarches d'acquisition (par l'imitation, par l'action, par l'intellection...) et de va¬
rier les types d'écrits à produire (narratif, descriptif, argumentatif, explicatif, in-
jonctif, dialogal, poétique), de genres différents selon des registres de ton (sé¬
rieux, comique, dramatique) et de styles différents.
La motivation est recherchée aussi par le choix des activités. Ayant le souci de
prévenir ce que J. Bruner (1970) appelle les « mécanismes d'éviction » et de
« frustration », nous avons essayé d'agir positivement sur la « confiance en soi »
des élèves. Pour ce faire, on propose, pour ne prendre que l'exemple de 3e, des
activités d'ordre différent que l'on peut qualifier :
-de facilitantes (ex. : « Reliez les trois énoncés de telle sorte que l'un d'entre
eux apparaisse nettement comme la conclusion d'une argumentation et les
autres comme différents énoncés ayant la valeur d'arguments. ») ;
-de ludiques (ex. : Après la lecture d'un extrait de Lewis Carroll : « Inventez
une fausse déduction qui aboutisse à la conclusion : “Donc la paresse est une
qualité”. Ensuite, vous intégrez ce raisonnement dans un petit dialogue loufo¬
que qui oppose un élève et son professeur. ») ;
-d e personnelles (ex. : « [...] Ecrivez un texte assez virulent dans lequel vous
exprimez votre opinion en faveur de... ») ;
- d' heuristiques (ex. : Résoudre un problème d'écriture qui consiste, après
lecture d'une tirade de Sganarelle, à écrire « une argumentation à la manière
de Sganarelle, dans laquelle vous essayez de démontrer que la T erre est car¬
rée. »).
La motivation est recherchée aussi par le choix des exercices. Ils sont diversifiés
mais ont en commun d'inciter les élèves à la manipulation des textes. En plaçant les
élèves dans des rapports d'intertextualité avec d'autres textes, en position de dé¬
clencheurs ou d'incitateurs (voir, entre autres, B. Hibert-Hocquet et A. Jurga
(1 995)), on allège l'angoisse de la page blanche et on engage les élèves dans des
processus de résolution de problèmes d'écriture (suite de texte, transformation de
texte, transposition de texte, imitation de texte, réécriture de texte...).
La motivation est enfin recherchée par un travail sur la raison graphique des
écrits scolaires (principe d'utilité), c'est-à-dire la découverte de leurs usages, de
leurs fonctions et de leurs fonctionnements (on l'a vu).
Sachant que ces activités et ces exercices sont ponctuels, sériés et suivis d'ac¬
tivités globales au cours desquelles on vérifie la transférabilité des apprentissa¬
ges (les « Pour aller plus loin » ou les écritures longues réalisées par la classe
(cf. C. Masseron (1990)).
Pour conclure sur la transposition des théories de J. Bruner, nous avons es¬
sayé dans Maîtrise de l'Ecrit de mettre en œuvre ce que Bruner appelle la « con¬
science scripturale ». Cette démarche d'apprentissage repose sur trois principes
majeurs :
121
- la « participation » (faire beaucoup écrire),
- la « systématicité » (faire découvrir et relever que),
- I'«instrumentalité » (faire comprendre que cela sert à).
tout en ayant conscience que pour une compétence aussi complexe que l'écri¬
ture ( cf. J. -F. Halté (1989b)), il faut faire confiance, aussi, aux apprentissages
« incidents » (cf. M. Charolles (1984)),
tout en ayant conscience, enfin, des limites imposées par l'objet même (les ma¬
nuels).
- Il n'y a pas assez de travail sur les représentations qui implique, comme on l'a
vu, des protocoles d'enquêtes, voire des discussions avec les professionnels de
l'écriture (interventions d'écrivains dans les écritures longues (cf. C. Garcia-De-
banc (1996)).
- Le mode de planification des séquences est trop répétitif («Observer »,
« Ecrire », « Retenir »), l'éditeur ayant refusé, au nom du principe de la clarté, de
diversifier cette logique ternaire (ex. : commencer par un « Ecrire »).
- L'apprêtement didactique du manuel connaît des modes d'efficacité varia¬
bles selon son utilisation dans les classes : type de recul de l'enseignant selon sa
formation, type de pédagogie à l'intérieur de laquelle il utilise le manuel (rédac¬
tion, écriture longue, atelier d'écriture...).
CONCLUSION
T ransposés pour les élèves, les savoirs théoriques prennent la forme de conte¬
nus explicites d'enseignement. Obéissant aux mêmes règles transpositionnelles
précédemment indiquées, sont alors privilégiés les savoirs grammaticaux tex¬
tuels et génériques ainsi que les modèles rédactionnels.
Ils apparaissent, dans les manuels, sous la forme de notions (objets ou outils),
de métalangages (résumés, critères...) pour lesquels des décisions ont été prises
concernant le niveau de leur formulation ainsi que leurs mises en relation dans
des « trames conceptuelles » selon différents types de progressions.
En ce sens, l'enseignable que nous proposons ne saurait rendre compte de la
complexité de la compétence scripturale telle qu'elle est mise en œuvre par les
experts dans la diversité des écrits produits. Il s'agit, et sans préjuger des appren¬
tissages « incidents » par imitation implicite ni des apprentissages de savoir-faire
qui s'acquièrent continûment par le fait même d'écrire, d'une « fabrication didacti¬
que relative, restreinte, pour figurer provisoirement aux yeux des élèves certains
aspects de l'activité [scripturale] et leur donner les premiers éléments d'un dialo¬
gue métacognitif », comme le dit E. Nonnon (1997), à propos de la conceptualisa¬
tion.
J'ajouterais que dans la mesure où savoir écrire est une compétence qui
s'exerce dans des usages socio-culturellement marqués - « ce qu'elle enseigne
[l'école], les modes de pensée et les “registres langagiers” qu'elle valorise chez
les élèves, rien de tout cela ne peut être isolé da la manière dont cette école est si¬
tuée dans la vie et la culture de ceux qui y étudient », comme l'écrit J. Bruner
(1 996) -, on ne peut réduire la transposition didactique à la seule articulation sa¬
voirs savants savoirs scolaires. Il importe de tenir compte, aussi, des rapports en¬
tre savoirs scolaires et pratiques sociales de référence. Ces dernières, en ma¬
tière d'enseignement et d'apprentissage de l'écriture, surdéterminent les attentes
et les représentations des élèves, celles des enseignants ainsi que les positions
des concepteurs des manuels (choix des textes supports (d'aucuns les estiment
pas assez littéraires au sens légitimiste et patrimonial du mot !) ; normes du scrip¬
tural (sont elles suffisamment précisées ?) ; finalités des écrits scolaires...).
Précisons, enfin, que les manuels, qui proposent des savoirs à enseigner et
123
des activités, sont des « intermédiaires » entre les savoirs savants, élargis aux sa¬
voirs sociaux et les savoirs enseignés. Ils ne peuvent donc pas prétendre provo¬
quer directement, au niveau des savoir-faire et des savoirs assimilés par les élè¬
ves, les effets d'apprentissage escomptés.
Il est vrai que les manuels délimitent des domaines, structurent des notions, im¬
posent des démarches d'élucidation (observation, identification, généralisa¬
tion...), multiplient les exercices, qu'ils soient analytiques et convergents ou syn¬
thétiques et divergents.
Il est vrai aussi que l'ensemble de cet apprêtement didactique est historique¬
ment daté. Certes, dans un rapport de proximité avec les savoirs savants de réfé¬
rence et en conformité avec le curriculum formel que programment les récentes
Instructions Officielles du collège mais soumis à un double effet de dispersion,
spécifique du « curriculum caché », pour reprendre l'expression de J. Bruner.
Au moment de leur mise en oeuvre effective, à l'intérieur de la boîte noire du
« système didactique », s'instaure une distance irrémédiable qui est dépendante :
- des modes d'utilisation des manuels par les enseignants, dans leur situation
concrète d'enseignement et selon le type de « contrat didactique » qu'ils passent
avec la classe : quel degré de familiarité ont-ils avec les savoirs de référence ? Ac¬
ceptent-ils de simplifier ou de complexifier les notions en fonction des interactions
dans la classe ? Précisent-ils le statut des savoirs enseignés (objet et outil) ? Fi¬
nalisent-ils les apprentissages par des activités-cadres ? Tiennent-ils compte des
pré-acquis et des représentations des élèves ? Leur expliquent-ils le but des acti¬
vités et les modes de solidarité entre les contenus et les démarches ?
- des modes d'implication des élèves dans les activités proposées : se sentent-
ils concernés par les textes donnés à lire ? Interprètent-ils de la même façon que
l'enseignant la signification des activités ? Arrivent-ils à détacher les notions ap¬
prises des supports textuels et des exercices immédiats pour les transférer, sur la
distance, dans d'autres contextes et sur d'autres supports ? Font-ils un usage pro¬
ductif des explications métalinguistiques et arrivent-ils à automatiser les diffé¬
rents niveaux de traitement des écrits ?
Je voudrais, pour conclure, attirer l'attention des décideurs institutionnels sur
le fait qu'en leur état curriculaire, les concours de recrutement (Agrégation et CA¬
PES) privent les futurs enseignants de 90% des théories précédemment convo¬
quées. Il y a donc une urgence sociale à repenser la formation initiale d'ensei¬
gnants dont la discipline joue le rôle majeur que l'on sait dans la fabrication de
l'échec scolaire.
Où l'on voit, ce sera mon dernier mot, que le chercheur en didactique se doit
d'être, à la fois, historien, épistémologue, théoricien, méthodologue et idéologue.
124
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