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Université de Bourgogne Franche-Comté

Sous la direction du Pr. Philippe ICARD

Mémoire
La France et la PSDC :
bilan et perspectives
pour l'Europe de la
Défense

Victor ALBRECHT
Europa-Master
2014-2016
2
Je tiens à remercier particulièrement mon directeur de mémoire, le Pr. Philippe Icard pour sa
disponibilité et ses conseils avisés, ma mère, pour la relecture, le LCL Gilles Burel pour son soutien
logistique, et mes amis pour leur aide précieuse.

3
4
Abstract :

The European Union is now facing several crises at the same time, including major security
issues inside and outside its territory. The need for a real European defence is more than ever
essential for the very survival of the Union.
France, as the last European military power remaining in the EU since the Brexit, has a key
part to play in order to push member States towards more integration in defence and security
matters. His leading role in Europe is undisputed due to its historical position for the development
of a more political union and all its continous fight against terrorism with its oversee military
operations. Moreover, France takes part in many multilateral cooperations, with the UK and
Germany as its closest partners. This way to work on defence issues seems to be much more
efficient and flexible than under the supervision of the EU.
Indeed, the CSDP is now stopped by its way of decision making (intergovernmentalism) and
the various and often contrary national interests or strategic cultures of the EU member States ; even
if supranational institutions as the High Representative and its diplomatic service the EEAS are now
fully operational. EU security strategy is therefore very consensual, stressing on multilateralism,
international law and comprehensive approach but not really on combat missions. This situation
leads the EU to inaction on security and defence matters while treaties forecast several tools for
more cooperation on these issues, as the European Defence Agency or the EU Battlegroups.
However they seem inefficient.
The international context with all the crises in the close European neighbourhood (Ukraine,
Libya and Syria particularly) and the question of terrorism call however for an urgent response from
the EU on defence and security issues. Some measures can be implemented quite quickly because
only member States' political will is still missing.


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Liste des abréviations :
AED → Agence Européenne de Défense
BFA → Brigade Franco-Allemande
BITD → Base Industrielle et Technologique de Défense
CED → Communauté Européenne de Défense
CEE → Communauté Économique Européenne
CFADS → Conseil Franco-Allemand de Défense et de Sécurité
CIVCOM → Comité chargé des aspects civils de la gestion de crise
CJEF → Combined Joint Expeditionary Force
CJUE → Court de Justice de l'Union Européenne
CMPD → Crisis Management and Planning Directorate
COP21 → 21ème Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements
climatiques
CoPS → Comité Politique et de Sécurité
COREPER → Comité des Représentants Permanents
CPCC → Capacité civile de planification et de conduite
CPE → Coopération Politique Européenne
CSP → Coopération Structurée Permanente
CSUE → Centre Satellitaire de l'Union Européenne
EATC → European Air Transport Command
EMUE → État-Major de l'Union Européenne
FED → Fonds Européen de Développement
FHQ → Quartier général de force
FNFA → Flotte Navale Franco-Allemande
FPI → Service des instruments de politique étrangère
GFACM → Groupe Franco-Allemand de Coopération Militaire
HR → Haut Représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et le politique de Sécurité
IEV → Instrument Européen de Vosinage
LMP → Loi de Programmation Militaire
OCCAr → Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement
OHQ → Quartier général d'opération
OMC → Organisation Mondiale du Commerce
ONU → Organisation des Nations Unies
OPCEN → Centre d'opérations de l'Union européenne
OTAN → Organisation du Traité de l'Atlantique Nord
PAM → Programme Alimentaire Mondial
PEV → Politique Européenne de Voisinage
PESC → Politique Étrangère et de Sécurité Commune
PESD → Politique Européenne de Sécurité et de Défense
PIB → Produit Intérieur Brut
PNR → Passenger Name Record
PSDC → Politique de Sécurité et de Défense Commune
RFA → République Fédérale d'Allemagne
RNB → Revenu National Brut
SEAE → Service Européen de l'Action Extérieure
SHAPE → Supreme Headquarters Allied Powers in Europe
TFUE → Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne
TUE → Traité sur l'Union Européenne
UE → Union Européenne
UEO → Union de l'Europe Occidentale

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Plan détaillé :
Introduction
Chapitre 1 : La France, moteur de l'Europe de la Défense

Section 1 : La politique européenne de défense construite au rythme


d'impulsions françaises
I) L'échec de la CED comme point de départ (1945-1998)
1) La CED ou l'Europe de la Défense intégrée sous commandement américain
2) L'UEO, une solution de secours peu ambitieuse mais qui laisse un bel héritage
3) Les projets d'Europe politique de la CEE à l'UE
II) Le tournant de la Déclaration de Saint-Malo (1999-2010)
1) La Déclaration de Saint-Malo et sa mise en œuvre dans l'UE
2) Les premières opérations européennes rapidement lancées
3) Le cadre légal actuel découlant du Traité de Lisbonne
III) La non-intervention européenne en Libye, coup d'arrêt mortel pour la
PSDC (2011-2016) ?
1) La baisse des crédits de la Défense et la crise économique ouvrent la voie à de nouvelles
coopérations
2) La crise libyenne et la division des européens
3) La PSDC, une coquille vide incapable de faire face aux défis du XXIème siècle

Section 2 : La France à la recherche d'équilibre dans sa politique de


défense
I) Les débats sur l'Europe de la Défense
1) L'Europe de la Défense ou des Europes de la défense ?
2) Le rêve français de l'Europe puissance
3) La PSDC, simple instrument de coopération au service de l'OTAN
II) La position française pragmatique et d'influence
1) La France, seule véritable armée européenne
2) La présence affichée de la France dans les institutions de la PESC
3) Le retour complet de la France dans l'Alliance atlantique

Section 3 : La France au cœur des coopérations bilatérales et


multilatérales en Europe
I) Des coopérations bilatérales politiquement centrales pour la défense française
1) Les Accords de Lancaster House, un modèle de coopération en matière de défense
2) Le couple franco-allemand précurseur mais en retrait depuis quelques années
3) Les autres coopérations : la France à la recherche de partenaires tous azimuts
II) Des coopérations ad-hoc et multilatérales prometteuses
1) L'EATC, un outil militaire intégré mettant en œuvre le pooling and sharing
2) L'OCCAr, à l'origine des coopérations industrielles réussies en Europe
3) MBDA, un leader mondial de la défense grâce au regroupement d'entreprises européennes

7
Chapitre 2 : La PSDC, une politique européenne coincée au
milieu du guet

Section 1 : Une politique commune sui generis


I) Des organes ambitieux sur le papier mais en retrait dans la pratique
1) La Défense, domaine traditionnellement réservé aux États-nations
2) Le Haut Représentant, le visage de la politique étrangère et de sécurité de l'Union
3) Le SEAE, véritable ministère européen des affaires étrangères et de la défense
II) Une ébauche de doctrine stratégique européenne permettant le consensus
1) La difficile définition d'une politique étrangère commune
2) La PSDC, bras armé du soft power européen
3) Les priorités stratégiques de l'Union européenne : la part belle au multilatéralisme et à
l'approche globale dans son voisinage proche

Section 2 : Une politique bloquée par des dysfonctionnements internes


et les égoïsmes nationaux
I) L'illisibilité de la prise de décision au sein de l'Union concernant la PSDC
1) Un principe de l'unanimité dépassé et inopérant
2) Une dispersion contre-productive des nombreux organes traitant de la PESC/PSDC
3) Un financement des opérations militaires qui fait problème
II) Les outils de la PSDC mal ou sous-utilisés
1) Les groupements tactiques, une réussite théorique jamais utilisée
2) L'AED, une agence tardant à donner sa pleine mesure au concept de mualisation et de
partage
3) Le centre satellitaire de l'Union, un outil essentiel sous dépendance étrangère

Section 3 : Des solutions pour permettre à l'Europe de faire face aux


crises sécuritaires qui la menacent
I) Un nouveau contexte européen incertain
1) La nouvelle stratégie européenne : la précision de la vision sécuritaire de l'UE ?
2) Le Brexit : une vraie opportunité pour la PSDC
II) Des réformes à mettre en œuvre immédiatement pour sauver l'Europe
politique
1) Lancer des Coopérations structurées permanentes avec les États les plus volontaires
2) Rationaliser les institutions en charge de la PSDC
3) Créer un quartier général d'opération permanent pour l'Union européenne
4) Réaliser un Livre blanc européen de la défense et de la sécurité
5) Mettre sur pied une véritable défense commune

Conclusion
– Bibliographie
– Annexes

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Introduction :

Aux yeux du monde, l'Europe a longtemps été perçue comme un îlot de paix et de
prospérité, en tant que première puissance économique mondiale, berceau de la démocratie et des
droits de l'Homme. Ce tableau idyllique est remis en cause depuis la crise économique de 2008, qui
a durement frappé les pays européens, les obligeant à effectuer de nombreuses coupes budgétaires
pour diminuer le recours à l'emprunt, devenu hors de prix. La Défense a été un des secteurs les plus
touchés par la réduction des budgets étatiques. En effet, les pays européens vivent depuis la chute
du mur de Berlin et la fin Guerre Froide dans un sentiment de sécurité, pensant que la guerre est un
concept révolu à l'échelle du continent. De plus, réduire les budgets militaires est politiquement
beaucoup plus facile à faire accepter à l'ensemble de la population que de réduire le salaire des
fonctionnaires, ou de réformer l'assurance chômage. Or le contexte sécuritaire en Europe et dans
son voisinage a changé de manière exceptionnelle depuis la dernière stratégie européenne de
sécurité de 2003, appelée candidement « Une Europe sûre dans un monde meilleur ». À l'Est, la
Russie est redevenue un acteur imprévisible, rendant ses anciennes dépendances (pays baltes,
Pologne...) particulièrement nerveuses et inquiètes du retour potentiel de leur ennemi héréditaire à
leur porte. Au Sud, la Méditerranée ressemble maintenant à un vaste cimetière pour les milliers de
migrants et de réfugiés qui tentent désespérément de rejoindre le continent européen. Ceux-ci fuient
les massacres (Syrie), les régimes dictatoriaux (Érythrée) ou la misère en profitant des largesses
d'États faillis (Libye) pour prendre la mer, pourvoyés par des marchands d'êtres humains modernes.
À ces menaces extérieures s'ajoutent un ennemi intérieur. Le prétendu État islamique, implanté sur
les territoires syriens et irakiens, réussit avec brio à radicaliser une partie de la jeunesse européenne,
grâce à un système de communication viral et extrêmement bien rodé. De nombreux jeunes,
hommes comme femmes, quittent leur pays pour aller combattre au sein du pseudo califat, quand
d'autres préparent des attentats sur le territoire européen. Les services de renseignements du
continent semblent débordés devant la masse d'individus à surveiller, et la liberté de circulation des
personnes au sein de l'espace Schengen fait que cette menace ne peut être combattue efficacement
que de manière commune. La question du retour des combattants des zones de combats du Moyen-
Orient ou d'Afrique du Nord, en passant par les flux de réfugiés, est capitale, puisque ceux-ci ont pu
apprendre le maniement des armes et des explosifs. Bruxelles, capitale européenne, a ainsi été
touchée le 22 mars 2016 par un attentat terroriste, alors que la France, elle, a subi plusieurs attaques
(en janvier et novembre 2015 à Paris, ou le 14 juillet 2016 à Nice pour ne citer que les plus
meurtrières) tuant plus de 250 civils.

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La France est sans aucun doute le pays le plus menacé par ce terrorisme islamique. Chaque
mois des attentats sont déjoués, et il est quasi certain que d'autres ne le seront pas, et feront encore
une fois des victimes sur le territoire national. « Nous sommes en guerre » ont maintes fois répété le
Chef de l'État François Hollande et son Premier ministre Manuel Valls. La France est visée à cause
de son interventionnisme militaire (Mali, Libye ou Centrafrique) et pour sa participation à la
coalition internationale qui frappe l'État islamique en Syrie et en Irak. L'opération Serval de janvier
2013 au Mali qui a empêché des terroristes de marcher sur Bamako est typiquement le genre de
mission qui permet de protéger l'ensemble du continent européen. Pourtant, la France semble
assumer seules les opérations militaires d'envergure en Europe. Son statut de grande puissance,
acquise grâce à son siège permanent au Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies
(ONU), à sa possession de l'arme nucléaire (c'est la troisième nation disposant du plus de têtes
nucléaires derrière les États-Unis et la Russie), ou son rang de sixième économie du monde au
regard de son Produit Intérieur Brut (PIB) 1, ne lui permet néanmoins pas d'assumer seule la défense
de l'Europe, malgré son sixième rang mondial en ce qui concerne sa puissance militaire2.
L'Union européenne se doit donc d'assumer la sécurité de ses citoyens. Organisation
internationale la plus poussée de l'histoire humaine, elle a permis aux peuples européens de se
réconcilier après des siècles de guerre, ce qui lui a valu de recevoir le Prix Nobel de la Paix en
2012. Les pays qui la composent représentent la première économie mondiale si on additionne leur
PIB, devant les États-Unis et la Chine 3, mais sa puissance diplomatique et militaire reste très en
deçà de ses concurrents. Cela s'explique d'abord par la nature même de l'Union européenne,
puisqu'elle n'est pas une fédération : ses États membres ne lui ont pas transféré toutes leurs
compétences, et gardent une très large part de leur souveraineté nationale, surtout dans les domaines
sensibles de la politique étrangère et de la défense. La Politique Étrangère et de Sécurité Commune
(PESC), et son volet militaire la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) sont donc
un peu les parents pauvres de la construction européenne. Les opérations militaires de l'UE se
cantonnent à de la formation et au maintien de la paix 4, dans le respect du droit international et en
coordination avec d'autres organisations de coopération comme l'ONU ou l'Organisation du Traité
de l'Atlantique Nord (OTAN). L'Europe de la Défense, qui correspond à toutes les coopérations en

1 Classement du FMI.
2 FirePower index 2014 du site GlobalFirepower.com.
3 Le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne la ferait passer à la seconde place.
4 Une opération de maintien de la paix (OMP) est une action militaire ou de police généralement entreprise par
l'ONU, mais qui peut aussi être confiée à des États ou des organisations internationales (OTAN, UE). C'est le
Conseil de sécurité des Nations Unies qui décide du déploiement de L'OMP. Les pays membres de l'ONU sont
ensuite appelés à fournir les troupes (casques bleus). Une OMP doit nécessairement être fondée sur le consentement
des partis (pas de déploiement contre la volonté de l'État sur lequel la mission va avoir lieu), l'impartialité et la
non-utilisation de la force (sauf en cas de légitime défense).

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matière de défense entre les États du continent européen (et donc n'étant pas limitées à l'UE), n'a
toujours pas vocation à assurer la défense du continent européen, à l'instar de la PSDC, puisque ce
rôle semble dévolu ad vitam aeternam à l'OTAN et donc aux États-Unis.
Alors pourquoi la France, pourtant moteur de l'Europe de la Défense n'a pas pu imposer sa
vision d'une défense européenne à la PSDC face à l'atlantisme britannique ? Le futur départ du
Royaume-Uni de l'Union européenne peut-il alors relancer la PSDC et la défense de l'Europe ?
Pourquoi la PSDC, qui s'était développée très rapidement à son lancement, s'est-elle complètement
essoufflée depuis une dizaine d'années ? Quelles seraient les solutions crédibles pour la rendre enfin
efficace ? Que manque-t-il pour qu'enfin l'Europe assume son statut de grande puissance ?
La France est une grande puissance militaire et diplomatique mondiale, grâce à son armée,
son réseau d'ambassades, sa place de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies
et son rang de puissance nucléaire. Des hommes comme le général de Gaulle, Jean Monet, Robert
Schuman, François Mitterrand ou Jacques Delors ont également permis à la France d'occuper le
cœur de la construction européenne. C'est donc naturellement que la France a toujours été le
principal moteur de l'Europe de la défense (chapitre 1), en ayant à travers l'histoire permis ou au
contraire freiné sa mise en œuvre, et en coopérant avec ses partenaires européens de manière
intense. Néanmoins, ce rôle moteur n'a pas permis à la France de doter l'Union européenne d'une
politique de sécurité et de défense digne de son rang de superpuissance mondiale. Les divergences
idéologiques au sein de l'Union, et les égoïsmes nationaux ont notamment empêché le
développement du concept de « l'Europe-puissance », la rendant capable d'intervenir militairement
pour sa sécurité dans son voisinage. Par conséquent, la PSDC reste au milieu du guet (chapitre 2),
en tant que réalisation imparfaite et trop peu mise à contribution. Son caractère sui generis au sein
des institutions européennes, obligeant les États membres au consensus pour prendre les décisions,
tout comme son système de financement sont des freins indéniables à sa mise en œuvre sur le
terrain. Pourtant, la PSDC a au fil du temps créé de nombreux outils qui pourraient être mieux
utilisés. Des réformes importantes sont donc nécessaires pour qu'enfin, l'Union européenne puisse
se défendre et assurer la sécurité de ses citoyens.

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Chapitre 1 : La France, moteur d'une politique de défense
commune en Europe

La France doit son statut de grande puissance mondiale grâce notamment à son action
internationale reposant sur une capacité d’intervention armée. Malgré cette relative force, elle a
souhaité construire avec les États membres de la Communauté européenne une politique de défense.
Aussi, afin de cerner la position actuelle de la France, il est utile d'examiner en détails le rôle de la
France dans la construction d'une politique de défense commune au sein de l'Union européenne
(section 1) qui aujourd'hui l'essouffle (section 2). Devant cet état de fait, isolée idéologiquement,
l'État français va adopter une position pragmatique avec la multiplication de cadres de coopération
avec ses partenaires européens (section 3), qui interroge sur une effectivité de défense commune
plus efficace hors de l'Union européenne (UE).

Section 1 : La politique européenne de défense construite au rythme


d'impulsions françaises

La France a eu et a toujours un rôle central dans la construction d'une défense européenne, et


dans l'élaboration de la PSDC. Ainsi, initiatrice de la Communauté Européenne de Défense (CED),
malgré son échec (I), elle renouvelle ses efforts en étant à l'origine de la PSDC, aux côtés des
britanniques, avec la Déclaration de Saint-Malo (II) qui s'est par la suite concrétisée au sein de
l'Union européenne. Aujourd'hui la PSDC est gelée, l'intervention de la France en Libye, sans le
soutien des autres États membres en témoigne (III), alors que le contexte sécuritaire se dégrade,
constamment, dans le voisinage européen.

I) L'échec de la CED comme point de départ (1945-1998)

Les prémices de l'Europe de la Défense se sont construits sous l'impulsion américaine avec
l'idée ambitieuse d'une Communauté Européenne de Défense, que le vote de l'Assemblée nationale
française a tué dans l'œuf (1). Il a fallu alors trouver un plan de secours, ce qui a débouché sur la
création de l'Union de l'Europe Occidentale (2) dont les objectifs étaient beaucoup moins élevés
mais qui laisse néanmoins un bel héritage à l'Union européenne actuelle, qui a mis du temps à se
doter d'un projet politique englobant la politique étrangère et la défense (3).

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1) La CED ou l'Europe de la défense intégrée sous commandement américain

La création d'une défense européenne commune en Europe est une vieille idée, poussée au
départ par les États-Unis peu de temps après la Seconde guerre mondiale. En effet, à cause des
tensions croissantes avec le bloc soviétique et de la conquête politique d'une grande partie de
l'Europe de l'Est par des mouvements communistes pilotés depuis Moscou, le gouvernement
américain a vite réalisé que le réarmement de l'Allemagne de l'Ouest, l'ennemi tout juste vaincu,
était absolument nécessaire. Il est vrai que l'Allemagne, coupée en deux depuis la fin de la guerre,
se trouvait en première ligne en cas d'une attaque militaire soviétique sur l'Europe de l'Ouest. En
réalité, aider la RFA c'était défendre les intérêts des États-Unis en Europe. Cependant, la volonté
américaine de réarmer l'Allemagne de l'Ouest se heurtait au refus de nombreux pays européens,
dont la France. En effet, il était inconcevable de faire d'une nation toujours en voie de dénazification
et qui avait mis le monde à feu et à sang si peu de temps auparavant, le premier rempart de la
défense européenne, même s'il s'agissait de l'intégrer au sein de la nouvelle alliance militaire
occidentale, l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, créée (en 1949), ce qui limitait la
possibilité d'un dérapage.
C'est dans ce contexte que le Premier ministre français de l'époque, René Pleven, lança l'idée
de la Communauté Européenne de Défense (CED), à la suite d'une proposition de Jean Monnet.
L'idée était d'effectuer une synthèse entre la volonté américaine de réarmer l'Allemagne, et la peur
française, partagée par ses voisins, de voir une nouvelle armée allemande sans contrôle. La CED a
donc été imaginée comme une autorité supranationale, dotée de ses propres institutions et d'un
budget autonome, qui aurait mis en commun les capacités militaires des États parties au traité
(France, Italie, Allemagne de l'Ouest et Bénélux) dans le but de contrer la progression de l'Armée
Rouge en cas d'attaque. Lors d'un discours devant l'Assemblée nationale en octobre 1950 5, René
Pleven présente le projet comme étant la « création, pour la défense commune, d'une armée
européenne rattachée à des institutions politiques de l'Europe unie, placée sous la responsabilité
d'un ministre européen de la défense, sous le contrôle d'une assemblée européenne, avec un budget
militaire commun. Les contingents fournis par les pays participants seraient incorporés dans
l'armée européenne, au niveau de l'unité la plus petite possible ». Mais dans les faits, cette
organisation aurait été sous le contrôle direct de l'OTAN, dont le commandant suprême en Europe
est nommé par le président des États-Unis 6. Par conséquent, la défense européenne aurait été
5 Déclaration de René Pleven sur la création d'une armée européenne, le 24 octobre 1950, disponible sur :
http://www.cvce.eu/obj/declaration_de_rene_pleven_sur_la_creation_d_une_armee_europeenne_24_octobre_1950-
fr-4a3f4499-daf1-44c1-b313-212b31cad878.html.
6 Par tradition, le commandant suprême en Europe est américain, alors que le secrétaire général de l'OTAN est
européen. Voir le site de l'OTAN : http://www.nato.int/cps/fr/natolive/topics_50110.htm.

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subordonnée au bon vouloir américain. Les pays européens auraient ainsi perdu l'un des éléments
les plus fondamentaux de la souveraineté d'un État : son indépendance militaire. C'est pourquoi le
plan Pleven, devenu le traité de Paris en 1952, et qui avait été ratifié par tous les États partenaires, a
été rejeté en 1954 par l'Assemblée nationale française, à la suite d'une alliance de circonstance entre
communistes et gaullistes. La France aura donc à la fois lancé et enterré ce projet, unique à ce jour
dans l'Histoire de par son niveau d'intégration militaire.

2) L'UEO, une solution de secours peu ambitieuse mais qui laisse un bel héritage

Dans la foulée de l'échec de la CED, les pays d'Europe de l'Ouest décidèrent de réactiver et
d'améliorer le Traité de Bruxelles de 1948 (alliance défensive entre la France, le Royaume-Uni et le
Bénélux décidée après l'entrée des troupes soviétiques en Tchécoslovaquie) en le modifiant en 1954
par les Accords de Paris afin d'élargir son objectif à la coopération militaire, et d'y joindre l'Italie et
surtout la RFA. C'est la naissance de l'Union de l'Europe Occidentale (UEO), simple structure de
coopération, à la fois organisation internationale et alliance militaire, mais beaucoup moins intégrée
que l'ambitieuse CED. Elle ne faisait pas partie des Communautés Européennes, lancées en 1957
par les Traités de Rome. L'UEO cependant, destinée en premier lieu à rassurer les Américains sur la
volonté des Européens à se défendre collectivement face à la menace soviétique, fut dans les faits
grandement marginalisée par l'importance de l'OTAN, et n'eut qu'un rôle très secondaire jusqu'à sa
relance en 1984 par la Déclaration de Rome, où les États parties lui ont fixé pour objectif de définir
une identité de sécurité européenne et d'harmoniser progressivement les politiques de défense de ses
membres. Ainsi en 1992 avec la crise des Balkans, l'UEO décida de lister les tâches qu'elle était en
pouvoir de réaliser, et ce en coopération avec l'OTAN et surtout avec l'Union européenne
nouvellement créée : ce sont les missions de Petersberg. La liste couvre un large spectre
d'opérations militaires, comme l'aide humanitaire, le maintien de la paix et même les missions de
combat et de gestion de crise. A l'inverse, la défense territoriale est considérée comme le domaine
réservé de l'OTAN, et ne fait donc pas partie de ces tâches. Finalement, l'UEO sera dissoute en juin
2011, après que la plupart de ses organes, travaux et attributions aient été transférées à des
institutions de l'UE. Malgré son apparent manque d'intérêt, l'UEO a néanmoins été à l'origine du
corpus doctrinal de la PSDC grâce aux missions de Petersberg, et a été à l'initiative de plusieurs
réalisations européennes majeures7 comme l'Eurocorps ou le centre satellitaire de Torrejón, sur
lesquelles nous reviendrons plus tard.

7 Voir André Dumoulin, La fin de l'UEO et l'avenir de l'interparlementarisme, Revue de Défense nationale, 2011.

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3) Les projets d'Europe politique de la CEE à l'UE

Au sein de la Communauté Économique Européenne (CEE) instituée en 1957 par le Traité


de Rome, les « Hight Politics », c'est à dire les domaines qui sont vitaux pour l'existence même de
l'État (sécurité intérieure et extérieure), concept anglophone encore plus restrictif que le concept
français des « ministères régaliens », englobant aussi la Justice ou les Finances, restaient de la
compétence exclusive des États souverains. L'échec de la CED avait en effet refroidi les plus
fédéralistes des Européens, tout comme le retour au pouvoir en France du Général de Gaulle,
farouche opposant d'une Europe supranationale. Pour remédier à cette situation de blocage, une
commission intergouvernementale présidée par le gaulliste Christian Fouchet fut mise en place avec
pour objectif de fournir des propositions de réforme. Le Plan Fouchet 8 (1961-1962), révisé à
plusieurs reprises, proposait un projet d'Europe politique à la sauce française, avec des coopérations
élargies aux domaines de la défense, de la recherche ou des affaires étrangères, mais en refusant
également les références à l'OTAN, dont la France se retira du commandement intégré en 1966, ou à
une éventuelle adhésion du Royaume-Uni. Concrètement, ce plan dessinait une Europe au service
des ambitions de la France, indépendante des États-Unis et de l'OTAN, dans la pure tradition
gaulliste. Le Plan Fouchet resta ainsi lettre morte, à la suite du refus des autres membres de la CEE,
mais déboucha tout de même sur le Traité de l'Élysée, qui reprend une partie des propositions mais
dans le strict cadre franco-allemand.
Il a fallu attendre 1970 pour que les États membres réessaient de donner une dimension de
politique étrangère à la CEE grâce à la Coopération Politique Européenne (CPE), qui fait suite au
Rapport Davignon, du nom du Ministre des Affaires étrangères belge. Au départ informel, ce
mécanisme intergouvernemental visant à donner une position commune aux six membres de la CEE
sur les questions internationales, a seulement été normalisé en 1986 par l'adoption de l'Acte unique
européen. La CPE n'était pas très développée, ce n'était qu'un simple espace d'échange
diplomatique, et ne concernait pas vraiment les questions militaires, mais elle est néanmoins
l'ancêtre direct de la Politique Étrangère et de Sécurité Commune qui a été instituée par le Traité de
Maastricht en 1992.
En effet, sous l'impulsion du Président François Mitterrand, la France réclama une Europe
plus politique lors des négociations préparatoires à la rédaction du traité, prenant en compte les
problématiques de défense et de sécurité, alors que les allemands étaient plus concentrés sur l'union
monétaire. La PESC devint par la suite le second pilier de l'UE, entre les Communautés

8 Pour plus d'informations, voir : Blaes R., Le Plan Fouchet et le problème de l'Europe politique, Éditions du Collège
d'Europe, 1971.

15
européennes (politiques économiques, sociales et environnementales) et la Coopération policière et
judiciaire. Parmi les trois piliers, seul le premier était basé sur le principe de l'intégration
communautaire, alors que les deux autres étaient simplement intergouvernementaux. Ainsi, dans
son titre I (dispositions communes), à l'article B-2, le Traité de Maastricht prévoit que l'UE se donne
pour objectif « d'affirmer son identité sur la scène internationale, notamment par la mise en œuvre
d'une politique étrangère et de sécurité commune, y compris la définition à terme d'une politique de
défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune »9. C'est donc le
grand retour de l'idée d'une défense commune en Europe, une nouvelle fois décidée sous une
impulsion française. Plus tard, le Traité d'Amsterdam (signé en 1997) fut l'occasion pour l'UE
d'incorporer les missions de Petersberg formulées antérieurement par l'UEO comme un objectif de
l'Union. En effet, l'UE avait prouvé son incapacité à résoudre les questions de sécurité dans son
voisinage proche durant les guerres de Yougoslavie. De plus, le traité crée le poste de Haut
Représentant de la Politique Étrangère et de Sécurité Commune (HR), qui doit superviser le
développement de la PESC. Le HR fait partie de la Commission Européenne et sa tâche principale
est de présider le conseil des ministres de l'UE des affaires étrangères. C'est enfin le début de
l'institutionnalisation au sein de l'Union d'une politique étrangère et de défense.

II) Le tournant de la Déclaration de Saint-Malo (1999-2009)

Il a fallu attendre la Déclaration franco-britannique de Saint-Malo (1) pour que l'UE se


décide à mettre en œuvre une Politique Européenne de Sécurité et de Défense. Une fois celle-ci
décidée, les premières opérations ont pu être lancées assez rapidement (2) jusqu'à la signature du
Traité de Lisbonne, qui apporte de nouveaux instruments au service de la politique étrangère et de
défense de l'Europe (3).

1) La Déclaration de Saint-Malo et sa mise en œuvre au sein de l'UE

Afin de transformer les objectifs des traités en politiques concrètes, l'UE a surtout besoin de
la volonté politique de ses États membres, et en particulier celle des plus importants. C'est pourquoi
le véritable tournant concernant la politique de défense commune fut la Déclaration franco-
britannique de Saint-Malo de 1998. Grâce à elle, les gouvernements français et britannique, qui sont
les deux plus grandes puissances militaires européennes, mais qui ont aussi des vues opposées sur la

9 Traité de Maastricht (TUE), version d'origine (1992). Dans la version consolidée par le Traité de Lisbonne du TUE,
c'est l'article 24-1 qui fait référence à la définition progressive d'une défense commune.

16
question (atlantiste et eurosceptique pour les Anglais, pro-européenne et gaulliste pour la France),
ont décidé de surmonter leurs différences et de réellement lancer cette politique de défense
commune, prévue depuis le Traité de Maastricht. La Déclaration stipule que « l'Union doit avoir
une capacité autonome d'action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les
utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales »10. Ainsi naît la
Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD), composante opérationnelle (militaire) de la
PESC. Peu de temps après la Déclaration de Saint-Malo, plusieurs réunions du Conseil européen
ont lieu afin mettre en œuvre ces politiques et de les institutionnaliser. En juin 1999 à Cologne, le
Conseil décide d'abord d'élever la PESD au rang de politique européenne. De plus, l'UEO est
incorporée au sein de l'UE et les missions de Petersberg deviennent le cadre d'action de la PESD.
L'Espagnol Javier Solana est également nommé HR avec pour mission d'aider les progrès de couple
PESC/PESD, tant sur le plan doctrinal qu'institutionnel et opérationnel. Puis en décembre 1999 en
Finlande, les États membres signent l'Objectif Global d'Helsinki qui tend à la création d'une force
européenne de réaction rapide, capable de mener les missions de Petersberg, et ce avant 2003. De
plus, le Conseil se met d'accord pour créer le Comité Politique et de Sécurité (CoPS), successeur de
la CPE de 1970, qui a pour mission de surveiller la situation internationale afin d'aider l'UE à
définir sa politique étrangère et de sécurité. Le Traité de Nice de 2001 rendra cette organe
permanent.
En 2002, l'UE et l'OTAN acceptèrent l'accord « Berlin Plus » qui permet à l'Union d'utiliser
les capacités et les ressources de l'OTAN pour ses propres opérations de maintien de la paix. Cet
accord correspond à la vision britannique de la défense européenne (sur laquelle nous reviendrons
plus tard), faite de relations étroites avec l'Alliance. Jusqu'à aujourd'hui, seulement deux missions
(Concordia en 2003 et Althéa en 2004) ont été conduites dans ce cadre. A la fin de l'année 2003, le
HR Javier Solana définit pour la première fois la politique sécuritaire de l'UE grâce à la Stratégie
Européenne de Sécurité, un document appelé « Une Europe sûre dans un monde meilleur » et qui a
été approuvé par le Conseil européen. Ce document identifie les principales menaces sur la sécurité
européenne (terrorisme, crime organisé, États faillis, conflits régionaux et prolifération d'armes de
destruction massive) et plaide pour une solution commune car « aucun pays n'est toutefois en
mesure de faire face, seul, aux problèmes complexes de notre temps »11. Ainsi, l'UE commence
doucement à parler d'une seule voix à propos des questions de sécurité et défense.
L'année suivante le Conseil européen décide de développer encore plus les capacités
militaires de gestion de crise de l'UE avec l'Objectif global à l'horizon 2010 (Headline Goal 2010),

10 Déclaration franco-britannique sur la défense européenne du 4 décembre 1998 à Saint-Malo, deuxièmement.


11 Une Europe sûre dans un monde meilleur, Strategie européenne de sécurité, le 12 décembre 2003, introduction.

17
qui met à jour l'Objectif global d'Helsinki. De plus, après une proposition commune de la France, de
l'Allemagne et du Royaume-Uni, l'Union s'est mise d'accord sur la mise en œuvre des groupements
tactiques (battlegroups en anglais), qui constituent des forces de réaction rapides multinationales
basées sur des contributions des États membres et sous le direct contrôle du Conseil européen. Ces
groupements tactiques comprennent 1.500 soldats et sont mis en alerte à tour de rôle, afin que deux
soient toujours prêts pour un déploiement dans les 10 jours. Enfin, l'Agence Européenne de Défense
(AED) est aussi créée sous la supervision du Conseil de l'UE et du HR, et dont la mission consiste à
« développer les capacités de défense dans le domaine de la gestion des crises, à promouvoir et à
renforcer la coopération européenne en matière d'armement, à renforcer la base industrielle et
technologique européenne dans le domaine de la défense (BITD) et à créer un marché européen
concurrentiel des équipements de défense »12 .

2) Les premières opérations européennes rapidement lancées

Dotée de ses nouveaux outils et organes, l'UE n'a pas attentu longtemps avant de lancer ses
premières missions au titre de la PESD. Le 1er janvier 2003, la mission de police EUPM/BiH en
Bosnie fut la première opération au nom de l'Union, bien qu'elle fut essentiellement civile. Son but
était de transformer la police de Bosnie en une véritable police professionnelle. Le 31 mars de la
même année, la première véritable opération militaire fut déployée dans le cadre de l'accord de
Berlin Plus : l'opération Concordia en Macédoine (Concordia/FYROM). Seulement deux mois
après, l'opération Artémis au Congo, envoyée sur le terrain à la demande de l'ONU, a été la
première mission en dehors du continent européen et du cadre de Berlin Plus. Au total, l'UE a lancé
35 opérations différentes (militaires et/ou civiles) à travers le monde, et la moitié d'entre elles sont
toujours en cours13. On peut néanmoins remarquer que ces opérations de l'Union concernent
majoritairement deux zones du globe : les Balkans (6 missions en tout 14) et surtout l'Afrique (17
missions dont 9 encore en cours 15), en particulier francophone (11 missions sur les 17). Cette
répartition révèle d'une part que l'Europe s'intéresse en priorité à son vosinage proche, ce qui est
logique (d'autant plus qu'il existe également des missions en Ukraine, Géorgie ou en Palestine) et
d'autre part que la France se sert de l'Europe pour mener à bien ses affaires post-coloniales en
Afrique. Cette critique est souvent formulée par certains partenaires européens, en particulier les
12 Action commune 2004/551/PESC du Conseil du 12 juillet 2004 concernant la création de l'Agence européenne de
défense, troisièmement.
13 Voir le graphique 7 en annexe 2.
14 EUFOR/Althea, EULEX/Kosovo, EUPM/BiH, Concordia/FYROM, EUPOL Proxima/FYROM et EUPAT/FYROM.
15 EUSSR/Guinée-Bissau, EUFOR/Tchad, Artémis/Congo, EUPOL/Congo, EUPOL/Kinshasa, EUFOR/Congo,
EUFOR/RCA, EUAVSEC terminées et EUTM/Mali, EUBAM/Libye, EUCAP/Sahel Mali et Niger, EUSSEC/ Congo,
EUMAM/RCA, EUTM/Somalie, EU NAVFOR Atalanta, EUCAP Nestor toujours en cours. Voir site du SEAE (8).

18
allemands16. Cette affirmation, réelle ou supposée, traduit ce rôle moteur de la France dans la mise
en oeuvre des missions de la PESD, tant dans le choix des missions que dans la fourniture de
soldats et de matériels. Il faut dire que la France a ainsi commandé un grand nombre de ces
opérations, par exemple en tant que nation-cadre pour Artémis, précédemment évoquée, et qu'elle a
souvent fourni une part non négligeable des effectifs, alors qu'elle était parfois également présente
sur les lieux à titre purement national17, comme actuellement au Mali.

3) Le cadre légal actuel découlant du Traité de Lisbonne

Signé en 2007 et entré en vigueur en 2009, le Traité de Lisbonne doit être examiné
minutieusement puisqu'il s'agit du texte fondateur actuel de l'Union européenne. Ce traité remplace
le projet de Constitution européenne qui a échoué à la suite des référendums négatifs en France et
aux Pays-Bas deux années plus tôt. Néanmoins, la majorité des articles du projet de Constitution
concernant la PESC ont été gardés intacts dans le nouveau traité 18. Pour commencer la PESD est
renommée Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC), et la structure en pilier de l'UE
est abandonnée. Ainsi, la PESC/PSDC n'est ni pleinement une compétence de l'UE, ni une
compétence réservée aux États membres, son statut est brouillé : il y a à la fois des aspects
intergouvernementaux et supranationaux, d'où son statut sui generis. Le traité établit également une
clause de solidarité (article 222 du TFUE), et un devoir d'assistance mutuelle (article 42-7 du TUE)
entre les États membres en cas de catastrophe naturelle ou d'attaque terroriste, mais la défense
territoriale reste toujours le domaine exclusif de l'OTAN. De plus, les missions de l'UEO, qui sera
dissoute en 2011, sont définitivement incorporées dans l'UE. Le spectre des opérations que l'UE
peut mener s'élargit également19. L'AED devient aussi officiellement une agence de l'Union. Par
ailleurs, le HR obtient de nouvelles fonctions : il est aujourd'hui Vice-President de la Commission
européenne, et son poste fusionne avec le Commissaire pour les Relations extérieures. Son titre
officiel devient le Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de

16 Voir Defending Europe ? A stocktaking of French and German visions for European defence, Études de l'IRSEM
n°41 sous la direction de Barbara Kunz (2015), où il est dit que les allemands pensent que les français ont un
« agenda africain », ce qui explique leurs multiples refus aux demandes d'opérations en Afrique.
17 Voir Cahier de l'IRSEM n°1, Action extérieure et défense : l'influence française à Bruxelles, 2010, page 21.
18 Ce point avait d'ailleurs été beaucoup critiqué à l'époque, car certains observateurs ont signalé que ce que les
peuples avaient démocratiquement rejeté, les « technocrates de Bruxelles » l'avaient fait passé quelques années plus
tard en catimini.
19 TUE, article 43-1 : « Les missions visées à l'article 42, paragraphe 1, dans lesquelles l'Union peut avoir recours à
des moyens civils et militaires, incluent les actions conjointes en matière de désarmement, les missions humanitaires
et d'évacuation, les missions de conseil et d'assistance en matière militaire, les missions de prévention des conflits et
de maintien de la paix, les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de
rétablissement de la paix et les opérations de stabilisation à la fin des conflits. » Ainsi, le spectre plutôt « bas » des
missions de Petersberg s'élargit aux missions de combats.

19
sécurité. Il préside le Conseil des Affaires étrangères et représente l'UE dans les réunions
internationales. C'est la britannique Catherine Asthon qui est nommée à cette fonction. Le Service
Européen pour l'Action Extérieure (SEAE) soutient le HR en tant que département administratif.
C'est une des grandes innovations de ce traité, puisque ce dernier combine les fonctions d'un
ministère des affaires étrangères, tout en ayant certaines missions d'un ministère de la défense.
Enfin, le traité prévoit la création de la Coopération Structurée Permanente (CSP) qui est ouverte à
tout État membre qui souhaite développer plus intensément ses capacités militaires de manière
européenne et coordonnée. Ainsi cette structure peut permettre le développement d'une Europe à la
carte sur les questions de défense.

III) La non-intervention européenne en Libye, coup d'arrêt mortel pour la


PSDC ? (2010-2016)

La crise économique a eu l'avantage de forcer les États européens à coopérer plus pour éviter
que leurs capacités de défense, fortement affectées par les coupes budgétaires, ne disparaissent (1).
La guerre en Libye a vu à cette période les Européens se diviser (2). Depuis, la PSDC n'a plus
jamais eu le même rayonnement (qui était déjà faible) : elle est devenue une coquille vide (3)
inadaptée aux défis du XXIème siècle.

1) La baisse des crédits de la Défense et la crise économique ouvrent la voie à de nouvelles


coopérations

Contrairement aux idées reçues, les pays européens n'ont pas attendu la dernière crise
économique pour réduire les crédits budgétaires accordés à leurs armées, ce phénomène est au
contraire continu depuis la chute du mur de Berlin 20. De l'avis de nombreux observateurs, comme
Hubert Védrine, l'UE et l'OTAN, dans le contexte de la fin de la Guerre froide, ont eu un effet
pervers sur les politiques de défense des pays européens, dans le sens où nombre d'entre eux ont eu
l'impression que leur sécurité était assurée, et que l'environnement mondial n'était plus menaçant.
La grave crise économique et financière qui a touché le monde en 2008, accompagnée en Europe
d'une crise des dettes souveraines, n'a donc en réalité que renforcée cette tendance à la baisse. Ainsi,
vu la nécessité pour une majorité de pays européens de réduire drastiquement leurs dépenses, le
secteur de la sécurité et de la défense, considéré comme non-prioritaire, est devenu une source
d'économies potentielles. Par conséquent, les budgets de la défense en Europe ont parfois chuté de
manière brutale et continuent de subir une cure d'austérité, malgré un rebond des investissements
20 Yves Bélanger et Aude Fleurant, Les dépenses militaires : la fin des cycles ?, Revue Intervention Économique, 2010.

20
depuis 201321, et seuls quelques pays (le Royaume-Uni, la France et plus surprenant la Grèce)
respectent les préconisations de l'OTAN22 qui incitent les États membres à dépenser au moins 2% de
leur PIB pour la défense.
C'est dans ce contexte particulier que la France, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a fait
son grand retour dans le commandement intégré de l'OTAN, lors du Sommet de Strasbourg/Kehl les
3 et 4 avril 2009. Plus que la volonté explicite de se rapprocher des États-Unis après le refus
français lors de l'intervention en Irak, ce retour a notamment été expliqué à l'époque comme un
préalable à une énième relance de l'Europe de la Défense 23. En effet, la France a toujours été
suspectée par certains partenaires d'instrumentaliser l'Union européenne en matière de défense afin
d'en faire une structure concurrente à l'OTAN, dans laquelle Paris a beaucoup moins d'influence.
Pourtant, malgré ce retour sensé rassurer des pays comme le Royaume-Uni ou la Pologne, le
Conseil européen est resté totalement muet sur les questions de sécurité et de défense entre 2008 et
2013 alors que ces sujets font parties de ses attributions. Même Catherine Asthon, la Haute
Représentante, pourtant sollicitée à deux reprises sur la relance de la PSDC entre 2010 et 2011 par
le Triangle de Weimar24, rejoints la seconde fois par l'Espagne et l'Italie (Weimar +), n'a pas fait
avancer le dossier.
Devant l'inaction communautaire au niveau de la PSDC et la nécessité de faire des
économies, les deux poids lourds militaires en Europe (45% du total des budgets de la défense des
États membres de l'UE25), la France et le Royaume-Uni, signèrent en novembre 2010 les Traités de
Lancaster House, afin de renforcer leur coopération en matière de défense et de sécurité. Ces traités
purement bilatéraux, sur lesquels nous reviendrons plus en détails par la suite, ont eu pour
conséquence d'irriter nos partenaires allemands, et de donner l'impression que la PSDC était
reléguée en second plan.

21 Zoe Stanley-Lockman and Katharina Wolf, European defence spending 2015: The force awakens, ISSUE, 2016.
Il est intéressant de noter que les dépenses militaires varient selon la géographie en Europe (voir le graphique 3 en
annexe 2). Ainsi, le Sud de l'Europe, durement touché par la crise, a le plus diminué ses crédits, alors que l'Est,
inquiet de la situation en Ukraine, les a rapidement augmenté dès 2013.
22 Lors du sommet de l’Alliance, qui s’est tenu à Newport (Pays de Galles) en septembre 2014, les pays membres ont
convenu « d'inverser la tendance à la baisse que connaissent leurs budgets de défense ». Il s’agit notamment pour
chacun des Etats membres de l’Alliance de consacrer 2% de leur PIB à leur effort de défense, conformément à la
norme fixée par l’OTAN.
23 Pour plus d'informations, voir le rapport Védrine de 2012 et sa partie sur l'OTAN.
24 Le Triangle de Weimar est composé de la France, de l'Allemagne et de la Pologne. Nous en reparlerons plus en
détails au cours de ce chapitre.
25 Voir cet article à l'adresse suivante : http://www.bruxelles2.eu/2011/04/13/les-budgets-de-defense-diminuent-en-
europe-le-poids-franco-britannique-se-renforce/.

21
2) La crise libyenne et la division des européens

Les pays européens ont mis longtemps à comprendre la signification et l'ampleur de la vague
de Printemps arabes qui a débuté en décembre 2010 26, et qui exprimait une forte demande de liberté
et de démocratie des peuples soumis aux dictatures du nord de l'Afrique et du Moyen-Orient. Le
manque de clairvoyance des européens, qui s'est parfois traduit par un soutien aux dictateurs en
place lors des premières émeutes27, sont à l'origine des troubles qui secouent actuellement le monde,
et dont les guerres civiles syriennes et libyennes, causant l'émergence de l'État islamique, sont les
conséquences directes. La Libye s'est vite avérée comme étant un terrain propice pour se racheter
une conduite, d'autant plus que la situation était idéale pour l'utilisation de la PSDC, puisqu'elle
rentrait parfaitement dans le cadre des missions de Petersberg : gestion de crise dans le voisinage
proche de l'UE, avec des conséquences humanitaires, et sous le mandat de l'ONU et/ou de l'OTAN.
Ainsi, lors d'un Conseil européen exceptionnel en mars 2011, la France et le Royaume-Uni
ont plaidé auprès des autres États membres pour une réponse commune à la crise libyenne 28. Leur
idée était d'établir une zone d'interdiction de survol de l'espace aérien libyen, mais l'Allemagne, la
Pologne et une majorité de membres votèrent contre cette opportunité. Angela Merkel déplorait
notamment l'absence d'une stratégie de sortie de crise, une fois l'opération militaire terminée.
D'après certains observateurs, ce moment aurait pu sonner le glas d'une stratégie commune de
sécurité et de défense au sein du cadre européen 29. Finalement, le 17 mars le Conseil de Sécurité des
Nations Unies autorisa l'établissement d'une zone d'interdiction aérienne, et c'est une coalition
franco-britannique (avec pour nom de code opération Harmattan côté français), sous mandat de
l'OTAN et avec le soutien des États-Unis, qui attaqua les forces de Mouammar Kadhafi, en route
vers Benghazi afin de réprimer la révolte. Seuls 12 pays de l'Union 30 (sur 27 à l'époque) ont pris part
à cette opération, et seulement deux d'entre eux (la Belgique et le Danemark) ont effectué des
frappes contre le régime libyen. Une intervention humanitaire européenne (EUFOR Libya) sera
finalement décidée le 1er avril 2011, mais elle ne fut jamais lancée sur le terrain31.
26 On peut citer la Tunisie, l'Egypte, la Libye, le Yémen et la Syrie comme étant les pays où les évènements ont eu le
plus de conséquences.
27 En France, les propos de la Ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, proposant l'aide de la France face aux
manifestations en Tunisie, avaient créés la polémique. Voir l'article du Monde sur la question :
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/01/13/tunisie-les-propos-effrayants-d-alliot-marie-suscitent-la-
polemique_1465278_3212.html.
28 Réunion extraordinaire du Conseil européen du 11 mars 2011.
29 Voir par exemple Jolyon Howorth, La France, la Libye, la PSDC et l'OTAN, 2012.
30 Il s'agit bien évidemment de la France et du Royaume-Uni en premier lieu, mais aussi du Danemark, de la Belgique,
de la Suède, de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Grèce, de l'Espagne, de la Pologne, des Pays-Bas et de l'Italie.
Pour plus d'informations, voir Julien Flagothier, L'intervention militaire en Libye et ses implications pour l'Europe
de la défense, Institut royal supérieur de défense, 2012.
31 Conseil de l’Union européenne, Décision 2011/210/PESC du Conseil relative à une opération militaire de l’Union
européenne à l’appui d’opérations d’aide humanitaire en réponse à la situation de crise en Libye (opération

22
L'intervention en Libye est extrêmement riche en enseignements. Tout d'abord, elle montre
que malgré une situation idéale pour une intervention commune, selon des critères préalablement
définis dans sa stratégie de sécurité, l'Europe ne parvient pas à s'entendre et à agir sur les questions
militaires et de politique étrangère. La PSDC apparaît comme inutile puisqu'elle ne peut pas être
déclenchée lorsque la situation est propice à son usage, forçant les États européens à se tourner vers
d'autres moyens. Ainsi, cela souligne d'autant plus l'efficacité de la coopération bilatérale franco-
britannique, tout juste accentuée par les Accords de Lancaster House, et dont la guerre en Libye a
démontré leur utilité. L'OTAN, que la France a réintégré peu de temps auparavant, a encore une fois
prouvé sa valeur dans la conduite d'opérations militaires multinationales dans le cadre d'une
coalition. Enfin, la place des États-Unis dans ce conflit est symptomatique de l'abandon de leur rôle
de gendarme du monde, vers ce qui a été théorisé comme étant un « leadership en retrait »32, dans le
cadre plus global de leur réorientation stratégique vers l'Asie 33, laissant les européens prendre plus
de responsabilités pour s'occuper de leur défense et régler les crises de leur voisinage, même si la
situation en Ukraine a pour l'instant ralenti ce retrait américain de l'Europe.

3) La PSDC, une coquille vide incapable de faire face aux défis du XXIème siècle

Interrogé en 2012 par l'Assemblée nationale, l'amiral Édouard Guillaud, commandant en


chef des forces françaises lors de l'opération Harmattan, constatait que « l'Europe de la défense est
en hibernation »34. Ainsi, seules 8 missions au titre de la PSDC ont été autorisées depuis la crise
libyenne35, et la plupart d'entre elles, comme l'EUTM/Mali, ont mis beaucoup trop de temps à être
déployées sur le terrain. De plus, malgré le contexte international extrêmement violent aux abords
de l'Europe, peu a été fait dans le domaine de la PSDC, et les rares opérations lancées, comme celle
en Méditerranée pour lutter contre le trafic d'êtres humains, ne sont pas satisfaisantes par leur taille
et leur spectre d'action : elles ne visent que les symptômes du problème, et non les causes !
Ce constat s'applique pour toute la série de crises majeures dans le voisinage européen
depuis l'intervention en Libye. La guerre en Ukraine a même fait planer le doute sur la possibilité
d'un conflit interétatique aux portes de l'Union, chose que l'on croyait presque impossible. Sur ce

EUFOR Libye), Journal officiel de l’Union européenne, 1er avril 2011.


32 Leading from behind en anglais, doctrine du Président Obama suite à l'interventionnisme à outrance des années
Bush.
33 Le pivot vers l'Asie - pivot to Asia - est énoncé par le Department of Defense, Sustaining Global Leadership:
Priorities for the 21st Century Defense, janvier 2012.
34 Amiral Édouard Guillaud, Assemblée nationale, Commission de la défense nationale et des forces armées, Audition
de l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012
(n°3775), Compte rendu n°2, Paris, 5 octobre 2011, p. 13
35 3 au Sahel, 2 en Libye et Méditerranée, 1 en RCA, 1 en Somalie et 1 en Ukraine. La plupart de ces missions sont
déjà citées dans la note n°10.

23
dossier, l'Europe s'est contentée de voter des sanctions économiques 36 contre la Russie et quelques
personnages proches du pouvoir, laissant la France et l'Allemagne mener des négociations avec le
Président russe Vladimir Poutine et les représentants ukrainiens, notamment à Minsk ou en « format
Normandie », pour arriver à un cesser le feu. La France s'est pour sa part retrouvée bien seule
lorsqu'il a fallu intervenir au Mali, à la demande du Président malien 37, afin de contrer les avancées
des groupes terroristes qui menaçaient l'intégrité territoriale du pays. L'opération Serval a été lancée
dans une temps record, et a été unanimement saluée comme étant une réussite. Néanmoins,
pourquoi, alors que ses partenaires européens avaient été sollicités, la France s'est-elle retrouvée si
seule ? Surtout lorsque l'on sait que le groupement tactique « Weimar », comprenant la France,
l'Allemagne et la Pologne était en alerte à cette période et aurait pu ainsi être déployé en soutien des
forces françaises, prouvant ainsi la solidarité européenne et l'efficacité de ce dispositif, jamais mis
en pratique jusqu'à présent. En Syrie, la France était prête à bombarder les forces de Bachar el-
Assad dès qu'il a été établi que le régime avait fait usage d'armes chimiques prohibées contre sa
propre population. Les autres grands acteurs mondiaux, États-Unis en tête, ont préféré faire pourrir
la situation pour voir si elle allait se résoudre d'elle même. Résultat, cela a permis l'émergence de
l'État islamique, nouvelle hydre terroriste qui frappe maintenant au cœur même de l'Europe, en
utilisant des combattants recrutés sur place. Les attentats de novembre 2015 en France, dans les rues
de Paris, au Bataclan et autour du Stade de France en sont l'exemple le plus flagrant. Ces attaques
coordonnées sur plusieurs sites étaient le scénario le plus redouté par les services de sécurité
européens, un scénario auquel il est difficile de répondre. Quelques jours plus tard, devant le
Congrès exceptionnellement réuni à Versailles, François Hollande dans son discours activa la clause
d'assistance mutuelle de l'Union38, prévue depuis le Traité de Lisbonne. Cette première historique
n'eut cependant que peu d'effets, et les contributions européennes à l'effort antiterroriste français au
Sahel ou au Levant ont été minimes. Quelques mois plus tard, c'est Bruxelles, son aéroport et le
quartier européen, qui fut touché par les terroristes, une preuve de plus que ce n'est pas seulement
un pays qui est visé, mais tout un continent, sa manière de vivre, ses institutions et sa démocratie.
La PSDC est une coquille vide39, incapable de faire face aux nombreux défis qui entourent

36 https://europa.eu/newsroom/highlights/special-coverage/eu_sanctions_fr.
37 Le Président malien adresse officiellement sa demande d'aide à la France, et au Conseil de sécurité de l'ONU le 10
janvier. Dès le lendemain, la France répond favorablement et lance ses premières attaques. C'est le début de
l'opération Serval.
38 Discours du président de la République devant le Parlement réuni en Congrès, le 16 novembre 2015 : « J’ai
demandé au ministre de la Défense de saisir dès demain ses homologues européens au titre de l’article 42-7 du
traité de l’Union qui prévoit que lorsqu’un Etat est agressé, tous les Etats membres doivent lui apporter solidarité
face à cette agression car l’ennemi n’est pas un ennemi de la France, c’est un ennemi de l’Europe. L’Europe, elle
ne peut pas vivre dans l’idée que les crises qui l’entourent n’ont pas d’effet sur elle. La question des réfugiés est
directement liée à la guerre en Syrie et en Irak. Les habitants de ces pays-là, notamment ceux des territoires
contrôlés par Daech sont martyrisés et fuient ; ils sont les victimes de ce même système terroriste. »
39 Voir l'entretien en annexe 1 avec Madame Patricia Adam, Présidente de la commission défense nationale et forces

24
l'Europe, et qui la menace directement. Un cercle vicieux est enclenché : les États européens
bloquent la possibilité d'une intervention européenne pour résoudre les conflits qui l'entourent, par
conséquent ceux-ci perdurent et jettent des flots de réfugiés de guerre sur les côtes grecques et
italiennes, ce qui fait monter les populismes et les extrêmes à travers le continent, au point d'amener
le Royaume-Uni à voter pour sa sortie de l'UE, ce qui pourrait être le point de départ de l'éclatement
de l'Union, du fait de son inaction originelle. Que faudra-t-il de plus pour qu'enfin les Européens
agissent ensemble dans le domaine de la sécurité et de la défense, afin de garantir la sécurité de
leurs citoyens et la paix dans leur voisinage proche ?

Ces développements historiques ont eu pour but de montrer l'implication et le rôle central de
la France dans la tentative de construction d'une politique de défense européenne. Sans ce rôle
moteur, tant dans les discours que sur le terrain des opérations, il y a de fortes probabilités que la
PSDC n'existerait pas. Néanmoins, son existence ne signifie malheureusement pas son utilisation et
son efficacité. Nous avons ainsi constaté qu'après sa création, la PSDC avait rapidement lancé ses
premières opérations, mais que les crises multiples (politiques, économiques et sécuritaires) des
années 2010 l'avaient plongée dans un état de mort cérébrale.

Section 2 : La France à la recherche d'équilibre dans sa politique de


défense

Dans le cadre de l'Union européenne plusieurs doctrines cohabitent concernant la définition


même de l'Europe de la défense et sa traduction réelle par la PSDC (I). A cet égard, la position
française est intéressante car au fil des années, elle a basculé d'une dimension idéologique vers un
aspect plus pragmatique (II).

I) Les débats sur l'Europe de la Défense

Il est difficile de savoir ce que veut vraiment dire « l'Europe de la Défense » (1), car
plusieurs idéologies s'arrachent ce concept sur le continent. La France voudrait y voir un instrument
de l'Europe puissance (2), tandis que les pays les plus atlantistes n'y voient qu'un moyen de
coopération subordonné à l'OTAN et donc aux États-Unis (3).

armées de l'Assemblée nationale.

25
1) L'Europe de la Défense ou des Europes de la défense ?

Quand on parle de l'Europe de la Défense, il est difficile de savoir à quoi on fait référence.
Parle-t-on de la politique de sécurité et de défense européenne dans le cadre de l'UE, c'est-à-dire la
PSDC, ou de toutes les coopérations de défense sur le continent européen ? De plus, à quoi
correspond cette Europe de la Défense : est-ce simplement un outil de coopération
intergouvernemental ou bien une préfiguration d'une véritable armée européenne se battant sous le
pavillon de l'UE, et assurant la défense de l'Europe ?
Le site internet du Ministère de la Défense français40 définit clairement l'Europe de la
Défense comme étant la PSDC, en précisant bien qu'elle « ne signifie pas la défense collective des
pays européens contre une agression extérieure, qui reste garantie par l'OTAN, mais la gestion des
crises à l'extérieur de l'Union européenne ». En effet, la PSDC a été conçue pour être un instrument
de la PESC au service d'opérations de maintien de la paix dans des territoires extérieurs à l'Union,
même si certains États européens comme la France espéraient qu'elle soit la préfiguration d'une
véritable défense de l'Europe. D'ailleurs, la PSDC est davantage concentrée sur la sécurité que la
défense, son domaine d'intervention comprend des opérations de basse intensité, comme
l'acheminement d'aide humanitaire, la formation ou la reconstruction d'États faillis, plutôt que de
véritables actes de guerre. Pour ce qui est de l'armée européenne complètement intégrée, elle reste
une chimère et peu de personnalités politiques vont jusqu'à vouloir diluer les armées nationales dans
un grand ensemble européen au cadre et au fonctionnement très incertain. Cette option est même
clairement rejetée par le Livre blanc français de la défense de 2013 41 du fait des difficultés
rencontrées par la simple PSDC.
Cependant, certains auteurs comme Lawrence Freedman ou Julian Lindley-French 42
affirment que l'Europe de la Défense est avant tout une affaire de coopération bilatérale voire
multilatérale entre les grands pays européens, en particulier la France, le Royaume-Uni et
l'Allemagne. Après tout, la PSDC est née d'une initiative franco-britannique avec la Déclaration de
Saint-Malo. De plus, affirmer que les coopérations militaires qui existent en dehors du cadre de
l'Union européenne ne font pas partie de ce que l'on appelle « l'Europe de la Défense » n'aurait
aucun sens. En effet, de très nombreuses coopérations en matière de défense en Europe ont lieu en

40 Disponible ici : http://www.defense.gouv.fr/jeunes/jeuneactu/definition-de-l-europe-de-la-defense.


41 Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale, 2013, page 61 : « [La France rejette] l’option d’une défense
européenne intégrée. La France réaffirme son ambition en faveur d’une défense européenne crédible et efficace,
mais elle ne saurait ignorer les difficultés auxquelles se heurte le développement du cadre européen ».
42 L. Freedman, Can the EU Develop an Effective Military Doctrine ?, in St. Everts, L. Freedman, Ch. Grant, F.
Heisbourg, D. Keohane, M. O’Hanlon (eds). A European Way of War. London: Centre for European Reform. 2004.
13-26 et J. Lindley-French, In the shade of Locarno ? Why European defence is failing, International Affairs, 2002,
78 (4) : pp 789-811.

26
dehors du cadre « UE », et certaines de ces coopérations sont celles qui fonctionnent le mieux,
comme nous le verrons dans la troisième section de ce chapitre, car elles bénéficient d'un cadre
souple et d'un nombre plus restreint de pays partenaires. On peut notamment penser à l'EATC situé
à Eindhoven ou à l'OCCAr, qui ne sont pas liés à l'Union et qui pourtant font bien partie de ce que
l'on appelle l'Europe de la Défense. Toutes ces coopérations multilatérales et ad-hoc permettent
d'avancer à plusieurs sans la rigidité du système de l'Union.
Ainsi, l'Europe de la Défense concerne toutes les coopérations en matière de défense et de
sécurité effectuées sur le continent européen, qu'elles soient ou non chapeautées par l'Union
européenne. De plus, comme nous l'avons vu, l'Europe de la Défense ne concerne pas encore la
défense du continent européen, comme le souhaiterait certains politiques 43 notamment en France,
puisque celle-ci est le domaine réservé de l'OTAN. Néanmoins, exclure cette possibilité pour
l'avenir serait une grave erreur, puisqu'à terme les Européens devront bien sortir de la dépendance
qu'ils ont des États-Unis. Pour résumer, on peut donc dire qu'il existe bel et bien des Europes de la
défense, puisque les définitions et les objectifs varient grandement selon ce que l'on veut bien faire
vouloir dire à cette grande idée. C'est donc un concept à manier avec précaution et il faut bien
penser à préciser de quoi on parle vraiment lorsque l'on évoque la fameuse relance de l'Europe de la
Défense.

2) Le rêve français de l'Europe puissance

Il existe en Europe deux modèles qui s'affrontent, deux tendances fondamentales qui
s'opposent et qui ont des conséquences évidentes sur la politique de sécurité et de défense
européenne, cœur de la souveraineté d'un acteur international. On peut penser à l'Europe fédérale
qui diffère de l'Europe des Nations, c'est-à-dire que l'Europe de l'intégration ne sous-entend pas les
mêmes transferts de souveraineté que l'Europe de la coopération. Daniel Colard 44 énonce cela un
peu différemment : « il y a en effet deux conceptions de l'Europe, celle de l'Europe-puissance,
globale, complète - le modèle franco-allemand - et celle de l'Europe-marché, refusant les
responsabilités internationales en s'abritant derrière les États-Unis dans le cadre atlantique ».
L'Europe puissance est un concept inventé dans les années 1970 par Valéry Giscard
d'Estaing et Jean François-Poncet et qui dans la pure tradition gaulliste voudrait faire de l'Europe la
réincarnation de la France, comme l'écrit Zbigniew Brzezinski45, afin qu'elle conserve son rang de
43 Voir l'entretien avec Madame Patricia Adam en annexe 1, pour qui l'Europe de la Défense signifie la défense de
l'Europe.
44 Daniel Colard, Le nouvel environnement international et l’Europe de la défense, Arès, n°54, volume XXI – fascicule
2, janvier 2005.
45 Voir dans B. Irondelle, European Foreign Policy : the End of French Europe ?, Journal of European Integration, 30

27
grande puissance à l'échelle du monde par l’intermédiaire de la construction d’une défense
européenne. L'Europe serait à l'image de la France dans son fonctionnement, centralisée (jacobine),
farouchement indépendante et prête à intervenir par tous les moyens (dont militaires) là où ses
intérêts sont menacés. Cependant, comme pour le Plan Fouchet, cette conception de l'Europe est
très largement rejetée par les autres États membres, et reste un rêve franco-français. Même en
France, où le rejet de l'Union est de plus en plus fort dans la population et où une partie des élites
n'hésitent pas à accuser Bruxelles de tous les malheurs du pays, voir un plus fort transfert de
souveraineté en faveur de l'Union paraît de plus en plus illusoire.
Il est vrai que sur le plan conceptuel, l'Union européenne ne remplit pas incontestablement
les critères pour être un véritable acteur international 46. Ainsi, « selon le paradigme réaliste qui se
focalise sur le rôle primordial des États-nations cherchant à maximiser leur intérêt national défini
en termes de puissance dans un système international anarchique, la contribution de l'UE à la
politique internationale est à relativiser fortement : l'Union n’étant pas un acteur autonome et
n'agissant au mieux que par l'intermédiaire des États qui la composent; elle est simplement inapte
à affronter la politique extérieure »47. C'est précisément pour contrer cet état de fait que le concept
de l'Europe puissance a tant de sens. Néanmoins, si l'idée d'une fédération européenne est illusoire,
et n'est en réalité souhaitée par personne, à part peut être la Belgique et une frange très minoritaire
de la population de certains États, la position française se traduit par la volonté de rendre l'Union
plus complète et plus autonome, sans pour autant lui transférer une trop large part de souveraineté,
afin qu'elle puisse avoir un statut de grande puissance à l'échelle mondiale, et pas seulement grâce à
son statut de première puissance économique, statut lui même illusoire puisque chaque pays
européen est en réalité en concurrence avec son voisin. C'est donc une position d'équilibriste assez
difficile à mettre en œuvre puisqu'elle repose à la fois sur une Union européenne composée d'États-
nations, mais qui dispose également d'une politique étrangère et de défense propre, et surtout qui
l'utilise afin de faire respecter ses intérêts dans le monde, et non pas dans un but purement
désintéressé ou humanitaire comme c'est le cas la plupart du temps aujourd'hui.
L'Union européenne ne correspond donc pas à l'Europe puissance. Pourtant, toutes les
opérations de la PSDC n'ont pas seulement des objectifs humanitaires ou de formation, l'une d'entre
elles protège même les intérêts stratégiques de l'Union européenne, bien loin de sa zone
d'influence : il s'agit de l'opération EUNAVFOR Atalanta 48 mise sur pied lors de la présidence

: 1,153 – 168, 2008.


46 Irving Lewis, L'Union européenne comme acteur international vingt ans après Maastricht : le SEAE et le défi d'une
diplomatie cohérente et efficace, 2013.
47 Ibid.
48 Informations tirées de l'article de Delphine Deschaux-Dutard, Les opérations de paix conduites par les
organisations euro-atlantiques en 2014-2015, 2016.

28
française de 2008 avec pour objectif de lutter contre la recrudescence des actes de piraterie venant
de Somalie dans le Golfe d'Aden. Atalante, première mission aéronavale européenne, sécurise une
des artères économiques les plus vitales pour le monde et surtout l'UE (30 % des
approvisionnements en pétrole de l'Union européenne et 70 % de son flux de conteneurs y passent).
La France en est le premier contributeur, et grâce à sa base à Djibouti, occupe un rôle central du
point de vue logistique. La mission, effectuée en coordination avec l'opération Ocean Shield de
l'OTAN, a également permis d'escorter plus de 920.000 tonnes d'aide humanitaire du Programme
alimentaire mondial (PAM) destinées à la Somalie. Atalante est sans doute l'une des opérations
militaires les plus efficaces et coercitives conduites par l'Union. En effet, la force navale de l'UE a
contribué de façon significative à la réduction de la piraterie 49 puisque depuis 2008, le nombre
d'attaques est passé de 168 à 3 en 2014. Pour autant, l'élimination des causes profondes de la
piraterie maritime en Somalie est loin d’être effective, cette pratique prenant racine sur un terreau
d'instabilité politique et une pauvreté extrême. Ainsi parallèlement à la mission militaire Atalante,
l'UE a déployé deux autres opérations dans la Corne de l'Afrique, l'une militaire et l’autre civile (la
« mission de reconstruction des capacités maritimes régionales » EUCAP Nestor et la mission de
formation EUTM Somalie), afin d'éliminer durablement la piraterie.
L'Europe n'existe sur le plan international que lorsqu'elle est unie, comme c'est le cas pour le
domaine du commerce. On voit que lorsque les intérêts commerciaux de l'Union sont attaqués, la
réponse peut être efficace et globale. Ainsi, l'UE peut agir selon les préceptes de l'Europe puissance,
ce n'est qu'une question de volonté politique, comme cela a été le cas lorsque le commerce
européen, notamment via l'approvisionnement en pétrole, a été menacé par la piraterie au large de la
Somalie. L'Union pourrait donc agir plus souvent de cette manière, si les égoïsmes nationaux ne
prenaient pas plus souvent le pas sur les intérêts de tous les Européens, comme c'est le cas
actuellement.

3) La PSDC, simple instrument de coopération au service de l'OTAN

Au moment même où ces lignes sont écrites, le Royaume-Uni a choisi de quitter l'Union
européenne, ce qui va avoir des répercussions imprévisibles sur le sort de l'Europe en général et de
sa politique de défense en particulier. Néanmoins, il est toujours pertinent d'étudier la ligne
défendue par les britanniques qui consiste à avoir un PSDC supplétive et au service de l'OTAN,
dont le rôle se limite à la gestion de crise, puisqu'elle est également partagée par d'autres pays

49 Voir le site du SEAE, à cette adresse : http://eeas.europa.eu/csdp/missions-and-operations/eu-navfor-


somalia/pdf/factsheet_eunavfor_fr.pdf.

29
européens, notamment à l'Est. Cette position est autant la conséquence de leur « relation spéciale »
avec les États-Unis50, que le prolongement de leur vision d'une Europe-marché, entrainant des
tranferts de souveraineté a minima, comme l'a décrite Daniel Colard précédemment. Ainsi les
britanniques, qui font partie des peuples connaissant le moins les institutions européennes, sont
également assez largement les moins favorables en Europe à l'idée d'une défense commune entre les
États membres de l'Union51. Comme nous l'avons précisé, l'OTAN doit rester à leurs yeux le cadre
prioritaire de la défense, au sens de la défense territoriale, du continent européen. De plus, leur
méfiance pour la PSDC, qu'ils ont pourtant contribué à créer avec la Déclaration de Saint-Malo,
vient du fait qu'elle pourrait faire concurrence à l'Alliance atlantique, si cette politique devenait
réellement autonome, et sous influence française. Ainsi, dans sa stratégie de sécurité et de défense 52,
le Royaume-Uni énonce très clairement qu'il ne soutiendra des opérations de la PSDC uniquement
si l'OTAN ne s'y oppose pas, et si l'UE et l'Alliance souhaite intervenir, la priorité irait au cadre
atlantique plutôt qu'européen. Il faut dire que l'OTAN, grâce à son article 5 53 qui place l'Europe sous
la protection américaine et sous son parapluie atomique, est l'assurance de la sécurité pour beaucoup
de pays d'Europe de l'Est, qui avaient d'ailleurs à l'époque posé leur candidature à l'Alliance avant
d'entamer le processus d'adhésion à l'Union européenne. Ainsi, les pays baltes ou la Pologne, ne
remettraient jamais en cause la supériorité de l'OTAN pour assurer leur défense, et ne feraient rien
qui pourrait irriter les Américains. C'est pourquoi les traités européens stipulent clairement que la
PSDC ne change en rien les accords de défense existants, notamment dans le cadre de l'OTAN 54, et
que la coopération avec cette organisation est prioritaire.
La position allemande est à bien des égards à mi-chemin entre la vision française d'une
défense européenne forte, et la position britannique. En effet, l'Allemagne est tiraillée entre
plusieurs forces contraires. Tout d'abord, elle doit son existence actuelle à la protection accordée par
l'OTAN et les Américains, et cela se voit dans leur doctrine militaire. Néanmoins, la vision
européenne de l'Allemagne est profondément intégratrice, et vise à renforcer le rôle et les pouvoirs
de l'Union européenne, ce qui ne peut se faire sans hard power. Enfin, l'Allemagne n'est toujours
50 Alice Pannier, La politique de défense britannique en 2013 : une posture incertaine, Fiche de l'IRSEM n°29, mai
2013.
51 European Commission, 2014, Standard Eurobarometer 81- Public Opinion in the European Union, graphique 5 en
annexe 2.
52 UK Government, UK Strategic Defence and Security Review: Securing Britain in an Age of Uncertainty, p 62, 2010.
53 L'article 5 énonce le principe fondamental de la défense collective puisqu'il prévoit que si un Allié est victime d'une
attaque armée, chacun des autres membres de l'Alliance considérera cet acte de violence comme une attaque armée
contre l'ensemble des membres. Dans l'Histoire, l'article 5 a été invoqué qu'une seule fois, à la suite des attaques
terroristes du 11 septembre 2001.
54 TUE, article 42-2 §2 : « La politique de l'Union au sens de la présente section n'affecte pas le caractère spécifique
de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant du traité
de l'Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le
cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et elle est compatible avec la politique commune de
sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ».

30
pas l'aise avec les interventions militaires à l'étranger depuis la fin de la Seconde guerre mondiale,
car une grande partie de son opinion publique est profondément pacifiste. De plus, comme nous
l'avons évoqué dans la première partie de ce chapitre, elle soupçonne la France de se servir de l'UE
afin de remplir son « agenda africain », et ne souhaite absolument pas être embarquée contre son
grès dans des affaires post-coloniales. Cependant, ces dernières années, la maxime d'après guerre
« Nie wieder Krieg », forçant à l'immobilisme, a peu à peu été remplacée par l'obligation morale
d'un « Nie wieder Auschwitz »55, les forçant à intervenir à l'étranger à des fins humanitaires, mais
toujours dans le cadre d'une coalition internationale. Ainsi pour les Allemands, la PSDC doit porter
la marque du multilatéralisme, se concentrer en priorité sur les opérations de basse intensité (pas de
guerre ouverte, mais plutôt de l'aide logistique, de la formation...) et doit se concerter avec
l'Alliance atlantique, ce qui correspond exactement à la doctrine actuelle de la PSDC.

II) La position française pragmatique et d'influence

La France est depuis la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne la seule véritable


armée moderne et pouvant intervenir à l'étranger dans l'Union européenne, ce qui lui confère
naturellement un rôle en pointe sur les questions militaires (1). Malgré ses défauts et les débats qui
l'agite, la France ne renie pas la PSDC, puisqu'elle y exerce à l’intérieur une position d'influence
(2). De plus, le retour dans la structure du commandement intégré de l'OTAN décidé par Nicolas
Sarkozy (3) permet à Paris d'être revenue en grâce auprès des Américains et de leurs alliés en
Europe de l'Est, tout en bénéficiant du plein soutien de l'organisation sur le plan opérationnel,
comme lors de la guerre en Libye.

1) La France, seule véritable armée européenne

D'après Jean-Claude Junker56, Président de la Commission européenne, « l'armée française


sauve souvent l'honneur de l'Europe » et sans elle, « l'Europe serait sans défense ». Cette
affirmation, de la part de celui qui incarne l'Union européenne, est d'une grande importance et
prouve que les efforts militaires français, notamment au Sahel, concernent non pas seulement
l'Hexagone, mais bien la sécurité de tous les Européens. On entend d'ailleurs parfois certains
responsables politiques dire que ce sont les contribuables français qui paient, via le budget de la

55 Voir Becker, S., Germany and War: Understanding Strategic Culture under the Merkel Government, IRSEM Paris
Papers-9, 2014.
56 Interview à la radio Europe 1 le 19 mars 2015, disponible ici : http://www.europe1.fr/mediacenter/emissions/l-
interview-de-jean-pierre-elkabbach/videos/juncker-l-armee-francaise-sauve-souvent-l-honneur-de-l-europe-
2403837.

31
Défense nationale, pour la sécurité des Européens. Ainsi, ces mêmes responsables voudraient que
les dépenses militaires françaises soient soustraites au calcul du respect des fameux 3% de déficit
budgétaire, ce à quoi M. Junker est personnellement favorable. Il faut dire que la France, à la suite
de l'intervention au Mali et des attentats de Charlie Hebdo et de novembre 2015, a gelé son budget
de la Défense, stoppant par la même occasion les baisses de dépenses qui avaient été prévues dans
la dernière loi de programmation militaire (LPM) couvrant la période 2014-2019.
Avec la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, le statut de puissance militaire de la
France au sein de l'UE en sort grandement renforcé, mais cela la rend surtout extrêmement isolée
dans ce domaine. En effet, Paris dispose maintenant de la seule véritable armée d'envergure
mondiale au sein de l'Union, la seule en capacité d'intervention sur les cinq continents grâce à ses
territoires d'outre-mer d'importance stratégique, et à sa permanence à la mer 57, assurée par le porte-
avions à propulsion nucléaire Charles-de-Gaulle, le plus gros navire militaire en Europe. Les
effectifs militaires français étaient de 207.000 hommes et femmes en 2014 58, ce qui en fait la
première armée de l'Union en terme d'effectif, devant l'Italie (184.400 personnels) et l'Allemagne
(183.700 personnels). A titre d'exemple, Paris peut projeter 30.000 hommes à l'étranger, quand la
Belgique ne peut en déployer que 600 59. Ainsi la France bénéficie toujours, du fait de sa puissance
militaire, de sa place au Conseil de sécurité de l'ONU et de sa dissuasion nucléaire, d'une place de
grande puissance mondiale, qu'elle aurait largement perdue si elle ne devait compter que sur son
économie ou sa démographie.
De plus, l'intervention en un temps record au Mali, à la demande des autorités locales, a
renforcé la crédibilité de la France, perçue maintenant par l'OTAN et les États-Unis comme un allié
essentiel dans la lutte contre le terrorisme. Ainsi, la trajectoire du Royaume-Uni et de la France
s'oppose dans ce domaine. Les Britanniques, comme les Américains, devenant de moins en moins
interventionnistes, à la suite du bourbier afghan et du désastre irakien, alors que la France prend en
charge de manière très sérieuse, et dans la limite de ses faibles moyens, la sécurité dans sa zone
d'influence en Afrique, et dans le voisinage européen proche (négociations en Ukraine, forces
spéciales présentes en Libye, frappes aériennes en Irak et Syrie, traque des terroristes au Sahel avec
l'opération Barkhane). En plus de ces opérations extérieures, à la suite des attentats commis sur le
territoire national en 2015, l'armée française a dû déployer un dispositif d'envergure et de nature
inédite : l'opération Sentinelle. Son rôle est de protéger le territoire des risques d'attentats, tout en ne

57 Permanence qui n'est pas vraiment permanente car le Charles-de-Gaulle doit connaître une période
d'immobilisation de 15 à 18 mois tous les 7 ans afin de changer ses cœurs nucléaires. C'est pourquoi de nombreuses
voix s'élèvent pour la construction du fameux deuxième porte-avions français, annulé en 2012.
58 Annuaire statistique de la défense 2014-2015, Ministère de la Défense. Tableau complet en annexe 2, graphique 6.
59 http://www.taurillon.org/l-armee-europeenne-sera-surtout-francaise.

32
restreignant pas les capacités de projections à l'étranger. C'est une véritable OPEX 60 sur le territoire
national, avec plus de 13.000 soldats déployés en métropole 61. En conséquence, les forces militaires
sont épuisées (sans parler des policiers et des gendarmes) et la poursuite d'opérations d'une telle
ambition, d'autant plus menées simultanément dans plusieurs parties du monde, est impossible sur
le très long terme.
Aussi, des voix s'élèvent à nouveau en France, en Allemagne ou au sein de l'Union pour la
création d'une armée européenne, ce qui pourra certainement être fait plus facilement maintenant
sans les Anglais. Bien que cette perspective soit encore bien illusoire, force est de constater que si
demain une armée européenne était créée, elle serait avant tout et principalement française...

2) La présence affichée de la France dans les institutions de la PESC

Conséquemment au poids de la France dans le monde de la Défense en Europe, les


ressortissants français occupent une place importante dans les institutions européennes en charge de
la politique étrangère, de sécurité et de défense. Comme l'a dit un eurodéputé 62 : « L'influence
française passe d’abord par une forte présence des agents français dans les circuits multilatéraux
bruxellois. Dans les dernières années, et jusqu’à la mise en œuvre du traité de Lisbonne, les acteurs
français (diplomates, fonctionnaires, militaires) ont été fortement représentés au sein des structures
bruxelloises intergouvernementales, où, de l’aveu même des principaux intéressés, beaucoup de
postes clés ont été entre leurs mains ». Ainsi par le passé, Claude-France Arnould a occupé le poste
de directrice de l'Agence européenne de défense (AED) de janvier 2011 à janvier 2015, après avoir
été « directrice de la direction VIII (défense) de la DGE (Relations économiques extérieures,
Politique étrangère et de sécurité commune) de 2001 à 2009. Sa direction était même souvent
appelée – avec un agacement visible chez certains partenaires – la direction française en raison du
nombre d’agents français qui y étaient en poste »63. L'eurodéputé bourguignon du PPE
(conservateur) Arnaud Danjean a quant à lui été de 2009 à 2014 le président de la sous-commission
sécurité et défense (SEDE) au sein de la commission des affaires étrangères du Parlement européen,
dont il est encore un membre influent. Le général Patrick de Rousiers, également bourguignon, a lui
présidé entre 2012 et 2015 le Comité militaire de l'Union européenne tout en étant le conseiller
militaire de la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères. Pierre Vimont a pour sa

60 Opération extérieure.
61 Point de situation sur l'opération Sentinelle, Ministère de la Défense, le 7 janvier 2016 :
http://www.defense.gouv.fr/operations/actualites/sentinelle-point-de-situation-au-07-janvier-2016.
62 Citation dans : IRSEM, sous la direction de Frédéric Charillon et Frédéric Ramel, Action extérieure et défense :
l'infuence française à Bruxelles, 2010, page 17.
63 Ibid, page 19.

33
part été le premier Secrétaire général du SEAE, c'est-à-dire le numéro 2 de la diplomatie
européenne derrière la Haute représentante, entre 2010 et 2015.
Il faut croire que ce poste prestigieux est réservé aux Français puisque c'est Alain Le Roy,
haut fonctionnaire passé par l'ONU, qui l'a remplacé en tant que Secrétaire général depuis janvier
2015. De nombreux autres Français ont encore actuellement des postes dans l'organigramme du
SEAE64, à des échelles subalternes mais stratégiques (Alain Holleville est le chef de la délégation de
l'UE au Mali, Didier Lenoir est le chef de la délégation de l'UE auprès des organisations
internationales à Vienne...) pour les intérêts de la France au sein de l'Union. De plus, Michel
Barnier, ancien Commissaire européen à la Politique régionale (1999-2004) puis au Marché
intérieur (2010-2014) avait été nommé par Jean-Claude Juncker comme son conseiller spécial pour
la politique de défense et de sécurité en février 2015 car « même la plus forte des puissances douces
ne peut se passer à long terme d'un minimum de capacités intégrées en matière de défense et de
sécurité »65.
Cette influence de position dans les institutions européennes est renforcée par la forte
présence de militaires français dans les opérations de la PSDC, tant au niveau des troupes engagées
que des commandements. À titre d'exemple, le général Jean-Paul Michel, a été chef de la mission
EUSEC RDC, alors que le général Yves de Kermabon a dirigé l'opération EULEX Kosovo. Gilles
Janvier, chef adjoint de la mission MSUE en Géorgie, fut même soutenu par un autre Français,
Pierre Morel, nommé représentant spécial de l'Union européenne pour la crise géorgienne en
septembre 2008. La mission EUFOR Tchad-RCA fut également commandée sur le terrain par un
Français, le général Jean-Philippe Ganascia d’octobre 2007 à mars 2009.
Cette forte présence de citoyens français dans les institutions du couple PESC/PSDC a pu, et
peut toujours, agacer certains de nos partenaires européens, soucieux de ne pas voir cette politique
commune servir les intérêts de la France avant ceux de tous les Européens. À titre d'exemple, le
« coup de gueule » de Charlie McCreevy66, Commissaire européen sortant, à la suite des

64 Disponible dans sa totalité à cette adresse : https://eeas.europa.eu/background/docs/organisation_en.pdf.


65 Jean-Claude Juncker, communiqué de presse du 17 février 2015 suite à la nommination de Michel Barnier,
disponible ici : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-15-4437_fr.htm.
66 Voir St. Collins, French power and influence in EU criticised by McCreevy, The Irish Times, 19 décembre 2009.
Citation complète en anglais : « What President Sarkozy’s statement tells us is that like many of his fellow
countrymen, he does not see the European Commission as a commission for the advancement of European interests.
[…] The influence of France in Brussels is impressive, though. People forget that the Brussels bureaucracy was
designed by the French almost as a copy of how the administration in Paris works. […] This has over the years
given the French a huge advantage in knowing how to pull the levers of power. And if you look around the
commission you will see that the French have been masters in getting their key people into some of the most
powerful posts. But the tactical positioning and influence of the French in all of these areas and other tangential
areas stretches far beyond the European Commission [in all the major areas of finance, services, trade, EU
monetary policy and central bank leadership] the French have scooped the pool, lock, stock and barrel […] So I
salute President Sarkozy and his colleagues in the French foreign service and the finance ministry for their
extraordinary deftness and diplomatic and tactical coups ».

34
commentaires de Nicolas Sarkozy sur la nouvelle composition de la Commission en 2009 résume
bien comment peut être parfois perçue la France en Europe. Pour résumer son propos 67 : Paris
considère la Commission comme un instrument au service de ses intérêts vu le grand nombre de
Français occupant des postes clés dans l'UE, et dont sa bureaucratie elle-même a été grandement
inspirée du modèle hexagonal. On peut constater pour l'occasion que l'influence française sur l'UE,
et en particulier sur les institutions de la PESC/PSDC est très grande, ce qui contraste avec le
discours général d'une grande partie des hommes politiques, des médias et des citoyens de
l'Hexagone qui dépeignent l'Union comme étant une horrible machine bureaucratique sur laquelle
les pays ne pourraient pas influer, alors qu'en réalité la France occupe un rôle central dans cette
situation. Par conséquent, cette position dominante, qui va être grandement renforcée par le Brexit,
devra impérativement être accompagnée par un leadership politique plus conséquent de la part de la
France, en concertation avec ses alliés les plus fidèles comme la Belgique, afin d'imposer pour de
bon la fameuse relance de l'Europe de la Défense.

3) Le retour complet de la France dans l'Alliance atlantique

On oublie souvent que la France est l'un des pays fondateurs de l'Organisation du Traité de
l'Atlantique Nord, et qu'elle y a exercé un rôle moteur lors des premières années de son existence,
afin de convaincre les Américains de rester en Europe pour la protéger de la menace soviétique, tout
en encadrant la reconstruction de l'Allemagne de l'Ouest. Le quartier général de l'OTAN, le SHAPE
(Supreme Headquarters Allied Powers in Europe) est même implanté à Rocquencourt, près de
Versailles. Néanmoins, le général de Gaulle dès son retour au pouvoir a exigé des Américains une
direction tripartite (États-Unis, France et Royaume-Uni) de l'Alliance. Plus tard, il s'opposera à la
stratégie américaine adoptée par l'OTAN de la riposte graduée en cas de conflit nucléaire, préférant
la simple dissuasion. Ces désaccords finirent par provoquer en 1966 le retrait de la France du
commandement intégré de l'Alliance, ainsi que le renvoi des troupes américaines présentes sur le
territoire national. Le siège de l'OTAN fut par conséquent transféré en Belgique, où il se trouve
toujours aujourd'hui. Il a fallu attendre 1995 pour revoir à nouveau un exercice de l'OTAN sur le sol
français, François Mitterrand ayant adopté la même politique que son prédécesseur.
Nicolas Sarkozy, qui n'avait cessé de clamer son attachement aux États-Unis lors de la
campagne présidentielle de 2007, veut procéder à une rupture stratégique lors de son élection en
réintégrant le commandement intégré de l'OTAN. Il confirme son intention devant le Congrès

67 IRSEM, sous la direction de Frédéric Charillon et Frédéric Ramel, Action extérieure et défense : l'infuence
française à Bruxelles, 2010, page 24.

35
américain le 7 novembre 200768 : « Plus l'Europe de la Défense sera aboutie, plus la France sera
résolue à reprendre toute sa place dans l'OTAN. Je souhaite que la France, membre fondateur de
notre Alliance et qui est déjà l'un de ses premiers contributeurs, prenne toute sa place dans l'effort
de rénovation de ses instruments et de ses moyens d’action, et fasse évoluer dans ce contexte sa
relation avec l’Alliance, en parallèle avec l’évolution et le renforcement de l'Europe de la
Défense ». La France fait son retour de manière officielle lors du Sommet de l'OTAN de
Strasbourg/Kehl en avril 2009.
Certains ont critiqué la décision de la réintégration, la considérant même comme une
« erreur stratégique »69, puisque selon eux le choix a été fait de privilégier l'Alliance à l'Europe,
alors que les cultures stratégiques françaises et américaines divergent sur plus d'un point. Cet
argument est critiquable car c'est également le cas entre les différents pays l'Union européenne. De
plus, l'un des arguments forts mis en avant pour faire accepter la réintégration était que c'était un
préalable nécessaire à la relance de l'Europe de la Défense, afin de rassurer les plus atlantistes des
partenaires européens, comme la Pologne ou le Royaume-Uni. Sur ce point, tous les acteurs sont
unanimes70 pour dire que c'est un échec retentissant. Le rapprochement français effectué sous
Sarkozy à la fois avec l'OTAN et le Royaume-Uni avec les Accords de Lancaster House a même eu
pour conséquence de faire ombrage au partenaire historique qu'est l'Allemagne. En aucun cas le
retour complet dans l'OTAN n'aura donc aidé la relance de l'Europe de la Défense. En revanche, au
sein de l'Alliance, la France a obtenu à la suite de son retour dans le commandement intégré le poste
de Commandant Suprême Allié de la Transformation (Supreme Allied Commander Transformation),
chargé de l'élaboration des doctrines de l'OTAN, de l'entrainement des forces et de la préparation
des capacités militaires, ainsi que la mise en œuvre de la Smart Defence, concept voisin du pooling
and sharing européen. Le général Abrial a ainsi été le premier non Américain à occuper ce poste (de
2009 à 2012). De plus, la France est redevenue un partenaire fiable et hautement considéré par les
Américains, notamment suite aux interventions en Libye et au Mali.
Aujourd'hui, l'OTAN est une organisation qui rassemble 28 pays, représentant 910 millions
d'habitants. C'est la plus grande alliance défensive au monde, tout en étant régulièrement sollicitée
pour des opérations extérieures d'envergure comme en Afghanistan, après les attentats du 11
septembre 2001. Néanmoins, alors qu'elle a pour vocation première de protéger l'Europe, cette
structure est toujours sous l'hégémonie américaine. Avant le retour dans le commandement intégré

68 Les développements de cette partie sont tirés du rapport d'Hubert Védrine de 2012 sur l'avenir de la relation
transatlantique et les perspectives de l'Europe de la défense.
69 EuroCité, Emmanuel Faure, Défense européenne : bilan et perspectives de la politique conduite par la France entre
2007 et 2012, 2012.
70 Voir les conclusions du Rapport Védrine de 2012 ou du Rapport d'information sur la relance de l'Europe de la
défense de l'Assemblée nationale en 2013.

36
de l'OTAN, le fort soutien français à la PSDC était parfois considéré comme étant une tentative de
supplanter l'Alliance atlantique, afin de doter la France d'une puissance qu'elle ne pourrait avoir
seule. De ce fait, les États-Unis se sont longtemps posés la question de savoir si la PSDC était
complémentaire ou concurrente à l'OTAN71. Mais avec le pivot vers l'Asie, et la baisse des menaces
directes sur l'Europe (avant la crise en Ukraine), les pays européens doivent prendre la
responsabilité historique d'assurer eux-mêmes leur défense, et cela peut se faire au sein de l'OTAN :
c'est le fameux pilier européen de l'Alliance. De plus, l'OTAN est complémentaire avec l'UE, les
missions que cette dernière est capable d'effectuer étant plus globales, comprenant la restructuration
des États faillis, la police... alors que l'OTAN s'occupe avant tout d'opérations militaires de combat.
Aux États-Unis, on s'inquiète devant la faible part des dépenses européennes en matière de défense
(les fameux 2% du PIB), faisant dire à certains hommes politiques que l'Alliance coûte plus cher
aux contribuables américains qu'elle ne rapporte stratégiquement au pays 72. Comme le soulignait
Hubert Védrine, l'OTAN a tellement bien réussi sa mission de protection qu’elle a découragé tout
effort de défense chez ses alliés européens, très content d'être couverts par l'Oncle Sam via l'article
5. Ainsi « le partage du fardeau », c'est-à-dire une répartition équitable des dépenses de défense
entre les Américains et les Européens, est appelé vivement par les États-Unis, qui voient maintenant
d'un très bon œil la coopération européenne en matière de défense.
En conclusion, on peut dire que la France est retournée dans le giron de l'OTAN au départ
pour des raisons idéologiques, mais que ce retour s'est finalement avéré nécessaire et pragmatique
devant l'impuissance de l'Europe à s'entendre sur les questions de défense. Néanmoins, ce retour ne
signifie en aucun cas la délégation des problématiques de défense à l'OTAN et aux États-Unis 73,
comme le souligne le dernier Livre blanc français. De plus, cela serait une grave erreur d'opposer
l'OTAN à l'UE car ces deux entités sont en réalité parfaitement complémentaires, comme nous le
verrons dans le chapitre 2. L'Europe devrait même, grâce au grand nombre de ses États qui sont
membres des deux organisations74, renforcer son influence au sein de l'OTAN afin de faire
contrepoids au leadership des États-Unis, qui eux-mêmes sont fatigués de supporter tout le poids de
l'organisation sur leurs épaules, et ainsi créer un véritable pilier européen de l'Alliance, selon les
souhaits originaux de Charles de Gaulle.

71 Robert E. Hunter, The European Security and Defense Policy : NATO's companion or competitor ? Rand
Corporation, 2002.
72 ISSUE, Chaillot paper n°137, Envisioning European defence : five futures, mars 2016.
73 Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale, 2013, page 61 : « [La France refuse] la délégation aux États-
Unis et à l’OTAN du soin de notre sécurité future. L’Alliance Atlantique est un pilier de la politique de défense
française, mais elle doit prendre en compte les différences de priorités qui imposent à chaque membre de cette
Alliance de prendre ses responsabilités propres ».
74 Sur 27 États membres de l'UE, 22 sont membres de l'OTAN.

37
De nombreux débats sur les buts de l'Europe de la Défense persistent, alors que le rêve
français de l'Europe puissance a été supplanté par une conception a minima de la PSDC. Cette
dernière vise pour l’essentiel à mener des missions humanitaires ou de basses intensités en
collaboration avec l'OTAN, l'ONU ou l'Union Africaine. Par conséquent, la politique de défense de
la France s'est trouvée un peu écartelée entre la volonté de renforcer le cadre européen avec la
PSDC et le pragmatisme nécessaire incarné par l'efficacité de l'OTAN dans la conduite d'opérations
de combat.

Section 3 : La France au cœur de coopérations bilatérales et


multilatérales en Europe

Devant l'impossibilité de mener une défense intégrée en Europe, la France donne une grande
importance aux coopérations (qu'elles soient industrielles, organisationnelles ou opérationnelles)
dans le domaine de la défense avec ses partenaires européens, hors du cadre de l'Union, au sein de
conventions purement bilatérales (I) ou prévues dans un cadre plus large (II).

I) Des coopérations bilatérales politiquement centrales pour la défense française

La politique de défense française, relativement autonome des grandes puissances pendant


longtemps, repose en partie sur de nombreux accords bilatéraux avec ses voisins que sont le
Royaume-Uni (1) et l'Allemagne (2). De nombreuses réalisations européennes ont ainsi pu être
créées dans ces cadres au départ purement bilatéraux. La France essaye également d'avoir des
coopérations en matière de défense avec d'autres pays européens (3), même si celles-ci sont de
moindre importance.

1) Les Accords de Lancaster House, un modèle de coopération en matière de défense

Dans les heures qui ont suivi l'officialisation du résultat du referendum sur le départ du
Royaume-Uni de l'Union européenne, le Président français a tenu à rappeler que cette rupture ne
changeait en rien les accords privilégiés en matière de défense qui unissent la France à son voisin
insulaire. Ce rappel, presque énoncé en premier lors de la réaction du Président de la République,
montre à quel point le partenariat stratégique en matière de défense entre la France et le Royaume-
Uni est important dans le contexte sécuritaire actuel. Il faut dire que depuis l'Entente Cordiale, ces

38
deux pays, après des siècles de guerres, sont devenus de solides alliés, et ce malgré les débats
stratégiques qui les opposent souvent, notamment au sein de l'Union européenne. Cette coopération
ne doit rien au hasard car sur le plan structurel, ces deux puissances ont des ressemblances
frappantes, puisque ce sont les seuls pays européens à avoir des ambitions mondiales, avec leurs
territoires répartis sur les cinq continents, leur place de membre permanent du Conseil de sécurité,
leur rang de puissance nucléaire et leur longue tradition interventionniste.
Les Accords de Lancaster House75, signés le 2 novembre 2010, prennent acte de ces
similitudes et succèdent ainsi au Traité de Dunkerque de 1947. Ces Accords sont en réalité deux
traités distincts : le premier s'intéresse uniquement à la dissuasion nucléaire, la France et le
Royaume-Uni étant les deux seuls pays européens (hors Russie) à posséder l'arme atomique, tandis
que le second est bien plus vaste puisqu'il concerne le déploiement et l'emploi des forces armées, les
transferts de technologies et les programmes d'achats d'armements, ainsi que des échanges
d'informations. Le but pour les deux nations est de dépenser moins ou plus efficacement en matière
de défense (réduire les coûts de recherche/développement, acheter en commun...) et d'être capable
d'agir ensemble (interopérabilité) dans le cadre de coalition ou sous la direction d'organisations
internationales comme l'OTAN ou l'UE. Parmi les exemples concrets de coopérations sur le terrain,
la plus importante est sans aucun doute la création d'une Force expéditionnaire commune
interarmées (en anglais, Combined Joint Expeditionary Force – CJEF), qui doit être opérationnelle
cette année et permettra aux deux armées d'agir comme une seule lors d'opérations bilatérales
(comme au début de l'intervention libyenne) ou dans le cadre d'une coalition internationale. Pour
mettre en œuvre cette interopérabilité, de nombreux exercices conjoints ont eu lieu 76, comme par
exemple Corsican Lion en 2012 ou Griffin Strike 2016, commencé en avril dernier et qui avait pour
but de valider le concept final du CJEF. Ces exercices montrent une grande maîtrise opérationnelle,
puisqu'ils visent à projeter des éléments de la marine, de l'armée de l'air et de l'armée de terre des
deux pays simultanément et de manière coordonnée. L'avenir s'annonce donc prometteur sur le plan
opérationnel, car dès l'intervention conjointe en Libye, c'est-à-dire avant même le début de ces
manœuvres communes, le haut niveau d'interopérabilité des deux armées avait été salué
unanimement.
La France a dû se résoudre à cette approche bilatérale, correspondant parfaitement à la
politique britannique, au vue de l'embourbement de la PSDC et de ses besoins stratégiques, qui se
sont rapprochés de ceux de Londres depuis le retour complet de Paris au sein de l'OTAN. Cette
position, pragmatique et souple, montre bien que le principal objectif des politiques françaises sur

75 Parfois appelés Traités de Lacaster House ou Traités de Londres.


76 Voir cet article du site Zone Militaire disponible à cette adresse : http://www.opex360.com/2016/04/14/lexercice-
franco-britannique-griffin-strike-dans-le-vif-du-sujet/.

39
les questions de défense (et il y a plus ou moins consensus là dessus entre la droite et la gauche)
n'est pas de tenir une position idéologique coûte que coûte, mais bien d'avoir des armées
parfaitement opérationnelles et capable de faire respecter la place de la France dans le monde.
Enfin, cette relation privilégiée ne risque pas d'être affectée par la sortie du Royaume-Uni de
l'Union européenne, vu que cette coopération est purement bilatérale.

2) Le couple franco-allemand précurseur mais en retrait depuis quelques années

Le couple franco-allemand est, comme on ne le cesse de le répéter, le moteur de la


construction européenne. Malgré une histoire moderne marquée par trois conflits majeurs
comprenant deux guerres mondiales, ces deux nations ont su construire la paix à travers leur
réconciliation, tout en étant à l'origine de l'ensemble politique le plus intégré du monde : l'Union
européenne. Quelques années après les premiers pas de l'Europe, deux hommes, le général de
Gaulle et le chancelier Adenauer, ont la conviction que celle-ci a nécessairement besoin d'un réel
rapprochement franco-allemand pour avancer. C'est ainsi qu'est signé le traité de l'Élysée le 22
janvier 1963, qui doit constituer le socle de la relation bilatérale entre les deux pays et une étape
fondamentale de la réconciliation entre les deux peuples. Dans le domaine de la défense, cette
signature va déboucher sur le développement commun de l'avion de transport militaire C-160
Transall, encore actuellement en service actif mais qui doit être à terme remplacé par les A400M,
nés eux aussi de la collaboration franco-allemande via Airbus. Vingt-cinq ans plus tard, précisément
le 22 janvier 1988, le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité (CFADS) est créé afin de
préparer une collaboration plus étroite en matière militaire. Un nouveau pas décisif dans la
coopération entre les deux pays est ainsi franchi, qui se traduit par la mise en œuvre d’une structure
de travail permanente : le Groupe franco-allemand de coopération militaire (GFACM) dont la
coprésidence est assurée par les Chefs d'État-Major des deux pays.
Peu de temps après, le 12 janvier 1989, la Brigade franco-allemande (BFA) est mise sur
pied. Cette entité binationale unique au monde de part sa conception dispose de sept unités de
manœuvre représentant environ 5.500 soldats et reste le principal pilier de la coopération entre les
armées de terre des deux pays. La Brigade comprend des unités françaises, des unités allemandes et
des unités mixtes. Elle intègre également à sa structure des capacités additionnelles belges,
espagnoles et luxembourgeoises. Les postes de commandement importants sont soumis à rotation
tous les deux ans et confiés alternativement à chacun des deux pays. Jusque ici, la BFA a été
notamment déployée en Afghanistan, au Kosovo et au Mali. En 1992, à la suite du Traité de
Maastricht et de la mise en place d'une Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD)

40
portée par le Président français Mitterrand et le Chancelier allemand Kohl, c'est le corps de réaction
rapide européen (Eurocorps) qui est créé. Six nations européennes forment les nations-cadres de
l'Eurocorps : la France, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, le Luxembourg et depuis cette année la
Pologne. De plus, quatre autres États (Grèce, Turquie, Italie et Roumanie) participent en tant que
pays associés. Dès 1993, il est décidé que la BFA soit subordonnée à l'Eurocorps. Le caractère
multinational de ces unités leur permet d’accroître l'interopérabilité entre les forces armées des États
membres, condition préalable à une coopération efficace dans le cadre du maintien de la paix et de
la gestion des crises. L'Eurocorps dispose d'un statut unique au cœur de l'Europe à Strasbourg, aux
côtés d'autres institutions comme le Parlement européen et le Conseil de l'Europe, ce qui en fait le
seul corps véritablement multinational au service de l'OTAN comme de l'Union européenne. En
effet, bien que n'étant pas une création de l'UE, ni même officiellement rattachée à celle-ci,
l'Eurocorps fait partie des forces qui sont répertoriées dans le catalogue d'Helsinki, et qui sont donc
mobilisables par l'Union si elle le demande. Par conséquent la Brigade franco-allemande et
l'Eurocorps peuvent être amenés à intervenir dans l'ensemble des missions de maintien de la paix et
de la sécurité sous couvert de l'ONU, l'OTAN (Nato Response Force, NRF) ou l'Union européenne
(European Battlegroup, EU BG). L'Eurocorps a ainsi pris part à l'opération EUTM Mali fin 2015 et
sera l'état-major opérationnel d'alerte dans le cadre des groupements tactiques (Battlegroup) au
deuxième semestre 2016. Grâce à l'Eurocorps et à la Brigade franco-allemande, la France et
l'Allemagne ont une nouvelle fois agi comme des précurseur en Europe et dans le monde en matière
de coopération et d'intégration des forces armées. En plus des ces coopérations terrestres, les deux
marines constituent régulièrement une force commune, la Flotte navale franco-allemande (FNFA)
qui s'entraîne souvent de manière coordonnée et qui a pu participer à l'Opération Atalante au large
de la Somalie. Aussi, comme nous le verrons plus en détails dans la deuxième partie de cette
section, la France et l'Allemagne ont également été à l'initiative de coopérations multilatérales ad-
hoc en matière de défense, et qui font office de référence actuellement dans leur domaine. On peut
notamment penser à l'EATC (2010) pour le transport aérien militaire ou à l'OCCAr (1995) qui
s'occupe de la gestion des programmes d'armement en commun.
Néanmoins depuis la fin du fameux couple Jacques Chirac/Gerhard Schröder, symbolisé par
leurs affinités en dehors des simples relations normales entre chefs d'États, il n'a pas existé par la
suite de liens très forts, autre que de façade, entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy puis François
Hollande. Cette absence d'affinité entre les leaders des deux pays, en plus de grandes divergences de
fond sur de nombreux dossiers (intervention en Libye, crise grecque...) a débouché sur une panne
générale du couple franco-allemand, avec clairement une Allemagne seule leader politique en
Europe, du fait de sa position économique dominante. Trois ans après le cinquantième anniversaire

41
du traité de l'Élysée, il est malheureux de constater que la coopération franco-allemande a atteint ses
limites et qu'elle ne débouche plus sur grand chose de concret. D'un point de vue industriel, Berlin a
notamment donné un coup d'arrêt brutal au mariage entre BAE et EADS, qui aurait créé un
véritable super champion de l'aéronautique européen. Malgré des appels récents effectués en
Allemagne par le député du Bundestag Roderich Kiesewetter pour la création d'une armée
européenne77, Berlin semble laisser la France bien seule sur le front diplomatique et militaire en
Europe. De plus, les outils déjà existant comme la BFA semblent montrer leurs limites, comme l'a
déplorée Madame Patricia Adam, Présidente de la commission Défense de l'Assemblée nationale,
lors d'une visite effectuée à l'état-major de cette formation, basée à Müllheim. Selon elle 78 « la BFA
n'est pas utilisée en tant que brigade, […] mais pour le compte de la France ou de l'Allemagne,
jamais ensemble ». Sont en cause un faible niveau d'interopérabilité humaine et technique,
symbolisée par le fait que ce soit l'anglais la langue de travail de la Brigade, mais surtout des règles
juridiques et des doctrines militaires distinctes entre les deux pays. Cet état de fait est désastreux
pour la coopération franco-allemande et symptomatique de ce qu'est concrètement la PSDC en
général. En conséquence, la Cour des comptes française dans un rapport de 201179 a préconisé de
fermer les forces multinationales devant leur manque d'efficacité et leur coût astronomique. Si une
réelle et forte volonté politique ne relance pas la coopération franco-allemande en matière de
défense, les financiers auront un jour ou l'autre raison de ces outils imparfaits, mais tellement
symboliques de l'Europe de la Défense.

3) Les autres coopérations : la France à la recherche de partenaires tout azimut

Le Royaume-Uni et l'Allemagne sont les deux pays avec lesquels la France a mené
une coopération poussée en matière de défense. Néanmoins s'en tenir à ces deux « géants » serait
une erreur stratégique et Paris s'est évertué à trouver de nouveaux partenaires sur le plan européen.
Cette recherche de coopérations connut plus ou moins de succès. À cet égard, la Pologne et l'Italie
sont sans doute les deux partenaires les plus fréquents en dehors des Britanniques et des Allemands.
La Pologne, alliée historique de la France et membre du Triangle de Weimar, est un
partenaire privilégié, même si les relations actuelles entre les deux gouvernements sont exécrables.
En 2006, il a été décidé de créer le groupement tactique Weimar (Weimar Battlegroup), avec la

77 Voir l'article du 3 mai 2016 sur le site de l'Opinion, L'Armée européenne, le retour, disponible ici :
http://www.lopinion.fr/edition/international/armee-europeenne-retour-102131.
78 Propos recueillis dans un article du site Zone militaire daté du 18 juillet 2015 et disponible ici :
http://www.opex360.com/2015/07/18/des-deputes-font-constat-severe-au-sujet-de-la-brigade-franco-allemande/.
79 Cour des Comptes, Rapport public annuel 2011, La participation de la France aux corps militaires européens
permanents, Paris, 17 février 2011.

42
Pologne comme nation cadre, et la France et l'Allemagne en soutien. Opérationnel depuis 2013, ce
groupement n'a néanmoins pas été utilisé lors de la crise au Mali, alors qu'il était en alerte à ce
moment là au niveau européen (voir chapitre 2). Puis le 28 mai 2008, un partenariat stratégique est
signé entre les deux pays. Enfin en 2013, c'est un programme de coopération 80 très détaillé
concernant notamment la sécurité et la défense qui est conclu en grande pompe en présence du
Président de la République. Sur le plan industriel, des rapprochements autour de projets communs
ont lieu avec MBDA, Airbus, Thalès ou encore DCNS et des partenaires polonais. La Pologne à la
suite de ce rapprochement s'est essayée à l'exercice du Livre blanc, dont le premier exemplaire est
sorti en 2013, la même année que le dernier Livre blanc français. Il est d'ailleurs intéressant de noter
que ces deux documents dressent le même constat de la situation internationale 81, même si la
hiérarchisation des menaces et des priorités stratégiques ne sont évidemment pas les mêmes. Les
années qui viennent vont être déterminantes pour la coopération franco-polonaise. En effet, la
Pologne a prévu de remplacer de grandes quantités de matériels 82 qu'elle juge obsolète, et de
nombreuses entreprises françaises sont sur le pont pour obtenir ces contrats, malgré le froid actuel
entre les deux gouvernements. D'une manière plus générale, il va être intéressant de voir si la
Pologne va enfin privilégier ses partenaires européens plutôt que la superpuissance américaine dans
ses achats d'armement. En tant que pays très atlantiste, la Pologne a acheté la plupart de son
matériel aux États-Unis (chasseurs F-16, frégates Oliver Hazard Perry...) depuis la chute du Mur de
Berlin.
Avec l'Italie, les coopérations sont plus anciennes et concernent principalement la marine.
Dernièrement, en juin 2014, un nouvel arrangement de coopération a été signé afin de renforcer le
partenariat entre les deux nations. Deux ans auparavant, c'était la création d'une brigade alpine
commune qui était annoncée. La coopération avec l'Italie se fait surtout dans le cadre de l'OCCAr
avec les frégates multi-missions FREMM ou les missiles ASTER. Cette coopération franco-
italienne en matière d'industrie navale est ancienne puisque les frégates anti-aérienne de classe
Horizon avaient également été développées en commun dans les années 1990. La France a
commandé 8 FREMM, construites par DCNS, et l'Italie 10 grâce à un consortium réunissant les
chantiers de construction Ficantieri et Finmeccanica. Ce programme a réussi à s'exporter puisqu'une
frégate a déjà été livrée à l'Égypte (à la place d'une qui était destinée à la France) et une autre est
prévue pour le Maroc. De plus, l'Italie a une conception de l'Europe de la Défense proche celle de la

80 Partenariat stratégique franco-polonais, programme de coopération : http://www.ambafrance-


pl.org/IMG/pdf/Programme_de_cooperation_fr-pl.pdf.
81 Dossier stratégique de l'IRSEM, La Pologne, un acteur de la défense européenne, 2014.
82 La Pologne prévoit notamment de renouveler sa flotte d'hélicoptères de transport (70 appareils) et d'attaque (32), et
d'acquérir un système de défense aérienne et 3 sous-marins.Airbus Helicopters, DCNS, Thalès et MBDA sont en
compétition pour ces appels d'offre.

43
France. Ainsi, les ministres des affaires étrangères et de la défense italiens ont récemment plaidé 83
pour un « Schengen de la défense » débouchant sur la création d'une force européenne
multinationale, d'abord porté par les États fondateurs de l'Union, puis élargi aux autres États
membres.
La Pologne et l'Italie ne sont que deux exemples des nombreuses coopérations qui existent
entre la France et d'autres États européens. Néanmoins ce sont celles qui à ce jour sont les plus
poussées, en mettant de côté nos partenaires privilégiés que sont le Royaume-Uni et l'Allemagne.
La France se doit de poursuivre ce genre d'accord avec ses voisins afin de construire l'Europe de la
Défense sur les bases de l'interdépendance mutuelle, sans le formalisme imposé par le PSDC.

II) Des coopérations ad-hoc et multilatérales prometteuses

L'Europe de la Défense est un concept fourre-tout qui concerne en réalité tout ce qui touche
au secteur de la défense en Europe. Ainsi des outils comme l'EATC (1) et l'OCCAr (2), ou même
l'entreprise MBDA (3), aussi réussis soient-ils, en font partie même s'ils n'ont pas grand chose à voir
avec la défense de l'Europe ou l'Union européenne.

1) L'EATC, un outil militaire intégré mettant en œuvre le pooling and sharing

La genèse du Commandement européen du transport aérien (EATC, pour European Air


Transport Command) remonte à une initiative franco-allemande de 2001 qui voulait mettre en place
une cellule de coordination aérienne organisant les mouvements militaires des États membres de
l'Union européenne. Plus tard, la France et l'Allemagne décident d'aller plus loin en créant
véritablement l'EATC, opérationnel depuis le 1er septembre 2010 et basé à Eindhoven aux Pays-
Bas. Le Commandement européen du transport aérien a pour but de mettre à la disposition d'un
commandement unique les avions de transport appartenant aux forces aériennes des pays membres.
Concrètement cela permet par exemple d'utiliser un A400M Atlas français pour emporter des
soldats belges ou bien encore de solliciter un Transall C-160 allemand pour transporter du fret
français à destination de l'Opération Serval au Mali, comme cela a été le cas en 2013. Ainsi cette
mise en commun des moyens permet de faire de grandes économies pour les armées qui en sont
membres. Néanmoins, même si l'EATC exerce une autorité sur les avions de transport des pays
membres, ces derniers peuvent, à tout moment, les retirer du dispositif en cas de nécessité. Outre la
France et l'Allemagne, qui ont tout de suite été rejoints par la Belgique et les Pays-Bas, l'EATC
83 Tribune de Paolo Gentiloni, Ministre des Affaires étragères italiennes, et Roberta Pinotti, Ministre de la Défense
italienne, dans Le Monde du 11/08/2016.

44
comprend également le Luxembourg, l'Espagne et l'Italie depuis cette année. Cet outil est considéré
comme étant une réussite européenne majeure84, même si son organisation est purement
multilatérale et ne dépend malheureusement pas de l'Union européenne. Ainsi que l'EATC assure le
transport de 315.000 passagers et de 19.000 tonnes de fret par an, ce qui représente entre 50 et 60
missions par jour85. Désormais, l'EATC regroupe 60% des capacités européennes en matière de
transport aérien étant donné que l'apport italien porte à 220 le nombre d'avions disponibles. Leur
diversité (cela va de l'A400M au Casa C-295 en passant par l'A-310) permet de disposer d'une
certaine flexibilité et d'optimiser les missions, ce qui génère des économies substantielles pour les
États membres. De plus, bien que cette initiative n'ait pas de « chapeau UE », elle s'inscrit
parfaitement dans la politique de pooling and sharing (voir chapitre 2) mise en place par l'Agence
européenne de défense (AED) à l'échelle européenne.
Le « rapport Danjean » du Parlement européen86 souligne que l'EATC est un « exemple
concret de mutualisation et de partage » (pooling and sharing) et qu'il serait souhaitable qu'une
flotte commune d'A400M soit constituée et mise à la disposition de cette structure. Pour le moment,
l'EATC ne peut pas, en tant qu'entité, effectuer des achats communs pour le compte des États
membres. Néanmoins une telle évolution serait un pas de plus vers la mise en commun des
ressources militaires européennes. Le cas du futur programme MRTT (multi-rôle transport tanker)
concernant des ravitailleurs en vol, domaine où les Européens sont dépendants des États-Unis (la
France utilise des Boeing C 135, et d'un point de vue opérationnel, lors de l'opération Harmattan,
75% des ravitaillements avaient été effectués par les États-Unis 87) serait ainsi l'opportunité idéale
d'achat commun en vue d'une utilisation partagée des avions, mis à la disposition de l'EATC.
L'exemple de l'EATC, institutionnalisé dans un cadre purement multilatéral, prouve que
l'Europe de la Défense peut se construire de manière cohérente et efficace lorsque les objectifs sont
atteignables et que les États participant sont volontaires. C'est bien la difficulté qu'éprouve la PSDC
dans le cadre de l'Union, car à part le Danemark qui en est exclu (le pays n'est pas concerné pas le
PESC/PSDC car il a effectué une option de retrait, ou opt-out en anglais), il est bien difficile de
faire avancer les chose à 26 lorsque la majorité des États traînent les pieds. Ainsi, le développement
des structures telles que l'EATC et celles que nous allons voir par la suite semblent le meilleur
moyen de faire avancer la défense en Europe.

84 Voir l'entretien avec Madame Patricia Adam en annexe 1.


85 Article sur le site Zone militaire : http://www.opex360.com/2016/01/15/litalie-officiellement-rejoint-le-
commandement-europeen-du-transport-aerien/.
86 Parlement européen, Commission des affaires étrangères, Rapport sur la mise en œuvre de la PSDC, 2009.
87 Assemblée nationale, Commission des affaires européennes, Rapport d'information sur la relance de l'Europe de la
défense, avril 2013, page 78.

45
2) L'OCCAr, à l'origine des coopérations industrielles réussies en Europe

L'Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement (OCCAr) est elle aussi née
d'une initiative franco-allemande datant de 1995 avec pour objectif de gérer les programmes
d'armement mis en place en commun. Le Royaume Uni et l'Italie adhèrent très rapidement à cette
démarche, et le 12 novembre 1996, l'OCCAr est formellement créée. Elle sera dotée de la
personnalité juridique deux ans plus tard. Cette organisation purement intergouvernementale
compte aujourd'hui 6 pays membres (la Belgique et l'Espagne l'ont rejointe en 2003 et 2005), et de
nombreux autres pays (12 pays au total, comprenant par exemple la Turquie, la Suède ou la
Pologne) participent à des programmes de l'OCCAr de manière plus ponctuelle. Au total 9
programmes d'armement comprenant par exemple le programme franco-hispano-allemand
d'hélicoptère de combat Tigre, le programme d'avion de transport A400M ou encore le programme
franco-italien de frégates multi-missions FREMM sont actuellement gérés par l'OCCAr, ce qui
représente un montant cumulé d'environ 40 milliards d'euros pour l'année 2014. L'organisation est
dirigée par un conseil de surveillance (Board of Supervisors) composé des ministres de la défense
des États membres ou de leurs représentants. Il se réunit deux fois par an et s'appuie sur les avis de
comités spécialisés. L'OCCAr emploie environ 235 personnes sur ses sites de Bonn (siège et site
des programmes Tigre, Boxer, Cobra, MMF, Essor, Musis), de Paris (programmes FREMM, FSAF,
MMCM), de Toulouse (programme A400M), de Rome (antenne FREMM, programmes LSS, PPA)
et les antennes de Séville et la Spezia (sites de production respectifs de l'A400M et des FREMM
italiennes). L'OCCAr se doit d'être une plus-value palliant les insuffisances des coopérations
traditionnelles d'État à État. Sur ce point, c'est une réussite : cette structure est de plus en plus
respectée en raison de son expérience dans la gestion de projets lourds et très difficiles comme celui
de l'A400M Atlas (7 pays européens partenaires donc possiblement 7 versions différentes de
l'appareil) qui malgré quelques soucis techniques, va permettre à l'Europe de se doter d'un avion de
transport purement européen.
Plusieurs nouveaux programmes sont en cours d'intégration à l'OCCAr (avions multirôles de
ravitaillement MRTT et de transport MMF, programme MMCM de déminage maritime...) mais
aucun n'a l'envergure du programme A400M. Il faut donc s'appuyer encore plus sur l'OCCAr à
l'avenir, voire la fusionner avec l'AED afin d'y voir plus clair au niveau européen dans les
programmes de défense, comme le suggéraient les parlementaires français en 2013. En effet depuis
juillet 2012, l'OCCAr et l'Agence européenne de défense (AED) ont formalisé leur collaboration
afin de répartir les tâches entre les deux institutions. Ainsi, l'AED agit en amont : elle a pour rôle de
voir quels sont les besoins au niveau européen, et de faire converger les demandes. L'OCCAr

46
s'occupe ensuite de mettre en œuvre les besoins et de lancer concrètement les coopérations. Cette
division des tâches semble inutile et rend le processus de mise en œuvre peu clair pour les États
désireux de se lancer dans une coopération. De plus, une fusion permettrait d'harmoniser au niveau
européen les demandes d'équipement en armement, ce qui se fait encore trop peu (sur les 50
milliards d'euros d'investissements annuels des pays européens en matière d'armement, seuls 20%
de la somme concernaient en 2013 des programmes réalisés en coopération 88), afin de faire des
économies d'échelle et de renforcer l'industrie de défense en Europe.

3) MBDA, un leader mondial de défense grâce au regroupement d'entreprises européennes

Lorsque l'on pense à la coopération industrielle au niveau européen, Airbus Group (ex
EADS) est sans aucun doute la première entreprise que l'on cite. Mais bien qu'elle ait des activités
dans le domaine de la défense, grâce à sa branche Airbus Defence and Space à qui ont doit
notamment l'A400M, la société qui incarne incontestablement le plus ce que pourrait être l'Europe
de la défense dans l'industrie de l'armement est plutôt le constructeur de missiles MBDA. Société
parfaitement intégrée, codétenue par le franco-hispano-allemand Airbus (à hauteur de 37,5%), le
britannique BAE Systems (37,5%) et l'italien Finmeccanica (25%), et dont le siège social se trouve
en France au Plessis-Robinson, sa création date de 2001 à la suite du regroupement des activités de
missiles des grands acteurs européens (Alenia Marconi Systems, Matra Bae Dynamics, EADS
Aerospatiale Missile) dont l'objectif était de créer un « Airbus des missiles ». Il faut dire qu'il y a
encore 20 ans, l'Europe comptait six fabricants nationaux, tous concurrents, capables de concevoir
et de produire des missiles et donc incapable de rivaliser avec les géants américains tels que
Raytheon et Lockheed-Martin.
Ainsi MBDA a pu mettre en commun les compétences des Européens afin de créer un géant
de l'armement, géant qui utilise les savoir-faire et les moyens de production de chacun de ses
membres plutôt de les concentrer ou de les diluer. Son PDG, le français Antoine Bouvier affirme
clairement que « pour MBDA, l'objectif d'une spécialisation de chaque pays est absolument
fondamental. Nous devons organiser la dépendance mutuelle »89. La raison est simple : aucun pays
européen ne peut plus maintenir sur le long terme l'effort nécessaire pour financer et développer les
nouvelles technologies de missiles afin de disposer d'une gamme complète de produits. L'idée est
donc de se partager les compétences pour éviter la coûteuse duplication des bureaux d'études et des
88 Assemblée nationale, Commission des affaires européennes, Rapport d'information sur la relance de l'Europe de la
défense, avril 2013, page 77.
89 Article sur l'Opinion du 23 mars 2015, visible à cette adresse : http://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/mbda-
entreprise-pionniere-l-europe-defense-22548.

47
chaînes industrielles. Agissant comme un groupe intégré, MBDA a abandonné l'organisation par
pays, par conséquent les différents patrons des activités en charge des programmes ou des forces
commerciales ont autorité sur l'ensemble des pays de la zone de présence de l'entreprise. MBDA
Missile Systems de son nom complet pèse aujourd'hui près de 3 milliards d'euros de chiffre
d'affaires et compte environ 10.000 salariés répartis entre la France (4.300 emplois), l'Allemagne,
l'Italie, le Royaume-Uni et les États-Unis90.
Cette division du travail entre les branches du groupe (et donc les pays) se traduit de
manière très concrète dans les nombreux programmes d'armement effectués par la société, au profit
notamment des États européens. Par exemple, à la suite des Accords de Lancaster House, MBDA va
s'appuyer sur 12 centres de compétences répartis entre la France et le Royaume-Uni. Désormais,
l'une des pièces importantes du futur missile antichar français MMP, les « actionneurs de
gouvernes », seront uniquement produits par MBDA en Angleterre, à Lostock. Dans le même
temps, le banc d'essai des missiles britanniques air-sol Brimstone sera made in France, effectué dans
l'usine MBDA de Bourges. Ainsi, la France développe les compétences en matière de bancs de test
et de systèmes embarqués, alors que le Royaume-Uni celles en matière de transmissions de données
et d'actionneurs des gouvernes des missiles. Avec cette nouvelle spécialisation industrielle et la mise
en place d'une filière missile optimisée, les deux pays visent jusqu'à 30% d'économies sur les
livraisons des futurs équipements. Le programme METEOR quant à lui associe 6 États (France,
Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Italie et Suède) et a pour but de les équiper de missiles air-air
longue portée. La coopération entre ces pays permettra d'adapter ces missiles à la fois aux Rafale
français, mais aussi aux Eurofighter britanniques, allemands et italiens et aux Gripen suédois. La
maîtrise d'œuvre industrielle du programme est donc assurée par MBDA-UK pour le Royaume-Uni
et les industriels partenaires que sont MBDA-F (France), MBDA-It (Italie), Saab (Suède) et Inmize
(Espagne). Le rapport d'information de l'Assemblée nationale sur la relance de l'Europe de la
défense91 a notamment traité le cas de MBDA en soulignant son importance pour l'Europe de la
Défense et les industries de l'armement européennes grâce à l'exemple polonais. En effet Varsovie
souhaite se doter d'un système de défense anti-missile, et MBDA est en course comme ses
concurrents américains. En revanche MBDA, « à la différence des États-Unis, propose un transfert
de technologie préservant les emplois polonais [vu que la] coopération MBDA/BUMAR permettrait
de créer environ 5.000 emplois en Pologne, alors que la solution américaine lui en ferait perdre
environ un millier… ». Cela correspond à la politique de MBDA de spécialisation et de
mutualisation qui rend tous les partenaires dépendant les uns des autres et préserve leurs industries,

90 Site internet de MBDA : http://www.mbda-systems.com/about-us/.


91 Assemblée nationale, Commission des affaires européennes, Rapport d'information sur la relance de l'Europe de la
défense, avril 2013.

48
c'est-à-dire leur BITDE92, alors que les États-Unis proposent seulement un produit fini et non un
partenariat. Pour les députés français, soutenir l'offre de MBDA face aux Américains permettrait
ainsi de lutter contre le risque de « désertification technologique » en Europe et en France. C'est
ainsi que se construit une Europe de la Défense dans le domaine industriel, en rendant les pays
européens dépendant les uns des autres sans pour autant leur supprimer leurs compétences et leurs
outils industriels, et par conséquent leurs emplois et leur souveraineté.
L'exemple de MBDA, devenu un champion mondial dans son domaine, à la fois présent sur
le marché européen et à l'exportation, doit inspirer de nouveaux rapprochements entre les sociétés
de défense européennes, comme c'est le cas avec la fusion de Nexter (char français Leclerc) et de
NMW (char allemand Leopard) qui annonce la production future d'un char lourd européen en
commun.

Dans cette dernière section, nous avons constaté que la France menait de nombreuses
coopérations en matière de défense, soit dans un cadre bilatéral (avec pour principaux partenaires le
Royaume-Uni et l'Allemagne), soit dans un cadre multilatéral à travers des coopérations ad-hoc sur
certains sujets comme le transport aérien militaire avec l'EATC.
Ainsi dans ce premier chapitre, nous avons démontré que la France avait un rôle central dans
ce qu'on appelle l'Europe de la Défense. En effet, la plupart des coopérations d'importance se font
grâce au soutien français, et sur le terrain en opération, la France occupe également la place de
leader européen.
Cependant, ce rôle moteur au niveau du continent européen ne se traduit pas forcément sur
la bonne santé de la Politique de Sécurité et de Défense Commune de l'Union européenne, puisque
celle-ci semble complètement à l'arrêt, comme nous allons le constater dans le chapitre suivant.

92 Base Industrielle et Technologique de la DéfensE.

49
Chapitre 2 : La PSDC, une politique européenne coincée au
milieu du guet

S'intéresser à une défense européenne suppose un examen de la Politique de Sécurité et de


Défense Commune, traduction au sein de l'Union européenne de l'idée d'Europe de la Défense.
Cette PSDC dispose d'un statut très particulier, qualifié de sui generis (section 1) eu égard aux
autres politiques menées par l'Union, elle est également dotée d'institutions qui lui sont propres.
Cette politique n'en demeure pas moins manifestement bloquée (section 2), car il est très difficile
d'avancer unanimement à 27 (bientôt 26) sur des sujets aussi délicats. La plupart des outils mis en
place pour la PSDC sont peu ou mal utilisés. Aussi, des solutions pour sortir la PSDC de l'impasse
doivent être envisagées (section 3).

Section 1 : Une politique commune sui generis

Un constat s'impose : la PSDC est une politique sans équivalent au sein de l'Union. Dotée
d'organes ambitieux de nature à mettre en œuvre cette politique, toutefois, cette consécration
juridique est confondue par la pratique (I) malgré l'affirmation d'une doctrine d'emploi fondée sur
des grands principes et entérinée par les États (II).

I) Des organes ambitieux sur le papier mais en retrait dans la pratique

Le Traité de Lisbonne a doté l'Union européenne de nouveaux moyens pour assurer sa


politique étrangère. Bien que la Défense soit un domaine traditionnellement réservé aux États-
nations (1), l'UE dispose de compétences dans ce domaine avec la Politique de Sécurité et de
Défense Commune, qui fonctionne sur une méthode intergouvernementale. Néanmoins, des organes
purement européens ont été mis en place par Lisbonne. Ainsi, le Haut Représentant de l'Union pour
les affaires étrangères et la politique de sécurité devient de plus en plus important sur la scène
internationale, au point de presque devenir un visage reconnu de la politique étrangère de l'UE (2).
Enfin, le Haut Représentant est aidé dans sa mission par le Service Européen de l'Action Extérieure,
véritable service diplomatique européen (3).

50
1) La Défense, domaine traditionnellement réservé aux États-nations

Adam Smith écrivait dès 1776 dans La Richesse des Nations que « le premier des devoirs du
souverain, celui de protéger la société contre la violence et l'invasion d'autres sociétés
indépendantes, ne peut se remplir qu'à l'aide d'une force militaire »93. En 1919, Max Weber
définissait l'État comme étant « une communauté humaine qui revendique le monopole de l'usage
légitime de la force physique sur un territoire donné »94. Par conséquent, la défense de son territoire
est la mission première d'un État, et seul celui-ci peut déterminer par qui et dans quelles conditions
la force peut être utilisée : il dispose du monopole de la violence physique légitime. Ainsi, la
Défense touche à de la souveraineté même d'un État, c'est-à-dire son droit exclusif d'exercer son
autorité politique (législative, judiciaire et exécutive) sur une zone géographique définie par des
frontières et où se trouve son peuple. En France, on dit que le ministère de la Défense est un
ministère régalien (comme ceux des Affaires étrangères ou de la Justice), ce qui signifie qu'il
correspond au cœur de la compétence d'un État. Aussi l'aborder dans les relations internationales
revêt un enjeu considérable.
Selon l'école de pensée néoréaliste95, le système international est anarchique car les États-
nations sont les seuls acteurs internationaux réellement pertinents puisqu'ils sont les seuls à disposer
pleinement de leur souveraineté. En d'autres mots, les organisations supranationales, comme l'ONU
ou l'UE, n'ont qu'un rôle bien subsidiaire vu qu'elles n'exercent aucune souveraineté complète sur
les territoires des États membres qui les composent. De plus, les États étant égaux en droit, ils sont
naturellement en compétition les uns contre les autres, que ce soit dans les domaines économiques,
scientifiques, culturels, mais surtout sur le plan militaire. Ainsi pour les néoréalistes, « la sécurité
est la préoccupation principale des États »96 car leur survie et leur existence en dépend. Par
conséquent les États tentent d'accroître leurs capacités militaires afin de gagner en puissance. Ce
faisant, il est impossible pour eux de construire des politiques communes dans un cadre vraiment
supranational sur ces questions, en dehors des rares cas où les intérêts de tous les États membres de
cette organisation se rejoindraient. C'est pourquoi l'intergourvernementalisme est la seule méthode
de prise de décision politique acceptable pour les États-nations lorsqu'ils décident de coopérer sur
les questions de défense et de sécurité.
La méthode de prise de décision intergouvernementale, ou intergouvernementalisme (terme
inventé dans les années 60 par un universitaire américain, Stanley Hoffman, qui étudiait la

93 Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la Richesse des Nations, livre 5, chapitre 1, partie 1, 1776.
94 Max Weber, Le Savant et le Politique, 1919.
95 Adrian Hyde-Price, Normative power in Europe : a realist critique, in Journal of European Public Policy, 2006.
96 Ibid, en anglais : « securities in the primary concern of the states ».

51
construction européenne), peut être définie comme étant « les dispositions prévoyant que les États-
nations, dans des situations et des conditions qu'ils peuvent contrôler, coopèrent entre eux sur des
questions d'intérêt commun » 97. Le mot d'importance est « contrôle », c'est-à-dire que rien ne peut
être décidé sans la volonté de tous les États membres de la coopération : aucun ne peut imposer sa
volonté aux autres. En pratique, cette méthode requière donc l'unanimité des États membres.
Appliqué dans le cadre de l'Union, l'intergourvernementalisme représente un moyen de limiter les
pouvoirs de la Commission européenne ou du Parlement, qui sont des institutions supranationales.
Il est donc normal que le couple PESC/PSDC bénéficie d'une place très particulière dans
l'architecture institutionnelle européenne, considérée comme sui generis car soumis à « des règles
et procédures spécifiques »98. En termes légaux, sui generis signifie unique, avec aucun autre
exemple de cette nature. D'un point de vue purement juridique, la politique étrangère de l'UE ne fait
pas partie du droit européen commun malgré l'abandon du système en piliers avec l'adoption du
Traité de Lisbonne. De plus, la Court de Justice de l'Union Européenne (CJUE) « n'est pas
compétente en ce qui concerne ces dispositions »99 et l'adoption d'actes législatifs sur ces questions
est également exclu (article 31 du TUE), ce qui confirme le caractère intergouvernemental de cette
politique. Par conséquent, les institutions européennes compétentes pour la PESC/PSDC sont celles
purement intergouvernementales : le Conseil européen (qui regroupe les chefs d'États et de
gouvernements des États membres) et le Conseil de l'Union européenne, aussi appelé Conseil (qui
représente les représentants des États membres sur des questions particulières : par exemple les
ministres de l'agriculture quand la formation « agriculture et pêche » se réunit). Bien que prévue par
les traités, la répartition du leadership entre le Conseil européen et le Conseil sur les sujets de la
PESC/PSDC est plus que floue. En effet, l'article 26 du TUE dispose que « le Conseil européen
identifie les intérêts stratégiques de l'Union, fixe les objectifs et définit les orientations générales de
la politique étrangère et de sécurité commune, y compris pour les questions ayant des implications
en matière de défense » et « qu'il adopte les décisions nécessaires ». Peu après il est spécifié que
« le Conseil élabore la politique étrangère et de sécurité commune et prend les décisions
nécessaires à la définition et à la mise en œuvre de cette politique, sur la base des orientations
générales et des lignes stratégiques définies par le Conseil européen ». Pour résumer, les chefs
d'États et de gouvernements définissent l'ensemble de la stratégie, alors que les ministres doivent la
mettre en œuvre.

97 Neil Nugent, Government and Politics of European Union, 2006. Citation originale : « Intergovernmentalism can
be defined as the arrangements whereby nation states, in situations and conditions they can control, cooperate with
one another on matters of common interest. The existence of control, which allows all participating states to decide
the extent and nature of this cooperation means that national sovereignty is not directly undermined ».
98 Traité sur l'Union Européenne (TUE), article 24 -1 §2.
99 Ibid.

52
Ainsi, les États membres gardent toute leur souveraineté sur les questions de la sécurité et de
la défense commune. Néanmoins, ce système n'est pas un intergouvernementalisme « classique », il
est appelé par Daniel Thym « intergouvernementalisme légal »100, c'est-à-dire que cette coopération
intergouvernementale se fait dans le cadre des nombreux comités et organes dépendants du Conseil
de l'Union européenne, et que ceux-ci ont un rôle crucial dans la mise en œuvre du couple
PESC/PSDC. Ainsi l'analyse néoréaliste considérée plus tôt est atténuée puisqu'au sein de l'UE, une
réelle relation se noue entre l'entité supranationale et les États qui la composent. Cette situation se
traduit dans les faits avec la double casquette qu'occupe le Haut Représentant, et la place des
organes traitant de la PESC/PSDC : à cheval entre le Conseil et le Service Européen de l'Action
Extérieure.

2) Le Haut Représentant, le visage de la politique étrangère et de sécurité de l'UE

Le Traité établissant une Constitution pour l'Europe, rejeté à la suite des référendums
négatifs en France et aux Pays-Bas, prévoyait la création d'un Ministre des Affaires étrangères de
l'Union, en fusionnant les postes de Haut Représentant à la Politique étrangère et à la Sécurité
commune et de Commissaire européen aux Relations extérieures, qui serait également devenu Vice-
Président de la Commission. Finalement, le Traité de Lisbonne a gardé la majeure partie des
innovations concernant la PESC/PSDC du projet de Constitution, sauf le titre de Ministre, qui avait
provoqué une levée de bouclier de nombreux pays, le Royaume-Uni en tête. Malgré cette
déconvenue terminologique, le Haute Représentant de l'Union pour les Affaires étrangères et la
politique de Sécurité (HR) bénéficie de nombreuses prérogatives et d'une administration propre lui
permettant d'exercer un vrai pouvoir politique. Il incarne, tant bien que mal, le visage de la politique
étrangère de l'Union européenne.
En vertu de l'article 18 du Traité sur l'Union européenne (TUE), il est écrit que le HR
« conduit la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union. Il contribue par ses
propositions à l'élaboration de cette politique et l'exécute en tant que mandataire du Conseil. Il agit
de même pour la politique de sécurité et de défense commune ». Il dispose également d'un droit
d'initiative sur les questions touchant la PESC, et peut ainsi saisir le Conseil, qui est le décisionnaire
final. Son rôle est aussi de tenir régulièrement informé le Parlement européen et de le consulter afin
que ses « vues [...] soient dûment prises en considération » (TUE article 36). De plus, le HR préside
le Conseil des Affaires étrangères d'où « il contribue par ses propositions à l'élaboration de la
politique étrangère et de sécurité commune et assure la mise en oeuvre des décisions adoptées par

100Daniel Thym, The Intergovernmental Constitution of the EU's Foreign, Security and Defence Executive, 2011.

53
le Conseil européen et le Conseil » (TUE article 27-1). Le HR représente l'Union sur les matières de
la PESC et « il conduit au nom de l'Union le dialogue politique avec les tiers et exprime la position
de l'Union dans les organisations internationales et au sein des conférences internationales » (TUE
article 27-2). Cependant, il n'est pas si simple de dire que le HR est à lui seul le visage de l'Europe
pour les relations extérieures. En effet, le Traité de Lisbonne prévoit également que le Président du
Conseil européen (poste créé par le traité) et le Président de la Commission disposent de ce pouvoir.
Ainsi l'article 17 du TUE prévoit qu'à « l'exception de la politique étrangère et de sécurité
commune et des autres cas prévus par les traités, [la Commission] assure la représentation
extérieure de l'Union » alors que l'article 15 précise que « le président du Conseil européen assure,
à son niveau et en sa qualité, la représentation extérieure de l'Union pour les matières relevant de
la politique étrangère et de sécurité commune, sans préjudice des attributions du haut représentant
de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ». Finalement, un principe au
départ simple (le HR réprésente l'Europe sur la scène internationale) devient en pratique compliqué
à mettre en oeuvre.
Le Haut Représentant a en réalité un statut hybride, « situé à l'équidistance de la
Commission et du Conseil »101, bien visible du fait de sa « double casquette » : en tant que Vice-
Président de la Commission, il devrait être la personnification de cette autorité supranationale sur
les questions de politique étrangère et de sécurité, mais en tant que président du Conseil des
Affaires étrangères, il se doit de travailler avec une méthode intergouvernementale tout en recevant
ses instructions de la part du Conseil européen. Concrètement, si un État membre s'oppose à une
position commune des 27, le HR ne peut pas réellement parler au nom de l'Union dans son
ensemble. Son poids politique est ainsi limité, car les consensus se font plutôt rare en la matière.
L'objectif des changements apportés par le Traité de Lisbonne est triple : il s'agit d'abord d'apporter
de la continuité à la représentation de l'Union européenne sur la scène internationale (avant celle-ci
était assumée par la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne, qui changeait tous les
six mois, mais aussi par le HR et par un commissaire européen chargé des relations extérieures),
puis de rendre cette action plus cohérente et enfin plus complémentaire avec celle des États
membres.
La nomination de la jeune Italienne (43 ans) Federica Mogherini, au poste de HR a été une
surprise. Il faut dire que sa carrière politique internationale se limitait à un poste de Ministre des
Affaires étrangères de l'Italie qu'elle a occupé pendant seulement huit mois. Ce choix s'explique par
la difficulté de remplir les critères adéquats pour le poste. En effet, afin de tendre à l'égalité homme-
femme aux postes de pouvoir au sein de l'Union européenne, le HR se devait d'être une femme. De

101 Daniel Thym, The Intergovernmental Constitution of the EU's Foreign, Security and Defence Executive, 2011.

54
plus, il devait représenter la gauche européenne (au contraire de Juncker et Tusk), dans la tradition
du partage du pouvoir entre les plus gros groupes politiques du Parlement. Finalement, malgré son
apparente inexpérience, le choix de l'Italienne s'est plutôt avéré être une vraie bonne pioche. En
effet, Madame Mogherini arrive à exister sur la scène continentale et internationale, prenant part
aux sommets du G7 ou aux négociations sur le nucléaire iranien par exemple, alors que sa
prédécesseure, la Britannique Catherine Ashton, était totalement inconnue du grand public. À la
décharge de cette dernière, en tant que première titulaire du poste, son rôle s'est avant tout cantonné
à bâtir les nouvelles institutions de la PESC (et surtout le Service Européen de l'Action Extérieure),
même si son statut de Britannique et de technocrate prévoyait dès le départ son influence politique
minime. Ainsi, malgré un certain manque de clarté dans ses attributions, le flou autour de la triple
représentation de l'Union sur la scène internationale (avec les présidents du Conseil européen et de
la Commission) et les défauts inhérents à une politique commune décidée à l'unanimité, reproche
souvent fait à l'Union européenne, la personnification de la politique étrangère et de sécurité de
l'Union est un remarquable pas en avant pour la construction européenne et pour la promotion d'une
PESC/PSDC forte et indépendante.
Pour résumer, le HR est le visage, supranational dans le principe, de la politique étrangère et
de sécurité de l'Union, même s'il doit suivre les directives du Conseil européen sur les questions les
plus sensibles. Dans l'idéal, il doit devenir la seule voix et le seul interlocuteur de l'Europe sur ces
questions. Selon l'ancien Président français Valéry Giscard d'Estaing102, qui a présidé la Convention
sur le Futur de l'Europe, chargée d'élaborer le projet de Constitution européenne, les nouvelles
attributions du HR auraient dû lui permettre « de répondre aux fameux coups de téléphone d'Henry
Kissinger : ‘I want to speak to Europe’' ».

3) Le Service Européen de l'Action Extérieure, véritable ministère européen de la défense et des


affaires étrangères

L'autre grande innovation du Traité de Lisbonne est la création du Service Européen de


l'Action Extérieure (SEAE), appelé à devenir un véritable ministère des affaires étrangères de
l'Union européenne au service du Haut Représentant, même s'il n'a pas vocation à se substituer aux
chancelleries nationales. Le SEAE travaille de manière autonome même s'il reste en lien étroit avec
le Secrétariat général du Conseil et la Commission européenne. Il s'organise en plusieurs
départements, chacun couvrant une zone géographique (Asie, Moyen-Orient...) ou un sujet
spécifique, comme les affaires juridiques ou la sécurité. Il est composé d'experts, fonctionnaires
européens ou détachés des États membres (environ un tiers du total du personnel), et est sous
102 Blog de Valéry Giscard d'Estaing.

55
l'autorité directe du HR, afin de l'aider dans ses prérogatives sur la PESC/PSDC 103. Par conséquent,
le SEAE dispose également de plusieurs organes uniquement consacrés à la politique de sécurité et
de défense : c'est en réalité une sorte de super ministère européen traitant tout le spectre des
missions de la PESC, et donc de la PSDC. On peut citer l'État-major de l'Union européenne, qui
constitue la seule structure militaire permanente intégrée de l'UE, la capacité civile de planification
et de conduite (Civilian Planning and Conduct Capability - CPCC), chargée de la conduite des
opérations civiles, ou encore la direction de la planification et de la gestion des crises (Crisis
Management and Planning Directorate – CMPD), en charge de la planification au niveau politique
et stratégique des opérations civiles et militaires de la PSDC.
Pour accomplir toutes ses missions, le SEAE dispose d'un budget de 600 millions d'euros
(en 2015) et d'un personnel propre (4.189 agents en 2015 104), réparti entre le siège à Bruxelles
(1.928 personnes) et les 139 délégations de l'Union européenne à travers le monde et dans les
organisations internationales (2.261 agents). L'UE bénéficie par exemple d'un statut d'observateur
au sein de l'Organisation des Nations Unies, où elle essaye notamment de coordonner les positions
diplomatiques de tous les pays de l'Union. C'est déjà le cas à l'Organisation Mondiale du Commerce
(OMC), où l'UE, qui dispose de la compétence douanière et commerciale, y représente tous ses
États membres. Dans d'autres conférences ou sommets internationaux, la diplomatie européenne
réussit à construire une position commune. Cela a été le cas lors de la COP21, puisque tous les
membres de l'UE se sont fixés les mêmes objectifs environnementaux, qui font partie des plus
ambitieux au monde. La réussite de cette conférence, cruciale pour l'avenir de la planète, tient en
partie à ce leadership du Vieux Continent, capable de montrer la voie à suivre aux autres pays. Ainsi
l'UE dispose d'un vrai réseau de représentations à travers le monde, travaillant en partenariat avec
les ambassades et consulats des États membres de l'UE, et s'occupant de tous les aspects de l'action
extérieure de l'Union : elles participent à la diplomatie, rédigent des rapports politiques ou se
substituent même aux ambassades nationales sur les domaines de compétences qui lui sont réservés.
C'est une avancée majeure pour la diplomatie européenne, car auparavant ces délégations existaient
mais il s'agissait de délégations de la Commission, qui n'agissaient donc que dans les limites des
compétences de cette dernière, soit essentiellement dans les secteurs du commerce et de l'aide à la
coopération. Enfin, il faut savoir que chaque citoyen européen peut bénéficier de la protection
consulaire d'un autre État membre de l'Union aux mêmes conditions que les ressortissants de cet
État (TFUE articles 20 et 23), si son État d'origine n'est pas représenté dans le pays tiers dans lequel
il se trouve. Cette protection comprend par exemple l'aide au rapatriement ou l'assistance en cas

103 TUE, article 27-3.


104 EEAS human ressources report 2015.

56
d'accident ou d'arrestation.
Le SEAE, malgré son statut de service diplomatique européen, n'est en réalité pas le seul à
définir les politiques menées dans le cadre de la PESC/PSDC. Il faut dire que la diplomatie
européenne doit travailler avec beaucoup plus de partenaires qu'un simple ministère des Affaires
étrangères au niveau national. Des organes intergouvernementaux dépendant du Conseil ont aussi
un rôle prépondérant, limitant l'influence réelle du SEAE, sans parler des directions spécialisées
(comme celle de la coopération internationale et du développement ou celle de la protection civile
et de l'aide humanitaire) de la Commission européenne, qu'il faut convaincre pour bénéficier de
leurs financements et de leurs moyens d'action. De plus, outre les traditionnels partenaires de la
communauté internationale, le SEAE doit se coordonner avec les 28 États membres qui sont très
sourcilleux de leurs intérêts nationaux, ce qui rend difficile tout consensus. Aussi, cette obligation
de coopérer tout azimut a conduit à l'élaboration d'une ébauche de doctrine en matière de relations
extérieures susceptibles de faire consensus entre les États membres.

II) Une ébauche de doctrine stratégique européenne permettant le consensus

À cause des nombreuses différences historiques, géographiques ou politiques entre les États
membres, il est très difficile de définir une politique étrangère commune (1), chacun n'ayant ni les
mêmes intérêts, ni les mêmes manières de réagir aux crises. Malgré ces difficultés, une stratégie
européenne de sécurité a émergé en 2003. On constate que l'utilisation de la force armée n'est en
réalité qu'une petite partie des moyens que la PESC peut déployer pour agir des les relations
internationales (2), l'Union européenne étant plutôt reconnue pour son soft power, ce qui ne
l'empêche pas de s'être fixée des priorités stratégiques basées sur le multilatéralisme et l'approche
globale, tout en accordant une attention prioritaire à son voisinage immédiat (3).

1) La difficile définition d'une politique étrangère commune

Définir la politique étrangère et de sécurité de l'Union européenne n'est pas une mince
affaire. Outre le fait que ces champs de compétences, ainsi que celui de la défense, soient du ressort
premier des États membres, et non de l'Union européenne, il est encore plus ambitieux d'essayer de
les coordonner à un niveau supranational. Il est effectivement ardu de concilier les intérêts français,
allemands, croates, estoniens ou grecs en matière de politique étrangère, car les 28 États membres
de l'Union européenne n'ont ni la même situation géographique (certains pays sont enclavés,
d'autres forment les frontières extérieures de l'UE...), ni la même histoire (anciens empires

57
coloniaux, anciennes républiques socialistes...) ni les mêmes aspirations (la France se veut
puissance mondiale, en capacité d'agir partout et sur tous les sujets, ce qui n'est pas le cas de Malte
et ses 430.000 habitants). Ces différences entraînent une grande hétérogénéité des sensibilités
nationales à l'égard des politiques de défense, et de nombreuses manières de concevoir les relations
internationales. S'il l'on veut schématiser les positions de chacun concernant l'utilisation de la force
armée par exemple, on pourrait dire que « les Européens du Nord ont une approche moins portée
sur l'emploi des forces militaires dans leur sécurité; ils sont attachés à l'avènement d'une
gouvernance mondiale qui préserve leur liberté d'action sans les rendre dépendants de puissances
voisines. Ils s'investissent dans les opérations de stabilisation de l'ONU et recherchent le soutien
américain pour les situations qui les dépassent. Les Allemands restent traumatisés par la Seconde
Guerre mondiale et sont très réticents à l'égard de tous les engagements armés en particulier à
risques. Les pays du Sud sont polarisés sur les problèmes de la Méditerranée (pays riverains,
migrations illégales, trafics mafieux) et ceux de l'Est ne regardent que la Russie. Seuls les Français
et les Britanniques ont gardé une ambition mondiale en politique étrangère et d'emploi de la force
armée incluant une acceptation du risque dans les opérations extérieures »105.
Malgré cette difficulté initiale, Javier Solana, second HR de l'histoire européenne, lança en
décembre 2003 la Stratégie européenne de sécurité, baptisée « Une Europe sûre dans un monde
meilleur ». Ce document d'une dizaine de pages n'avait pas vocation à donner des impératifs voire
des lignes rouges à ne pas dépasser pour la PESC, mais plutôt à dresser un ensemble, minimal, de
valeurs et de priorités communes à défendre. Il faut dire que le contexte de l'époque était déjà peu
propice au consensus puisque la publication de cette stratégie européenne commune tomba en
pleine division des Européens sur une éventuelle guerre en Irak (finalement lancée en mars 2003
par les États-Unis), scindés entre une « vieille Europe » (France, Allemagne, Belgique,
Luxembourg), critiquant l'interventionnisme américain, et une « nouvelle Europe » (celle des
élargissements à l'Est), se rangeant derrière Washington pour contenter leur nouveau protecteur au
sein de l'OTAN. Cette première tentative a été suivie en 2008 d'une mise à jour, sous la forme d'un
rapport106, ainsi que de diverses stratégies sur des sujets plus précis (stratégie européenne de sécurité
intérieure en 2010, stratégie européenne de sécurité maritime en 2014...) jusqu'à juin 2016, date à
laquelle la nouvelle stratégie européenne de sécurité a enfin été dévoilée par Federica Mogherini,
après des années de tergiversations.
Les résultats concrets de ces stratégies européennes de sécurité sont difficiles à évaluer, car

105 Fondation Robert Schuman, Question d'Europe n°360, Pour un Livre blanc européen sur la sécurité et la défense,
juin 2015.
106 Rapport sur la mise en œuvre de la stratégie européenne de sécurité, Assurer la sécurité dans un monde en
mutation, S407/08, Bruxelles, 2008, page 9.

58
les Européens ont passé les quinze dernières années à se diviser sur des questions de politique
étrangère (guerre en Irak, intervention en Libye, crise ukrainienne, politique d'accueil des réfugiés,
position face à la Russie...), montrant ainsi le peu d'effet d'une stratégie « commune ». Pourtant, il
serait réducteur de penser que ce type de document ne sert à rien. Oui, ses effets ne se ressentent pas
dans les relations internationales ; mais est-ce le rôle d'une stratégie commune de faire parler tous
les États membres d'une seule voix sur tous les sujets ? Clairement non. Il faut plutôt envisager ces
documents comme la liste des valeurs communes à défendre, des menaces qui guettent l'ensemble
du continent, et sur quelles bases les réponses communes peuvent s'articuler. C'est la politique des
petits pas : partons d'abord du plus grand dénominateur commun, et essayons avec le temps d'être
plus ambitieux.

2) La PSDC, bras armé du soft power européen

La Politique de Sécurité et de Défense Commune n'est qu'une petite composante de la


Politique Étrangère et de Sécurité Commune, dont le domaine d'action est beaucoup plus large. En
effet, l'utilisation de la force armée est loin d'être le moyen de pression le plus efficace et le plus
utilisé de l'Union européenne sur la scène internationale. Bien que de nombreux objectifs de la
PESC aient une vocation humanitaire ou la simple défense des valeurs européennes 107, cela ne veut
pas dire que l'Union ne peut agir de manière proactive pour promouvoir ses idéaux à travers le
globe. Ainsi, l'UE, première puissance économique mondiale, profite de ce statut dans
l'accomplissement de sa politique étrangère. Des mesures restrictives (prévues au titre IV, article
215 du TFUE), plus connues sous le terme courant de sanctions économiques, peuvent être
imposées aux pays qui ne respecteraient pas les principes de l'UE, issus du respect du droit
international. D'une manière générale, les mesures restrictives imposées visent à susciter un
changement de politique ou de comportement de la part du pays ou d'une région du pays visé, ou de
son administration, ou encore des entités ou des particuliers visés, afin de promouvoir les objectifs
107 TUE, article 21-2 : « L'Union définit et mène des politiques communes et des actions et oeuvre pour assurer un
haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin : a) de sauvegarder ses valeurs,
ses intérêts fondamentaux, sa sécurité, son indépendance et son intégrité; b) de consolider et de soutenir la
démocratie, l'État de droit, les droits de l'homme et les principes du droit international; c) de préserver la paix, de
prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la charte
des Nations unies, ainsi qu'aux principes de l'acte final d'Helsinki et aux objectifs de la charte de Paris, y compris
ceux relatifs aux frontières extérieures; d) de soutenir le développement durable sur le plan économique, social et
environnemental des pays en développement dans le but essentiel d'éradiquer la pauvreté; e) d'encourager
l'intégration de tous les pays dans l'économie mondiale, y compris par la suppression progressive des obstacles au
commerce international; f) de contribuer à l'élaboration de mesures internationales pour préserver et améliorer la
qualité de l'environnement et la gestion durable des ressources naturelles mondiales, afin d'assurer un
développement durable; g) d'aider les populations, les pays et les régions confrontés à des catastrophes naturelles
ou d'origine humaine; et h) de promouvoir un système international fondé sur une coopération multilatérale
renforcée et une bonne gouvernance mondiale ».

59
de la PESC. Ces sanctions peuvent être de l'initiative propre de l'Union européenne ou être une mise
en œuvre d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. Outre les simples sanctions
diplomatiques, comme l'interruption des relations diplomatiques avec le pays visé, les mesures
restrictives peuvent correspondre à un embargo sur les armes, un gel des avoirs des ressortissants du
pays en question, des interdictions d'importation/exportation ou de nombreuses autres sanctions de
nature économique. Ces mesures, qui doivent être décidées à l'unanimité par le Conseil, ont un
caractère contraignant pour les États membres qui sont tenus de les appliquer. Ces dernières années,
de telles mesures restrictives ont touché l'Iran, qui était soupçonnée de mettre en œuvre un
programme nucléaire militaire, et surtout la Russie 108, à la suite de l'annexion de la Crimée qui a été
considérée comme illégale par l'Union européenne. Les sanctions contre la Russie ont même été
prolongées de six mois le 1er juillet dernier. Au total, ce n'est pas moins d'une quarantaine de pays
ou d'entités qui sont actuellement sous sanctions de l'Union européenne.
Un autre versant de ce soft power européen est la politique d'aide au développement, qui
contribue à une redistribution des richesses entre le « Nord » et le « Sud », qui est l'un des objectifs
de la politique extérieure de l'Union. On pourrait penser que l'Union agit d'une manière totalement
désintéressée lorsque l'on découvre que le but des politiques de coopération européennes est « la
réduction et, à terme, l'éradication de la pauvreté » (article 208 du TFUE). Néanmoins, l'octroi de
ces aides est soumise à de nombreuses conditions, dont le respect des droits de l'Homme, de la
démocratie et des autres valeurs prônées par l'Europe. La politique d'aide au développement est
donc un fort moyen de pression, surtout lorsque l'on sait qu'au niveau mondial, plus de la moitié des
fonds visant à aider les pays en développement provient de l'Union européenne et de ses États
membres, ce qui fait de l'UE le principal pourvoyeur d'aide au monde. Pour mettre en œuvre cette
politique, l'UE mobilise de nombreux mécanismes financiers comme le fonds européen de
développement (FED, doté d'un budget de 32 milliards d'euros pour 2014-2020) ou l'instrument
européen de voisinage (IEV, 15 milliards d'euros).
Un vaste volet sécurité fait pleinement partie de la PESC/PSDC, qui comprend la lutte
contre le terrorisme, sujet ô combien d'actualité. On estime qu'il y aurait entre 3.500 et 5.000
citoyens de l'Union qui sont parties en Irak et en Syrie voire en Libye rejoindre les rangs
d'organisations terroristes109. Par conséquent, les attaques terroristes qui ont secoué l'Europe et la
France en particulier depuis deux ans nécessitent une réponse commune forte au niveau européen.
Le défi du retour possible et probable d'une partie de ces « combattants » soit pour importer le
conflit sur le continent européen, soit à cause d'une désillusion face à la réalité du terrain, est

108 Règlement n°692/2014 du Conseil concernant des mesures restrictives en réponse à l'annexion illégale de la
Crimée et de Sébastopol.
109 Fondation Robert Schuman, Philippe Delivet, L'Union européenne et la lutte contre le terrorisme, 2016.

60
d'importance pour les nations du vieux continent. La lutte contre le terrorisme n'est pourtant pas une
nouveauté pour l'Europe. Le groupe de TREVI, instauré dans les années 1970 pour faire face aux
terroristes d'extrême gauche, a même été la première forme de coopération en matière de justice et
d'affaires intérieures au sein de la CEE. Puis à la suite des meurtriers attentats de Madrid en 2004,
un poste de coordinateur de la lutte contre le terrorisme a été créé. Le poste est actuellement occupé
par le Belge Gilles de Kerchove depuis 2007, qui sera appuyé par le futur Commissaire européen
britannique, qui prendra le portefeuille sensible de la sécurité afin de montrer que celle-ci est bien
une priorité de la Commission européenne. Cette dernière a également pris un certains nombre de
mesures fortes suite aux attentats de Paris et Bruxelles, dont la création d'un PNR (Passenger Name
Record) européen110, qui recense tous les passagers des avions en circulation, ou un renforcement
des règles pour acquérir une arme à feu 111. De plus, d'autres instruments existaient déjà, comme le
système d'information Schengen (SIS), qui permet aux pays européens de disposer en temps réel
des données récoltées par d'autres États membres. Europol, l'office de police intergouvernemental
de l'Union européenne créé en 1999, s'est vu doté d'une cellule dédiée à l'antiterrorisme afin de
coordonner la lutte transfrontière. Enfin, l'agence FRONTEX est un pilier essentiel de la sécurité
européenne, puisque son rôle est de veiller à la protection des frontières extérieures de l'Union qui
sont mises à dure épreuve notamment en Grèce ou en Italie par les flux de migrants et de réfugiés,
que les autorités nationales ont du mal à contenir seules. Devant ce constat, la Commission a décidé
de refondre FRONTEX dans une future Agence européenne de garde-frontières et garde-côtes, doté
d'un budget multiplié par trois (330 millions d'euros pour 2017) et de plus de pouvoirs, et pouvant
mobiliser jusqu'à 1.500 personnes112.
La politique étrangère européenne, bien que peu développée en comparaison de celle d'une
puissance mondiale comme la Russie ou les États-Unis, devient progressivement de plus en plus
définie depuis la nomination de Madame Mogherini et la montée en puissance du SEAE. Ainsi, elle
est caractérisée par l'utilisation d'un soft power, c'est-à-dire une manière « douce » d'imposer sa
volonté au reste du monde. Il est en effet clair que la composante purement militaire n'est pas
l'élément le plus important et le plus poussé de la politique étrangère et de sécurité de l'Union, qui
dispose de nombreux instruments civils, beaucoup plus intégrés que les parties militaires. Le volet
défense de la PSDC, véritable bras armé de l'Europe, n'est utilisé que dans les cas extrêmes ou en

110 Proposition de directive relative à l’utilisation des données des dossiers passagers pour la prévention et la
détection des infractions terroristes et des formes graves de criminalité, ainsi que pour les enquêtes et les poursuites
en la matière.
111 Proposition de directive du 18 novembre 2015 amendant la directive 91/477 sur le contrôle de l'acquisition et de la
possession des armes à feu.
112 Commission européenne, document d'information sur la future Agence des garde-frontières et des garde-côtes,
disponible ici : http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/policies/securing-eu-borders/fact-
sheets/docs/a_european_border_and_coast_guard_fr.pdf.

61
dernier recours.

3) Les priorités stratégiques de l'Union européenne : la part belle au multilatéralisme et à


l'approche globale dans son voisinage proche

Il serait vain de parler des priorités stratégiques que l'Union européenne s'est fixée, sans
analyser au préalable les menaces qu'elle a identifiées. Il vaut en effet mieux définir et connaître ce
que l'on veut combattre avant d'élaborer une stratégie pour vaincre, ce qui laisse un vaste champ des
possibles puisqu'à « l'ère de la mondialisation, les menaces lointaines peuvent être aussi
préoccupantes que les plus proches »113. En 2003, les menaces recensées par l'Union étaient en
premier lieu le terrorisme (on se rend encore mieux compte aujourd'hui à quel point le 11 septembre
2001 est une date charnière de l'histoire contemporaine), la prolifération des armes de destruction
massive (contexte irakien oblige, elle est même considérée comme la menace potentielle la plus
importante !), les conflits régionaux (le Cachemire est cité), la déliquescence des États (débouchant
sur des États faillis) et enfin la criminalité organisée (phénomène transfrontière). Puis sont rajoutés
en 2008 la cybersécurité, la piraterie (contexte de la mission Atalante au large de la Somalie), la
sécurité énergétique et le changement climatique (qui a de fortes conséquences sur la sécurité
internationale, qualifié de « multiplicateur de risques »). En regardant cette liste, on constate d'abord
qu'il n'est jamais question de la possibilité d'un conflit armé contre l'Union européenne ou un État
membre de l'Union. Une guerre classique, entre États ou groupes d'États, semble donc d'emblée
écartée, d'autant plus qu'une telle possibilité serait du ressort exclusif de l'OTAN. D'ailleurs, pour
l'ancien directeur général de l'État-major de l'Union européenne, Jean-Paul Perruche, « les
Européens ont décidé d'être faibles dans l'UE, là où ils sont en position de responsabilité, pour ne
pas affaiblir l'OTAN, où ils délèguent leurs responsabilités aux États-Unis. Il en résulte une culture
de dépendance et une déresponsabilisation de fait des Européens par rapport à leur défense »114.
Pour contrer ces dangers, l'Union européenne « doit viser avant tout à empêcher les
menaces de devenir des sources de conflit, et ce à un stade précoce »115. L'UE se conçoit donc
comme un véritable acteur dans les relations internationales, intervenant au plus tôt à la sources des
problèmes potentiels, puisque depuis la fin de la Guerre Froide, ceux-ci se trouveront
principalement à l'extérieur des frontières européennes. Cette intervention européenne potentielle ne
peut avoir pour origine qu'une violation du droit international, principe auquel l'UE est

113 Stratégie européenne de sécurité, Une Europe plus sûre dans un monde meilleur, sous la direction de Javier
Solana, 2003, page 6.
114 Jean-Paul Perruche, Cessons de nous cacher derrière l’Otan !, tribune dans Le Figaro, Paris, 1 septembre 2014.
115 Rapport sur la mise en œuvre de la stratégie européenne de sécurité, Assurer la sécurité dans un monde en
mutation, S407/08, Bruxelles, 2008.

62
particulièrement attaché. Ainsi, tout État dans le monde se doit de respecter les droits de l'Homme et
les principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies. De plus, « il ne doit faire aucun doute
que le respect de la souveraineté, de l'indépendance et de l'intégrité territoriale des États, ainsi que
le règlement pacifique des différends sont des principes non négociables pour l'UE. La menace de
recours ou le recours à la force militaire ne peut être autorisé, où que ce soit, pour régler les
différends territoriaux »116.
La réelle plus-value de l'Union européenne par rapport à n'importe quelle organisation
internationale est sa capacité exceptionnelle à combiner de manière efficace des ressources
militaires et des moyens civils dans sa manière de gérer les crises : on appelle cela « l'approche
globale ». En effet, l'UE est capable de déployer toute une palette d'instruments, allant des
opérations militaires de maintien de la paix (Bosnie, Macédoine), en passant par des opérations de
police (Macédoine, Palestine, Afghanistan), de soutien à la réforme du secteur de sécurité (Afrique),
jusqu'au soutien à l'état de droit (Géorgie, Irak), sans oublier l'aide humanitaire, l'aide à la
reconstruction, et le soutien économique et technique dans tous les champs de la politique
extérieure communautaire (douanes, transports, énergie...). La stratégie de l'UE dans le Sahel est
une bonne illustration de la combinaison entre aide au développement, action diplomatique (à
travers un « représentant spécial » de l'UE), et opérations de PSDC (actions de formation militaire
et de sécurité au Mali et au Niger) pour répondre à la menace du terrorisme et à la pression
migratoire. Ainsi, la PSDC telle qu'elle s'est développée jusqu'à présent est marquée par des actions
consensuelles mais complètes (aide au développement, formation militaire, soutien à la transition
énergétique, reconstruction des institutions d'un État failli...), plutôt que par des opérations
militaires de haute intensité (l'OTAN étant de toute manière plus qualifiée pour ces missions) sans
soutien aux populations ou à l'économie du pays visé. Cette approche globale permet une meilleure
acceptation des missions de la PSDC par de nombreux États membres, et fait la force de l'Union,
seule organisation au monde capable d'agir seule à la fois dans les domaines économiques,
institutionnels et sécuritaires, pour autant qu'elle le veuille.
Pour mettre en œuvre son approche globale, l'UE a fait du multilatéralisme un prérequis
essentiel à son engagement. Ce concept a été défini par John R. Ruggie comme « une forme
institutionnelle qui coordonne les relations entre trois États ou plus, sur la base de principes de
conduite généralisés, c'est-à-dire de principes qui définissent la conduite appropriée pour agir dans
un cadre donné sans se soucier des intérêts particuliers des parties, ou des exigences stratégiques
que peuvent exister dans des circonstances spécifiques »117. Cette préférence s'explique d'abord par

116 Ibid.
117 J.G. Ruggie, Multilateralism : The Anatomy of an Institution, International Organization, vol. 46, n° 3,
été 1992, p. 571.

63
le caractère multilatéral du projet européen en lui-même, ce qui rend les Européens naturellement
enclin à la coopération. De plus, le multilatéralisme s'inscrit dans la logique du respect du droit
international. Ainsi, l'UE coopère étroitement avec les Nations Unies, qu'elle place « au sommet du
système international »118, dans le domaine de l'aide humanitaire et au développement, mais aussi
pour effectuer des opérations de maintien de la paix. Elle entretient également des relations de
dialogue et de coopération avec les organisations régionales d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie
orientale. Aussi, l'OTAN est évidemment un partenaire privilégié de l'Union pour les opérations de
la PSDC. Enfin, la mise en avant du multilatéralisme lors de la rédaction de la stratégie de 2003
s'expliquait par une opposition aux tentations unilatérales américaines, qui sont intervenus en Irak
sans le soutien des Nations Unies (la France ayant mis son veto au Conseil de sécurité). Malgré
cette opposition initiale, certains soulignent que le multilatéralisme européen n'est que de façade,
puisque l'UE agit en pratique en concertation étroite avec les États-Unis, considérés comme son
« partenaire principal »119, comme on l'a constaté lors de la crise en Ukraine ou sur le nucléaire
iranien.
Le grand élargissement (2004-2007) de l'Union européenne a bouleversé la réalité
géostratégique de son environnement puisque « l'intégration des États adhérents [a eu] également
pour effet de rapprocher l'UE des zones de troubles »120. Les zones géographiques d'intérêt
stratégique pour l'Europe sont donc prioritairement les Balkans (enclavés entre des pays membres,
et à l'origine des dernières guerres en Europe dans les années 1990), le Caucase (et l'Est du
continent en général), le Moyen-Orient (le conflit israélo-arabe en particulier) et la zone
méditerranéenne. Par conséquent, la politique européenne de voisinage (PEV), lancée en 2003, joue
un rôle crucial dans la stratégie européenne de sécurité puisqu'elle doit créer un « anneau de sécurité
et de prospérité » protégeant l'Europe de l'émergence d'un conflit à ses portes. À l'Est, l'UE a
cherché à travers un « partenariat oriental » à tisser des liens avec ses nouveaux voisins, comme la
Moldavie ou l'Ukraine, tout en renforçant sa relation de confiance avec la Russie. Cette stratégie
s'est avérée être un échec cinglant : en promettant à certains pays de l'Est de les sortir de leur
dépendance économique à la Russie, la réponse de cette dernière, attaquée dans sa zone d'influence,
a conduit à la crise géorgienne (2008) et à la crise ukrainienne (depuis 2014). Le partenariat oriental
s'est donc progressivement transformé en politique de containment face à une Russie de plus en plus
antagonique sur le plan de la géopolitique et des valeurs, sans que cela semble avoir été prévu à
l'origine. Cette naïveté géopolitique européenne se retrouve dans l'Union pour la Méditerranée,
118 Rapport sur la mise en œuvre de la stratégie européenne de sécurité, Assurer la sécurité dans un monde en
mutation, S407/08, Bruxelles, 2008, page 11.
119 Ibid.
120 Stratégie européenne de sécurité, Une Europe plus sûre dans un monde meilleur, sous la direction de Javier
Solana, 2003, page 8.

64
versant Sud de la PEV qui a pris la suite du processus de Barcelone (Euromed) et qui englobe tous
les pays du bassin méditerranéen. Ici, l'UE a une logique d'aide au développement Nord-Sud, sans
prendre en compte de manière importante les problématiques de sécurité, comme le montre la non-
intervention en Libye et la crise des réfugiés qui en découle en partie. En conclusion, l'Union
européenne est loin d'avoir réussi à stabiliser, ni son flanc oriental, ni sa périphérie méditerranéenne
puisque depuis le lancement de la PEV la situation a changé de manière spectaculaire. En effet, de
nombreux pays du voisinage de l'UE121 sont à présent exposés à des conflits gelés, à des guerres
civiles, à une occupation territoriale ou à des conflits interétatiques.

L'Union européenne a donc bâti une politique de défense et de sécurité, qui intègre la
politique étrangère commune. Absent de ses attributions premières, le couple PESC/PSDC, doté
d'un statut qualifié de sui generis au sein de l'Union, peine à s'affirmer sur la scène internationale
malgré la mise en place d'institutions ambitieuses. Une doctrine stratégique a minima a peu à peu vu
le jour, afin de faire consensus parmi les États membres, soucieux de garder leur autonomie sur les
questions de politique étrangère et de défense. Celle-ci met en avant la défense du droit
international, la protection de l'environnement et d'autres principes fédérateurs, qui sont défendus
par l'utilisation du multilatéralisme et d'une approche globale, visant en priorité le voisinage
européen proche. Cependant, les évènements récents (Ukraine, Syrie, Libye...) mettent en valeur les
erreurs et les absences européennes, qui ont conduit au contexte actuel de polycrises 122 (Brexit, crise
des réfugiés, attentats terroristes, guerre civile ukrainienne, défiance envers l'UE et montée des
populismes), plutôt que les maigres satisfactions (aide au développement) de la stratégie
européenne de sécurité.

Section 2 : Une politique bloquée par des dysfonctionnements internes


et les égoïsmes nationaux

La mise en œuvre de la PSDC est, en réalité, minée par les égoïsmes nationaux en raison de
son caractère purement intergouvernemental. Ainsi, prendre une vraie décision politique, hors du
consensus mou habituel, est extrêmement difficile concernant la PSDC (I), d'autant plus que les
outils qu'elle a tant bien que mal mis sur pied sont mal utilisés, voire complétement mis de côté (II).

121 On peut citer la Moldavie, l'Ukraine, la Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Turquie, la Russie, la Libye, l'Egypte
ou la Syrie.
122 Terme souvent employé par le Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

65
I) L'illisibilité de la prise de décision au sein de l'Union concernant la PSDC

Le principal problème de la PSDC tient au caractère particulier des politiques de défense et


de sécurité : celles-ci touchant au cœur de la souveraineté des États, ces derniers n'acceptent de
coopérer sur ces questions que de manière intergouvernementale, ce qui suppose des décisions
prises à l'unanimité (1). Par conséquent, prendre des décisions à 28 s'avère plutôt compliqué,
d'autant plus que les organes européens traitant de ces questions sont éclatés entre plusieurs
institutions, malgré la création du SEAE (2). Ce manque de clarté nuit à la promotion et à
l'efficacité de la PSDC. Enfin, la question du financement des opérations militaires européennes (3)
demeure centrale, car celles-ci doivent être intégralement financées par les États membres
participants, ce qui contrevient au principe de solidarité au sein de l'Union.

1) Un principe de l'unanimité dépassé et inopérant

La PSDC touche au cœur même de la souveraineté des États membres, les décisions la
concernant sont prises à l'unanimité, ce qui rend sa mise en œuvre très compliquée. En effet, même
en bénéficiant du rôle moteur d'un hypothétique Haut Représentant charismatique, hyperactif, et
mondialement reconnu et respecté (ici aucune critique de Madame Mogherini qui se démène autant
qu'elle peut), toute action d'importance de la PSDC serait soumise à l'approbation finale des 27
États membres (hors Danemark) réunis au Conseil, or ceux-ci ont très souvent des intérêts et des
solutions radicalement différentes. C'est donc logiquement que la PSDC est cantonnée depuis des
années à des opérations militaires de basse intensité, à des coopérations industrielles fondées sur le
volontariat ou à des grandes déclarations de principes ne débouchant sur rien de concret.
La méthode de prise de décision au regard de la PSDC se déroule selon un processus
remontant, allant des organes préparatoires et de conseil jusqu'au plus haut niveau politique. Dans
l'article 22 du TUE, il est écrit que « le Conseil européen statue à l'unanimité sur recommandation
du Conseil, adoptée par celui-ci selon les modalités prévues pour chaque domaine. Les décisions
du Conseil européen sont mises en œuvre selon les procédures prévues par les traités ». En d'autres
mots le Conseil et les organes préparatoires de l'Union européenne préparent différentes options et
ensuite le Conseil européen tranche et prend la décision finale, selon le principe de l'unanimité
« sauf dans les cas où les traités en disposent autrement » (article 24-1). De plus, l'article 31-1123
123 TUE, article 31-1 : « Tout membre du Conseil qui s'abstient lors d'un vote peut, conformément au présent alinéa,
assortir son abstention d'une déclaration formelle. Dans ce cas, il n'est pas tenu d'appliquer la décision, mais il
accepte que la décision engage l'Union. Dans un esprit de solidarité mutuelle, l'État membre concerné s'abstient de
toute action susceptible d'entrer en conflit avec l'action de l'Union fondée sur cette décision ou d'y faire obstacle et
les autres États membres respectent sa position. Si les membres du Conseil qui assortissent leur abstention d'une

66
ajoute une difficulté supplémentaire puisqu'en plus de l'unanimité, il prévoit que si lors d'un vote
« au moins un tiers des États membres réunissant au moins un tiers de la population de l'Union »
s'abstiennent avec une déclaration formelle, alors « la décision n'est pas adoptée ». Par conséquent,
l'abstention peut aussi être considérée comme un vote contre pour les questions générales à la
PESC. Ainsi, les États membres ont parfaitement verrouillé la méthode de prise de décision lors de
la rédaction du Traité de Lisbonne, afin de ne pas se voir imposer une politique étrangère et de
sécurité (ou pire de défense) contre leur gré. L'intergouvernementalisme le plus total reste donc la
norme. Pourtant, la rédaction de l'article 31 pourrait néanmoins nous induire à croire qu'il existe une
possibilité d'adoucir le principe d'unanimité en vigueur. En effet, il énonce d'abord quatre situations
dérogatoires124 où le Conseil statue seulement à la majorité qualifiée, à moins qu'un État membre ne
s'y oppose pour « des raisons de politique nationale vitales », puis il prévoit que « le Conseil
européen peut, à l'unanimité, adopter une décision prévoyant que le Conseil statue à la majorité
qualifiée dans d'autres cas que ceux visés au paragraphe 2 »125. Une telle possibilité serait bien utile
pour le lancement de certaines opérations de la PSDC, mais malheureusement, l'article 41-4 prévoit
que les deux derniers paragraphes (31-2 et 31-3) « ne s'appliquent pas aux décisions ayant des
implications militaires ou dans le domaine de la défense » !
La méthode de prise de décision concernant la PESC/PSDC est donc équivalente à ce qu'elle
pourrait être dans n'importe quelle organisation internationale de coopération. Les organes
supranationaux de l'Union européenne, comme le Parlement européen ou la Cour de Justice, n'ont
qu'un droit de regard très limité, voire inexistant sur ces questions. Pourtant l'Union européenne
n'est pas qu'une simple organisation de coopération régionale, c'est l'organisation internationale la
plus intégrée de l'histoire humaine, qui correspond à la zone économique la plus riche du globe. Au
regard du niveau d'intégration, la PESC/PSDC apparaît comme une anomalie voire un
anachronisme, bloquant toute possibilité de progrès, surtout au moment où l'Union est confrontée à
une multitude de crises (Brexit, réfugiés, Ukraine...) pouvant conduire tout simplement à sa perte.

telle déclaration représentent au moins un tiers des États membres réunissant au moins un tiers de la population de
l'Union, la décision n'est pas adoptée ».
124 TUE, article 31-2 : « Par dérogation au paragraphe 1, le Conseil statue à la majorité qualifiée :
— lorsqu'il adopte une décision qui définit une action ou une position de l'Union sur la base d'une décision du Conseil
européen portant sur les intérêts et objectifs stratégiques de l'Union, visée à l'article 22, paragraphe 1;
— lorsqu'il adopte une décision qui définit une action ou une position de l'Union sur proposition du haut représentant
de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité présentée à la suite d'une demande spécifique que le
Conseil européen lui a adressée de sa propre initiative ou à l'initiative du haut représentant; FR 30.3.2010 Journal
officiel de l’Union européenne C 83/33
— lorsqu'il adopte toute décision mettant en oeuvre une décision qui définit une action ou une position de l'Union,
— lorsqu'il nomme un représentant spécial conformément à l'article 33 ».
125 TUE, article 31-3.

67
2) Une dispersion contre-productive des nombreux organes traitant de la PESC/PSDC

Malgré la création du SEAE et de la fusion d'une grande partie des effectifs chargés de
politique étrangère de la Commission et du Secrétariat du Conseil en son sein, la division des
pouvoirs entre les différentes institutions européennes reste toujours de mise puisque la
représentation extérieure de l'Union européenne est toujours partagée entre le Président de la
Commission, le Président du Conseil européen et le Haut Représentant.
Au moment de la création du SEAE en 2010, la Commission, à son grand désarroi, s'est vue
confisquer une partie de ses attributions. En effet celle-ci craignait que le SEAE, créé en dehors de
son administration, vienne politiser son travail 126 à cause de l'influence des États membres prévue
dans le nouveau service diplomatique européen, composé d'un tiers de fonctionnaires nationaux
détachés. Ainsi, une très large partie de la direction générale (DG) chargée des Relations extérieures
(RELEX) a été fondu dans le SEAE, et le Service des instruments de politique étrangère (FPI) a été
mis sur pied avec ce qui en restait, en vue de servir d'interlocuteur au SEAE au sein de la
Commission. Néanmoins, cette dernière s'est battue pour garder certaines compétences qui auraient
pu être basculées vers le SEAE. On peut penser aux directions générales Coopération internationale
et développement (DEVCO), Protection civile et opérations d'aide humanitaire européenne (ECHO)
ou Voisinage et négociations d'élargissement (NEAR). Par conséquent, il existe encore des
commissaires européens en charge de la politique de voisinage (Johannes Hahn) ou de la
coopération internationale (Neven Mimica), alors que ces questions relèvent clairement de la
politique étrangère dont le HR à la charge. Par conséquent, la coordination des politiques peut
parfois êtres mise à mal par les luttes d'influence ou les manques de communication entre les
services de la Commission et du SEAE. Enfin, bien qu'a priori la Commission n'ait pas de
compétences dans le domaine militaire, certaines opérations de la PSDC relèvent en partie de la
coopération internationale ou de la protection civile, et sont très souvent couplées avec des aides
humanitaires ou d'autres moyens mettant en œuvre l'approche globale européenne. L'amélioration
des relations entre le SEAE et les autres institutions européennes est donc essentielle puisque celles-
ci disposent de compétences techniques et de moyens budgétaires indispensables à la réalisation de
la politique étrangère, et donc de sécurité et de défense, de l'Union européenne.
Sur les questions propres à la PSDC, le HR est appuyé par une multitude d'organes
subsidiaires, formellement rattachés au SEAE ou au Conseil, voire à cheval entre les deux, et ayant
un rôle préparatoire ou de conseil. L'État-major de l'Union européenne constitue la seule structure

126 Niklas Helwig, Paul Ivan et Hrant Kostanyan, CEPS, The new EU Foreign Policy Architecture – Reviewing the
first two years of the EEAS, 2013, page 31.

68
militaire permanente intégrée de l'UE. L'EMUE est entièrement multinational et interarmées et a
pour rôle de fournir une expertise militaire au Haut Représentant. Néanmoins, il est également sous
l'autorité du Comité militaire de l'Union européenne, composé des chefs d'État-major des États
membres. Ainsi le caractère supranational de l'EMUE est atténué, car il doit suivre les directives du
Comité. Ce dernier fait lui même partie du Comité Politique et de Sécurité (CoPS), créé par le
Traité d'Amsterdam. Le CoPS est un maillon essentiel de la PESC en tant qu'organe permanent,
composé d'ambassadeurs des 28 États membres de l'Union. Dans la chaîne de décision, il se situe
entre les comités les plus techniques, composés de hauts fonctionnaires, et le Conseil, qui est
l'échelon de la prise de décision politique. Ses principales fonctions sont de faire une veille de la
situation internationale et d'aider le Conseil et le HR à définir les politiques de la PESC/PSDC. De
plus, l'article 38 du TUE précise que le CoPS exerce le « contrôle politique et la direction
stratégique des opérations de gestion de crise ». Le CoPS est aussi composé de plusieurs organes
consultatifs et préparatoires comme le Comité militaire de l'UE vu plus haut, le Comité chargé des
aspects civils de la gestion de crise (CIVCOM) ou le Groupe politico-militaire. Ce dernier effectue
le travail préparatoire sur les questions politiques de la PSDC pour le compte du CoPS. Il prépare
également des recommandations pour le Conseil, et doit contrôler la mise en œuvre des décisions
qui y sont prises. Le Groupe politico-militaire est également l'organe responsable des relations avec
les États tiers et les autres organisations internationales, en particulier l'OTAN. Il est présidé par un
délégué du Haut Représentant. Tout le travail préparatoire effectué par le SEAE et/ou le CoPS est
ensuite transmis au Comité des Représentants Permanents (COREPER) qui est l'ultime organe
préparatoire avant le Conseil. Il a pour fonction de préparer l'agenda du Conseil, et peut aussi
prendre certaines décisions de procédure. Son rôle est technique : il doit donner des options
potentielles aux ministres qui siègent au Conseil, qui n'ont plus qu'à se mettre d'accord sur laquelle
choisir. Le COREPER est composé d'officiels des États membres, il n'y a pas de fonctionnaires
européens. Ainsi il est un organe purement intergouvernemental, comme le Conseil qu'il sert
directement.
On peut donc noter que les politiques de la PESC/PSDC sont construites à la fois par des
organes supranationaux (SEAE) et intergouvernementaux (Conseil). Quoi qu'il en soit, ces organes
préparatoires font l'essentiel du travail quotidien au sein de l'Union européenne, fournissant des
possibilités aux dirigeants politiques qui n'ont plus qu'à choisir. Des chercheurs ont estimé que près
de 80%127 des décisions prises par l'Union étaient en réalité finalisées à ce niveau ! La grande
influence de ces organes explique pourquoi ils sont à la fois composés de fonctionnaires européens

127 Jolyon Howorth, Decision-making in Security and Defence Policy : Toward Supranational Intergovernmentalism ?,
2011.

69
et de représentants des États membres, afin de ne pas leur donner un pouvoir hors du contrôle de ces
derniers. Ce dernier point doit cependant être nuancé par les recherches de Jolyon Howorth 128 qui
tendent à montrer que les représentants nationaux au COREPER agissent en réalité plutôt comme
des Européens, et ne font pas passer l'intérêt de leur nation avant tout. Malgré tout, la trop grande
dispersion des organes en charge de la PESC et surtout de la PSDC est contre-productive pour
l'efficacité de ces politiques puisqu'elle ralentit grandement la prise de décision, alors que des
réponses rapides sont exigées pour répondre aux situations de crise.

3) Un financement des opérations militaires qui fait problème

Plus que les lenteurs institutionnelles ou les positions idéologiques des États, c'est la
question centrale du financement qui est l'élément explicatif du peu d'entrain pour les opérations
militaires européennes et l'embourbement général de la PSDC. En effet, ce financement diffère
selon que la mission soit civile ou militaire. D'un côté, les opérations civiles sont financées
majoritairement par l'Union européenne via le budget alloué à la PESC. Cette ligne budgétaire est
gérée par la Commission européenne et est votée par le Parlement, alors que c'est toujours le
Conseil européen qui a la dernier mot politique sur le lancement et la nature de l'opération.
Finalement, les États membres n'ont plus qu'à payer les agents nationaux détachés pour la durée de
la mission, ce qui ne leur impute pas de frais supplémentaires en dehors des primes opérationnelles
liées à l'exercice à l'étranger ou au danger potentiel de la mission. D'un autre côté en revanche, les
actions purement militaires ne sont pas prises en compte dans le budget de l'UE, puisque les
traités129 interdisent le financement « des opérations ayant des implications militaires ou dans le
domaine de la défense » ! Par conséquent tous les frais (déploiement, nourriture, munitions...)
restent donc à la charge des États membres, et à une époque marquée par la rigueur budgétaire et la
diminution des crédits accordés à la Défense, le pragmatisme des gouvernements entraîne
nécessairement l'avortement de la plupart des missions militaires envisagées. En effet, à quoi bon
dépenser de l'argent pour de lointaines opérations militaires alors que la sécurité des États européens
ne semblent pas directement engagée, et qu'il est déjà difficile de boucler un budget, lui-même
surveillé de près par la Commission ? Enfin, cette dualité légale instaurée dans les traités entre les
missions civiles et militaires de la PSDC est complètement antinomique au regard de la stratégie
128 Ibid, citation en anglais : « There is little testimony of state representatives seeing their task as defending at all cost
“the national interest” (whatever that might be). They may officially remain the representatives of their nation-state,
but they increasingly act as Europeans ».
129 Traité sur l'Union Européenne, article 41-2 : « Les depenses operationnelles entrânees par la mise en œuvre du
present chapitre sont egalement ̀ la charge du budget de l’Union, ̀ l’exception des depenses afferentes ̀ des
operations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la defense et des cas ò le Conseil en decide
autrement ̀ l’unanimite » .

70
européenne de sécurité qui place l'approche globale (et donc la conjugaison des moyens civiles et
militaires) au cœur de son action.
Conscients de cette lacune potentiellement fatale, certains États membres, et en premier lieu
la France, ont poussé pour trouver des solutions de substitution. Ainsi le mécanisme Athéna, dont la
dernière modification date de 2015130, a été créé dès 2004 et lors des premières opérations militaires
de la PSDC. Le rôle premier de ce mécanisme est de gérer le financement des coûts communs
découlant du lancement des opérations militaires européennes. Ceux-ci peuvent couvrir la phase de
planification des opérations (études préparatoires, reconnaissances, déploiement...), leur conduite
(infrastructures, recours à des moyens de l'OTAN, logistique, certains frais de fonctionnement...) et
parfois la phase suivant les opérations (restitutions du matériel). Le mécanisme Athéna est doté de
la capacité juridique, et c'est un comité spécial, composé de personnels des 27 États membres (hors
Danemark), qui est chargé d'attribuer les financements, qui doivent être approuvés à l'unanimité.
Malheureusement, Athéna n'est en réalité qu'une simple rustine, incapable de soutenir les États
membres dans leur contribution à l'action extérieure de l'Union européenne, puisque le mécanisme
ne couvre qu'environ 10%131 du coût totale d'une opérations militaire ! De plus, ces 10% sont
divisés entre les États membres selon une clé de répartition établie sur la base d'un pourcentage
affecté au Revenu national brut (RNB). Ainsi les pays les plus riches, comme l'Allemagne (21,48%
en 2013)132 ou la France (16,32%) paient beaucoup plus que les petits pays (moins de 1% pour
Malte) ce qui est à première vue tout à fait logique. Cependant, cette répartition ne prend pas en
compte la participation des États (en terme de troupes et de matériels) à l'opération sur le terrain.
Les grands pays envoyant des troupes (et supportant 90% du coût de l'opération « européenne »)
sont ainsi doublement pénalisé financièrement. Un autre fonds européen, l'instrument de stabilité133,
aurait également pu financer des opérations militaires de la PSDC, ce qui n'est pas le cas. Cet outil,
dépendant de la Commission européenne, est géré par le Service des instruments de politique
étrangère (FPI), bien que mis à disposition du SEAE. Lancé en 2007 et doté d'un budget 2,3
milliards d'euros pour la période 2014-2020, il agit dans le domaine de la prévention des conflits, de
la gestion des crises et de la consolidation de la paix. Il aide ainsi des projets de la PSDC,
notamment en Afrique, dans les Balkans ou au Moyen-Orient. Néanmoins, l'interdiction de
financement des opérations militaires introduite à l'article 41-2 du TUE s'applique également pour

130 Décision (PESC) 2015/528 du Conseil du 27 mars 2015 créant un méacanisme de gestion de financement des coûts
communs des opérations de l'Union européenne ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense
(Athéna) et abrogeant la décision 2011/871/PESC.
131 Assemblée nationale, Commission des affaires européennes, Rapport d'information sur la relance de l'Europe de la
défense, avril 2013, page 50.
132 Données disponibles dans le tableau « Récapitulation du financement du budget général par type de ressources
propres et par État membre » présent dans le dernier budget général adopté par l'UE.
133 Voir la page consacrée à cet instrument sur le site du SEAE : http://eeas.europa.eu/ifs/index_fr.htm.

71
cet instrument. Encore une occasion manquée, alors que les moyens financiers, eux, ne manquent
pas !
Les problèmes persistants posés par la génération des forces et, de manière plus générale, la
question du partage de la charge financière des opérations militaires de la PSDC nécessitent donc
des réformes urgentes et radicales. Un juste partage du fardeau des coûts des opérations militaires
serait seulement l'application du principe de solidarité à l'échelle européenne. Or avec Athéna, l'UE
n'est actuellement solidaire qu'à hauteur de 10%... Pourtant, la réforme de ce mécanisme, soutenue
essentiellement par la France, se heurte toujours au refus de certains pays comme l'Angleterre (qui
ne veut pas voir la PSDC renforcée face à l'OTAN) ou même l'Allemagne 134 (qui ne veut pas payer
pour des opérations militaires françaises). L'élargissement du périmètre des coûts supportés par
Athéna serait déjà un bon début, dans la mesure où la suppression de l'article 41-2 est impossible
sans révision des traités. Des solutions sont pourtant possibles : dans un discours à l'occasion de la
semaine des ambassadeurs le 30 août 2016, François Hollande a énuméré cinq propositions en vue
du Sommet de Bratislava135, dont la création d'un « fonds européen de sécurité et de défense », qui
espérons-le, ne restera pas cette fois-ci lettre morte.

II) Les outils de la PSDC mal ou sous-utilisés

La PSDC souffre de dysfonctionnements dans son processus de prise de décision, ce qui


impacte les outils qu'elle a créé au fil du temps. Ainsi, sa force de réaction rapide, capable d'être
déployée à tout moment sur un théâtre d'opération en cas de crise, n'a jamais été utilisée (1) malgré
de nombreuses occasions propices à son lancement. L'Agence européenne de défense quant à elle
semble inefficace face aux réductions budgétaires malgré la mise en œuvre du principe de
mutualisation et de partage depuis six ans (2). Enfin un dernier exemple frappant est le centre
satellitaire de l'UE, un outil essentiel mais manquant de moyens et sous la dépendance de
technologies non-européennes (3).

1) Les groupements tactiques, une réussite théorique jamais utilisée

L'Union européenne a été complètement absente sur les grandes questions sécuritaires de ces
dernières années, laissant se propager les crises dans son voisinage proche (Syrie, Libye, Ukraine...)

134 Voir annexe 1.


135 Prévu le 16 septembre 2016, le Sommet de Bratislava sera le premier « vrai » Conseil européen post-Brexit, et
aura notamment pour enjeu la relance de l'Europe politique. Le thème de la sécurité et de la défense sera l'un des
plus discuté.

72
sans intervenir militairement. Cette faiblesse stratégique ne peut pourtant pas s'expliquer par
l'absence d'outils européens disponibles pour la gestion de crise, puisque l'Union peut
théoriquement compter sur les groupements tactiques (EU battlegroup) depuis 2005 pour intervenir
rapidement si elle le décide. Ceux-ci ont pour objet de mettre à la disposition de la PSDC des forces
militaires capables de se déployer rapidement dans des zones lointaines en cas de déclenchement
d'une crise. Pouvant être constitué par un État ou plus généralement par une coalition d'États
membres avec une nation cadre afin d'améliorer l'interopérabilité entre les pays européens, un
groupement tactique représente au moins 1.500 hommes, ce qui est l'équivalent d'un bataillon. Deux
groupements tactiques sont toujours de garde, pour une durée de six mois, avant d'être remplacés
selon un planning prédéfini. Ils sont censés être en mesure d'assurer une mission d'une durée initiale
de 30 jours, pouvant être portée à 120 jours après réapprovisionnement, tout en étant déployés dans
un délai de 10 jours à compter de la décision de lancer l'opération. Théoriquement, l'UE peut ainsi
lancer deux opérations presque simultanément, chaque groupement tactique étant rattaché à un des
cinq États-majors mis au service de l'Union par certains États. Néanmoins, comme pour toute
décision concernant la PSDC, le déploiement des battlegroups est soumis à l'accord unanime des
États membres, ce qui est le premier frein à leur utilisation. Cependant la question la plus délicate
reste encore celle du financement. En effet, ce sont les pays d'astreinte qui supportent quasiment
tous les coûts financiers en cas d'intervention, en plus des coups politiques et humains (en cas de
perte) sur le terrain ! Encore une fois, le principe de solidarité est absent malgré l'apparence d'une
défense européenne puisque les États sont d'astreinte chacun à leur tour. Parmi les groupements
tactiques existant, on peut citer celui de Weimar (France, Allemagne avec la Pologne comme nation
cadre), le Nordic Battlegroup (Suède, Norvège, Finlande, Estonie, Lituanie, Lettonie et Irlande), le
Visegràd Battlegroup (Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie et Ukraine), le groupement tactique
des Balkans (Grèce, Bulgarie, Roumanie, Ukraine et Chypre) ou encore l'Eurocorps (qui ne dépend
pas de l'Union européenne malgré des liens de plus en plus étroits) qui sera d'astreinte du 1er juillet
2016 jusqu'au premier semestre 2017. On constate aussi que ces groupements tactiques sont ouverts
aux nations non membres de l'Union européenne, comme la Norvège ou l'Ukraine.
Sur le papier cet instrument militaire européen a pourtant tout pour être redoutablement
efficace et apporter à l'Europe une crédibilité concrète en matière de politique extérieure. Leur
concept opérationnel prévoit en effet un large champ d'interventions possibles 136, parmi lesquelles
136 TUE, article 43-1 : « Les missions visées à l'article 42, paragraphe 1, dans lesquelles l'Union peut avoir recours à
des moyens civils et militaires, incluent les actions conjointes en matière de désarmement, les missions humanitaires
et d'évacuation, les missions de conseil et d'assistance en matière militaire, les missions de prévention des conflits et
de maintien de la paix, les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de
rétablissement de la paix et les opérations de stabilisation à la fin des conflits. Toutes ces missions peuvent
contribuer à la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le
terrorisme sur leur territoire ».

73
« les missions humanitaires et d'évacuation » mais aussi « les missions de forces de combat pour la
gestion de crises » ou « la lutte contre le terrorisme ». Pourtant, jamais depuis leur création ces
groupements tactiques n'ont été mobilisés, alors que les occasions ont été légion ! Dès 2007
l'ONU137 avait sollicité l'Europe afin qu'elle intervienne rapidement dans la région du Tchad et du
Darfour, en proie à une crise humanitaire de grande ampleur. Mais alors que le battlegroup était prêt
à partir, l'UE a préféré monter une opération ad-hoc (EUFOR Tchad) qui est arrivée six mois après
la demande urgente des Nations Unies. Deux autres demandes de ce type, à propos de la République
démocratique du Congo (RDC) en 2008 et 2012, n'ont pas été exécutées par l'UE faute de
consensus. On peut également citer la Libye (à la suite du refus des Allemands), le Mali (ici ce sont
plutôt les Français qui ont préféré agir seul pour pouvoir frapper rapidement, alors que le
groupement tactique de Weimar était en alerte à ce moment) et surtout la République centrafricaine
comme étant d'autres occasions manquées. Dans ce dernier exemple, tout semblait pourtant propice
à l'intervention des groupements tactiques : il s'agissait d'éviter des massacres ethniques, tout en
protégeant les ressortissants européens, et alors que la France allait « entrer en premier » et
s'occuper du gros des opérations. Cependant, et alors même que le SEAE planchait sur l'envoi d'un
battlegroup, l'ordre aurait été donné par Lady Asthon138, alors HR, d'arrêter les préparatifs à cause
du refus idéologique britannique d'utiliser cet outil, qu'ils avaient pourtant contribué à créer.
Les groupements tactiques constituent néanmoins un instrument militaire intéressant
puisqu'ils permettent théoriquement à l'Union européenne de réagir rapidement aux crises. En
revanche, il est essentiel de remédier aux causes qui ont empêché leur déploiement par le passé, en
premier lieu desquelles l'absence de solidarité financière pour les États d'astreinte. Par conséquent,
la récente proposition de François Hollande de créer un « fonds européen de sécurité et de défense »
peut être analysée comme une solution de repli face au constat de l'échec des battlegroups à être
utilisés tels quels sur terrain. Finalement, mobiliser ces troupes européennes est presque mission
impossible, l'incapacité à agir de l'UE étant due à l'absence de volonté politique de ses États
membres, voire à leur égoïsme, reflétant un manque d'intérêt stratégique commun. Ainsi, par un
malheureux hasard du calendrier, c'est un groupement tactique sous commandement britannique
(composé également d'Irlandais, de Suédois et de Finlandais) qui a pris son tour d'alerte aux côtés
de l'Eurocorps moins d'une semaine après le vote des sujets de sa Majesté en faveur d'une sortie de
l'Union européenne. Une partie de la presse britannique ayant déformée totalement la réalité de la
situation139, accusant l'Europe de préparer une invasion de la Grande-Bretagne en plein débat pré-
137 http://www.france24.com/fr/20131219-union-europeenne-ue-conseil-defense-mali-centrafrique-politique-securite-
commune-groupements-tactiques-battlegroups.
138 http://www.bruxelles2.eu/2013/12/13/battlegroup-pour-le-centrafrique-et-la-haute-representante-mis-le-hola/.
139 Voir cet article hallucinant du Daily Mail Online : http://www.dailymail.co.uk/news/article-3602683/Invasion-EU-
army-Worried-Euro-tanks-park-lawn-Minister-late-here.html#ixzz4AMRl8KfW.

74
referendum. En effet, l'argument retenu portait sur le constat que ce battlegroup s'entraînait sur le
territoire anglais en préparation de son astreinte, alors même qu'il était commandé par des...
Britanniques ! Quoi qu'il en soit, on peut être sûr que ce groupement tactique ne sera jamais déployé
en cas de crise dans les six prochains mois.

2) L'AED, une agence tardant à donner sa pleine mesure au concept européen de mutualisation
et de partage

Les 28 États membres de l'Union européenne occupent collectivement une flatteuse


deuxième place mondiale en terme de dépenses militaires 140. Pourtant, l'UE est très loin d'être la
deuxième puissance militaire du globe : la Russie, la Chine, voire même la Turquie ou Israël
disposent d'armées beaucoup mieux entraînées et équipées que la plupart des armées européennes.
De plus, les budgets de défense des pays européens ont diminué de 9% entre 2005 et 2014, alors
que la plupart des grandes puissances les ont augmentés de manière impressionnante (+97% pour la
Russie et +167% pour la Chine !141). Les États européens, qui ont très longtemps dominé le monde,
sont ainsi en voie d'être surclassé tant technologiquement (dépenses en recherches et
développement -R&D- insuffisantes, obsolescence du matériel) que numériquement (que pèsent les
200.000 militaires français seuls face à plus de 700.000 russes ou 2 millions de chinois ?). Outre le
fait de n'être que l'agrégation des armées nationales, l'UE en tant que puissance militaire, si tenté
qu'elle en soit une, souffre d'un manque d'interopérabilité et d'une évidente mauvaise utilisation du
peu de ressources financières dont elle dispose. En effet, alors qu'elle n'a qu'un accès restreint à
certaines technologies essentielles (drones, ravitailleurs en vol, porte-avions...), l'Europe duplique et
maintient des capacités obsolètes (lutte antichar héritée de la Guerre Froide...) en surabondance. De
plus, en 2013, plus de 80%142 des achats d'équipement des pays européens étaient effectués à titre
purement national, les privant d'importantes économies d'échelles potentielles. Ainsi, les
nombreuses firmes européennes du secteur militaire se font concurrence entre elles pour les miettes
du marché intérieur, quand ce ne sont pas des entreprises étrangères (le plus souvent américaines)
qui remportent les contrats, ce qui a l'effet néfaste de fragiliser la base industrielle et technologique
de défense (BITD) européenne.
Ce triste constat sur la situation militaire de l'Europe est d'autant plus désolant que l'UE
s'était saisie de ce dossier dès 2004 avec la création de l'Agence européenne de défense (AED),
placée sous la direction du Haut Représentant depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.

140 Voir graphique 1 en annexe 2.


141 Ibid.
142 Voir le graphique 2 en annexe 2.

75
L'AED est divisée en quatre divisions opérationnelles qui correspondent à ses fonctions principales,
à savoir la direction des capacités, la direction recherche et technologie, la direction de l'armement
et la direction de l'industrie et du marché. Mais dotée d'un budget de seulement 30 millions d'euros
pour 2015 et n'employant que 120 personnes, l'AED n'a pas les moyens des ambitions que lui
assignent l'article 45 du TUE143, c'est-à-dire « développer des programmes d'armement européens
en partant de l'indentification des capacités militaires nécessaires à l'Union européenne en passant
par l'organisation de l'industrie d'armement européenne et par la recherche commune de
défense »144. En conséquence, l'AED semble ne servir à rien puisque par exemple les
investissements européens en R&D dans le domaine de la défense ont baissé de près de 30% depuis
2006145. Le fonctionnement intergouvernemental de l'agence (les États participent à certains
programmes mis en place sur le principe du volontariat) est pointé du doigt pour expliquer ces
mauvais résultats. C'est pourquoi la Commission européenne a repris la main depuis quelques
années. En 2009, elle a pesé sur les États afin que les directives du « Paquet défense » soient
adoptées. Elles rendent plus transparent les marchés publics de la Défense. Néanmoins, ces
directives partaient du constat inexact que les entreprises européennes souffraient d'un manque de
compétitivité146, alors que le problème était plutôt à rechercher du côté de la demande, puisque les
seuls acheteurs sont les États membres ayant effectué de lourdes coupes budgétaires dans leur
budget. La Commission européenne a aussi mis sur pied un groupe ad-hoc composé de responsables
politiques, d'experts et de dirigeants d'entreprises, chargé d'émettre un avis sur la manière dont l'UE
peut soutenir les programmes de recherche en matière de défense, afin d'être la préfiguration d'un
futur programme de recherche spécifique dans le domaine de la défense au titre du prochain cadre
financier pluriannuel.
Devant l'inefficacité de l'AED et l'urgence de la situation due de la crise économique,
l'«initiative de Gand»147 germano-suédoise de 2010 a constitué une tentative intéressante de faire
progresser la coopération militaire européenne de manière concrète et mieux coordonnée. Cette

143 TUE, article 45-1 : « L'Agence européenne de défense, visée à l'article 42, paragraphe 3, et placée sous l'autorité
du Conseil, a pour mission : a) de contribuer à identifier les objectifs de capacités militaires des États membres et à
évaluer le respect des engagements de capacités souscrits par les États membres ; b) de promouvoir une
harmonisation des besoins opérationnels et l'adoption de méthodes d'acquisition performantes et compatibles ; c)
de proposer des projets multilatéraux pour remplir les objectifs en termes de capacités militaires et d'assurer la
coordination des programmes exécutés par les États membres et la gestion de programmes de coopération
spécifiques; d) de soutenir la recherche en matière de technologie de défense, de coordonner et de planifier des
activités de recherche conjointes et des études de solutions techniques répondant aux besoins opérationnels futurs;
e) de contribuer à identifier et, le cas échéant, de mettre en oeuvre, toute mesure utile pour renforcer la base
industrielle et technologique du secteur de la défense et pour améliorer l'efficacité des dépenses militaires ».
144 Jean-Pierre Maulny, Directeur-adjoint de l'IRIS : http://www.bruxelles2.eu/2016/05/09/lechec-de-lagence-
europeenne-de-defense-est-il-irremediable/.
145 Notes stratégiques de l'European Political Straegy Center, En défense de l'Europe, juin 2015.
146 Fondation Robert Schuman, Jean-Dominique Giuliani, La défense de l'Europe avant l'Europe de la défense, 2016.
147 Pooling and Sharing, German-Swedish initiative, Food for Thought, November 2010.

76
initiative introduit le concept de mutualisation et partage (pooling and sharing), repris plus tard par
l'OTAN sous le nom de smart defence. Ainsi la mise en commun des ressources, par le biais d'un
pool, ce qui est exactement le principe de l'EATC, permet une réduction quantitative capacitaire et
en principe des économies d'échelle. Le terme « capacitaire » (venant d'une « capacité ») revient
beaucoup lorsque l'on parle de la PSDC et surtout du pooling and sharing. Il désigne « un ensemble
cohérent composé d'hommes et d'équipements organisés, soutenus et entraînés, employés selon une
doctrine en vue d'une finalité opérationnelle principale » 148. Quant au partage, il doit aboutir à une
répartition des rôles en fonction de niches d'excellence. Si la mise en commun peut être considérée
comme une réponse aux contraintes budgétaires, le partage tend à une spécialisation des États
concernés. Dans ce cas, l'État qui se spécialise perd une partie de son savoir-faire parallèlement à
une perte capacitaire décidée ou subie. À l'échelle de l'UE, de telles pertes ne sont pas très
importantes car de nombreux pays n'ont de toutes façons pas les moyens de se payer une armée
complète pouvant intervenir dans tous les domaines, alors que si ils se spécialisent dans un domaine
(par exemple le déminage), ils peuvent devenir des références sur ce secteur. Ainsi, l'ensemble des
États membres ont adhéré au code de conduite européen sur la mutualisation et le partage en 2012,
en s'engageant à envisager systématiquement une possibilité de coopération dans la planification de
leur défense nationale. Dans ce cadre, l'AED a par la suite identifié des secteurs propices au partage
et à la mutualisation, après consultation des États-majors nationaux. Treize chantiers prioritaires ont
été retenus par les ministres de la défense de l'UE, parmi lesquels le projet phare des ravitailleurs en
vol MRTT, mais aussi le soutien médical, la formation ou la surveillance maritime. Il est encore trop
tôt pour constater les résultats de ces programmes, mais ce mode de définition de projet, partant des
États membres et étant coordonné et incubé par l'AED est toutefois prometteur.
Néanmoins, il faut aller plus loin pour permettre à l'AED d'avoir un véritable impact
permettant de revitaliser la BITD européenne tout en faisant faire des économies aux États. Pour le
moment, l'absence de coordination et de coopération conduit à une inefficacité des dépenses
militaires puisque « pour des dépenses de défense d'environ la moitié de celles des États-Unis, les
Européens n'obtiennent qu'un dixième de leur capacité »149. Ainsi, une fusion avec l'OCCAr est
souvent envisagée150 comme un préalable essentiel, puisque l'AED n'a qu'un rôle de préparation de
l'avenir, elle ne fait qu'impulser les programmes en coopération, qui sont ensuite confiés à des
entités de gestion comme l'OCCAr, ou des agences nationales d'acquisition. Cette fusion ne ferait
que formaliser les liens déjà étroits entre les deux organisations 151, et renforcerait la crédibilité de
148 Xavier de Torquat, Revue de Défense nationale, La maîtrise du temps, dernier rempart de la nation, avril 2011.
149 Notes stratégiques de l'European Political Straegy Center, En défense de l'Europe, juin 2015.
150 Rapport Danjean sur la PSDC (Parlement européen, 2012), rapport des eurodéputés du PPE (septembre 2013),
rapport d'information sur la relance de l'Europe de la Défense (Assemblée nationale, 2013)...
151 L'AED et l'OCCAr ont signé un important accord de partenariat le 27 juillet 2012, formalisant des relations qui

77
l'UE en matière d'industrie de défense. Il faut aussi prévoir des incitations réglementaires et
financières de nature à accroître les efforts communs dans le domaine de la défense, comme par
exemple l'exonération de la TVA pour les projets développés au sein de l'AED, ce qui devraient être
étendus aux projets transnationaux de coopération de défense. Enfin, le recours au « plan Juncker »
pour financer ces coopérations, par le moyen du Fonds européen pour les investissements
stratégiques et des instruments de la Banque européenne d'investissement, est également à l'étude
par la Commission européenne.

3) Le centre satellitaire de l'Union européenne, un outil essentiel sous dépendance étrangère

Initialement créé en 1993 dans le cadre de l'UEO, le Centre satellitaire de l'Union


européenne (CSUE) prend le statut d'agence de l'UE en 2002. Situé en Espagne, à 20km à l'Est de
Madrid sur la base aérienne de Torrejón de Ardoz, le CSUE emploie plus de 120 personnes (pour
moitié civiles, la plupart ayant un doctorat lié à l'espace) provenant d'une vingtaine d'États
membres. Il propose des formations en analyse d'image (renseignement géospatial, radar...) et
permet ainsi l'accès à la formation sur des technologies de pointe à tous les experts de l'Union, dont
ceux de petits États qui n'auraient pas pu disposer de ces outils sans coopération européenne.
Toutefois sa principale activité est de soutenir le processus de décision de l'UE dans le domaine de
la PESC/PSDC, notamment en contribuant au soutien des opérations civiles et militaires
européennes en temps quasi réel grâce à l'exploitation de différents types d'images, d'origine
spatiale, aérienne ou prises au sol. Il agit également dans le domaine de la prévention en facilitant
l'alerte rapide des risques de conflits armés ou de crises humanitaires et assure le suivi des situations
de crise, la vérification du respect des traités de désarmement et de non-prolifération, ou encore la
lutte contre le terrorisme et la criminalité. Il contribue ainsi incontestablement à l'autonomie
d'action stratégique et politique de l'UE. En tant qu'agence décentralisée de l'Union, le CSUE
effectue ses missions sous l'autorité du CoPS et du HR pour le compte du SEAE, de la Commission
européenne, des États membres, mais aussi pour des pays tiers ou des organisations internationales
(ONU, OTAN...). Son conseil d'administration, composé d'un membre de la Commission et d'un
représentant de chaque État membre, est chargé d'approuver le programme de travail annuel et le
budget de fonctionnement. Celui-ci est à la charge des États membres, en fonction de leur PIB par
habitant, les cinq plus gros contributeurs étant par ordre décroissant l'Allemagne (2,5 millions
d'euros), la France (2 millions d'euros), l'Italie, la Grande-Bretagne et l'Espagne, pour un budget
total de 12,3 millions d'euros en 2013152.
existaient déjà de facto.
152 Assemblée nationale, Commission des affaires européennes, Rapport d'information sur la relance de l'Europe de la

78
Une partie de ce budget (2 millions d'euros) lui permet notamment d'acquérir sa matière
première, à savoir les images satellitaires. En effet, le CSUE n'est pas un centre de renseignement
complet, doté de ses propres satellites et capteurs : ce n'est qu'un centre d'imagerie. La seule
solution est alors d'acheter des images auprès de sociétés commerciales (Astrium, Digital Globe,
Geoeye, E-Geos...), ou de solliciter les systèmes nationaux des pays de l'UE (Hélios 2, Cosmo
Skymed, Sar Lupe). Par conséquent 80 à 90 % des images acquises par le CSUE sont américaines,
ce qui rend cette agence européenne fortement dépendante des États-Unis et de leur technologie de
pointe, qui en plus progresse extrêmement vite. Malgré la volonté du centre d'acheter plus d'images
européennes, ces dernières restent moins performantes (les images sont moins précises et il y a
beaucoup moins de satellites disponibles, même après le lancement du satellite européen Pléiade) et
plus onéreuses. Enfin, le prix des images commerciales étant également élevé, le centre doit se
restreindre à quelques images par jour, trop souvent des images d'archives et de qualité moyenne,
puisque son budget reste lui aussi très limité. Malgré des qualités indéniables, le centre satellitaire
de l'UE fonctionne principalement grâce à de la technologie américaine, payée par des fonds
européens. Une nouvelle fois l'Union semble dépendante des États-Unis pour sa défense, ce qui
réduit considérablement son autonomie stratégique et ainsi toute volonté d'émancipation.
Consciente de ce problème, l'Europe travaille à acquérir une capacité militaire d'observation
complète, avec l'envoi de satellites, conforme aux exigences du renseignement. Dans cet esprit, le
programme MUSIS (Multinational Space-based Imaging System for surveillance, reconnaissance
and observation) a été initié en 2008 par sept partenaires européens associés 153 comprenant trois
nations maîtres d'œuvre (France, Italie et Allemagne). À la différence du programme GALILEO,
dont les applications seront essentiellement civiles, MUSIS vise à remettre en question le monopole
américain sur le secteur grâce à leur système GPS. Il succèdera à terme aux systèmes d'observation
spatiaux optique HELIOS II et Pléiades ainsi qu'aux capacités d'observation radar de nos partenaires
européens (Cosmo-Skymed italien et SAR-Lupe allemand) qui, dans le cadre du programme
d'observation spatiale ORFEO (accord d'échange de capacités) permet les échanges d'images
satellitaires de renseignement. La conduite de ce programme très fédérateur a été confiée à
l'OCCAr, même si l'AED est étroitement associée au projet, notamment pour assurer le lien avec
l'Union européenne. La réalisation de ce projet, qui a déjà accumulé quelques retards, permettra de
renforcer l'autonomie européenne dans le secteur clé du renseignement.

défense, avril 2013, page 86.


153 France, Allemagne, Belgique, Espagne, Grèce, Italie et Pologne.

79
La PSDC qui repose essentiellement sur des organes intergouvernementaux pour ce qui est
de la prise de décision, est donc très souvent soumise aux blocages inhérents à cette méthode, où les
égoïsmes nationaux voire les idéologies peuvent tuer dans l’œuf la plus consensuelle des missions
humanitaires. De plus, l'Union européenne a l'interdiction de financer les missions militaires de la
PSDC. Ainsi, les États qui sont volontaires pour fournir des troupes ou du matériel sont doublement
pénalisés, puisqu'ils subissent à la fois les coûts et les coups de l'opération. Pourtant l'Europe ne
manque pas d'outils pour assurer sa défense : les groupements tactiques, l'AED ou le CSUE n'en
sont que des exemples parmi d'autres. L'Union européenne doit donc se réformer ou inventer de
nouveaux outils, plus flexibles et efficaces, au risque de « sortir de l'Histoire »154.

Section 3 : Des solutions pour permettre à l'Europe de faire face aux


crises sécuritaires qui la menacent

Le nouveau contexte européen (I) doit impérativement conduire à des réformes immédiates
de la PSDC (II) afin de protéger efficacement les Européens des crises qui les menacent.

I) Un nouveau contexte européen incertain

Le monde et l'Europe en particulier vivent une période difficile et incertaine, marquée par
une multitude de crises, tant économiques et sociales que politiques et sécuritaires. C'est pourquoi
l'Union européenne s'est décidée à définir une nouvelle stratégie européenne de sécurité (1), treize
ans après la celle de Javier Solana, afin de préciser ses nouvelles priorités et ses moyens d'action.
Par ailleurs, le Brexit s'avère également une opportunité à saisir pour concevoir des politiques plus
intégrées (2).

1) La nouvelle stratégie européenne : la précision de la vision sécuritaire de l'UE ?

La publication le 28 juin 2016 de la tant attendue nouvelle stratégie européenne de sécurité,


appelée « EU Global Strategy, Shared Vision, Common Action : A Stronger Europe » s'est
télescopée avec le vote sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Plus de deux ans de
travail, effectué en totale concertation avec les États membres, les institutions européennes et ses
principaux partenaires (États-Unis, OTAN...) ont ainsi semblé être gâchées par un simple vote.
Pourtant, c'est dans ce contexte difficile, qu'une réelle et ambitieuse stratégie européenne de sécurité
154 Avertissement du Premier ministre français Manuel Valls lors du forum de Davos en janvier 2016.

80
est plus que jamais nécessaire. Tout d'avoir, il convient de rappeler encore une fois la multitude de
crises qui touchent l'Union européenne. En dehors de la défiance des peuples et de l'inertie des
institutions, c'est la dégradation du contexte sécuritaire, tant à l'intérieur des frontières européennes
que dans son voisinage proche, qui interpelle le plus. L'Union doit d'abord combattre le terrorisme
sur son sol, sans perdre son identité et dans le respect de ses valeurs fondamentales comme la
démocratie ou l'État de droit. Les nombreux attentats qui ont touchés plusieurs pays européens
(France, Belgique, Allemagne, Danemark...) sont d'autant plus choquants qu'ils ont été perpétrés par
des enfants de l'Union européenne, nés en son sein, dans des pays qui figurent parmi les plus
développés du monde. La question du retour des plus de 5.000 djihadistes européens partis en Syrie,
en Irak ou en Libye est également un sujet crucial puisque ceux-ci utilisent les flux de migrants et
les possibilités offertes par la libre circulation de personnes et l'espace Schengen pour se déplacer
sur tout le territoire européen. Outre la menace terroriste qui correspond à des attentes au niveau de
la sécurité, le domaine de la défense ne doit pas non plus être oublié. Le retour de la Russie, de plus
en plus imprévisible, à une attitude belliciste sur fond de confrontation armée en Ukraine a fait
apparaître que la résurgence de conflits armés en Europe n'est plus une hypothèse improbable mais
nécessite de reconsidérer le système de défense des pays européens. Le voisinage sud de l'Europe se
trouve également en profonde déstabilisation par les suites des « Printemps arabes » notamment
dans les pays de la rive méridionale de la Méditerranée, avec des conflits ouverts en Syrie et en
Libye, foyers du terrorisme, ouvrant la voie à une immigration massive incontrôlée et à des trafics
en tout genre. En Afrique la situation doit être surveillée de près pour ne pas laisser se propager les
zones de non-droit (bande sahélo-saharienne, lac Tchad, Corne de l'Afrique) qui constituent aussi
des refuges pour le terrorisme (Boko Haram, AQMI...). Au niveau plus stratégique, le repli
américain de l'Europe pour effectuer son pivot vers l'Asie tend à remettre sévèrement en question ce
qui reste de domination européenne et occidentale dans le monde actuel. La montée en puissance de
la Chine qui s'accompagne de nouvelles tensions avec ses voisins notamment au sujet de la Mer de
Chine, et de rivalités avec les autres grandes puissances mondiales, ne devra également être suivie
attentivement par l'Union européenne au risque de ne plus peser sur les grands événements
mondiaux. À tous ces dangers s'ajoutent les guerres secrètes menées dans le cyberespace 155 (avec la
Russie, la Chine mais aussi les organisations terroristes comme principaux adversaires) ou encore
les risques de conflits potentiels dus aux conséquences des dérèglements climatiques et de la
difficulté d'accès aux ressources naturelles essentielles (eau, hydrocarbures, métaux rares). Ainsi,
les Européens ne peuvent s'exempter de la responsabilité de penser leur besoin de défense dans ce
contexte incertain qui est celui du XXIème siècle.

155 Reuters, Top German spy says Berlin under attack from other states, 18 novembre 2014.

81
Mais est-ce que la « Stratégie globale européenne » répond à ces défis ? Est-elle plus à
même que celle de 2003 à donner à l'Union une réelle doctrine stratégique et d'emploi de force ?
Tout d'abord il convient de noter que le document établi sous la direction de Federica Mogherini est
long de 60 pages, contre seulement 15 pour celui de Javier Solona, ce qui tend à faire penser qu'il
est beaucoup plus précis et exhaustif. En introduction, il est dit que le terme de « global », présent
dans le titre, ne devait pas seulement se comprendre dans un sens géographique, mais aussi en
raison du large domaine de politiques et d'instruments que la stratégie promeut. Ainsi, bien que l'UE
soit « fière » de se considérer comme un soft power, d'autant plus qu'elle est « la meilleure dans ce
domaine », elle ne doit pas oublier la force, afin que soft et hard power travaillent main dans la
main. Cinq priorités sont au cœur de l'action européenne : la sécurité de l'Union (face aux menaces
hybrides comme l'instabilité économique, le changement climatique, le terrorisme et l'insécurité
énergétique), la résilience des États et des sociétés du voisinage Est et Sud (il est même dit que
l'Union a appris les leçons du passé concernant la PEV : « la faiblesse de mon voisinage ou de mon
partenaire est ma propre faiblesse »), une approche intégrée des conflits (approche globale,
combinaise de hard et de soft power), des ordres régionaux de coopération (les sources et les
solutions aux conflits sont avant tout locales) et la gouvernance mondiale du XXIème siècle
(respect du droit international, rôle de l'ONU). Pour réaliser ses objectifs, l'Union se devra d'être
« crédible », « réactive » tout en agissant dans « la concertation ».
On pourrait croire que peu de choses ont changé dans la stratégie européenne : elle place
toujours le droit international, l'approche globale ou le multilatéralisme comme des principes
essentiels à son action. Pourtant, ce serait négliger les progrès effectués. En effet, les grands
principes de l'Union, qui agirait dans un monde allant de mieux en mieux pour préserver la paix, ont
cédé la place à un « pragmatisme de principe », faisant dire à certains156 qu'on assistait à un retour
de la realpolitik en Europe. L'importance de la démocratie semble moins importante, ou en tout
n'est plus un sacro-saint principe à respecter pour recevoir l'aide de l'Europe. En effet, comment ne
pas aider l'Égypte, premier rempart du terrorisme et pôle de stabilité entre l'Afrique et le Moyen-
Orient, au prétexte que son gouvernement soit militariste et non-démocratique ? Par conséquent
l'UE semble avoir pris conscience de ses limites, et appris de ses erreurs : malgré des aides au
développement colossales ou la PEV, véritable politique européenne en elle-même bénéficiant de
l'appui d'un commissaire dédié, le voisinage européen a sombré dans le chaos au Sud et à l'Est. Il ne
suffit donc plus d'agir sur les États voisins grâce au seul recours du support financier, il faut aussi
être prêt à intervenir militairement lorsque des États faillis menacent directement l'Europe, comme
la Libye qui est la porte d'entrée des nombreux migrants s'échouant sur les côtes italiennes. La

156 Sven Biscop, The EU Global Strategy : Realpolitk with European Characteristics, Security Policy Brief, juin 2016.

82
nouvelle stratégie insiste aussi sur l'autonomie stratégique de l'Union européenne, même si l'OTAN
et les États-Unis reste ses principaux partenaires en matière de sécurité et de défense, en prévoyant
que l'Union puisse agir de manière autonome ou en coopération selon les circonstances. De plus,
cette autonomie stratégique doit se fonder sur les engagements présents dans les traités à travers les
clauses de solidarité157 et d'assistance mutuelle158 entre les États membres, qui sont la préfiguration
d'une défense européenne commune en cas d'agression.
Cette nouvelle stratégie a plutôt été bien accueillie par l'ensemble des acteurs et
commentateurs159, même si elle n'a malheureusement reçu aucune couverture médiatique
d'importance. Elle va également servir de base à la relance de la construction européenne et de la
PSDC, appelée par tous à la suite du Brexit et pour faire face au contexte sécuritaire actuel. Dans
tous les cas, la « Stratégie globale européenne » est le premier pas nécessaire préfigurant la mise en
œuvre de mesures ambitieuses pour rendre la PESC/PSDC plus intégrée et plus ambitieuse, et par
conséquent plus à même de relever les défis d'aujourd'hui et de demain.

2) Le Brexit : une vraie opportunité pour la relance de la défense européenne

Le référendum sur le maintien ou la sortie du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne a


abouti à la surprise générale sur un « Brexit » sans appel le vendredi 24 juin 2016, alors que les
derniers sondages indiquaient exactement l'inverse. Ce séisme politique menace la cohésion et
l'avenir de l'Union européenne, et de ses 27 autres États membres, touchés par ricochet. Pour le
157 TFUE, article 222 : « 1. L'Union et ses États membres agissent conjointement dans un esprit de solidarité si un
État membre est l'objet d'une attaque terroriste ou la victime d'une catastrophe naturelle ou d'origine humaine.
L'Union mobilise tous les instruments à sa disposition, y compris les moyens militaires mis à sa disposition par les
États membres, pour : a) - prévenir la menace terroriste sur le territoire des États membres; - protéger les
institutions démocratiques et la population civile d'une éventuelle attaque terroriste; - porter assistance à un État
membre sur son territoire, à la demande de ses autorités politiques, dans le cas d'une attaque terroriste; b) porter
assistance à un État membre sur son territoire, à la demande de ses autorités politiques, en cas de catastrophe
naturelle ou d'origine humaine. 2. Si un État membre est l'objet d'une attaque terroriste ou la victime d'une
catastrophe naturelle ou d'origine humaine, les autres États membres lui portent assistance à la demande de ses
autorités politiques. À cette fin, les États membres se coordonnent au sein du Conseil. 3. Les modalités de mise en
œuvre par l'Union de la présente clause de solidarité sont définies par une décision adoptée par le Conseil, sur
proposition conjointe de la Commission et du haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la
politique de sécurité. Lorsque cette décision a des implications dans le domaine de la défense, le Conseil statue
conformément à l'article 31, paragraphe 1, du traité sur l'Union européenne. Le Parlement européen est informé.
Dans le cadre du présent paragraphe, et sans préjudice de l'article 240, le Conseil est assisté par le comité
politique et de sécurité, avec le soutien des structures développées dans le cadre de la politique de sécurité et de
défense commune, et par le comité visé à l'article 71, qui lui présentent, le cas échéant, des avis conjoints. 4. Afin de
permettre à l'Union et à ses États membres d'agir d'une manière efficace, le Conseil européen procède à une
évaluation régulière des menaces auxquelles l'Union est confrontée ».
158 TUE, article 42-7 : « Au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres
États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la
charte des Nations Unies. Cela n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de
certains États membres ».
159 Elle a notamment reçu le soutien de Javier Solana : https://www.project-syndicate.org/commentary/european-
global-strategy-foreign-security-policy-by-javier-solana-2016-07.

83
Royaume-Uni d'abord, les incertitudes sont multiples : impréparation totale des dirigeants politiques
britanniques ayant fait campagne pour le Brexit (et qui ont mené une campagne particulièrement
démagogique et mensongère) ce qui fait que personne ne sait quand le pays activera l'article 50 160,
possibilités de sécession en Écosse voire en Irlande du Nord (qui eux ont voté « Remain »), tensions
avec certains partenaires européens (l'Irlande qui échange beaucoup avec Londres se sent lésée, la
France à la faveur d'une alternance pourrait dénoncer les accords du Touquet qui fixent la frontière
britannique à Calais, à l'entrée du tunnel sous la Manche...), tout cela débouchant sur des
turbulences économiques majeures et la chute du cours de la livre sterling. L'Europe quant à elle est
tétanisée devant la possibilité d'un effet domino au vue de l'immense niveau de mécontentement à
travers le continent, symbolisé par la forte poussée des partis populistes europhobes (AfD, FN,
FPÖ...) qui ravivent les souvenirs lointains des années 1930. La perte de l'un des premiers
contributeurs nets à son budget, et de l'un des États les plus peuplés lui est aussi préjudiciable. De
plus, les principaux dirigeants européens hésitent à agir dès maintenant, seulement un an avant des
élections nationales cruciales en France, aux Pays-Bas et en Allemagne. Bref, l'Union européenne
préfère prendre son temps, et attendre que la situation se décante un peu d'elle même, ce qui est une
option très optimiste : la réalité pencherait plutôt vers la paralysie totale due à la peur et aux
incertitudes économiques et électorales...
Devant ce tableau qui n'envisage rien de bon pour l'Europe dans son ensemble (et pas
seulement l'UE), comment espérer que le Brexit débouche sur du positif pour la construction
européenne et la PSDC en particulier ? D'abord, partons du postulat que le Royaume-Uni va
effectivement sortir de l'Union européenne dans les trois ou quatre années à venir (certains
observateurs avaient suggéré que Londres pourrait ne jamais invoquer l'article 50), ne laissant plus
que 27 États membres. Cette perte, pourtant minime au niveau comptable, va néanmoins faciliter la
prise de décision dans les organes intergouvernementaux européens. En effet, le Royaume-Uni était
devenu un spécialiste du blocage de certaines politiques communes, s'opposant à tout transfert de
souveraineté vers Bruxelles, et négociant habillement plusieurs statuts d'exception (options de
retrait posées par Londres sur l'espace Schengen ; l'espace de liberté, sécurité et justice ; la Charte
des droits fondamentaux ; et l'union économique et monétaire) et autres diminutions de sa
contribution au budget européen (le fameux rabais britannique). Concernant la PSDC, l'Union perd
sa seule autre grande armée d'envergure capable d'intervenir à l'étranger (en dehors de la France),

160 L'article 50 du TUE prévoit que tout État peut décider de sortir de l'UE. Pour cela il doit notifier son intention de
le faire en invoquant cet article. À partir de cette notification, une période de 2 ans de négociations s'ouvre entre le
pays et l'UE. Ce n'est qu'à la fin de ce processus que le pays en question est officiellement sorti de l'Union. Dans le
cas du Royaume-Uni, toute la question est de savoir quand l'article 50 sera activé. Les plus optimistes envisagent le
milieu de l'année prochaine (2017).

84
bien que sa contribution aux missions européennes fut plus que limitée161, mais elle perd aussi et
surtout un farouche opposant à la défense de l'Europe par l'Europe ! En effet, le départ du
Royaume-Uni signifie d'abord la fin du pouvoir d'influence des États-Unis sur les politiques
européennes grâce au « cheval de Troie »162 qu'était Londres, même s'ils leur restent de nombreux
supporters, de moindre envergure, sur le continent. On pense d'abord aux pays de l'Est, et en
premier lieu la Pologne, ou le Danemark, ce dernier n'étant pas concerné par la PSDC puisqu'il
dispose d'une option de retrait sur cette politique. Ainsi les pays européens tenant d'une ligne
atlantiste, opposés à une logique intégratrice de la PSDC par peur qu'elle puisse un jour
concurrencer l'OTAN, se retrouvent sans chef, et leurs opposants mécaniquement renforcés.
À l'heure où les questions de sécurité et de défense reviennent au centre des préoccupations
des peuples européens et de leurs dirigeants 163, le départ du Royaume-Uni apparaît alors comme une
opportunité unique à saisir ! Plusieurs mesures nécessaires au développement de la PSDC, comme
la création d'un quartier général opérationnel unique, étaient en effet bloquées depuis des années par
les Britanniques. Des propositions concrètes concernant le financement des opérations de la PSDC,
l'extension du plan d'investissement pour l'Europe (aussi appelé « plan Juncker ») à la remise à
niveau des armées, ou le renforcement des frontières extérieures de l'Union sont attendues pour la
prochaine réunion du Conseil européen prévue à Bratislava le 16 septembre 2016. Par conséquent la
défense de l'Europe va sans doute redevenir un thème essentiel dans les années qui viennent, et pas
seulement l'Europe de la Défense.
La France se retrouve ainsi à la fois renforcée (elle est maintenant le leader incontesté dans
l'Union sur les questions militaires) et isolée (même parfois bien différente, Londres avait le mérite
d'avoir une vraie vision stratégique) du fait de cette situation. Elle devra tirer partie du Brexit en
mettant en avant sa position pour la défense de l'Europe au sein des instances européennes, mais
devra aussi compenser son isolement par un travail de coopération plus important avec de plus
petits pays, mais qui partagent la même ligne politique. On pense en particulier à la Belgique ou
l'Italie. Elle devra aussi convaincre l'Allemagne et son opinion publique de la nécessité de progrès
dans la politique de défense européenne, même si certains parlementaires plaident déjà pour la
création d'une armée européenne164. Ces défis devront impérativement être surmontés si l'on veut
que l'Europe, en tant que construction politique, puisse survivre au contexte de polycrises 165 actuel.

161 À savoir EUFOR Tchad RCA (2008), EUMM Georgia (2008), EUNAVFOR Atalanta, EUFOR RCA (2014), et
EUTM Somalia.
162 Selon l'expression employée par le général de Gaulle, qui s'était toujours opposé à l'entrée du Royaume-Uni au
sein de la CEE, notamment à cause des liens jugés trop étroits entre Londres et Washington.
163 Les Échos, Europe : la sécurité, priorité de la relance post-Brexit, 17 août 2016.
164 Voir l'article de l'Opinion disponible ici : http://www.lopinion.fr/edition/international/armee-europeenne-retour-
102131.
165 Terme mis en avant par le Président Jean-Claude Juncker pour expliquer les défis qui menacent l'UE.

85
Même si rien de sera facile, le Brexit apparaît donc comme une opportunité pour la PSDC de
s'approfondir voire de se révolutionner, afin que l'Europe soit enfin à la hauteur de l'Histoire et de
son rang dans le monde.

II) Des réformes à mettre en œuvre immédiatement pour sauver l'Europe


politique

Une situation internationale extérieure à l'Europe (guerre en Syrie, crise en Ukraine...) autant
qu'une situation interne délitée (terrorisme, rejet de l'Union européenne) appellent les dirigeants
européens à prendre des mesures immédiates afin de montrer que l'Europe est capable de surmonter
ses divisions pour aller à l'essentiel. Dans le domaine de la défense, cela passera d'abord par le
lancement d'une Coopération structurée permanente avec les États les plus volontaires (1). Mais il
faudra également engager des réformes ambitieuses, comme la rationalisation des organes
européens en charge de la PSDC (2) ou la création d'un quartier général permanent (3).
L'élaboration d'un Livre blanc européen de la défense et de la sécurité serait également le bienvenu
pour préciser la stratégie européenne sur ces questions (4). Enfin, une fois ces mesures préalables
prises, il sera peut-être temps d'envisager la création d'une véritable défense européenne commune
(5), appelée par certains responsables politiques.

1) Lancer la Coopération structurée permanente avec les États les plus volontaires

Lorsqu'on appelle de manière incantatoire à la fameuse « relance de l'Europe de la


Défense », on a l'impression qu'il faudrait transformer en profondeur l'Union européenne et ses
traités pour ne serait-ce qu'avancer d'un petit pas. Pourtant cette impression est totalement fausse
puisque lesdits traités prévoient déjà un grand nombre d'outils qui seraient principe, s'ils étaient
utilisés correctement ou activés, suffisants pour construire une défense européenne plus intégrée. La
Coopération structurée permanente (CSP) doit être considérée comme étant l'outil le plus
intéressant. Trouvant ses origines dans le Traité établissant une Constitution pour l'Europe, la CSP
aurait dû être, avec l'AED et la clause de défense collective, la préfiguration d'une défense
européenne par l'Union européenne. Malheureusement, à la suite du rejet du traité, ces instruments
ont été dilués dans le Traité de Lisbonne, et ont quelque peu perdu de leur poids initial. Déjà, il faut
préciser que la CSP n'est pas une coopération renforcée (celles-ci sont prévues à l'article 329 du
TFUE), puisqu'elle agit uniquement dans le domaine de la défense, et que ses modalités d'activation
sont différentes. En effet, neuf États doivent solliciter la coopération renforcée et la décision

86
d'autorisation, dans ce cadre, doit être adoptée à l'unanimité du Conseil européen. Or la CSP, selon
l'article 46 du TUE, et le protocole n°10 annexé au TFUE, peut être activée rapidement car aucun
nombre minimal d'États participants n'est nécessaire (il en faut au moins deux), et que la décision
d'approbation du Conseil est obtenue à la majorité qualifiée 166, et non à l'unanimité, ce qui est une
exception notoire dans les questions de défense au sein de l'UE. Tout d'abord, il est rappelé dans
l'introduction du protocole n°10 du TFUE que la PESC est fondée « sur la réalisation d'un degré
toujours croissant de convergence des actions des États membres », ce qui impliquera pour ces
derniers « des efforts dans le domaine des capacités » afin de renforcer la PSDC pour que l'Union
« soit capable d'assumer pleinement les responsabilités qui lui incombent au sein de la
communauté internationale ». L'article 42-6 du TUE prévoit que « les États membres qui
remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus
contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes, établissent une coopération
structurée permanente dans le cadre de l'Union ». L'emploi du présent de l'indicatif semble
supposer que la CSP doit avoir un caractère automatique. Il s'agit en réalité d'une formulation
héritée du traité constitutionnel, qui aurait rendu la CSP obligatoire afin de servir de préalable à la
défense européenne commune ou « Schengen de la défense »167. Pour participer à la CSP, il suffit
d'en notifier le Conseil168, tandis que les conditions impératives 169 auxquelles doivent souscrire ses
futurs membres relèvent plus de leur bonne volonté plutôt que de véritables conditions d'adhésion.
Ainsi, « la lecture croisée des articles 42 et 46 du TUE et du Protocole additionnel conduit à
comprendre que le critère d'entrée est, en fait, l'accroissement de l'effort consenti par les États
membres pour le développement de leurs contributions nationales en faveur de la PSDC et non
l'augmentation nette de leur budget de défense » d'après les rapporteurs de l'Assemblée nationale.
Une fois la CSP créée, ses membres deviennent autonomes par rapport aux autres États de l'Union :

166 TUE, article 46-2 : « Dans un délai de trois mois suivant la notification visée au paragraphe 1, le Conseil adopte
une décision établissant la coopération structurée permanente et fixant la liste des États membres participants. Le
Conseil statue à la majorité qualifiée, après consultation du haut représentant ».
167 Assemblée nationale, Commission des affaires européennes, Rapport d'information sur la relance de l'Europe de la
défense, avril 2013, page 90.
168 TUE, article 46-1 : « Les États membres souhaitant participer à la coopération structurée permanente visée à
l'article 42, paragraphe 6, qui remplissent les critères et souscrivent aux engagements en matière de capacités
militaires repris au protocole sur la coopération structurée permanente, notifient leur intention au Conseil et au
haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ».
169 TFUE, protocole n°10 : « Les États souhaitant participer à la CSP s'engagent : a) à procéder plus intensivement
au développement de ses capacités de défense, par le développement de ses contributions nationales et la
participation, le cas échéant, à des forces multinationales, aux principaux programmes européens d'équipement et à
l'activité de l'Agence dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, de l'acquisition
et de l'armement (l'Agence européenne de défense), et b) à avoir la capacité de fournir, au plus tard en 2010, soit à
titre national, soit comme composante de groupes multinationaux de forces, des unités de combat ciblées pour les
missions envisagées, configurées sur le plan tactique comme un groupement tactique, avec les éléments de soutien,
y compris le transport et la logistique, capables d'entreprendre, dans un délai de 5 à 30 jours, des missions visées à
l'article 43 du traité sur l'Union européenne, en particulier pour répondre à des demandes de l'Organisation des
Nations unies, et soutenables pour une période initiale de 30 jours, prorogeable jusqu'au moins 120 jours ».

87
ces derniers ne peuvent pas s'opposer aux décisions prises dans le cadre de la CSP, et ces décisions
n'engagent que les membres de celle-ci. Il appartiendra ensuite aux États membres participants de
décider eux-mêmes du rythme auquel ils souhaitent s'engager et des domaines de leur coopération.
Ils pourront au départ élaborer une liste de projets concrets et déterminer la profondeur de
l'intégration militaire, le degré de solidarité, l'interprétation à donner aux critères de participation
fixés par les traités.
Par conséquent, l'UE dispose déjà des moyens nécessaires pour passer de la mosaïque
actuelle de coopérations militaires bilatérales et multilatérales à des formes plus efficientes
d'intégration en matière de défense, sans pour autant demander des efforts financiers insurmontables
aux États membres, ni nécessiter une révision des traités. D'après l'article 2 du protocole170, les États
membres de la CSP s'engagent dans tous les cas à coopérer entre eux afin d'atteindre les objectifs
d'investissement qu'ils se sont fixés, en mettant en œuvre la mutualisation et le partage, en
renforçant l'interopérabilité de leurs forces, en comblant leurs lacunes capacitaires et en participant
aux programmes de l'AED. Mais les idées de premiers projets permettant à la CSP d'aller encore
plus loin ne manquent pas. Afin de combler progressivement les déficits de capacités de l'UE, la
CSP pourrait par exemple porter sur un commandement médical européen intégré ou la mise en
commun de services de logistique et de transport, afin de prolonger le concept réussi de l'EATC. Un
semestre européen de la défense pourrait également avoir lieu, afin de coordonner au mieux les
investissements et de rapprocher les marchés publics nationaux de défense.
On serait tenté de se demander à quoi sert la CSP puisque les engagements qu'elle implique
peuvent être faits à tout moment par le biais d'accords bilatéraux ou multilatéraux, et ce d'une
manière beaucoup plus souple. Sa mise en œuvre serait avant tout un fort signal politique montrant
que l'UE est prête à s'unir pour sa défense. Ainsi, certains proposent 171 qu'il faudrait d'abord

170 TFUE, protocole n°10, article 2 : « Les États membres qui participent à la coopération structurée permanente
s'engagent, pour atteindre les objectifs visés à l'article 1er :
- a) à coopérer, dès l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en vue d'atteindre des objectifs agréés concernant le
niveau des dépenses d'investissement en matière d'équipements de défense, et à réexaminer régulièrement ces
objectifs à la lumière de l'environnement de sécurité et des responsabilités internationales de l'Union;
- b) à rapprocher, dans la mesure du possible, leurs outils de défense, notamment en harmonisant l'identification des
besoins militaires, en mettant en commun et, le cas échéant, en spécialisant leurs moyens et capacités de défense,
ainsi qu'en encourageant la coopération dans les domaines de la formation et de la logistique;
- c) à prendre des mesures concrètes pour renforcer la disponibilité, l'interopérabilité, la flexibilité et la capacité de
déploiement de leurs forces, notamment en identifiant des objectifs communs en matière de projection de forces, y
compris en réexaminant, éventuellement, leurs procédures de décision nationales;
- d) à coopérer afin de s'assurer qu'ils prennent les mesures nécessaires pour combler, y compris par des approches
multinationales et sans préjudice des engagements les concernant au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique
Nord, les lacunes constatées dans le cadre du «Mécanisme de développement des capacités»;
- e) à participer, le cas échéant, au développement de programmes communs ou européens d'équipements majeurs dans
le cadre de l'Agence européenne de défense ».
171 Frédéric Mauro, La Coopération structurée permanente : la belle au bois dormant de la défense européenne, Note
d'analyse du GRIP, 2015.

88
« oublier l'acronyme incompréhensible de CSP et lui préférer des mots que tous les citoyens
puissent comprendre : l'Union européenne de défense » afin de symboliquement marquer le coup.
Conséquemment la CSP ne sera pas la fin des coopérations de défense, aujourd’hui très fragmentées
en Europe, mais elle introduira une plus grande ambition politique et un processus d'intégration
progressif qui pourra être le premier pas vers l'instauration de nouvelles capacités de défense au sein
de l'Union européenne. En conclusion, on peut dire que la CSP est un outil très simple à mettre en
œuvre, puisqu'il ne nécessite que la volonté d'un noyau dur d'États membres plus volontaires que les
autres. À la suite du Brexit, plusieurs dirigeants politiques, dont le Chef de l'État français, ont
appelé à la création d'un « Schengen de la défense » ; peut-être allons-nous assister ainsi au
lancement de la CSP que tous les rapports sur la PSDC appellent à mettre en application 172 depuis
des années.

2) Rationaliser les institutions en charge de la PSDC

La PSDC souffre de plusieurs maux. S'il est difficile pour l'Union européenne, en tant
qu'organisation politique, de contraindre les États membres à l'unanimité ou à changer les traités,
elle peut en revanche se réformer en interne beaucoup plus facilement. Ainsi, l'une des tâches
prioritaires pour le Haut Représentant serait de réorganiser ses services, afin de les rendre plus
lisibles et plus efficaces. Néanmoins, cette première étape semble insuffisante, en raison des
changements institutionnels importants qu'il faudrait pour véritablement donner tout le poids
nécessaire à la PESC/PSDC dans les institutions de l'Union européenne.
Avant toute chose, il faut rappeler que la création du SEAE en dehors de la Commission
européenne, alors que celle-ci assure la représentation extérieure de l'Union, sauf dans les domaines
de la PESC, a créé quelques complications. Il y a en effet certaines directions générales de la
Commission qui traitent de domaines dans lesquels le HR a son mot à dire, et qui sont peu
enthousiastes à l'idée de travailler avec le SEAE 173. On peut penser aux DG Coopération
internationale et développement (DEVCO), Protection civile et opérations d'aide humanitaire
européenne (ECHO), Voisinage et négociations d'élargissement (NEAR), le Service des instruments
de politique étrangère (FPI), voire la DG Commerce. Bien que le HR, également Vice-Président de
la Commission, ait pour mission de coordonner la politique étrangère de l'Union, et que cette
dernière ait pris des mesures174 pour faciliter les relations avec son nouveau partenaire institutionnel,
172 Rapport Danjean sur la PSDC (Parlement européen, 2012), rapport des eurodéputés du PPE (septembre 2013),
rapport d'information sur la relance de l'Europe de la Défense (Assemblée nationale, 2013)...
173 Niklas Helwig, Paul Ivan et Hrant Kostanyan, CEPS, The new EU Foreign Policy Architecture – Reviewing the
first two years of the EEAS, 2013.
174 Commission européenne, Vademecum on Working Relations with the European External Action Service (EEAS),

89
il peut encore y avoir de temps à autre de la friture sur la ligne entre ces deux services. Une
clarification des structures relevant du vaste champ de la politique étrangère européenne est donc
nécessaire, afin de donner plus de moyens et donc de poids politique au Haut Représentant, ce qui
renforcera par la même occasion la position de l'UE sur la scène internationale.
Mais pour aller plus loin dans le renforcement du rôle du Haut Représentant, afin de lui
donner l'entière responsabilité de la politique étrangère de l'Union, il serait souhaitable de placer
sous sa responsabilité certaines missions attribuées à d'autres commissaires européens, comme le
suggère Pascal Lamy175, lui-même ancien commissaire européen et ancien dirigeant de
l'Organisation mondiale du commerce. Ainsi le HR pourrait récupérer la partie « politique
européenne de voisinage » du portefeuille du Commissaire Johannes Hahn, chargé également des
négociations d'élargissement, ainsi que les attributions du Commissaire Neven Mimica (coopération
internationale et développement). Le principal objectif de cette réorganisation serait de placer sous
l'administration du SEAE tous les services de la Commission et du Conseil traitant de ces sujets. En
effet, ces politiques font partie du soft power utilisé par la diplomatie européenne pour atteindre ses
objectifs dans le monde, et mériteraient une meilleure coordination sous la tutelle directe du chef de
la politique étrangère et de son administration. Le problème d'une telle réforme réside dans la
concentration de compétences du Haut Représentant doté d'un portefeuille extrêmement large,
rendant difficile un véritable suivi politique de toutes ces questions. Une solution possible serait
alors la création d'un poste de Commissaire européen à la Défense (et à la Sécurité des frontières
extérieures?), placé sous la direction du HR, et bénéficiant lui aussi de l'administration du SEAE et
à tous ses organes (EMUE...). Politiquement, cette nouveauté serait un pas de géant, puisque la
Défense n'est pas une compétence première de la Commission, même si les peuples réclament plus
d'actions dans ce domaine176. Pourtant, un commissaire chargé de cette question pourrait plus
efficacement coordonner les initiatives de mutualisation et de partage, ainsi que les grands projets
de l'industrie de défense, pilotés par l'AED (qui aurait elle-même fusionnée avec l'OCCAr), ce qui
ne semble pas être une mauvaise idée vu la marge de progrès pouvant être faite dans ce domaine.

3) Créer un quartier général d'opération permanent pour l'Union européenne

Depuis son lancement, la PSDC a permis l'envoi de nombreuses missions hors des frontières
de l'Union européenne. La possibilité de combiner moyens militaires et civiles, hard et soft power,

2011, SEC(2011)1636.
175 Interview par Daniela Vincenti pour EurActiv de Pascal Lamy lors du Trilogue Salzbourg 2016 de la Fondation
Bertelsmann.
176 72% des Européens sont en faveur de la PSDC selon l'Eurobaromètre 81 visible sur le graphique 2 en annexe 2.

90
et l'expérience de l'Union dans les missions de formation, d'aide humanitaire ou de state building est
sa grande plus-value par rapport aux autres organisations internationales. Pourtant l'UE souffre d'un
déficit stratégique lourd à ce niveau : elle ne dispose toujours pas d'un quartier général d'opération
(OHQ pour Operational Headquarters) permanent, chargé de conduire les opérations militaires, et
de les coordonner avec les missions civiles.
Un quartier général d'opération a une rôle stratégique et de soutien : il gère les finances, les
questions juridiques, organisationnelles... Il ne conduit pas les opérations sur le terrain, ce qui est
fait par un quartier général de force (FHQ), situé au plus près de la zone d'intervention. Le OHQ
doit au contraire donner les lignes directrices au FHQ, et lui fournir tout ce dont il a besoin pour
accomplir la mission qui lui a été assignée. En réalité, le OHQ est le cerveau d'une opération, en
retrait du terrain mais contrôlant tout, alors que le FHQ est le système nerveux qui transmet les
ordres au plus près de la zone d'opération. L'absence d'une telle structure au sein de l'Union
européenne est d'autant plus troublante qu'il existe un organe similaire pour la conduite des
missions civiles : il s'agit de la Capacité civile de planification et de conduite (CPCC), créée en août
2007. Elle est placée sous le contrôle politique et la direction stratégique du CoPS, et sous l'autorité
générale du Haut Représentant. Son rôle est de planifier, déployer, conduire et contrôler les
missions civiles de gestion de crises relevant de la PSDC, parmi lesquelles on peut citer EULEX
Kosovo ou EUPOL Afghanistan. Sans un véritable quartier général d'opération, impossible de
coordonner les deux aspects (civiles et militaires) de l'approche globale européenne. Une tentative
de réponse a été trouvée avec le centre d'opérations de l'UE (EU Operation Centre : OPCEN) activé
en mars 2012, pour coordonner les trois missions européennes dans la Corne de l'Afrique (EUTM
Somalie, NAVFOR Atalante et EUCAP HoA). Hébergé par l’État-major de l'Union européenne
(EMUE) qui en assurera le soutien, l'OPCEN est placé sous la direction politique et stratégique du
CoPS et sous le contrôle militaire du Comité militaire. Néanmoins sa mission est limitée dans le
temps, circonscrite à une zone géographique, et son staff ne comprend que 17 personnes 177, ce qui
limite grandement son impact.
Ce manque dans l'architecture institutionnelle européenne, pourtant bien fournie, est ciblé
depuis longtemps. Dans une lettre commune adressée à la Haute Représentante Catherine Asthon le
6 décembre 2010, les pays du Triangle de Weimar demandaient déjà la création d'un quartier
général européen. Par la suite, un rapport de Lady Asthon, a plaidé pour la mise en application de
cette proposition, du fait des déficiences du système actuel, marqué par un manque de cohérence
entre les niveaux politiques et militaires qui affecte la capacité d'approche globale et entraîne des
retards dans le processus décisionnel. Cette proposition faisait même quasiment consensus avant le

177 Rapport Védrine, 2012, page 16.

91
refus catégorique et sans surprise des Britanniques 178, qui considéraient que la création d'un OHQ
européen serait aller trop loin vers l'intégration militaire, et que celui-ci ferait doublon avec
SHAPE, le quartier général de l'OTAN situé à Mons en Belgique. Or l'argument anglais du doublon
ne tient pas, puisque pour conduire ses opérations militaires, l'Union européenne a fait labelliser
non pas un, mais cinq quartiers généraux d'opérations en Europe, sauf que ceux-ci sont répartis
entre plusieurs pays membres et n'ont donc pas la même portée symbolique ! On trouve ainsi
Northwood au Royaume-Uni (notamment pour conduire l'opération Atalante), la forteresse du Mont
Valérien en France (opération Artémis en 2003, EUFOR Tchad/RCA entre 2007 et 2009), Rome
(EUNAVFOR Med aussi appelée Sophia), Larissa en Grèce (EUFOR RCA 2014) et Potsdam en
Allemagne (EUFOR Congo). De plus, à la suite des accords de « Berlin Plus », l'UE peut également
se servir du SHAPE pour conduire ses opérations en coordination avec l'OTAN.
La phase de glaciation qu'a connu la PSDC depuis l'intervention franco-britannique en Libye
doit prendre fin au plus vite au vu du contexte de polycrises auquel est soumis l'Union européenne
depuis quelques années, et la recrudescence des conflits dans son voisinage proche, en particulier à
l'Est et sur le pourtour méditerranéen. La création d'un OHQ apparaît plus que jamais comme une
nécessité, tant opérationnelle que symbolique, afin de montrer au monde que l'Europe n'est pas
morte et qu'elle peut prendre en charge la sécurité de son voisinage. Ce centre de commandement
devrait ainsi remplacer les cinq OHQ nationaux, sources d'un gaspillage de ressources humaines,
matérielles et budgétaires. Bruxelles semble le lieu idéal pour sa future implantation, à cause de la
proximité du SEAE, des autres institutions européennes et du SHAPE, même si Strasbourg est
parfois citée. Quoi qu'il en soit, la création d'un quartier général permanent est vivement demandée
par de nombreux think tanks, gouvernements et parlementaires179 dans toutes l'Europe depuis des
années, mais le Brexit pourra enfin permettre qu'il voit le jour. En effet, la création d'un OHQ fait
partie des propositions les plus récurrentes faites par les dirigeants européens180 pour relancer
l'Europe de la Défense et l'intégration politique européenne, dans le but de satisfaire des citoyens
inquiets pour leur sécurité et devant la faiblesse géopolitique du continent. La future réunion du
Conseil européen prévue le 16 septembre 2016 devrait rapidement apporter des réponses à
l'éventuelle création de ce quartier général d'opération permanent.

178 Le Figaro, Londres enterre le projet de QG militaire européen, 18/07/2011.


179 Rapport Danjean sur la PSDC (Parlement européen, 2012), rapport des eurodéputés du PPE (septembre 2013),
rapport d'information sur la relance de l'Europe de la Défense (Assemblée nationale, 2013)...
180 La Ministre de la Défense allemande, Ursula von der Leyen a proposé la création d'un QG européen civilo-
militaire lors de la conférence de presse présentant un rapport sur la politique de sécurité allemande, le 13 juillet
2016. Cette proposition est également celle de la France depuis des années (voir la lettre du Triangle de Weimar de
2010).

92
4) Réaliser un Livre blanc européen de la défense et de la sécurité

L'expression « Livre blanc » revient très régulièrement lorsque l'on étudie les questions de
Défense, notamment en France. Le terme, d'origine anglaise, désigne en général « des rapports
officiels, de périodicité variable, dressant un bilan de la situation géostratégique, faisant état des
ressources disponibles et en développement et indiquant les missions des forces armées nationales.
Parfois ce document s'accompagne d'indications sur les axes de développement pour l'avenir. Un
livre blanc ne constitue pas un ouvrage doctrinal au sens opérationnel du terme. En revanche,
comme il expose dans leurs grandes lignes les buts stratégiques du gouvernement et la conception
du rôle des forces armées, on en fait parfois le manifeste déclaratoire de la doctrine stratégique
nationale »181. En d'autres mots, un Livre blanc est un document de référence qui fait l'inventaire
des ressources à disposition, définit les besoins, et fixe les orientations stratégiques à long terme.
Son rôle est également d'informer les citoyens sur les politiques menées, dans un soucis de
transparence.
En France, le concept de Livre blanc est particulièrement rattaché à la défense nationale. Le
pays en a élaboré quatre dans son histoire (1972, 1994, 2008 et 2013), mais c'est surtout le premier
qui est resté dans les mémoires182, puisqu'il a conceptualisé l'indépendance stratégique nucléaire
française voulue par le général de Gaulle. Celui de 2013 a été fait à la demande de François
Hollande, peu de temps après son élection à la présidence de la République. Il est d'ailleurs
intéressant de noter que deux partenaires étrangers ont été associés à sa rédaction : Peter Ricketts,
l'ambassadeur du Royaume-Uni en France, et le docteur Wolfgang Ischinger, président de la
Conférence de Munich pour les politiques de sécurité 183. De nombreux autres pays européens
comme le Royaume-Uni, l'Allemagne ou plus récemment la Pologne, utilisent aussi ce genre de
document pour mettre sur papier leurs stratégies militaires et géopolitiques.
Devant une telle application de cet outil au sein des membres de l'Union européenne, la
question peut se poser d'utiliser la même technique pour préciser sa stratégie de sécurité sur les
questions militaires. En effet, combien de déclarations politiques ont depuis des années promis plus
d'intégration européenne dans le futur ? Pour quels résultats ? On ne compte même plus le nombre
de fois qu'un politique français a dit vouloir « relancer l'Europe de la Défense » ! C'est pourquoi un
Livre Blanc européen, acte des plus concrets, définissant une stratégie générale de sécurité avec des
objectifs clairs à atteindre en termes de capacités, est nécessaire pour véritablement réaliser les
181 François Géré, Dictionnaire de la pensée stratégique, 2000, page 159.
182 Michel Debré, fidèle parmi les fidèles du Général et père de la Vème République, alors Ministre de la Défense sous
Georges Pompidou, était en charge de sa rédaction.
183 Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, annexes, Composition de la commission du Livre blanc, page
153.

93
ambitions communes sur les questions de défense et de sécurité. Pour arriver à un consensus
favorable à sa rédaction, il faudra que « les décideurs politiques européens [prennent] conscience
de la réalité des intérêts partagés et du caractère inéluctable de la dépendance mutuelle en matière
de défense »184. Ce Livre blanc devra construire une convergence stratégique autour de plusieurs
sujets comme le changement de la position stratégique de l'UE dans le monde, la nature de la
transformation du lien de dépendance envers les États-Unis et son corollaire l'OTAN, la répartition
des tâches entre les États membres (spécialisation), ou encore le rôle des forces armées dans la
réponse aux risques et menaces.

5) Mettre sur pied une véritable défense commune

Une fois toutes les mesures énumérées plus tôt définitivement mises en œuvre, la création
d'une véritable défense européenne peut se concevoir. En effet, ces premiers pas auront commencé à
créer peu à peu une culture stratégique commune, plus d'interopérabilité, plus de déploiement en
commun et aussi plus de solidarité dans la conduite des opérations de protection du continent
européen. Cette défense commune ne correspondra jamais une armée supranationale, portant
seulement le drapeau de l'UE. Cette idée n'est même pas à l'ordre des fantasmes dans l'état actuel
des choses, si tenté que ce soit une solution viable. Ainsi, en aucun cas une armée commune signifie
l'abandon total des forces armées nationales, ce qui serait massivement rejeté par la population et
les États membres. Une armée commune s'entend plutôt comme la mise en commun pour un temps
donné d'une partie des forces et des ressources nationales au service de l'Union européenne comme
cela est déjà le cas pour les groupements tactiques, mais à une échelle bien plus grande, et en ayant
résolu les problèmes de financement. De plus, des initiatives de mutualisation et de partage
équivalentes à celle de l'EATC pourraient être généralisées dans certains secteurs où l'Union a des
trous capacitaires (drones, ravitailleurs en vol, structures médicales...). Ces équipements pourraient
être développés et achetés en commun par un groupe d'États membres, gardés sur une plateforme
commune et mis à la disposition de l'UE en cas de besoin.
Cette défense commune se basera légalement sur l'article 42-2 du TUE qui prévoit que la
« politique de sécurité et de défense commune inclut la définition progressive d'une politique de
défense commune de l'Union » et que celle-ci « conduira à une défense commune, dès lors que le
Conseil européen, statuant à l'unanimité, en aura décidé ainsi ». Ainsi, la clause d'assistance
mutuelle prévue à l'article 42-7 pourra s'entendre clairement comme une obligation pour les États
membres de porter militairement assistance à un autre pays membre attaqué, à l'instar de l'article 5

184 Olivier de France et Nick Witney, Europe’s Strategic Cacophony, Policy Brief, ECFR, avril 2013.

94
du Traité de l'OTAN. Afin de créer un esprit de corps européen dans la Défense, et de faciliter les
interopérabilités, il est impératif de développer les échanges entre les armées, par exemple en
faisant monter en puissance l'initiative européenne pour les jeunes officiers 185, appelée aussi
« Erasmus militaire » ou en multipliant les formations en commun, comme l'École franco-
allemande de formation des équipages d'hélicoptères Tigre.
Aussi, de plus en plus de dirigeants politiques européens plaident pour la création d'une
armée européenne commune, sans pour autant définir clairement ses contours. Ainsi, outre le
Président Juncker, qui y est depuis longtemps favorable, cette idée est également reprise en Europe
centrale, notamment par le Premier ministre tchèque Bohuslav Sobotka qui l'a évoquée lors de la
dernière réunion des ambassadeurs du pays à Prague 186. Pour autant une armée européenne n'a pas
que des partisans. Jens Stoltenberg, le Secrétaire général de l'OTAN, est, par exemple, contre ce
qu'il considère être un doublon « inefficace »187.

Des solutions simples à mettre en œuvre existent pour relancer, ou plutôt véritablement
lancer le volet PSDC de l'Europe de la Défense. Ces mesures doivent impérativement être prise au
plus vite afin de contrer le contexte européen actuel, entre défiance intérieure (Brexit, montée des
populismes) et menaces extérieures (Russie, terrorisme...). La nouvelle stratégie européenne de
sécurité est le premier pas visant à préciser la doctrine de l'action extérieure de l'Union européenne,
mais les États membres doivent maintenant prendre la main et assurer collectivement la défense de
l'Europe. Rien ne peut se faire sans leur volonté politique. Les traités prévoient déjà certains outils,
comme la CSP, alors que d'autres peuvent être mis en place très rapidement (quartier général
européen). L'addition de ces diverses mesures peut conduire à moyen terme à l'établissement d'une
défense européenne par l'Union européenne. Elle serait en mesure de rassurer les peuples, qui
demandent à l'Europe de plus les protéger. Le sommet de Bratislava prévu le 16 septembre 2016
apportera peut être quelques unes des solutions citées.
La PSDC est, aujourd'hui, à l'arrêt, bloquée au milieu du guet. Plusieurs facteurs expliquent
cette situation. Longtemps les Européens se sont faits piéger par un sentiment de sécurité, les
conduisant à moins s'intéresser aux questions de défense. Puis la crise économique est arrivée à

185 Voir le site internet de l'initiative : http://www.emilyo.eu/.


186 Radio Prague : http://www.radio.cz/fr/rubrique/infos/le-premier-ministre-en-faveur-dune-armee-europeenne-
commune.
187 Article sur le site de Russia Today : https://francais.rt.com/lemonde/1014-lidee-lue-creer-propre-armee.

95
point nommé comme un prétexte facile pour diminuer encore plus les budgets militaires en Europe.
L'Union européenne, secouée par la crise des dettes souveraines, s'est donc aussi désintéressée de
ces questions. Les égoïsmes nationaux et les divergences stratégiques et idéologiques ont achevé la
PSDC, pourtant vigoureuse les premières années après son lancement. De plus, le problème de son
financement, équivalent à une remise en cause du principe de solidarité entre les États membres, est
un défi majeur pour sa relance. Cependant, des solutions existent, et les pays européens ont enfin
pris conscience que leur déficience stratégique collective pouvait conduire à l'explosion de l'Union
européenne, plus par le fait d'un écroulement interne (sécessions en série dans le style du Brexit à la
suite d'une montée des partis europhobes, réclamant plus de sécurité notamment) que d'une réelle
menace extérieure (la crise des réfugiés ou les menaces terroristes en elles-mêmes ne peuvent pas
mettre à genoux des États aussi développés et résilients que sont les États européens). Dans ce
contexte, la France, leader en Europe dans le domaine de la défense, aura un rôle primordial à jouer
au sein de l'Union européenne. Le départ de son meilleur ennemi, le Royaume-Uni, peut sans aucun
doute lui permettre de peser plus au sein des institutions européennes, et d'imposer son rêve
d'Europe puissance à ses partenaires.

Conclusion :

L'Europe de la Défense arrive en cette année 2016 à un véritable tournant dans son histoire.
Le retrait progressif des États-Unis du continent européen, symbolisé par leur « pivot vers l'Asie »,
va forcer les Européens à prendre en charge leur sécurité et leur défense, au moment où les menaces
qui pèsent sur leur sécurité sont réelles et sans aucun doute durables. L'urgence de s'allier pour
continuer à avoir un rôle dans la communauté internationale se traduit aussi au niveau
démographique : les Européens ne représenteront plus que 6% de la population mondiale en 2050,
contre 20% au début du XVIIIème siècle.
La France est au cœur de l'Europe de la Défense, et est à l'origine de la création de la PSDC.
En tant que poids lourd militaire européen, c'est l'armée qui dispose de la plus grande expérience
dans les interventions armées récentes, surtout sur les théâtres africains (Mali, Centrafrique) ou du
Moyen-Orient (Liban, Syrie et Irak). Elle participe aussi à de nombreuses coopérations militaires en
Europe, nouant de forts liens bilatéraux avec ses principaux partenaires que sont l'Allemagne et le
Royaume-Uni, et occupant un rôle cadre dans de nombreuses structures ad-hoc comme l'EATC,

96
l'Eurocorps ou l'OCCAr. Depuis son retour dans le commandement intégré de l'OTAN, la France
s'est définitivement réconciliée avec l'Alliance atlantique, même si elle ne participe pas au Groupe
des plans nucléaires, gardant toute son autonomie au niveau de sa dissuasion atomique. Cette
décision porte la marque du pragmatisme : devant l'inertie de la défense européenne, le retour au
sein de l'OTAN est une nécessité tant politique que pratique. La France a en effet toujours défendu
l'idée d'une « Europe puissance », alliée des États-Unis sans pour autant en être dépendante. Ce
concept, considéré par beaucoup comme une tentative de l'Hexagone de transformer l'UE en une
France en plus grand, n'a jamais vu le jour à cause de multiples oppositions. La vision d'une
« Europe marché », portée par le Royaume-Uni a ainsi longtemps prédominé, réduisant la
construction européenne à un empilage de normes favorisant l'exercice d'une prétendue concurrence
saine et parfaite au sein du marché unique unissant les États membres. La décision du peuple
britannique de quitter l'Union européenne laisse donc les partisans de cette ligne atlantiste et
libérale affaiblis en Europe. Cette lourde perte pour l'Union doit pourtant se transformer en une
opportunité unique pour surmonter les blocages de la PSDC. La France a donc un rôle déterminant
à jouer dans le futur, renforcé par le fait qu'elle n'a jamais renoncé à ses ambitions de puissance
mondiale, malgré ses difficultés économiques. Pour le général de Villiers, le Chef d'État-major des
Armées françaises, il faudrait que le budget de la défense passe des 32,7 milliards prévus en 2017 à
41 milliards d'euros dès 2020, soit de 1,78% du PIB, pensions comprises, à 2% 188, pour que la
France puisse continuer à pouvoir tenir le rythme de ses nombreuses interventions extérieures. Ces
dernières ont peut-être eu des manqués par le passé (l'intervention franco-britannique en Libye a
notamment eu des conséquences désastreuses pour l'Europe de la Défense 189, et l'absence de
stratégie de sortie de crise a conduit à la situation actuelle), mais quelle aurait été la situation au
Mali ou en Centrafrique sans ses interventions rapides qui ont mis fin à la progression du terrorisme
ou à l'arrêt de massacres ? C'est bien l'absence d'interventionnisme européen sur les questions de
sécurité et de défense qui a permis à des groupes terroristes de prendre pied au sein d'États faillis, et
non pas un trop plein d'engagement. Et la France se retrouve bien seule pour assumer cette charge
en Europe.
Le chemin conduisant vers une défense européenne a déjà été long et sinueux 190, et risque de
l'être encore à l'avenir. La politique de défense et de sécurité de l'Union européenne, la PSDC, reste
largement inadaptée pour faire face aux menaces, malgré des dizaines de missions lancées en son
nom depuis 2003, dont plusieurs toujours en cours 191. Ainsi, de nombreux problèmes structurels
188 Le Monde, Armées : la bataille du budget est lancée, jeudi 8 septembre 2016.
189 Voir Julien Flagothier, L'intervention militaire en Libye et ses implications pour l'Europe de la défense, Institut
royal supérieur de défense, 2012.
190 Voir le graphique 4 en annexe 2.
191 Pour plus d'informations, voir Delphine Deschaux-Dutard, Les opérations de paix conduites par les organisations

97
existent : l'architecture des organes opérant dans le champs de la PESC/PSDC est trop complexe 192
et l'intergouvernementalisme bloque le processus de décision. Certains États européens n'ont pas de
culture interventionniste, et sont très réticents à toutes interventions militaires périlleuses en dehors
du continent, alors que celles-ci sont parfois nécessaires pour le protéger. Le couple PESC/PSDC
doit donc surmonter ses dysfonctionnements pour doter l'UE des capacités stratégiques qui lui font
actuellement cruellement défaut. Le Haut Représentant et le SEAE doivent continuer à prendre leur
autonomie, et participer au nom de l'Union européenne aux règlements des problèmes
internationaux (nucléaire iranien, Syrie). Les outils de la PSDC tels que les groupements tactiques,
l'AED ou le centre satellitaire de l'UE doivent être mieux utilisés. Tous les États européens ont une
part du fardeau de la défense européenne à prendre. Des groupements régionaux tels que la
coopération nordique en matière de défense (NORDEFCO) ou le groupe de Visegrád ont en outre
été mis en place pour favoriser une plus grande collaboration entre les États membres concernés. À
travers et en dépit de ces initiatives, la coopération européenne en matière de défense reste une
mosaïque d'accords bilatéraux et multilatéraux : c'est ce qui correspond à l'Europe de la Défense. À
terme, la PSDC devra harmoniser ces initiatives multiples, afin de réduire les coûts (mutualisation
et partage) et de gagner en efficacité et en force de frappe. La spécialisation des États européens sur
des niches d'excellence peut être une chance pour un bon nombre d'entre eux, qui ne disposent
actuellement que de forces armées trop peu nombreuses et mal équipées pour être réellement utiles
à la collectivité. Enfin, environ 7 Européens sur 10 se déclarent favorables à une politique de
sécurité et de défense commune193, ce qui veut dire qu'en matière de sécurité, l'Europe connaît
aujourd'hui une forte demande, et une offre faible. Toutes les enquêtes d'opinions 194 de ces derniers
mois montrent aussi que la sécurité est une des préoccupations principales des Européens, et qu'à
leurs yeux, l'Union européenne n'agit pas assez. Contrairement à ce que l'on pense, les peuples ne
demandent pas moins d'Europe, mais une Europe plus efficace, une Europe que les protège, tant
économiquement que dans le domaine de la sécurité.
La prise de conscience à été lente. En 2014, Jean-Claude Juncker avait rappelé que « même
les plus grandes puissances pacifiques ne peuvent faire l'impasse sur des capacités de défense
intégrées »195. Même au moment où j'ai commencé à travailler sur un sujet de mémoire, en mai
2016, je ne me doutais pas que le sujet de la défense européenne, que j'estimais pourtant central,
ferait la une de l'actualité en septembre 2016, au moment où mon travail devra être terminé. En
effet, le Brexit et l'attentat terroriste de Nice ont secoué le paysage politique et sécuritaire en
régionales euro-atlantiques en 2014-2015, Psei, avril 2016.
192 Voir le graphique 8 en annexe 2.
193 Voir le graphique 5 en annexe 2.
194 Voir l'article d'Euractiv : https://www.euractiv.fr/section/all/news/bratislava-summit-to-focus-on-security/.
195 Discours de Jean-Claude Juncker au Parlement européen de juillet 2014 sur les orientations politiques de l'UE.

98
Europe, alors que la crise des réfugiés n'a toujours pas trouvé d'issue, et que la situation est toujours
aussi chaotique en Syrie ou en Libye. Ce contexte aura finalement décidé les dirigeants européens à
agir. Au niveau de la sécurité, l'agence FRONTEX va être renforcée avec la création du corps
européen de garde-frontières et de garde-côtes, doté de nouveaux moyens 196. Son but principal sera
de mieux surveiller les frontières extérieures de l'Union européenne et de soulager les pays en
première ligne comme la Grèce, l'Italie ou la Bulgarie. Dans le domaine de la défense, un plan
ambitieux197, rédigé par Federica Mogherini et visant à pousser les coopérations militaires en
Europe, a été présenté le 14 septembre 2016 par Jean-Claude Junker lors de son discours sur l'état
de l'Union. Il a ensuite été discuté par les dirigeants européens le 16 septembre lors du conseil
européen informel (sans le Royaume-Uni) de Bratislava, après avoir été largement approuvé par les
ministres des Affaires étrangères de l'Union lors d'une réunion préparatoire, malgré quelques
réserves émises par la Pologne et la Slovaquie. Cette initiative prévoit notamment la création d'un
commandement unifié pour les opérations militaires européennes, le déploiement des groupements
tactiques, ou des investissements communs dans la défense même s'il écarte l'idée d'une armée
européenne dans les prochaines décennies. La France et l'Allemagne ont quant à elles signifié
vouloir lancer la CSP198 afin de mettre en œuvre certaines de ces initiatives, qui devront remplir les
objectifs fixés par la Stratégie globale européenne. En définitive, « dans un monde qui garde sa
part westphalienne, le rôle des États demeure central. Mais l'Union européenne offre un cadre et un
outil irremplaçables. Il faut marcher sur deux jambes, à la fois renforcer et utiliser davantage le
cadre et les outils européens, et mobiliser les États européens, pour agir en commun sur
l'environnement international »199.

z
196 Sergio Carrera et Leonhard den Hertorg, A European Border and Cost Guard : Fit for purpose ?, CEPS
Commentary, février 2016.
197 Le Monde, Bruxelles veut pousser la coopération militaire et technologique dans l'UE, 8 septembre 2016.
198 Bulletin Quotidien n°10940 du mardi 13 septembre 2016.
199 Maxime Lefebvre, La politique étrangère européenne, PUF « Que sais-je ? », 2016.

99
Bibliographie sélective :
Articles
– Becker, S., Germany and War: Understanding Strategic Culture under the Merkel
Government, IRSEM Paris Papers-9, 2014.
– Biscop, Sven, The EU Global Stategy: Realpolitk with European Characteristics, Security
Policy Brief n°75, juin 2016
– Charillon, Frédéric et Ramel, Frédéric, Action extérieure et défense : L'influence
française à Bruxelles, Cahiers de l'IRSEM, janvier 2010
– Colard, Daniel, Le nouvel environnement international et l’Europe de la défense, Arès,
n°54, volume XXI – fascicule 2, janvier 2005
– Deschaux-Dutard, Delphine, Les opérations de paix conduites par les organisations
régionales euro-atlantiques en 2014-2015, Psei, avril 2016
– Dumoulin, André, La fin de l'UEO et l'avenir de l'interparlementarisme, Revue de Défense
nationale, 2011
– Flagothier, Julien, L'intervention militaire en Libye et ses implications pour l'Europe de la
défense, Institut royal supérieur de défense, 2012
– de France, Olivier et Witney, Nick, Europe’s Strategic Cacophony, Policy Brief, ECFR,
avril 2013
– Helwig, Niklas, Ivan, Paul et Kostanyan, Hrant, CEPS, The new EU Foreign Policy
Architecture – Reviewing the first two years of the EEAS, 2013
– Howorth, Jolyon, Decision-making in Security and Defence Policy : Toward Supranational
Intergovernmentalism ?, 2011
– Hyde-Price, Adrian, Normative power in Europe : a realist critique, in Journal of European
Public Policy, 2006
– Guilani, Jean-Dominique, Fondation Robert Schuman, La défense de l'Europe avant
l'Europe de la Défense, Questions d'Europe n°377, janvier 2016
– Kunz, Barbara, Defending Europe? A Stocktating of French and German vision for
European Defence, Études de l'IRSEM n°41, septembre 2015
– Lewis, Irving, L'Union européenne comme acteur international vingt ans après Maastricht :
le SEAE et le défi d'une diplomatie cohérente et efficace, 2013
– Mauro, Frédéric, La Coopération structurée permanente, la belle au bois dormant de la
défense européenne, Note d'analyse de GRIP, mai 2015
– Pannier, Alice, La politique de défense britannique en 2013 : une posture incertaine, Fiche

100
de l'IRSEM n°29, mai 2013
– Ruggie, J.G, Multilateralism : The Anatomy of an Institution, International Organization,
vol. 46, n° 3, été 1992
– Stanley-Lockman, Zoe and Wolf, Katarina, European Defence Spending 2015: The Force
Awakens, European Union Institute for Security Studies, 2016
– Thym, Daniel, The Intergovernmental Constitution of the EU's Foreign, Security and
Defence Executive, 2011
– de Torquat, Xavier, Revue de Défense nationale, La maîtrise du temps, dernier rempart de
la nation, avril 2011

Documents officiels
– Union européenne, Traité sur l'Union Européenne
– Union européenne, Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne
– Union européenne sous la direction de Javier Solana, Stratégie européenne de sécurité,
Une Europe sûre dans un monde meilleur, décembre 2003
– Union européenne, Rapport sur la mise en œuvre de la stratégie européenne de sécurité :
Assurer la sécurité dans un monde en mutation, décembre 2008
– Union européenne sous la direction de Federica Mogherini, EU Global Strategy, Shared
Vision, Common Action: A Stronger Europe, juin 2016
– Parlement européen, Commission des affaires étrangères, Rapport sur la mise en œuvre de
la PSDC, (rapport Danjean), octobre 2012
– Parlement européen, European Parliamentary Research Service, Public opinion and EU
policies, Exploring the expectation gap, juillet 2016
– Assemblée nationale, Commission des affaires européennes, Rapport d'information sur la
relance de l'Europe de la défense, avril 2013
– Assemblée nationale, Commission de la défense nationale et des forces armées, Rapport sur
la relance de l'Europe de la défense, avril 2013
– Hubert Védrine, Rapport pour le Président de la République sur les conséquences du retour
de la France dans le commandement intégré de l'OTAN, sur l'avenir de la relation
transatlantique et les perspectives de l'Europe de la défense, (Rapport Védrine), novembre
2012
– Commission sur la réalisation du Livre blanc sous la direction de Jean-Marie
Guéhenno, Livre blanc, Défense et Sécurité nationale, 2013

101
Annexe 1 : Entretien avec Madame Patricia ADAM, Présidente de la
commission Défense nationale et forces armées de l'Assemblée nationale
(réalisé le vendredi 10 juin 2016 au 33 rue Saint Dominique à Paris)

– Quel est le rôle de la commission Défense nationale et forces armées ?

Le rôle de cette commission parlementaire est avant tout un rôle de contrôle des politiques
menées. En effet, contrairement à ce qui se passe chez beaucoup de nos voisins européens (et en
particulier l'Allemagne), les parlementaires français n'ont aucun pouvoir décisionnel sur le
lancement d'une opération militaire, la Vème République en ayant fait le domaine exclusif du Chef
de l'État, qui est aussi le Chef des Armées. Il n'existe d'ailleurs aucune revendication des
parlementaires sur une remise en cause de ce principe, qui fait quasiment l'unanimité.
Le gros du travail de la commission s'effectue donc au moment de l'élaboration du budget (cela
prend 2 mois plein uniquement consacrés à ce sujet), ou des Lois de Programmation Militaire
(LPM) et des rectifications ultérieures qui leur sont apportées. La commission possède également
d'un pouvoir d'audition et de contrôle sur pièce, et certains députés bénéficient d'un niveau élevé
d'habilitation secret défense. Les auditions qui sont effectuées par la commission peuvent être
publiques ou à huis clos, mais une retranscription est toujours disponible en ligne sur le site de
l'Assemblée, afin de satisfaire un principe de transparence. Dans leur travail, les membres de la
commission sont également amenés à rencontrer les lobbies, notamment industriels. La commission
effectue aussi des missions et des rapports d'information sur des opérations militaires en cours, ou
des sujets spécifiques. Le prochain rapport portera sur les opérations européennes en cours en
Méditerranée, qui luttent contre le trafic d'êtres humains et d'armes.

– Quelle est la taille de l'équipe à votre disposition au sein de la commission ?

Mon équipe se compose essentiellement de 3 personnes dont un conseiller militaire détaché


du Ministère de la Défense. Sa présence est due à la particularité française d'avoir une dissuasion
nucléaire, sujet le plus sensible de la Nation. En 2012 lors de mon élection à la tête de cette
commission, j'ai choisi un conseiller avec un profil très porté sur l'opérationnel, ce qui vu les
circonstances, a été un choix plutôt judicieux ! La commission bénéficient également du travail de 5
administrateurs de l'Assemblée nationale, qui travaillent à plein temps avec nous. Ce sont les petites
mains de l'Assemblée, ceux qui ont les connaissances techniques nécessaires pour aider les députés
à l'élaboration de la loi.

– Y-a-t-il encore une volonté politique pour une Europe de la Défense en France ?

Lors de mon arrivée en 2012, la relance de la PSDC et plus largement d'une véritable Europe
de la Défense était une priorité pour moi, et également au plus au niveau de l'État. Au niveau de la
commission, j'ai souhaité que l'on s'ouvre davantage aux polonais et aux allemands. Ces derniers
étaient d'ailleurs très content du départ de Sarkozy, qui les avaient négligés au profit des
britanniques. Il y avait donc une forte volonté de notre part, ainsi que beaucoup d'attentes.

102
– Pourtant, de l'extérieur on a plutôt l'impression que l'Europe de la Défense n'avance
pas !

L'Europe de la Défense, c'est à dire la coopération militaire, capacitaire, industrielle... entre


pays européens fonctionne de moyennement à très bien selon les sujets. En revanche, la PSDC est
complètement bloquée. Aujourd'hui c'est même une coquille vide. Comme je vous l'ai dit, les
attentes françaises étaient grandes, mais nos partenaires se sont avérés très décevants, et je dis cela
avec le plus d'objectivité possible. Les Allemands ont traîné les pieds contre toute avancée de la
PSDC, surtout lorsqu'il s'agissait de lui donner plus de moyens. La France a des revendications,
notamment sur le mécanisme Athéna que l'on trouve peu satisfaisant, mais les Allemands s'opposent
à tout changement qui pourrait les conduire à financer des OPEX françaises en Afrique. Les
Polonais étaient des partenaires avec qui on avançait énormément, ils étaient d'ailleurs revenus de
leur position traditionnelle très tournée vers les États-Unis. Malheureusement le changement de
majorité qu'il y a eu récemment a complètement cassé cette dynamique. Les relations entre les deux
pays sont désormais exécrables, à tel point que l'on se parle quasiment plus de manière officielle.
M. Le Drian n'a pas digéré le revirement polonais sur certains contrats d'armement qui avaient été
signés, qu'il a même qualifié « d'actes inamicaux », ce qui est extrêmement grave en langage
diplomatique !
Il y a donc un réal désenchantement pour la PSDC au sein des institutions françaises. C'est donc par
pragmatisme que nous privilégions maintenant le bilatéral et le cadre de l'OTAN, organisation
d'expérience qui fonctionne parfaitement pour tout ce qui est du domaine opérationnel.
Malheureusement, l'UE est toujours le cadre le plus approprié pour mener certains types d'actions,
qui nécessitent des instruments civiles et militaires, ainsi que de l'aide financière.

– Y-a-t-il néanmoins des pays sur la ligne française en matière de PSDC ? Lesquels ?

Les Belges sont sur la même ligne que nous, et nous aident toujours lorsqu'on les sollicite
pour des opérations. La très bonne surprise est espagnole. Ils sont toujours à nous aider, avec leurs
moyens, on connaît la situation du pays qui est difficile, tant sur le plan économique que politique,
mais ils sont très volontaires. Les Hollandais sont également des partenaires fiables au niveau
européen. Les Italiens auraient pu faire parti de ce groupe, mais vu leurs difficultés économiques, et
le grand travail qu'ils ont à fournir contre les vagues migratoires qui s'abattent sur leurs côtes, ils se
contentent de mettre le peu de moyens qu'ils ont sur leur marine. Comme je vous l'ai dit
précédemment, les Allemands et les Polonais, pourtant nos interlocuteurs privilégiés et historiques
via le triangle de Weimar, sont maintenant plus des obstacles que des soutiens. Pour ce qui est des
Britanniques, la coopération opérationnelle marche, mais elle se fait purement en bilatéral.

– Justement, en parlant des anglais, le Brexit aura-t-il des conséquences ? Des plans B en
cas de départ sont-ils prévus ?

Le Brexit ne changera strictement rien pour nous. Tout ce que l'on fait avec eux se fait dans
le cadre purement bilatéral. Il y a donc rien de prévu de le cas probable où le Royaume-Uni
quitterait l'UE. Ce qui est drôle, c'est qu'il y a eu récemment des titres racoleurs des tabloïds anglais,
qui sont pour la plupart pro-Brexit, en disant que l'Union envahissait militairement le territoire
britannique. Il y a en effet récemment eu des manœuvres européennes dans le cadre des
Battlegroups en Angleterre, et ces troupes étrangères étaient irlandaises... Cela montre le niveau de
défiance qu'il peut y avoir pour l'intégration européenne !

103
– Comment s'articule la position française en matière de défense européenne ?

La France considère que l'Europe de la Défense c'est avant tout la défense de l'Europe. Cette
défense est territoriale et multiforme, c'est à dire qu'elle englobe la cybersécurité, la défense
aérienne, le contrôle des frontières etc... Cette défense est en premier lieu du ressort de l'OTAN,
dont c'est la vocation première (article 5), alors que la PSDC n'a jamais eu cette vocation. Cette
Europe de la Défense doit également s'appuyer sur une coopération industrielle accrue, via
l'OCCAR, afin de mettre en œuvre efficacement le pooling and sharing entre États européens. La
mutualisation des moyens est donc également un axe fort. L'European Air Transport Command
(EATC) basé à Eindhoven est une véritable réussite européenne, peut être même la plus importante
à ce jour. Cette institution permet la mutualisation des transports de fret militaires entre 7 pays
(France, Bénélux, Allemagne, Italie et Espagne), mais est une construction multilatérale, ne
dépendant pas de la PSDC. Le concept va d'ailleurs être étendue à la formation des pilotes des pays
partenaires. La position de la France est donc d'être moteur sur les coopérations entre États, plutôt
dans une cadre multilatéral ou bilatéral, afin d'être plus efficace, d'augmenter l'interopérabilité de
nos armées, et de réduire les coûts.

– La coopération européenne qui marche est donc purement intergouvernementale, en


dehors du cadre de l'UE. Mais trouve-t-on des réussites de la PSDC ?

La plupart des opérations qui ont été lancées sont le cadre de la PSDC ont été des réussites.
Les missions de formations (EUTM), notamment au Mali, même si celle-ci a mis trop de temps à
être déployée sur le terrain, fonctionnent très bien. Les opérations en cours en Méditerranée tardent
à donner leur pleine mesure.

– Lors de votre travail à la commission, quelles sont vos relations avec les organes
européens (SEAE, Haut Représentant), ou vos homologues européens ?

Nous avons très peu de contact avec le SEAE ou le HR, car nos compétences nous incitent
assez peu à traiter avec eux. De même, nous travaillons peu sur la PSDC de manière directe, non
pas par désintérêt, mais encore une fois car ce n'est pas notre compétence. En revanche, nous avons
des rapports plus ou moins institutionnalisés avec certains parlements voisins. Nous rencontrons,
avec nos collègues de la commission défense nationale du Sénat, les britanniques 2 fois par an (un
coup chez l'un, un coup chez l'autre) de manière très formelle, dans le cadre du forum franco-
britannique. Nous faisons de même avec les allemands, même si la formule est moins
institutionnalisées. Enfin, nous rencontrons de manière moins régulière nos partenaires espagnols,
belges et polonais. Nous organisons également les universités d'été de la défense française chaque
année, et nous invitons tous nos partenaires européens à venir assister aux débats. Madame
Mogherini doit d'ailleurs intervenir cette année.

104
Annexe 2 : Graphiques

105
Graphique 3 :

106
Graphique 5 :

Graphique 6 :

107
Graphique 7 : Les opérations en cours de la PSDC

Graphique 8 :

108

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