Finalité de L'education

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Etudes et enquêtes d'éducation comparée

Finalités
de l'éducation

Préparé pour le
Bureau international
d'éducation
Dans la collection &tudes et enqu&tes d’kducation comparke))
Etude statistique sur les déperditions scolaires. 1972.127 p.
Fernig, L.R.The place of information in educational development. 1980. 135 p.
[Résumésen français et en espagnol]
Finalités de I’éducation.1981.240p.
Goble,N.M.;Porter,J.F.L’évolution du rôle du maître: perspectives internatio-
nales. 1977.257 p.
Haag, D.Pour le droit à I’éducation:quelle gestion? 179 p.
Havelock,R.G.;Huberman,A.M.Innovation et problèmes de I’éducation: théorie
et réalité dans les pays en développement. 1980.410 p.
Hummel,C.L’éducationd’aujourd’hui face au monde de demain. 1977.208p.
Initiatives en éducation: une esquisseà I‘échelle mondiale, 1971-1972.1973.130 p.
Pauli, L.;Brimer, M.A.La déperdition scolaire: un problème mondial. 1971.
163 p.
Thomas,J. Les grands probkmes de l’éducation dans le monde: essai d’analyse et
de synthèse. 1975. 172 p.
Wall,W.D. Constructive education for adolescents. 1977.333 p. [Enanglais seu-
lement]
Wall,W.D.
Constructive education for special groups: handicapped and deviant
children. 1979.144 p. [Enanglais seulement]
Wall,W.D.
L’éducation constructive des enfants. 1979.348 p.
.,a‘

Publie par l’organisationdes Nations Unies


pour l’kducation,la science et la culture,
7,place de Fontenoy,75700 Paris (France)

ISBN 92-3-201970-1

Imprime en Suisse par Courvoisier S.A.,La Chaux-de-Fonds

OUnesco 1981
Préface

Le présent ouvrage constitue l’aboutissement d’un programme A moyen terme


que le Bureau international d’éducation (BIE)a engagé entre 1975 et 1980 sur le
probltme des ((théorieset finalités de l’éducationo. Le lecteur trouvera dans
l’introduction une description détaillée des diverses ttapes de ce programme.
Qu’il nous soit permis d’exprimer ici notre gratitude 11 René Habachi qui ttait
Directeur de la Division de la philosophie A l’Unesco au moment où nous avons
engagt ce programme; sa compétence et son dévouement ont été pour beaucoup
dans le lancement et la poursuite de nos activitts. D e même, nos remerciements
vont A tous les Bureaux régionaux de l’Unesco pour l’éducation qui ont tout mis
en œuvre pour la réussite des séminaires régionaux.
A tous les participants venus des quatre coins du monde et qui ont contribué
au succts des deux premitres réunions (Gentve 1975 et Paris 1976)’nous disons
toute notre reconnaissance. Sans eux, ce programme n’aurait jamais pu aboutir.
A tous ceux qui ont participé ti la troisikme et dernitre réunion de ce programme
(Gentve 1980) et qui, en majoritt, ont collaboré A l’élaboration de cet ouvrage,
qu’il nous soit permis de leur exprimer toute notre reconnaissance.Nos plus vifs
remerciements s’adressent également aux auteurs qui se sont prêtés de bonne
grâce, et dans des circonstances souvent difficiles, A une tâche ardue mais néan-
moins porteuse de promesses.
E n présentant cet ouvrage ti nos lecteurs, nous ne pouvons nous empêcher
d’avoir une pensée émue pour ceux de nos amis et colltgues qui ont largement
contribué au déroulement de ce programme et que la mort nous a ravis. Il s’agit
de Joseph A. Lauwerys, professeur 11 l’universitéde Londres (Royaume-Uni),
A h m a d Obeïd, professeur 11 l’université d’Ah Chems (Egypte) et Claude
Pantillon,professeur ti l’universitéde Genkve (Suisse).
Les auteurs sont responsables du choix et de la présentation des faits figurant
dans cet ouvrage ainsi que des opinions qui y sont exprimées, lesquelles ne sont
pas nhssairement celles de l’Unesco et n’engagent pas l’Organisation.
Table des matières

Introduction,par Ch. Fitouri,p. 5

Chapitre premier Aspects théoriques du problème,par J.A.Lauwetys et


R.Cowen,p. 19
Chapitre deux Finalités et théories de l'éducation: situation actuelle
dans le monde,p. 51
1. Afrique,par N'sougan Agblemagnon,p. 51
2. Amérique latine,d'après R.N a m g p. 61
3. Asie,par J.P.Naik, p. 71
4. Etats arabes,par M.A. El-Ghannam,p. 80
5. Un Etat socialiste: l'URSS,par D.K Ermolenko,
p. 89
6. Europe occidentale et Amérique du Nord, par
J.A.Lauwerys et R.Cowen,p. IO1
Chapitre trois Universalité et spécificité des finahtés de l'éducation,
par A.Bouhdiba,p. II 3

Chapitre quatre Finalités et résultats,par R. Girod p. 130

Chapitre cinq Pour une approche mondiale du problème des finalités,


par B.Suchodolski,p. 152

Chapitre six Buts et perspectives de l'éducation, par I.V.Bestoujev-


Lada,p. 181

Chapitre sept Les finahtés de l'éducation: génération et re-géné-


ration,par S.Roller,p. 211

Bibliographie,p. 238
Introduction
par Ch.Fitouri

L‘intérêt que le Bureau international d’éducation (BIE)porte au problème des


finalités et théories de l’éducation ne procède ni de la pure spéculation phdoso-
phique ni du simple exercice académique. Il a été suscité, voire imposé, par une
confrontation avec certaines réalités surgies sur le terrain lorsque, au début des
années 70,le BIE s’était penché sur le processus de l’innovation éducative pour
tenter de l’analyser et, en quelque sorte,de mettre 8 nu ses mécanismes intimes.
C‘est ainsi que les premières études entreprises ont permis d’établir avec une
quasi-certitudeque toute innovation en éducation implique une orientation dans
le domaine des valeurs et, par 18 même, touche au problème fondamental des
finalités de l’éducation. E n effet, si l’innovation implique un changement qui
vise l’amélioration,la distance qui dans un tel processus sépare le point de
départ du point d‘arrivée ne peut être appréciée que par référence 8 des finalités
clairement définies. Ces dernières indiquent en quelque sorte le sens de la
marche.
Dans le foisonnement des réformes, expériences et projets novateurs qui a
caractérisé la seconde moitik des années 60 et la totalité des années 70,il était de
la vocation du Bureau international d‘éducation de réintroduire la dimension
réflexive dans l’étude de systtmes Bducatifs s’enflant 8 loisir et qui ne cessaient
de donner l’impressionde se fermer sur eux-mêmes.
Pour être opérante, cette dimension rkflexive devait être d’emblée distinguée
de la dimension politique des systèmes éducatifs, la première se préoccupant des
finalités et relevant du domaine de la philosophie de l’éducation alors que l’autre
est centrée sur les objectifs et procède de l’idkologie et des impératifs politiques.
C e qui ne signifie nullement qu’il y ait une cloison étanche entre les deux; car,
s’il n’arrive que rarement - alors que cela devrait être de règle - que la philoso-
phie de l’éducation inspire et m ê m e anime la politique éducative, il n’est pas
exclu de voir cette m & m e philosophie s’abreuver aux sources des doctrines et
théories politiques. Tous les courants pkdagogiques du X X e siècle qui prêchent
1’Bgalité devant l’éducation,après en avoir fait un droit pour tous,procèdent peu
ou prou des diverses théories socialistes qui ont commencé 8 poindre 8 la fin du
XVIIIe sikle et qui ont jalonné tout le XIXe et une bonne partie du X X e siècle.
Aussi, la réflexion philosophique sur l’éducation n’implique-t-ellepas une totale
innocence politique alors que l’action politique dans ce domaine - soumise
c o m m e elle l’est le plus souvent,et notamment dans les pays en développement,
6 Finalités de l’éducation

aux contraintes de toutes sortes (contraintes budgttaires et humaines,considéra-


tions partisanes,pressions exttrieures,etc.) - finit le plus souvent par rompre ses
liens avec la philosophie de l’uucation. A telle enseigne que le probltme des
finalitts de l’tducation, qui se situe au cœur m ê m e des prtoccupations de la
philosophie de l’tducation en m ê m e temps qu’il constitue la clef de voûte de
tout systtme tducatif bien conçu, finit par devenir pour la plupart des respon-
sables politiques, sinon un problkme dtrisoire, du moins une spkulation a
posteriori que suscite l’action politique et qui vient soit la renforcer,voire la ltgi-
timer, dans le cas où philosophes et politiciens sont du m ê m e bord, soit la criti-
quer et la combattre dans le cas contraire. Et pourtant, il n’est pas difficile de
constater que, depuis la plus haute antiquitt, l’action tducative s’est toujours
fondte sur une visk philosophique qui tente de situer l’homme dans l’univers
par rtftrence il son passt, il son prtsent et il son avenir. Avec l’accumulation des
connaissances hstoriques et sociologiques,l’tclosion des mtthodes prospectives
d’analyse et le dtveloppement de la futurologie,les modes d’approche de la phi-
losophie de l’tducation changent de style mais non de nature. L‘interrogation de
l’homme sur son passt en vue de l’assumer en tant que penste et en tant
qu’action,l’inquittudeque lui procure son prBsent et le dtsir ltgitime d’en savoir
davantage sur son avenir reprtsentent les interrogations fondamentales de toute
philosophie et notamment de toute philosophe de l’tklucation,interrogations
souvent formulks par les trois questions suivantes: QUIsuis-je? D’où viens-je?
Où vais-je? Que ce soit il l’khelle de l’individu ou il l’khelle de la collectivitt,
ces interrogations ont toujours guidt les pas des tducateurs. E n tant qu’action
exerde sur un être immature et tendant il le faire a&er il un certain degrt de
maturitt, l’tducation s’est toujours assignte, de façon implicite ou explicite, un
certain nombre de finalitts. Ces finalitts ne peuvent donc être ni un ensemble
d’idtes abstraites surgies de l’esprit du philosophe ni, encore moins, une somme
de décisions arbitraires dues au bon vouloir du politique. Elles sont une rkapi-
tulation et une mise en œuvre de l’hstoire, de la sociologie et de la prospective.
Dans ce sens, elles reposent sur une vision de l’homme et du monde telle qu’elle
tmerge d’un passt, d’un prtsent et d’un futur rêvt ou prtvu par l’homme. Mais
de quel h o m m e s’agit-il? D e l’individu considtrt dans sa singularitt ou de
l’Homme, dans son universalitt? E n rtalitt, la rtflexion philosophque sur
l’tducation proctde de cette dialectique du Singulier et de l’universel. L‘homme
ne peut se reconnaître dans l’universelhumain et y participer qu’une fois bien
ancrt dans sa singularitt. Le dialogue avec l’autre, avec tous les autres, n’est
possible qu’aprts l’affirmation de soi. L’identitt, fondte sur la singularitt, ne
peut prttendre il l’universalitt que si elle refuse de s’enfermer dans le particu-
larisme. L‘aspiration il l’universelest peut-être ce qu’il y a de plus profond dans
le cœur et l’esprit de l’homme. Elle s’est toujours exprjmk il travers les tpoques
et les cultures sous des formes singuhtres multiples. Loin de constituer une
entrave, la multiplicitt et la varikt6 des singularitts a toujours BtB, dans les
phases d’tpanouissement culturel,une source d’enrichissementmutuel pour tous
les hommes, ainsi que d’affermissement de l’universel humain.
A l’tpoque où les Bgoïsmes nationalistes,le particularisme et son corollaire,le
chauvinisme, continuent d’exercer une grave hypothtque sur la plupart des sys-
Introduction 7

tèmes kducatifs,il n’est pas vain de mtditer cette dialectique de l’Universel et du


Singulier pour voir tout le parti qu’il y a il tirer - et pour toutes les nations sans
exclusive - d’un dialogue fkond des cultures et d’une saine confrontation des
systèmes kducatifs en tant que moyens de diffusion et de dtveloppement de ces
cultures.
L a tache il laquelle le BIE a consacrt une bonne part de son programme et de
son budget depuis 1975 rtpond il cette prkcupation. Elle ne prttend ni il
l’exclusivitt ni A la totale originalitt. Elle n’a tentt et ne tente, en fait, que
d’expliciter ce qui ttait et qui demeure latent dans l’esprit de tous ceux que
l’tducation concerne.
Rien que pour situer le dtbat au niveau de l’Unesco (le BIE y est rattacht
depuis 1969)) il n’est peut-être pas sans inttrêt de rappeler l’importance que
cette organisation avait conddte, il l’aube de la deuxième dtcennie du dtvelop-
pement, au travail de rtflexion sur l’tducation, inttrêt concrttist par le Rapport
de la Commission internationale sur le dtveloppement de l’kducation,rapport
intitult Apprendre ù être’ et communtment appelt ((Rapport Edgar Faure)).
Dans le texte de prtsentation de ce rapport, le prtsident de la Commission a
tenu il rappeler que celle-ci avait fondt son effort de rtflexion sur les quatre
postulats suivants: ((l’existence d’une communautt internationale qui [.. .]
s’exprime par la communautt des aspirations,des problèmes et des tendances,et
par la convergence vers un m ê m e destin)); ((la croyance en la dtmocraiie));
d‘tpanouissement complet de l’homme)) en tant qu’objet du dtveloppement;
enfin, la nkessitt d’une tducation ((globaleet permanente))*.
C e faisant,la Commission intemationale sur le dtveloppement de l’tducation
risquait de succomber il l’illusion - gtntreuse,certes - de l’existence de finalitts
universelles et universellement adrmses de l’kducation. Et de fait, m ê m e si les
quatrepostuluts ne pouvaient faire l’unanimitt de la communautt intemationale,
l’un d’entre eux, du moins, ne risquait de susciter aucune sorte de contestation,
m ê m e si dans la pratique il se trouve &tre le plus galvaudt. Il s’agit de la
croyance en la dtmocratie sur laquelle le Rapport insiste tout particulièrement
en affirmant que:
Il s’agit [.. .]d’une part, de renforcer l’exigence de la dkmocratie qui apparaît dksormais
comme le seul moyen d‘empêcher l’homme de devenir l’esclave de la machine et comme le
seul ktat compatible avec la crkance de dignitk qu’impliquent les performances intellec-
tuelles de l’espkce; de dkvelopper le concept m&me de la dkmocratie qui ne saurait
dksormais être limitke il un minimum de garanties juridiques, protkgeant le citoyen de
l’arbitraire du pouvoir dans une sociktk de subsistance, mais qui doit lui permettre de
participer aux responsabilitks et aux dkisions inskparables d’une sociktk promotionnelle;
d’autre part et parallklement, de renforcer l’exigence de l’kducation,car la relation de
l’kgalitkdkmocratiquene pourrait pas -ou plus - exister entre des classes skparks par une
trop grande inkgahtk d’instruction; et de recrkr l’objet et le contenu de l’aucation en
tenant compte il la fois des nouveaux caractQes de la sociktk et des nouveaux caractkresde
la dkmocratie.
C’est pourquoi la Commission a insistk sur le fait que l'Mutation doit être considkrk
comme un domaine politique, oh l’importance de l’action politique est padculikrement
dki~ive.~
8 Finalités de réducation

Malgré ce sursaut de réalisme qui reconnait le caractère décisif de l’action poli-


tique, la Commission n’a pu éviter de tomber dans la contradiction qui existe
entre le fait de caresser le rêve d’une démocratie valable pour tous et celui de
buter contre des réalités politiques et culturelles qui font dire au mot démocratie
- cornme à bien d’autres mots encore - la chose et son contraire. Appliquée au
domaine de l’éducation,cette notion de démocratie - qui fut, durant les pre-
mière et deuxième décennies du développement,le mot d’ordre autour duquel
s’organisèrent toutes les initiatives et toutes les actions éducatives - s’est
traduite,au niveau de la quasi-totalitédes Etats, par un effort de développement
quantitatif de l’éducation accompagné d’une accentuation des inégalités devant
celle-ci.Ainsi, tout en visant (tl’écolepour tous)),la démocratisation de l’éduca-
tion était restée bien loin de réaliser ctl’école de tous));sans parler des Etats où
l’écoledite ((pourtous))n’arrive h toucherjusqu’hprésent qu’entre trente et qua-
rante pour cent des enfants en âge scolaire. L a marge est donc trop grande entre
une aspiration de caractère universel et des réalités régionales, nationales ou
m ê m e locales. C‘est lh peut-êtrele reproche essentiel que l’on pourrait adresser
au Rapport Faure lorsqu’il déclare:
E n soulignant le caractkre universel que prksentent, du point de vue d’une fiabilite huma-
niste, les données fondamentales du problkme tducatif, nous croyons avoir justifie par
avance la décision qui a éte prise par la Commission de ne pas traiter d’une façon isolde la
situationdes pays en voie de db~eloppement.~
Comment peut-on concevoir une réflexion approfondie sur les problèmes
fondamentaux de l’éducation en refusant d’avance de distinguer des situations
sociales,économiques, politiques et culturelles que tout, dans le réel quotidien
des peuples, rend non seulement irréductibles mais le plus souvent radicalement
opposées les unes aux autres? Le rêve d’universalité serait-il devenu irrémédia-
blement chimérique?
E n vérité, c’est transformer en dialectique féconde cette pénible contra-
diction entre l’Universelet le Singulier que le Bureau intemational d’éducation
s’est appliqué depuis 1974, année pendant laquelle il a lancé son programme sur
les finalités de l’éducation.Dès le tout premier échange de vues5,le BIE faisait
remarquer,à propos des innovations éducatives pour lesquelles le Rapport de la
Commission internationale sur le développement de l’éducation préconisait la
mise sur pied de tout un programme international, que loin d’être la réponse
donnée à une quelconque sollicitation externe, une véritable innovation devrait,
tout au contraire, résulter d’une tension interne régissant toute l’économie du
système éducatif. Or cette tension n’est concevable qu’en fonction de finalités
nettement définies. D o ù la ntcessité d’une réflexion aussi pousste que possible
sur ces finalités et sur la façon dont elles peuvent et doivent participer h l’Uni-
versel, tout en sauvegardant ce qu’il y a d’essentiel dans le Singulier. L‘objectif
principal serait donc de montrer,par une réflexion patiente, ce qu’il y a de vala-
ble - voire d’indispensable - dans l’élaboration de finahtés universelles de l’édu-
cation qui seraient une récapitulation des aspirations de la communauté inter-
nationale en m ê m e temps qu’elles répondraient - au niveau de chaque Etat
particulier - A des besoins fortement ressentis mais vaguement formulés. Les
Introduction 9

échanges, les contacts ainsi que les influences réciproques que subissent les
divers Etats suscitent, au niveau de l'éducation,une dialectique du Singulier et
de l'universel qui conduit inéluctablement soit A la désintégration de ce qui fait
l'originalité de chaque système particulier, soit A la dépersonnahsation de ces
systèmes et donc A leur dissolution progressive, soit enfin,par une stimulation
réciproque, A l'authentification de chaque système particulier par sa contri-
bution effective A l'élaboration d'un inéluctable Universel de l'éducation plei-
nement recherché et voulu.
Cette première invitation A la réflexion sur le problème des finalités de
l'éducation rapporté A celui des innovations éducatives suscita d'emblée
l'intérêt, voire l'enthousiasme des participants. Qu'il nous suffise de citer A titre
d'illustration ces quelques lignes d'une communication présentée A cette occa-
sion par Claude Pantdon, professeur de philosophie de l'éducation A l'EPSE6:
Quand on étudie la formation des adultes (voir par exemple le rapport sur L'enseignement
secondaire de demain), on se trouve d'ordinaire en face d'innovations nombreuses et intd-
ressantes qui présentent & diffdrents titres une lacune grave: l'absence de réflexion fonda-
mentale touchant leurfinalité.Pas ou peu d'approfondissement quant &la visée, &l'horizon,
aux finalités des systèmes kducatifs proposés & partir desquels on déterminerait une série
d'objectifs, un ordre de priorité, de dispositions et de structures concrètes propres & les
mettre en œuvre. D'ordinaire, on s'en tient & des dklarations de principe souvent vagues,
A des mots d'ordre, & des idées & la mode parfois contradictoires entre eux, qui ne par-
viennent point ii orienter, A modeler d'une manière apprdciable les systèmes éducatifsmis
en place.
Cette absence de rdflexion fondamentale,son défaut d'élaboration, son inefficacité et sa
marginalité laissent la porte ouverte & des mesures d'adaptation, d'accommodation au
changement, de rdgulation dans lesquelles les pressions dconomiques, les factions et les
manœuvres politiques, les tendances technocratiques, le dynamisme et l'inertie propres
aux systèmes éducatifs,aux institutions et ii leur fonctionnement,se donnent libre cours.
11 en rdsulte que partout le changement est prhnisd, que partout on assiste effec-
tivement & des modifications sans que jamais ne soit véritablement posée la question de la
finalité de ces bouleversements. D e sorte qu'on en vient & se demander si tous ces change-
ments ne masquent pas une inertie profonde et &conclure comme cet enfant interrogé par
Piaget que ((plusça change, plus c'est pareil)). Pour l'essentiel, l'dducation ne reste-t-elle
pas surtout au service du rendement, des systèmes dconomiques, de la croissance, du
maintien des privilèges, de l'enrdgimentation, en un mot de la reproduction plutôt qu'au
service de l'homme?7
Les préoccupations du Bureau international d'éducation semblaient ainsi
rejoindre celles des philosophes de l'éducation et correspondre A un besoin réel
de la communauté des éducateurs. C'est ce qui l'encouragea A poursuivre l'effort
en mettant sur pied un programme A moyen terme s'étendant sur une période de
cinq années (1975-1980)et dont le présent ouvrage constitue, en quelque sorte,
le couronnement.
Sur proposition des participants A la réunion de 1974, un élargissement aux
principales parties du monde du cercle des consultants fut envisagé et une
coopération étroite avec la Division de la philosophie de l'Unesco décidée. Cette
coopération dura pendant tout le biennium 1975-1976.
10 Finalités de I'éducation

C'est ainsi qu'en 1975 fut organisée conjointementpar le BIE et la Division de


la philosophie une première réunion de consultants regroupant une douzaine de
spécialistes venus d'Afrique, d'Amérique latine, d'Asie, d'Europe de l'Est et
d'Europe occidentale. Tenue 2i Genève du 9 au 13 juin 1975, la réunion a eu 2i
examiner quatre communications substantielles portant respectivement sur les
thèmes suivants:
- Finalités et théories de I'éducation: ébauche d'une anabse comparative, par
B.Holmesa;
- Education et société dans la perspective des pays industrialisés de l'Ouest, par
J.-M. Domenachg;
- Education et société dans la perspective des pays socialistes, par
B. Suchodolskilo;
- Finalités et théories de I'éducation: un point de vue du Tiers Monde, par
S.C.Dubé".
D'entrée de jeu, le Secrétariat a tenu 2i souligner,dans un document introductif,
les rapports nécessaires qui existent entre la politique de l'éducation et la philo-
sophie de l'éducation en faisant remarquer que:
[.. ] l'inttrieur de cette politique de l'kducation et la traversant comme une intention
.

centrale, il y a une certaine id& de l'homme, de l'homme avec toutes ses dimensions -
individuelles et sociales, historiques et supra-historiques(s'il y a lieu). Cette id& de
l'homme ne peut &tre rdalis& par decision,ni par dkret.Elle s'établitpar le moyen defina-
litès dont la conception dynamise la politique de l'éducation et se retrouve à tous les moments
de l'ensemble des processus qui en réalisent les objectijs. Ainsi les couples philosophie-fina-
litCs et politique-objectifs vont de pair, mais le premier est comme l'axe invisible dont le
second est la manifestation visible et plus aisdment exprimable. Le premier est si difficile
ment exprimable - soit parce que cend tvident, soit parce que demeurt inconscient - que
parfois il demeure effectivement inexprimt [.. .]U n e philosophie de l'dducation apparaît
alors non comme un systkme englobant politique et objectif planifits, mais comme un
dynamisme pouvant vitaliser une diversitt de systkmes - avec leurs politiques et leurs
objectifs -, les orientant vers une certaine conception de l'homme ouverte et en devenir, avec
pour finalitts d'accomplir l'homme, de le conduire A sa pldnitude individuelle et sociale, en
développant en lui les prdrogatives et les responsabilitts de sa nature proprement
humaine.l2
C'est cette conception de l'homme qui est 2i la source des divergences et des
convergences entre les diverses plulosophies de l'tducation - et par voie de
conséquence, souvent,entre les divers systèmes éducatifs -lesquelles sont corré-
latives des différences culturelles, politiques, économiques et sociales qui
existent entre les régions et les Etats. Ces divergences et ces convergences sont
aussi un produit de l'histoire des peuples et des cultures et un aspect essentiel du
patrimoine de l'humanité sur lequel s'est fondée et se fonde encore toute visée
éducative authentique.
Mais quelque précieux qu'il soit,et tout en constituant le fondement m ê m e de
l'identité des peuples, ce patrimoine ne doit pas faire perdre de vue la conjonc-
ture internationale sans précédent qui impose 2i toutes les nations du monde une
communauté de destin tant pour le meilleur que pour le pire. En effet, qu'il
Introduction 11

s'agisse de la menace d'extermination nucléaire, de la montée des périls h l o -


giques et de la raréfaction des ressources naturelles, de la quete d'un nouvel
ordre économique et social, de la revendcation de l'identité culturelle pour les
peuples nouvellement indépendants,de l'aspiration 8 plus de justice de la moitié
ftminine de la population mondiale, du problème du chômage des jeunes et de
leur soif de participation, du développement fantastique de la science et de la
technologie et de ce que cela implique, au plan de l'échange entre les peuples,
c o m m e nouvel ordre mondial de la communication et de l'information, de la
crise du monde industriel et du désarroi de l'individu et des groupes devant
l'éclipse des valeurs anciennes et l'incertitude des valeurs nouvelles, de la lutte
toujours plus acerbe des classes et des peuples contre l'exploitation et la domi-
nation,etc.,il y a 18 tout un ensemble de repères par rapport auxquels une philo-
sophie de l'tducation,centrée sur l'homme, devrait pouvoir se situer.
C'est dans ce cadre qu'elle pourra utilement envisager l'homme " m e sujet a kduquer du
point de vue de ses aptitudes et de ses responsabilitds,du point de vue de son intdgration
et de sa participation h une socidtd donnk, et du point de vue de sa tension vers l'avenir
de cette socidtd insdparable du destin du monde. Mais en m & m e temps elle considkrera les
ressources disponibles dans son milieu kducatif et cela au double sens: au sens limitd de
personnel de l'dducation et au sens tlargi de cit6 Bducative.'-'
L'ampleur des problèmes ainsi soulevés incita les par?icipants 8 la rtunion 8 se
h t e r 8 la formulation d'un certain nombre de suggestions et de propositions
qui soient de nature 8 faire progresser l'élucidation de ces problèmes.C'est ainsi
qu'ils ont souhaité voir l'Unesco:
- Aider les Etats membres 8 étudier les finalitéset les objectifs de leurs systèmes
d'éducation notamment dans leurs rapports avec la Constitution du pays, les
grandes déclarations d'intention, les conceptions philosophiques,le mode de
vie effectif de la population, ainsi qu'avec les réahtes et les pratiques éduca-
tives en vigueur.
- Clarifier le sens de l'ccéducation permanente)) en la distinguant de l'ensei-
gnement de type conventionnel et en montrant par des exemples concrets
comment elle contribue tout 8 la fois au progrès social et 8 l'épanouissement
individuel.
- Réunir des psychologues,des sociologues,des anthropologues et des philoso-
phes en vue d'établir, par une approche pluridisciplinaire, un consensus
minimum sur les connaissances et les valeurs qu'il est utile et nécessaire
d'inculquer aux jeunes d'aujourd'hui.
- Tracer le profil du nouveau type de maître qu'impliquent les changements qui
ne cessent d'affecter les methodes et les contenus de l'enseignement, ainsi que
les multiples innovations dont le maître doit Ctre, de par m & m e la nature de
son d e , sinon l'initiateur, du moins l'agent propagateur.
- Promouvoir des études comparées sur la valeur et la portée respectives de
l'enseignement de type conventionnel, de l'enseignement par les groupes de
pairs et de l'enseignementpar le moyen des mass media.
D e plus, il a été proposé que l'Unesco et le Bureau international d'éducation
entreprennent pour les années 8 venir trois types de travaux:
12 Finalitès de I'éducation

a) des études internationales ou mondiales;


b) des études comparatives relatives A la philosophie, aux finalités et aux
objectifs de l'éducation;
c) l'étude de certaines questions particulières.
Parmi les études internationales ou mondiales, il a été proposé que soit élaborée
une ((philosophiede l'éducation pour l'Unesco)), fondée sur la Déclaration uni-
verselle des droits de l'homme des Nations Unies, certains textes fondamentaux
élaborés par l'Unesco depuis sa création (1946), ainsi que sur les recomman-
dations de la Conférence internationale de l'éducation (CIE).D e même,
l'Unesco devrait songer ne serait-cequ'A l'esquisse d'un ((modèleconceptuel de
l'homme moderne)),fondé sur une conception de la culture intégrant les huma-
nités, la science et la technologie, et reposant sur la variété et la diversité des
conceptions de l'homme A travers le monde.
Quant aux études comparatives, elles porteraient sur l'évolution, a travers
l'histoire,des finahtés et objectifs de l'éducation dans les divers Etats, ainsi que
sur le rôle et l'importance des diverses institutions éducatives (famille, école,
églises,organisations syndicales, etc.). Il a été proposé de m ê m e que certaines de
ces études comparées soient consacrées aux nouveaux rôles assignés A l'école
dans la société,ainsi qu'au rôle et A l'autorité du maître.
Enfin, parmi les questions particulitres,les participants a la réunion ont sou-
ligné l'importance,en matière d'éducation, des spécificités culturelles et l'intérêt
que l'on doit porter a l'((analyse phdosophique des postulats sur lesquels se
fondent les politiques adoptées en matière d'éducation et/ou de formation
permanentes))14,ainsi qu'a l'explosion du savoir et au rôle dCvolu aux moyens
d'enseignement de masse.
L'ensemble de ces propositions ont été assorties d'une remarque sur deux
types de finalités: les finalités instrumentales, immédiates et A court terme, et
ales finalités intrinstques et A long terme))15. Faisant remarquer que les pays en
développement ont tendance a opter pour les premitres, ((du fait de l'urgence
des problèmes auxquels ils se heurtent)), les participants ont estimé qu'cd
conviendrait de se demander dans quelle mesure une telle tendance est souhai-
table))16.
Aussi fut-ilproposé que, lors de la réunion prévue pour 1976,il soit largement
tenu compte non seulement des différences qui existent entre pays développés et
pays en développement mais aussi des spécificités culturelles,rkgionales et sub-
régionales,voire nationales.
D e fait, la 2e Réunion du Groupe de consultants sur des finalités et les théo-
ries de l'éducationo, qui s'est tenue A Paris du 8 au 1 1 juin 1976,a voulu être
plus explicite sur ce point en prddant a l'examen de trois études portant
respectivement sur les finalités de l'éducation en Afrique, en Amérique latine et
en Union des Républiques socialistes soviétiques.U n e quatrième étude portant
sur ((finalitésde l'éducation et formation des cadres de l'enseignement)) était
destinée A mettre en évidence l'incidence des finahtés sur un domaine précis de
l'action éducative.
Introduction 13

Tout en replaçant des débats dans le cadre conceptuel général déjja tracé par
la réunion de Genève, la 2e Réunion a tenté, d'une part, de dégager les grandes
orientationsde la réflexion et de la recherche sur les finahtés de l'éducation qui
soient de nature A concilier les impératifs d'ordre régional ou national avec les
exigences de la coopération internationale et, d'autre part, de tracer les grandes
lignes d'un programme ja moyen terme qui permettrait de faire avancer la
réflexion et la recherche sur le problème des ctthkories et finahtés de l'édu-
cation)).
Avant de prockder ja l'examen des études qui lui étaient soumises,la réunion
engagea un débat génkral centré sur les trois questions suivantes:
- Les finalités de l'éducation relkvent-elles de la pure spéculation ou, au
contraire, émergent-elles du réel vécu en tant que contexte social et environ-
nement culturel?
- Comment les finahtés de l'éducation se définissent-ellespar rapport aux poli-
tiques éducatives?
- Quel est le rapport de l'éducation avec l'histoire?
Les réponses données au cours du débat A ces questions furent, malgré leur
apparente contradiction, largement complkmentaires.E n effet, tout en admet-
tant le côté ((idkaliste)),voire ((utopique)),des finalités, la réunion insista sur
l'aspect pratique de toute approche des finalités, si l'on veut tenir compte des
((destinataires))du projet qui sont naturellement différents selon la rkgion, le
pays ou le d e u social. Des exemples concrets empruntés ja l'Afrique, A l'hé-
rique latine et au Maghreb ont étk avancés pour mettre en garde contre le risque
que fait courir la spéculation abstraite sur les finalitks, risque qui consiste A pas-
ser A côté des problhmes concrets de l'éducation. D'où la nkcessité tout A la fois
de se garder de tomber dans le mythe en posant le problème en termes trop
abstraits et d'éviter les écueils de la politique A courte vue en adhkrant de trop
prks au réel. Il a été aussi rappelé qu'a côté des finalités explicites, fruit de la
réflexion des philosophes et des pédagogues,le réel social et éducatif recèle pres-
que toujours des finalités implicites qu'il faut savoir débusquer et analyser et
dont il faut tenir le plus grand compte si l'on tient A faire avancer la réflexion
sur l'éducation. Celle-ci, du reste, dépasse et de loin le cadre nécessairement
restrictif de l'éducation,car les finalités émergent de la vie de l'homme et préfi-
gurent tout son devenir: aussi doivent-ellesrester ouvertes pour laisser place A la
créativité et ja l'imagination.Toute réflexion sur les finalités de l'kducation ne
peut être, ja notre époque, qu'une réflexion profonde sur la crise des valeurs et
des institutions qu'elles sous-tendent,réflexion qui reste intimement liée au
dkveloppement scientifique et technologique et ja ses multiples retombées, au
façonnagede l'environnementculturel par les mass media, ainsi qu'A la conjonc-
ture économique et politique qui a orienté la communauté internationalevers la
recherche d'un ((nouvelordre économique international))dont les implications,
au plan éducatif, ne sont plus A démontrer. Mais,pour être en prise directe sur
l'actualité, cette réflexion n'est pas moins branchée sur l'histoire, du fait que
l'éducation vise, entre autres,l'adaptation critique de l'homme ja son temps afin
qu'il ne soit pas réduit ja n'Ctre qu'un témoin passif de l'histoire. Appréhendkes
14 Finalités de I'éducaiion

c o m m e projection dans l'avenir, les finalités de l'éducation relbvent de la philo-


sophie et de la prospective. Elles sont, de ce fait, différentes des objectifs de
l'éducation qui, eux, dérivent de la politique de l'éducation. L a dialectique des
finahtés et des objectifs impose une pluralité de stratégies qui tiennent compte tI
la fois de la relativité des situations régionales ou nationales particuhkes et des
impératifs d'une solidarité mondiale qui devient sans cesse plus effective et plus
agissante. Cette solidarité mondiale a ses préalables et ses conditions que
l'Unesco énonce en ces termes:
[. . .]il faut s'accorder d'abord sur un systkme de valeurs et accepter d'en voir ensemble les
implications: valeur de justice, d'dgalitd, de libertd, de solidaritd. Celles-ci reposeront sur
une double prise de conscience: la reconnaissance de l'unitd de l'humanitd dans la diver-
sitd de ses peuples, de ses races,de ses cultures;l'affirmation d'un vouloir-vivreensemble,
ressenti non pas seulement comme une nhssitd de survie ou de cohabitation, mais
comme un choix de destin B forger en commun et une coresponsabilitd B l'dgard de l'avenir
de l'esph humaine.17
Or,((dansde telles conditions,la conscience d'une solidarité mondiale,si néces-
saire, ne peut résulter que d'un processus éducatif, actif et continu, & mettre en
œuvre sans tarder,auquel l'Unesco doit apporter sa pleine contribution))In.
Les échanges suscités par la présentation de chacune des quatre études parti-
culièreslg donnèrent lieu tI l'émergence d'un certain nombre de difficultés, de
problbmes et de propositions dont il a été tenu largement compte dans la suite
des travaux du BIE.
Parmi les difficultés signalées, il y a celle qui consiste le plus souvent &
rechercher les finalités de l'éducation du &té de l'élite et en ayant présente &
l'esprit une certaine image de l'((homme idéal)) alors que les finalités réelles et
effectives doivent être recherchks du &té du peuple, c'est-&dire 18 où l'on
rencontre l'homme concret avec ses souffrances et ses problbmes, ses angoisses
et ses aspirations, ses misbres et ses rêves. C e n'est donc pas aux seuls philoso-
phes qu'incombe la tâche d'élaborer les finalités de l'éducation mais bien aux
enseignants, aux politiciens, aux économistes, aux planificateurs, aux travd-
leurs sociaux,etc.
Parmi les problèmes soulevés, celui de l'identité culturelle a le plus retenu
l'attention, notamment au niveau des pays en développement. E n effet, dans le
climat de changement rapide qui caractérise ces pays, l'éducation représente le
terrain d'élection pour observer et analyser la plus profonde et la plus brutale
des revendications: celle de l'identité culturelle. C'est elle qui aiguise la volonté
de ressourcement en provoquant cette sommation du passé qui, loin de signifier
un retour & la tradtion, s'inscrit plutôt dans le cadre d'une quête d'un
humanisme moderne et nouveau,mais cependant authentique.
Cette quête de l'identité et la volonté de ressourcement qu'elle engendre
débouchent sur le problbme plus large de l'acculturation et du déchuement entre
tradition et modernité, notamment dans les pays en développement où ctl'ins-
truction a été et reste le plus souvent un privilbge et un instrument aux mains
d'une élite dont les modes de penser, souvent mimétiques, expriment sa
dépendance vis-&-vis de l'OccidentoZ0. Mais ne peut-on, dans une visée inter-
Introduction 15

nationale, dépasser ces déchirements et ces conflits et voir si, malgré la spécifi-
cité des modtles culturels,il n'est pas possible et souhaitable de rechercher,dans
la diversité des finalitts de l'éducation, sinon des similitudes,du moins certaines
affinités? Et,parmi ces affinités,ne devrait-onpas se rappeler que toute fmalitt
de l'éducation devrait avoir pour visée essentielle l'homme pris dans sa totahté,
c'est-&-dire & la fois en tant que corps, en tant que m u r et en tant qu'esprit?
Dans cette volonté de mise en œuvre des diverses potentialités de l'homme, le
principe d'équilibre devrait être constamment respectt, de façon A ne tomber ni
dans le vertige des romantiques,ni dans les ex& des mystiques, ni dans les
errements de la société de consommation.D e plus, tout systkme tducatif devrait
inclure dans ses prioritts la satisfaction des besoins essentiels de l'enfant: pro-
tection sanitaire, sécurité alunentaire et nutritionnelle, développement affectif,
protection sociale,instruction et formation professionnelle. U n e finalitt essen-
tielle de tout systkme tducatif doit résider aussi dans le respect de la person-
nalité de l'enfant et des composantes de cette personnalitt. Parmi celles-ci,la
composante culturelle et son expression hguistique devraient être A la base de
toute politique éducative cohérente.
Il a été enfin rappelé que:
[. . .]l'enthousiasme et la fiertk en tant que constantes de la condition humaine, peuvent,
quand ils sont recherchks par le systbme kducatif, faire kviter & la jeunesse le pibge de la
pseudo-universalitk et les dangers du particularisme. Enthousiasme et fiertk ne peuvent
s'acqukrir que dans un climat kducatif facilitant la communication A tous les niveaux, et
voyant dans la diversitk et les diffkrences entre les individus comme entre les peuples une
source essentielle d'enrichissement et de progrbs: ce qui met en 6vidence le rapport intime
entre le contenu de l'kducation et le processus par lequel se transmet ce contenu. Dans un
tel climat, le systbme kducatif ne peut &re qu'un systbme ouvert au sein duquel l'innc~
vation apparaît soit comme une rkponse & un besoin interne de rkgknkration,soit comme
une rtaction vis-&-visdu rkel dans un but de singularisation.21

A u terme de leurs dtbats,les participants &cette deuxitme réunion sur les ((fina-
lités et les théories de l'tducationn adopttrent les recommandationssuivantes:
Les participants, d'accord pour dkvelopper et pousser plus avant la rkflexion sur les fina-
litks de l'kducation ont estime que:
1. l'Unesco devrait accorder une attention toute particulibre au dkveloppement, tant sur le
plan national que sur les plans rkgional et international,des ktudes comparatives por-
tant sur les finalitks de l'kducation, aussi bien du point de vue de leur influence sur le
dkveloppement des thkories de l'kducation (dimension historique) que sur celui de leur
impact sur le r kl kducatif (dimensionsociologique);
2. des kquipes multi-disciplinaires, comportant & la fois des philosophes, des historiens,
des pkdagogues,des sociologues, des kconomistes, des psychologues, des planificateurs,
etc.,soient impliqukes dans ce travail de rkflexion et de recherche;
3. les thbmes ci-dessousknumkrks soient consid6rks comme thbmes prioritaires:
3.1. Determination des finalitks sur lesquelles se fonde l'kducation pour la comprkhen-
Sion internationale et la paix.
3.2.Contributions de l'Unesco & l'klaboration et au dkveloppement d'une dimension
internationale de l'kducation fond& sur certaines conceptions de l'homme
moderne.
16 Finalités de réducation

3.3. Finalités implicites et finalitds explicites de l'éducation.


3.4. Rôle des finalités dans l'avhement d'une relation de type nouveau entre é d e et
société.
3.5. réducation formelle et l'éducation non formelle dans leurs rapports avec les fina-
lités explicites et les finalitds implicites de l'dducation.
3.6. Elucidation d'une dialectique des finalités de l'dducation et de la politique
culturelle et éducative: philosophie de l'éducation et idblogie.
3.7. Modes de détermination des finalitds de l'dducation dans certains contextes oh
existe une opposition entre tradition et innovation.
3.8. Elucidation des finalitds de l'dducation B partir des besoins rdels de l'enfant
compte tenu de l'environnement kconomique,social et culturel.
4. l'attention des Etats membres soit attirée sur la nécessité d'assurer B tous les niveaux de
responsabilité et d'exécution - et pas au seul niveau de l'enseignant - l'adéquation
permanente entre théorie et mise en pratique des finalitts.22
C'est sur la base de ces recommandations que, pendant les années 1977,1978 et
1979, le Bureau intemational d'tducation décida de décentrahser son pro-
gramme sur les finalitts de l'éducation en invitant les quatre Bureaux régionaux
de l'Unesco pour l'éducation en Afrique,en Am6rique latine, en Asie et dans les
Etats arabes A organiser des séminaires précédés d'études et d'enquêtes allant
dans le sens des vœux exprimés par la première et la deuxième réunion de
consultants.
Organisés dans les délais prévus, les séminaires régionaux donnèrent lieu, en
plus des échanges de vues entre divers spécialistes, ja une documentation aussi
riche que fournie et qui, dans certains cas, a aliment6 des publications assez
substantielles23.
L'intérêt suscité par ces activitts au niveau des quatre grandes rtgions du
monde a ttt ja la mesure de la frustration ressentie, ja l'issue de ces stminaires,
par la plupart de ceux qui y ont participé. Ceci du fait que l'exercice ainsi effec-
tué n'a fait que soulever le coin du voile sur un domaine de l'éducation jusqu'ici
négligé et qui, pourtant, représente un aspect prioritaire de la recherche, de la
réflexion et de la concertation,si tant est qu'il existe une volontt rklle de dépas-
ser l'état de crise que connaît l'éducation A travers le monde depuis plus d'une
décennie.
D e par leur nombre, leur variété et leur profondeur, les études produites ?î
l'occasion de chaque séminaire représentent un acquis précieux pour la pour-
suite de la réflexion sur ce qui fonde l'éducation. Si le cadre nécessairement res-
treint de cet ouvrage ne permet pas d'en donner un aperçu détaillt,il n'est pas
exclu de voir le Bureau international d'éducation rtserver, dans la poursuite de
ses études et recherches sur les finalités de l'éducation, une large diffusion ja ces
études. Cela présenterait un double intérêt: encourager l'approfondissement de
la réflexion au niveau de chaque région et alimenter cette réflexion par un véri-
table dialogue entre les régions. Déjja, les points de vue individuels qui se sont
exprimés ja l'occasion de chacun des séminaires régionaux,et qui sont prtsentés
dans le chapitre deux du présent ouvrage,laissent bien augurer de la façon dont
le débat sur les finalités de l'tducation peut se développer dans l'avenir et de
tout le parti qu'il y a A tirer d'un tel dtbat pour recentrer l'éducation sur
Introduction 17

l'homme, réconcilier l'homme avec l'institution éducative et faire recouvrer %


celle-cison âme.
C'est pour faire en quelque sorte le point, et non pour clore un chapitre de ses
activités, que le Bureau international d'éducation a convoqué du 3 au 6 juin
1980 une troisième réunion de consultants en vue de lui soumettre les résultats
des travaux entrepris depuis 1975 et de l'inviter, d'une part, % porter un regard
critique sur la façon dont le débat sur les finalittset théories de l'éducation a kté
engagé au plan régional c o m m e au plan internationalet, d'autre part, % prodder
sinon A une véritable synthkse de la documentation ainsi rassemblée,du moins A
en dégager les thbmes essentiels et la fapn dont ces themes ont été abordés au
niveau des diverses régions du monde. C'est de la sorte que la présente étude a
pris corps.Le lecteur ne s'étonnera pas de constater qu'entre les premikres inter-
rogations - pour ne pas dire les premiers balbutiements - de 1975 et les pro-
blèmes que soulève la présente étude, la distance franchie n'est peut-êtrepas très
grande. Mais l'essentiel n'est pas 1%. Il réside % notre avis dans l'intérêt suscité
par un problkme qui semblait jusque48 réservé aux seuls spécialistes de la philo-
sophie de l'éducation et qui s'avkre concerner tous ceux que l'éducation touche
de près ou de loin.
Si le r&ve longtemps caressé par les philosophes, les pédagogues et les éduca-
teurs du sikle dernier et du début de ce sikle de voir l'école se mettre au service
des idéaux universels de paix, d'amitié, de compréhension et de coopération
entre les peuples - rêve repris et transformé au lendemain de la Deuxième guerre
mondiale en un véritable dogme par l'Unesco - n'est pas encore sur le point de
devenir réalité et si l'aspiration profondément ancrée au m u r des hommes
- aspiration qui n'a cessé de s'exprimer dans les rkunions et séminaires que nous
venons d'évoquer - de voir l'éducation, dans tous les pays du monde, dotée d'un
ensemble de finahtés universelles et A visée internationahte n'a pas connu, % la
suite de ces travaux, ne serait-ce qu'un dtbut de satisfaction, cela ne nous
empêche nullement de penser que le BIE a sinon ouvert les yeux sur un aspect
fondamental de l'éducation jusqu'ici néghgé, du moins suscité l'inquiétude dans
des consciences jusque-1% engourdies. L'accueil que cette tentative trouvera
auprès des éducateurs sera le meilleur gage pour la poursuite et l'approfondis-
sement d'une tâche qui ne fait que commencer.

NOTES ET REFERENCES
1. Faure, E. et al.Apprendre d .?ire.Paris,Fayard-Unesco,1972.368 p.
2. Ibid.,p. XVI.
3. Ibid.,p. XXIX-XXX.
4. Ibid.,p. XXXI.
5. Cette premibe rencontre a eu lieu A Genhve, au Bureau intemational d'tducation, du
15 au 17 mai 1974. Etaient rtunis, M m e Jeanne Hersch, MM. R e d Habachi, Jean
Lacroix,Claude Pantillon et Samuel Roller, ainsi que des membres du personnel du
BIE.
6. Ekole de psychologie et des sciences de l'tducation de l'universitt de Gen6ve; tngk
depuis au rang de Facultt.
18 Finalités de réducation

7. Pantillon, C.Une philosophie de I'éducationpour quoi faire? Lausanne, Editions l'Age


d'Homme, 1981, p. 41-42. (Cahiers de philosophie de l'éducation). C'est nous qui
mettons en italique.
8. Holmes, B. Finalités et théories de I'éducation: ébauche d'une analyse comparative.Paris,
Unesco. 1975. 16 p. (ED.SHC/WP Goals/75/4) [Document présentd au Groupe de
consultants sur les finalités et les théories de l'éducation réuni conjointement par la
Division de la philosophie et le Bureau intemational d'éducation, Genève, 19751 (Ega-
lement publie en anglais]
9. Domenach, J.-M. Education et société dans la perspective des pays industrialisés de
l'ouest. Paris,Unesco, 1975. 8 p. ( E D . S H C / W P Goals/75/5) [Document présenté au
Groupe de consultants sur les finalitCs et les théories de l'éducation réuni conjointe-
ment par la Division de la philosophie et le Bureau international d'éducation, Genève,
19751 [Egalementpublié en anglais]
10. Suchodolski, B. Education et société dans la perspective des pays socialistes. Paris,
Unesco, 1975. 15 p. ( E D . S H C / W P Goals/75/6)[Document présentd au Groupe de
consultants sur les finalités et les théories de l'dducation réuni conjointement par la
Division de la philosophie et le Bureau international d'dducation, Genève, 19751
[Egalementpublié en anglais]
11. Dube, S.C.Finalités et théories de I'éducation: un point de vue du Tiers Monde. Paris,
Unesco, 1975,5 p.,bibl. ( E D . S H C / W P C Goals/75/7)[Documentprésenté au Groupe
de consultants sur les finalités et les Théories de l'éducation rduni conjointement par
la Division de la philosophie et le Bureau international d'éducation, Genève, 19751
[Egalementpublié en anglais]
12. Réunion du Groupe de consultants sur les ((Finalitéset théories de l'éducationo orga-
nisée conjointement par la Division de la philosophie et le Bureau international de
l'éducation, Genève, 1975. [Rapport final].Paris, Unesco, 1975, Annexe 1, p. 3.
(ED.75/WS/67)[Egalementpublié en anglais]
13. Ibid.,Annexe 1, p. 5.
14. Zbid.,Annexe IV,p. 2.
15. Ibid.,Annexe IV,p. 3.
16. Ibid.,Annexe IV,p. 3.
17. Unesco. Le monde en devenir: réflexions sur le nouvel ordre économique international.
Paris,1976,p. 25-26.
18. Zbid.,p. 23. C'est nous qui mettons en italique.
19. Nous n'insistons pas dans cette introduction sur ces études particulières du fait que le
chapitre deux est consacré & une présentation de points de vue plus approfondis fon-
dés sur les travaux des séminaires organisés de 1977 A 1979 par les quatre Bureaux
régionaux de l'Unesco pour l'éducation.
20. Réunion du groupe de consultants sur des finalitds et les théories de l'éducationo
organisée conjointement par la Division de la philosophie et le Bureau international
d'éducation, IIe, Paris,1976.Rapport final.Paris, Unesco, 1976,p. 9 (SS.BIE.76/Conf.
645/10) [Egalement publiC en anglais]
21. Zbid.,p. 15.
22. Ibid.,Annexe 1.
23. Il s'agit notamment du Bureau régional de l'Unesco pour l'dducationdans les Etats
arabes (Beyrouth)qui a déj& publid en trois volumes les actes de deux colloques qu'il a
organisés sur le thkme des finalités (Beyrouth en 1977 et Le Caire en 1978). Voir
également la Bibliographie reproduite &la fin du présent ouvrage.
CHAPITRE PREMIER
Aspects théoriques du problème
par J.A.Lauwerys et R. Cowen

DeFINITION DES CONCEPTS

Elever les jeunes et leur montrer comment survivre est la préoccupation majeure
de l’esptce animale. Avec les êtres humains, cela prend longtemps et l’entreprise
devient complexe, la complexité et la difficulté augmentant A mesure que pro-
gresse la civilisation.Les capacités requises ne sont pas le fruit d’une génération
spontanée c o m m e le sous-produit de la croissance et de la maturation. Elles
doivent s’apprendre.
En plus d’acquérir les mécanismes manuels et intellectuels nécessaires pour
maitriser l’environnement, les jeunes humains doivent acquérir des connais-
sances sociales. Il leur faut connaître les droits et devoirs correspondant A leur
situation. Ils auront A apprendre comment communiquer avec les autres par la
parole, la lecture et par la chose écrite. La vie leur impose toujours d’intégrer en
eux les codes moraux de leur groupe: les notions de bien et de mal;le point de
savoir qui aimer ou admirer; qui haïr ou mépriser; quels sont les totems et les
tabous.Cet apprentissage est un processus trts sélectif dans lequel certains types
de comportement et de croyance se trouvent renforcés et d’autres extirpés. E n
effet, chaque collectivité humaine a des idées sur ce qu’elle souhaiterait que
fussent ses membres. Il existe des normes qui, si elles ne sont pas toujours appli-
cables, sont néanmoins acceptées c o m m e des idéaux. Chaque société non seule-
ment souhaite survivre, mais s’efforce de s’améliorer dans la direction qu’indi-
quent les idéaux, les mythes, les croyances et les idéologies qui constituent le
cadre de sa culture et de sa vie.
Cet apprentissage,A peu de chose prts, s’est partout et toujours poursuivi au
sein de la famille et au foyer. Mais A mesure que les sociétés humaines se déve-
loppent et deviennent plus complexes, d’autres personnes et organismes sont
appelés A intervenir: le chef de tribu, le sorcier,le prttre, le conseil des anciens,
le temple ou l’é&se. A vrai dire, dans le monde moderne, il est difficile de
concevoir une institution qui ne manifesterait pas, plus ou moins activement,de
l’intérCt pour l’enseignement et l’ktude. A u x efforts des parents et des groupes
autres qu’officiels s’ajoute l’intervention de 1’Etat qui, partout,a mis en place un
systkme d’écoles, de colltges, d’universités et d’autres établissements qui
emploient un grand nombre d’hommes et de femmes. Le coût total de ce
20 Finalités de réducation

système éducatif officiel est comparable ti celui des forces armées ou de toutes
les grandes activités que finance l'Etat.
Il serait surprenant qu'une entreprise aussi importante et ardue ne donne pas
constamment lieu A des discussions et A des polémiques. Naturellement,le grand
débat tourne autour des questions fondamentales suivantes: Quel genre de
société veut-on? Comment le mieux préparer les jeunes h se faire les artisans de
cette société idéale? Comment l'éducation - au sens le plus large - peut-elle être
organisée de manière A développer dans la jeunesse les qualités requises? En un
mot, la préoccupation majeure est de savoir quels sont les buts, les finalités,les
objectifs et les résultats A attendre. Bref, la justification du coût et du travail
énormes qu'implique la tâche apparaît c o m m e étant l'espoir de concrétiser les
aspirations des individus et des sociétés.
L'expost, l'examen et l'analyse des déclarations relatives aux finalités et aux
objectifs peuvent aider A éclairer, guider, solliciter ou canaliser les efforts pour
façonner l'avenir souhaité. Cet exposé sera plus facile si l'on établit des distinc-
tions entre les degrés de générahté considérés.

Finalités, buts et objectifs


Par exemple, les philosophes et les hommes d'Etat peuvent dklarer qu'ils visent
A édifier une société islamique, ou une société sociahste parfaite ou encore une
nation juste, voire A rtaliser pour tous l'égalité des chances ou une véritable
démocratie.A ces aspirations générales,on peut donner le n o m de finalités ou de
grands desseins, c'est-&dire de grandes espérances qui relèvent presque d'une
vision utopique de l'avenir ou, encore, les aspirations les plus hautes exprimées
dans les termes les plus généraux.
L'expression but de I'éducation peut valoir pour des aspirations moins géné-
rales, A moyen terme, qui guident l'effort d'un ou plusieurs niveaux du système
éducatif. Par exemple: ((envue d'accroître la prospérité matérielle de la nation,
nous devons créer des écoles et des colltges techniques)). Exprimés en termes
plus précis que les finalités,les buts inspirent et suivent de près les déclarations
de politique tducative. La finalité de l'égalité des chances en éducation prend la
forme d'un but éducatif en ce qui concerne l'enseignement du second degré, par
le moyen d'une expression mettant l'accent sur la mise en place d'un enseigne-
ment correspondant A l'âge, A la capacité,aux aptitudes des élèves ou A travers
des déclarations qui soulignent la nécessité d'améliorer les perspectives et les
conditions concernant l'éducation des femmes.
Les déclarations relatives aux objectifs éducatifs peuvent être utilement inter-
prétées c o m m e correspondant aux tâches particulières assignées au processus
d'enseignement-apprentissage,soit ?i des niveaux particuliers des systkmes édu-
catifs, soit pour des groupes donnés (par exemple, les enfants des campagnes),
soit pour une éCole donnée, soit m ê m e pour une simple leqOn.
Les distinctions proposées dans l'emploi et la signification des mots finalité,
but et objectif ne sont pas universellement reconnues. Certains préféreraient un
plus grand nombre de niveaux d'aspirations - quatre, voire cinq - cependant
que d'autres appliqueraient les termes de manikre différente. Ces points de
Aspects théoriques 21

dCsaccord sont sans importance. C e qui importe avant tout, c’est de reconnaître
qu’il existe des difftrences dans les niveaux de gtnQalitC du discours qu’il
convient de ne pas perdre de vue lorsqu’on Ctablit des comparaisons.
Les dkclarations concernant les aspirations en matière d’kducation se réfèrent
d’ordinaire A une action qu’il est propost de mener A l’avenir; mais elles puisent
toujours leurs racines dans le passt: la terre qui les noumt peut être de caractère
religieux, philosophique ou mktaphysique; elles peuvent reposer sur les paroles
de sages, de saints ou de fondateurs de systtmes religieux; elles peuvent reprC-
senter la structure fossiliste de luttes sociales,politiques et idtologiques menCes
voici bien longtemps. Elles ne sont pas le fruit d’une gtnkration spontante; ce
sont des produits de l’histoire qu’il importe d’analyser c o m m e tels. Les finalitts,
les buts et les objectifs en kducation sont nCgociCs et formulks dans des circons-
tances historiques et sociales particulitres par des personnes particulitres. Les
objectifs frkquemment,les buts A l’occasion et les finalitts parfois sont repensts
pour rtpondre aux nouvelles circonstances que connaissent l’kducation et la
socittC, et A travers la façon dont les gens, dans ces circonstances,perçoivent la
nature d’un probltme et jugent quelle doit être la dkmarche suivante.
C‘est ce qui ressort clairement si l’on se rappelle que l’enseignement de masse
est une invention sociale des XIXe et X X e sitcles. Le coût des nouvelles institu-
tions Ctant Cnorme,c’est l’Etat,plus que l’Eghse, qui est intervenu; mais il fallait
justifier pareille intervention.Des dtbats ont soulignk les raisons pour lesquelles
l’intervention de l’Etat était nkcessaire. L‘tvolution de la situation sociale et ko-
nomique, qui aux yeux des rtformateurs exigeait d’en venir A un enseignement
de masse, a 6tC invoquk. Il fallait donner une id& des espkrances A concevoir
quant aux moyens de rtsoudre les problèmes grfice aux nouvelles institutions.
Les tâches de l’tcole nouvelle (lesfinalitts, buts et objectifs tducatifs) ont CtC
expods.
Dans cette affaire, sociologues et phdosophes, politiciens et hommes
d‘affaires,ainsi que groupes religieux et linguistiques landrent, invoqutrent ou
rkcusèrent les thtories sur la sociktk juste,les pratiques pkdagogiques nationales
et traditionnelles actuelles,les notions de nhssitt konomique nationale et les
exemples d’autres nations. Mais le rtsultat,dans la plupart des pays du monde,
a CtC de rktquilibrer le rdle social et kducatif de la farculle ou de la,tribu, de
l’administration publique et des institutions kconomiques et religieuses. L‘une
des conskquences a ttt qu’il est devenu possible de parler de systèmes scolaires
et d’analyser les finalitts, les buts et les objectifs de I’éducution en termes qui
valent A peu de chose prts pour l’ensemblede la planète.

Idéologies,philosophies, théories et politiques


Avant de passer A une analyse plus concrète des rapports entre les finalitCs, les
buts et les objectifs de l’kducation,il n’est pas inutile d‘examiner l’importance et
les emplois possibles de quatre autres termes: les idhlogies de l’kducation, les
philosophies de l’kducation,les thtories de l’kducation et les politiques de l’kdu-
cation.
22 Finalités de réducation

O n a déjja implicitement admis que les XIXe et X X e sikcles avaient vu la créa-


tion non seulement des systèmes scolaires mais aussi d'une idéologie de I'éduca-
tion'. C'est ce que certains théoriciens radicaux ont fait valoir avec force au
cours des dernières années, notamment Paolo Freire et Ivan Illich. L'aveu a
m ê m e été fait dans des rapports internationaux sur l'éducation qu'il est possible
de faire une distinction entre l'enseignement scolaire et l'éducation. D e plus en
plus, l'on s'est montré disposé A choisir dans l'éducation nationale l'option poli-
tique de l'éducation non formelle dans l'espoir de résoudre la dichotomie. Les
bénéficiaires indirects sont les anthropologues,dont les écrits sur l'éducation ont
une plus large audience.Ils ont été plus conscients,et cela bien avant la plupart
des clercs,de la distinction entre le processus éducatif et le processus d'enseigne-
ment scolaire. Néanmoins, s'il est de fait que la signification et l'axe de critique
de l'expression idéologie de l'enseignement peut être analytiquement utile, c'est
rarement le cas pour l'expression idéologie de l'éducation. Le sens retenu est fré-
quemment péjoratif dans les expressions idéologie communiste, socialiste,pla-
tonique, maoïste, capitaliste ou élitiste de l'éducation. Utilisée dans pareil
contexte, l'expression implique une renonciation au débat et non une critique
des idées.C e qui ne revient pas, naturellement, ja nier la possibilité d'un emploi
analytique,dans lequel on recherche plus une confrontation qu'une renonciation
A la discussion. Dans l'analyse de la création de finalités éducatives dans des
contextes coloniaux,il n'est pas déplacé de se demander si (voire comment) une
idéologie de l'éducation a été transmise, ja l'Inde par exemple. Il n'est pas indif-
férent que l'on juge plus souvent que l'on ne comprend ces questions et l'expres-
sion idéologie de l'éducation peut s'employer ja l'une et l'autre fins.
L'expression philosophie de I'éducation a deux significationsprincipales. L'une
renvoie ja des phdosophes c o m m e Confucius, Platon, Locke ou Dewey qui ont
consacré leur réflexion aux finalités et aux buts de l'éducation. Tous ont aussi
donné des exemples d'objectifs de l'éducation,c'est-A-dire des descriptions des
fins envisagées et des types de couple enseignement-apprentissage préférés.
Leurs travaux, c o m m e l'enseignement d'autres philosophes, représentent la
philosophie de l'éducation traditionnelle que l'on enseigne aux étudiants en
éducation. L a seconde renvoie A l'activité professionnelle courante de la
philosophie pédagogique. Presque partout, les universités ou les instituts
d'enseignement supérieur sont faits pour des gens qui acceptent pour rôle
professionnel de réflkchir,par l'enseignement et par la plume, aux finahtés, aux
buts, aux objectifs de l'éducation et ja des pratiques pédagogiques particulières.
La question ici n'est pas de savoir si la qualité de la réflexion philosophique sur
l'éducation a baissé ou si le travail des vivants est condamnable,comparé ja celui
des morts. L'important est de voir si les enseignements de philosophes c o m m e
Confucius,Platon,Locke et Dewey, qui pour la plupart annonçaient la création
des systèmes éducatifs contemporains,ont joué un rôle sociologique différent de
celui des réflexions analytiques contemporaines de philosophes professionnels
de l'éducation. Tel est le cas ja notre avis. La pensée des grands phdosophes a été
intégrée, mutatis mutandis, dans divers exposés nationaux des finahtés et buts de
l'éducation. Il est plus dfficile aux spéciahstes contemporains d'influer sur les
déclarations consacrées ja l'éducation et sur la pratique éducative.Ils se heurtent
Aspects théoriques 23

h une double institutionnahsation:celle de la pensée de leurs prédécesseurs et


celle de l'existence actuelle des systèmes scolaires. Aussi bien, quoique la
philosophie axée sur l'éducation puisse aider A redéfinir et h réinterpréter les
finalités, buts et objectifs de l'éducation, cette activité est fortement restreinte
par ce qui a déjh été créé socialement dans les systèmes scolaires du monde et
par les conceptions philosophiques qui inspirent déjh les &ts systèmes qui les
incarnent.

L'expression théorie de l'éducation peut être prise au sens fortZ ou au sens


faible. Au sens fort, une théorie de l'éducation n'est pas très dfférente de la
doctrine classique d'un philosophe de l'éducation. Autrement dit, une grande
théorie de l'éducation serait la synthèse d'une théorie épistémologique, d'une
théorie psychologique et d'une théorie sociologique.L a théorie épistémologique
dirige l'attention sur les formes valables de savoir; la théorie psychologique
indique comment il est possible d'acqué~ ce savoir; quant h la théorie
sociologique, elle éclaire le rôle indwiduel du bon élève et la vie sociale du
système éducatif. Ces Cléments s'organiseront avec plus ou moins de cohérence
dans un cadre plus large qui donnera un aperçu des fins dernières de
l'éducation. En ce sens, les grands philosophes de l'éducation ont émis des
théories de l'éducation. Il est h noter cependant que les œuvres complètes d'un
phlosophe classique donné ne sont pas l'unique source des théories de l'éduca-
tion, lesquelles peuvent être élaborées par plusieurs personnes h des périodes
différentes. Par exemple, pris globalement, les écrits de Marx, Lénine et
Krupskaya nous proposent une théorie de l'éducation. Dans le m ê m e sens,il est
également permis de parler d'une théorie catholique de l'éducation. A u sens
faible, on entendra par théorie de l'éducation une hypothèse explicative A l'essai
ou attendant confirmation,qui suggère les rapports probables entre parties d'un
systkme éducatif ou entre le système éducatif et d'autres structures sociales.Par
exemple: a) l'opinion selon laquelle l'enseignement des mathématiques
nouvelles permettra, mieux que les anciennes méthodes, d'accroître les
connaissances des klèves ordinaires; b) la théorie qui veut que la recherche
consacrée aux méthodes heuristiques d'enseignement des sciences éveille plus
l'intérêt des élèves que les méthodes didactiques; c) la théorie suivant laquelle
les écoles secondaires non sélectives (ou polyvalentes) réduisent la stratification
de classe dors que les écoles sélectives du second degré la perpétuent.
Manifestement, l'élaboration et la mise A l'épreuve de ces théories est fort
importante pour les analystes professionnels de l'éducation; mais le rapport
entre ces théories et les finalités,les buts et les objectifs de l'éducation &ffke
profondément de ce A quoi tendent les théories de l'éducation au sens fort, les-
quelles influent sur la définition des finalités et des buts et ne sont pas sans inci-
dence sur les objectifs. Les théories de l'éducation au sens limitatif mettent
d'ordmaire A l'épreuve les relations dans un cadre normatif fourni par les
finahtés et les buts; elles auront probablement leur plus forte incidence sur le
comment de l'éducation, c'est-A-dire dans les conclusions qu'elles proposent
quant aux meilleurs moyens d'atteindre un but ou un objectif pédagogique
donné.
24 Finalités de I‘éducation

Les politiques de I’éducation, qu’elles soient définies par des organes privés
c o m m e les associations professionnelles ou par des administrations publiques,
proposent en règle générale des changements. Elles sont donc orientées vers
l’action. Les recommandations ou déclarations d’intentions s’appuient en
principe sur des arguments phdosophiques, historiques et sociologiques qui
justifient des déclarations,parfois revues, et dans certains cas des interprétations
nouvelles des finalités,buts et objectifs. Ces derniers peuvent avoir été dmociés
dans une certaine mesure aux fins d’analyse; mais dans une politique, ils sont
réunis en vue de l’action. La préparation et l’élaboration d’une politique, en
particulier celle d’un Etat, est un processus complexe et difficile.La politique est
souvent une synthèse de multiples points de vue, parfois contradictoires en
apparence, et elle peut s’efforcer de concher des intérêts dwergents. C‘est
pourquoi les documents condensent dans des exposés généraux les aspirations
sociales qu’expriment divers groupes; ils incarnent quelques tramtions pédago-
giques et en reformulent ou en rejettent d’autres. Ils sont donc le lien entre une
tradition éducative et un avenir éducatif dont on souhaite l’avènement. En
reconnaissant les finalités éducatives, ils poursuivent d’ordinaire par un nouvel
exposé des buts, puis redéfinissent longuement les objectifs. Les rapports
nationaux représentent la réaction particulière A des problèmes urgents. Il est
possible d’esquisser ici quelques-unesdes contraintes historiques et sociales qui
pèsent sur la résolution de ces problèmes actuels d’éducation: il existera certai-
nement une solution (c’est-A-direun avenir). L’examen du rapport par l’opinion
ou par des spécialistes portera sur la logique interne du rapport, en particulier
sur la relation entre les finahtés de l’éducation et les théories pédagogiques;
entre les buts et les objectifs; entre les objectifs et les théories d’application du
processus enseignement-apprentissage.Peut-être suggérera-t-ondes variantes,
notamment aux niveaux inférieurs de spécificité. L‘adoption du rapport est
toujours problématique, m e m e s’il est plus facile de l’obtenir de jure. Très
souvent, l’acceptation de facto et la mise en application peuvent impliquer la
nécessité d’une formation nouvelle du personnel enseignant, voire une
redéfinition sociale de la profession. C‘est ce qui se produit très probablement
lorsqu’il y a renégociation des grands desseins éducatifs appelés it avoir de
profondes répercussions parce qu’ils sont profondément ancrés dans des
traditions sociales et politiques.

HIERARCHIES ET R6CIPROCITfiS

Dans un souci de clarté, nous nous proposons de résumer et d’ordonnerc o m m e


suit les arguments et théoriesjusqu’ici exposés.
1. Les finalités, buts et objectifs de l’éducation,qui évoluent au gré des forces
sociales, économiques et historiques, expriment des aspirations concernant
l’avenir.Ces aspirations sont, pour ainsi dire, négociées socialement par les
gens qui ont souvent des diagnostics divergents au regard des situations et
problèmes actuels. Qu’il existe une hiérarchie du général au particulier, des
Aspects théoriques 25

exposés des finahtés éducatives aux objectifs scolaires précis, reste du


domaine de la conjecture. C e que nous voulons dire est que,
schématiquement et sociologiquement parlant, il existe entre les finalités,les
théories, les buts, les objectifs, les théories d'application et les politiques de
l'éducation un rapport de réciprocité dont, bien souvent,on ne s'est pas avisé
ou que l'on a sous-estimé.
2. Les finalitésde l'éducation, il faut bien le comprendre,sont liées aux grandes
traditions laïques et religieuses dont il est possible, av& quelque imagination,
de tirer sur le plan éducatif les évaluations les plus optimistes;elles sont liées
aussi aux théories de l'éducation au sens fort, qui ne sont pas loin d'exprimer
les formes institutionnelles privilégiées (y compris la nature des
connaissances et les rapports entre enseignement et apprentissage) de nature
A permettre d'atteindre ces buts lointains.
3. Les théories de l'éducation au sens fort s'apparentent non seulement ((versle
haut)) aux finalités,mais aussi aux buts de l'éducation (et, par conséquent,A
leur expression la plus caractéristique,c'est-A-dire aux exposés de politique
éducative). Il n'est pas facile de déduire rapidement les buts éducatifs des
théories de l'éducation au sens fort @as plus que l'on ne peut déduire directe-
ment les finalités éducatives des grandes traditions). Néanmoins, dans un
contexte national donné, on pourra probablement faire cadrer les buts
éducatifs avec une théorie de l'éducation au sens fort.
4. Les buts de l'éducation s'apparentent non seulement ((vers le haut)) aux
théories de l'éducation au sens fort mais aussi aux objectifs de l'éducation.
5. L a définition générale et la description des objectifs de l'éducation se
rattachent logiquement ((versle haut)) aux buts éducatifs. Les caractéristiques
détdées des objectifs éducatifs sont néanmoins inspirées par les théories
éducatives (au sens affaibli) en honneur, plus particulikrement dans la mesure
où celles-ci traduisent exactement les principes d'action qui doivent inspirer
le processus d'enseignement-apprentissage si l'on veut obtenir des résultats
bien précis.
6. Les exposés depolitique éducative sont en tout temps des recettes contempo-
raines d'action sociale. D e ce fait, elles sont en relation extrêmement étroite
avec les buts éducatifs,les objectifs et la théorie au sens affaibli. Quoi qu'il en
soit,et sauf dans des situations sociales extrCmes,les professions de foi politi-
ques réaffirment les éléments de théorie de l'éducation au sens fort, peut-être
dans des termes léghement différents.Normalement, elles réaffirment expli-
citement ou implicitement les fins traditionnelles de l'éducation.Toutes ces
réciprocités entre les aspirations éducatives dklarées et la pratique virtuelle
interviennent dans des conditionsde contrainte imposée par des phénom&nes
sociaux (événements historiques, économiques, politiques et sociaux) ou du
moins par la manikre dont ces faits sont perçus.
7. C e qui est peut-êtremoins évident, c'est qu'une fois les exposés des finalités
éducatives, etc. entrés dans le domaine public, ils exercent A leur tour des
contraintes sociologiques SUT l'action A venir. L'exemple le plus évident est
celui des finalités de l'éducation énoncées dans les Constitutions,auxquelles
il est toujours tr&s difficile d'apporter des changements. Il est ardu de
26 Finalités de réducation

soustraire au domaine public ces expressions prestigieuses et consacrées des


fins ultimes de l’éducation. D e même, les grandes théories de l’éducation
peuvent, le moment venu, devenir des faits quasi sociaux: ce qui est accepté
n’est acceptable que parce qu’exprimé dans le cadre d’une certaine tradition
philosophique.Les grandes déclarations de politique nationale peuvent, après
de nombreuses années, passer simplement dans les livres d’lustoire. Il est
possible de les reviser et de les récrire en dépit de ce que la tâche a d’ardu
parce que les buts et les politiques qu’elles proposent ne sont manifestement
plus adaptés. U n exposé schématique de quelques-uns de ces rapports est
chose possible. Mais il est bien plus difficile d’écrire en comprenant
parfaitement la façon dont ils se nouent dans des situations sociales
particulières. Les outils conceptuels et théoriques - en sociologie, en
éducation comparée et en sociologie de la connaissance - n’existent pas, il
s’en faut, avec le détail auquel on devrait atteindre pour exploiter des
données transnationales A l’échellemondiale.Tout au plus peut-on offrir une
simple esquisse de quelques rapports probables révélés par des exemples par-
ticuliers. Dans la meilleure hypothèse, il s’agit d’exemples en quête d’une
théorie.

CONSTITUTIONS,LOIS ET FINALITES
U n e Constitution nationale écrite ne fait pas toujours référence aux finalités de
l’éducation,encore qu’elle puisse néanmoins influencer l’interprétationdes lois
et règlements.A u x Etats-Unis d’Amérique par exemple, l’éducation fait partie
des activités qui ne relèvent pas expressément du gouvernement fédéral et qui,
logiquement,sont donc du ressort du chaque Etat. O n a eu cependant recours
indirectement h la Constitution pour légitimer les principes de justice au regard
de l’éducation en leur donnant un fondement juridique:on y a vu la source pos-
sible de principes exprimant en matikre d’éducation les plus hautes aspirations
au sens le plus large. Ainsi donc, la proposition générale de protection égale
dans le cadre des lois des Etats-Unis a été appliquée en éducation h l’effet de
combattre la discrimination en matière d‘éducation. En fait, aux principes juri-
diques de la Constitution des Etats-Unis a été assigné le rôle d‘énoncés des plus
hautes aspirations,y compris celles qui touchent h l’éducation. Progressivement,
ces finalités éducatives, implicites dans la Constitution,ont fini pas inspirer les
buts, les politiques bar exemple les programmes d’ttudes pour les Noirs et les
femmes) et les objectifs éducatifs. U n e grande activité professionnelle en
matière de théorie de l’éducation a été consacrée h l’étude des moyens de mettre
un terme h la discrimination dans l’enseignement.
Dans d’autres pays, la Constitution de l’Etat énonce les finalités de l’éduca-
tion. C’est le cas par exemple de la Constitution mexicaine qui prévoit le déve-
loppement harmonieux des virtualités de l’individu,l’amour du pays, le progrks
économique,culturel et politique de la nation, ainsi que la conscience de l’inter-
dépendance des peuples. L‘éducation, y est-il dit, est laïque, obligatoire et gra-
tuite. La Constitution d’autres Etats (par exemple celles de l’Inde et de l’URSS
et la nouvelle Constitution grecque de 1975) énumèrent des fins analogues.
Aspects théoriques 21

Les finalités éducatives qu'affichent les Constitutions révèlent plus d'analo-


gies que de différences. Presque partout, c'est au développement et A la liberté
politique dans la responsabihté que les gens aspirent le plus. L'accent porte
d'ordinaire sur l'égahtt devant l'tducation, sans distinction de sexe, de race ou
de croyance.Il est fait souvent allusion aux idéaux de patriotisme et de compré-
hension internationale.
Bien entendu, il n'est pas surprenant que les fins éducatives que l'on trouve
énoncées dans les Constitutions aient tant de traits communs. Les idéaux procè-
dent de plusieurs grandes traditions religieuses et de traditions laïques révolu-
tionnaires A un moment donné. Dans l'après-guerre,bon nombre des idéaux ont
pris un caractère international qu'a consacré la Déclaration universelle des
droits de l'homme. Il n'est pas non plus surprenant, sociologiquement parlant,
que les Constitutions nationales soient le point de convergence de ces idéaux.
D e toute évidence, dans les situations révolutionnaires,une Constitution nou-
velle marque la rupture symbolique entre un passé honni et un avenir pro-
metteur; il existe une logique sociale dans la codification de ce futur; et comme,
de plus en plus, les établissements d'enseignement jouent un r6le dans l'élabora-
tion de l'avenir, les énoncts des finalités de l'éducation trouvent de plus en plus
leur place dans la rédaction des Constitutions.
Ces documents fondamentaux peuvent avoir pour complément une codifica-
tion des finalités éducatives dans les grandes lois nationales relatives A l'édu-
cation. Le Mexique peut A cet égard servir une nouvelle fois d'exemple. L a
législation fédérale mexicaine de 1973 sur l'éducation énonce c o m m e fins le
développement harmonieux de l'individu, le souci de cultiver le sentiment d'être
A la fois membre d'une nation et de la communauté intemationale,la protection
et la répartition du patrimoine culturel national, la compréhension écologique,
la conscience des droits individuels et sociaux,la compréhension scientifique et
technologique en vue de promouvoir le dtveloppement national dans l'indépen-
dance, la compréhension de la démocratie A la fois c o m m e forme de gouverne-
ment et c o m m e mode de vie communautaire et l'harmonisation de la tradition et
de l'innovation.L a liste est longue, certes, mais non exceptionnelle.U n ensem-
ble analogue de finalités éducatives, définies dans des lois et des règlements et
retenues sur le plan national au plus haut niveau, souligne dans le cas de
l'Arabie Saoudite le devoir qui incombe A tous de chercher ti acquérir un savoir
qui traduise la loyauté et le respect pour l'enseignement islamique, l'objectif
final étant de dispenser ce savoir A tous, de le mettre au service du développe-
ment du pays et d'une élévation du niveau de vie, du développement de la
science et de la technologie en vue de faire progresser la nation, sur les plans
national et international, et dans le souci de faire triompher les vertus et p M -
cipes d'altruisme, de coopération et de fraternité pour parvenir A une intégration
sociale harmonieuse.
Les finalités de l'tducation expostes dans ces documents législatifs caractéris-
tiques sont audacieuses et multiples. Elles proctdent de considérations indivi-
duelles et sociales et traduisent la nécessité reconnue d'une continuité culturelle
et de l'innovation. Les fins politiques minimales, entre autres l'unité nationale,
sont citées en tant qu'espérances et l'éducation est appelée A faciliter leur réali-
28 Finalitès de I‘éducation

sation. U n e vision du monde se dessine, qui parfois repose sur des principes
tantôt religieux,tantôt humanistes. Ils apparaît c o m m e généralement admis que
la science et la technologie joueront un rôle dans le développement national,
notamment dans le développement économique;le système éducatif sera appelé
lui aussi A y contribuer.
Les aspirations exprimées en ce qui concerne la tâche des systèmes éducatifs
sont donc ambitieuses, peut-êtrem Q m e trop. L‘éducation contribuera A la réali-
sation des finalités politiques, morales, religieuses,culturelles,sociales et écono-
miques. Transmué en finalités éducatives, le processus devient un travail de
composition d’attitudes par l’intermédiaire du fonctionnement des systèmes
d’enseignement.L‘individu et le citoyen conformes A un idéal feront leur, com-
prendront et exprimeront par leur vie m Q m e un ensemble de trts hautes valeurs,
fréquemment fondées sur une philosophie religieuse ou politique. A u nombre
des plus hautes aspirations citées de façon caractéristique figurent l’amour de la
liberté,de la vérité et de la justice, les notions d’honnêteté,d’autodisciphe et de
devoir, ainsi que le respect des autres. La conscience culturelle comprendra le
sentiment du passé et éveillera un dtsir ardent de transmettre aux générations
futures les meilleurs éléments du patrimoine national. En règle générale, on
attend une certaine compréhension des droits d’autres groupes et, parfois,
mention est faite de la contribution de la tradition nationale A la culture
mondiale. En matière de finahtés sociales,il arrive frtquemment que soit évo-
quée l’harmonie sociale. Les minorités,y compris les femmes, devront bénéficier
de toutes les prestations sociales. L‘unité sociale sera renforde par le recours A
une langue nationale et l’acceptation des justes revendications des minorités
linguistiques. Il peut Qtre question de relations idéales entre la famille, la
collectivité locale et la société. L’accent peut aussi être mis sur le progrès social
et l’égalitésociale dans le cadre national. En matitre économique, l’idée de déve-
loppement et de progrts, c’est-A-direla notion relativement traditionnelle de
modernisation de l’économie et industrialisation (notamment un recours beau-
coup plus fréquent aux machines, aux usines, A une division spécialisée du tra-
vail, etc.), est d’ordinaire mise en relief. Parfois,la gentse des attitudes correctes
et nécessaires A l’égard du travail, en particulier du travail manuel, est citée
c o m m e moyen d’obtenir un tel résultat. Il n’est pas inutile d’ajouter que
l’énorme s o m m e d’effortshoMetement déployés au fil des ans par des gkntra-
tions d’enseignants de tous les pays pour inculquer aux jeunes un véritable
amour du travail pénible, exigeant et rebutant, aussi bien dans les champs qu’A
l’usine,n’a nulle part donné des résultats significatifs.Enfin, les aspirations édu-
catives au regard des attitudes politiques sont d’ordinaireclairement exprimées:
sont largement admis c o m m e finalitts A poursuivre la fierté nationale et le
patriotisme,nuancés souvent il est vrai de fraternité internationale.
D e ce qui préckde,il ressort que, dans leurs déclarationsrelatives aux finalités
de l’éducation,les gouvernants et les administrations publiques de tous les pays
nourrissent de trts grandes espérances. A vrai dire, un peu de réflexion invite
m ê m e A les juger tant soit peu utopiques. Partout, les ressources humaines et
matérielles A la disposition de l‘tducation sont lirmtées et bien inférieures A
celles sur lesquelles les sptcialistes et, en particulier, les réformateurs utopistes
Aspects théoriques 29

aimeraient pouvoir compter. Nous n’osons pas non plus supposer que l’argent
suffirait A lui seul A crter des postes d’enseignantsvraiment consciencieux,idta-
listes et en nombre suffisant pour tdifier une nouvelle socittt.
En plus de ces arguments pratiques,il convient de noter que l’tcole (A tous les
niveaux) n’est qu’un des nombreux instruments qui façonnent le caractère et la
personnalitt et qui alimente et les ambitions et les esptrances des êtres humains.
Il s’en faut qu’elle soit le plus influent dans les domaines les plus vitaux. Elle est
et demeure essentiellement une institution faite pour faciliter l’acquisition de ce
qu’il est possible d’apprendre - en apportant des exemples, en transmettant le
savoir pratique qui peut s’enseigner et en enseignant l’usage de la langue et la
maîtrise des chiffres,ainsi que des c o ~ a i ~ s a n cpositives
e~ et catalogutes. O n lui
a certes assigné d‘autres fonctions et elle a acceptt de nombreuses autres respon-
sabilités.Elle demeure ntanmoins par la force des choses une institution conser-
vatrice qui, par sa nature même, ne peut faire rien de plus que de fertiliser et
préparer le terrain dans lequel des institutions nouvelles et plus parfaites pour-
ront prosptrer et oh la culture humaine pourra progresser. Il ne faut pas lui
demander trop.
Passer en revue certaines Constitutions et le contenu des grandes lois relatives
A l’tducation pour plusieurs pays est A certains tgards une exphience de relati-
visme culturel. Les finalitts de l’tducation sont frtquemment très semblables.
Seule la prtsence dans le texte d’un mot c o m m e socialiste, bouddhiste ou isla-
mique situe certains systèmes de valeurs; seule la rencontre d’autres mots
c o m m e dtveloppement ou multiracial donne une idée des structures écono-
miques et sociales. Le fait qu’il existe tant de ressemblances d’un expost des
finalités de l’tducation A un autre rend-ilvaines l’étude et l’analyse des docu-
ments? Ce n’est pas tout A fait vrai puisque c’est un moyen de mieux situer les
problèmes.
Pourquoi tant de ressemblances? O n pourrait, de manière A peine paradoxale,
dire que c’est parce que, dans les Etats, les organismes qui codifient les finalitts
sont les gouvernementset les ministères de l’tducation.Ceux-ci,dans leur struc-
ture et leur organisation, voire m ê m e dans la langue qui leur est propre, se
ressemblent Ctonnamment dans toutes les parties du monde. Les usages et
points de vue du mandarinat prtvalent oh que ce soit. A u X X e siècle,on s’attend
que ce soit ces organismes d’Etat plus que les organisations religieuses qui codi-
fient les aspirations en matière d’tducation. D e plus, et tout en reconnaissant
que chaque nation occupe en fait, et en particulier dans sa perception propre,
une place singulière dans le monde, il est aussi vrai que les gouvernements se
heurtent A beaucoup de problèmes semblables: assurer l’unit6 nationale; appor-
ter ou tout au moins orienter vers plus de bien-être tconomique; concevoir et
rtahser la justice sociale et une sociBtC harmonieuse; coordonner, sinon pro-
poser des conceptions concernant la sociétt future. Pour rtsoudre ces pro-
blèmes, il n’y a pas seulement des experts nationaux qui peuvent y rtfltchu et
tenter d‘y apporter des solutions; il y a aussi une accumulation de capital
culturel mondial auquel tous ont de plus en plus largement accès, en partie grâce
aux institutions internationales.
30 Finalités de l'éducation

Chacune des grandes traditions religieuses offre des suggestions et des direc-
tives au regard de l'individu idéal,des principes qui devraient régir les rapports
mutuels et du comportement qui s'impose B l'égard de la nature vivante aussi
bien qu'inanimée; elle édicte aussi des prescriptions de caractère moral et reli-
gieux. Chacune des grandes révolutions politiques depuis le XVIIIe siècle offre
des versions laïcisées de ces traditions. Cela est vrai m ê m e des révolutions
marxistes qui, toutes, révèlent clairement l'influence des traditions dominantes
- chrétienne, islamique ou confucéenne - en dépit de l'universalisme de la
pensée marxiste.
Les philosophies laïques du nationalisme et des droits de l'homme esquissent
les fondements et principes de la combinaison d'individus et de collectivités en
ensembles plus vastes. Des embryons d'organisations régionales font l'essai de
principes de combinaison sociale différente et les organisations internationales
mondiales en ébauchent d'autres encore. C'est ce capital culturel accumulé qui
donne une base sociologique B l'homogénéité relative des aspirations,caractéris-
tique des finalités de l'éducation dans le monde. Voir dans cette convergence des
aspirations une simple coïncidence est une vision trop simpliste, tout c o m m e il
est trop cynique de la considérer c o m m e un jeu rhétorique B ne pas prendre au
sérieux.
L'autre côté du problème est cependant d'expliquer les différences.
Autrement dit, vu les ressemblances entre finalités éducatives des pays du
monde, comment se fait-il que leurs systkmes éducatifs diffèrent aussi sensible-
ment? Telle qu'elle est formulée, la question est trop générale et constitue une
version de la question théorique classique de l'éducation comparée. Mais la
question d'ensemble demeure, A laquelle il faut apporter une réponse partielle
dans les limites du mandat qui nous est assigné. Commençons par constater que
les exposés des finalités éducatives ont presque toujours un caractère encyclopé-
dique et qu'ils font état de très hautes aspirations concernant les principaux
domaines de la vie humaine.Ils attirent le consensus en partie en évitant la déci-
sion et le choix. C'est plus tard que les problèmes de décision et de choix devien-
nent plus pressants; d'ordinaire, au moment de l'allocation des ressources. Les
finalités de l'éducation déguisent des choix particuliers. Elles esquissent une
direction mais ne choisissent pas une voie. Plusieurs processus sociaux inter-
viennent entre les exposés des finalités éducatives et le moment d'opérer les
choix qu'impose la modicité des ressources.L'un de ces processus est la fixation
de priorités parmi les choix.Le détail se dégage progressivement dans le chemi-
nement descendant empruntant la hiérarchie des finalités,des philosophies de
l'éducation et des thtories ou modèles éducatifs expérimentaux.

FINALITES,BUTS ET PHILOSOPHIES DE L'EDUCATION

L'accent a été mis précédemment sur le fait que les finalités suprêmes et les
idéaux des nations sont, par la force des choses,vastes et vagues: ils constituent
des visions d'avenirs possibles. U n e politique, par contre, doit être restreinte et
précise: elle doit exposer des buts définis et proposer des moyens pratiques de
Aspects théoriques 31

les réaliser. Il est difficile de passer de l'un 21 l'autre,c o m m e de passer des rêves
aux réahtés. 11 faut pour cela une sorte de passerelle ou, tout au moins, un
moyen de guidage stable. C'est ce qu'apportent d'ordinaire les systèmes philoso-
phiques ou religieux actuels aussi bien que l'histoire. Il est possible d'en tirer des
règles et des principes disposés systématiquementde manière 21 guider ceux qui
expriment et codifient les buts et principes formulés dans les lois et systèmes
éducatifs.
Ces masses d'opinions portant sur presque tous les aspects de l'éducation,
depuis le côté finances jusqu'21 l'organisation dans la classe, et qui les relient
systématiquement iI des doctrines générales de l'homme, de la nature et de la
société,sont en principe désignées sous le n o m de philosophies de l'éducation, qui
varient très largement tout c o m m e les systèmes philosophiques généraux dont
elles découlent et auxquels elles se rattachent.
U n exemple rendra plus claire la nature de l'argument ici présenté. Les philo-
sophes idéalistes soulignent dans leur réflexion l'importance de l'intellect (âme,
esprit, vie) et présentent une solution autre que le matériahme. Ils soutiennent
que la réalité ultime est spirituelle plus que physique, mentale plus que maté-
rielle. Ils postulent que tous les humains possèdent une essence spirituelle (qui
peut procéder d'un monde platonique des formes ou directement des actions de
Dieu). U n e éducation bien conçue s'attache essentiellement 21 déterminer et
développer cette essence. Dans ce processus, l'esprit est encouragé A imposer
l'ordre, la cohérence et la clarté 21 des sensations confuses et sujettes 21 caution
qui découlent du monde environnant. L a cohérence,le système et l'ordre sont
aussi caractéristiquesdu monde moral des idéalistes dans lequel les valeurs sont
absolues et immuables.C'est le rôle de l'individu de saisir cette unité morale du
monde et d'agir dans le cadre de ces règles. L'impuissance 21 agir n'est pas sim-
plement une faute contre la société;elle va 21 l'encontre des principes d'un tout
spirituel plus grand. Il est clair que les conceptions idéalistes du monde offrent
une métaphysique, une épistémologie,une théorie de la nature humaine et une
définition des sources de l'autorité morale. E n dépit des différences de détail
(par exemple dans les théories de Platon, Hegel et Kant sur les origines méta-
physiques de l'ordre moral), il y a en grande partie accord sur le plan méta-
physique. D e ce consensus métaphysique peuvent découler des principes qui
conduisent directement 21 formuler des philosophies de l'éducation.
Dans l'ensemble, les philosophies idéalistes rencontrent l'agrément de tous
ceux qui se réclament des religions traditionnelles.Elles ne s'intkressent que peu
aux aspects professionnels,techniques ou scientifiques de l'éducation. D e plus,
elles n'aident gutre 21 accélérer le développement industriel ou social.Enfin,elles
tendent 21 favoriser un conservatisme général. Dans les pays communistes,les
philosophies ou les théories marxistes de l'éducation dominent partout; la con-
ception qui en découle est presque l'antithèse de la conception idéaliste du
monde. Quoi qu'il en soit,et assez curieusement,il existe une grande analogie en
ce qui concerne l'éducation morale; dans ce cas, les buts proposés sont très sem-
blables. Manifestement,les philosophies les plus largement reconnues et les plus
influentes sont partout celles qui s'accordent le mieux A l'histoire culturelle,
32 Finalités de l‘éducation

sociale et politique de la nation et qui apportent l’appuile plus solide A ceux qui
dominent l’appareild’Etat.
Traditionnellement,on a attendu des élèves qui se préparent la profession
d’enseignants qu’ils consacrent beaucoup de temps et d’attention A la philosophie
de l’éducation et examinent avec soin comment les principes pédagogiques se
rattachent aux philosophies dominantes et en découlent. Encore que cela reste
vrai, ceux qui ne sont pas des philosophes de profession posent des questions
différentes. Ils ne demandent pas: est-il possible de faire découler les principes
et théories de l’éducation des positions classiques de la philosophie ou de
diverses philosophies et traditions religieuses (telles que le bouddhisme, l’isla-
misme ou l’hindouisme)? Cela est ou n’est pas possible. Chose plus importante
encore,elles en émanent effectivement ou non. Si les philosophies de l’éducation
ont été établies partir de positions de ce genre, deux questions utiles se posent
qui, si l’on peut y rtpondre avec quelque succès,permettent une réflexion trans-
nationale sur les systèmes éducatifs. La premikre question pratique est celle-ci:
dans ce but, et sans résumer la majeure partie des travaux COMUS, comment les
grandes philosophies de l’éducationpeuvent-elles être résumées sous une forme
succincte? La seconde question est: comment est-il possible de percevoir et
d’interpréter leur incidence sociale?
L’une des façons d’aborder la première question est de choisir un philosophe
donné qui résume pour l’éducation une épistémologie, u n modèle d’homme
social et une idée des fins souhaitables et des valeurs majeures de l’éducation.Il
est possible de faire du phdosophe un choix initial hypothétique,c’est-A-diredes
suppositions gratuites ou motivées. On peut s’attendre que le philosophe choisi
représentera assez bien au moins quelques aspects d’une grande tradition cultu-
relle ou résumera en grande partie ce qui caractérise une tradition nationale
donnée. O n pourrait par exemple choisir Confucius ou Platon pour représenter
de grandes traditions culturelles dans de nombreuses parties du monde; Locke,
Descartes et Dewey pourraient passer pour représenter les aspects majeurs des
traditions nationales. Il est indispensable de s’aviser que l’on ne saurait pré-
tendre rtsumer parfaitement et totalement une tradition culturelle ou nationale
dans une formule.L‘exercice consiste plut& dans une technique de construction
d‘un modèle, c’est-&dire que l’on peut maintenant interpréter le domaine trks
complexe des valeurs par le biais de critères explicites et qu’il est possible de
déduire publiquement un modèle d’une source largement accessible et contrô-
lable, savoir les écrits d’un grand phdosophe. Ceci conduit directement un
commencement de réponse A la deuxième question, c’est-A-hecomment inter-
préter et évaluer l’incidence sociale des philosophies de l’tducation.Le modèle
apporte, ou tout au moins propose, une systématique qui comprend toujours
une analyse de l’homme social, les éltments d’une théorie psychologique de
l’apprentissageet une conception des valeurs suprêmes ou des finalités de l’édu-
cation.A u niveau des buts éducatifs, exposés dans des documents publics, quel
est le degré de liaison et de relation avec la phdosophe qui apparaît h l’évi-
dence? O ù y a-t-il divergence? Il n’est pas question de rechercher une cause
simple,ni rien qui fasse penser par exemple que Dewey est la source de la situa-
tion actuelle au regard de l’éducation américaine.
Aspects théoriques 33

Il y a lieu de penser néanmoins que les grandes théories de l’éducation, consi-


dérées c o m m e des simplifications des principales questions métaphysiques,
imprègnent l’esprit des hommes. E n particulier, elles influencent ceux qui ont
fait de longues études,notamment dans le cadre d’un système d’éducation natio-
nale. Il appartient A quelques-unes de ces personnes de définir ultérieurement
des politiques éducatives et de préciser et traduire dans la réalité les buts de
l’éducation. L a pénétration psychologique des esprits est par 18 m ê m e trans-
formée en modèle institutionnel.Le modèle institutionnel dans lequel les géné-
rations futures reqoivent leur éducation officielle confirme dans les nouvelles
générations la pénétration psychologique. U n e très grande continuité dans les
principales hypothèses sur les théories de l’éducation devient alors possible. Ces
hypothèses ont été en grande partie légitimées (et ont acquis le pouvoir social de
limiter le choix futur) par l’intermédiaire de leur institutionnalisation.Elles ont
acquis en outre quelques-unes des caractéristiques techniques d’une idéologie.
Incidemment, on voit dans tout cela pourquoi ces systèmes philosophiques et
sociaux sont si stables et pourquoi il est si hfficile de les transformer et de s’y
opposer, au point que nous les avons précédemment appelés forts et permanents.
Pour l’étudecomparée des systèmes d’éducation,on peut noter qu’un nombre
relativement restreint de ((philosophesreprésentatifs))suffisent c o m m e point de
départ dans l’analyse du rôle social des théories éducatives au sens fort,en parti-
culier pour l’étude des rapports entre finahtés et buts précis.
Les modèles, répétons-le,ne représentent pas la réalité: ils servent 8 en
évaluer les aspects,notamment la reconnaissance des divergences pratiques par
rapport aux modèles. Par conséquent, dans la mesure où les grandes théories de
l’éducation (qui découlent de Confucius, de Platon, de Mam, de Locke, de
Descartes, etc.) ont été transférées A d’autres cultures et A d’autres Etats, il faut y
voir beaucoup plus un avantage analytique qu’un désavantage.
O n a noté précédemment que les exposés des finalités de l’éducation sont, de
façon caractéristique,presque encyclopédiques.On a également suggéré, impli-
citement,que l‘un des rôles des grandes théories de l‘éducation était d‘amorcer
le processus d’un choix détadé. Prenons une finalité mettant l’accent sur la
contribution que le système d’enseignement doit apporter au développement
économique. Il est particulièrement important de savoir si la grande théorie
éducative A travers le filtre de laquelle passe cette finalité de l’éducation (avant
de devenir un but éducatif ou une politique éducative) est confucéenne,plato-
nique, marxiste ou cartésienne; en effet, car la nature du filtre modifie profon-
dément la nature et la saveur de ce qu’il filtre.
Supposons une finalité éducative qui soit l’égalité,notamment l’égalité des
chances face 8 l’éducation.Il n’est pas indifférent que la grande théorie de l’édu-
cation A travers laquelle est filtrée l’inspiration procède de Locke, de Spencer ou
de Dewey. Supposons ce qui apparaît moins problématique: le principal but
Cducatif est de renforcer l’unitéet la loyauté nationales.Les notions historique-
ment assez récentes de ((fait national)) et ses conséquences sont moins influen-
cées par le passage A travers les vieux filtres classiques, par exemple le filtre
platonique, que par les théories modernes, par exemple l’éducation fasciste. Et
m ê m e parmi les auteurs anciens, il existe de grandes différences dans les
34 Finalités de l'éducation

concepts de collectivité, de hiérarchie et d'appartenance civique proposés et


défendus.
L a réflexion que suggèrent de tels exemples est qu'une finalité de l'éducation
générale revêt un caractère plus spécifique et plus concret 8 mesure qu'elle passe
au second degré des buts de l'éducation en étant, pour ainsi dire, filtrée par un
système philosophique important.Chacun de ces systèmes comporte une épisté-
mologie, contient différentes hypothèses sur le monde de la nature et de la
matière, ainsi que les moyens par lesquels l'homme se situe par rapport 8 lui.
U n e philosophie ou une théorie de l'éducation (pensons 8 Comenius ou 8
Froebel) peut m ê m e contenir des messages parfaitement explicites dans son
épistémologie sur le travail qui libère et le travail qui alikne. D e même, chaque
grande théorie de l'éducation contient, par le biais de sa théorie de l'homme
social, des hypothèses différentes sur un univers social harmonieusement
ordonné. Les hypothèses implicites dans la plupart des grandes théories de
l'éducation découlaient dans une large mesure de l'idée de hiérarchie sociale,
non d'égalité. C'est principalement Dewey et la pénétration des idées de Marx
dans la théorie éducative du X X e siècle qui renforcent plutôt qu'elles ne réfutent
les notions égalitaires. Souhgnons une fois de plus que les grandes théories de
l'éducation ne remontent pas A une cause unique. Les hypothèses sur le travad
dégradant et le travail enrichissant sont confirmées par plusieurs phénomènes
sociaux et non pas uniquement par des grandes théories religieuses ou philoso-
phiques. Il apparaît cependant qu'une phase se dessine dans le choix entre
plusieurs solutions de rechange 8 mesure que les efforts de l'homme pour
réaliser les finalités de l'éducation se heurtent 8 la structure actuelle des idées
que nous appelons des philosophies de l'éducation ou des grandes thCories de
l'éducation. Sociologiquement parlant, le fonctionnement des théories
particulières de l'éducation avec les hypothèses qui les sous-tendent (par
exemple sur le travad ou l'égalité sociale) peuvent constituer un ensemble de
finalités de l'éducation implicites qui vont 8 l'encontre des finalités explicites
officiellement affirmées.

CONTRADICTIONS ET CONTRAINTES

Les sections précédentes soulkvent le problkme des possibilités contradictoires


dans les rapports entre les finalités,les théories,les buts et les objectifs de l'édu-
cation. Il y a l'idée de finalités explicites et implicites. Il y a aussi l'idée selon
laquelle le fonctionnement des systèmes éducatifs pourrait s'écarter non seule-
ment des finalités mais aussi des principales théories de l'éducation reconnues.
A vrai dire,il est devenu explicite 8 travers la dernière section que tel devrait être
parfois le cas. L'éducation peut produire ce qu'exigent les parents et les nations
uniquement si ses activités sont épaulées et pleinement étayées par l'ensemble
des mécanismes de la société. Cependant, m ê m e lorsqu'elle échoue dans sa
tâche,elle doit continuer A entretenir la foi et l'espoir dans les idéaux,parce que
18 aussi est son rôle en tant que créateur de culture. Nous reviendrons plus tard
sur ce problème difficile, voire m ê m e terrible, qui réside dans le fait que la
Aspects théoriques 35

société peut encourager et récompenser une conduite qui est directement


opposée A ses idéaux avoués. Aux enfants des écoles, on peut enseigner des
valeurs d’honnêteté, de souci de la vérité, de bontk et de générosité. Les enfants
peuvent ensuite apprendre par les media ainsi que par leur expérience de la vie
comment la malhonnêteté,le mensonge, la mesquinerie et la brutalité ont sou-
vent pour sanctionla richesse,l’avancement et la popularité.
Pour revenir aux contradictions et contraintes dans le domaine des idées,nous
commençons par noter que partout les exposés nationaux des finalités et des
buts sont de plus en plus profanes par leur contenu et leur ton.Mais partout il y
a des traditions religieuses différentes,voire m e m e opposées. A l’heure actuelle,
c’est principalement dans les pays islamiques que les contradictions sont mani-
festes et que des tentatives skrieuses, originales et m ê m e remarquables sont
faites pour déduire, A partir des interprktations les plus nobles du Coran, des
finalités éducatives adaptées au contexte social de phénomknes étrangers A la
religion,tels que la modernisation,le fait national et le développement.Manifes-
tement, la tâche est considérable et doit créer, si elle est menke A bien, une
grande cohérence entre un systkme de valeurs traditionnelles et des finalités édu-
catives modernes. Ailleurs, des croyances et des superstitions profondément
ancrées continuent A influencer les styles de vie de nombreuses personnes,mais
les énonciationsnationales des finahtés éducatives n’y font pas ou y font A peine
référence.
A l’échellemondiale, c’est plut& l’inversequi se produit. Les Etats laïcs,loin
de faire prockder explicitement les finalités éducatives des systkmes de croyance
traditionnelles,tendent A attribuer au systkme éducatif la finalité d’harmoniser
une multiplicité de croyances et de traditions religieuses, tout en soulignant des
attitudes de rationalité scientifique qui devrait Ctre transmise A tous les citoyens.
Entre-temps,la plupart des gouvernements, lorsqu’ils énoncent les finalités,les
buts et les politiques de l’éducation et proposent des moyens de faire appliquer
ces politiques, se heurtent A la difficultk de décider quels sont les éléments des
anciens systkmes de croyance qui sont de nature A faciliter la réalisation des
finahtés éducatives contemporaines et ceux qui sont de nature A l’empêcher.
Bien entendu, il ne s’agit nullement d’une simple question d’intérêt théorique.
C o m m e dans la Rkvolution culturelle en Chine, elle peut revêtir des formes
extrêmement dramatiques et tragiques.
Bref, il apparaît clairement que partout, mais plus particulikrement dans le
Tiers monde, les gouvernements,dans leurs exposés et déclarationspubliques de
politique, s’expriment en termes profanes, bien que ce soit grace aux groupes
religieux qu’ils ont créé et maintenu leur systkme d’kducation traditionnel. Ils
sont tentés de suivre l’exemple des puissantes nations industrielles, non seule-
ment dans la teneur de leurs déclarations. Aprks tout, l’idée m & m e d’énumérer
des finalités et des objectifs,ainsi que celle de s’attacher A rksoudre des pro-
blèmes sociaux par le moyen d’un enseignement de masse et de l’idéologie
correspondante,sont d’inspiration m o d e m e et occidentale.
U n e autre source également importante et connexe de contradictions dans la
formulation des finalitks,des buts et des thkories réside dans l’influence d’autres
pays. Les exemples de ce processus sont faciles A découvrir. Il suffit d’examiner
36 Finalitès de I'èducation

quelques-unsdes grands systèmes d'exportation des idées pédagogiques au XIXe


et au XXe sikcles, plus particulièrement la Grande-Bretagne,la France, l'Me-
magne, les Etats-Unis et l'URSS.Tous ces pays ont exporté des systèmes, des
pratiques, des idéaux et des livres nouveaux. Virtuellement, tous les enfants
seraient admis dans les nouvelles écoles modernes et, grâce h un enseignement
généralisé, tous les hommes et toutes les femmes seraient en mesure de contri-
buer h la marche de la société en fonction de leurs capacités et de leurs
aptitudes. En pratique, bien entendu, les exemples de systèmes éducatifs du
XIXe siècle exportés vers des pays étrangers, le plus souvent par l'intermédiaire
des Eghses et des missionnaires,n'étaient pas ouverts h tous et remplissaient des
fonctions restreintes.
Il importe aussi de noter que, sans exception, toutes les grandes civilisations et
les grandes cultures - c'est 18 un truisme - ont élaboré des institutions d'ensei-
gnement et des théories éducatives pour justifier et rationahser leurs fonctions.
U n e fois rationalisées,ces fonctions peuvent être répandues.C'est ainsi que les
idées bouddhistes, musulmanes et confucéennes relatives h l'éducation ont étt
exportées.Les versions occidentales des idées pédagogiques et des systkmes sco-
laires se sont implantées tardivement au Japon, en Inde et en C h e , oh l'ensei-
gnement institutionnel était déjh relativement trks répandu. La portion des idées
et pratiques pédagogiques exportées par le XIXe siècle a stimulé un dtbat animé
parmi les réformateurs et les conservateurs dans de nombreux pays importateurs
h la fin du XIXe siècle et au début du X X e siècle. Simultanément on a observé
des processus parallèles dans l'exportation des idées soviétiques sur l'tducation.
Les réformateurs dotaux)), par exemple h Cuba, en Chine et en Yougoslavie,
ont reformulé des finalités éducatives nationales en termes analogues h ceux
qu'avait employés l'URSS;mais ils ont apport6 des variantes dans les théories
de l'éducation, grandes et petites (par exemple les théories d'application). D e
m e m e avant la guerre, des polémiques se sont engagées en Inde sur le point de
savoir s'il convenait de modifier ou de rejeter les idées pkdagogiques britan-
niques. Les conceptions françaises en matière d'éducation sont h l'heure actuelle
remises en question en Algérie,au Maroc et en Tunisie.
Autrement dit, les influences étrangkres diverses sont une source de contradic-
tions possible;non pas simplement les adjonctions les plus récentes, historique-
ment linéaires: Confucius, shintoïsme et Dewey; idées islamiques,sociahstes et
françaises;bouddhisme et hindouisme; Gandhi et Macaulay; idées espagnoles,
françaises et américaines en Amérique latine. Autrement dit, les risques de
contradictions sont grands, m e m e si l'analyse porte simplement sur les idées
philosophiques et pédagogiques,mis h part les pratiques.
Cependant, l'univers social n'est pas fait seulement d'idées. Des problkmes
matériels extrêmement graves, tels que la pauvreté, largement répandue, les
pressions inflationnistes,le manque de ressources naturelles exportables et les
difficultés de formation de capital, mobilisent directement l'attention sur des
solutions éducatives. Les problkmes sociaux, que ce soit l'analphabétisme, les
maladies endémiques ou la désintégration urbaine, exigent des solutions éduca-
tives. Les problèmes politiques, qu'il s'agisse des besoins de la dtfense militaire
ou d'une unité nationale fragde du fait de pressions internes exercées par des
Aspects théoriques 37

minorités ou encore de la destruction de l'identité culturelle dans un monde en


évolution trop rapide,peuvent inviter h assigner des tâches nouvelles au système
éducatif. Dans de telles situations, et sous l'effet de ces graves pressions maté-
rielles, sociales et politiques,le besoin est urgent de trouver des réponses.
Malheureusement, il n'y a pas seulement le fait que des ambiguïtés et des
contradctions peuvent se manifester entre les finalités et les grandes théories de
l'éducation qui pourraient guider les actions requises; que des théories éduca-
tives extranationales peuvent contenir des finahtés éducatives implicites qui ont
été insuffisamment analysées et comprises; que, dans de nombreux pays, le sys-
tème éducatif risque d'être un amalgame d'idées et d'influences indigtnes et
étrangères difficilement associables A des systèmes de valeurs trahtionnels et h
des phdosophies de laïcisation et de modernisation.Il est aussi vrai que, dans de
nombreux pays, on espère que les buts et les politiques de l'éducation s'insére-
ront dans une situation nationale caractérisée déjh par un ensemble de diffi-
cultés sociales. Et il est vrai que la matitre première des choix politiques
(données sur les besoins en main-d'œuvre, degré d'analphabétisme) n'existe pas
toujours; quelquefois,les compétences techniques nécessaires pour recueillir ces
données puis pour appliquer une politique ne sont que peu répandues. Para-
doxalement, l'aide que peuvent apporter les organisations internationales sous
forme de conseils pédagogiques peut compliquer les problèmes. La technique
n'est pas toujours culturellement neutre.
C'est au milieu de telles contraintes et de ces risques de contradictionsque les
politiques éducatives, mais aussi les buts concernant des secteurs donnés de
l'éducation, doivent être formulés,adoptés et mis en pratique. Les exposés des
buts éducatifs, puis des politiques, représentent l'opération suivante, plus fine,
consistant A convertir des formes génkrales (exposés des finalités) en formes spé-
cifiques d'actions dans des systèmes et des écoles.

POLITIQUES GDUCATIVES ET BUTS GDUCATIFS

C'est h cette phase du processus de traduction des finalités de l'éducation en


pratiques éducatives que commencent A se dégager des choix plus clairs. A ce
point de la démarche, qui comprend l'allocation indicative des principales res-
sources,il est possible, dans un Etat, d'interpréter certaines finahtés de l'éduca-
tion c o m m e plus importantes que d'autres. Egalement, en comparant d'un Etat
h l'autre, les priorités retenues pour agir commencent h se différencier, voire h
s'opposer, m ê m e si l'un et l'autre admettent des finalités éducatives de caracttre
général qui présentent des similitudes.
L'Indonésie, par exemple,a eu rkcemment tendance h mettre l'accent sur deux
grandes politiques: accroissement de la capacité d'accueil du système éducatif et
amélioration du systtme d'enseignement et d'apprentissage dans les écoles. Il
s'agit en l'espèce de buts de politique éducative. Les stratégies particulières dans
chaque domaine consistent en premier lieu h dkvelopper les écoles existantes,h
développer les systèmes scolaires h l'kchelon local et A développer le systtme
éducatif extrascolaire et l'enseignement privé. Dans le second domaine, où il
38 Finalités de l‘èducation

s’agit d’améliorer le couple enseignement-apprentissage,l’Indonésie a privilégié


la normalisation des programmes scolaires et le développement d’un système
d’enseignement modulaire et s’est attachée A amtliorer la formation des ensei-
gnants.
Les politiques et buts répondent très logiquement A deux finahtés éducatives
majeures qu’a énoncées l’Indonésie: améliorer la qualité de l’enseignement et
développer les chances d’tducation. Manifestement, il se trouve que cet Etat a
énoncé d’autres finahtés éducatives et qu’il a retenu des politiques et des buts
conçus pour répondre A ces autres finalités.
L a Malaisie, pendant la période 1976-1980,a fait figurer dans ses déclarations
de politique éducative l’améliorationdes chances d’éducation et de la quahté de
l’enseignement. Les stratégies particulières devaient entre autres viser A réduire
les taux de déperdition scolaire,A mettre en place une évaluation plus efficace et
A améliorer les taux d’encadrement. C o m m e en Indonésie,les politiques se ratta-
chent logiquement aux exposés de finalités éducatives. Néanmoins, en ce qui
concerne la Malaisie,pendant la période 1976-1980,l’accent a été mis plus parti-
culièrement sur des politiques conçues pour renforcer l’unité nationale. C‘est
ainsi par exemple que le bahasa malaysia a été adopté c o m m e principale langue
véhiculaire A tous les niveaux. L e système éducatif des Etats malaisiens occiden-
taux est peu A peu intégré dans le système national et des mesures politiques
viseront A réduire les inégalités qui existent entre régions et entre races au regard
de l’éducation.C o m m e l’Indonésie, la Malaisie poursuit simultanément d’autres
politiques éducatives.Mais il est manifeste qu’en l’espèce le principal accent est
mis sur la recherche de l’unité nationale. Le développement économique et la
politique éducative adoptée pour le réaliser sont en partie imbriqués de manière
A réaliser l’unité nationale. Il est A souhaiter que, grâce A la modernisation, il
devienne possible de réduire les inégalitts économiques. On peut espérer que ce
progrès A son tour favorisera une soif plus grande de participation de tous A la
vie nationale et, par voie de conséquence,conduira A l’unificationnationale.Par
conséquent,dans le cas de la Malaisie,la nouvelle politique économique de 1971
est logiquement rattachée A une politique éducative définie pour 1976-1980.
L‘expost de politique éducative souligne l’orientation et le développement des
programmes de formation conçus pour répondre aux besoins du pays en main-
d’œune. Le rapport logique doit cependant &re compris en termes culturels
propres A la Malaisie. La principale finalité éducative est la marche vers l’unité
nationale. Il s’ensuit que les politiques éducatives conçues pour moderniser
l’économie conservent une grande importance. Mais il y a eu choix de priorités:
les politiques éducatives conçues pour atteindre un but sont des moyens de se
rapprocher d’un but jugé plus important que permet aussi d’atteindre le systkme
éducatif.
D e m&me, la finalité générale que représente l’égalité des chances devant
l’éducation au niveau des buts et des politiques tducatives exige de faire un
choix dans l’allocation des ressources.Pour de nombreux pays, le choix effectif
est d’affecter des ressources A la création d’un enseignement primaire universel.
Tel a été et tel est le choix qu’ont fait de nombreux pays asiatiques et africains
en essayant d’offrir une scolarité de huit ans pour tous les enfants. Dans d’autres
Aspects théoriques 39

pays, spécialement ceux d’Europe, le but et la politique d’égahté des chances au


regard de l’éducation sont centrés sur les jeunes de 15 & 18 ans. Autrement dit, la
question est de savoir s’il est possible de disposer des ressources humaines et
matérielles qui permettent d’organiser pour les jeunes une scolarité minimale de
dix ans. Le débat se poursuit également en ce qui concerne l’organisation du
second niveau: doit-il y avoir une école commune ou un certain degré de diffé-
renciation est-il souhaitable? Dans de nombreux pays industriels c o m m e le
Japon, l’aspiration & maximiser les possibilités d’éducation s’est concentrée sur
les problèmes politiques d’accès & l’enseignementsupérieur.Ailleurs, aux Etats-
Unis par exemple, les problèmes politiques liés & l’égalisation des chances
devant l’éducation se portent la plupart du temps sur les minorités,notamment
sur les femmes, les Noirs, les Américains originaires d’orient, les ((Américains
indigènes))(c’est-&-direles Indiens d’Amérique) et les Américains d’expression
espagnole.
Tous les gouvernements affectent &l’éducationun pourcentage de leur budget
national.C e pourcentage est révélateur de l’importancequ’ils attachent &ce ser-
vice par rapport &la santé,&la défense,&la sécurité sociale, etc. Les administra-
tions de l’éducation,d’ordinaire les ministères,répartissent ensuite les fonds aux
divers niveaux du système, & l’éducation des femmes, des minorités raciales et
linguistiques, des enfants des régions isolées, etc. Cette affectation implique en
pratique que soit établi un ordre de priorités plus une décision quant aux mon-
tants des crédits & affecter A chaque but ou objectif souhaitable. En fait, une
politique consiste essentiellementdans cette liste des priorités assortie d’une rhé-
torique qui justifieles choix et décisions.
C‘est alors que se pose la question des finalités/buts/politiquesexplicites et
implicites. Explicitement,il est clair, dirons-nous,que les femmes en tant que
minoritt sont, dans un pays ou un autre, sur le point de recevoir une part accrue
des ressources affectées & l’éducation; ou que des ressources plus importantes
iront aux enfants des campagnes.L‘allocation explicite des ressources est justi-
fiée par une référence & la finalité éducative générale de l’égalité des chances
devant l’éducation ou par un nouvel exposé des buts éducatifs par secteur ou
par groupe particuher. Cela signifie-t-ilque le groupe a été jusqu’ici relative-
ment démuni? Si tel est le cas, & quelle intention répondait la politique éducative
jusqu’ici poursuivie? C e n’est que rarement que l’on a, dans les déclarations des
politiques ou les exposés de buts éducatifs, empêché les femmes d’accéder aux
ressources éducatives. Logiquement, il semble y avoir trois raisons possibles &
l’absence d’intentions explicites: a) l’ignorance du fait qu’un groupe donné ait
été défavorisé sur le plan de l’éducation;b) cette situation était connue mais des
difficultés pratiques graves interdisaient la création de services éducatifs; c) le
groupe s’excluait lui-mêmedu système éducatif ou des obstacles structurels dont
on n’avait pas conscience existaient au sein du système éducatif.
C‘est un fait admis que, partout, les structures des systèmes éducatifs ont une
fonction de sélection implicite aussi bien qu’explicite. U n e fois établies, ces
fonctions de sélection implicite tendent & se perpétuer et une mobilisation
sociale importante,soit de ceux qui sont exclus, soit d’autres qui parlent en leur
nom, est nécessaire pour modifier la politique éducative implicite visant les
40 Finalités de réducation

structures éducatives. D e la m ê m e façon, on peut noter que la formation et la


sélection des élites du monde des affaires,de l'administrationet de la politique
est A l'occasion un but éducatif explicite, mais que d'ordinaire c'est une fonction
implicite du systbme éducatif. Quoi qu'il en soit,la sélection et la formation des
élites technologiques, techniques et scientifiques est souvent explicitement
reconnue c o m m e un but éducatif. L'allocation de ressources 8 des établisse-
ments d'enseignement supérieur qui rempliront cette tâche est mentionnée
communément dans les exposés de politique éducative.Elle est liée A son tour A
la finalité éducative de modernisation. Mais il vaut la peine de noter et de souli-
gner deux points. E n premier lieu, dans de nombreux pays, des groupes puis-
sants et prestigieux peuvent être parfaitement conscients que les mécanismes de
sélection du système éducatif opèrent en faveur de leurs propres enfants et du
groupe auquel ils appartiennent et contre les intérêts du reste de la population;
ce qui peut les conduire 8 défendre avec acharnement le système actuel au point
de refuser de voir le fait évident que c'est 18 une source de privilèges. E n second
lieu, rien de ce que nous avons dit dans les paragraphes précédents ne doit
porter A supposer que l'élaboration d'une politique est normalement sage et
perspicace; elle traduit surtout, en rbgle générale, la puissance de groupes
organisés qui recherchent leur propre intérêt.
Il peut être utile de donner un exemple supplémentaire de l'affinement des
choix qui caractérisent le passage des finalités éducatives 8 des buts et des objec-
tifs précis.
E n Inde, la modernisation a été l'une des grandes finalités de l'éducation. La
question a été âprement débattue de savoir comment précisément elle était
possible.Les choix récents en matibre de politique ont débouché sur un dévelop-
pement considérable de l'enseignement technique (lié 8 la planification de
l'emploi). La politique actuelle,dans ses choix, donne la prédominance A l'intro-
duction dans les écoles de l'expérience du travad et du travail productif sociale-
ment utile. Les sciences et les mathématiques sont devenues matibres obliga-
toires dans le cycle d'enseignement général de dix ans; en outre, un programme
d'enseignement professionnel a étC adopté dans le second cycle de l'enseigne-
ment secondaire. D e m ê m e ont été créés des Btablissements spkialisés de haut
niveau pour l'enseignement technique et agricole, qui associeront enseignement
supérieur,recherche et vulgarisation.
Les mêmes points d'ensemble qui ont étayé cette partie de l'analyse peuvent
être répétés. C e qu'il est bon d'ajouter dans ce cas, c'est que ces politiques repré-
sentent une rupture avec la grande théorie de l'éducation qu'ont importée les
Britanniques dans l'Inde. Les Britanniques n'ont pas encore, dans leurs écoles
d'enseignement génCral,opéré des choix fermes de politiques,ni m ê m e essayé de
s'entendre sur des buts qui mettraient pareillement l'accent sur l'enseignement
obligatoire des mathématiques et des sciences A tous les enfants ou sur l'expé-
rience du travail.Le choix politique des Indiens implique l'acceptation, nuancée
du moins d'un certain éclectisme,d'une autre grande théorie de l'éducation. Les
théories éducatives esquissées dans le Rapport Wardhe illustrent l'importance
que l'on attache désormais A la théorie polytechnique.
Aspects théoriques 41

BUTS ET OBJECTIFS, STRATfiGIE ET TACTIQUES

Jusqu’ici la discussion a porté principalement sur des aspirations ambitieuses:


c’est-A-direles finalités,les politiques et les buts qu’une culture ou une nation
accepte c o m m e régissant son éducation,c’est-A-direson avenir. Mais ce qui a été
analysé, c’est la stratégie d’ensemble de la lutte contre l’erreur et l’ignorance.
Reste cette partie de l’ensemble qui intéresse immédatement et de façon vitale
les enfants, les parents, les enseignants et les administrateurs.La tactique:que
faire dans la situation concrète qu’offrent l’école et la salle de classe? Que faut-il
enseigner, comment, quand et A qui? Tels sont les objectifs - subordonnés aux
buts et aux politiques - qui intéressent les besoins des enfants, les aspirations
des parents,l’opinion des maîtres, l’espoir des dirigeants.Ils sont étroitement et
immédiatement liés A la vie et au fonctionnement des individus, des familles et
des collectivitks.
Les objectifs assignés A un système et aux éducateurs en général sont très
limitks A la fois dans leur champ d’application et dans leur nature. Tous les éta-
blissements d’enseignement, du plus petit au plus grand, fonctionnent dans le
cadre d’un ordre social qui a ses valeurs et ses tabous qu’il faut accepter. Par
exemple, nombreux sont les pays qui dans leur exposé des finalités et des buts
ont déclaré qu’un travail manuel intensif devait jouir d’une grande considkra-
tion,point de vue qui est m ê m e A l’occasionindiqué c o m m e étant l’un des objec-
tifs d‘une école ou d’un système d’enseignement. Cependant, lorsqu’ils ont le
choix, les parents et les enfants se détournent des programmes et filières qui
conduisent A un métier manuel au profit d’études classiques, commerciales ou
livresques. Il est A noter aussi que, si les administrations publiques décidaient
rapidement et radicalement de changer la nature des objectifs que poursuivent
les écoles et les collèges relevant de leur autorité (par exemple pour favoriser
l’enseignementprofessionnel aux dépens de l’enseignementclassique), la voie de
la réforme serait bloquée par une multitude de facteurs,au nombre desquels la
dimension, la conception, l’équipement et l’implantation des bâtiments, ainsi
que les qualifications, les habitudes et les préjugés du personnel, le système
d’examen et d’évduation,etc.
Les limites imposées A la réalisation des objectifs des écoles et des collèges
sont donc en grande partie implicites, voire m ê m e inconscientes dans de nom-
breux cas. Il existe donc des obstacles matériels tels que l’insuffisance des res-
sources humaines et matérielles. Très souvent, les administrations publiques ne
tiennent pas suffisamment compte de ces faits lorsqu’elles font des déclarations
publiques concernant les objectifs que poursuit leur système éducatif. E n outre
- ce qui est extremement dangereux - on a tendance A imposer aux systèmes
scolaires des tâches et des responsabilités pour lesquelles,par nature, ils ne sont
pas faits, par exemple lorsqu’on leur demande de mettre un frein A la délin-
quance juvénile.
Ainsi donc, lorsque les objectifs découlent des buts généraux énoncés dans les
lois et les constitutions,il est sage de les formuler avec une certaine modestie et
en tenant compte du fait qu’une école est et demeure un lieu conçu pour
l’apprentissage, non pour la réforme de la société ou pour la préparation
42 Finalités de l'éducation

d'hommes et de femmes purfuits. Néanmoins, les objectifs ne sont pas nécessai-


rement énoncés de façon trop modeste: l'école, avec toutes ses insuffisances et
ses faiblesses,est et demeurera un instrument essentiel d'amélioration de la vie
et du bonheur de l'humanité.

OBJECTIFS ET ADMINISTRATION

Pour considérer et comparer les objectifs imposés aux écoles de divers pays et
acceptés par elles, le premier facteur déterminant une politique & prendre en
considération est peut-êtrela forme générale du financement et de l'administra-
tion de l'éducation. Deux solutions extrêmes sont possibles. Centrahsation
totale dans le ministtre national de l'éducation qui rtgle toutes les dépenses,
n o m m e le personnel,fixe les objectifs de façon trts précise et envoie des inspec-
teurs vérifier que le rtglement est appliqué. U n exemple typique serait la tenta-
tive faite, mais non complttement couronnée de SUCC~S,par Napoléon Ier au
début du XIXe sitcle.A l'autre extrême, on peut mentionner les écoles des colo-
nies britanniques d'Amérique où la population locale décidait de tout et réglait
toutes les dépenses. A l'heure actuelle,la plupart des systtmes nationaux sont
placés dans une certaine mesure sous le régime d'un contrôle local en dépit d'un
accroissement du pouvoir et de l'influence de l'administration centrale.
Pour ce qui est des objectifs d'une école, il est évident que plus la centrahsa-
tion est poussée, plus grande est la ressemblance entre les ((butsnationaux)) et
les ((objectifsscolaires)). Par conséquent, plus grande est l'uniformité. Cela sera
bien accueilli si la finalité principale de 1'Etat est l'édification d'une nation et s'il
existe un plan national & appliquer. Dans les grands Etats fédéraux, il peut y
avoir un cadre général pour l'ensemble, mais dans les divers Etats ou provinces,
une différence sensible de détail peut exister.
Le mode d'administration nationale a pour conséquence importante d'in-
fluencer la structure interne de l'école. Le principal ou le directeur peut être plus
ou moins un fonctionnaire de rang intermaaire relevant de l'administration
locale où il peut, aux yeux des élkves et du personnel, représenter l'autorité
suprême. Ainsi donc, un mode d'administration et de financement influe sur
toute l'atmosphtre d'une école et, par 18 même, aide & modeler l'attitude des
jeunes vis-&-vis des maîtres, des animateurs,des chefs et de l'autorité en général.
Peut-êtreconviendrait-ilque les objectifs déclarés en tiennent compte.

LE MECANISME DE SBLECTION

Il existe au moins quatre grands domaines d'action où il devrait y avoir har-


monie entre les buts nationaux des systtmes et les objectifs acceptés par les
institutions.Ils sont d'égale importance. Pour plus de commodité, nous com-
mencerons par considérer l'ensemble du systtme éducatif c o m m e une gigan-
tesque machine A sélectionner.Avec les autres facteurs faisant partie de l'envi-
ronnement social, il aide & classer les jeunes en groupes professionnels puis &les
préparer &leurs taches.
Aspects thdoriques 43

L a nature exacte de la machine ii éduquer et ii sélectionner varie d'un pays ii


un autre. Dans de nombreux pays, un systtme d'enseignement privé, totalement
indtpendant de l'administration, joue un r6le trts important. Lii encore, un
grand nombre de différentes écoles, de cours publics, fonctionnent pour le
m ê m e groupe d'âge, disons de 12 A 16 ans ou de 15 A 18 ans, selon les espérances
professionnelles ou les intentions A venir: professionnelles, admhstratives,
technologiques,commerciales, artistiques, etc. Partout dans le monde, le sys-
tème éducatif est planifit et structuré de façon A être adaptt A la répartition du
pouvoir et de l'influence entre les classes, entre les sections ou les groupes de
population. En outre, le systtme exercera sa fonction de sélection de manikre A
favoriser la progtniture des groupes les plus puissants.Ajoutons immtdiatement
que les divisions entre types d'hle ne sont jamais impermtables.Il est toujours
possible, encore que difficile,de passer d'une filikre ii une autre. A l'intérieur de
chaque type d'école ou d'établissement, des modes de sélection supplémentaires
et plus perfectionnts s'appliquent ii la fois dans les classes et au dehors, par
exemple sur les terrains de sports.Voici des sikcles,les groupes de gouvernants
étaient recrutés le plus fréquemment parmi les guerriers les plus glorieux,bien
qu'ils fussent d'ordinaire assistés par des penseurs,des prêtres ou des clercs. Lii
encore, l'accts ii ces élites n'a jamais été refust au riche marchand ou ii ses fils.
Dans les temps modernes et presque partout dans le monde, la situation a
évolué. L'importance des succès militaires, de la richesse et de la naissance a
décliné sensiblement si elle n'a pas tout A fait disparu. L a répartition continue
de dépendre de facteurspolitiques et sociaux,lesquels interviennent " m e tou-
jours pour stabiliser l'ttat de choses existant. L'tltment le plus important du
mécanisme social de stlection des plus hauts placés dans la société - les tlites -
est devenu aujourd'hui le systtme 6ducatif dans son ensemble.

Le bonheur, le bien-être,le succts et la persistance d'une socitté dtpendent


trks largement du mode d'orientation et de direction donnt par ces tlites et ces
dirigeants - par les hommes et les femmes aux postes les plus tlevts du gouver-
nement, de l'industrie et des professions. D e ce fait, il est trts important que:
a) le mécanisme de sélection fonctionne de façon satisfaisantepour permettre de
choisir la personne requise; b) que l'éducation dispenste pour les dirigeants
futurs soit valable et utile. Ces deux points doivent se traduire dans les objectifs
assignts aux écoles et aux universités du systtme dans son ensemble et il con-
vient d'en tenir compte explicitement.

Dans l'tvaluation des objectifs fixts aux institutions, il convient de tenir


compte trts clairement de ce point. A vrai dire, c'est ce que l'on constate dans la
litttrature consacrte A l'éducation. Les Britanniques y font allusion lorsqu'ils
parlent des Public Schools;les Amtricains du Nord parlent de l'ccéducation des
futurs dirigeants));les Soviets ont des ttablissements spéciaux pour les jeunes
gens trts doués; jusqu'h 1945,les Japonais avaient une ccécole pour disciples))
spéciale. Bon nombre des écrits consacrés A l'tducation pour la démocratie prê-
tent attention A ces éléments.
44 Finalitésde I‘éducation

LA FORMATION DU CARACTSRE ET DE LA PERSONNALITE

Nous avons déj8 souligné que les écoles 8 tous les niveaux sont destinées 8
l’apprentissage.Mais ce n’est pas 18 simplement une question d’acquisition des
mécanismes manuels et de l’esprit ou de se rappeler toutes sortes de faits. Si tels
étaient les principaux résultats d’années d’études, les gouvernements et les
parents se montreraient insatisfaits.Ce que les uns et les autres espèrent,c’est
voir les enfants grandir - avec l’aide de l’éducation- pour devenir des hommes
et des femmes intègres, moraux, braves et honnêtes. Ils misent avant tout sur
une formationdu caractère et de la personnalité.Les qualités recherchées peu-
vent certainement découler des finahtéset buts généraux;mais elles exigent une
description plus exacte et plus précise avant que l’on puisse les proposer aux
enseignantscomme des objectifs accessibles.B. Episov (URSS)donne un exem-
ple remarquabled’objectifstactiquestirés de finahtés et buts stratégiques:
Le processus d’enseignement [devrait]conduire il la compréhension profonde par les
élkves des idéaux moraux les plus importants ci-aprks, qui revêtent une importance
humaine générale: l’amour de son pays natal, de sa nation; le respect de tous, de toute
nationahté, de l’amitié internationale; la coopération h n o m i q u e et culturelle entre
nations; la coexistence pacifique; la lutte pour l’abolition des guerres;l’amour et le respect
des enfants pour leurs parents et leurs aînés; la camaraderie et l’amitit mutuelles; la
subordination des intérets personnels A l’intérêt public ou il l’inttrêt de la collectivitt;une
attitude pleine d’attention et de tact il l’tgard des êtres humains;l’amour du travail et le
respect pour les hommes qui travaillent; le travail organisé et discipliné; le dtsir de tra-
vailler aussi bien que possible; l’acquisition du savoir il l’effet de promouvoir autant que
possible le bien-être de la socitté; le respect de la propriété publique; l’honnetet6 et la
sincérité dans le comportement.

Voici donc une longue liste d’objectifsqui manifestement sont étroitement asso-
ciés aux finalités et aux buts nationaux.Ils sont h o n d s si clairement qu’avec
peu de changement et quelques additions,ils pourraient constituer le cadre de
cours dans les écoles des différents niveaux. Quelques points sont cependant 8
noter,qui tous méritent examen:
1. Certains prétendraient que ce texte, dans sa totalité, évite fâcheusement
d’évoquer les problèmes fondamentaux d’autorité. Pourquoi un être humain
accepterait-illes impératifs qu’impliquela déclaration? Nombreux sont ceux
qui considéreraient que seule un fondement religieux pourrait apporter
l’autoritérequise.
2. On pourrait faire valoir que tous les impératifs moraux évoqués sont laïcs et
humanistes.11 n’est pas fait suffisamment référence 8 l’ouvertured’horizons
spirituels.
Mais notre seule préoccupation ici est de donner un exemple de la détermina-
tion des objectifs et programmes scolaires (tactiques d’éducation) & partir de
finalités et de buts (stratégies) nationaux. Notons que nous n’avons pas fait
mention du problème difficile du maintien de la discipline dans les écoles- pro-
blème évidemment lié & celui de la formation et de la soumission & une disci-
pline des pulsions agressivesdu moi.Nous n’avons pas non plus examiné l’équi-
Aspects thboriques 45

libre h maintenir entre les caractéristiques individuelles et les caractéristiques


sociales des objectifs. Sur quoi faire porter l’accent? Faut-iltoujours encourager
la docilité et comment peut-on favoriser l’indépendance de vues? Comment ces
points peuvent-ils être présentés de façon h avoir une signification pour les
maîtres et les parents?

LE CONTENU DE L‘GDUCATION

Les déclarations concernant les finalités et les objectifs sont d’ordinaire vagues
et formulées en termes généraux. Par contre, dans de nombreux pays, le minis-
tère national (central) de l’éducation ou les autorités locales ou provinciales
publient parfois des instructions excessivement détaillées en ce qui concerne les
matières h enseigner, leur contenu, le nombre d’heures hebdomadaires, etc.
Dans certains pays, c o m m e le Royaume-Uni, les écoles et les collèges ont en
principe toute liberté pour établir leurs programmes d’études.En pratique, cette
liberté est limitée par les traditions,par l’influence des parents et des inspecteurs
et aussi par le régime des examens. Mais quelle que soit la diversité apparente,
nous avons dans cette question ((quefaut-ilenseigner dans les écoles?))l’une des
sources les plus fécondes de débats, de polémiques et de recherches dans le
domaine de la pédagogie.
Les débats se déroulent sur divers fronts.C‘est ce que montreront les quelques
exemples suivants: enseignement général ou spécialisation;quelquefois, ensei-
gnement de culture générale contre enseignement professionnel; ou culture
contre technologie;ou encore, sciences contre humanités.
Il existe une incertitude en ce qui concerne le temps consacré aux diverses
matières,particulièrement entre celles qui sont liées h l’industrie,par exemple la
chmue et la physique, et celles qui ont un caractère artistique plus qu’utilitaire,
notamment la musique ou la poésie. Les écoles d’aujourd’hui ont deux racines
distinctes: la tradition que maintiennent les Eghses et les ecclésiastiques et qui,
par le biais de la scolarité, ont mis l’accent sur les connaissances et les études
livresques de la langue; d’autre part, l’ensemble du système d’apprentissage,
multiforme, qui enseignait aux jeunes les métiers utiles. Aujourd’hui, par suite
de l’industrialisation, les systèmes d’apprentissage se raréfient, laissant aux
écoles le soin d’enseigner les connaissances de base. Mais la synthèse entre le
travail de bureau et l’artisanatn’est pas encore réalisée.
Les débats peuvent donc se poursuivre. A l’heure actuelle,la solution la plus
courante consiste A dispenser une combinaison de matières dans les tcoles
d’enseignement général A l’intention des jeunes et jusqu’h l’âge de 14, 15 ou
16 ans, puis de mettre en place des écoles spécialisées dans les domaines
technique,scientifiqueou artistique.
Nous poumons ici ajouter trois rkflexions pour ce qui touche A l’ensembledu
problkme de contenu ou de ce que,d’ordinaire,on appelle les programmes.
1. L‘urbanisation A travers le monde s’est accompagnée d’un changement dans
la nature du travail: moins d’efforts physiques; attention et tension plus
46 Finalités de I‘éducation

concentrées. Il y avait fort peu de raisons voici cent ou deux cents ans d’orga-
niser des activités physiques dans les écoles. Maintenant, il devient essentiel
de le faire. L a nature des activités physiques encouragées par l’école ou une
autre institution peut en soi influer fortement sur le développement du carac-
tère.Par exemple,les jeux d’tquipe c o m m e le football ont un effet totalement
différent de celui qu’ont les sports individuels de compétition c o m m e le
tennis ou la course.
2. E n analysant les rapports entre, d’une part, les finalités déclarées et les buts
et, d’autre part, les objectifs et les directives prtsentés aux tcoles et aux ensei-
gnants, il ne faut pas perdre de vue que les objectifs tactiques n’intéressent
pas uniquement ce qui se passe entre les murs de la classe. C e qui est consi-
déré, c’est le programme de l’établissementdans sa totalitt. Et le programme
d’une école est défini c o m m e la s o m m e totale de toutes les activités de toutes
sortes que l’école a pour mission d’encourager et d’organiser. Le terme
comprend donc ce que l’on appelle parfois incorrectement les ((activitéshors
programme)),les jeux,les fetes,les ctrémonies,etc.
3. Il existe des formes d’enseignement et d’apprentissage que l’on décrit
communément c o m m e (tune formation)).Par la, il faut entendre l’acquisition
de mécanismes qui impliquent aussi peu de théorie que possible.A l’évidence,
la formation n’a guère sa place dans l’tcole d’enseignement génhl, dans le
collège et dans l’université.Elle est lite h l’organisation de l’industrie.

LES MfiTHODES D’ENSEIGNEMENTET D’APPRENTISSAGE

Dans l’ensemble,les déclarations générales concernant les finalités et les buts ne


font guère références A la façon dont les tlkves ou les étudiants doivent être
traités et aux méthodes A utiliser pour l’enseignement. Leur importance est
cependant extrême dans le développement des qualités indispensables au
citoyen dans une société libre.E n tlaborant et en plaçant devant les parents, les
enseignants et les tlèves des écoles et des collèges les instructions et directives
qui ensemble constituent les ((objectifsdu système)),les fins imméhates A attein-
dre,il convient de noter plusieurs points:
1. C’est en faisant des choses plutôt qu’en écoutant des mots, des instructions,
que les êtres humains apprennent le mieux. Aussi bien, le succès d’un maître
doit-ilêtre jugé toujours par l’activitémentale et physique qu’il suscite.
2. Les établissements d’enseignement sont créés pour les élkves et étudiants et
non pour les enseignants, encore que les uns et les autres interviennent; le
véritable intérêt de l’étudiant, qui est d’apprendre,doit prédominer.
3. L a ((psychologiede l’éducationo a réalisé de grands progrès au cours des cent
dernières années. Il convient de tenir compte des rtsultats lorsqu’on établit
des plans tactiques et des objectifs pour organiser ce qu’il importe d’ensei-
gner, et de décider quelles méthodes seront probablement les plus fécondes.
Aspects théoriques 47

LE RoLE DES THfiORIES

Selon l'usage moderne, il faut d'ordinaire entendre par théories un certain


nombre de déclarations connexes qui constituent un système logiquement cohé-
rent. C e système repose sur des principes indépendants des phénomènes A expli-
quer. La théorie fournit un ensemble d'explications de faits et lois liés A ces
phénomènes et, en outre, aide d'ordinaire A élaborer des observations et des
expériences nouvelles. Sa valeur est mise A l'épreuve par la vérification de pré-
dictions faites sur la base de la théorie m ê m e (ou déduite de cette théorie). C'est
ainsi que les physiciens et les chimistes parlent de la théorie atomique, de la
théorie de la relativité et de la théorie de la gravitation de Newton. A u cours des
dernières années,la mode a voulu que l'on remplace le mot par ((modèle)).Mais
autrefois, les auteurs n'hésitaient pas A employer le mot ((théorie))au sens très
large, par exemple la ((théorie de la musique)) ou la ((théoriede l'astronomie)).
Dans le domaine de l'éducation,il était autrefois courant d'utiliser ainsi le mot,
dans son sens le plus large,par exemple la ((théoriede l'éducation de Platon))ou
la ((théoriede Comenius));il est certain que ces auteurs traitaient de leur sujet
d'une façon très générale. L'âge de ces grands bâtisseurs de systèmes est passé:
le dernier d'entre eux fut John Dewey.
Dans la présente étude, nous avons limité l'usage du mot ((théorie)) de
manière A exclure les systèmes de grande portée que nous avons plus volontiers
décrits sous le n o m de ((philosophies))parce qu'une grande partie de leur con-
tenu n'est pas susceptible d'essais directs par l'observation ou l'expérience et
parce qu'il est d'ordinaire difficile de faire ne fût-ce que des prédictions ou des
prévisions indicatives sur la base des principes des systèmes.
L a limitation de sens du mot ((théorie))en éducation A de modestes systèmes
d'idées expliquant ou traitant seulement un domaine limité et relativement
homogkne offre au moins un avantage considérable: il devient facile d'utiliser
des sciences auxiliaires c o m m e instrument. Par exemple: la psychologie pour
traiter des problèmes liés A l'apprentissage, A l'enseignement et au classement
des élèves; la sociologie pour les problèmes liés A la sélection, A la promotion
sociale ou A l'administration;l'économie si les questions portent sur les finances
ou l'allocation de fonds. E n fait, l'ensemble du vaste domaine de l'éducation
ressemble A celui de la médecine ou de l'ingénierie. C e sont tous des secteurs
importants de l'effort humain. Chacun représente un champ d'action et d'étude
sinon peut-être une ((disciplme)).Il y a des experts qui sont habiles A déceler et
analyser les problèmes qu'ils rencontrent - et qui peuvent A l'occasion appeler
des spécialistes A l'aide. Ces derniers construisent alors leur propre théorie et
inventent souvent des expériences pour en vérifier le bien-fondé.
Ces expériences peuvent 6tre globales dans leur portée et concerner tous les
aspects d'une école.Elles peuvent exprimer des finalités,des buts et des objectifs
A maints égards différents de ceux des systèmes nationaux.Il y a en fait de nom-
breux modèles possibles: Montessori, Decroly, Badley, Claparède, autant de
noms qui viennent A l'esprit c o m m e de nombreux autres mots dans les mouve-
ments d'éducation ((expérimentale))ou ((nouvelle)).Nombreuses sont aussi les
expériences de portée beaucoup plus limitée c o m m e celles qui portent sur les
48 Finalités de l‘éducation

nouveaux moyens d’enseigner les mathématiques, les sciences,les langues, sans


mentionner les efforts importants pour utiliser la télévision,la ra&o et d’autres
dispositifs électroniques c o m m e auxiliaires d’un enseignement efficace.Tous ont
suscité et suscitent de nombreuses théories et, sans nul doute, influent très
fortement sur le travail effectué dans les écoles et par conséquent,avec le temps,
ils modifieront les objectifs scolaires. Il apparaît déj9 clairement que les
méthodes et dispositifs nouveaux rendent effectivement possible d’atteindredes
buts et objectifs qui,pour la génération précédente,eussent été inaccessibles.

CONCLUSION

L‘entreprise tout entière de l’éducation est peut-être la préoccupation la plus


ambitieuse de l’humanité. D’une part, les établissements créés pour l’éducation
de toute la population doivent aider 9 répondre aux besoins économiques du
pays. D’autre part, l’éducation doit s’efforcer de combler leurs aspirations 9 la
justice, 9 la décence et 9 la paix, en m ê m e temps qu’assurer un maximum de
libre expression et de liberté personnelle. L‘éducation apparaît c o m m e un pro-
cessus par lequel l’individuahtéet la personnalité des jeunes se développent et
où s’établit une base de confiance en apportant une compréhension du passé
sans toutefois tuer la nouveauté, l’originalité ou le non-conformisme.Le pro-
cessus a pour résultat de leur faire apprendre les habitudes et les mécanismes qui
après la formation feront d’eux des travailleurs actifs, productifs, heureux et
joyeux pendant toute leur existence.
D e grosses responsabilités sociales pèsent aussi sur les systbmes éducatifs. Le
but est l’orchestration dans la société d’intérêts, de tensions et de forces diffé-
rents. Par exemple, tout devrait être tenté pour concilier les revendications
linguistiques conflictuelles19 où il existe des minorités et pour permettre la libre
expression culturelle afin qu’aucun groupe ne se sente opprimé. Cependant, il
existe un autre probltme qui a trait celui-189 la sélection et aux élites. Comment
s’assurer que le système éducatif choisit en fait, pour des carrières données, des
hommes aptes ii les remplir. Comment s’assurer que nos critères de sélection ne
sont pas faussés en faveur du statut social, de l’argent ou de la médiocrité labo-
rieuse,instrument de succès aux examens? Comment s’assurer que tous les êtres
particulièrement doués dans un domaine quelconque auront les chances de
développer largement et librement leurs talents de manière 9 pouvoir contribuer
au bien-êtrede la société dans son ensemble?
L’objectif c o m m u n de ceux et celles qui ont collaboré 9 ce livre est de tenter
d’élucider dans une certaine mesure la nature des espérances, des aspirations,
des finalités et des intentions de ceux qui participent 9 l’ensemble de cette entre-
prise, que ce soit 9 titre de parents, d’enseignants, d’administrateurs ou simple-
ment de citoyens.Nous n’avons eu dans ce chapitre aucune autre intention que
de banaliser et critiquer les concepts,problèmes et termes fondamentaux utilisés
dans les études plus approfondies qui suivent. A l’évidence,s’il était possible de
voir plus clairement et plus 9 fond ce que nous essayons de faire par le biais des
écoles,des collèges et des universités,nous aurions plus de chance de succès.
Aspects théoriques 49

Dans notre propre tentative,nous avons trouvé très utile de considérer trois
niveaux distincts de fonctionnement et de les analyser séparément.Ceci va de
pair avec les recommandationsdes conférences de l’Unesco consacrées A ce pro-
blkme3.Nous avons employé le mot finulités pour désigner l’ensemble le plus
large et le plus universel d’aspirationsqui puissent figurer dans la Constitution
ou les lois fondamentales d’une nation. D e ces documents,en grande partie du
moins,il est possible de déduire des buts plus étroits et plus directs. Ces buts, en
principe,font déjA mention expresse de l’éducation.Le passage des finalités aux
buts implique en règle générale un processus de filtrage passant par des pro-
cessus culturels et religieux de sélection,de rejet et de coloration.Il existe donc A
travers le monde une plus grande variété de buts que de finalités.Des buts, il est
possible de tirer des politiques, ce terme étant utilisé pour décrire des spécifica-
tions dttaillées d’actions A entreprendre, au niveau matériel ou administratif,
avec des propositions concemant l’allocation des ressources requises. Mais les
buts sont larges et stratégiques: ils s’appliquent A l’ensemble d’un système
national.Il est donc possible, eu égard A tous les déterminants locaux et particu-
liers, et compte tenu de la nécessité de rattacher étroitement les établissements
d’enseignement A leur environnement naturel et humain, de déduire des exposés
tactiques particuliers, c’est-A-direles objectifs A partir desquels pourront être
élaborés des programmes d‘études,etc.
Cette division des aspirations en trois strates ou niveaux de généralité facilite
l’étude,la comparaison et l’analyse des systèmes. Mais elle est loin de résoudre
toutes les difficultés.Il en est deux en particulier qui sont redoutables. L a pre-
mière est qu’un grand nombre de finalités et de buts ne sont pas tous clairement
perçus par ceux qui les subissent le plus et qui pourraient avoir honte de s’en
faire les défenseurs. Ils sont cachés et implicites et, bien souvent,contradictoires
par rapport aux aspirations proclamées et explicites. O n en trouve un bon
exemple dans les préjugés raciaux et sociaux fort répandus. La seconde difficulté
est que, beaucoup trop souvent, les fonctions de la société peuvent sembler
défier et nier les finalités et buts proclamés d’une nation. Il n’est que trop fré-
quent que les promotions et les récompenses vont aux hypocrites,aux farceurs et
aux charlatans. Trop souvent,la mabonneteté, la paresse et la tricherie débou-
chent d’une façon ou d’une autre sur le profit et la promotion. Ces conflits sem-
blent exister dans toutes les sociétés. Tiennent-ils inévitablement A la nature
humaine?
Dans l’analyse des aspirations et des politiques, des relations entre la pensée
et l’action en éducation,il vaut aussi la peine de faire la distinction entre ce que
l’on pourrait appeler la structure externe et la structure interne des systèmes sco-
laires. Par ((structureexteme)), il faut entendre les différentes catégories d’école,
de collt?ge et d’université qui existent, ainsi que les règles de passage de l’un
A l’autre. C‘est principalement affaire de gouvernement, d’administration
publique, de finances et de politique. Les compétences professionnelles ne
jouent 18 qu’unepart minime. Quant A la ((structureinterne)),elle constitue la vie
intérieure et le fonctionnement des établissements.O n peut due que la structure
exteme est toujours et partout déterminée par les forces politiques. Par contre,
50 Finalités de l'éducation

la structure interne peut évoluer et s'améliorer par le fait d'individus compétents


et dévoués.
C'est 19 un point trhs important.L'une des questions offertes au débat dans ce
chapitre était de savoir comment les finahtés et les théories éducatives s'éla-
borent. La réponse n'est pas très compliquée. Les finahtés, importantes sur le
plan national ou 9 l'échelle du monde, sont déterminées et proclamées par
chaque Etat au plus haut niveau. Il s'agit d'affaires politiques. Mais si l'on
descend vers le particulier, par l'intermkdiaire des buts pour en venir aux objec-
tifs et au travail qui s'effectue A l'tcole,la liberté,l'adresse et la compétence du
bon enseignant reprennent progressivement leurs droits et sont une source de
progrès. Quant 9 la théorie,si c'est vraiment une théorie et non une idéologie,on
ne peut jamais l'établir ou l'imposer car elle ne constitue qu'un outil, un instru-
ment qui guide l'action et qui peut être rejeté une fois usé.
L a politique éducative est une branche de l'activité humaine dont les résultats
ne peuvent apparaître qu'au bout d'une génération. Il est difficile de penser
clairement et résolument A la lumière des faits, de planifier avec audace et réa-
lisme et de sacrifier le confort actuel au bien-être futur. C o m m e le dit un vieux
proverbe chinois: ((Qui pense en semainesplante de l'herbe; qui pense en années
plante des arbres;qui pense en siècles éduque les hommes)).

NOTES ET RXFXRENCES
1. Le terme idèologie signifie ici une famille de concepts ou un ensemble de formules sociales
ou un style de pensèe et, plus gknkralement,un systkme de croyances auquel on peut
avoir recours pour inciter le peuple A l'action. Il n'a pas un sens pkjoratif.
2. Parfort,il faut entendre durable,difficile A modifier,imprkgnant fortement la structure
mentale A tel point que beaucoup ne sont m ê m e pas conscients de son existence ou de
son influence.
3. UNESCO-NIERRegional Programme for Educational Research in Asia.Educational
goals, aims and objectives: report of a stdy by a Working Group in Asia. Tokyo,National
Institute for Educational Research, 1974. 114 p.
CHAPITRE DEUX
Finalités et théories de l’éducation:
situation actuelle dans le monde

1. Afrique
par N’sougan Agblemagnon
Le projet d’une réflexion sur les finalités et théories de l’éducation dans le
monde a suscité un grand intérêt au niveau international(comme le montrent les
réunions d’experts organisées par le Bureau internationald’éducation entre 1975
et 1980) et a donné lieu, au niveau des régions, A des séminaires de spéciahstes
dont les discussions, les conclusions et les recommandations constituent une
matière extrêmement riche que nous devons constamment exploiter.

SCMINAIRE D E DAKAR
C‘est pourquoi il nous faut ici exprimer toute notre gratitude tant au Bureau
régional de l’Unesco pour l’éducation en Afrique (BREDA)qu’aux nombreux
spéciahstes qui ont pris part au très important séminaire qui s’est tenu A Dakar
du 29 mai au 2 juin 1978; c’est A l’issue de ce séminaire que le document Fina-
lités et théories de l’éducation: lepoint de vue africain’ a été reproduit et diffusé.
Le Séminaire de Dakar a réfléchi A partir de nombreux documents de travd
et discuté,cas par cas, des principaux thèmes prkcédemment arrêtés. Après avoir
séparé dans ce rapport les communications, les présentations et les discussions
du résumé des travaux,le groupe de travail a fait, dans une section spéciale, la
((synthèsedes idées exprimées lors du séminaire et formulées d’un point de vue
africain. Cette synthèse a été soumise pour examen individuel et collectif au
comité de réflexion qui comprend une sélection des participants du séminaire)),
comité qui a mis au point la version finale de la synthèse2.
Pour avoir une juste idée des travaux de cette réunion,il nous faut signaler les
principaux documents de travail A partir desquels s’est organisée la réflexion.
Tant par leur nombre que par leur thème, ces documents de travail rendent
compte A la fois de l’orientation,de la variété, de l’étendue et du caractère inter-
disciplinaire des discussions et du rapport de synthèse.
L a direction du BREDA a rappel6 au début les objectifs du séminaire:
a) étuder les problèmes actuels de l’éducation en Afrique,
52 Finalités de l'éducation

b) proposer des solutions adéquates qui tiendraient compte des points de vue
des officiels, du personnel académique, ainsi que de l'opinion publique
exprimés dans les divers pays africain^.^
Ensuite, en séances plénières,le séminaire a étudié sucessivement les documents
suivants:
1. Rapport de la Conférence des ministres de l'éducation des Etats africains
(Rapport MINEDAF,Lagos 1976):
a) Finalités et stratégies de l'éducation, présenté par Olu Ogunniyi;
b) Recommandations et résolutions, présenté par A k u D.Mengot.
2. Buts et finalités de l'éducation en Afrique aujourd'hui, par N'sougan
Agblemagnon, document introductif présenté par Amesata F.Sar.
3. Philosophie et crise de l'éducation en Afrique, par Alassane Ndaw, présenté
par Amesata F.Sar.
4. La crise de l'éducation au Zaïre, préparé par le Bureau africain des sciences
de l'éducation (BASE)et présenté par Sidney S.Dimitri.
5. Education et société,par Mileme M e MBeo.
6. Vers l'union de l'éducation traditionnelle et de l'éducation moderne en Afrique,
par Pai Obanya.
7. Education traditionnelle et éducation moderne en Afrique: vers l'édification
d'un cadre conceptuel, par Asavia Wandira.
8. Education traditionnelle et éducation moderne, par Iba Der Thiam.
9. L'éducation traditionnelle au Zaïre, par Ngay Aben.
10. Enseignement et éducation: méthodes et techniques d'apprentissage par rapport
ri l'environnement, par P.C.Okoudjou et Colette Houeto, présenté par
S.Ntibakunze.
1 1. Education et enseignement au Rwanda, par S.Ntibakunze.
12. Education et développement: nécessité d'une planification intersectorielle, par
N.D.J. Smart.
13. Développement et histoire, par Iba Der Thlam.
14. Education et histoire, par Henri S.Ladeira Lumona.
15. Les contributions de l'éducation scientifique et technologique aux théories et
objectifsde l'éducation, par Hubert M.Dyasi.
16. Education en Afrique dans le cadre de la formation permanente, par €5
Obanya.
17. Education et dialogue des cultures, par Marcel Diouf.
18. La culture et lesfinalitésde l'éducation en Afrique, par Clifford N.Fyle.
19. Education et mass media, par M a m a d o u Moctar Thiam.

Cette brkve évocation des travaux du séminaire des experts africains confirme la
richesse, la multiplicité et l'abondance des sources et des documents d'infor-
mation dont nous disposons déjh, en Afrique, sur les ((théories et finalités de
l'éducation)).
Dans le texte que nous présentons ici, le lecteur trouvera en filigrane non
seulement les thèmes des dscussions et les conclusions du rapport de synthèse
du Séminaire de Dakar, mais également l'exploitation des résultats de nom-
Situation actuelle dans le monde 53

breuses réunions, également très importantes,auxquelles ont participé les Afri-


cains de divers horizons (économistes, éducateurs, sociologues, philosophes,
politologues, hommes politiques, écrivains, artistes, jeunes, femmes, syndi-
calistes,paysans,représentants qualifiés de la tradition orale, etc.); ces réunions
ont eu lieu notamment de 1956 A 1981, c’est-&dire depuis le ler Congrès des
écrivains et artistes noirs (Paris,septembre 1956) jusqu’au Séminaire sur d a
contribution de la science et de la culture au développement africain)),organisé
par l’OUAA Libreville en janvier 1981.
Il ne s’agit donc pas ici de citer tous les auteurs d’une importantecontribution
au débat sur les finalités et théories de l’éducation en Afrique aujourd’hui, mais
de tenter un effort d’analyse, de réflexion et de synthèse originale sur la
question, ce que nous avions déja amorcd dans Buts et finalitésde l’éducation en
Afrique aujourd’hui4.

FINALITeS DE L‘kDUCATION ET CRISE DE LA SOCIkTl?

Très longtemps, des regards réductionnistes et parfois caricaturaux d’abord


d’une certaine anthropologie puis d’un économisme triomphant ont voilé, voire
masqué, l’ampleur des problèmes spécifiques qui se posaient A l’Afrique au
niveau de l’éducation. Nous pourrions due aujourd’hui que cette crise trouve
son fondement et sa meilleure expression au niveau du systtme éducatif. Cette
crise est repérable ici et la de manitre spécifique,mais elle affecte en réalité la
totahté du tissu social - matériel et spirituel - et tout particuhtrement le niveau
de l’éducation. Elle ne concerne pas simplement (comme on l’a cru souvent,
naivement) les structures,les pédagogies, le nombre de spécialistes a former, la
quantité de manuels A mettre en circulation, ni m C m e la s o m m e d’argent a
trouver pour le financement;elle concerne également la société globale dans son
économie générale, dans sa manière de concevoir,de vivre le temps et l’espace,
d’organiser et d’agencer ses structures, ainsi que de privilégier.ou de valoriser
telle ou telle orientation.
Dans ces conditions, le problème des théories et finalités de l’éducation en
Afrique aujourd’hui coqstitue le problème fondamental,celui qui résume et porte
en lui la solution de tous les autres,et tout spécialement de l’avenir de la société
et de l’avenir de l’homme. Rien donc d’étonnant si, aujourd’hui, les références
temporelles ponctuent non seulement les essais de définition de ces finalités,
mais surtout les caractéristiques de leur crise. C‘est pourquoi le domaine édu-
catif nous apparaît aujourd’hui c o m m e un terrain privilégié pour caractériser
cette crise.En effet, ?I côté de la relative permanence des sociétés tradtionnelles,
le monde éducatif africain apparait aujourd’hui c o m m e en perpétuel mouve-
ment. On comprend également pourquoi, évitant le parti pris ou la dictature
d’une discipline donnée, nous avons choisi une mdthode pratique qui consisterait,
A partir de l’expérience vaste et multiforme de tout un peuple au cours d’une
période donnée,A essayer d‘en dégager le contenu spécifique.
Cette analyse, dans un premier temps, nous a conduit h distinguer quatre
phases:
54 Finalités de I‘éducation

1. L a première est celle que nous appelonsphase de maturité. Au cours de cette


phase, l’éducation en tant que telle était une éducation subie; elle procédait
de l’ordre colonial et était reçue sans esprit critique, tant en ce qui conceme
sa forme que son contenu. C‘est dire que les résultats que produisait cette
éducation étaient également des résultats subis.
2. L a deuxième phase ou phase d’explicitation de la crise est caractérisée par des
activités A la fois intellectuelles et pratiques. Des activités intellectuelles,
telles que colloques africains,conférences régionales, conférences intematio-
nales, qui peuvent apparaître c o m m e la préparation intellectuelle de nou-
velles définitions ou, au contraire,“ m e une meilleure explicitation de la
crise du système éducatif.
3. L a phase d’une nouvelle programmation procède d‘abord d‘une définition d‘un
nouveau projet de société.
4. Dans la quatrième phase, ou phase des réformes, les choses deviennent plus
claires. A u cours du premier moment de cette phase, une bonne partie des
essais reposait avant tout sur des étrangers et des experts. Maintenant, on
prend de plus en plus conscience du risque de tomber dans un piège en lais-
sant les décisions importantes aux experts.’

NOUVELLES PERSPECTIVES DES FINALITGS


DE L‘fiDUCATION EN AFRIQUE
Aujourd’hui, il apparaît que le problème des finahtés de l’éducation ne se pose
plus en termes purement techniques; il s’agit au contraire de savoir comment
définir les finahtés dans le cadre des défis d’aujourd’hui et, ceci,dans la perspec-
tive de la société de l’an 2000. Le présent et le futur, de m ê m e que l’évaluation
critique actuelle et la prospective doivent être intimement liés.
Nous avons résumé ci-dessusl’analysedes quatre premières phases du déploie-
ment des théories et finahtés de l’éducation en Afrique, analyse qui part de
l’époque coloniale et aboutit aux environs de l’année 1976.Il nous faut aujour-
d’hui aborder cette problématique dans sa cinquième phase, la phase post-
réforme.
Pour éviter tout malentendu, précisons que cette notion de ((phase))n’est ni
une conception figée du devenir du système éducatif africain, ni une h t e
temporelle imperméable ou marquant une évolution close. Bien au contraire,la
notion de ((phase))est un concept opératoire permettant non seulement une
meilleure saisie des processus dans le temps, mais surtout une présentation
tenant compte de repères historiques leur servant de cadre. Dans ces conditions,
cette distinction en ((phases))a du moins l’avantage de mieux caractériser les
différents aspects historiques de la notion de finahté de l’éducationafricaine.
D e même, quand nous parlons de phase post-réforme,nous entendons tout ce
qui se produit ou se passe depuis la mise en circulation des réformes. Il s’agit
donc davantage d’un repère,d’un point de départ, que d’une période ((close))et,
moins encore, terminée.Il est également vrai que des Cléments des phases précé-
dentes continuent d’être actifs dans le présent: dans une société,ce qui change a
autant de sens que ce qui ne change pas.
Situation actuelle dans le monde 55

L a notion de ((phase))est un découpage, un repère commode pour l'analyse,


pour la saisie d'un mouvement. Nous pensons en outre que ce choix se justifie,
car nous avons l'occasion unique de procéder il une relecture synthétique et
personnelle des principaux événements qui ont, depuis une vingtaine d'années,
jalonné les sentiers difficiles de l'émergence, de la formulation et de la critique
des théories et finahtés de l'éducation en Afrique aujourd'hui.
Nous citerons quelques-unes des dates repères de ce cheminement:
- 1956 (Paris) Premier congrès des krivains et artistes noirs.
- 1959 (Rome) Deuxième congrès des écrivains et artistes noirs.
- 1962 (Addis-Abeba) Plan d'Addis-Abeba (Plan éducatif pour l'Afrique).
- 1968 (Naïrobi) Conférence des ministres de l'éducation et de la
science et révision du Plan d'Addis-Abeba.
- 1969 (Alger) Manifeste culturel panafricain d'Alger.
- 1974 (Dakar) Conférence des ministres africains de la science.
- 1974 (Paris) Pré-colloquesur ((Culturenoire et éducation)).
- 1975 (Accra) Conférence des ministres africains de la culture.
- 1975 (Lomé) Séminaire rkgional sur ((Quahtédu processus éduca-
tif: éducation et développement en Afrique aujour-
d'hui)).
- 1976 (Lagos) Conférence des ministres africains de l'éducation.
- 1978 (Dakar) Séminaire régional sur des finalités et les théories de
réducation en Afrique)).
- 1979 (Monrovia) Colloque de l'organisation de l'unité africaine SUT le
développement.
- 1980 (Lagos) Plan d'action de Lagos (chefs d'Etat).
- 1980 (Dakar) Pré-colloquedu 3e Festival des arts nègres.
- 1980 (Dakar) Première conférence des ministres de la culture du
monde noir.
- 1981 (Librede) Colloque de l'OUA sur d a science et la culture
c o m m e base du développement africain)).
Le problème des théories et finalités de l'éducation en Afrique aujourd'hui ne se
pose pas, dans sa définition,de manière linéaire et définitive;bien au contraire;
il apparaît c o m m e la résultante fugitive de nombreuses données qui tantôt se
croisent tant& s'opposent dans une recherche ininterrompue de tentatives de
solutions originales; elles sont construites sur mesure pour l'Afrique et par
l'Afrique, en exploitant au mieux tous les Cléments de l'expérience,ainsi que de
l'histoire passée et présente des peuples noirs eux-mêmes.
Il n'est donc pas question,dans ce bref exposé,de clamer telle ((théorie))toute
faite ou telle ((finalité))unanimement proclamée une fois pour toutes c o m m e une
recette universelle dont il suffirait pour l'Africain de s'emparer pour résoudre
tous ses problèmes. Il s'agit au contraire d'une recherche aux détours sinueux et
aux faci& variés, où tous les acteurs (gouvernements, techniciens, artistes,
hommes de culture, économistes, hommes de science, futurologues et planifi-
cateurs, pédagogues, linguistes, sociologues, philosophes, etc.) se proposent et
prennent la parole dans des situationsmultiples et variées.
56 Finalités de l'éducation

Le problème des théories et de la finalité de l'éducation se pose donc en


Afrique dans une situation de crise et s'exprime A travers des actes,des dkisions
et des aspirations actuelles des peuples africains. C'est donc A travers A la fois
une vaste réalité quotidienne et un effort de réflexion, d'analyse, de synthbse,
d'évaluation, de critique et d'innovation que se poursuit cet essai de définition
des finalités de l'éducation,d'une éducation conçue de façon globale, s'intéres-
sant A la société globale et A l'hommetotal.
En 1976, un groupe d'experts africains a été réuni A Dakar sous les auspices
de l'Unesco. Dans ses recommandations,le groupe a souligné A l'unanimité la
nécessité d'une étude approfondie des systèmes éducatifs traditionnels, d'un
examen critique du passé africain, d'une recherche de théories éducatives, de
débats nationaux pour déterminer le type d'éducation souhaité et d'efforts
pour lier davantage l'architecture scolaire A l'environnementimmédiats.
Cet effort concerne donc autant une réflexion critique portant sur les
concepts anciens ou modernes qu'un effort de définition et de proposition de
schémas concrets d'actions; et ceci, avec la préoccupation constante de conju-
guer ensemble, autant que possible, les pédagogies et les connaissances tradi-
tionnelles,ainsi que les méthodes et techniquesmodernes.
C'est peut-être le moment de rappeler la place essentielle qui a toujours été
accordée A la société dans la définition des finalités de l'éducation en Afrique.
Nous n'insisterons jamais assez sur ce point important - qui a été souligné A
l'unanimité dans le rapport du Séminaire de Dakar sur le problbme des finalités
de l'éducation en Afrique - c o m m e l'attestent A la fois la tradition orale et les
structures sociales globales. Cette remarquable unanimitk concernant le primat
de la société sur l'individu n'est que la constatation d'un fait bien COMU et
s'exprimant A tous les niveaux des sociétés traditionnelles africaines.Ici, l'éduca-
tion n'est pas un simple processus d'enseignement ou de formation de l'indi-
vidu; elle est un moyen de former pour la société, par la société. Tout membre
de la société participe A cette responsabilité de former l'homme pour la société.
L a société elle-même n'est pas aussi restrictive et aussi h t é e qu'en Occident;
elle comprend A la fois les vivants et les morts.
Nous avons montré,dans nos études sur le temps et l'espace africain,la philo-
sophie qui sous-tendla théorie africaine de la finalité de l'éducation. C'est pour-
quoi, c o m m e les participants au Séminaire de Dakar en 1979, nous avons
toujours pensé et écrit que la culture et la société africaines ne se justifiaient que
par cette conception de la finalité de l'éducation dont elles recèlent les racines.
Nous en trouvons les plus éclatantes preuves tant au niveau de l'analyse minu-
tieuse des différents Blkments de la tradition orale qu'au niveau des divers
paliers de la réalité sociale dans son ensemble: depuis les actes les plus simples
et ouvertsjusqu'aux rituels les plus secretset les plus fermés.
En d'autres termes,c'est un truisme que de rappeler que l'éducation tradition-
nelle en Afrique est d'abord conçue pour le groupe, par le groupe. Si, de toute
évidence, une telle conception de la finalité de l'éducation met l'accent sur la
socikté, l'ordre social et la stabilitk, est-ce dire que l'individu est pour autant
néagé? Nous pensons au contraire que l'homme, l'individu, est la grande
préoccupation des sociétés africaines.
Situation actuelle dans le monde 57

Il s’agit non seulement d’enseigner mais surtout d’éduquer; il ne s’agit pas


seulement de communiquer un ((savoir-faire)),mais de crkr les conditions d’une
nouvelle ((manièred’Ctre)), tant pour soi que pour les autres et pour la société.
C‘est en somme la tentative de retrouver le paradis perdu des harmoniques de
l’éducationafricaine avant la colonisation et de se délivrer des traumatismes.En
effet, l’homme, la société et le monde Btaient reliés par un fin principe d’harmo-
nie; mais il faut également, en Afrique, trouver les modalités pertinentes de la
confrontation des expériences:
a) au niveau national: séminairesd’kvaluationet d‘autocritique;
b) au niveau régional: séminairesd’évaluation, certes, mais surtout organiser des
((centresrégionaux)) mieux structurés, avec une vocation mieux précisée et
d’importants moyens d’action;
c) au niveau international: tI la fois au niveau des méthodes et des finalités,tout
en maintenant la spécificité des situationsparticulitresconcrttes.
Il faut avant tout poursuivre la réflexion sur les points suivants: inventaire du
passé; actions dans le présent; plans et stratégies pour l’avenir; méthodes et
contenus de l’éducation; projet d’une nouvelle société et finalité du dévelop-
pement; apport de la culture,de la science et de la technique tI l’éducation; type
de lien et de rapport A Btablir entre le contenu du systtme éducatif et les valeurs,
tant de la société traditionnelle que de la sociBté future en construction. Quel
type de convergence, de complémentarité, de coexistence? Définir et accepter
dans un dialogue équilibré la ((tradition))et la ((modernité)).Si le proverbe Evé
dit CtKa xoxoanu wogbia yeye a do)) (c’est au bout de la vieille corde qu’on tisse la
nouvelle), comment opérer dans l’harmonie, et de manitre pratique, ces transi-
tions? Comment choisir les (cpermanenceso et les ((innovations))pour tI la fois
sauver le passé et laisser la porte ouverte A l’avenir?
Mais pour ne pas confondre tactique et stratégie, buts, objectifs et finalités,
prkisons brièvement:
- Objectif:but vers lequel on tend;actions programmées tI réaliser.
- Priorités: qui doivent venir avant d’autres (indique plutôt le rang, la prt-
séance).
- Finalités: but final, ultime, fin dernière visée par la stratégie, raison des rai-
sons d‘une action,accomplissementplénier.
Ainsi, dans sa finalité (par exemple, rendre un h o m m e heureux pour lui-même),
l’éducation peut se fixer des objectifs (scolaires, former des cadres, des savants,
des techniciens) tout en se fixant des priorités (alphabttisation,formation sani-
taire, formation rurale, etc.). Quant tI la théorie, c’est une définition ou une vue
généralement intellectuelle sur une chose. Il peut donc y avoir autant de théories
que de conceptions,d’opinions,voire de jugementsportant sur une chose.
Procédant de manikre pragmatique et variée, l’appel de la finalité l’emporte,
en Afrique, sur le besoin de proclamer ou de suivre une théorie. C‘est l’expé-
rience africaine sous sa forme multiple qui, décantée, doit fournir les éléments
thtoriques tI réinvestir dans l’action éducative. C‘est pourquoi, pour rendre
compte du processus complexe par lequel sont en train de se formuler, de se
58 Finalités de réducation

définir et de se préciser les ((théories))et les ((finalités))de l’éducation en Afrique


aujourd’hui,nous disposons de deux niveaux privilégiés d’observation;
1. L e niveau des expressions indirectes (maisimplicites): analyse des faits sociaux
dans leur dynamique,tant au niveau de la société trahtionnelle qu’au niveau
de la société coloniale et post-coloniale.
2. L e niveau des expressions directes (explicites et proclamées) des Africains de
divers horizons: par voie de conférences, réunions, groupes de travail,décla-
rations, publications, enquêtes sociologiques ou sociales; par des respon-
sables politiques, des éducateurs, des planificateurs, des intellectuels, des
économistes, des anthropologues, des hommes de culture, des savants, des
écrivains, des artistes, des gens du peuple, des paysans, des jeunes, des
femmes, etc.
Devant l’impossibdté- dans le cadre bien modeste du présent texte - d’évoquer
et de préciser l’apport spécifiquenon seulement de ces deux importants niveaux,
mais également des nuances spécifiques revenant A telle ou telle catégorie
sociale, contentons-nous de rappeler les points, sinon faisant l’objet d’un
consensus,du moins évoqués par tous c o m m e faisant partie de cet effort global
pour définir et réaliser les buts et finahtés de l’éducation en Afrique aujourd’hui.
Nous pouvons dire, en 1981, que le problème des théories et des finahtés de
l’éducationen Afrique a cessé d’être un débat,une préoccupation ne concernant
que le système éducatif ou le domaine éducation;il est devenu un débat général,
une réflexion générale ayant pour centre et pour prétexte le développement. Mais
alors, quel développement? U n développement endogène, autogéré, se servant
de la science,de la culture et de l’éducation c o m m e d’indispensables ((béquilles)).
E n d’autres termes, de m ê m e que nous ne voulons plus la science pour la
science ou la culture pour la culture, nous ne voulons plus, en Afrique, l’éduca-
tion pour l’éducation.L’éducation a et doit avoir une finalité; elle a un objet A réa-
liser; elle est un moyen de réahser un projet de société; elle est et doit être le
moyen de réaliser cette société où régnera plus de justice,plus de démocratie,
plus de liberté et plus de possibilités d’épanouissement, tant au niveau collectif
qu’au niveau individuel.
Ainsi voyons-nous progressivement émerger des éléments importants de cette
finalité mais, en m ê m e temps, l’ébauche d’une ((théorie))implicite du dévelop-
pement et de la pratique sociale et, en filigrane,une ((théorie))de la finalité de
l’éducation en pleine construction.
Cette nouvelle phase, cette cinquième phase, celle de post-réforme, se carac-
térise par un radicalisme quant au ton de l’interrogation, par une sévérité
au niveau des bilans, par une angoisse quant A la perception de l’avenirproche
(l’an 2000), par le manque de complaisance quant au jugement porté sur les
ctsuccbw obtenus et, surtout, quant aux possibilités réelles de sortir bientôt du
((tunnel)),par l’impatience de voir émerger des structures et des hommes capa-
bles de rkaliser ces finahtés de l’éducation.
Tout ceci explique le caractère dramatique et tendu du nouveau discours afri-
cain portant sur l’an 2000.Le passé s’effrite,le présent accable et l’avenir fait
peur. On peut dire sans exagération que c’est la première fois que les Africains,
Situation actuelle dans le monde 59

collectivement et individuellement, vivent si clairement et si profondément


l'intense tragtdie de leur conscience malheureuse, pour ne pas parler de leur
impuissance momentanée. L a nouveautt n'affecte pas uniquement le ton de la
question. La question elle-m&me se fractionne,s'invective et s'interpelle. Aussi,
il n'est plus simplement question de parler de l'apport de la ((cultureafricaine))
au développement, en sauvegardant la ((personnalité africaine)),l'((authenticité
africaine)),l'((identité africaine)).O n se pose aussi les questions suivantes: Quelle
culture? Pour quoi faire? Pour quelle société?
D e meme, l'éducation n'est plus désirte btatement, passivement. On veut
savoir: Quelle éducation? Pour quelle socittt? Pour quel dtveloppement? L'édu-
cation, pour réaliser quel type de citoyen? Pour apporter quel bonheur et quel
tpanouissement pour l'homme?
Il ne suffit donc pas que l'éducation assimilatrice et décentrée échappe aux
hypothèques d'hier et aux freins d'aujourd'hui; il faut en outre qu'elle réalise la
société et l'homme de demain. Elle n'est plus simplement une évolution, un
point entre deux ptriodes; elle se veut révolution dans son contenu.
C'est dans cette perspective qu'il faut lire les conclusions et les recomman-
dations:
a) de la Conférence de Monrovia, en ce qui concerne la participation de la
science au dtveloppement;
b) du ((Plande Lagos)), en ce qui concerne le développement économique de
l'Afrique pour l'an 2000;
c) du Colloque sur d a science et la culture c o m m e base du développement afri-
cain)),organist par l'OUA en janvier 1981 &Libreville.
Ainsi, la science ne doit pas simplement tchapper & sa double servitude de
science importte et de science de la dépendance; elle doit tgalement et surtout
s'incruster dans le sol africain et travailler pour l'Afrique, c'est-&-dire réaliser
des priorités africaines.
Dans cet esprit,des experts africains invitts & titre personnel par le Secrétaire
gtnéral de l'organisation de l'unité africaine (OUA)et provenant de diverses
régions d'Afrique (hommes de lettres, hommes de science, chercheurs, philo-
sophes, sociologues,artistes, etc.) exprimaient la responsabilité passée de l'école
&divers niveaux: refus au niveau des mentalitts extraverties forgées en nous par
l'école coloniale et néo-coloniale;ruptures au niveau de certains schèmes tradi-
tionnels qui sont &l'origine du refus de certaines techniques modernes et &l'ori-
gine du refus de participation au dtveloppement. D'où nécessité de réformes
dans nos systèmes d'tducation et de formation des jeunes.
C o m m e nous l'avons déjh &rit, la (cplanificatomanieone saurait & elle seule
résoudre les problèmes. Dans ces conditions, ((politiquede la culture)), ((poli-
tique de la science))et ((politiquede l'éducation)) ne seraient que des projets sur
papier, un discours de complaisance,si une volonté de réaliser ne nous habitait.
D o ù l'importance de structures adéquates et du haut degrt de mobhsation des
hommes; en un mot, de notre volonté politique et de notre ccautomobhsationo
pour le progrb.
60 Finalités de l'éducation

Il faut, ii travers et grâce ii l'tducation, la science et la culture, que l'Afrique


construise un espace social et des hommes capables d'Ctre ii la fois les ((mainte-
neurso du passt et les structures d'accueil du futur. Si la rtflexion africaine
actuelle met l'accent sur les ccprtoccupations africaines)),la ccstrattgie de Monro-
via)) (1979), le ((Plan d'action de Lagos)) (1980), les ((actions sptcifiques)) ii
mettre en route, le ctdtveloppement africain endoghe et auto-entretenu)),
l'((horizon des anntes 2000))c o m m e ultime pari et la ctrtaction contre l'&no-
misme dictatorial ii tout prix)), c'est pour mieux souligner l'importance du rôle
qui revient ii la culture dans l'tducation. Si l'tconomisme triomphant et domina-
teur des anntes 60 doit battre en retraite, l'tducation au sens global doit faire
une place de choix ii la culture et comprendre que cette dernikre,dans le proces-
sus d'un développement global et intkgratif, concerne ii la fois le spirituel et le
mattriel, de manikre indissoluble.((Laculture du riz A Madagascar et en Egypte
a étt prise en exemple pour montrer que cette activitt a fait germer tout un
faisceau de valeurs socio-culturelles profondtment enracintes dans les mœurs
malgaches (chants,danses, peintures, litttrature orale...))).
S'il est vrai qu'((un sage qui meurt est une bibliothtque qui disparaît)), il est
tgalement vrai qu'une technologie trahtionnelle qui disparaît est un pan de
socitté qui s'tcroule (valeurs,comportements, pratiques, etc.). Il nous faut sau-
vegarder tous les éltments, physiques ou moraux, mattriels ou spirituels, qui
contribuent ii des degrks divers A l'tducation globale dans une sociktt donnte et
A un moment donnt de son histoire.
Dans ces conditions, la finalitk de l'kducation en Afrique aujourd'hui ne peut
se dtfinir ni de manikre formaliste,univoque et péremptoire,ni de manihe figte
ou réductrice,mais dans l'tlan crtateur de nouvelles perspectives,dans un tlan
respectueux des grandes normes traditionnelles c o m m e des aspirations actuelles.

NOTES ET RBFBRENCES
1. Stminaire sur ((Lesfinalitts et les thtories de l'tducation)) en Afrique organist par le
Bureau rtgional pour l'tducationen Afrique, Dakar, et ses implications, Dakar, 1978.
Finalités et théories de I'éducation: le point de vue africain. Rapport final du séminaire ...
Dakar, Bureau rtgional de l'Unesco pour l'6ducation en Afrique, 1979.48,19p.
2. Ibid.,p. 1.
3. Ibid.,p. 8.
4. Agblemaguon,Ns.Buts et finalitésde I'éducation en Afrique aujourd'hui. Dakar, Bureau
rtgional de l'Unesco pour l'tducation en Afrique, 1979. 12 p. ( B R E D A / 7 8 / C O N F /
FIN-TH-ED/ 12) [Document prtsentt au Sdminaire sur ((Lesfinalitts et les thbriesde
l'kducationo en Afrique organist par le Bureau rtgional pour l'tducation en Afrique,
Dakar, et ses implications, Dakar, 19783 [Egalementprtsentk la Rtunion du Choupe
de consultants sur les finalitts et les thtories de l'6ducation, 2e, Paris, 1976, sous la cote
SS.BIE.76/CONF.645/5]
5. Pour une analyse plus approfondie des quatre phases, voir:Agblamagnon, N's. Op. cit.,
p. 1-8.
6. Stminaire sur ((LesfinalitCs et les thbries de l'tducationo en Afrique ..., Dakar, 1978.
Op. cit., p. 22.
Situaiion aciuelle dans le monde 61

2. Amérique latine
basè sur des idèes et du matèrieljoumis par R.Nassij

CONSIDERATIONSPRPLIMINAIRES
Cet essai ne peut - compte tenu de ses limites - aller au-del8 de certaines
approximations et réflexions sur les théories et les finalités de l'éducation en
Amérique latine pendant les dernitres vingt années.
L a seule approche du thtme pose deux problkmes. Le premier, c'est le lien
qu'il y a entre la théorie et les finalités de l'éducation avec les différences de
structures apparaissant demkre l'image si rkpandue de l'Amérique latine uni-
taire. Le deuxikme probltme a trait 8 la possibilité et A l'uthté de faire dériver
les finalités de l'éducation des théories pédagogiques.

L'Amèrique latine: une et diverse


Nous placerons notre thtme dans le cadre du jeu dialectique entre l'unit8 et la
diversité de l'Amérique latine et nous le concrétiserons par des critkres peu
traditionnels.
Par ces crittres, nous verrons comment se manifeste effectivement le pro-
bltme des finahtés générales de l'éducation et celui de ses fins spécifiques pour
chacun des pays. Ces problkmes existent dans n'importe quelle région du
monde; mais dans le cas des pays d'Amérique latine,ils acquikrent un relieftrts
particulier en fonction de leur ((communauté))historique et linguistique et parce
qu'ils dépassent 8 peine un sikcle et demi d'indépendance politique.
L'unité de l'Amérique latine est fondamentalementindiscutable.Mais depuis
que les schémas idéalistes d'interprétation se sont peu 8 peu affaiblis,la belle et
juste phrase de Raul Haya de la Torre a acquis son sens: ((Nous sommes plu-
sieurs époques dans un m & m e espace)).
L a variété des époques dans un m e m e espace se perçoit clairement dans la
simultanéité et la contradiction d'une jouissance élevée de biens culturels avec la
mistre culturelle et économique des marginaux, ruraux et urbains.
L'kpoque latino-américaine est une période conflictuelle bien mise en évi-
dence dans les luttes pour l'indkpendance politique et, plus récemment, contre
les invasions étrangtres. La conclusion est Bvidente. L'Amérique latine est une
mais simultanément diverse, en raison de la recherche ou de l'affirmation d'iden-
tités nationales, régionales et de groupes. L a communauté d'origine est une
ctcommunautk de probltmesu, déterminée par le sous-développement, le
contraste entre les majoritks qui le subissent et l'existencede régimes politiques
allant des régimes révolutionnaires préoccupés par des changements profonds
de structures aux régimes autocratiques, en passant par quelques formes de
démocratielibkrale.
Dans cette variétk de situations socio-économiques,culturelles et politiques,il
est impossible d'imaginer l'ensemble de l'Amérique latine.
62 Finalités de réducation

Les sources des finalités éducatives


L‘héttrogénéité de conception et de situation ne détermine pas seulement un
conflit ou un parallélisme entre le rôle de l’tducation dans la praxis sociale et ses
principaux objectifs. Cette httérogénéité conduit ii poser le problème plus gént-
ral de la relation effective des théories et des finahtés ou, plus encore, ii poser
celui des sources de la téléologie tducative latino-américaine.
Il est évident que les finalités ne peuvent Ctre ((irradiées))seulement par les
théories pédagogiques ou par d’autres conceptions plus amples incluant tout ce
qui est éducatif c o m m e une de ses composantes ou une de ses manifestations.
Simplement, s’il y a des théories qui se formulent ii la manière de pensées ii
prédominance pédagogique,il y a aussi des théories ii la base ou au sommet des
politiques tducatives que l’on utilise ou applique hors du système éducatif
accepté et soutenu par les groupes dominants de chaque socitté.C e qui importe
le plus, c’est de déterminer non seulement quels sont ceux qui conçoivent des
théories et des finalités éducatives,m ê m e quand on doit reconnaître que les fina-
lités éducatives exigent un examen théorique;pour que celui-ci se rtalise,ce doit
être par la philosophie de l’éducation. Cela ne signifie rien de faire des recher-
ches en matière de téléologie sans tenir compte du type de société dont il s’agit.
La conséquence de cette façon contextuelle de poser le problème de notre
thème d’étude serait le besoin d’examiner les tendances thtoriques de la pédago-
gie latino-américaineet d’évaluer leur capacitt pour mettre en pratique effective
les finalitts que préconise chaque doctrine. Si ii cela s’ajoute le fait des affron-
tements ou du parallélisme des sous-culturesqui exigent des formes et des objec-
tifs éducatifs particuliers, il est facile de comprendre qu’il ne faudrait pas seu-
lement considérer les finalités ((explicites)),mais qu’il faudrait aussi prendre en
considération les finalités ((implicites)) émergeant de quelques expériences
marginales (il y a des exemples intéressants d’exptriences marginales en
Amérique latine) par rapport aux systkmes officiels d’éducation.

LES THEORIES PGDAGOGIQUES LATINO-AMfiRICAINES


Les cadres de référence
Il n’est pas dans notre propos de faire une prtsentation complète des tendances
théoriques de la pédagogie latino-américaine,mais de donner un schéma som-
maire de ces tendances pendant les deux dernières décennies (1960-1980).
Jusqu’en 1950,le canevas de la théorie pédagogique fut dominé par l’antiposi-
tivisme idéaliste,spiritualisteet culturaliste,antipositivismed’origine allemande.
A u x approches de 1950, cette conception connut une crise due ii l’influence
pragmatique et expérimentaliste de John Dewey et aussi ii l’apparition subite de
nouveaux groupes sociaux et de nouvelles tendances générales dans les sciences
et dans la pensée humaine.
L a période latino-américainepeut se caractériser par la vive controverse entre
les nouvelles tendances de l’éducationlatino-américaineet les orientations péda-
gogiques traditionnelles.C e furent les positions contestataires qui donnkrent le
Situation actuelle dans le monde 63

ton et le rythme de la pensée pédagogique de cette époque. Beaucoup des théo-


ries traditionnelles durent se métamorphoser pour dtre au niveau des nouvelles
exigences.
U n tel changement se manifesta en premier lieu par le compromis explicite de
la pensée éducative avec la réalitk globale; en second lieu, par la tendance de
cette pensée A se développer dans de nouveaux cadres référentiels. Parmi ces
nouveaux cadres,on trouve essentiellementle changement, le développement et la
marginalité.
Parmi les catégories conceptuelles gagnant du terrain dans le vocabulaire
pédagogique, on relkve l'extrascolarité, la dksinstitutionnalisation éducative et la
contre-scolarité.A ces catégories,se joignent d'autres de grands poids c o m m e les
catégoriesconceptuelles d'éducation mutuelle et d'éducation permanente.
C'est parmi les nouveaux cadres de rkfkrence que prennent racines les théories
pédagogiques se basant sur une éducation pour le changement; celle-ci,en A m é -
rique latine,trouve son vkritable terrain dans le débat et les options sur le déve-
loppement que les pédagogies critiques cherchent A définir c o m m e un dkvelop-
pement endogène,intkgrk et centré sur lui-mdme.
L a marginalité est vue c o m m e une des conséquences de la dépendance des
pays non développés placés dans la ((périphérie))du travad et de la production
internationaux. L a notion de (tmarginalitk))et la problématique de ceux qui
l'expérimentent pknètrent dans les conceptions pédagogiques, m ê m e si celles-ci
se différencient par l'adhésion de quelques-unes d'entre elles aux canons de
l'acculturation éducative.
Il est évident que les finalités éducatives - explicitkes ou non - varient. L a
reconnaissance du droit A l'éducation des moins favorisés oblige ceux-ciA inter-
venir dans leur propre éducation, engendrant ainsi des objectifs imprévus dans
l'appareil pédagogique dominant. D e ce fait, on brise la rigidité tradtionnelle de
l'idée de ccscolaritéu et on accepte l'existence de situations éducatives non sco-
laires; de plus, il y a rupture du préjugé de l'fige et du temps consacré A l'édu-
cation,laissant émerger ainsi l'idée et la pratique de l'éducation permanente.

Deux types de théories


Dans l'hypothèse que les théories kducatives ne sont pas seulement celles qui
proviennent de la spkculation mais aussi d'autres conceptions et données pra-
tiques et politiques, il est concevable que ces données soient multipliées dans le
sous-continent latino-amkricain. Malgrk cette multiplicité, il est possible de
ranger les diverses théories kducatives dans deux grandes catkgories.
L a répartition des théories entre ces deux catégories se produit suivant que
celles-ci se rattachent A l'une ou l'autre interprétation du concept de dévelop-
pement. C e n'est pas la m ê m e chose d'kchafauder la théorie et la pratique éduca-
tives sur l'idée du sous-développement - conçu c o m m e ktant l'expression d'un
stade purement provisoire au bout duquel on rencontre le développement - que
de les fonder sur la notion de ((dépendance))en tant que caractéristique du sous-
développement des pays pkriphériques. Dans le premier cas, le rBle dominant
appartient au modde de dkveloppement des pays hégémoniques. Dans le
64 Finalités de I‘éducation

deuxibme cas, le sous-développement apparaîtrait c o m m e une ((carence))d’un


type et d’une forme de vie dont les pays hégémoniques seraient les représentants
uniques et exemplaires. C‘est dans cette dualité d’interprétation que deux
grandes orientations pédagogiques prennent leur source et circulent 8 travers
l’Amérique latine des dernieres vingt années. U n e premibre orientation s’iden-
tifie par son adhésion 8 des modbles exogknes, 8 des philosophies et méthodo-
logies technocratiques et modernisantes; ce sont de véritables pédagogies de la
dépendance. L a dewcibme orientation s’appuyant sur la critique de la notion de
dépendance engendre lespédagogies de la libération.

Les pédagogies de la dépendance. C‘est dans les pédagogies de la dépendance


qu’entrent les thkories éducatives de développement fondées sur l’usage des
concepts de ((technification)),de ((rationalisation))et ((efficience))de l’éducation,
et les pédagogies autoritaires et autocratiques qui,malgré leur apparence moder-
niste, se dkveloppent par le sommet et pratiquent un retour aux valeurs du
passé. Quelques-unes de ces pédagogies semblent pouvoir arriver 8 être des
pédagogies ((réformistes));c’est ce qui sépare ce type de ((dépendance))des péda-
gogies de libération qui sont ou devraient être fondamentalementtransformistes
par leur intention d’aller au-del8de la simple ((ré-forme))ou de ((simpleschan-
gements de forme))dans la restructuration des processus et systbmes éducatifs.

Les pédagogies de la libération. L‘expression ((pédagogiede la libération))n’est


pas employée ici pour désigner des conceptions éducatives (comme la concep-
tion de l’éducation libératrice de Paulo Freire), mais pour exprimer une concep-
tion contraire h celle de la dépendance. Cette expression ((pédagogiede la libéra-
tion)) est c o m m e un écriteau générique pour tout un ensemble de tendances
pédagogiques qui ont une incidence sur le jeu des interprétations pédagogiques,
philosophiques et socio-politiques,des tendances qui émergent dans l’huma-
nisme social et scientifique,dans des expériences éducatives qui tendent A pro-
duire des ouvertures sur les systbmes scolaires,dans les démocraties populaires,
dans le socialisme et le marxisme et aussi dans le nouveau christianisme.
Malgré la variété de leurs sources et de leurs lignes dnectrices,les ((pédagogies
de la libérations peuvent se grouper autour de quelques similitudes de base.
Parmi celles-ci,les plus importantes sont l’identification et la dénonciation des
facteurs d’aliénationet de déshumanisation qu’il y a dans une grande partie du
contexte socio-économique,politique et culturel de l’Amérique latine.
C e type de ((pédagogies))s’intbgre peu 8 peu dans la région et commence par
reconnaître la politisation de l’éducation et ses liens avec les structures du pou-
voir en m ê m e temps que son caractcke de phénombne de portée sociale dépas-
sant les murs des salles de classe. C o m m e exemple de cette sorte de pédagogie,
on cite: la pédagogie élaborke par Paulo Freire et ses continuateurs, celle qui
prend racine dans la critique de l’école, c o m m e celle qui, contre l’éde bour-
geoise, se fait h partir du marxisme ou du sociahsme,les pédagogies qui pro-
viennent ou découlent de grandes réformes éducatives essayées ou en vigueur en
Amérique latine du X X e siècle (Chili, Costa Rica, Cuba, Mexique, Nicaragua,
Panama, Pérou).
Situation actuelle dans le monde 65

U n e conception non classifiable: la théorie d’Illich. Pour succinct que soit l’inven-
taire des théories pédagogiques latino-américaines,on se doit de mentionner la
conception communément appelée déj8 ((déscolarisationo.Cette conception,
soutenue par Ivan Ilhch et Everett Reimer et élaborée 8 Cuernavaca (Mexique),
obtint un grand succès.Elle est difficilement localisable dans l’un ou l’autre des
deux types de tendances pédagogiques considérées précédemment. Soumettant
l’école 8 une sévère analyse critique en la considérant c o m m e responsable des
((aliénationsde nos sociétés)), cette théorie n’atteint pas toujours son but qui
consiste 8 faire croire que les solutions qu’elle propose soient effectivement une
voie de libération, sociale ou individuelle; car si ces solutions atteignaient leur
but, cela ne suffirait pas pour convaincre qu’elles doivent passer nécessairement
par la destruction de l’école,outil encore utile et indispensablepour l’Amérique
latine. Laisser toute l’éducation des Latino-américains livrée (taux réseaux de
convivialité))et 8 un complexe de services éducatifs sans aucun engagement
social, ne serait-cepas 18 une manière de revitaltser la ((dépendance))plutôt que
d’aider B la ctlibérationu?

LES FINALITGS BDUCATIVES EN AMGRIQUE LATINE


Lkgitimité du problème
L a thèse qui affirme qu’en Amérique latine, le ((thèmedes finalttés de l’éduca-
tion pourrait être considéré c o m m e déj8 épuisé))existe car, dans cette région, on
n’attend pas d’autre réponse que celle-ci: m o u s avons besoin de nous éduquer
pour le développement afin de dépasser la dépendance économique et accélérer
les changements nécessaires pour nous hisser culturellement et technolo-
giquement au niveau des exigences de notre époque)).
Il est vrai que le thème téléologique a été ctdésacraltséo et est descendu de son
unique piédestal philosophique pour être appréhendé dans les méandres de la
vie sociale concrète. Ceci ne duninue en rien son importance qui se trouve ren-
forcée par la variété et la position critique des diverses conceptions et téléo-
logies.
Toute réflexion sur les formalités de l’éducation suppose une orientation dans
le domaine des valeurs et un examen des modèles socio-culturels.Il en découle
nécessairement que des questions épistémologiques et méthodologiques sur
lesquelles nous ne pouvons nous étendre restent sous-jacentes;elles sont généra-
lement 8 l’origine de sérieuses interrogations sur le rôle qui incombe B la
réflexion en cette matière et sur les façons de transformer en finalités des objec-
tifs aussi vastes que ceux de ((changement))ou de ((développement))et qui dépas-
sent la sphère pédagogique.
L‘essentiel de la question se trouve dans les modèles de vie de chaque société
et dans chacun des groupes qui la composent,qu’ils fassent partie de son actua-
lité ou qu’ils soient intégrés 8 des ((utopies-projets)).
Si les finalitéséducatives s’étudent dans leurs liens avec les projets et modèles
de développementdes sociétés,le thème téléologique en Amérique latine est loin
d’être inutile et mérite un traitement en accord avec sa grande complexité. C e
66 Finalités de l'éducation

qui arrive, c'est que ce traitement n'est plus faisable dans une pédagogie tradi-
tionnelle limitée. O n exige une pédagogie audacieusement interdisciplinaire et
outillée pour capter les formes porteuses de changements. C'est une recherche
où l'Amérique latine peut faire état d'idées et d'expériences encourageantes
ayant déjh débordé le cadre de ses frontières.

Position du problème
La problématique du thème trouve sa justificationdans des modahtés et métho-
dologies dfférentes, appliquées pour l'affronter. On peut soutenir que les fina-
lités de l'éducation s'élaborent et s'exécutent fondamentalement, soit par
l'obligation, soit par le consensus, soit par la participation.
Les deux premiers concepts (obligation et consensus) sont des modalités
d'élaboration des finalitésde l'éducation avec la différence que, dans la première
modahté, le corps téléologique se présente c o m m e terminé alors que, dans la
deuxième modalité, on tente une rationahsation et une acceptation par diffusion
dans l'ensemble du corps social. La modalité de participation influe directement
sur les fins éducatives en fonction des besoins; les fins éducatives sont un bon
indicateur de la situation réelle du problème dans les dernières vingt années.
Pour ne mentionner qu'une des différences entre les finahtés pratiquées de
manière traditionnelle et celles qui ont un contenu nouveau, disons que les
finalités traditionnelles sont basées sur une conception intellectualiste et
encyclopédiquede la culture, ainsi que sur l'individualisme de l'éducation.Cela
se traduit par une acquisition accumulée de connaissances dans un climat sco-
laire caractérisé par une discipline rigide et des relations non coopératives mais
compétitives;en revanche,les nouvelles finalités ou celles qui sont placées dans
une perspective nouvelle se caractérisent par une tendance h postuler des
objectifs en harmonie avec l'évolution culturelle et socio-économique de la
société latino-américaine.

Des ccprioritésu aux finalités éducatives


Si l'on examine de manière générale la façon dont on pose le problème des
finalités en Amérique latine, on constate qu'elles sont le plus souvent posées a
priori.
Cette ((technique))est assez courante dans les réunions régonales h caractère
officiel. Il suffit alors d'avoir recours aux documents de travad et aux rapports
finals des quatre Conférences régionales des ministres de l'éducation et de la
planification économique de l'Amérique latine et de la région des Caraïbes,
conférences tenues sous l'égide de l'Unesco (en 1962, 1966, 1971 et 1979) pour
voir comment le problème des ((prioritéséducatives)) s'inscrit dans le cadre des
principaux domaines prioritaires définis. Ainsi, en Amérique latine actuelle,la
priorité d'assurer ((une plus grande expansion des services éducatifs)) en vue
d'une ((démocratisation effective de l'éducation)) se fonde sur la finalité qui
consiste h former des hommes pour l'édfication sans cesse renouvelée de la
société.
Situation actuelle dans le monde 67

Conception,problèmes et priorités de réducation


L‘avantage d’analyser en profondeur les finalités ti travers rétablissement de
domaines prioritaires de la politique et de la planification réside dans le fait que
le thème exige une prise de conscience des grands problèmes de la région latino-
américaine. Ceci a été clairement énoncé dans la dernière conférence men-
tionnée, celle de Mexico en dkembre 1979 et que nous suivrons ti cause de
l’intérêt qu’offrent quelques-uns des problèmes régionaux qui y ont été exa-
minés.

Une conception élargie de l’éducation. Dans le Rapportfinalde cette conférence,il


est dit que, pour remplir parfaitement son rôle, l’éducation doit ((revoir et
réorienter radicalement ses objectifs, contenus et méthodes))’.
Pour que cette grande finaltté ne reste pas une abstraction,la Conférence de
Mexico dut expliquer les problèmes de la réalité socio-éducative latino-amé-
ricaine et déterminer les domaines prioritaires d’action.

Les problèmes éducatifs. La Conférence estima que les grands problèmes de


l’éducation dans la région (en y incluant la régon des Caraïbes) vers les adnées
80 sont les suivants:
1. Le pourcentage élevé d’enfants qui m’ont jamais fait d’études primaires ou
de ceux qui n’ont fait que des études primaires partielles)); le pourcentage de
jeunes gens et d’adultes analphabètes met en évidence le fait que des services
éducatifs n’atteignent pas toutes les collectivités, en particulier les collec-
tivités rurales et que les effets des services éducatifs sont contrecarrés par le
nombre élevé d’abandons scolaires)).C‘est ainsi que 20% des enfants entre
6 et 1 1 ans ne reçoivent pas d’éducation primaire dans la région, que sur
1 O00 enfants inscrits,moins de la moitié atteint la quatrième année primaire
et que 75% des écoles rurales ne sont pas complètes.
2. L a tare de l’analphabétisme est une grande barrière qui lunite les possibihtés
de progrès.
3. L‘inégahté des possibilités d’accès ti l’éducation devient très visible par rap-
port ti l’évolution de l’appareilde production. A la Conférence de Mexico, on
soutint que le système de production est organisé pour répondre ti la
demande des groupes de niveau élevé.
4. L‘éducation - malgré sa qualité et sa continuité et bien qu’elle ait cessé d’être
dans la région le privilège d’une élite minoritaire - n’a pas réussi ti refléter
dans ses contenus, ses critères d’évaluation et de progression, ainsi que ses
caractéristiques d’organisation et de méthode,l’évolution souhaitée.
5. Cela parce qu’une faible place est assignée A la connaissance des réalités
socio-économiqueset culturelles des pays de la région. O n a constaté le faible
pouvoir formatif de l’éducation et le caractère restreint des sciences sociales,
exactes et naturelles. A la Conférence,il fut admis que le contenu de l’ensei-
gnement doit correspondre aux objectifs sociaux et aux intérêts de ceux qui
sont concemks, ainsi qu’aux rôles que ceux-ciet les collectivités dont ils font
partie doivent jouer dans la société.
68 Finalités de l'éducation

6. L a Conférence insista sur le besoin de rendre essentielle la déconcentration


afin de tenir compte des ((besoinset aspirations de chaque région,de chaque
localité)) et demanda d'adapter les processus éducatifs aux particularités
d'ordre socio-économiqueet culturel du milieu.
Cette problématique démontre que l'kducation latino-américaine accuse de
sérieux et inquiétants symptdmes de conservatisme régressif qui ont é h é et
gené la possibilitt de changements kducatifs réels. Face A ces limites, la recher-
che de finalités identiques aux projets novateurs devient chaque jour plus
pressante.
Les priorités. A la Conférence de Mexico, en 1979, les priorités furent les
suivantes:
- application d'un nouveau concept de développement ((enfonction d'objectifs
sociaux de participation de tous les groupes nationaux dans les efforts pour le
développement));
- pratique d'((une politique délibérke de démocratisation réelle de l'éducation))
située en premier lieu ((horsde l'éCole et du systtme éducatif pour s'appliquer
A la sociétk globale));
- élévation des taux de scolarisation et éradication de l'analphabétisme pour
l'an2000;
- orientation des services éducatifs vers les secteurs sociaux défavorisés ou
marginaux;
- établissement de relations étroites entre l'éducation et le monde du travail (en
tenant compte des exigences locales et nationales);
- amélioration de l'enseignement des sciences et de la techologie A tous les
niveaux.
Le seul énond de quelques domaines prioritaires d'action pour la politique et la
planification éducatives latino-américaines pour la dernitre partie du siècle
permet de comprendre comment ces stratégies sont des priorités pour le déve-
loppement des systtmes éducatifs et de la société, avant d'être des finahtés de
l'éducation,ce qui ne signifie pas faire abstraction des kvaluations téléologiques
et des conceptionspédagogiques générales.

LES FINALITGS DANS UNE PERSPECTIVE GLOBALE


La réorientation et la rkvision des finalités éducatives ne débute pas, avec la
Conférence de Mexico, aux approches de la décennie 80. La reformulation des
finalités kducatives s'est concrétisée davantage par les rkformes réalisées dans la
région et les exigences de leur mise en application.
V u l'impossibilité de faire ici une présentation des finalités éducatives dans
tous les pays de la rkgion, il semble préférable de détacher quelques-uns des
principaux apports que certains pays latino-américainsont fournis.Nous aurons
donc recours A deux ou trois orientationséducatives importantes,sans la préten-
tion ni le propos de les épuiser.
Situation actuelle dans le monde 69

L'((homme nouveau)) et les méthodologies pour établir des finalités


La formation d'un ((homme nouveau)) dans les pays latino-amkricains et
l'emploi instrumental du modèle pour rendre plus cohérents les processus et sys-
tèmes kducatifs est une idke assez rkpandue dans le langage et les expkriences
kducatives novatrices dans la région. Tel semble être le sens de la notion de
l'((homme nouveau)) et des multiples essais de tracer le profil de l'((homme
latino-américain)),profil correspondant parfois A chaque nationalitk particulière
(l'homme de Costa Rica, l'homme argentin,etc.).
Il est certain que cet ((homme nouveau)) doit être engagé dans un contexte
historique et social concret. Le premier pays qui a essayk de dkpeindre
l'cthomme nouveau))A partir de la récupkration de ses racines historiques,c'est le
Mexique; cela fut la conskquence de sa rkvolution agraire, dans la deuxième
décennie du siècle. Mais avec toutes les vicissitudes de l'Amérique latine, les
essais du Mexique connurent des hauts et des bas, dkterminks par l'affrontement
et la polarisation idkologiques. Avec l'exemple mexicain commençait A se des-
siner une nouvelle mkthodologie ne rksultant pas d'une simple spéculation de
cabinet ministkriel, mais d'une vision et d'une interprktation de la réalitk elle-
même.
Dans les annkes plus rapprochées de nous, la ((formation de l'homme nou-
veau)) gagne un sens spkcial A travers la réforme de l'kducation cubaine, a la
lumière d'une thkorie et d'une idéologie non klaborkes dans ces pays (le
marxisme). Aprts s'être déclarke marxiste (1961), la révolution cubaine déve-
loppe une pédagogie rkvolutionnaire mise au service de l'kdification du socia-
lisme et du communisme. A Cuba, l'homme ne se dkfinit pas par la possession
d'une nature ((immanente))c o m m e le croyait Rousseau, mais c o m m e plad dans
un processus de dtpassement de ((l'exploitationde l'homme par l'homme)) et de
rkalisation d'une sociktt sans classes. Cet h o m m e multidimensionnel, poly-
valent, crke peu h peu les conditions optimales au dkploiement de toutes ses
potentialitks et trouve dans le cadre du travail le d e u propice A son complet
kpanouissement ainsi qu'a l'kdification du sociahsme; un h o m m e avec une éth-
que où prkdomine le refus des biens matkriels, un h o m m e réfléclu dans la ligne
d'un internationalisme militant et où la technicitk politique reprksente un de ses
traits essentiels. D'après ce qu'affirment Michel Hateau et Jacques Lautrey, cet
h o m m e est un ((projetdu futura.
Pour les deux auteurs mentionnts, les objectifs de la rkvolution cubaine sont
avant tout d'ordre idkologique. Les effets du modèle - l'cthomme nouveau))- se
font dkjh sentir dans l'kducation cubaine qui assigne une place primordiale A la
formation scientifico-technique,cet ((hommenouveau)) devant lier intimement
l'étude A la vie productive et se mettre volontairement au service de la sociktk en
tant que cadre du dkveloppement de la conscience collective.
Bien qu'on observe des points de convergence dans la conception de l'home
nouveau entre la ptdagogie rtvolutionnaire de Cuba et celle qui se forge au
Nicaragua a partir de 1979,la mkthodologie de ce pays pour ktablir des finalitks
Mucatives reste cependant assez originale. La révolution nicaraguayenne se
prksente c o m m e ((populaire,dkmocratique et anti-impkrialiste,mais aussi plura-
IO Finalités de réducation

liste)) dans un systtme d’économie mixte. Elle s’est mise il la recherche d’un
modtle éducatif qu’implique la volonté de ne pas tomber ((dansla simple imi-
tation))d’un autre pays. ((Undes plus grands défis que l’éducation lance dans le
Nicaragua révolutionnaire,c’est d’avoir une évolution créatrice,pas une évolu-
tion fermée qui tombe dans la facilité du plagiat)). Et Sergio Ramirez Mercado,
un des trois membres de la Junte du gouvernement, a dit: ((Ici,il s’agit non
d’imiter, mais de créer une nouvelle expérience, car c’est seulement lorsque les
rtvolutions sont véritables qu’elles deviennent il leur tour des moddes et une
révolution qui est une réplique d’un modtle ne peut pas être un exemple du
futur)). Deux aspects sont dignes d’être mentionnés dans la révolution nicara-
guayenne: la recherche d’un modtle éducatif et le contenu de ce m ê m e modde.
Le Ministre de l’éducation nicaraguayenne, Carlos Tiinnermann Berheim, a
proclamé: ((Le nouveau Nicaragua a besoin d’un h o m m e nouveau qui se
dépouille de ses égoïsmes, qui considtre que l’intérêt social est au-dessus de
l’intérêtindividuel et que l’indwidu se réalise pleinement quand il travaille pour
la collectivitt)). C‘est dans ces dtclarations que l’on trouve une méthodologie
différente de la mtthodologie ordinaire pour étabh les finalités éducatives dans
une évolution progressive. Le Nicaragua a entrepris des actions frappantes
c o m m e la (Croisade pour l’alphabétisation)), mais n’a pas encore pu réaliser
toutes ses réformes éducatives, en particulier la rkforme d’ctauto-éducation))et
celle qui s’adresse surtout aux populations encore inorganisées. Les méthodes
employées ont les caractéristiquespropres il l’enquête et il l’entrevue;c’est ce A
quoi prodde la (Consultationdite nationale, en ce moment par exemple (mars
1981).
L a Consultation dirigée par vingt-cinq groupes organisés (populaires,politi-
ques, corporatifs, syndicaux, sociaux, d’entreprises, etc.) détermine les caracté-
ristiques du type d’homme du nouveau Nicaragua et transforme une grande
masse d’information et d’opinions en finalités éducatives.
L a participation dans l’tlaboration des finalitts éducatives a lieu aussi dans
des pays au régime dtmocratique et libtral, c o m m e Costa Rica. C e pays, uth-
sant ce que ses habitants appellent des ((consultations ouvertes)),expérimente
actuellement une approche participative il l’klaboration des finahtés éducatives,
un chemin il double voie de haut en bas et de bas en haut. Les finalités de
l’éducation de Costa Rica seront avant tout le produit d’un certain consensus
national.
Les quatre pays dont il a été question sont des exemples clairs de fixation des
finalités il travers les méthodologies d’approche par interprétation de la rtahté
(Mexique), par la diffusion il partir du sommet jusqu’h un consensus (Cuba), par
un consensus progressif (Costa Rica) et par une participation directe (Nicara-
gua). Dans deux cas (Cuba et Nicaragua), la recherche est orientée pour définir
l’((homme nouveau)) et, dans les deux autres pays (Mexique et Costa Rica),
l’homme en étroite liaison avec les traditions et influences nationales est la
principale prkoccupation.
Situation actuelle dans le monde 71

L'éducation pour le changement et la créativité


Les finahtés d'une éducation pour le changement social et la crkativité indivi-
duelle ou de groupe font partie d'une conception rénovée de l'homme latino-
américain que deux pays (Pérou et Panama) ont essayk d'appliquer. Dans ces
deux pays, les rkvolutions encadrées sur la ligne de la ((démocratiepopulaire))se
sont produites la même annke (1968)et leurs réformes éducatives démarrent aux
mêmes dates.
La réforme au Pérou (premikemoitié de la décennie 70) se traduit par trois
énoncés:
- 1'Cducation par le travail et le dkveloppement;
- l'éducation pour une transformation structurelle de la société;
- l'éducation pour l'auto-suffisanceet l'indépendancede la nation phvienne.
La réforme éducative au Panama fut fondée sur trois finalitks traçant le cadre
du dkveloppement de la personnalité du nouvel h o m m e panaméen:
- formationdans et pour la nouvelle société;
- développement de l'intelligencecréatrice;
- conception de l'homme nouveau qui devient responsable de son propre
accomplissement
C o m m e dans toutes les régions du monde, la formulation en Amkrique latine
d'une rkflexion éducative devra Ctre insérée dans des processus pédagogiques
novateurs; elle atteindra seulement ses objectifs dans la mesure où elle réunira
toutes les conditions appropriées.

NOTES ET &FERENCES
1. Conftrence rtgionale des ministres de l'kducation et des ministres charges de la planifi-
cation h n o m i q u e dans les Etats membres d'Amkrique latine et des Cardibes, Mexico,
1979. Rapport final. Paris, Unesco, 1980, p. 23 (ED/MD/58) [Egalement publit en
anglais et espagnol]

3. Asie
par J.P.Naik
Toute discussion consacrée aux finalités et théories de l'éducation en Asie
comporte certaines limites inhérentes h la situation. L'éventail du dévelop-
pement - du Japon, de la République de Corée, de Singapour h une extrémité,
jusqu'h l'Afghanistan, au Bangladesh et au Népal de l'autre - est extrêmement
large et rend assez difficile toute généralisation. Les finalités que les pays de
cette région poursuivent h prksent, tout c o m m e les théories de l'kducation sur
lesquelles reposent ces finalités, ne sont pas toujours explicitement énondes
12 Finalités de I‘éducation

dans la littérature officielle ou non consacrée A ce thème. Le plus souvent, elles


sont implicites et doivent être dkduites des politiques et des programmes de
développement éducatif qui dictent l’action des pays intéressés. M ê m e lors-
qu’elles sont exposées explicitement,le caractère du document qui en fait état
révèle des disparités considérables: certaines finalités figurent dans la Consti-
tution du pays; d’autres ont reçu l’avalde la législaturesuprême;d’autres encore
trouvent leur expression dans les déclarations officielles de politique ou les
discours des ministres de l’éducation. Tout porte A croire aussi que les diffé-
rentes finahtés éducatives d’un pays n’ont pas une égale importance ni la m ê m e
priorité. Dans l’ensemble, les différentes finahtés doivent être considérées
c o m m e un ensemble intégré dans lequel chacune d’entre elles a une place définie
dans la hiérarchie. Enfin, les déclarations officielles de finahtés doivent quel-
quefois ne pas être prises A la lettre, parce qu’elles indiquent des vœux pieux
plus que des valeurs intériorisées, la pratique étant en opposition avec les fina-
lités fixées en théorie.

IDENTIm NATIONALE ET fiDIFICATION NATIONALE


Etant donné que l’éducationne peut fonctionner que c o m m e un sous-systèmede
la société,c’est dans le contexte social, économique et politique que l’on peut le
mieux comprendre les finahtés éducatives. Il est donc nécessaire de commencer
cette analyse par une déclaration des finalités de développement général qui
sont celles de cette région.
U n e finalité qui, peut-être, a pris le pas sur toutes les autres au cours des
trente dernières années et qui reste prédominante m ê m e aujourd’hui est celle de
la création et de la consolidation d’une identité nationale et de I’édification de la
nation. C o m m e la tâche est loin d’être accomplie, il n’est pas douteux que rien
ne sera changé de ce point de vue dans les années A venir. Dans les anciennes
colonies,qui ont accédé A l’indépendanceaprès la Deuxième guerre mondiale,la
priorité et l’importance de cette finalité vont de soi parce que leshts pays vou-
laient se libérer de ce legs du colonialisme et créer une identité qui leur fût pro-
pre. Dans les pays qui ont accueilli la révolution sociahste, il y avait également
une forte volonté de créer une nouvelle société égalitaire et de se faire recon-
naître et respecter dans le concert des nations. Manifestement,cette préoccupa-
tion a dominé toutes les politiques, y compris celle de la reconstruction de
l’enseignement.M ê m e dans les pays qui n’ont jamais été colonisés et au Japon
qu’il fallait reconstruire après les dévastations de la Deuxième guerre mondiale,
on a donné A l’édification nationale une grande importance dans le but de mobi-
liser la population et de galvaniser les énergies considérables nécessaires A la
reconstruction économique,sociale et politique qu’exigeait la situation d’ensem-
ble. L a création de I’identité nationale et I’édijication nationale peut donc se
décrire c o m m e la finalité suprême que tous les pays de cette région ont pour-
suivie au cours des trois dernières décennies et que la plupart d’entre eux conti-
nueront de poursuivre avec une égale vigueur dans les décennies A venir.
Les tâches d’édification nationale étaient complexes et variées et presque
toutes avaient d’importantes conséquences sur l’éducation.Par exemple, la plu-
Situation actuelle dans le monde 73

part des pays de la région ont dû lutter pour créer ou consolider une identité
nationale et, A cet effet, ils ont mis principalement l’accent sur la renaissance de
leurs traditions et la promotion de la culture et se sont attachés A inculquer la
valeur du patriotisme et l’orgueil national.Bon nombre d’entre eux ont eu A éla-
borer une langue nationale. Plusieurs nations ont dû adopter de nouvelles
constitutionset, pour la majeure partie d’entre eux, il a fallu créer des structures
administratives beaucoup plus développées afin de faire face aux impératifs
d’une main-d’œuvreinstruite. Quelques nations ont été appelées A adopter des
mesures spéciales pour intégrer les minorités et d’autres groupes spéciaux -
ethniques, religieux, linguistiques, etc. - et A rétablir l’équilibre des pouvoirs
entre eux. Il n’est donc pas surprenant que la finalité de l’édification nationale
trouve une consécration explicite dans les documents nationaux sur la politique
de l’éducation dans la plupart des pays de cette région. Citons quelques-uns
d’entre eux A titre d’exemples.
Chine. Le Président M a o Tsé Tung, en 1957 et en 1958, a défini les grands prin-
cipes selon lesquels l’éducation doit servir la politique prolétarienne et être
combinée avec un travad productif;de plus, tous ceux et celles qui reçoivent une
éducation doivent être mis en mesure de se développer moralement, intellec-
tuellement et physiquement et devenir des travailleurs cultivés et acquis au
socialisme.
Inde. U n e reconstruction radicale de l’éducation est inhspensable pour l’unifi-
cation nationale. Le système éducatif doit forger le caractère et doMer la
compétence A des jeunes gens qui se vouent au service et au développement
national.2
Indonésie. Dans le développement de l’éducation,une des finalités importantes
devrait être de former des hommes qui croient en un Dieu tout-puissant,qui
soient intelligents,habiles et très consciencieux, qui possèdent une forte person-
nalité et un patriotisme vivant leur permettant de se développer et, dans un élm
collectif,de se consacrer au développement de la nation.’
Malaisie. La politique éducative de la Fédération est de créer un système natio-
nal d’éducation qui réponde aux besoins de la nation et favorise son dévelop-
pement culturel, social, économique et politique en vue d’un développement
progressif du systtme d’éducation dans lequel la langue nationale sera le princi-
pal véhicule d’enseignement.4
Népal. La principale préoccupation du Plan relatif A l’enseignement national a
été de faire désormais porter l’accent de façon décisive sur l’éducation consi-
dérée c o m m e l’investissement national le plus important en vue de renforcer les
ressources humaines mises au service du progrb, de l’intégration et du bien-être
nationaux.5
Pakistan. La finalité dominante de l’éducation continue d’être le souci de
préserver,de promouvoir et de pratiquer une idéologie du Pakistan basée sur le
système de valeurs islamiques. A cet égard, une attention spéciale est accordée A
l’enseignementde l’intkgrité,de la justice, de l’acceptation loyale des règles et de
la fraternité internationale.Aux mêmes préoccupations répond la finahté du
développement de la cohésion nationale, du patriotisme et du dévouement
14 Finalités de réducation

désintéressé A l’édification de la nation. C‘est ce qu’exige le souci de fierté dans


l’histoire,la culture,la tradition et l’harmonie sociale et culturelle.6
Thaïlande. L‘éducation a pour but important d’aider chaque inhvidu h se rendre
compte de la signification collective: du fait d’être Thai et de faire partie de
l’humanité; d’éprouver un sentiment de fierté nationale; de veiller a la sécurité
nationale; d’avoir son mot A dire dans la protection du pays.’
C o m m e il est A prévoir, ces efforts soutenus pour créer une identité nationale et
édifier une nation dans tous les pays se sont parfois contrariés et ont compromis
le climat de paix, de solidarité et de coopération dans la région. Ils ont eu aussi
parfois pour conséquence regrettable un recours excessif aux armements qui a
fait obstacle au progrès de la société et de l’éducation. Quoi qu’il en soit, la
nécessité d’un tel effort, poursuivi au cours des trois dernières décennies,appa-
raît évidente. Les résultats obtenus ont été nombreux et, dans l’ensemble, satis-
faisants. Il n’est pas non plus douteux que l’éducation a joué un rble important,
voire déterminant, dans ce processus de formation de l’identité et d’édification
de la nation dans les pays de la région.

CROISSANCE eC0NOMIQUE ET MODERNISATION


Après l’éhfication de la nation, les pays de cette région ont considéré c o m m e
prioritaires la croissance économique et la modernisation. Tel a été le cas du
Japon, où l’œuvre d’édification nationale n’avait pas un caractère d’urgence.
L a nécessité de souligner la croissance économique dans les pays de cette
région, dont la plupart étaient pauvres (et n’ont pas cessé de l’etre), est évidente.
Ces pays pouvaient facilement voir qu’a moins d’accroître sensiblement leur
PNB et de réduire notablement l’incidencede la pauvreté dans leur population,
ils seraient incapables d’édifier une nation forte. Ils ont donc fait passer en
premier les programmes de modernisation de l’agriculture et de développement
de l’industrie;dans le domaine de I’éducation,ils leur ont apporté le renfort de
programmes de développement des sciences et de la technologie, de promotion
de l’enseignement technique et professionnel, de formation des travailleurs en
cours d’emploi; ils ont aussi enseigné la dignité du travail manuel, notamment
dans la bourgeoisie et la haute société qui dénigraient le travail manuel et éta-
blissaient des normes sociales répréhensibles.Dans l’ensemble,le modèle adopté
a été celui d’une économie capitahste qui privilégie la croissance,sauf dans les
pays c o m m e la Chine ou la République socialiste du Viet Nam qui ont adopté le
modèle socialiste,fondé sur l’équité. Ces solutions ont eu des succès très divers.
Certains pays, en particulier ceux qui ont pu faire de gros investissements autres
qu’éducatifs (par exemple le Japon, la République de Corée, Singapour et la
Thaïlande) ont COMU une croissance h n o m i q u e remarquable. L a C h e a
obtenu des résultats assez satisfaisants sur le plan de la croissance et m ê m e plus
remarquables sur le plan de l’équité. Mais plusieurs pays (notamment l’Inde, le
Népal et le Bangladesh), impuissants a mobiliser des apports non éducatifs et a
développer h une kchelle suffisante les programmes d’éducation requis, n’ont
Situation actuelle dans le monde 75

enregistré qu’une croissance économique médiocre et d’ailleurs en partie contre-


balancée par l’accroissement de leur population. Sur le plan de l’équité,ils n’ont
guère fait mieux.
L a finalité de modernisation, qui a été acceptée en partie pour sa valeur
intrinsèque et en partie en tant qu’aide importante h la croissance économique,a
COMU plusieurs problèmes. En théorie, la modernisation impliquait que l’on
s’affranchisse des modèles traditionnels ou féodaux antérieurs, que l’on accepte
l’éthique puritaine du travail, que l’on adopte les valeurs modernes de ratio-
nalité, de justice redistributive, de liberté, d’égalité et de dignité de l’individu,
que l’on consente A l’évolution de nouveaux modes de vie et que l’on adhère h
une éthique sociale en harmonie avec ces valeurs et ces concepts. En pratique
cependant,la modernisation a signifié la plupart du temps l’adoption de valeurs
caractérisées par la soif de consommer et d’acquérir, si typiques du Nord indus-
trialisé. Cette distorsion entrave plus qu’elle n’aide le véritable progrès de cette
région. Chose également importante,m ê m e cette modernisation s’est en général
limitée aux classes dnigeantes et moyennes cultivées, au lieu de s’étendre h la
société dans son ensemble; si bien que la tentative m ê m e de modernisation a
engendré de nouvelles inégalités dans des sociétés déjh inégales h de nombreux
égards. Enfin,on peut signaler que les contradictions entre deux exigences aux-
quelles ces sociétés devaient faire face simultanément - d’une part, revenir h la
tradition,h la religion, A la croyance en Dieu, etc., et, d’autre part, se moderniser
en marquant une préférence pour la rationahté et l’homme en tant que créateur
de sa propre destinée - n’ont jamais trouvé de solution satisfaisante,m ê m e en
théorie.Cette constatation implique une étude critique non seulement de la reli-
gion et de la trahtion,mais de toute la base de la société industrielle moderne,
ainsi que l’évolution d’une nouvelle philosophie qui s’adapte h la situation,aux
besoins et aux aspirations de chaque pays. Aucun effort sérieux n’a été fait pour
s’attaquer A ces problkmes fondamentaux. Par conséquent, on voit des formes
bonnes ou mauvaises de traditions,ainsi que des formes bonnes et mauvaises de
modernisation qui coexistent dans un rapport manifestement précaire, aussi
bien dans les modes de vie des individus que dans la société.

DGVELOPPEMENT DE SYSTeMES EDUCATIFS NATIONAUX


La création et la consolidation d’une identité nationale, l’édification d’une
nation,le dkveloppement économique et la modernisation ont été les paramktres
culturel,économique,politique et social majeurs dans le cadre desquels les pays
de cette région ont cherché A créer des systkmes nationaux d’enseignement qui
puissent répondre aux besoins et aux aspirations de leurs peuples. L‘expression
ctsystkme éducatif national))a été très employée dans les pays de la région. Mais
il convient de l’interprtter avec circonspection. Elle implique véritablement un
effort national et original en vue de créer ce système éducatif unique qui puise
ses sources dans les traditions nationales et qui réponde aux besoins et aspira-
tions des populations. Cet effort a été généralement inexistant, exception faite
peut-&tre pour la Chine qui, d’ailleurs, est en train d’y renoncer. Le désir
c o m m u n A tous les pays de cette rtgion (et A tous les pays en développement)
76 Finalites de I'éducation

était que leurs systkmes nationaux d'enseignement fussent structurés de façon


quasi identique 8 ceux des pays développés.Cette formule sous-entendait que, si
un pays en développement créait un systkme d'enseignement semblable 8 celui
d'un pays développé, il deviendrait bientat riche, industriahé et puissamment
armé c o m m e les pays développés eux-mêmes.L a politique communkment adop-
tée consista donc A choisir c o m m e modèles les systèmes d'enseignement de pays
développés (par exemple ceux des Etats-Unis et du Royaume-Uni pour les sys-
tèmes capitalistes, de l'URSS pour les systèmes socialistes) en matikre de fina-
lités, de structures,de contenus et d'organisation, assortis de quelques modifi-
cations de détail généralement adaptées aux conditions locales. L'on espère bien
sûr que les efforts déployés pour donner un caractkre vkritablement ctindigkne))
au système national d'éducation feront A l'avenir l'objet de soins plus attentifs.
L'objectif d'ensemble auquel répond la création d'un systkme éducatif national
impliquait un certain nombre de finahtés subsidiaires comme: a) le dévelop-
pement des moyens éducatifs A tous les niveaux; b) la mise en place d'un ensei-
gnement primaire universel (et 18 où cela avait été réalisé A l'étranger,d'un ensei-
gnement du second degré); c) l'égahté d'accès 8 tous les ordres d'enseignement
post-primairepour tous les groupes sociaux;d) l'amélioration des normes 8 tous
les degrés; e) le développement total des sciences, de la technologie et de la
recherche; f) le développement de l'enseignement techruque et professionnel et
la formation des cadres; g) l'améliorationde l'administrations. Il a été admis que
la réalisation de ces finalités entraînerait une forte augmentation des investis-
sements consacrés 8 l'éducation. Mais les pays y étaient préparés et ont en
l'espkce fait l'effort nécessaire. Il serait donc commode de découvrir quels ont
kté, dans l'ensemble, les résultats obtenus dans cette région pour ce qui est des
différentes finalités subsidiaires.

Enseignementpréscolaire
Dans l'ensemble, l'éducation préscolaire a été un peu néghgée dans la région,
surtout en raison de la priorité donnée A la mise en place d'un enseignement pri-
maire universel. Les moyens mis 8 la disposition de l'éducation préscolaire sont
allés dans la plupart des cas aux zones urbaines ou aux éléments aisés de la
collectivité;ce qui a été fait a été en général surtout quahtatif, expérimental ou
sous forme de projets pilotes.

Enseignementprimaire universel
En 1950, la plupart des pays de la région disposaient de systèmes éducatifs
extrêmement étriqués, caractérisés par l'inéquité quant aux possibilités d'accès
de certains groupes sociaux. Il est donc naturel que la prioritk absolue ait été
donnée, au cours des trente dernières années, au développement des moyens
éducatifs A tous les niveaux, ainsi qu'A l'égalité d'accès 8 l'éducation pour tous
les groupes sociaux. U n programme particulikrement important 8 cet égard
consiste dans la mise en place d'un enseignement primaire universel pour les
enfants. Il a fait l'objet de tous les soins dans le cadre du Plan de Karachi
(1960)9 et l'on peut dire que la plupart des pays ont fait de méritoires efforts
Situation actuelle dans le monde 77

pour atteindre le but visé. Certains pays ont parfaitement réussi (parexemple la
Chine et la RCpublique de Corée), cependant que d'autres (parexemple l'Afgha-
nistan ou le Népal) sont encore loin derrièreIo. Les principales raisons du retard
sont: l'atroce misère qui sévit encore dans les masses; les approches tradition-
nelles qui mettent trop l'accent sur l'enseignement de type scolaire;l'incapacité
d'organiser des campagnes simultanées pour l'alphabétisation de masse et
l'éducation des adultes; l'absence de ressources matérielles. L'absence de
volonté politique est également importante.

Enseignement secondaire et enseignement supérieur


La Chine a adopté une politique très sélective en ce qui wncerne l'enseignement
supérieur. Mais, dans la plupart des autres pays, une politique de dévelop-
pement aussi large que possible de l'enseignement secondaire et de l'ensei-
gnement supérieur a été adoptée. U n e telle attitude a reçu l'appui de tous les
groupes sociaux: les classes dirigeantes et les classes moyennes l'ont accueillie
favorablementpuisqu'elles en avaient en grande partie le monopole; quant aux
classes pauvres, elles l'ont aussi apprkiée parce qu'elle leur apportait la meil-
leure chance de promotion sociale. U n e telle politique se justifiait parce qu'elle
diffusait l'enseignement secondaire(et supérieur) parmi les classes sociales défa-
vorisées et renforçait la base sociale démocratique de l'éducation. Mais elle a
aussi engendré certaines difficultés: fléchissement des normes et apparition du
spectre du chamage des diplamés.

Enseignement techniqueet professionnel


Cet ordre d'enseignement a kté privilégié en raison de ses rapports avec la crois-
sance Cconomique et parce qu'il permettait d'espérer que la nation serait en
mesure de réduire le chamage des diplômés. Dans quelques pays, il a progressé
de façon sensible. Mais dans de nombreux autres, les résultats ont été md-
heureux: le développement de l'enseignement technique et professionnel est
resté très limité, en raison surtout de son prix de revient très élevé; la qualité de
l'enseignement a laissé beaucoup i désirer; et, parfois, on a constaté un taux de
chômage élevé m ê m e parmi les personnes ayant reçu un enseignement technique
et professionnel.Le principal problhme dont de nombreux pays de la région ont
eu A souffrir a été le peu d'entrain de la croissance économique, sans laquelle
l'enseignement techique et professionnel ne peut se développer valablement.

Contenu de l'kducation
Le contenu de l'kducation aux différents niveaux de l'enseignement a été en
général planifié A partir du m ê m e modèle, copié sur les pays développés; les
politiques concernant la production de matériels, l'adoption de méthodes
d'enseignement et d'évaluation et la formation des enseignants ont été, dans
l'ensemble, elles aussi copiées sur ces moddes. Les variantes introduites ont en
général porté sur l'enseignement de l'histoire et de la géographie locales, sur
78 Finalités de l‘éducation

l’importancesouvent donnée A l’enseignement des traditions locales, sur l’ensei-


gnement religieux (sauf dans les pays où l’éducation était considérée c o m m e
ldique) et sur l’enseignement de la morale. Les nouvelles idées, c o m m e l’éduca-
tion relative A la population ou l’éducation relative A la protection de l’environ-
nement, ont aussi été introduites dans une certaine mesure. L‘enseignement des
sciences a bénéficié d’une attention spéciale. Des efforts soutenus ont été
déployks pour produire de meilleurs matériels d’enseignement et d’apprentis-
sage, pour introduire des auxiliaires audiovisuels,pour améliorer les manuels et
pour recourir aux media, afin de compléter autant que possible l’enseignement
proprement scolaire. D e telles mesures impliquaient un effort continu pour
concilier deux exigences contradictoires: a) le désir de faire en sorte que les pro-
grammes aux diffkrents niveaux soient proches de ceux des pays développés;
b) le besoin pratique de les adapter aux conditions locales et aux compétences
des écoles,des maîtres et des inspecteurs locaux.

Normes
Des efforts persévérants ont été employés de m ê m e pour relever les normes
générales et faire en sorte qu’elles supportent la comparaison avec celles des
pays développés, du moins dans quelques secteurs cruciaux. Les programmes
ont porté plus particulikement sur: une amélioration des conditions de travail
et de service pour les enseignants; une amélioration de leur formation profes-
sionnelle; l’adoption de meilleures méthodes d’enseignement et d’évaluation;
l’amélioration des bâtiments scolaires;l’amélioration des services d’inspection;
l’encouragement aux innovations. Les résultats obtenus ont été assez bons, sans
toutefois répondre totalement aux espérances. Entre autres faiblesses,on a cons-
taté: une surcharge des programmes; un enseignement médiocre dans de nom-
breuses classes; le recours excessif aux examens; des résultats insuffisants dans
de nombreuses écoles, en particulier dans les régions rurales et éloignées. Les
finalités déclarées étaient celles dont r&ve depuis toujours l’éducation, savoir le
développement de la personnalité et la préparation A la vie. La premikre sou-
ligne la qualité de la vie et apprécie l’élkve en fonction de ce qu’il est ou devient;
la seconde met l’accent sur son rôle vis-&vis de la nature et de la société,ce qu’il
fait et comment il le fait ou son aptitude,son efficacité et la conscience d’être un
individu social et responsable. Mais en dernike analyse,les réalisations du sys-
tkme éducatif n’ont pas répondu aux espoirs en ce qui concerne l’une ou l’autre
de ces finalités,situation qu’on a généralement décrite en disant que la qualité
de l’éducation ou que les normes appliquées par le systkme éducatif étaient loin
de donner satisfaction.

Administration
L‘effort général pour améliorer la gestion des systtmes éducatifs n’a été qu’en
partie couronné de succks.On ne s’est pas suffisamment efforcé de décentraliser
la planification et les centres de décisions de l’éducation,de décentraliser la ges-
tion et de former des gens compétents aux niveaux inférieurs. Le passage d’une
gestion statique A une gestion du développement a été d’une extrême lenteur
Situation actuelle dans le monde 79

dans la plupart des pays de la région. Les politiques de recrutement du person-


nel administratifet leurs conditions de service ont très souvent laissé &désirer,si
bien que l'on n'a pas toujours disposé des animateurs de haut niveau dont on
avait besoin. Dans l'ensemble, les principaux obstacles au développement de
l'éducation et plus particulikrement & l'amélioration des normes ont été le
manque de mécanismes et de personnel de gestion compétent.

LES TÂCHES A VENIR


L'évolution de l'enseignement dans la région asiatique au cours des trente der-
nières années présente donc un tableau très divers de réalisations importantes
contrebalancées par quelques échecs retentissants, en raison surtout des
contraintes de la situation et de l'ampleur m ê m e des problèmes & régler. A
l'actif, on peut se dire impressionné par l'effort soutenu qu'ont déployé la plu-
part des pays de la région pour créer, en dépit de sérieux handicaps, des sys-
tèmes nationaux d'éducation assez complets et de qualité, offrant A tous les
groupes sociaux l'égalité d'accès &l'éducation. Avec un peu de recul, on est éga-
lement impressionné par les progrès sensibles réalisés entre 1950 et 1980, par le
développement remarquable des moyens créés & tous les niveaux et par les pro-
grès de la démocratisation de la base kducative. Mais ces tentatives pour pour-
suivre simultankment les finalités insaisissablesde quantité, de qualité et d'éga-
lité n'ont pas toujours réussi, surtout 18 où la situation financière invitait 21
l'austérité et où la structure sociale demeurait profondément inégahtaire.M ê m e
aujourd'hui, la pauvreté et l'inégalité sont les maux essentiels dont souffrent de
nombreuses sociétés de la région; la dffusion de l'éducation parmi les diffk-
rentes sections de la population est également biaisée; enfin, en dbpit de tout le
progrès réalisé, la région est encore celle qui dans le monde compte le plus
d'analphabètes. Alors que les rkahsations du passé engendrent une certaine
confiance dans l'avenir, il n'est pas douteux que le chemin restant 2I parcourir est
extrêmement long.
Il nous faut aussi souligner que les principaux problèmes, qui jusqu'ici n'ont
pu être résolus, ne le seront pas non plus &l'avenir si l'on conserve les méthodes
héritées du passé. C e que la situation exige, c'est une nouvelle approche: un
effort intense pour créer une base indigène authentique au système éducatif; un
effort décisif pour changer la structure de la société sur la base de l'égalité et
pour éliminer au moins les formes les plus scandaleuses de la pauvreté;
l'adoption d'une forme dkmocratique décentrahsée de participation aux respon-
sabilités de l'Etat, qui aura ses répercussions inévitables sur l'éducation et sur la
création d'un mouvement de masse de restructuration de l'éducation et de créa-
tion d'une société d'étude. Naturellement, ces efforts & l'échelon national
risquent de réussir mieux et plus facilement s'ils s'inscrivent dans une tentative
globale pour créer un nouvel ordre international fondé sur les principes d'éga-
lité, de justice, de liberté,de désarmement intégral,ainsi que de coopération et
de collaboration régionale et internationale en vue de la paix et de l'épanouis-
sement de tous les peuples.
80 Finalités de l'éducation

NOTES ET Rl?Fl%!?NCES
1. Regional Workshop on Goals and Theories of Education in Asia, New Delhi,1980.
Goals and theories of education in Asia: report of a Regional Workshop. Bangkok,
Unesco Regional Office of Education in Asia and Oceania, 1980,p. 64.
2. Ibid.,p. 13.
3. Ibid.,p. 82.
4. Ibid.,p. 94.
5. Ibid, p. 105.
6. Ibid.,p. 109.
1. Ibid.,p. 128.
8. Voir Bulletin du Bureau régional de I'Unescopourl'éducation en Asie (Bangkok), No 14:
L'enseignement du premier degrd en Asie;Bulletin of the Unesco Regional Oflice for
Education in Asia and Oceania (Bangkok), no. 20: Education in Asia and Oceania;
no. 21 :Technical and vocational education in Asia and Oceania.
9. Unesco. Les besoins de l'Asie en matiere d'enseignement primaire: plan pour l'organi-
sation de l'enseignementprimaire obligatoire dans la région. Paris, 1961.64p. (Etudes et
documents d'education, No41).
10. U n e dtude rhnte du Bureau rdgional de l'Unesco pour l'kducation en Asie et en
Ockanie a rdvdld que de nombreux pays de la rkgion ont pris du retard dans la rdali-
sation du Modple asiatique de développement (1965-1981)et que pour mettre en place
un enseignement primaire universel, il leur faudra, pendant la dhnnie 80, augmenter
trts sensiblement les effectifs scolarists et surtout rdduire les dkhets scolaires.

4.Etats arabes
par M.A.El-Ghannam
INTRODUCTION
Le monde arabe, qui couvre quelque 14000000 km2,englobe l'Afrique du Nord,
la majeure partie de la Vallée du Nil et s'ttend jusqu'h l'Asie du Sud-ouest.Il se
compose de vingt-deux Etats qui, s'ils difftrent par leur superficie,leur densité
de population et leur richesse, ont une histoire, une langue, une culture et une
destinée communes. Ils ont au total une population de plus de 160 W o n s
d'habitants (d'aprts les évaluations de 1980).
Outre qu'il occupe une fonction stratégique centrale, le monde arabe est le
berceau des civilisations. Les trois grandes religions - islamique, chrttieme et
juive - sont ntes dans cette rtgion.L'Islam, qui remonte au V I F sikle,a confért
A la région arabe son caractkre distinct par le fait qu'il représente une révolution
culturelle capitale qui prkonisait l'avknement d'une socitté essentiellement
fondée sur la justice,le droit, la fraternitt et l'tgalitt,et qui affirmait la dignité,
la liberté et l'indépendance de l'homme. Il mettait aussi l'accent sur l'esprit,
l'action positive,la moralitt,l'authenticitéet l'ouverture aux autres cultures. En
Situation actuelle dans le monde 81

outre, il incitait les populations arabes A édifier une civilisation universelle en


interaction avec les autres cultures,susceptiblede créer,d'innover et d'apporter
une contribution massive et durable A la civilisation humaine.
L a naissance de l'Islam a puissamment aidé A développer un nouveau mode
de vie, en particulier dans ses éléments constitutifs les plus importants, A savoir
la religion elle-même et la langue arabe,par le truchement d'une éducation nou-
velle fondée sur les principes fondamentaux de la foi islamique et de son expres-
sion pratique. En particulier, il est apparu que l'éducation était un droit et un
devoir pour tous et pour chacun, qu'elle devait constituer un tout homogtne
dans lequel il serait tenu compte de tous les aspects de l'être humain. L a pensée
islamique énonce le principe essentiel,entre autres, selon lequel l'éducation doit
être un processus poursuivi en permanence la vie durant, un travail autodidac-
tique, et qu'elle doit être démocratique en offrant A tous des chances égales
d'éducation, sans distinction fondée sur le sexe, la religion ou la situation h n o -
mique. Bien plus, l'éducation doit être un moyen de former le caracttre basé sur
la liberté de pensée, la conscience et l'aptitude A assuma ses responsabilités.
L'authenticité de la région arabe et la position retranchée de sa culture lui ont
permis de conserver son identité et de surmonter les crises aprbs une longue
période de souffrance, de téntbres et de stagnation qui a duré du XIVe au
XIXe sitcle. Avec l'avtnement de la civilisation moderne, les pays arabes ont
élaboré des systtmes éducatifs calqués sur ceux de l'ctOccidento ou des pays de
l'((Est))1. Des établissements modernes d'enseignement primaire, secondaire et
supérieur ont été cr&s et développés. L a présente section est consacrée aux
objectifs de ce nouveau mode d'éducation.
A u cours des trois ou quatre dernitres décennies,l'éducation a réAsé des pro-
grts notables dans tous les pays arabes c o m m e le montre l'accroissement des
effectifs (30 millions d'éltves et d'étudiants en 1980 contre 16,s millions en
1970). Les Etats arabes, individuellement et collectivement, se sont attachés A
définir et redéfinir leurs finalités éducatives. L a tendance actuelle est A l'unifi-
cation des finalitts de l'éducation et des principes génkraw qui sous-tendentles
programmes scolaires,c o m m e base régionale dans le contexte plus large de la
communauté arabe, sans que soient perdues de vue la diversité et les disparités
qu'expliquent divers facteurs géographiques, hnomiques, sociaux et idéolo-
giques.
C'est dans cet esprit que nous allons traiter des finalités de l'éducation sous
deux angles dfférents: les finalités de l'éducation dans le cadre de l'unité cultu-
relle arabe et des accords qui la consacrent et les finalités telles que les définit
chacun des Etats arabes. Avant de conclure, nous consacrerons une section au
fossé qui sépare la théorie de la pratique en matitre de finalités de l'éducation.

LES FINALImS DE L'fiDUCATION DANS LE CADRE


DE L'UNITfi CULTURELLE ARABE ET DES ACCORDS
QUI LA CONSACRENT
L a création de la Ligue arabe, le 22 mars 1945, a été le prélude A des mesures
conçues notamment pour: tenter de supprimer tout ce qui séparait les Etats ara-
82 Finalités de I'éducation

bes; rapprocher et unifier leurs systbmes éducatifs; favoriser la cooptration;


tdifier dans l'unité une culture arabe moderne.
Un Pacte pour l'unité de la culture arabe2 a kté signt le 25 mars 1957. Y sont
dkfinis les objectifs éducatifs généraux et particuliers pour les diverses phases de
l'enseignement pré-universitaire.L'Article premier de l'accord dispose que:
La finalitk de l'kducation est de former une gknkration d'Arabes klairks qui croient en
Dieu et en la nation arabe, qui aient foi en eux-memes et dans leur peuple,qui - dans leur
comportement individuel et social - puisent leur inspiration dans des idkaux moraux
tlevks, qui souscrivent aux principes du droit et du bien, qui aient la volontk d'oeuvrer
pour la cause commune, qui aient la capacitk d'agir de manike constructive et qui, armes
de savoir et de force morale, soient prets A dkfendre la place du peuple arabe dans le
monde et A assurer le droit de chaque Arabe A la libertk,A la skuritk et A la dignitk.
1. Le cycle klkmentaire est A considkrer comme une entitk indkpendante qui dispense les
rudiments de savoir thbrique et pratique et les orientations de base de la penske.
2. Le cycle prkparatoire (premiercycle du second degrd) a pour objectif de faire dkouvrir
les talents et aptitudes, de les dkvelopper, de guider ceux et celles dont les virtualitks
peuvent les conduire A poursuivre des ktudes secondaires, ainsi que de donner A ceux
qui vont entrer dans la vie active les klkments nhssaires de savoir thkorique et pra-
tique qui leur permettent de l'aborder.
3. Le cycle secondaire (deuxikme cycle du second degrk) a ktk considkrk comme une phase
terminale pour de nombreux kllkes. Aussi devrait-il les prkparer A aborder une vie de
travail en leur donnant la formation requise.Par ailleurs,quelques klkves choisissent la
voie des ktudes et il convient de les former A prendre eux-memes des dkcisions,A discer-
ner quelles sont leurs aptitudes et leurs prkfkrences et A emprunter la filihe scientifique
ou litth~ire.~
D a n s le cadre de la Ligue arabe, des conférences des ministres arabes de
l'éducation ont étt organistes. L'une de leurs grandes prtoccupations a été de
dkfinir les finalités et objectifs de l'éducation. La troisibme conférence en parti-
culier a porté sur les objectifs d u processus éducatif, lequel, a-t-elle conclu, a
pour principale finalité l'tpanouissement de l'individu dans tous les domaines
(physique,intellectuel, affectif, social et spirituel), ceci en vue de former un bon
citoyen capable de s'adapter A son environnement et de contribuer A l'améliorer.
Voici les objectifs qui ont Ctt dtfinis.

Objectifs du cycle primaire


a) aider les enfants A se dkvelopper harmonieusement;
b) doter l'enfant des moyens de s'adapter au milieu dans lequel il vit;
c) prkparer l'enfant A servir sa communautk;
d) rendre l'enfantfier de sa nation et du peuple arabe en gknkral;
e) prkparer l'enfant A vivre dans une sociktk juste et dkmocratique.
Objectifs du cyclepréparatoire
a) poursuivre le dkveloppement harmonieux de l'kkve;
b) renforcer la notion de nationalitk arabe et faire que l'enfant soit fier de sa patrie;
c) prkparer la jeunesse des deux sexes A la vie active dans une sociktk arabe dkmocratique,
lui donner les compktences requises pour qu'elle puisse jouer son rôle dans la sociktk et
contribuer A la dkvelopper et A la remodeler;
d) donner A l'klkve la possibilitk d'exprimer librement ses aptitudes et ses prkfkrences et
de dkvelopper ses talents dans l'intkrbt de la sociktk;
Situation actuelle dans le monde 83

e) préparer les klkves B la vie active ou B des ktudes secondairespour ceux qui ont les apti-
tudes et les moyens de parfaire leur éducation;
f) encourager B l'autodidaxie ceux et celles pour qui ce cycle marque le terme de leur vie
scolaire.
E u kgard B ces objectifs, l'hle prkparatoire reprtsente une phase unifike permettant de
consolider les acquis fondamentaux du cycle primaire et d'entamer une formation pra-
tique dans les domaines qui requilerent un tel apprentissageet qui aideraient B dhuvrir et
B dkvelopper les aptitudes B ce moment de son existence.
Objectifs du cycle secondaire
a) parfaire le dkveloppement harmonieux de l'klleve;
b) klever une gknkration d'Arabes qui croient en Dieu, qui soient loyaux envers la patrie
et qui aient confiance en eux-memeset foi en leur peuple;
c) préparer les klkves B la vie en dkveloppant leur initiative et leur capacitk de faire face B
leurs obligations B l'kgard de la sociktd et de jouer leur r6le de citoyens actifs d'un
rkgime dkmocratique;
d) dispenser une culture gknkrale paralldement B des ktudes spkialiskes qui prépareront
l'klbve B aborder dans de bonnes conditions des études universitaires;
e) inculquer aux garçons comme aux filles un sentiment de solidarité familiale et les
rendre conscients du r6le de la famille dans la socidtk et des conditions essentielles
pour le bonheur du foyer;
f) dkvelopper la curiositd et le go& de la lecture, par une approche expkrimentale, et cul-
tiver chez l'klleveune pensb objective;
g) donner les moyens d'occuper sainement ses loisks.

L a 4e Confkrence des ministres de l'tducation avait pour thème ((Versune stra-


tégie arabe de l'kducationa. Elle a dkfini le principe sur lequel doit se fonder une
stratkgie arabe de l'tducation. Le but doit Ctre de sensibiliser les Etats arabes au
dkveloppement de l'kducation dans la rtalisation des objectifs les plus nobles et
l'kdification d'un avenir meilleur.
C'est A cette quatritme conftrence qu'a ttk instituke une commission spkciale
chargée d'klaborer une stratkgie dktdte pour le dkveloppement de l'tducation
dans les pays arabes. Cette commission a men6 A bien sa thche en rkdigeant un
rapport qui a ttk adopte au cours d'une session spkiale (1978) et qui knonce un
certain nombre de principes destinks A servir de directives pour engager l'kduca-
tion dans des voies nouvelles. Ces principes peuvent trouver leur expression
dans les objectifs tducatifssuivants:
- Education en vue de l'kpanouissement de l'individu.
- Education pour forger le caractkre B partir de valeurs religieuses.
- Education pour l'affirmation de l'authenticitk arabe et l'kdification
d'une nation arabe
moderne,unie, forte et klairée.
- Education pour le dkveloppement socio-hnomique dans sa conception et sa dimension
nouvelles.
- Education pour la promotion de la dkmocratie bas& sur les grands principes d'kgalité,
de justice, de libertk et de respect de la personne humaine.
- Education pour le dkveloppement scientifique B la fois thkorique et pratique, comme
mode de rkflexion,mentalitk nouvelle et vaste champ d'ktude.
- Education pour le travail et pour rkpondre aux besoins en main-d'œuvre.
- Education pour amkliorer la qualité de la vie et pour la rknover.
84 Finalités de I'kducation

- Education pour le pouvoir, c'est-&dire


en vue du combat permanent de l'individu pour
l'kvolution et le progrts.
- Education pour la comprkhension internationale,l'amitik entre les peuples et la paix
dans le monde.
Entre-temps,l'Unesco, avec la collaboration de la Ligue arabe et l'ALECSO, a
réuni pendant la période 1960-1977quatre conférences régionales des ministres
arabes. Ces conférences ont eu c o m m e principal thtme l'tducation pour le
développement socio-économique.La quatri6me en particulier a adopté une
résolution importante désignte sous le n o m de ((Déclarationd'Abou-Dhabi)) qui
énonce les objectifs de développement de l'éducation dans le monde arabe.
L'importance de cette déclaration nous fait un devoir d'en citer les extraits
suivants:
Les Etats arabes se sont d'ores et dkjh engagks dans la voie de la rknovation de l'kducation
en vue d'assurer, en m & m e temps que sa dkmocratisation, le renforcement de l'identitk
culturelle et le dkveloppement de la science et de la technologie nkessaires au progrbs.
L'kducation doit former les cadres qualjfiks que requiert le dkveloppement aux diffkrents
niveaux, &tre ktroitement lik au monde du travail, et prkparer A l'emploi en crkant des
compktences correspondant aux qualifications requises et en faisant une large place A
l'enseignement des sciences sur le double plan des matibres et des mkthodes, et A l'ensei-
gnement technique et professionnel, ainsi qu'au travail productif. Il importe de poursuivre
et d'accentuer les efforts entrepris pour amdiorer la qualitk des systbmes et des services
kducatifs en les transformant en fonction des exigences actuelles et prkvisibles.
En conskquence,la Confkrence estime indispensableque les Etats arabes:
- renforcent la liaison entre la planification de l'Mutation et la planification du dkvelop-
pement h n o m i q u e et social;
- poursuivent les politiques susceptibles d'assurer la mise en place de systbmes Mucatifs
pertinents, complets et intkgrks, articulant les ressources de l'kducation scolaire et de
l'kducation non scolaire, dans la perspective de la dkmocratisation et de l'kducation
permanente;
- accordent une attention particulibre A l'kducation pour tous, A l'alphabktisation et
l'klimination des disparitks en matitre d'kducation qui subsistent encore au dktriment
de larges catkgories de la population;
- intensifient les efforts de rknovation de l'kducation en vue d'une contribution accrue au
renforcement de l'identitk culturelle,?îla modernisation et au dkveloppement [.. .]'

LES OBJECTIFS DE L'EDUCATION T E L S QUE LES DEFINIT


CHACUN DES RTATS: S Y N T H E S E
Les spécialistes de l'éducation ont classé les objectifs éducatifs en fonction de
divers critères. U n e de ces classifications distingue les qualités et aptitudes indi-
viduelles sous les trois aspects suivants:
- Le savoir qui consiste dans la capacité d'absorber et de garder en mémoire
l'information en tant qu'aspect du développement intellectuel.
- L'aspect affectif qui comprend le développement des aptitudes,des capacités
et des valeurs.
- L'aspect physique qui comprend les capacités athlétiques et le développement
physique.
Situation actuelle dans le monde 85

L‘autre classification est fondte sur les divers types de compttences: informa-
tion, capacitts,talents, valeurs et mode de penste. Cette classificationpermet de
dkceler et de dtvelopper les qualitts personnelles A un degrt profitable pour
l’individuc o m m e pour la socittk. Citons en outre la classification basée sur les
valeurs personnelles, sociales, scientifiques, idtologiques, religieuses,nationales
et universelles. C‘est prkiskment celle que nous avons retenue pour cette ttude
des objectifs tducatifs dans les Etats arabes tels qu’ils se dtgagent des docu-
ments ptdagogiques officiels. Cette classificationse prtsente c o m m e suit:
L’objectif individuel: vise le dkveloppement cohkrent de l’individu sur tous les
plans: intellectuel,moral et physique,
L’objectifsocial:en tant que membre d‘une collectivitt,le citoyen a des droits et
des obligations. L‘objectif social a un fondement dtmocratique en ce qu’il
repose sur les principes de libertt et de justice.
L’objectiféconomique: vise la formation de citoyens productifs et conscients des
ressources de leur environnement.
L’objectifscientifique:vise A former des citoyens qui aient foi dans la science en
tant que mode de vie et qui soient rompus aux mtthodes scientifiques et A une
penske objective,prtlude ti une meilleure qualitt de la vie.
L’objectifidéologique: vise A former des citoyens qui auront foi dans l’tducation
et la penste socialiste ou dans la dtmocratie ou dans toute autre idtologie
politique.
L’objectifreligieux:vise A former des citoyens qui croient en Dieu et aux valeurs
qui dictent une conduite vertueuse.
L’objectifcivique: vise A former de bons citoyens, pleinement conscients de leurs
responsabilitts et de leurs droits et qui ne ntghgeront rien pour faire progresser
leur pays, prtserver son patrimoine culturel et rtsoudre ses probltmes.
L’objectif national: vise A former des individus fiers de leur pays et fiers de leur
appartenance.
L’objectif universel: vise A former des individus qui croient A des idtaux et qui
conforment leur conduite sociale A ces idtaux.
Voici les principales observations qu’on peut dkgager de la documentation
officielle:
1. Tous les objectifs figurant dans notre classification sont retenus dans la plupart des
Etats arabes sur lesquels porte l’ktude.
2. La plupart des pays arabes mettent l’accent sur l’objectif individuel qui vise au dkvelop-
pement intkgral de l’individu dans les domaines intellectuel,moral et physique.
3. La plupart des pays arabes privilkgient les objectifs socio-hnomiques,la foi dans la
science et ses mkthodes,f h n d e s comme moyen d’amkliorer la vie.
4. Les pays tî rkgime socialiste (Algkrie,Irak, Rkpublique arabe syrienne et Ykmen dkmo-
cratique) mettent l’accent sur l’objectif idblogique et les convictions socialistes. Ils
soulignent aussi les dangers du colonialisme et de l’impkrialisme. Ils ont pour objectif
commun de sympathiser avec les mouvements de libkration et n’ont pas d’objectif reli-
gieux. Ces principes sont &on& A diverses reprises dans leurs documents de politique
educative.
5. L‘objectif religieux est dominant dans les Etats suivants: Arabie Saoudite, Bahrein,
Emirats arabes unis,Jamahiriya arabe libyenne, Koweit, Oman,Qatar et Ykmen.
86 Finalités de réducation

6. L‘objectif civique est commun A tous les Etats arabes mais, sans doute en raison de fac-
teurs d’ordre inttrieur qu’il n’y a pas lieu d’examiner ici,il est plus marqut encore dans
les suivants:Algtrie,Arabie Saoudite,Egypte, Irak,Jordanie,Koweit, Liban, Soudan.
7. Bien que l’instruction religieuse soit dispensk dans les hles, l’objectif religieux n’est
pas mentionnt dans les documents des Etats suivants: Irak, Jordanie, Liban, Maroc,
Rkpublique arabe syrienne,Tunisie et Ykmen dtmocratique.
8. L‘objectif national ne figure pas dans les documents des Etats suivants: Arabie
Saoudite,Egypte, Liban, Maroc, Tunisie.
9. L‘objectif d’universalitt est soulignt par la plupart des pays arabes.
En résumé,les objectifs de l’éducation dans les pays arabes peuvent &tre définis
c o m m e individuels, sociaux, économiques, nationaux, religieux et universels.
Ces pays ont donc de nombreux objectifs en commun.
Tels sont les objectifs de l’tducation dans nos pays. Ils visent A former de bons citoyens,
physiquement et intellectuellement aptes, guidts par de hautes valeurs morales, qui aient
un travail productif et une volontt de progr&, qui aient une foi solide dans les valeurs de
l’humanitt,qui aient la capacitt de jouir de la vie dans la libertd et la dignitk, qui sachent
se montrer perskvtrants et aptes A crter, qui prtfbent vivre avec les autres plutôt que dans
l’isolement et qui aiment leur peuple,leur patrie, voire l’humanitt enti8re.5

LES OBJECTIFS DE L‘eDUCATION:ENTRE LA THfiORIE ET LA P R A T I Q U E


Quels que soient les objectifs de l’éducation sur le papier, le problème central est
qu’il y a loin de la théorie Zt la pratique. La réalité du problème, qui transparaît
dans le rendement quantitatif et qualitatif des systkmes éducatifs, a retenu
l’attention des deux réunions régionales que l’UNEDBAS, avec la collaboration
du Bureau international d’éducation, avait organisées Zt Beyrouth (1977) et au
Caire (1978). Les délibérations de ces deux réunions ont conduit Zt isoler les
raisons ci-après:
1. Les objectifs sont dans l’ensemble rtdigts sous forme de dklarations gtnkrales et non
en termes de comportements rtels.
2. Les objectifs nouveaux sont souvent empruntes aux pays avands et utilists comme
((vitrines))dans le systkme tducatif sans qu’un examen minutieux permette de dkter-
miner s’ils rtpondent A un besoin rtel, si l’on dispose des ressources voulues pour les
appliquer et sans qu’on se prtoccupe des changements de forme, d’instruments, de
mattriel ou de techniques qu’il pourrait Btre bon d‘y apporter.
3. Les objectifs se concrttisent beaucoup plus dans les programmes scolaires que dans
l’ensemble du systhe &luCatif, son administration, son organisation, ses activitts
extrascolaires, ses relations internes et exttrieures, ainsi que les installations et seMces
scolaires. Lorsque des objectifs sont retenus, ils ne s’accompagnent pas des change
ments qu’il faudrait apporter aux structures,au contenu et aux mtthodes ptdagogiques,
d’où les contradictions et les disparitts qui persistent entre, d’une part, les structures
anciennes et les contenus et mtthodes anttrieurs et, d’autre part, les objectifs nouvel-
lement adoptts.
4. L e s moyens mis A la disposition de l’kducation sont en gkntral sans commune mesure
avec les objectifs et finalitts dklarks, surtout dans les pays pauvres.
5. L‘absence d’un systhe d’tvaluation qui permettrait valablement de vkrifier si ces
objectifs sont parfaitement atteints.
Situation actuelle dans le monde 87

6. Le systkme dducatif proprement scolaire n’a pas les moyens de rdaliser pleinement les
objectifs, en particulier s’ils ont un caractQe traditionnel. A moins que l’on mobilise
d’autres ressources kducatives, c’est-8-diredes modes non formels d’kducation, pour
compldter les efforts du systkme dducatif scolaire, les finalitds de l’kducation resteront
u topiques.
7. La manikre peu ddmocratique d’administrer les systkmes dducatifs et de dkider du
choix des objectifs et des moyens de les atteindre. La traduction des objectifs en plans
et programmes dducatifs et en comportements particuliers dans la classe n’aurait pas
les rdsultats recherchds si elle ne s’accomplissait pas dkmocratiquement,c’est-8-diresi
elle n’impliquait pas la participation de tous les aucateurs 8 tous les niveaux.
Les deux derniers points apparaissent c o m m e les principaux facteurs de nature A
rapprocher la théorie de la pratique. Il est important ici de souligner que, pour
atteindre leurs objectifs éducatifs,les Etats arabes pauvres,c’est-&dire aux pers-
pectives et aux ressources limitées,ont besoin de l’aide que peuvent leur appor-
ter les Etats frères plus riches. Dans cette perspective, une action menée en
c o m m u n par tous les Arabes est indispensable.

CONCLUSION
E n dépit de l’ampleur, de la diversité et de la multiplicité des objectifs dans la
région arabe,ceux-ciont un dénominateur c o m m u n qui est de former un citoyen
arabe et d’édifier une nation arabe. Bien que les objectifs soient perçus diffkrem-
ment par chaque Etat arabe - en fonction de son idéologie, des conditions qui
lui sont propres et de ses ressources - on discerne chez tous une tendance A
rechercher un consensus au sujet des objectifs de l’éducation et A tenter en
commun d’atteindre les dits objectifs. Le dksir profond et discemable de chan-
gement et de réforme, que ce soit A l’khelon de l’Etat ou A l’échelon national,
laisse augurer un meilleur avenir pour l’kducation arabe.
Pour ce qui est des mesures nouvelles intéressant les objectifs Cducatifs, la
réunion régionale du Caire a souhgné les points suivants6.
- La nkessitk de s’attacher B traduire les objectifs dducatifs gkndraux en programmes
effectifs d’organisation des dtablissements et des niveaux dducatifs, d’klaboration des
programmes scolaires, de ruaction des manuels, de crhtion des laboratoires voulus,
mais aussi d’expdrimentation des programmes et manuels A l’effet de juger dans quelle
mesure ils permettent d‘atteindre les objectifs.
- Il convient d’apporter un soin particulier 8 la formation du personnel enseignant et de
veiller 8 ce qu’il participe pleinement 8 la ddfinition des objectifs dducatifs et B leur tra-
duction en procedures, en rkglements,en mdthodes et en pratiques.
- Il importe de ddfinir les niveaux des objectifs dducatifs et de mesurer jusqu’8quel point
ces objectifs ont dtk atteints.
- On devrait imaginer de nouvelles mkthodes d’dvaluation et rdviser les syst6mes
d’examens, plus particulikrement ceux qui sont organisds ii la fin des cycles scolaires,
dans des conditions telles que les objectifs novateurs concernant l’essence m e m e de
l’kducation et sa signification profonde puissent avoir tout leur impact 8 la fois sur
l’dlbe et sur le maître.
- Exkution d’un plan global de recherche sur les sources des objectifs et les mkthodes de
leur dkduction,ainsi qu’un dchange d’information sur le problkme des objectifs dans les
Etats arabes.
aa ' Finalités de I'éducation

- Invitation faite il des chercheurs sptcialistes de domaines proches de l'ducation (hno-


mistes, sociologues, politologues, etc.) il participer il des ttudes et il des projets de
recherche d'intkrêt commun.
En outre, il a étt proposé que certains aspects lits aux nouveaux moyens
d'atteindre les objectifs portent sur les points suivants:
- 11 convient de changer les fondements des structures ducatives traditionnelles dksor-
mais incompatibles avec les variables modernes.
- Il importe de promouvoir le concept d'tducation de base,dont d h u l e une phase d'au-
cation prolongke rkpondant aux besoins essentiels de tous d a m les aspects thkoriques,
pratiques de leur vie et dans leur comportement.
- L'enseignement secondaire traditionnel,dont le dualisme caractkristique est polarisk par
la situation sociale, est il revoir radicalement et A remplacer par un systkme ducatif
unifik sous une des formes approprides, notamment celle de l'kcole polyvalente ou de
l'kcole polytechnique.
- Les notions thbriques superflues qui encombrent les programmes sont il kliminer, ainsi
que la dispersion et la faiblesse des liens organiques qui caractkrisent le contenu des
programmes. Il convient qu'elles soient remplades par des prksentations concises des
connaissances et se contentent d'être des klkments d'tveil. Les cours devraient consti-
tuer une unit6 qui comporterait une activitt commune like aux aspects ou caractt-
ristiques de la vie dans l'environnement, sous une forme qui rtaffirme l'unit6 du savoir
et l'intkgration d'activitks propres il former des hommes et il rtsoudre les probltmes de
socittk.
- On prêtera une attention sp&ale il la mkthode de rkflexion, ainsi qu'au dkveloppement
d'activitks crkatrices et d'une personnalit6 dkmocratique chez l'kltve.
- L'administration de l'enseignement doit &tre dtveloppk et il convient de la convertir il
un esprit de rkvolution scientifique afin qu'elle devienne fonctionnelle dans son travail
et rationnelledans son approche.
- L'kducation extrascolaire financk par la sociktk et ses institutions doit être l'objet de
soins particuliers de manitre il contribuer il la rkalisation des objectifs tducatifs.
Autrement dit, il faut ouvrir l'hle il la socittk,donner aux &les une nouvelle struc-
ture dynamique leur permettant de s'inskrer dans l'environnement et de communiquer
avec le milieu dans le cadre d'un rkl processus d'interaction.

NOTES ET Rl?F&RENCES
1. Paralltlement il cet enseignement moderne, l'enseignement traditionnel s'est maintenu
et m ê m e dkveloppk, notamment dans les mosquks-cathkdralesd'Al-Azhan (Le Caire),
de la Zitouna (Tunis) et de QarawiyyTn (Fts).
2. Voir S. El Hossari dans Hawliyal al-laqüfa al-carabiyya (al-Qfia), No 5, 1957,
p. 867-870.
3. Traduction non officielle.
4. Confkrence des ministres de l'kducation et des ministres chargks de la planification 6x1-
nomique dans les Etats arabes, Abou-Dhabi, 1977. Rapport final. Paris,Unesco, 1978,
p. 29-30.
5. Organisation arabe pour l'kducation, la culture et la science. Lahat wa@ istratigiyya
li-tatwir at-tarbiya fi iil-bilsd al-carabiyya.Istrütigiyya tawir al-tarbiya al-carabiyya:
taqrir la&a wa& istrü@iyya li-ta-pirut-tarbiyafiil-bilüdal-carabiyya[Strattgie pour le
dkveloppement de l'tducation arabe: rapport du Comitk pour la mise sur pied d'une
strattgie pour le dtveloppement de l'kducation dans les pays arabes] Tunis?, 1979,
p. 213-214.
Situation actuelle dans le monde 89

6. Skminaire SUI les objectifs futurs de l'6ducation dans les pays arabes, Le Caire, 1978.
Rapport final. Le Caire,Bureau rkgional de l'Unesco pour l'kducation dans les pays
arabes, 1978.24 p.

5. U n Etat socialiste:l'URSS
par D.K Ermolenko
L'intérêt que manifeste l'Unesco pour la compréhension et la formulation des
finalités de l'éducation, et son désir d'élaborer un système de finahtés pour
l'éducation dans un monde moderne en rapide évolution sont tout A fait
compréhensibles.Il ne fait pas de doute que la discussion de ces problèmes dans
le cadre des réunions d'experts de l'Unesco, c o m m e le large échange d'opinions
sur la question,devraient se montrer A la fois utiles et fructueux.
Produire des C O M ~ ~ S S ~ ~les
C ~reproduire
S, et les transmettre aux générations
A venir est un problème auquel toute société se trouve traditionnellement
confrontée.Chaque socitté s'efforce de dtterminer les idéaux qu'il lui faut servir
en diffusant et transmettant ces connaissances,ainsi que les moyens de le faire.
En établissant un système particulier d'éducation, la société (ou, plus préci-
sément, ses classes dirigeantes) souhaite modeler un type défini d'individu qui
devrait non seulement posséder connaissances et compétences,mais qui aurait
aussi des principes moraux pertinents et serait capable de trouver sa voie dans la
vie et de prendre des décisions appropriées.
Les idées et les principes qui régissent l'éducation s'étant progressivement
élaborés (le terme ((instructionpublique))n'est apparu qu'A un certain stade du
développement de l'espèce humaine), les enseignants et autres spécialistes se
sont largement inspirés d'idées et de concepts philosophiques, de notions
d'éthique et de morale.
A cet égard, l'éducation et ses systèmes furent,et sont encore, influencés par
les doctrines philosophiques de Platon, Socrate, Kant, Hegel, Rousseau,
Tchernyshevsky,ainsi que de nombre d'autres penseurs.
Particulièrement féconde, ainsi que le pense l'auteur du présent texte, fut
l'influence de la philosophie marxiste, qui constitua un bond qualitatif dans
l'histoirede la philosophie.
Karl Marx exprima sa conception du changement radical, qu'avec Engels il
introduisit dans la philosophie par la formule suivante: tout ce que les philo-
sophes ont fait jusqu'ici fut d'interpréter le monde de différentes manières, alors
que la véritable tâche consiste A le changer'. Selon Marx et Engels, la philoso-
phie doit être en interrelation organique avec la vie pratique et refléter acti-
vement les intérêts de la classe laborieuse et des autres travailleurs. Il lui faut
découvrir les lois objectives du réel et, sur cette base, avec le concours des autres
branches de la science, trouver les voies et moyens pour construire une société
nouvelle,libérk de l'oppression et de l'exploitation, la société de vraie liberté et
de démocratie.
90 Finalitb de I’kducation

L a philosophie marxiste développée plus tard par Lénine fut mise en pratique
dans la construction de la nouvelle société communiste dont le peuple de
l’ancienne Russie tsariste avait jeté les bases en 1917.
Il est bien COMU que la philosophie marxiste-léninistemet un accent spécial
sur les problèmes de morahté et d’éthique (science qui étudie la nature sociale,
les spécificités et les lois du développement moral en tant que forme particuhère
de conscience sociale), ainsi que de croissance et d’éducation. En créant leur
propre concept de moralité et d’éthque en tant que fondement de la théorie et
de la pratique pédagogiques et éducatives,les marxistes partent de la conviction
que, dans une société libre de toute exploitation, l’éducation doit faire fond sur
tout ce que l’expérience antérieure de l’humanité a produit progressivement de
meilleur quant A toutes les réalisations modernes des autres structures socio-
politiques.
En conséquence, il n’est que naturel que les marxistes jugent c o m m e
d’extrême importance un large échange d’expériences sur les problèmes que pose
l’éducation au sein d’un forum aussi important que l’Unesco.
Ainsi qu’il ressort en particulier de nombreuses réunions et conférences,
chacun des Etats membres de l’Unesco semble avoir accumulé une expérience
considérable dans ce domaine, expérience qu’il serait utile que tous les autres
Etats membres connaissent. Et chaque délégué de tous les pays représentés
serait A coup sûr heureux d’avoir l’occasion de faire connaître à ses collègues
certains aspects de l’expérience acquise par son systbme national d’éducation.
En présentant cette étude,l’auteur ne cherche en aucune manière A l’imposer
à quiconque. Chaque pays a ses traits spkcifiques, ses particularitéspropres,ses
propres trahtions et son propre système d’éducation. L‘auteur, quant à lui,
considère que son pays a accumulé une expérience considérable dans ce
domaine et espère qu’elle peut faire l’objet d’une analyse fructueuse par les
représentants des autres pays.
Les éminents experts soviétiques en matière d’éducation ont plus d’une fois
participé aux manifestations dont l’Unesco a pris l’initiative dans le domaine de
l’éducation,pris la parole dans ses conférences et contribué A ses publications,
donnant des comptes rendus détdés de l’expériencesoviétique it cet égard.Ces
questions ont été très largement traitées dans les rapports présentés par les délé-
gués soviétiques lors des sessions de la Conférence générale de l’Unesco, aux
conférences européennes des ministres de l’éducation et en divers autres pré-
toires. D e sorte que la présente étude n’a pas l’ambition de donner un aperçu
complet du problème; elle s’en tiendra A certains de ses aspects.
Il ne faut pas oublier qu’A la veille de la Révolution d’octobre,les trois quarts
de la population de la Russie étaient analphabètes. L‘alphabétisation fut parti-
culièrement lente parmi les minorités nationales - 48 nationalités n’avaient pas
de langue écrite qui leur soit propre.
Dès 1903,quatorze ans avant la Révolution d’octobre,le premier programme
du Parti communiste russe stipulait l’accomplissementd’une scolarité générale
et d’une formation professionnelle obligatoires et gratuites pour tous les enfants
des deux sexes au-dessousde 16 ans.
Situation actuelle dans le monde 91

L a Révolution d’octobre a aboli tous les privilèges de classe dans le domaine


de l’éducation.U n travail actif fut entrepris pour éclairer et éduquer tous les tra-
vailleurs, pour élaborer et mettre en place un système progressif d’éducation
véritablement populaire et démocratique. L a première Constitution soviétique
adoptée dès 1918 stipulait qu’afin de garantir aux travailleurs un accès réel au
savoir,la République socialiste fédérative des Soviets de Russie se donnait pour
tâche de donner aux travailleurs et aux paysans les plus pauvres une éducation
générale complète*. L a Révolution d’octobre assura h tous les travdeurs un
accès aisé il l’éducation et souleva la question fondamentale,h savoir modeler un
nouvel in&vidu appartenant il la société sans classes, authentiquement démo-
cratique, une personne hautement éduquée et cultivée, un humaniste réel h la
recherche du bonheur pour tous les peuples de la terre, un intemationalistevrai
qui aime son peuple tout en respectant les autres peuples.
L e nouvel Etat a déjh plus de soixante ans d’existence. Au cours de l’é&fi-
cation de la société communiste,beaucoup de problèmes très importants ont été
résolus et sont en voie de l’être.A u nombre des tâches majeures s’inscrivait un
problkme clé, il savoir l’élaboration et le développement d’un systkme universel
d’instruction publique.
Il convient de rappeler qu’élever l’éducation d’un pays h un niveau quahtatif
nouveau n’était pas une tâche aisée. Pendant un certain nombre d’années, le
pays a eu h restaurer son économie après les sérieux dommages résultant de la
Première guerre mondiale, de la guerre civile et, subséquemment, de la
Deuxième guerre mondiale. Néanmoins, un vaste programme impliquant
d’énormes dépenses gouvernementalesfut élaboré et mis en vigueur. U n e nation
dont la plupart des ressortissants avaient été jusqu’alors analphabètes connut,
en un court laps de temps, un gigantesque influx de science et de culture. Il ne
faut donc pas s’étonner que, durant ses premières années d’existence, l’Etat
soviétique ait eu h économiser sur tous les tableaux.Mais le Parti communiste et
le Gouvernement soviétique alloutrent des fonds h l’éducation, la science et la
culture, avec une générosité considérable. Il y a longtemps que l’URSS est
devenue un pays il cent pour cent alphabétisé. Le nombre total des inhvidus
ayant fait des études supérieures ou secondaires (complètes ou incomplètes)
était de 58,7millions en 1959,95d o n s en 1970 et 146 millions en 19803.
Actuellement, 80,5% de la population engagée dans l’économie nationale
s’inscrivent dans ce cadre (il savoir 98,2% d’employés, 76% d’ouvriers et
59,3% de kolkhoziens).
A u total, dans toute l’Union soviétique, 79,6 d o n s d’individus étaient
engagés dans divers types de formation au cours de l’année académique 1970-71,
pour 92,6millions en 1975 et 100,2d o n s en 1980-81 (incluant 44,3 millions
d’élèves dans les écoles d’enseignement gtnéral, 4 d o n s dans les écoles tech-
niques professionnelles, 5,2 d o n s dans les établissements d’enseignement
supérieur et 4,6 millions dans les établissements d’enseignement secondaire
spécialisés). Ainsi, plus d‘un tiers de la population du pays entreprend-ellediffé-
rents types de formation. E n Union soviétique,l’enseignement est dspensé gra-
tuitement.
92 Finalitès de I'èducation

En 1980, l'URSS comptait 128 O00 institutions préscolaires permanentes


accueillant 14,4d o n s d'enfants. Les enfants atteints de handicaps physiques
ou mentaux sont confiés A des internats spéciaux où ils reçoivent non seulement
l'éducation, mais aussi un traitement approprié et une préparation au travail
socialement utile. Ces établissements sont destinés aux enfants mentalement
retardés,aux amblyopes et aux aveugles, aux sourds et aux malentendants, ainsi
qu'aux enfants atteints de sérieuses difficultés de langage ou souffrant de graves
conséquences de la poliomyélite.
A l'heure actuelle, on compte en URSS 883 établissements d'enseignement
supérieur (universités et institutions similaires) qui forment 5 236 O00 étudiants
dans 400 spéciahtés et 1000 domaines spéciahsés. Environ 800 000 jeunes spé-
cialistes sont chaque année diplômés de ces établissements;cela assure un influx
stable de spéciahstes dans le domaine des sciences et dans l'économie nationale
et contribue A élever le niveau de la structure des qualifications professionnelles
de la population. Durant la seule période 1976-80 correspondant au Dixième
plan quinquennal, on a formé 3,9 millions de spécialistes de l'enseignement
supérieur et 6 millions de spéciahstes de l'enseignementsecondairespécialisé.
Le Parti communiste et 1'Etat soviétique,ainsi que les organisationssociales et
scientifiques du pays, accordent une grande attention au développement du
système soviétique d'instruction publique.
Les questions relevant du développement de l'instruction publique en URSS
sont systématiquement discutées aux congrès du Parti communiste, lors des
sessions du Soviet suprême de l'URSS, par le Comité central du PCUS et par le
Conseil des ministres de l'URSS. Lors de sa session de juillet 1973, le Soviet
suprême a discuté de la situation de l'instruction publique dans le pays et des
mesures A envisager pour l'améliorer. L a session a adopté les Principes fonda-
mentaux de la législation sur l'instruction publique en URSS et dans les Répu-
bliques de l'Union.Il y est indiqué que la Révolution d'octobre a créé les condi-
tions politiques, économiques et sociales du développement de l'instruction
publique, de la science et de la culture dans le pays. Un système démocratique
d'instruction publique a été mis en place. E n fait, les citoyens ont la possibilité
de suivre l'enseignement secondaire et supérieur c o m m e de prendre un emploi
correspondant A leur spécialité et A leurs qualifications.
L e triomphe du socialisme en URSS a assuré un progrès soutenu du bien-être
matériel du peuple soviétique et de son niveau de culture et d'éducation; il a
perrnis de créer des conditions favorables A l'éducation préscolaire,d'introduire
la scolarité primaire obligatoire de huit ans, de mettre en place pour les jeunes
l'enseignement secondaire universel et de développer sur une grande échelle les
enseignements professionnel, techruque, secondaire spéciahsé et supérieur.
L'éducation en URSS est vraiment devenue l'affaire du peuple tout entier. Les
efforts conjoints de l'Etat, de la famille et des organisations sociales assurent la
croissance et l'éducation de la génération montante. Dans le développement de
l'instruction publique, un rôle spécial est dévolu aux enseignants dont le travail
est imprégné d'un sens aigu de leur responsabilité professionnelle et sociale
quant A la qualité A donner A l'enseignement et A l'éducation communiste de la
jeune génération.
Situation actuelle dans le monde 93

L a Constitution de l'URSS actuellement en vigueur stipule pour chaque


citoyen soviétique le droit A l'éducation, lequel est garanti par une série de
mesures dont certaines très importantes c o m m e la gratuité de tous les types
d'enseignement, la scolarité dans la langue maternelle de l'élkve et l'attribution
de bourses d'études et autres formes d'aide matérielle aux élèves et aux
étudiants.
L e système d'instruction publique de l'URSS comprend: a) l'éducation pré-
scolaire; b) l'enseignement secondaire général; c) l'éducation extrascolaire;
d) l'enseignement professionnel; e) l'enseignement secondaire spécialisé;
f) l'enseignement supérieur. Les principes fondamentaux de l'instruction
publique en URSS sont:
1. Egalité de tous les citoyens de l'URSS dans l'aaks tî l'instruction, indépendamment
de la race et de la nationalité, du sexe, de l'attitude l'tgard de la religion, de la for-
tune,de la condition sociale.
2. Caractère obligatoirede l'instruction pour tous les enfants et adolescents.
3. Caractke public et social de tous les Btablissements d'enseignement et d'éducation.
4. Liberté de choisir la langue d'enseignement; l'instruction dans la langue maternelle et
dans la langue d'un autre peuple de l'URSS.
5. Gratuité de tous les types d'enseignement; couverture par l'Etat d'une partie des frais
d'études et d'entretien, versement de bourses aux étudiants et aux élkves, et autres
types d'aide mattrielle.
6. Unité du systdme d'instruction publique, tous les types d'établissements d'ensei-
gnement permettant de passer aux khelons supérieurs;
7. Unité de l'enseignement et de l'éducation communiste; collaboration de l'école, de la
famille et de la population dans l'éducation des enfants et de la jeunesse.
8. Lien de l'enseignement et de l'éducation de la génération montante avec la vie, avec
l'édification pratique du communisme.
9. Caractdre scientifique de l'enseignement et son perfectionnement incessant tî partir
des acquisitionsles plus récentes de la science,de la technique,de la culture.
10. Caractère humaniste et hautement moral de l'enseignement et de l'éducation.
1 1. Enseignement mixte.
12. Laïcité de l'enseignement, excluant l'influence de la religi~n.~
Quels sont les principaux objectifs de ce système largement ramifié et de ses
divers éléments?
Les établissements préscolaires ont pour objectifs de mener A bien, en étroite
coopération avec la f d e , le développement et l'éducation complets et harmo-
nieux de l'enfant, de protéger et fortifier sa santé, de lui inculquer l'amour du
travail,de développer chez lui les compétencespratiques de base, de cultiver en
lui le sens esthétique,de le préparer A la scolarité,et de l'élever dans un esprit de
respect pour ses aînés,ainsi que d'amour pour son pays.
L'enseignement secondaire universel vise A donner aux enfants et aux jeunes
une éducation répondant aux impératifs modernes du progrès social, scienti-
fique et technologique, ti doter les élèves d'une connaissance approfondie et
durable des principes fondamentaux des sciences, de cultiver en eux une inci-
tation A perfectionner continuellement leurs connaissances et aptitudes et A les
élargir et les mettre en pratique par eux-mêmes et sans aide. L'éCole doit susciter
chez la jeune génération une vision du monde scientifique, développer l'esprit
94 Finalitis de I‘éducation

d’internationalisme,le patriotisme et de hautes qualités morales,promouvoir un


développement complet et harmonieux de la personnalité des élèves et élever
leur niveau culturel, fortifier leur santé, cultiver leur sens esthétique et les pré-
parer au travail productif et aux activités sociales,leur permettant ainsi un choix
conscient de leur futur métier.
L‘enseignement supérieur vise A former des spécialistes hautement qualifiés
possédant des connaissances théoriques approfondies et des compétences pra-
tiques dans leur spéciahté. Il faut cultiver chez les étudmnts de hautes quahtés
morales, la conscience de leurs actes, le sentiment d’internationahsme et de
respect des autres peuples, tout en leur inculquant un profond patriotisme qui
fasse d’eux des hommes prêts A défendre leur pays. L a qualité de la formation
doit refléter les exigences croissantes de la production moderne, de la révolution
scientifique et technologque,les réahsations culturelles,et tenir compte aussi de
leurs perspectives de développement.
Lors du 26e Congrès du Parti communiste où les problèmes de croissance et
d’éducation furent discutés en profondeur, l’accent fut mis sur la nécessité
d’améliorer sans cesse le système d’instruction publique et de formation profes-
sionnelle.Cela est particulièrement important dans le contexte actuel de la révo-
lution scientifique et technologique.Elle imprime en effet au travail un caractère
nouveau et différent, d’où l’importance de la formation de l’homme en vue du
travail. On a fait beaucoup A cet égard dans le pays, mais tout ce qui a été fait et
qui est en train de se faire ne résout pas tous les problèmes qui se posent dans ce
domaine.
Dans le contexte moderne actuel, alors que le volume des connaissances
nécessaires A l’homme s’accroît rapidement et de façon saisissante,il n’est plus
possible de compter essentiellement sur la maîtrise d’un certain ensemble de
faits. Il importe de développer l’aptitude A élargir ses connaissances de manière
indépendante et A s’orientersoi-même dans le flot rapide de l’information poli-
tique et scientifique.Il y a énormément A faire A cet égard.
Dorénavant, les conquêtes et les réalisations de la révolution scientifique et
technologique seront plus énergiquement introduites dans le système soviétique
d’éducation. Outre aux ministères et autres organismes d’Etat, un r6le important
de diffusion parmi les institutions d’éducation est dévolu A l‘Académie des
sciences de l’URSS,qui est le principal coordinateur de la recherche scientifique
dans le pays. Elle comprend un grand nombre d’établissements scientifiques.D e
plus, les Républiques de l’Union ont leurs propres académies des sciences. Il
existe aussi plusieurs académies scientifiques spéciahsées dans une branche
particulière,par exemple l’Académie des sciences médicales et diverses autres.
E n 1966, l’Académie des sciences pédagogiques de l’URSS fut fondée
sur la base de l’Académie des sciences pédagogiques de la Fédération russe. Ses
principaux objectifs sont: de promouvoir le développement de l’instruction
publique dans le pays et de diffuser les connaissances pédagogiques;de diriger
la recherche scientifique portant sur les questions de pédagogie générale, de
psychologie, de pédagogie spéciale, de pédagoge préscolaire, d’hygiène scolaire
et de méthodes d’enseignement; de prendre les mesures adéquates pour intro-
duire dans le processus pédagogique l’application des conquêtes de la science
Situation actuelle dans le monde 95

modeme; de planifier la recherche scientifique et de former du personnel apte A


travailler dans le domaine des sciences pédagogiques.
U n travail considérable de développement de l’instruction publique fut mené
h bien dans le cadre du 10e Plan quinquennal (1 976-1980). Des décisions ont été
prises concemant les mesures h mettre en œuvre pour équiper les établissements
d’enseignement supérieur sur le plan technique et élever le niveau des processus
d’enseignement et de recherche dans ces établissementss.
L a Réunion des personnels de l’enseignement supérieur de toutes les Répu-
bliques de l’Union tenue en février 1980 fut un événement important dans le
domaine de l’instruction publique, en particulier pour cet ordre d’enseignement.
Il est apparu que, dans leurs activités pédagogiques et éducatives, les instituts
d’éducation s’efforcent d’introduiredans la pratique les exigences de la vie et du
progrès scientifique et pédagogique.Le travail scientifique et éducatif de &ers
de professeurs, instituteurs et chercheurs donne de remarquables exemples de
réahsations des plus avancées. Un grand nombre d’universités et d’établis-
sements d’enseignement supérieur deviennent pratiquement des centres édu-
catifs et scientifiques dans lesquels des études approfondies sur les problèmes
scientifiques d’actualité font partie intégrante de la formation de spéciahstes
hautement qualifiés. A u nombre de ces institutions,il faut citer l’universitéde
Moscou, l’université de Kazan, l’Ecole techmque supérieure de Moscou, ainsi
que les universités de Vilnius et Kharkov6. En m ê m e temps, ainsi qu’on l’a
signalé lors de la réunion,il existe dans l’activité des établissements d’éducation
des insuffisances et des problèmes saillants que l’on ne peut ignorer. Il fut
notamment souligné que, dans les diverses institutions d’éducation,et parfois
m ê m e au sein de la m ê m e institution,on observe encore des dfférences dans la
qualité de la formation théorique et pratique dspensée aux futurs spécialistes.A
côté des établissements qui satisfont aux impératifs modernes, il en est qui ne
répondent pas pleinement h ces impératifs. Toutes les institutions ne par-
viennent pas h atteindre une finalité d’éducation aussi importante que la solu-
tion des problèmes qui se posent dans le domaine de l’enseignement théorique,
de la formation pratique des étudiants, de l’éducation idtologique et du déve-
loppement de la recherche scientifique.
Donner aux jeunes spécialistes une formation de haute qualité requiert aussi
de leur part des activités d’apprentissage intensifiées.U n e différenciation rapide
des disciphes et un développement dynamique des connaissances elles-mêmes
engendrent une situation oh l’intensification du processus éducatif et la m o b h -
sation de la volonté et des forces physiques et spirituelles de l’élève en vue
d’accélérer le processus d’apprentissage deviennent d’année en année plus
importantes.Développer chez l’élèvel’autodscipline,l’ardeur au travail,le désir
et la capacité de travailler de manière créative,ainsi que la volonté d’accroître et
améliorer ses connaissances,telles sont les principales tâches de l’éducation.
L a répartition correcte des efforts et du temps consacrés aux cours théoriques,
A la formation pratique, aux études indwiduelles et aux activités récréatives est
d’une importance particuhère. Les caractères spécifiques des institutions
d’éducation diffèrent énormkment et l’on ne peut probablement pas trouver de
solutions uniformes applicables h toutes. Mais il est des questions d’importance
96 Finalités de l‘éducation

égale pour toutes. Outre qu’il faut inculquer h l’élève des connaissances théo-
riques et la compréhension des problèmes propres A une discipline particulière
qui l’arme en matière de méthodologie,et outre qu’il faut améliorer les confé-
rences et les séminaires,encore faut-ilmettre en valeur le rôle du travilll person-
nel de l’élève et le mieux préparer aux activités pratiques, sans négliger pour
autant l’améliorationde sa santé.A cet égard,les établissements d’enseignement
supérieur, les facultés et les départements devraient, sur la base de l’expérience
et des réalisations de la science pédagogique, examiner de manière plus appro-
fondie l’état actuel des choses et trouver les moyens optimaux de combiner tous
les facteurs intervenant dans la vie et les études des élèves.
Etendre et développer les liens entre l’éducation et les moyens pratiques
d’édifier dans le pays une société communiste nouvelle est une œuvre de
particulière importance. S’inscrivent ici, au premier plan, des objectifs divers:
organisation d’activités conjointes et réfléches du système d’éducation et des
diverses branches de l’économie nationale; amélioration ultérieure des quah-
fications des enseignants et des spécialistes travaillant déjh dans le cadre de
l’économie nationale; enrichissement mutuel de la science et de la pratique;
accroissement de l’efficience et de la qualité de la recherche scientifique menée
dans les institutions d‘éducation.
Le système éducatif use toujours plus largement des possibilités que lui offre
la science. Et ces possibilités ne cessent de croître. Qu’il nous suffise de dire
qu’en 1980, le nombre des savants dans le pays atteignait 1 376 300 et que les
dépenses faites pour la science sont passées en dm ans (1971-1980)de 11,7 A
21,3 milliards de roubles par an.
L e 26e Congrès du Parti communiste de l’union soviétique a examiné les
tâches immédiates du Parti et du pays en matière de politique intérieure et de
politique étrangère. Le Congrès a approuvé les Directives pour le dévelop-
pement économique et social de l’URSSpour la période 1981-1985 et jusqu’en
1990. Il convient de signaler qu’environ 5,5 millions de professeurs, d’instruc-
teurs,de diplômés de l’universitéet d‘étudiants de l’enseignementsupérieur ont
pris part aux discussions sur le projet de Directives’. L a dmussion des projets
de documents du Congrès et, en conséquence, de ses décisions joue un grand
rôle mobilisateur pour tous ceux qui travaillent dans le domaine de l’éducation.
Les enseignants et les élèves sont maintenent activement impliqués dans l’exé-
cution des plans avancés par le Parti dans le cadre de son Congrès.
Le 26e Congrès a tracé les grandes lignes d’un vaste programme de déve-
loppement de la science et de la technologie,d’expansion de la recherche fonda-
mentale et appliquée, ainsi que d’application dans la pratique c o m m e dans le
processus éducatif des résultats du progrès scientifique et technologique.Il y fut
également souligné que l’instruction publique avait fait un nouveau et très
tangible bond en avant. En particulier, un objectif très important a éte atteint, A
savoir la génkralisation complète de l’enseignement secondaire universel obli-
gatoire. Les bourses d’études pour les élèves des établissements d’enseignement
supérieur des écoles secondaires spéciahsées et des écoles techniques ont été
augmentées. On a commencé h distribuer les manuels gratuitement aux élèves
Situation actuelle dans le monde 97

des classes des cinq premières années de la scolarité. La qualité de l’ensei-


gnement et de l’éducation dans les écoles et les établissements d’enseignement
supérieur s’est nettement améliorée.
Simultanément,le peuple soviétique, observant le grand progrès effectué dans
le domaine de l’instruction publique, examine en profondeur les problèmes
saillants et cherche A éliminer les insuffisances qui existent encore.Les décisions
du 26e Congrès requièrent de l’instruction publique qu’elle apporte une solution
A ces questions. Ainsi que l’a noté le Congrès: ((L‘essentielest aujourd’hui
d’élever la qualité de l’enseignement, de promouvoir l’éducation morale et
l’initiation des écoliers au travail, d’éliminer le formalisme dans l’évaluation de
l’activitédes enseignants et des élèves, de consolider le lien entre l’enseignement
et la vie, d’améliorer la préparation des écoliers au travail socialement utileon.
L a qualité des programmes d’études et des manuels scolaires doit, elle aussi,
être améliorée. O n pourrait tirer plus pleinement parti des possibhtés offertes
par les établissements d’enseignement supérieur qui forment presque la moitié
des docteurs ès sciences et de ceux qui se préparent A le devenir.
A mesure que se développe I’économienationale,la demande en personnel de
telle ou telle spéciahté varie. Le système de planification de la formation du
personnel dans les établissements d‘enseignement supérieur doit tenir compte de
ces changements. Il est de fait que, dans un certain nombre de spécialités, de
branches de la production et de régions économiques, on commence A manquer
de spéciahstes.Il n’est pas rare non plus que de jeunes spécialistes abordant une
branche particulikre de l’organisation économique n’aient pas l’efficience
souhaitable.
Se pose aussi la question du passage d’un niveau ou d’un type d‘enseignement
au suivant. Pour le passage de l’éducationpréscolaire A l’enseignement primaire
notamment, o n a dû fixer les conditionspréalables (et cela est envisagé dans les
Directives pour le développement économique et social de l’URSSde 1981 A
1985 et jusqu’A 1990) d’une transition progressive pour les enfants qui entrent A
partir de six ans dans les classes préparatoires des écoles d’enseignement
général.
Certaines études de l’Unesco indiquent que le flot d’information,qui de nos
jours submerge l’homme contemporain, double de volume chaque décennie.
Dans ces conditions, le processus d’éducation, ses formes et ses fonctions se
trouvent contraints de développer leurs fondements et d’assurer une formation
de base A chaque niveau et pour chaque forme d‘enseignement, tout en déve-
loppant chez l’élève la capacité de penser par lui-même et de se frayer son
propre chemin dans le flot croissant d’information dont l’avalanche l’assaille.
D u m ê m e coup, cela requiert un processus d’enseignement plus intensifié, une
efficacité renforcée de ce processus et une aptitude de l’élève A se propulser lui-
m ê m e A travers le processus d’apprentissage.
Dans cet ordre d’idées,un certain nombre de savants ont suggéré de combiner
les efforts de l’Académie des sciences de l’URSS,de l’Académie des sciences
pédagogiques,des écoles supérieures et des associations de travdeurs créatifs
pour élaborer un programme global unique destiné A perfectionner la scolarité et
l’éducation de la génération montante, programme qui embrasserait tous les
98 Finalitès de l'èducation

Cléments et institutions du système d'instruction publique. C o m m e l'a souligné


V.Eljutin9,l'idée est d'identifier, d'une manière méthodologique et pédagogique
autonome, les moyens de développer harmonieusement tous les aspects de la
personnalité en l'enrichissant de la connaissance de toutes les valeurs qu'a
engendrées l'espèce humainelo.
U n e grande attention est accordée il l'éducation extrascolaire.On envisage de
développer le réseau des Palais de jeunes pionners, des stations de jeunes tech-
niciens et d'amis de la nature, des clubs d'enfants, des écoles de sport et de
musique et des autres institutionsse consacrant A l'enfance.
L'éducation intemationahste est au centre de l'attention portée il l'éducation
générale des élèves il tous les niveaux. Ainsi que l'a souligné L.I.Brezhnev, ce
qui est important, c'est l'information véridique et bienveillante sur les uns et les
autres. Il importe d'élever le peuple, et avant tout la jeune génération, dans un
esprit de respect des autres peuples,et de se débarrasser des idées et des notions
qui c o m m e un fardeau de plomb nous tiennent rivés au passé. Et lil, de grandes
responsabilitésincombent aux mass media, aux écoles et aux universités1'.
Tous les types d'éducation en URSS ont toujours assuré une information
imprégnée de respect pour les autres peuples et les autres cultures, l'accent
portant sur la contribution de toutes les nations, grandes et petites, il la culture
du monde. Les institutions soviétiques d'éducation pratiquent une politique de
large coopération et d'khange avec les institutions éducatives étrangères.
Nombre de citoyens étrangers font leurs études dans les établissements d'ensei-
gnement supérieur et d'enseignement secondaire sp6cialisé. Des douzaines de
milliers de spéciahstes étrangers formés dans les établissements soviétiques
d'enseignement supérieur travaillent avec succès dans leurs pays respectifs.
Beaucoup de ces établissements ont été construits et équipés avec l'aide
soviétique.
L'Cducation intemationaliste est en relation étroite avec l'effort déployé 11.
tous les niveaux du système d'éducation pour inculquer aux élèves le souci de
préserver la paix universelle et de parvenir A instaurer une paix juste et démo-
cratique dans les situations de conflit.
C o m m e on le sait, la propagande pour la guerre est interdite par la loi en
URSS1*et l'on explique cela aux élèves de manière approfondie. Selon le niveau
d'éducation, on instruit les élèves, de façon plus ou moins détdée, de l'essence
et de la sigmfication de la politique de paix menée par l'Etat, visant il renforcer
la sécurité des nations, 11. pratiquer une large coopération intemationale, A
soutenir les peuples dans leur lutte pour leur libération nationale et leur progrès
social,11. parvenir il un désarmement général complet,et 11. mettre en application
le principe de coexistence pacifique des Etats dotés de systèmes sociaux
dfférents.
U n e grande attention est accordée il l'explication du rôle de l'URSS en tant
que partie intégrante du système sociahste m o n d d et de la communauté
socialiste, il tout ce qui conceme le développement et le renforcement de
l'amitié,de la coopération et de l'assistance mutuelle bienvedlante entre les pays
sociahstes,sur la base du principe de l'intemationahsme sociahste. Les élèves et
les enseignants des institutions soviétiques d'éducation étudient en profondeur
Situation actuelle dans le monde 99

les documents et l'Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en


Europe. Ils comprennent que cet Acte contient une série de principes quant aux
relations entre Etats qui, par la lettre et par l'esprit,correspond pleinement aux
impératifs de la coexistence pacifique des Etats ayant des systèmes sociaux
différents, et que l'adoption de cet Acte a créé des conditions favorables au
maintien et h la consolidation de la paix A travers tout le continent.
L'URSS est l'un des Etats du monde qui furent les premiers A donner une
forme constitutionnelle précise aux principes proclamés dans l'Acte final en tant
que principes devant régir les relations avec les autres Etats. La Constitution de
l'Union soviétique stipule que des relations de l'URSS avec les autres Etats sont
fondées sur l'observation des principes de l'égalité souveraine; du refus mutuel
de recourir h la menace ou A l'emploi de la force;de l'inviolabilité des frontières;
de l'intégrité territoriale des Etats; du règlement pacifique des dfférends; de la
non-interventiondans les affaires intérieures; du respect des droits de l'homme
et des libertés fondamentales; de l'égalité en droits des peuples et du droit des
peuples A disposer d'eux-mêmes; de la coopération entre les Etats; de l'exé-
cution de bonne foi des obligations dkcoulant des principes et normes géné-
ralement reconnus du droit international et des traités internationaux conclus
par l'URSS))13.
L e Programme de paix élaboré par les 24e et 25e Congrès du Parti
communiste de l'Union soviétique et le Programme de paix pour les années 1980
adopté par le 26e Congrès ont rencontré l'approbation populaire et suscité un
vaste éch0 international. Lorsqu'ils étudient le second programme, les élèves des
institutions d'éducation font valoir le fait qu'il renferme des mesures visant h
réduire A la fois l'armement conventionnel et l'armement nucléaire, qu'il
contient des propositions ayant pour objet de régler ou prévenir les situations
éventuelles de confht ou de crise et qu'il est imprégné du désir d'accroître la
détente et de développer une coopération pacifique entre les pays de tous les
continents. Maîtres et élèves souhgnent le fait que la paix est un héritage
c o m m u n h l'humanité tout entière et que, de nos jours, elle est devenue
une condtion sine qua non de son existence même. C e n'est que par des efforts
concertés que la paix peut et doit être préservée et fermement assurée. Partant
de ce principe,maîtres et élèves analysent les divers déments du Programme de
paix pour les années 1980, ainsi que les propositions et les initiatives spécifiques
qu'il contient.
O n attache une grande importance A l'analyse, dans le processus éducatif, de
probkmes internationaux tels que l'élimination totale de tous les vestiges de
l'oppression coloniale, la violation du principe d'égahté et d'indépendance des
nations, la liquidation de tous les centres de néocolonialisme et de racisme, la
suppression de toutes les manifestations d'inégalité, de domination et d'exploi-
tation dans les relations économiquesinternationales,etc.
En URSS, les professeurs d'université et de collège, les instructeurs et les
élèves suivent avec beaucoup d'intérêt les efforts faits par l'Unesco pour formu-
ler des finalités en matière d'éducation. Un grand intérêt fut notamment suscité
dans les institutions soviétiques d'éducation par le Congrès mondial sur l'édu-
cation pour le désarmement qui a eu lieu en juin 1980 au Siège de l'Unesco,
1O0 Finalités de l'éducation

conformément aux décisions prises par l'Assemblée générale des Nations Unies
et la Conférence générale de l'Unesco.
Il va de soi que l'attention des enseignants et des élèves fut attirée par la
Recommandation sur l'éducation pour la compréhension,la coopération et la
paix internationales et l'éducation relative aux droits de l'homme et aux libertés
fondamentales adoptée par la Conférence générale de l'Unesco lors de sa
18e session en 1974.Une attention toute particuli6re est accordée aux dispo-
sitions telles que celles formuléesdans le paragraphe 6 de la résolution:
L'éducation devrait mettre l'accent sur l'inadmissibilité du recours B la guerre d'expansion,
d'agression et de domination,B la force et B la violence de répression et induire chaque
personne B comprendre et assumer les responsabilités qui lui incombent pour le maintien
de la paix. Elle devrait contribuer B la compréhension internationale,au renforcement de
la paix mondiale et aux activités dans la lutte contre le colonialisme et le néo-colonialisme
sous toutes leurs formes et dans toutes leurs manifestations et contre toutes formes et
variétés de racisme, de fascisme et d'apartheid ainsi que toutes autres idéologies qui
inspirent la haine nationale ou raciale et qui sont contraires aux objectifs de cette recom-
mandation.
Les enseignants et les élèves soviétiques apprécient les importantes initiatives
prises par l'Unesco pour faire en sorte que les mass meha servent les intérêts de
la paix et de la coopérationentre les nations.
Le lle Plan quinquennal (1981-1985) a maintenant été élaboré.Il définit une
série de finalités,d'objectifs et de buts A atteindre touchant le développement
futur de la société.Une nouvelle étape importante pour l'ensemble du système
d'instruction publique t?I franchr au cours de cette période de cinq ans est
envisagée.D'importantes tâches doivent être accomplies,notamment le dévelop-
pement de la recherche scientifiquefondamentale et appliquée et l'introduction
de ses rksultats dans la pratique et le système d'éducation, de même que l'édu-
cation intellectuelle,morale et en vue du travail de la génération qui aura t?I
manifester ses talents et ses capacités non seulement au XXe, mais au
X X I e siècle tout proche,de manière t?I faire démarrer des activités créatives dans
le troisième millénaire de notre ère.Une vaste armée de professeurs,de savants,
d'étudiants diplômés et autres travaillent actuellement A résoudre ces problèmes
et beaucoup d'autres.

NOTES ET RÉFÉRENCES
1. Marks, K. Tezisy O Fejerbahe [Thbses sur Feuerbach] In; Marks, K.;Engel's,
F.SoEinenija [(Euvres] Izd.2-e.Moskva, Gospolitizdat, 1955,t. 3, p. 4.
2. Istorija sovetskoj konstitucii v dokumentah [L'histoire de la Constitution soviétique B
travers les documents] Moskva, 1957,p. 146.
3. Pravda (Moskva), 24janvar' 1981.
4. URSS. Lois, statuts, etc. Loi-cadre de l'l7.RS.S.et des Républiques fédérées sur
l'instruction publique. Moscou, 1973,Article 4.[Les Nouvelles de Moscou, supplément
au No 33,août 19731
Situation actuelle dans le monde 101

5. Eljutin, V. PervejSij dolg VysSej Skoly [La tâche principale de l'éwle supérieure]
Kommunist (Moskva, Central'nyj komitet, KommunistiEeskaja partija Sovetskogo
Soyuza), No 10,1981.
6. Zimjanin,M.VysSaja Skola na novom étape [L'éCole supérieure: une nouvelle étape]
Kommunist (Moskva, Central'nyj komitet, KommunistiEeskaja partia Sovetskogo
Soyuza),No3, 1980,p. 17 ss.
7. Eljutin,V. Op. cil.
8. Brejnev, L.I.Rapport d'activité du Comifd central du P.C.U.S.au XXVle Congrès du
Parti communiste de I'Union soviétique et tâches immédiates du Parti en politique inté-
rieure et extérieure. Genève,Imprimeriecoopérative du Pré-Jérôme,1981,p. 116.
9. Eljutin,V.Op. cit.
10. Le&, V.I.UZuvres. Paris,Editions sociales;Moscou, Editions en langues étrangères,
1961,vol.31,p.295.
11. Brehev,L.I.Leninskim kursom: reti i stat'i [Dansla voie léniniste: discours et articles]
Moskva,Politizdat,1980,t. 7,p. 319.
12. URSS. Constitution. Constitution (loi fondamentale) de Z'Union des Républiques
socialistes soviétiques adoptée par la XIIe Session extraordinaire du Soviet Suprême de
I'URSS,9e législature, le 7 octobre 1977.Moswu, Progrès,1977,p. 16,Article 28.
13. Ibid.,p. 16,Article 29.

6. Europe occidentale
et Amérique du Nord
par J.A.Lauwerys et R. Cowen
Partout dans le monde chrétien, jusqu'au XVIe siècle, les finalités et buts de
l'éducation étaient principalement exprimés en termes religieux et théologiques.
Mais les découvertes géographiques, les progrès rapides de la science, les
nouveaux humanismes et la réforme ont changé et élargi les vues de ceux et
celles qui ont affaire avec l'école. LtI où le calvinisme a exercé une influence,
l'école pour tous est apparue c o m e indispensable parce que, sans instruction,il
ne serait pas possible d'entrer en contact direct avec la parole de Dieu, avec la
Bible. Mais naturellement, cela ne signifiait pas que les écoles dussent apprendre
aux enfants comment gagner leur vie, cette tâche Ctant réservée au système
d'apprentissage.
E n Amérique du Nord, les colons, pour la plupart protestants,ont organisé
un enseignement public pour se protéger des tentations du diable et des risques
de barbarie qu'offrait leur nouvel environnement.A la m ê m e date tI peu prks -
avant 1650 - en Europe, Comenius proposait non seulement l'enseignement uni-
versel mais l'enseignementde disciplines qui aideraient tI comprendre la nature,
102 Finalités de l'éducation

la société et l'industrie. Il recommandait que les enfants de 7 B 12 ans appren-


nent non seulement lire et A écrire, mais aussi que leur soient enseignés les
mathématiques,l'instruction civique,l'hstoire, la géographie et les arts manuels.
Il n'était certainement pas le seul B défendre la notion selon laquelle les écoles
doivent transmettre un savoir actuel, répondant aux préoccupations quoti-
diennes des marchands et artisans aussi bien que des ecclésiastiques. Dans les
premières années 1700,dans de nombreuses parties de l'Europe, en particder
dans les ports de mer et les centres commerciaux,des écoles, fréquemment appe-
lées académies,ont été créées, qui concentraient l'attention sur le savoir utile et
positif en matikre de géographie,de navigation et de commerce. M ê m e les écoles
qu'organisaient et entretenaient les ordres religieux, tels que les Jésuites, ont
cessé de vouloir ignorer totalement le monde et la langue nationale du pays dans
lequel elles fonctionnaient.Naturellement, toutes ces écoles étaient imprégnées
d'un profond esprit religieux, qu'il fût catholique ou protestant. Cependant,
l'humanisme et le réahsme ont peu B peu gagné du terrain et pris de l'impor-
tance. Aux anciennes finalités de salut par la religion se sont ajoutés des buts
laïcs relatifs A la nature,au commerce et A l'homme.
L'évolutisn sociale,politique,technogique et tconomique a aidé B orienter les
finahtks vers des fins laïques et matérielles auxquelles on n'avait pas pensé
jusque-la.Les marchands, les fabricants prospkres et les propriétaires fonciers
actifs se sont intéressés aux nouvelles inventions et B l'accroissement de la pro-
duction. D e grands gouvernants en Prusse, en Autriche et en Russie se sont
convaincus que les écoles pouvaient servir B former des travailleurs habiles et
des sujets obéissants.C'est dans ce sens qu'ont écrit des auteurs de génie c o m m e
Rousseau et Locke. Les propositions anttrieures de scolarité universelle et obli-
gatoire ont commencé faire l'objet de discussions sérieuses et approfondies.
L a Révolution française et les guerres qui ont suivi ont ouvert les vannes de la
réforme et de l'innovation. Partout s'est posée la question des finahtés et des
buts qui devraient être ceux de la société nouvelle et de l'Etat national qui se
créait. E n France,les réponses ont puisé dans la réflexion des encyclopédisteset
des nouveaux positivistes, qui croyaient possible d'asseoir le gouvernement et
l'éducation sur des principes rationnels découlant de connaissances universelles
et de comprendre les lois positives du développement social. L e génie adminis-
tratif de Napoléon a créé un cadre solide de finances et d'administration qui est
devenu un modkle pour beaucoup.
E n Prusse - et dans d'autres Etats germaniques - l'un des grands problèmes
était de mettre l'éducation au service de la renaissance nationale nécessaire
aprb de lourdes défaites.Les finalités éducatives ont fortement subi l'influence
des nouvelles théories sur le nationalisme et l'importance de l'identité culturelle
qui pouvait être définie et transmise B la plupart des enfants dans un systkme
d'enseignement élémentaire de masse. Aux Etats-Unis d'Amérique, les débats B
propos de la nouvelle Constitution ont longuement portt sur le rôle qu'il conve-
nait d'assigner au système éducatif. Pour bon nombre des nouveaux rkpubli-
cains, il apparaissait clairement que la principale finalité de l'éducation devait
être laïque et politique. Jefferson par exemple entendait que les finalités éduca-
tives encadrant le système d'enseignement donnent une certaine compréhension
Situation actuelle dans le monde 103

politique des principes républicains de gouvernement. Tous comprendraient


quels étaient leurs devoirs civiques envers la défense de la liberté; en outre,tous
auraient une connaissance suffisante des choses pratiques (par exemple, le
savoir lire et le savoir compter) afin de pouvoir conclure des contrats et de
commercer. En France, Condorcet avait déjja esquissé un ensemble de finalités
éducatives (avec un exposé du cadre institutionnel qui pouvait les sous-tendre).
Historiquement parlant, on peut donc dire en gros que le XVIIIe siècle et le
début du XIXe ont commencé de voir s’élaborer des finahtés éducatives inspi-
rées par le républicanisme,les théories des contrats sociaux et, par-dessus tout,
le nationahme.
A mesure que l’on avançait dans le XIXe sitcle, l’industrie mécanisée s’est
développée ja un rythme fantastique,tout c o m m e s’est enflée la dimension des
villes. Le mode de travail, les méthodes d’organisation et les conditions de vie
ont changé radicalement. Il y avait un besoin manifeste et urgent de formuler
des finalités et des buts positifs et valables pour l’enseignement public en vue de
l’adoption rapide de politiques audacieuses.
En Europe aussi bien qu’en Amérique du Nord, la réponse institutionnelle
générale a été la création - lente et laborieuse dans de nombreux pays - d’un
cycle scolaire élémentaire (primaire) ouvert ja tous et gratuit. Les Eghses
n’étaient pas en mesure de supporter les grosses dépenses qu’impliquait la mise
en place de telles écoles et, de ce fait, partout 1’Etat et les administrations publi-
ques ont construit et entretenu les établissements et ont rémunéré les ensei-
gnants et autres professionnels.Inévitablement,le programme et le contenu de
l’enseignement ont pris de façon croissante un caractkrelaïque. Cependant,dans
certains pays où les institutions religieuses étaient vigoureuses, l’enseignement
traditionnel de l’Eghse a conservé son influence. Avec le temps, dans tous les
pays, l’enseignement dispensé dans les écoles publiques c o m m e dans les écoles
privées est devenu légalement obligatoire jusqu’ja un âge compris entre 12 et
16 ans selon le cas.
Et les finalités et les buts dans tout cela? Pour Mann aux Etats-Unis (vers
1845), la stabilité morale et l’ordre civique seraient les tâches des établissements
d’enseignement du Massachusetts. Mann se heurtait non seulement aux pro-
blèmes que posait l’industrialisation, mais aussi ja la concentration dans les
zones urbaines des immigrants venus d‘Europe. Il interprétait les objectifs des
établissements d’enseignement qu’il développait c o m m e étant le volant régu-
lateur de l’ordre social. En France et en Angleterre, la réaction est venue assez
tard dans le siècle ja la question de savoir quelles étaient les finalités éducatives
qui répondaient au nouvel ordre industriel caractérisé par l’expression ((Révolu-
tion industrielle)). A u nombre des finalités éducatives, commençaient A appa-
raître non seulement les aspirations au nationalisme et au républicanisme,
appelé quelquefois ((monarchieconstitutionnelle)),mais aussi des déclarations
qui liaient l’éducation au progrts industriel. Les habitudes de diligence, d’épar-
gne et de ponctuahté devaient être inculquées ja tous les enfants par le systtme
éducatif.
L’intention ja laquelle répondaient ces nouvelles finalités de l’éducation a été
filtrée par les théories éducatives qui offraient une résistance plus ou moins
104 Finalités de réducation

grande h quelques-unes de ces apirations. E n Europe, l'idéologie en matière


d'éducation a puisé dans les théories platonicienne et catholique, dans des
conditions qui ont rendu la satisfaction de ces aspirations plus problématique
qu'aux Etats-Unis. Dans ce dernier pays, l'idéologie de Franklin, Jefferson et
M a n n et les conceptions du rôle de l'éducation exprimées par W.T.Harris
(1875) ont facilité plus qu'en Europe l'acceptation d'une attitude pratique en
éducation. Sur le vieux continent, les idées de Descartes et von Hümbold par
exemple renforçaient plutôt les distinctions épistémologiques déjh établies par
les Grecs. En Angleterre, les idées de Locke, M ill et Arnold (1840) ont eu
tendance h encadrer les théories de l'éducation qui non seulement conservaient
des caractéristiques épistémologiques grecques mais soulignaient la nécessité
d'une répartition différentielle des diverses formes d'enseignement selon les
classes sociales.
Pour ce qui est de la politique éducative au XIXe siècle,les réactions aux pres-
sions de l'industrialisation n'ont pas été les mêmes en Europe qu'aux Etats-
Unis. La politique éducative aux Etats-Unis,en particulier après la guerre civile,
a vu une réaction relativement enthousiaste aux ((arts pratiques et mécaniques)).
Les collèges d'Etat et l'organisation d'études professionnelles-techniques dans
les écoles étaient considérés c o m m e relevant de la politique éducative. Que ce
soit par le biais des politiques, telles que le plan Gary,ou par le biais de crédits
fédéraux aux collèges agricoles, la création et la transmission de compétences
pratiques, utiles, industrielles et agricoles dans le système scolaire officiel appa-
raissaient c o m m e parfaitement légitimes. En particuher, la politique a pu péné-
trer dans l'enseignement supérieur.Les établissements d'enseignement supérieur
ayant répondu essentiellement h des finalités éducatives religieuses au
XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, ils pouvaient et devaient réagir aux
problèmes sociaux et économiques de leur localité..Par contre en Europe,
puisant dans des théories de l'éducation différentes (et une certaine institu-
tionnalisation antérieure), les buts et politiques de l'éducation ont engendré des
systèmes d'enseignement différenciés en fonction des futurs rôles professionnels
et sociaux.Les études professionnelles et techniques dans les nouvelles écoles du
second degré et les sciences appliquées dans l'enseignement supérieur ont été
sous-évalués (sauf parmi certains groupes ((protestataires))qui ont organisé ce
genre d'études de leur propre initiative). L'Allemagne a constitué une exception
et le succès relatif des politiques allemandes a entraîné une réaction tardive A la
fin du siècle dans la politique de l'enseignement supérieur britannique. De
nouveaux établissements d'enseignement supérieur, les universités civiques, ont
été finalement créés, souvent dans des centres industriels, pour répondre h la
nécessité de créer un savoir appliqué. M ê m e dans le cas de l'Allemagne, il faut
néanmoins noter que les préférences des étudiants h la fin du XIXe siècle
allaient vers l'Abitur et les professions intellectuelles; seuls les élèves relative-
ment moins brillants entraient dans les nouveaux instituts techniques.
La guerre de 1914-1918a eu des effets directs dans &vers domaines de l'édu-
cation. A u niveau des finalités éducatives, les revendications h la démocratie
politique et ii la participation ont été t r b renforcées.Le succès de la Révolution
soviétique h ses débuts a confirmé la possibilité de finalités éducatives inspirées
Situation actuelle dans le monde 105

par des principes socialistes.L'un et l'autre événements ont renforcé les aspira-
tions des radicaux, tels que les Fabians en Angleterre et les Compagnons de
l'université nouvelle en France qui réclamaient une remise en question des fina-
lités et des politiques de l'éducation.
Pour ce qui est de la théorie de l'éducation, les idées de John Dewey ont
exercé une influence internationale et inteme. A u plan national, Dewey a été
considéré c o m m e ayant élaboré une nouvelle théorie libérale et démocratique de
l'éducation qui apportait une réponse intelligente aux questions de savoir
comment préparer les enfants A la vie dans une démocratie américaine devenue
aussi une des grandes puissances industrielles du monde. Sur le plan intema-
tional,les théories pédagogiques de Dewey ont révélé des affinités avec les théo-
ries éducatives dont il était débattu ailleurs, notamment les théories de Georg
Kirchensteiner en Allemagne et la théorie polytechnique naissante des Soviets.
Pendant quelque temps,il a semblé que les idées de Dewey pouvaient être appli-
cables m ê m e en Chine. Certains aspects des théories de Dewey allaient aussi
dans le m ê m e sens - pour ce qui est de leur perception de l'enfant - que
quelques-unesdes nouvelles théories de l'éducation de la première enfance,les-
quelles soulignaient la curiosité et l'initiative des enfants, ainsi que les moyens
par lesquels, eu égard A ces premiers principes psychologiques, ils pouvaient
apprendre le plus efficacement. U n e certaine convergence est apparue donc sur
le plan international dans l'idéologie de l'éducation, notamment une certaine
convergencedans la critique.Les Compagnons de l'université nouvelle ont argué
avec force que les modes d'organisation de l'éducation en honneur servaient
implicitement des finalités éducatives: certains groupes sociaux étaient piégés
dans les systèmes français d'enseignement primaire; seuls les enfants de farmlles
relativement aisées et instruites pouvaient avoir accès au système des lycées.Ces
finahtés implicites du systkme éducatif étaient contraires aux buts civiques et
sociaux d'une démocratie. Les groupes sociahstes,notamment la Fabian Society,
le Parti travailliste naissant et certains théoriciens en Angleterre et adleurs se
mirent A formuler des arguments analogues.Ils commencèrent A mettre en ques-
tion les finahtés et politiques éducatives habituelles,ainsi qu'A suggérer d'autres
solutions.M ê m e aux Etats-Unis,un courant socialiste est apparu en théorie de
l'éducation. L'idéologie de Dewey, reprise par d'autres, eut tendance A se
scinder. U n groupe a souligné les aspects de la théorie pédagogique de Dewey
axée sur l'enfant; un autre, en particulier après 1929, a commencé A mettre en
relief les finahtés de reconstruction sociale et les virtualités politiques de la
théorie.
Ces virtualités ont été A la fois interrompues et confirmées par la Seconde
guerre mondiale. La guerre a encouragé A réexaminer les finalités éducatives,
ainsi que les buts et politiques de l'éducation, et A renforcer chez les spéciahstes
le débat théorique sur l'éducation. Ces processus ont été particulikrement évi-
dents en Europe, où les problèmes de reconstruction sociale, économique,poli-
tique et éducative étaient manifestement de la plus grande importance. Les
~ préparatifs ont commencé avant la fin de la guerre. Certains ont été faits A
l'échelle internationalepar le biais de la Conférence des ministres de l'éducation
alliés. Des groupes nationaux sont également intervenus dès le début de 1943
106 Finalités de I‘èducation

pour ce qui est de la France et du Royaume-Uni.A la fin de la guerre, dans les


territoires occupés par les forces alliées, ce sont les gouvernements militaires
alliés qui ont pris l’initiative d’une reconstruction initiale et d’un examen des
principes.
Dans les grands rapports nationaux,la finalité de l’égalitédes chances devant
l’éducation a figuré explicitement. Cette finalitk kducative se justifiait par réfé-
rence aux principes sociaux et politiques de la ((démocratie));elle se justifiait
aussi A vrai dire indirectement par la guerre terminée depuis peu. A u niveau de
la politique éducative,il était certainement manifeste que la scolarité obligatoire
serait prolongée et que l’éducation deviendrait gratuite aux plus hauts niveaux
ou qu’elle serait subventionnée.Il n’est pas toujours apparu clairement quelle
serait la structure précise des établissements agréés, mais les déclarations de
politiques éducatives ont précisé qu’il y aurait une forme d‘éducation secondaire
pour tous. Les buts de la politique de subvention ont fait état de l’amélioration
et du développement de la formation des enseignants. L‘enseignement présco-
laire figurait en bonne place dans les propositions de politiques françaises.
L‘enseignement professionnel et technique devait être renforck.Presque partout,
il était entendu que le point de transition vers l’enseignement secondaire appel-
lerait des décisions politiques difficiles. Diverses politiques sont apparues ulté-
rieurement pour résoudre ce problème.
Néanmoins, se posaient des problèmes pratiques et matériels immédiats. La
solution - reconstruction des écoles, fourniture de manuels, programmes de
formation accélérée de maîtres - a demandé beaucoup d’efforts. Lorsque ces
problèmes ont été résolus,l’idéalismede l’immédiate après-guerreavait perdu de
son Clan. Il n’y a guère eu de renégociation des finalités,voire m ê m e des buts de
l’éducation.Il a été cependant beaucoup plus difficile de traduire ces aspirations
en politiques particulières,sauf pour ce qui est de la Suède. Dans cet Etat, une
combinaison presque unique de consensus sur les principes démocratiques et les
finalités éducatives,étayés par une recherche pédagogique active utilisée directe-
ment pour nourrir la politique éducative, jointe A une large acceptation des
processus de planification, ont amené une évolution relativement rapide des
finalités, des buts et des politiques et, l’heure actuelle, des objectifs d’ensei-
gnement-apprentissage.Adleurs en Europe, il s’est révélé beaucoup plus difficile
de transformerles aspirations en actions.
A u x Etats-Unis,dans l’immédiateaprès-guerre,la renégociation des finalités,
des buts et des politiques de l’éducation a été moins dramatique. L a victoire
militaire a donné un puissant Clan A la confiance illimitée qu’éprouvait la plu-
part des Américains dans leurs pratiques et leurs croyances.Nombreux ont été
ceux qui croyaient A la supériorité évidente de leur science, de leur érudition, de
leur recherche et de leur éducation,et qui néghgeaient souvent le fait que tous ne
partageaient pas cette croyance. Mais, mis ?I part la crainte largement répandue
des conspirations communistes, les buts et politiques éducatifs poursuivis ont
été de plus en plus mis en question.Le sentiment a prévalu qu’ils exigeaient trop
peu d’efforts et n’étaient pas, dans l’ensemble, assez virils pour pouvoir
constituer un bon terrain d’entraînement aux qualités qu’exige un monde en
évolution rapide - qui reste tributaire de la compktence et d’un travail acharné.
Situation actuelle dans le monde 107

D e plus en plus, la critique s'est abattue sur des théories éducatives attribuées &
John Dewey, souvent &tort. Des arguments essentialistes sur les raisons d'etre et
le contenu de l'éducation ont été le plus fréquemment invoquts. En 1957, le
débat a été assez soudainement catalysé par la crise des Spoutnik.Il semblait que
l'Union sovittique eût acquis une supériorité technologique sur les Etats-Unis;
la politique éducative fut rapidement encadrée dans la loi intitulée ((National
Defense Education Act)) qui visait & renforcer le travail des écoles dans des
domaines c o m m e les langues étrangères,les mathématiques et les sciences. Les
censeurs, au nombre desquels figurait le président Eisenhower, se livrèrent & des
réflexions sévères sur la valeur morale de la jeunesse américaine. L a politique
éducative,spécialement au niveau de l'enseignement primaire, servit de prétexte
& la recherche des moyens de confirmer les jeunes Américains dans leur
croyance & des formes de démocratie amtricaine.O n exigea de plus en plus des
serments de loyauté de ceux qui auraient & transmettre cette finahté éducative
aux jeunes.
Egalement au milieu des années 50, il fut reconnu par la loi que la finalité
éducative de l'égalité des chances devant l'tducation ne serait sans doute pas
réalisée si l'on conservait,c o m m e tel ttait le cas dans de nombreux domaines,
des écoles distinctes pour les Noirs et les Blancs. La politique éducative fut
conçue dans le but de commencer & réduire ces intgahtés. Les obstacles & la
solution étaient cependant subtils. L a ségrégation de jure dans les écoles devint
illégale. Mais les constatations de la théorie éducative ((faible))confirmèrent
qu'en fait la situation persisterait,du fait qu'elle était renforcke par des phéno-
mènes c o m m e les structures résidentielles,régionales et urbaines. L'immigration
aux Etats-Unis, en particuher des nouveaux Hispano-Américains,diversifia la
définition du problkme de l'enseignement dispensé aux minoritts. D e plus en
plus au cours des anntes 70,le processus enseignement-apprentissagefut ins-
piré par des objectifs tducatifs qui concédaient une certaine identité culturelle
distincte aux groupes qui l'exigeaient. Les Noirs, les Hispano-Américains et les
femmes commencèrent & demander des contenus pédagogiques différents (y
compris en matière de langue). A l'heure actuelle,l'une des réactions politiques
au niveau fédéral est l'octroi de crédits fédéraux pour l'éducation bilingue.
L e style de la réaction américaine en matière de politique éducative et de défi-
nition des objectifs éducatifs en est venu & privilégier la politique éducative et
l'objectifde ((compensation)).Tel a été particuhèrement le cas avec la loi de 1964
sur l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire. Cette loi était en
partie baste sur la reconnaissance,au milieu des années 60,d'une réelle pauvreté
dans certaines parties des Etats-Unis,ainsi que des différences dans les résultats
scolaires selon les groupes. La loi a chercht &identifier les groupes relativement
désavantagés et & consacrer spécifiquement & leur éducation une aide supplé-
mentaire.
A l'heure actuelle, se manifeste une certaine convergence entre la politique
éducative poursuivie en Europe au cours des anntes 70 et la politique des Etats-
Unis &la fin de la décennie 50 et au cours des années 60.En partie par le fait de
l'immigration et en partie grfice aux revendications des minorités (Gallois,
Basques, Lapons, etc.), la politique européenne de l'tducation s'est attachée de
108 Finalités de I‘éducation

plus en plus A définir des buts et des objectifs appropriés pour une éducation
multiculturelle.
La recherche pédagogique a également montré au cours des années 50 et 60
qu’en Europe aussi l’égalité des chances devant l’éducation était en pratique
inégalement répartie,souvent selon les classes.Les formes d’éducationcompen-
satoire (y compris le recours A l’éducation préscolaire) ont commencé A faire
partie de la politique éducativeen Europe.Cette préoccupation transparaît dans
les objectifs d’enseignement-apprentissage.Devrait-ily avoir un programme
d’études commun A tous? Quelle stratégie de l’enseignementest la plus & m&me
d’encourager A l’étudeles enfants des travailleurs? Quel contenu et quel style
d‘enseignementcorrespondent &quels besoins?
Cependant, les politiques éducatives en Europe ont été surtout conçues en
termes de structure;elles ont consisté A inventer de nouvelles institutions plutôt
que des stratégiescompensatoiresau bénéfice de groupes cibles.Le problème de
structure - qui a dominé en grande partie le débat sur l’éducation pendant les
années 50 et qui s’est soldé par la définition de politiques dans les années 60 et
leur application dans les années 70 - était de savoir s’il convenait d’organiser
une école commune pour tous dans le premier cycle du second degré. C‘est la
solution A laquelle se sont arrêtés les pays scandmaves et l’Italie.Le Royaume-
Uni s’est rapproché d’une telle politique.En République fédérale d’Allemagne,
les politiques diffèrent selon les finder. Fréquemment,la politique éducative est
censée insister sur les programmes communs pour une période plus longue que
le cycle primaire et/ou utiliser les premières années du second cycle pour un tra-
vail approfondi d’orientation.
Deux autres problèmes principaux de structure ont été au centre des grandes
politiques en Europe. L‘un est le développement et la redéfinition des systkmes
d’enseignement supérieur. Les modkles européens et anglais d’universités
n’étaientpas conçus pour absorber les effectifs possédant les qualités requises
pour être admis dans les années 60.Traditionnellement,elles ont été très sélec-
tives, soit A l’admission, soit A la sortie (les taux de déperdition nationaux
variaient). Au cours des dernières anntes 50,les diplômés représentaient entre
5 et 8% de la classe d’âge correspondant A une promotion typique.Cependant,la
finalitégénéralisée de l’égalité des chances devant l’éducation peut s’entendre de
l’admissionde tous les candidats qualifiés.Sous la pression d’une pareille pré-
tention sociale & l’enseignement supérieur, des politiques éducatives ont été
adoptées,qui correspondaient aux recommandationsde commissions nationales
(par exemple au Royaume-Uni,en Norvège et en Suède) au cours des dernières
années 50 et au début de la décennie 60.En général,ces politiques favorisaient
la création de nouvelles universités.La Belgique a maintenant huit universités
alors qu’elle en avait quatre dans les années 50.La Grande-Bretagnepossède
actuellement quarante-cinquniversités;six nouvelles universités ont été créées
dans les années 60 comme conséquence directe du Rapport Robbins. D’autres
adaptations &la pression des effectifs ont entraînéle développement des collèges
d’enseignement supérieur technique ou,comme avec les IUT en France et les
collèges polytechniques britanniques, la création de nouveaux établissements.
Cette politique de l’éducation n’a pas été seulement dictée par la finahté de
Situation actuelle dans le monde 109

l’égalité des chances devant l’éducation; des théories fort répandues dans les
années 50 ont laissé entrevoir que de tels établissements contribueraient ja la
croissance économique.
Comparativement, on peut noter que les Etats-Unis avaient déjja apporté ja
leur système d’enseignement supérieur des modificationsde structure analogues,
et cela dès le XIXe siècle. Il en va de m ê m e des autres problèmes de structure qui
ont influé sur la politique européenne dans le domaine de la formation des
enseignants. L‘Europe a pris beaucoup plus longtemps que les Américains A
faire relever la formation des enseignants du secteur de l’enseignement supé-
rieur. C‘est pendant ce siècle et plus particulièrement après la Seconde guerre
mondiale que les Américains ont opéré la transition entre le modèle d’école nor-
male et la mise en place d’une formation de tous les enseignants dans des éta-
blissements délivrant des diplômes. C e n’est qu’A la fin des années 70 que
l’Europea commencé A définir des politiques de l’éducation qui devaient aboutù
A des résultats analogues.C e processus d’application n’est pas encore achevé.
Le vigoureux mouvement désigné par des noms divers - éducation perma-
nente, éducation récurrente,éducation continue - correspond A l’augmentation
et au développement massifs de tous les établissements d’enseignement supé-
rieur, encore qu’il en soit distinct.Bien qu’il soit profondément enraciné dans le
système tr&s développé de l’éducation des adultes, il représente quelque chose de
nouveau. O n pourrait le décrire c o m m e une tentative délibérée pour éliminer
tous les derniers obstacles ja une parfaite égahté d’accès aux ressources éduca-
tives et ja tous les certificats d’aptitude,y compris les titres universitaires.Quoi
que l’on ait pu faire pour ouvrir largement les portes aux enfants, aux adoles-
cents et aux jeunes adultes, il y a encore de nombreux adultes qui, en raison de
leur âge, de leurs responsabhtés familiales, de conditions gtographiques, etc.,
n’ont pas réussi ou ont eu du mal ja bénéficier de ces conditions. Maintenant,
grâce aux nouveaux moyens qu’offrent les media, grâce aux services postaux,
grâce ja la facile duplication des documents,etc., ces étudmnts virtuels peuvent
recevoir l’aidedont ils ont besoin. Dans certains pays, il existe m ê m e des univer-
sités ouvertes où les étudiants peuvent prQarer des diplômes très divers, voire
m ê m e le doctorat, sans devoir fréquenter les locaux universitaires ou devoir
abandonner leur travad pour assister aux cours ou conférences obligatoires.

RI?SUMfi ET CONCLUSIONS
A considérer l’ensemble Amérique du Nord et Europe occidentale,il apparaît ja
l’évidence qu’il représente une zone culturelle définie de la planète qui pourrait
être appelée zone du christianisme occidental - y compris des portions qu’il
serait plus juste de décrire c o m m e post-chrétiennes.Des mouvements très nets
se manifestent vers une unification politique, militaire et économique; mais en
matière culturelle,il y a une grande diversitt entre les entités nationales.
Il peut être A la fois intéressant et utile de noter quelques ressemblances
importantes dans les objectifs,buts et finalités reconnus de l’éducation.La liste,
il va de soi,répond principalement A un souci d’illustration.
110 Finalités de I'éducation

Objectifset écoles
1. Les matières directement liées h l'industrie, A l'agriculture et la technologie
sont de plus en plus en faveur,en particulier les mathtmatiques,la physique,
la chimie,la biologie et les manipulations scientifiques.
2. O n attache partout une grande importance A l'expérienceacquise de première
main et A l'emploi de machines simples (c'est-&dire aux travaux pratiques).
On accorde plus de prix qu'autrefois A l'application des connaissances.
3. Les études sociales (histoire, gtographie, instruction civique) prennent de
plus en plus d'importance. O n prête moins d'attention A l'ttude des langues,
encore que l'on parle beaucoup de la langue maternelle. Les langues classiques
ont été presque abandonnées dans de nombreux pays.
4. Toutes les méthodes actives sont partout en honneur, encore que l'ancienne
méthode didactique reste chose courante.
5. L a discipline en classe et la discipline scolaire sont beaucoup moins strictes
que naguère.E n fait,on se plaint de plus en plus du chahut et du désordre.
6. Les qualités personnelles,les vertus, le comportement et les attitudes que les
enseignants et les éducateurs souhaitent dtvelopper chez leurs élkves sont
sensiblement ce qu'elles ont été pendant des siècles: franchise,honnêteté et
courage, bonté envers les faibles et les vieillards, etc. Mais le langage main-
tenant utilist est moins religieux,plus laïque. Quant aux raisons qui justifient
une conduite (juste et morale), elles sont d'ordinaire exprimtes en termes
sociaux, personnels ou philosophiques plutôt qu'elles ne s'appuient direc-
tement sur la foi en un dogme religieux et la croyance au surnaturel.

Buts et politiques
A l'échelon national, deux politiques ont dominé l'tvolution: la recherche de
l'égalité sous toutes ses formes et la recherche de la liberté indwiduelle - qui ne
sont pas toujours compatibles.
1. L e terme égalité se prête A une double interprétation.En premier lieu,il s'agit
pour tous les êtres humains,ou tout au moins pour tous les citoyens adultes,
de bénéficier d'un traitement égal de la part des administrations publiques,
par exemple d'avoir accès A tous les équipements publics y compris les écoles
et les collèges.E n second lieu, il peut être utilisé avec un sens plus restreint
(napoléonien), c'est-&dire d'égalité des chances ou d'égalité d'acces après la
réussite A des épreuves qui sont indépendantes de tout préjugé de race, de
sexe, de croyance, de classe ou de fortune. Dans tous les pays de la région
l'égalité prise dans son sens premier existe dans l'enseignement primaire et de
plus en plus dans l'enseignement du second degré (jusqu'h l'âge de 16 ou
18 ans); mais presque partout,elle n'est pratiquée au troisikme niveau (ensei-
gnement supérieur) que dans son second sens: il existe des épreuves d'admis-
sion et parfois des droits de scolarité. La recherche de l'égalité a fait pression
sur le système, tout d'abord en aidant A en accroître la dimension totale par
une augmentation des effectifs et, en second lieu, en exerçant une pression
pour abaisser l'âge d'admission (tcoles maternelles, etc.) et pour accroître la
Situation actuelle dans le monde 111

durée de la scolarité obligatoire. Elle a aussi aidé A polariser une attention


bienveillante sur les besoins spéciaux des enfants handicapés physiquement,
mentalement ou socialement.
2. L a liberté peut avoir elle aussi plusieurs significations;,mais tout le monde
reconnaît que moins les lois interdisent,plus grande est la liberté. En éduca-
tion,la premikre et la plus importante des libertés est celle d’ouvrir une école
ou un collkge et d’enseigner ce que souhaitent les fondateurs.C e droit existe
partout dans la région. Des limites sont prévues,naturellement;ce que l’on y
enseigne ne doit pas aller A l’encontredes lois ou de la moralité publique; des
normes minimales d’hygiène, etc., doivent être respectées.C e sont principa-
lement les autorités religieuses et souvent les riches qui font usage du droit
d‘ouvrir et d’entretenir les écoles. Cependant,le désir de liberté s’étend aussi
aux droits privés. Les professeurs et les instituteurs réclament la liberté
d’enseignement.Certains prétendent que ce que l’on enseigne doit être fonc-
tion des besoins individuels et que l’enseignement en classe devrait dispa-
raître, la structure de l’tcole être assouplie et la discipline être bien moins
stricte. En dernier lieu, on peut noter que dans toute la rtgion culturelle
d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord, on a toujours manifesté le plus
grand respect pour l’excellenceet l’indépendance d’esprit - la Renaissance a
poussé cette tendance A un degrt presque alarmant.Cette foi demeure vivante
et aide A expliquer l’esprit de concurrence qui continue de caractériser bon
nombre des écoles.L a plupart des éducateurs persistent A croire que seuls des
individus qui ne sont pas complètement immergts dans la fidélité au groupe
et la penste collective peuvent créer la nouveauté, des inventions,des décou-
vertes, des grandes œuvres d’art. Cette croyance influe sur les modes d’ensei-
gnement et d’tducation les plus en honneur.
3. Outre ces deux éléments fondamentaux, plusieurs autres grands buts qui
influent sur les politiques ont été soulignés au cours des quarante dernières
anntes. Il convient entre autres de mentionner: a) le besoin urgent de
favoriser la loyauté A l’égard des associationsinternationaleset de les mieux
faire connaître, en particulier celles qui se rattachent aux Nations Unies;
b) l’importancede mettre plus fortement l’accent sur l’éducation morale A
tous les niveaux; c) le besoin d’utiliser les tcoles et les collèges pour améliorer
la productivitt des nations.

Finalitès et èducation nationales


Il existe une grande ressemblance entre tous les pays de la région en ce qui
concerne les exposts de leurs finalitts éducatives.Il fallait s’y attendre dans une
région qui montre tant de similitudes et où les nations se sont rencontrées, se
sont heurtées et ont coopéré pendant si longtemps. Leurs législations et leurs
Constitutions seront rédigées de telle façon qu’au nombre des finalités éduca-
tives figureront certainement la promotion nécessaire de l’unité nationale, la
loyauté A la patrie, le respect des chefs d’Etat, l’obéissanceA la loi,la promotion
du développement social, économique et culturel,etc.
112 Finalités de réducation

Mais peut-être peut-on d’ores et déjh se permettre une mise en garde: les
écoles de l’occident servent h transmettre une culture qui est démocratique en
partie, mais en partie seulement.Elle contient des Cléments de privilèges fondés
sur la naissance, une surévaluation de la fortune et des succès d’argent plus que
sur une juste appréciation du mérite et du service social, sur une crainte que la
liberté ne soit licence et menace plutôt que la condition essentielle de l’accom-
plissement de soi et de l’innovation.Les conditions actuelles tendent A affaiblir
l’élan démocratique. La crainte de la guerre, les anxiétés engendrées par une
évolution trop rapide,les influences omniprésentes de la publicité et des media,
la tendance économique au monopole et le contrôle d’Etat, tous ces Cléments et
beaucoup d’autres forces sociales préparent les gens ordinaires A accepter une
réglementation autoritaire,A succomber au conformisme,A soupçonner ceux qui
de quelque façon sont différents,A respecter et craindre le pouvoir et la force,
ainsi qu’A accepter la domination brutale et sans sanction des dictateurs.
réducation peut-elle servir A rétablir l’équilibre,A renforcer les idéaux démo-
cratiques et A défendre la liberté et la justice? Oui,elle le peut certainement.
Mais seulement h la condition qu’il y ait une harmonie totale entre les finalités
qu’ellepoursuit et celles qu’un Etat démocratique accepte c o m m e siennes et que
consacrent ses lois et si la politique de l’Etat apporte au systhme éducatif les res-
sources dont il a besoin pour fonctionner dans les meilleures conditions.
CHAPITRE TROIS
Universalité et spécificité
des finalités de l’éducation
par A. Bouhdiba

Le dtbat du spkcifique et de l’universelOccupe dans la pensée contemporaine une


place de premier choix. La mondialisationde la culture et la standardisation des
genres et des styles de vie ont quelque chose de suspect:vulgariser et stértotyper
le comportement et la pensée des hommes n’a rien d’attrayant en soi! Des voix
des plus autorisées s’é]&vent, notamment dans les pays en développement, pour
dénoncer l’invasion agressive du conformisme borné 11 l’amtricaine,le mimé-
tisme destructeur de toute pensée créatrice et la banalisation des styles de vie. L a
profusion et l’extraordinaire richesse des identités collectives sont aujourd’hui
en danger de mort. C e dtbat est au centre de la question du développement et il
est normal qu’il dkbouche sur l’exigence d’un nouvel ordre économique,culturel
et politique. Dans ce débat, l’éducation est concemte au premier chef. S’inter-
roger sur les finalités de l’tducation est impérieux. Eduquer, certes! Mais qui,
pour qui et pourquoi? Avec quels moyens et pour quelles fins? La formation
optimale doit-elleviser 11 donner en toute priorité un sens aux valeurs et B révéler
les idéaux? L‘accent doit alors être mis sur l’assomption de l’universalité de la
condition humaine. Mais d’un autre côté, armer l’enfant pour la vie et lui per-
mettre de s’adapter 11 la société dans laquelle il va s’épanouir hic et nunc ne sont
gukre des objectifs moindres. Mais alors l’universel ne primerait plus le sptci-
fique et l’immédiat.
Si tout éducateur s’interroge sur le ri quoi il forme l’enfant, c’est bien la
réponse 11 cette question qui donne un sens B tout projet ptdagogique. A vrai
due, il n’est gutre de socitté - quel que soit son niveau économique et quelles
que soient ses structures sociales ou la nature de sa culture - qui n’ait d‘une
manitre ou d‘une autre tenté de répondre de maniBre lucide ou confuse, systé-
matique ou lacunaire, 11 cette grave prkoccupation. Les pays avancés pour leur
part ont formulédepuis fort longtemps déj11 des réponses dtterminantes.Ils ont
eu le temps de les roder, de les comger, de les transformer et aussi de les
remettre en question. Les mutations profondes réahstes par l’Europe au cours
des deux ou trois derniers sitcles n’auraient d’ailleurs gutre été possibles sans le
concours décisif des systtmes éducatifs appropriés. Depuis Rabelais, la ptda-
gogie française par exemple n’a cessé de se vouloir moderne. Et si les Français,
unanimes pour une fois, dltbrent cette annk le centenaire des lois de Jules
Ferry,ils n’ont garde d’oublier que cette œuvre ne serait rien sans l’action mlas-
sable m e n k avant lui par Victor Duruy, prkédée elle-mêmepar les mises en
114 Finalités de l‘éducation

place napoléoniennes, tributaires 8 leur tour des lois conventionnelles, elles-


mêmes redevables 8 Rousseau de l’essentield’elles-mêmes.
Or,c’est ce système mis en place par touches successives,fruit spécifiqueentre
tous de son histoire nationale, que la France coloniale a cherché - en dépit du
bon sens et parfois sans trop s’embarrasser de nuances - 8 exporter 8 travers le
monde et 8 transplanter h tout le moins dans ses propres colonies. C e transfert
imprudent suscitera des rêves impossibleset des drames prévisibles:changer par
emprunt et accéder d’emblée 8 la modernité, c o m m e si l’histoire pouvait se faire
par procuration. Forte de ses répondants occidentaux, une éducation moderne
surgissait.Chichement dispensée aux indgènes,elle pouvait néanmoins, avec un
semblant de véritk,passer pour universelle puisque efficace,scientifique,réfléchie
et adoptée presque telle quelle dans bon nombre de pays. L‘éducation tradtion-
nelle, restée pratiquement inchangée de longs siècles durant dans de larges aires
du monde, pouvait dès lors,revendiquant sans autre forme de procès le label de
l’authenticité,bloquer toutes les potentialitésde la conscience collective.
Modernisation vaudra dès lors occidentalisation et universalité. Traditiona-
lisme vaudra authenticité, garantie d’être soi et refus de tout frelatage. Deux
types principaux d’école et partant de pédagogie vont ainsi s’affronter: l’école
traditionnelle, refuge des valeurs gardiennes du passé, et l’école moderne,
contestataire,instrument de promotion et volonté d’ouverture sur autrui, sur le
monde et sur le sikcle. Les conchations,les compromis et les synthèses tentées
un peu partout avec un succbs plus ou moins relatif ne manqueront pas. Ils
jalonneront et jalonnent encore l’histoire culturelle de notre temps. Car ce
débat,contrairement aux apparences,n’exclut aucune partie du monde, m ê m e si
les pays en développement ont été les premiers 8 le poser en termes parfois vio-
lents et qu’ils continuent A se sentir concernés en tout premier lieu. Les systèmes
éducatifs d’origine ou d’inspiration européenne sont loin en effet d’avoir g o m m é
toute spécificité nationale ou régionale m ê m e dans les pays qui les ont vus
naître. L’option centralisatrice et universaliste a beau prévaloir et chercher 8
redresser franchement les différences culturelles et locales, les traits caractéris-
tiques des sociétés européennes demeurent rigoureusement reflétés dans leurs
systbmes éducatifs: chrétien ici et laïque 18, intégrant ou non l’éducation
manuelle, autoritaire ou permissif, misant sur l’effort ou sur la facilité, faisant
appel 8 la mémoire ou 8 l’intelligence,etc. Sans parler bien entendu du contenu
et des programmes. C e qu’on a pris pour universel n’était somme toute que le
résultat particulier et provisoire de l’expérience décisive et intelligente d’un petit
groupe de sociétés qui ont joué un rble déterminant 8 un moment donné et dans
une de ces conjonctures historiques trbs précises qui font si souvent la grandeur
d‘une civilisation.
Or, ces pays eux-mêmes se trouvent aujourd’hui - c o m m e il est normal -
forcés 8 de nouveaux choix de société. Chez eux aussi,le débat du spécifique et
de l’universel ressurgit A nouveau. Beaucoup de pays européens prennent cons-
cience que l’universalité peut n’être qu’un piège; et s’ils refusent d’y tomber,
c’est que le terroir a gardé tout son sens.Les revendications microlocales,la vita-
lité des dialectes et des patois, l’écologisme militant, le retour 8 la nature, la
Universalitéet spécificité 115

renonciation ostentatoire A certaines formes du progrès, etc., autant d'éléments


du débat.
Tous les pays ne sont pas logés &la m ê m e enseigne.Pour les pays en dévelop-
pement,l'aporie n'est pas marginale ou superfétatoire; elle est coextensive A leur
propre existence. Le débat est national et global et, chez eux, il a dépassé large-
ment les milieux éducatifs.Toute action de promotion économique ou sociale se
heurte aux mêmes dfficultés. Les problèmes de l'éducation ressortissant
finalement d'un débat historique des plus larges,parler des finalités de l'éduca-
tion implique que l'on aille au cœur m ê m e de la problématique de développe-
ment et des difficultts qui en découlent.
Elle est bien révolue la période d'optimisme largement partagé où l'on a cru
que le développement pouvait être obtenu par généralisation A l'échelle mon-
diale des politiques et des techniques expérimentées au sein des pays avancés.
Certes, l'universalisation de la condition humaine se poursuit encore sous nos
yeux.
L'extension progressive du système des organisations internationales fournit
un cadre concerté pour une théorisation A l'échelle mondiale des finalitts de
l'éducation. L e respect des droits de l'homme et la philosophie de la paix et de
l'entente entre les peuples apparaissent toujours c o m m e de vraies finalités &assi-
gner A l'kducation. Ni la confrontation plus ou moins déclarée des grandes puis-
sances entre elles ou avec les autres nations, ni les conflits locaux ne sauraient
remettre en cause ces acquis renforcés de jour en jour par l'action inlassable des
organisationsinternationales.
L'humanité est entrée dans une nouvelle ère de son histoire marquée par la
mondialisation de la civilisation et dont nous ne savons pas encore quelle en
sera l'issue. L'information et ses multiples dimensions et la télématique et ses
innombrables champs d'application brassent les hommes et donnent A notre pla-
nète une unité jamais vue auparavant.L'action du Bureau internationald'éduca-
tion (BIE),organisant et orchestrant les présentes études A l'échelle mondiale,
les programmes de l'Unesco qui agit c o m m e la conscience universelle de
l'Homme, autant de preuves qu'une œuvre de théorisation planétaire n'est pas
une aimable utopie.
Néanmoins, et c o m m e par contrecoup,jamais l'ampleur de l'écart qui sépare
les types de sociétés humaines industrialiséset en développement n'a été ressen-
tie avec autant d'acuité et d'aigreur. L a ténacité des préjugts européocentriques
rend suspects, pour les uns, la générosité et l'idéalisme, pour les autres, les
revendications de justice et d'égalité.
Sur le terrain, c'est l'échec retentissant de certaines politiques scolaires -
souvent formulées & la hbte sans analyse préalable, avec des moyens dérisoires,
mal employés ou sans volonté politique adéquate.Malgré des efforts sans précé-
dent consentis par les Etats ou par la communauté internationale, la scolarisa-
tion reniant ses promesses accentue la déculturation des masses et l'inculture des
élites: enseignement insuffisant et superficiel, objectifs mal ajustés, inadéqua-
tion avec les besoins réels de la société, déchets scolaires,etc. O n se rend compte
du mal fait parfois sans remkde par des formules passe-partoutdangereusement
niveleuses et qui ne sont que l'atroce caricature des finalités de l'éducation.Les
116 Finalités de réducation

tenants du maintien coûte que coûte des traditions locales trouvent toujours ii
réclamer le ((retouraux sources))c o m m e garant exclusif de l'authenticité. Spéci-
ficité et authenticité seraient les antidotes de la banalisation et de la perte
d'identité.
C e bref rappel était nécessaire pour situer la problématiquede I'universahté et
de la spécificité des finalités de l'éducation dans sa vraie dimension.Se réahser
par l'éducatiofi implique l'universalité des finalitks. Mais le risque est alors
d'assigner A l'éducation des finalités creuses et abstraites.Cet enfant qui doit se
réaliser hic et nunc ne doit pas se perdre dans les sables de l'universel. Mais par
ailleurs, on ne se réalise que par le dépassement. N e pas voir grand, haut et
large, c'est se noyer dans une goutte d'eau. Les arbres ne doivent pas cacher la
forêt. C'est une exigence de civilisation: se réaliser et assumer sa propre condi-
tion, c'est aussi viser ll atteindre l'universel. Le chauvinisme,le nationalisme, le
fanatisme,le racisme et les préjugés de toutes sortes se nourrissent des particu-
larismes.
Les totalitarismesqui marquent si tragiquement notre époque sont incapables
de voir les probltmes sous l'angle de l'unité de la condition humaine. Le totalita-
risme consiste toujours A investir mystérieusement une nation, un peuple, une
religion,une caste ou une classe sociale d'une responsabilité telle que les autres
nations, peuples, religions, castes ou classes sociales se trouvent dértahsés. Les
finalités de l'éducation ne doivent pas &tre un pikge ou un traquenard. En les
définissant, il faut éviter A la fois la réduction par exds d'universalisme et le
solipsisme par excts de focalisation. C'est cette double et grave exigence qui
marque le débat de l'universahté et de la spécificité des finalités de l'éducation.
Sur un point, toutes les études réunies par le BIE sont unanimes: ce qui passe
trop souvent pour universel n'est qu'une version vulgaire et uniformisante de
l'européanité. Les pays occidentaux eux-mêmes ont pris heureusement cons-
cience de l'extrême relativité de leur philosophie de I'éducation. U n auteur peu
suspect n'hésitait pas a écrire il y a déjll dix ans:
Les écrits traitant des objectifs de l'kducation se caractkrisent en gknkral par la générosité
de l'inspiration,par l'élévation de la pensk et par la noblesse de la forme [.. .]Les
rapports pouvant exister entre ces écrits et d'éventuelles modifications dans les pratiques
kducatives ou la structure de l'appareil scolaire sont plus difficiles h preciser. [. .]Ces
,

rapports,de toute façon,ne peuvent être tres ktroits,pour une raison simple:les objectifs
dont il s'agit dans ces écrits sont en gknkral d'une nature telle qu'il est tout A fait
impossible de définir un critbe opératoire empirique,utilisable de façon cohérente par des
observateursdiffkrents,et qui permettrait de s'entendre sur le fait de savoir si un objectif
dktermink a dtk atteint ou non.La recherchede critlxes opkratoires aux buts de l'éducation
est difficile.'
Nous voila mis en garde et doublement: contre l'excessive généralisation et
contre la confusion des objectifs et des finalités.Les pays les plus avancés eux-
mêmes ne trouvent pas toujours le moyen d'établir la jonction entre,d'une part,
les finalités conçues dans un sens très large et, d'autre part, les exigences
concrttesde l'&lucation. Le m e m e auteur n'hésita pas ii noter:
Universalité et spécificité 117

Il existe actuellement, dans les ecrits pkdagogiques dont une large part sont dus A des
auteurs de formation littkrakeou philosophique,un consensus impressionnantsur un cer-
tain nombre de prkvisions et de dkmarches: on prkvoit une évolution radicale de l’tduca-
tion, appelke dit-on A nkghger de plus en plus la simple transmission des connaissances
pour favoriser le libre kpanouissement des virtuabtks individuelles dont on postule le
caractkre spkcifique et socialement souhaitable, on valorise toute mkthode favorisant la
spontankitk [.. .]Le consensus est si large, autour de ces thQmes et de quelques autres,
qu’il n’est pas abusif de parler d‘un nb-conformisme qui impose avec force ses
contrainteset ses tabous dans la plupart des conversations,des rencontres et des kcrits des
spécialistes de l’kducation.*
C e danger n’a pas échappé aux participants de la rencontre de Paris sur les fina-
lités de l’éducation qui ont mis en garde contre le risque que fait courir la spécu-
lation abstraite sur les finalités - risque de passer a côté des problkmes concrets
de l’éducation. ((11 faut tout A la fois se garder de tomber dans le mythe en
posant le problbme des finalités en termes trop lointains et éviter les écueils de la
politique A courte vue en adhérant de trop prbs au réelP. E n tant qu’effort de
rationalisation, les sciences de l’éducation se doivent de postuler a priori l’uni-
versalité épistémologique de leurs méthodes et des finahtés qu’elles se proposent
de poursuivre. Il en est de m ê m e de toute philosophie de l’éducation. U n e telle
œuvre ne saurait souffrir de cassure A l’intérieurdu continuum humain. Il est
une unité fondamentale de l’homme que toute éducation doit assumer, prendre
en charge et en vue de laquelle elle se doit d’œuvrer sans relâche. L‘unité de
l’homme est peut-être la finalité premikre de toute éducation. Le divers Consti-
tutif des expériences concrktes ne doit pas faire illusion; il demeure toujours
conditionné par cette visée de l’universelqui appelle le dépassement et implique
que la finahté est toujours un au-delaA atteindre.
Bien entendu il ne faut pas confondre l’universalitédes fins avec la générahsa-
tion des moyens. Il y a une illusion néfaste et qui n’a joué que trop de mauvais
tours aux pédagogues et aux hommes politiques. La généralisation des moyens
est un fait majeur de notre temps. La technologie moderne, qui est un produit de
l’occident (produit de la civilisation occidentale mais aussi production maté-
rielle rhlisée dans des usines occidentales et commerciahske par des structures
techniques de distribution occidentales), elle aussi s’introduit un peu partout.
Avec une présence plus ou moins indiscrbte, avec un suc& plus ou moins
affirmé, puisqu’on trouve partout les memes produits types. La planétarisation
de la civilisation moderne fait de la science et de la technologie modernes et
occidentales le support obligé et presque ordinaire de toute action de dévelop-
pement.
La diffusion a grande échelle des moyens techniques jette l’humanité dans un
ordre nouveau. Les hommes tendent a mieux se connaître faute de pouvoir se
reconnaître. Malheureusement, l’impact de cet ordre nouveau de la technologie
sur l’éducation - et donc sur les finalités a lui assigner - demeure des plus
modestes dans les pays en développement. L‘écart entre pays riches et pays en
développement se creuse chaque jour un peu plus. Si des pays ont assez de res-
sources pour s’offrir un systbme de télévision scolaire efficace et se doter d’une
118 Finalités de l'éducation

infrastructuretrès soplmtiquée,beaucoup d'autres sont dénués au point qu'un


globe terrestre ou un livre scolaire pose un problème pour être h la portée de
tous!
Avec raison,on a souligné que d a cité éducative n'est pas une institution
indépendantede la ~ocitté))~. Tout système éducatif s'intègre dans une société.11
serait aberrant et hautement dusoire de ne pas partir des conditions précises
dans lesquelles œuvrent les éducateurs.
O n ne cesse de répéter que la tâche de l'éducation est de former l'homme et
l'homme dans sa totalité non pas abstraite mais incarnée. Dans ces conditions,
les finahtés de l'éducation sont les émanations de forcessociales déterminées qui
en constituent en quelque sorte l'âmeet le moteur.La réunion de Genève a bien
précisé l'interdépendancedialectique entre éducation et société dont les finalités
finissent A la limitepar se confondre.
Pour transformer l'éducation,il faut transformer la société, mais,d'autre part, pour édifier
une nouvelle société,il faut former un h o m m e nouveau. E n outre, il s'avère indispensable
de donner A l'idéed'humanisme une formulation nouvelle qui incorporera dans une unité
organique la science moderne et les valeurs morales. Il ne s'agit pas de nier la science et la
technique,mais de les maîtriser en les mettant au service de l'homme. O n a insisté sur les
possibilités de rendre la civilisation industrielle compatible avec les besoins de l'homme.
L'analyse ne doit pas se contenter d'indiquer que l'éducation dépend de la société; elle
doit montrer de quelle façon le système éducatif dépend des classes dominantes qui
veulent l'utiliserpour leurs propres intérets,et quels sont les projets de réforme de l'éduca-
tion qui sont proposés ou combattus par les différents groupes sociaux. C'est seulement
ainsi que l'on pourra se dégager des abstractions qui dissimulent parfois des réalités dures,
voire tragique^.^

Trois idées forces doivent être retenues de cette analyse.Une approche universa-
liste des finahtés de l'éducation risque de tomber dans des spéculations
abstraiteset passer h côté des problèmes concrets de l'éducation.Certes,il n'y a
pas d'éducation sans idéal.Une bonne dose d'utopie et de rêve est strictement
nécessaire.Mais les finalités ne sont pas interchangeableset ne doivent surtout
pas être dégagées en termes trop lointains.L'échec de tant de politiques éduca-
tives - dans le Tiers monde et même dans certains pays avancés - vient assuré-
ment du côté par trop abstrait de l'analyse des objectifs h atteindre et des fina-
lités A viser.
Les finalités sont donc profondément engagées dans des contextes sociaux
concrets.11 y a lieu de les en faire émerger.Néanmoins,les finalités explicitées
par les théories de l'éducation et les philosophies, ou qui sont systématisées A
partir d'elles, ne doivent pas nous faire perdre de vue l'existencedes finalités
implicites qui, vécues sur le mode du spontané,jouent un rôle souvent de tout
premier plan. L'appel au concret s'impose non seulement pour incarner l'idéal,
mais pour permettre h celui-cid'émerger. L'éducation en acte est d'emblée un
temps fort de l'explicitation et de la mise en évidence des finahtés. L'éVeil de la
conscience ne se situe pas seulement au niveau de l'élève. Plus fondamentale-
ment,il est au niveau de l'institution qui englobe élève,maître et administration
Universalité et spécificité 119

et fait appel A la société globale. Les finalités ne sont pas des données toutes
faites et une fois pour toutes. Elles s’élaborent,se prouvent et s’éprouvent au
sein de l’institutionéducative.
On ne saurait enfin néghger l’interférencedes finalités de l’éducation- expli-
cites ou implicites, clairement conçues ou inavouées - avec les mouvements
sociaux:confits de groupes,luttes de classes, émergence des statuts et des rôles,
stratification,affrontementspour la conquête des pouvoirs,rapports de domina-
tion, etc. C e qui est pris pour spécifique pourrait n’être qu’un masque qui cache
des réalités plus profondes. Il faut donc se garder de tomber dans la mythfica-
tion, voire la mystification,en pensant les finahtés de l’éducationen temes trop
généreux et coupés de leurs racines réelles,sociales,économiques, culturelles et
politiques.
Les concepts de spécificité et d’authenticité sont parfois les ((tartes 8 la
crème)) du Tiers monde. Tout c o m m e il y a une vraie et une fausse universahté,
il y a une vraie et une fausse spécificité. Il est bien évident que toutes les diffé-
rences qui séparent les groupements et les sociétés humaines ne sont pas spéci-
fiques.Il y a des différences qui ne sont que de conjonctures, qui tiennent 8 de
simples retards, ou qui ne sont que des différences de degrés. S’attacher par
exemple A dstinguer au sein d’un système éducatif le superficiel du profond, ou
encore ce qui est destiné A l’enseignement des masses de l’éducation des élites,
peut se traduire de plusieurs manières dfférentes mais qui ne définissent pas
pour autant des spécificités.L a m ê m e valeur A inculquer 8 l’élève peut être sup-
portée par des actions pédagogiques nettement différenciées mais qui n’autori-
sent pas pour autant A parler de spécificités dfférentes: ici,l’amour de la nature
se traduira par une recherche créative en matière d’expression artistique; 18,il
prendra de préférence la forme d’un apprentissage des travaux agricoles; 18
encore, celle de l’éducation physique, du sport intensif ou du simple bricolage.
Les pédagogies sont diverses et les méthodes variées; l’intentionalité demeure la
même: former des hommes capables de s’appréhender en tant qu’êtres situés
dans un milieu physique détermin6et qu’il leur faut respecter et saisir c o m m e un
moyen privilégié de présence au monde.
Il faut également prendre garde de ne pas tomber dans une autre confusion
très répandue.Si le spécifique n’est pas la pure différence,il n’est pas non plus le
simple exclusif. En effet, d’une part, certains traits spécifiques peuvent bien se
retrouver dans des sociétés très différentes et, d’autre part, la coexistence de plu-
sieurs traits par ailleurs d’une extrême banalité peut dessiner un profil unique en
son genre et A nul autre pareil. La spécificité d’une société ne se réduit pas 8
quelques traits schématiquement dressés. C‘est toute l’histoire dalectique du
groupe qui est en cause. Chaque société a son histoire propre, son temps propre,
ses exigences propres,ses accidentspropres,etc.
L a dialectique du groupe et du milieu trace pour chaque société un canevas
d’actions possibles A entreprendre que le groupe prend ou ne prend pas sur lui
de réaliser.Dans un cas c o m m e dans l’autre,par ses choix ou par son absence de
choix et par son action ou par son inaction,il se donne un faciès déterminé. Les
finalitésgénérales d‘adaptation au milieu se dffractent ainsi en mille et une fina-
lités particulières qui pour être différentes d’un cas 8 l’autre n’en restent pas
120 Finalités de l'éducation

moins soutenues par une seule et m ê m e exigence: la survie grâce au milieu,


malgré le d e u et, s'il le faut, contre lui. Les Esquimaux et leur climat polaire
assorti d'un double rythme saisonnier,les Touaregs et leur économie de pénurie,
les Européens et leur d e u si radicalement modifié par les sophistications de la
technologie,les travailleurs du pétrole et les exigences des forages et de l'exploi-
tation en milieu strictement désertique, les Américains apparemment si victo-
rieux de l'aridité,tous tentent chacun avec les ressources de son propre génie de
répondre aux mêmes finalités: tirer le parti le medleur des ressources du milieu,
en exploiter le potentiel afin de rendre possible la survie et faire émerger la
civhsation.Il appartient A l'éducation de prendre en charge A la fois ces types de
finalité en tant que genres universels et leurs modulations en fonction du pos-
sible et du réel.
Les hommes n'ont pas seulement affaire A leur propre milieu. Ils sont en rela-
tion avec les autres groupes. Les rapports entre nations et peuples, qui sont le
plus souvent des rapports de compétition, de conflits et de luttes, créent des
spécificités qui s'inscrivent en profondeur dans la conscience collective et dans
la chair vive de la culture du groupe considéré. D e longs siècles durant, au
Maghreb, en Asie centrale et dans l'Europe médévale,la culture de la ville anta-
goniste de celle de la campagne n'est qu'une longue variation sur l'art de se
méfier de l'autre.L'autre, c'est toujours le ((Barbare)),l'envahisseur potentiel qui
peut tout aussi bien venir de très loin que surgir du plus proche voisinage. Le
((quivive)) finit par devenir une espèce de seconde nature. L'éducation la plus
saine dans ce cas particulier enseigne A être constamment sur ses gardes sans
tomber pour autant dans l'anxiété collective, ni verser dans la haine des autres
nations.
Les rapports avec ses propres antécédents dessinent un autre paquet de carac-
téristiques. L'héritage du passé, les crises qui ont jalonné l'histoire du groupe et
les réponses apportées A ces crises, tout cela contribue A particulariser encore
plus le caractère spécifique de chaque société. Or,toute éducation reprend en
charge l'héritage du passé qui burine chaque fois différemment les groupes et
donne A leurs finahtés des traits distinctifs dissemblables. Les diverses cultures
aframéricaines, m ê m e si elles répondent A des finalités similaires (maintenir,
malgré l'aliénation,malgré l'esclavageet malgré la déportation, un fonds d'iden-
tité propre), ne l'ont pas fait de la m ê m e façon selon que les contacts ont été
avec des cultures anglo-saxonnes,hispaniques,catholiques ou protestantes,dans
un d e u citadin ou sur une plantation. D'autres facteurs ont joué un rôle évi-
dent et doivent également être pris en compte c o m m e la taille de la plantation,
l'absentéisme du propriétaire, les rapports sexuels possibles ou interdits entre
maîtres et esclaves, etc.
L e génie de chaque société a une réAt6 propre: il est le conditionnant de
toute l'histoire du groupe conditionné en m ê m e temps par lui. Il est essentielle-
ment mouvant, changeant, fluctuant, dynamique ou en régression. Dire que
l'éducation doit être au service de ce génie et le mettre il profit n'a de sens finale-
ment que si l'éducation suit de très près, dans ses heurs et dans ses malheurs,
l'odysséedu groupe.U n e éducation qui n'épouse pas ces contours ne tarde pas zi
se révéler un obstacle A l'accomplissement des objectifs qui sont les siens. L a
Universalitéet spécificité 121

fonction de l'éducation ne peut être pleinement assumée que si celle-ci a su


d'abord prendre en charge la pleine complexité du réel. Toute tentative de mise
en formules définitives, toutes faites et tranchantes des finalités de l'éducation
ne peut être que catastrophique. Loin de servir le réel, elle le dessert; loin de lui
donner de l'essor, elle contribue h en freiner l'évolution. A chaque terme une fin.
Il faut donc se méfier de tout excès de théorisation et de tout a priori. Peut-
être bien l'analyse la plus adéquate réside-t-elledans la méthode typologique.
Elle permet d'éviter h la fois la générahsation systématisante et l'approche parti-
culariste et singularisantequi aboutit A se perdre dans le dédale du réel. O n ne
doit généraliser que pour retrouver des situations modèles qui ne font que faire
mieux ressortir la spécificité du type.En cherchant A dégager les hfférents types
en fonction de l'extraordinaire variété des conditionsconcrètes et de leurs impli-
cations réelles,on singularise les finalitésjusqu'h un certain point, ce qui permet
de repérer des conditions standards qui peuvent se répéter. Les finahtés de l'édu-
cation ainsi conçues peuvent permettre de tenir compte de ce qui nous était
apparu fondamental: prendre en charge les données du milieu, celles de l'hs-
toire, celles de leur dialectique, de leur continuité,mais aussi de leur disconti-
nuité et de leurs ruptures.L'éducation idéale est celle qui présuppose la compré-
hension lucide des ensembles,de leurs implications et de leurs sigmfications.
Sur ce point plus qu'ailleurs, la prudence est de règle. Il faut tout autant se
méfier des images d'Epinal que des rationalisations utopistes ou des explications
qui arrangent tant les gens. Il faut davantage être capable de dépasser les faux
dilemmes de la générahsation et de la singularisation, de l'explication et de la
compréhension,du répétitif et du lacunaire,du contenu et du dmontinu, etc. A
la structure fibreuse du réel d'une société doit correspondre une expression
fluide mais précise de ses finalités, car la fluidité n'est pas le flou.
Toute recherche donc sur les finalités doit être en mesure de dégager les
grands types de finahté, seul moyen pour elle de tenir compte h la fois de la
multiplicité des niveaux, des spécificités et des différentes sortes d'universalité.
Pour ce faire, nous avons besoin de dégager les grands critères qui permettent de
mettre en évidence les finalités de l'éducation. Les divers documents produits
par le BIE s'y sont essayés et souvent avec bonheur. Dès la réunion de Genève,il
avait été bien précisé que:
Les systèmes 6ducatifs ne peuvent pas être vraiment compris si l'on ne tient pas compte
des finalitks et des valeurs qui les animent, ainsi que des notions et thhries gtnkrales sur
lesquelles ils reposent. D o h l'importance des finalitts et des thtories dans l'analyse com-
parte de I'Uucation. Les modèles normatifs ou types ideaux ont kté prksentks c o m m e trks
utiles pour la comparaison et la classificationdes systkmes kducatifs nationaw6
D e ce point de vue, trois indicateurs ont été proposés c o m m e constituant les
composantes majeures des types idéaux en matière d'éducation: la nature de
l'homme, la nature de la société et la nature du savoir. Les participants ont
dûment insisté sur l'absolue nécessité de construire ((dansle cadre d'un type
idéal, un type actuel qui tiendrait davantage compte des réahtés d'un pays
donné. E n tout cas, on a rejeté l'importation et l'impositionde modèles d'éduca-
122 Finalités de réducation

tion étrangers dans les pays du Tiers Monde où, par ailleurs, ont été trans-
plantées des pratiques complètement coupées de leurs fondements théoriques et
philosophiques originels))'.
Il est fort instructif de voir comment les différentes réunions d'experts consti-
tuées A l'échelle régionale ont pu dégager les finalités. Les Latino-Américains
ont insisté sur ce fait fondamental que la formulation des finalités de l'éducation
est une tâche permanente de la société qui traduit ainsi ses aspirations et qui les
concrétise A un moment historique indiqué.Les finalités peuvent donc être trai-
tées A différents niveaux: celui des finalités générales, celui des finalités spéci-
fiques et celui des moyens.
L a réunion de Santiago a reconnu par ailleurs que, du point de vue sociolo-
gique, économique et politique, il existe de multiples facteurs internes et
externes qui conditionnent l'éducation dans la région. Parmi ces facteurs, on a
cité: le degré de développement de l'éducation; l'idée que l'éducation est une
condition nécessaire mais non suffisante pour l'amélioration de la distribution
des ressources; l'affirmation des potentiahtés de l'individu en tant qu'agent de
changement; la conception de l'éducation c o m m e élément de prise de cons-
cience et m ê m e du développement de la conscience critique. On a également
souligné le fait capital que, bien que les systèmes éducatifs soient apparemment
homogènes,on peut détecter de grandes différences tant qualitatives que quanti-
tatives pour ce qui est des groupes qui ont accès A ces systèmes,A leur contenu et
A leur organisation. Etant donné les conditions d'inégahté des sociétés
d'Amérique latine il était impossible de penser A une société égalitaire;mais on a
reconnu qu'une des finahtés de l'éducation était de faire un effort spécial pour
essayer d'atteindre une plus grande équité dans la qualité des chances
d'éducation.
Dans une étude de cas relative A cette régions, on note l'impossibilité de
traiter des finahtés de l'éducation au niveau de toute l'Amérique latine, compte
tenu des disparités qui existent entre les divers pays et des changements rapides
qui affectent chacun d'entre eux:
Toujours est-il qu'en rkgle générale [. ,] les finalités de l'éducation sont définies par et
.

pour une élite alors qu'elles devraient viser le devenir de l'ensemble des populations: car
c'est bien pour le changement que l'on définit des finalités.
Et ce changement doit faire dériver les finalitCs du réel vécu de l'homme concret
et non de l'homme idéal.
Cette réalité concrète,en Amérique latine, est représentée par la classe politique au pou-
voir et par les valeurs qu'elle véhicule.
C'est un tout autre type d'analyse qui nous vient des Etats arabes dont les parti-
cipants,réunis au Caire,ont estimé:
[. .]qu'une bonne méthode pkdagogique est celle qui apprend A l'enseigné:
.

- comment apprendre par lui-même;


- comment s'orienter dans la vie et travailler;
- comment se comporter avec les autres et vivre dans le respect de certaines valeurs
reco~ues.~
Universalité et spécificité 123

Ainsi la formation- c o m m e processusjamais achevé - est retenue en toute prio-


rité c o m m e la finahté numéro un de l'éducation en pays arabe.Par-del&ce souci
immédiat,les participants ont noté (contrairement semble-t-il& leurs collègues
latino-américains):
[. .]dans la différence de situations et de préoccupations entre les pays arabes un signe
.

de santé qui renforce l'idée de coopération et d'khange entre eux, et met en relief la possi-
bilité d'entreprendre une action positive en vue de consolider l'unité arabe, dans un
domaine où il s'avkre aisé de rassembler les Arabes autour d'un intérêt commun et concret
sans lequel l'unité restera un vœu pieux difficile réaliser.'O
L'ajustement de soi-même et d'autrui est retenu par les participants c o m m e
critère de finalisationde l'éducation:
Nous pouvons puiser dans notre longue histoire et dans le patrimoine universel de l'huma-
nité bien des ressources pour trouver des voies rationnellesqui nous permettent de réaliser
nos grandes aspirations,considéréesjusqu'alors c o m m e utopiques.11
Pour ((seressourcer)),les participants sont tombés d'accord sur la nécessité de
dégager ((unconsensus reflétant l'âme de la nation, son authenticité culturelle et
son esprit créateur, et orientant l'éducation vers la réalisation de ses grandes
aspirations A savoir: la formation d'un h o m m e nouveau dans une société
nouvelle))12.
Les Arabes réunis au Caire sont-ils tellement éloignés des Africains qui,
réunis A Dakar, ont ressenti ardeinment eux aussi le besoin de définir un type de
société et un type d'homme pour la servir? C e type A viser est une société auto-
suffisante,capable de se nourrir suffisamment,économiquement viable, com-
merçant sur un pied d'égalité avec le monde extérieur,ayant sa propre identité
culturelle, prônant le respect des valeurs morales et garantissant la liberté, la
justice,l'équité, le respect pour les droits des autres, la démocratie,l'égalitédes
chances pour tous sans aucune Qstinction régionale, ethmque, raciale, confes-
sionnelle ou autre. Quant & l'homme africain nouveau, il doit être capable de
satisfaire ses besoins physiques fondamentaux,être adapté A un environnement
aussi naturel que possible, faire montre également d'une très grande volonté de
travailler, être soucieux de l'épanouissement de sa personnalité tout en étant
conscient de la valeur du groupe, connaitre l'importance du changement et être
capable de s'adapter A l'une et A l'autre.L'accent est ainsi mis sur la nécessité de
s'ériger en h o m m e mûr, capable d'initiative et digne. L'Africain idéal visé par
l'éducation doit être un innovateur conscient de son identité et un agent de
changement.
Les experts d'Asie ont tenté une plus grande théorisation et systématisation
des finalités.Quatre objectifs ont été retenus: permanence de l'intégrité natio-
nale; amélioration de la qualité de la formation Qspensée; efficience et effica-
cité; apprentissage de la vie en société. A vrai dire, ce ne sont la que des expé-
riences Qverses d'une finalité plus profonde: l'autosuffisance (selj-reliance)qui
peut se diffracter, il est vrai, en cinq finalités: développement socio-économique
en fonction des besoins humains fondamentaux;égahté,justice sociale et maî-
trise du changement social;affirmation de l'identité culturelle et développement
124 Finalités de I'éducation

culturel, du respect des droits de l'homme, des libertés fondamentales et du


développement individuel; compréhension internationale;nouvel ordre écono-
mique international,
Bien sûr, en nous référant A ces quatre régions du monde (Amérique latine,
Etats arabes, Afrique et Asie), nous sommes loin d'avoir couvert la planète.
Trois autres types de situations restent A évoquer: le monde occidental,les pays
de l'Est et la Chine. Sur celle-ci,nous n'avons pratiquement hélas aucun rensei-
gnement et force nous est de laisser la question en suspens. Les Etats occiden-
taux ont fait l'objet de nombreuses références dans le présent chapitre.Pour les
pays de l'Est, le point de vue exprimé lors de la réunion de Paris porte spéciale-
ment sur l'Union soviétique. Il mérite d'être présenté. O n a rappelé en effet que
le marxisme est un humanisme et que, dans ces conditions,les finalités de l'édu-
cation se définissent A partir d'une triple relation de l'homme avec la nature,
avec lui-même et avec autrui. L'homme demeure non seulement le capital le plus
précieux mais la finahté dernière de toute éducation qui doit le prendre en
charge dans la plénitude de ses facultés au sein d'une société dont il constitue la
visée essentielle.
C'est ainsi que: des finalités de l'éducation en U R S S confèrent une impor-
tance particulière A la préservation et au développement des cultures et des
langues nationales, considérées c o m m e manifestations essentielles de l'identité
et moyens démocratiques d'accès A la culture pour tous les citoyens))'3. Il a été
souligné que d'intérêt porté aux langues et a u cultures nationales n'est nulle-
ment synonyme de particularisme ou d'exclusivisme))'4. A u contraire,une atten-
tion toute spéciale est accordée A la dmension internationalede l'éducation et A
tout ce qui est de nature h consolider la paix et A renforcer la coexistence paci-
fique et la détente entre les peuples. Enfin,il a été souligné avec force que d e
système éducatif en vigueur vise le développement harmonieux de toutes les
potentialités de l'homme, ce qui exclut la naissance des contre-culturesconsi-
dérées c o m m e produit de la lutte des classes. En effet, l'homme que tend A
former le système éducatif en Union soviétique est un h o m m e d'un type nou-
veau, fruit de la société sans antagonismes de classes))15.
Cet échantillonnage des finalités de l'éducation telles qu'elles ont été dégagées
au cours des diverses réunions du BIE constituent une excellente revue de ce que
l'on pourrait considérer c o m m e une véritable enquête internationale. L'extrême
variété des points de vue adoptés et la qualité des participants (tous gens de
valeur et placés aux premiers postes d'observation dans leurs propres pays), tout
cela donne un grand poids aux témoignages ainsi récoltés et aux avis pertinents
exprimés. Il nous paraît utile de tâcher d'approfondir, en les comparant entre
eux, les divers points de vue exprimés.
Dans les pays en développement, l'adoption primesautière, imprudente et
sans réserve d'un modèle copié sur les métropoles est largement responsable de
leur aliénation éducative. C e diagnostic fait l'unanimité; tout c o m m e sa dénon-
ciation. Fortement éloignés des réalités du Tiers monde, les divers systèmes mis
en place ne peuvent que partiellement aider A ((trouverdes solutions adéquates A
des problèmes spécifiques)).E n ce sens, et en ce sens seulement,il ne saurait y
avoir d'universalité dans les finalités faute d'une similitude dans les objectifs. La
Universalité et spécificité 125

réunion de Genève a bien mis l’accent sur les significationsprofondes et raison-


nées de ces ((refusdes modèles étrangers)).Il ne signifie pas au demeurant que:
[...]l’on veuille se replier sur soi, et n’exclut pas les échanges d’expériences et d’infor-
mations avec les pays industrialisés. L‘option en faveur du modkle étranger a été faite par
l’élite dominante, en vue de perpétuer ses propres pouvoirs et privileges [.. .]La crise de
l’éducation dans le Tiers-Monde est, avant tout,une crise des finalités.Pour la surmonter,
il faudrait commencer par répondre B la question: (téducation pour qui et A quelle fin?))
Les finalités de l’éducation dans le Tiers-Mondene pourront €tre redéfinies que si au préa-
lable on assure aux masses des conditions de vie décentes. C‘est une grave faute que de
penser que les masses ont simplement besoin d’apprendre A lire et A écrire [.. .Il6
Par ailleurs, un nouveau type d’intellectuel est apparu nécessaire, intellectuel
capable d’assurer la dialectique travad manuel-travad intellectuel, théorie-
praxis. L a solution A trouver n’est pas seulement abstraite ou pédagogique; elle
est une œuvre qui se prolonge dans l’action collective et dans les processus de
l’éducation.C‘est l’enracinementde la science et de la technologie dans la réahté
sociale,économique et culturelle qui fait problème dans les pays en développe-
ment alors que, pour les pays d’occident, le problème est davantage l’expansion
de la science et de la technique et de leur prolongement dans la réalité courante.
La greffe de la pensée technicienne sur une réalité culturelle non technicienne
pose des problèmes énormes, diffides et douloureux. L‘action éducative et la
pensée pédagogique ne sont que des paliers qui subissent les contrecoups des
choix globaux en matière de développement.
L a première différenciation des finalités de l’éducation se fait donc en fonc-
tion du degré de développement.Les pays du Tiers monde ressentent avec plus
d’acuité que les autres les problèmes de la spécificité. La crainte de se perdre,
renforcée par toute une série d’échecs retentissants de l’éducation, amène une
bonne majorité des éducateurs du Tiers monde h se méfier jusqu’h l’obsession de
tout modèle occidental. N’en doutons pas, ce n’est pas l’universalité qui est
récusée,c’est l’occidentalocentrisme qui se tapit derrière une façade d’universa-
lité. Seule une rigoureuse distinction du vrai universel du faux peut lever les mal-
entendus.
Le danger inverse n’est guère moins pernicieux. On ne peut ignorer l’homme
et on doit ((apprécier l’éducation c o m m e une valeur en soi)). La réunion de
Genève, tout en soulignant l’importancedes valeurs traditionnellesdans l’élabo-
ration de modèles spécifiques pour les pays du Tiers monde, a relevé qu’aune
sélection s’impose afin de retenir les modèles qui peuvent être utilisés dans les
conditionsactuelles))”. Avec sagesse on a noté:
O n doit se garder de toute mythlsation du passe et de la tradition; ceux-cipeuvent servir
de sources d’inspiration, mais A condition qu’ils soient mis au service de sources du déve-
loppement de la société.I8
L a spkificité et l’originalité n’ont pas été considérées c o m m e des valeurs éter-
nelles,mais plutôt c o m m e des conditions qui peuvent aider h mettre en place un
système éducatif indépendant capable de satisfaire la demande sociale dans le
domaine éducatif et culturel.
126 Finalités de réducation

A l’échelledu Tiers monde au moins,il y a une relative communautédes fina-


lités. Parmi celles qui sont retenues par les diverses réunions régionales,il n’en
est aucune qui soit a la h t e récusablepar quiconque. Presque partout,l’éduca-
tion est appréhendée comme l’institutionpar excellence qui permet le dévelop-
pement et qui arme les hommes par la transmissiondu savoir,du savoir faire,du
savoir être et du savoir penser.Une culture n’estpas un patrimoine A prendre en
charge mais un capital li mettre en valeur.L‘éducation ne saurait se réduire a un
système de reproduction - encore moins d’auto-reproduction.Encore faut-il
avoir quelque chose A gérer.Aussi, la première fonction de l’éducation est-elle
conservatoire. Elle doit d’abord garder et préserver. L‘éducation est aussi
maintenance d’unpatrimoine.Si avec tant d’énergie on récuse les modèles occi-
dentaux,ce n’est pas tant parce qu’ils sont universels ou importés que parce
qu’ilsont été en fait destructeurs.Le péché originel de ces modèles,c’est d’avoir
été les instrumentsplus ou moins consentantsde tant d’ethnocides.
Préserver ce qui fait la richesse de nos cultures,voila en partie notre contribu-
tion ?i l’universel.L‘éducation doit faire prendre conscience de cette richesse et
apprendre A la faire aimer.Dans une de ces pages si belles dont elle a le secret,
Marguerite Yourcenar,parlant des negro-spirituals,note:
Tout homme, et m ê m e l’ouvriernoir des marécages de la Géorgie, est le légataire universel
de toute l’histoire.Humblement, fortement,par un de ces miracles de lente transmission
qui font que rien tout A fait ne se perd, pas m ê m e les trésors les plus fragiles ou les plus
méconnus, le chanteur ntgre, illettré, analphabète, placé semble-t-ilau dernier degré de
l’ignorance humaine,hérite de mystiques et de saints dont il n’importe pas qu’il sache les
noms.
L‘éducation vraie est celle qui voit en tout homme le ((légataireuniversel)) de
tout le patrimoine humain,aussi bien l’occidentalque celui des autres contrées
du monde. Mais le meilleur légataire, c’est encore celui qui fait fructifier son
legs. Aimer le patrimoine en le recréant. L‘activation et la réactivation
permanentes du passé impliquent des responsabilitésparticulières et qui sont bel
et bien de l’ordredu présent et de l’ordrede l’avenir.La spécificité des finalités
assignées a l’éducationimpliqueun effort continu de réactualisationpermanente
des valeurs.Celles-ci,pour étemelles qu’ellessoient,ne sontjamais données une
fois pour toutes.Elles perdraient au contraire toute signification si l’imagination
créatrice des hommes ne s’évertuaitpas a force d’innovationset de créativité A
leur trouver A chaque fois une nouvelle dimension actuelle. O n n’aura jamais
cessé d’inventerle passé et de le représenter.
La dimension de cette réincarnation axiologique peut changer avec les cir-
constances et avec les exigences du moment. L‘éducation en acte est un carre-
four où se rencontrent,se brassent et s’affrontentdes finalitésuniverselles et des
finalitCs spécifiques.L‘éducation doit orchestrer,harmoniser ces types de fina-
lités. Avec souplesse bien sûr,pour donner un sens A la relativité des choses et
pour apprendre aux hommes de demain le caractère sacré des messages inhé-
rents A leur propre passé.
Il ne s’agit pas d’occulterles difficultés,les divergences,les antagonismes et
les conflits entre les différentes cultures et,au sein d’une même culture,entre les
Universalitéet spécificité 127

divers intérêts des groupes en présence. Mais la finalité qui n’est jamais donnée
d’avance est un choix, ou au contraire un dépassement,mais toujours une créa-
tion. Et c’est d’ailleurs de l’aptitude A se dessiner A soi-même ses propres fina-
lités et A en inventer les moyens de réalisation que se mesure la vitalité d’un sys-
tème éducatif et, A travers lui,celle de la société globale.
O n réalise alors qu’au fin fond de la plus stricte spécificité gît l’universel.
Toutes les réunions régionales d’experts ont insisté sur le sens de l’homme
c o m m e fin dernière de l’éducation.
L‘idée africaine de l’autosuffisance,le souci arabe d’être maitre de soi, de se
hisser A la hauteur de son passé et de forger son propre destin,l’idéal de libéra-
tion latino-américain, le rêve socialiste d’un h o m m e nouveau et l’intégrité
ardemment revendiquée par l’Asiatique ne sont que variations sur un m ê m e
thème. Avec des accents différents, c’est le sens de la valeur qui est en cause.
Justice, liberté, dignité, accomplissement de soi-même,intégritk et dépassement
sont des fins universelles, des valeurs étemelles, inahénables et qui portent la
marque de l’homme.Le problème n’est jamais d’adhkrer ou non A ces valeurs, il
est d’oeuvrer A les réaliser hic et nunc. Le problème n’est pas tant de concevoir les
finalités que de chercher A leur donner un contenu précis et A les enraciner. Tel
est le sens de l’authenticité,mieux encore de l’authentificationdes valeurs. La
meilleure façon d‘enraciner une valeur c’est encore de la traduire en termes de
spkcificité.
L‘éducation est synthèse ou n’est point. Elle travadle le concept mais avec un
éclairage théorique;elle burine le réel mais avec des visées idéales; elle construit
le présent mais y faisant entrer le passé et l’avenir.
A juste titre le Nouvel ordre économique international (NOEI)a été longue-
ment évoqué par la réunion de N e w Delhi. C e n’était pas céder A l’attrait de
I’actuahté.La revendication d’un nouvel ordre économique mondial peut et doit
être traduite en termes de finalités de l’éducation.Atteindre la spécificité est une
exigence lancinante ressentie par toutes les rencontres d’experts et ce en raison
m ê m e du caractère imposé des modèles ((pseudo-universels))de l’éducation.
L‘identité qui ne veut pas tomber dans le folklorisme doit remonter aux vraies
sources de soi qui, pour être singulières,ne sont guère pour autant particulières.
Mais l’universalité en acte est, elle aussi, quête et conquête. Faute de quoi les
finalités spécifiques ne seraient que les ahbis d’une révolte pathétique mais
condamnée A terme.
Singulières sans être particulières, elles sont communes sans être semblables.
La vraie spécificité n’aboutit pas A l’exaltation d’une race ou d‘une tradition
privilégiée. Elle doit éviter l’archkologismequi prétend enfermer la création dans
une sorte de primitivisme condamné d’ailleurs A se refuser des prolongements.
Le retour aux sources qui ne serait qu’un système de dkfense - une des seules
armes A la portCe des peuples opprimés - peut constituer un terrain de repli, un
moyen de se mettre en attente de jours meilleurs. Cette position provisoire et
tactique se justifie en pkriode de domination coloniale. Elle ne sied pas A un
peuple qui veut s’affirmer dans la liberté.
L e caractère revendicatif, contestataire, voire parfois subversif du NOEI
montre que nous sommes parvenus ii une autre étape des relations intematio-
128 Finalitès de l'éducation

nales. Le Tiers monde n'est plus seul A assigner de nouveaux objectifs A la


communauté mondiale: les Nations Unies, l'Unesco, les autres organisations
internationales,les organisationsnon gouvernementaleset beaucoup d'instances
parmi les plus autorisées du monde occidental et des pays de l'Est se solidarisent
avec lui pour réclamer plus d'équité dans les échanges et dans la fixation des
prix des matikres premibres, plus de justice dans l'expression et dans l'accès aux
moyens d'information tout c o m m e A la science et A la technologie,plus d'égalité
dans les rapports politiques internationaux et plus de respect pour la culture des
autres. C e qui implique que de nouvelles finalités soient assignées A l'éducation
partout dans le monde, aussi bien dans les pays riches que dans les pays en déve-
loppement. Combattre le racisme sous toutes ses formes, enseigner le respect
des droits de l'homme, lutter contre l'exploitation abusive des richesses et de la
main-d'œuvre des pays anciennement colonisés, apprendre A voir du m e m e œil
travailleurs immigrés et travailleurs nationaux, faire aimer la nature pour en
limiter la destruction au strict nécessaire, autant de finahtés qui doivent consti-
tuer pour l'éducation de nouvelles voies A ouvrir.
Le NOEI est un humanisme conjugué avec le naturalisme; il représente A
l'heure actuelle un carrefour où se rencontrent les diverses cultures et les divers
courants d'idée. Il doit pouvoir s'exprimer aussi au niveau de l'éducation. Il
constitue en tout cas une plate-forme d'action internationale en faveur de la
paix, de la justice et de l'amitié entre les peuples. Dans la mesure où il est en
passe de faire le consensus entre les divers partenaires, il peut être éngé en fina-
lité universelle et servir de point de confluence de toutes les finalités spécifiques.
Il appartiendra aux éducateurs dans toutes les parties du monde et aux organisa-
tions internationales de lui donner un contenu pratique concret.

NOTES ET RXFXRENCES
1. Reuchlin, M.L'enseignement de l'an 2000: le problème de l'orientation. Paris, Presses
universitaires de France, 1973,p. 97.
2. Ibid.,p. 7-8.
3. Rtunion du Groupe de consultants sur ((Lesfinalitts et les thtories de l'éducation))
organiste conjointement par la Division de la philosophie et le Bureau intema-
tional d'tducation, 2e, Paris, 1976. Rapport final. Paris, Unesco, 1976, p. 3-4.
(SS.BIE.76/CONF.645/10)
4. Réunion du Groupe de consultants sur les ((Finaliteset théories de I'tducation))orga-
nisée conjointement par la Division de la philosophie et le Bureau intemational d'tdu-
cation,Genkve, 1975. [Rapportfinal]Paris,Unesco, 1975,p. 9.(ED.75/WS/67)
5. Ibid.,p. 10.
6. Ibid.,p. 3-4.
7. Ibid.,p. 4.
8. Rkunion du Groupe de consultants ...,2e, Paris, 1976. Op. cit.,p. 5-6.
9. Séminaire sur les objectifs futurs de l'éducation dans les pays arabes, Le Caire,1978.
Rapport final.Le Caire, Bureau rtgional de l'Unesco pour l'tducation dans les pays
arabes, 1978,p. 13.
Universalité et spécificité 129

10. Ibid.,p. 15.


11. Ibid.,p. 16.
12. Zbid.,p. 16.
13. Réunion du Groupe de consultants ...,2e, Paris,1976.Op.cit., p. 10.
14. Zbid.,p. 10.
15. Zbid.,p. 10.
16. Réunion du Groupe de consultants ...,Gen&ve, 1975.Op.cit., p.6.
17. Ibid.,p. 7.
18. Ibid.,p. 7.
CHAPITRE QUATRE
Finalités et résultats
par R.Girod

E n principe, l’enseignement devrait se régler non seulement d’après des buts


jugés désirables a priori, mais encore d’après les résultats effectivement atteints.
Chaque étape nouvelle devrait consister B améliorer ces résultats après avoir
examiné soigneusement pourquoi ils n’ont pas été plus considérables au cours
des étapes antérieures. Nous n’en sommes pas 18. Cependant, sur certains
points, les recherches de diverses catégories de spéciahstes fournissent des indi-
cations intkressantes. Nous verrons quelques-unes des conclusions les plus
importantes de tels travaux, après une premibre section donnant un aperçu
d‘ensemble du champ de l’évaluation des systèmes d’enseignement et des poli-
tiques de l’éducation.

L‘I~VALUATION
L’évaluation peut se faire B différentes échelles,du contrôle journalier des résul-
tats d‘un élève B l’ktude critique du degré de rationalité et d’efficience d‘un sys-
tème d’enseignement (ou d’une politique de l’enseignement). Entre ces extrêmes
s’intercalent,par exemple, les travaux relatifs aux mérites comparés de diverses
méthodes didactiques, aux effets d’une réforme intéressant telle ou telle caté-
gorie d’établissements,au fonctionnementd’une Ccole, aux incidences d’un stage
ou d’un séminaire, etc. Les remarques qui suivent se rapportent exclusivement h
l’évaluation des systèmes et des politiques de l’éducation’.
A cette échelle,le champ de l’évaluationconcerne notamment, en principe:
1. Les buts (finalitks et objectifs). Cohkrence des rapports entre objectifs et finalitks.
Buts explicites et implicites.Compatibilitk entre les buts du systkme d’enseignement et
de la politique de l’kducation et ceux des autres chapitres de la politique fondamentale
du rkgime, ainsi que ceux du gouvernement en place au moment considkrk (sa poli-
tique de l’emploi,de la culture, etc.). Rapports des buts du systkme d’enseignement et
de la politique de l’bducation avec les aspirations spontanks et les besoins vécus de
diverses catbgories sociales et rkgions.Rapports avec les exigences du dkveloppement
kconomique, social,culturel et politique et aussi avec les principes de justice, aux yeux
d‘experts,de penseurs,de reprksentants d’Eghses,de partis,de mouvements sociaux.
2. La gestion.Politique du personnel, des constructions,etc. Finances.Degrb de rationa-
lit6 de leur utilisation. Gaspillage.L‘enseignement comme entreprise. Les comptes de
l‘kducation.
Finalités et résultats 131

3. La nature et la qualité des moyens de travail et de l'enseignement dispensk. Equipe-


ment. Organisation des ktudes. Programmes et méthodes.
4. Les transformations effectives que les réformes entraînent quant & la nature et & la
qualité de l'enseignement dispensé.
5. Les effets que les directives ordinaires du gouvernement et des administrationsont, en
pratique, sur la nature et la qualitk de l'enseignement dispensé. Le processus de trans-
mission de ces directives. C e qu'il en reste au point d'arrivée & l'khelon de l'ensei-
gnant et ce qui se traduit par des actes de la part de celui-ci.U n courant d'information
remontant va-t-il de la base au sommet? Questions analogues & propos des relations
entre enseignants et instituts de recherche pkdagogique.
6. Les flux d'élkves. Progression normale, redoublements, abandons. Classement selon
les notes. Répartition par sections et genres d'établissement. Apprentis et étudiants.
Flux de sortie.Répartition par diplôme. Durée des études.
7. L'origine sociale des élkes des diverses catégories que déterminent ces flux (les bien et
les mal classés, les apprentis et les étudiants,etc.), y compris des personnes qui partici-
pent &des programmes d'éducation des adultes.
8. L a formation et la condition des enseignants. La qualité de la formation.Les salaires.
Conditions de travail. Statut social. Degré de participation des enseignants aux déci-
sions qui les concernent.Influencepolitique des milieux pédagogiques.
9. L e s probkmes que la frkquentation de l'école entraîne quant au transfert des klkves, &
leurs loisirs, &la vie de leur famille.Question de l'internat.
10. Les effets cognitifs, affectifs et micro-sociaux que les études ont dans l'immédiat,
c'est-&-dire au cours de leur déroulement: du premier jour d'école maternelle au
diplôme final ou &l'entréedans la vie pratique sans diplôme (et du premier au dernier
jour des périodes d'éducation des adultes intervenant ensuite le cas kchéant). Progrks
des connaissances.Satisfactions et frustrations.Modifications de certaines attitudes et
kventuellement d'aspects plus fondamentaux de la personnalité. Rapports entre
élkves, entre enseignants et Bkves, et place de chacun de ces derniers dans le systkme
social que constitue l'hle: dominants et dominks,marginaux,déviants.
11. Les effets immédiats de la culture physique et des contrôles de santé que comporte
l'enseignement. C'est-&-dire supplkment d'aptitude physique et de santé qui résulte de
18 chez les klkves en cours d'ktudes.
12. Les effets cognitifs et affectifs & long terme des études. Ceux qui sont enregistrés en
aval de ces dernikres, au cours de toute la vie adulte. La valeur ujoufbe qui vient des
études, au point de vue du niveau de culture et de compétence des individus, ainsi que
du degré de développement de leur personnalitt. Y compris ktudes et sens moral,
études et opinions,études et aptitude ti faire face aux responsabilitksfamiliales,ktudes
et délinquance,etc.
13. Les effets des études sur le travail et la carri&re des individus. Degré de correspon-
dance entre les flux de sortie du systkme d'enseignement et les besoins de l'éwnomie.
Attitude face au travail. Part des compétences rklles qui vient de l'enseignement.
Etudes et revenu. Influences de l'enseignement sur la productivité. Rendement des
investissements kducatifs en termes de PNB. Disparités économiques entre rkgions.
Problkmes de l'influence du dipli3me comme tel, indépendamment des capacités
réelles,sur les affectations professionnelles.
14. Les effets & long terme (chez l'adulte) des études sur le statut social des individus et
sur leur degré d'intégration sociale.
132 Finalités de réducation

15. Les effets A long terme sur la santé de l'adulte des programmes d'éducation physique
et des contrôles médicaux de l'époque des études.
16. Les effets de l'enseignement sur l'état des rapports sociaux et sur leur évolution. Vie
de famille.Cohésion sociale, marginalité, violence, etc. Mouvements sociaux.Vie poli-
tique.Renforcement de la démocratie.Vitalité culturelle de la collectivité.Eventail des
inCgalités.
17. Les effets de l'enseignement sur les rapports internationaux et sur leur évolution.
Compréhension internationale.
C e sont les eflets ù long terme (12 A 17)qui importent le plus. L'enseignement est
conçu c o m m e une machine 9 les produire. C'est 18 sa fonction majeure.
Les effets qu'il a ù court terme sur les élèves (9 A 11) ne sont certes pas 8
négliger pour autant: ils sont censés préparer les effets 8 long terme et, en outre,
ils sont importants par eux-mêmes en tant qu'ils contribuent 9 déterminer la
qualité des phases de la vie qui sont consacrées aux études. A noter que, de ce
point de vue, ce sont les satisfactionsvécues que les études procurent ainsi dans
l'immédiat qui ont le plus d'intérêt. Le progrès des connaissances réalisé au
cours des études n'a de sens que s'il provoque de telles satisfactionsimmédiates
(plaisir de la découverte, admiration face 9 de grandes œuvres, amusement en
d'autres occasions, etc.) et que s'il se traduit, 8 long terme, par un supplément
durable de culture, de compétence, d'aptitudes 9 se perfectionner, de valeur
humaine. Le problème de la formation et de la condition des enseignants (8)
constitue un chapitre h part.
Les rubriques 2 A 5 concernent les moyens mis en œuvre. Les flux d'tlèves et
l'origine sociale de ces derniers (6 et 7) sont des faits qui sont moins intéressants
en eux-mêmes que par leurs incidences.Les redoublements,par exemple, alour-
dissent les dépenses d'éducation. Ils sont par ailleurs susceptibles d'avoir des
effets sur les connaissances,la personnalit6 et l'avenir professionnel des Clèves
concernés.
C'est par rapport aux buts (1) que l'évaluation des effets (9 8 11) est 8 mener.
C o m m e il n'y a pas unanimité sur tous ces buts, une certaine pluralité des
échelles d'évaluation est normale.
Les pages qui suivent se rapportent A trois thèmes: action du système d'ensei-
gnement et de la politique de l'éducation quant au développement du savoir, au
développement économique et A la mobilité sociale. Le premier thème corres-
pond 9 la partie cognitive des rubriques 10 et 12 ci-dessus;le deuxième relève
d'une partie de 13 et le troisième est 8 l'intersection de certaines parties de 7,de
13 et de 16.

EFFETS COGNITIFS DE L'ENSEIGNEMENT

La nature et le niveau du savoir de l'individu dépendent de causes multiples.


L'enseignement n'est que l'une d'elles.
Il commence h agir alors que des Ctapes capitales de ce développement cogni-
tif sont dCj9 franchies. Pendant la période des études,il intervient,9 côté de tous
Finalités et rksultats 133

les autres facteurs en jeu: les caractéristiquesbiologiques du sujet, son tempkra-


ment, ses relations affectives avec ses proches, le type de culture et la condition
sociale et matérielle de la famille,les activitks hors école,les media, etc.
En aval des études, celles-ci n’exercent qu’une influence indirecte sur le
devenir des connaissances. Il n’y a donc pas de raison de supposer que le
rapport études-savoirsoit strict.Néanmoins, en principe,la croissance quantita-
tive du système d’enseignement (budget accru, plus d’écoles, d’enseignants, de
conseillers en psychopédagogie,études plus longues, etc.) et son perfectionne-
ment quahtatif (meilleure organisation, meilleure pédagogie, etc.) devraient se
traduire dans l’ensemble, ti l’échelle de toute la population, par une &lévation
générale du niveau des connaissances.D e plus, en moyenne, plus les individus
ont poussé loin leurs études et les ont accomplies dans de bons établissements,
plus ils devraient être instruits. La nature du savoir devrait enfin dépendre
nettement du genre d’études: section classique ou pratique, école d‘ingénieurs
ou faculté de droit,etc.
Vérifier jusqu’ti quel point il en est effectivement ainsi n’est pas chose
courante.

Evolution générale: l‘alphabétisation


Le seul aspect de l’évolutiongénérale du savoir qui soit relativement bien éclairé
est l’alphabétisation.Des statistiques ad hoc fournissent ti ce sujet des renseigne-
ments assez abondants. Les critbres utilisés varient quelque peu. ((Estparfois
considéré c o m m e alphabétisé celui qui sait lire les lettres de l’alphabet.Adleurs,
il faut pouvoir déchiffrer un texte d’une longueur convenue))*.Dans certains tra-
vaux, c’est la capacité des époux ti signer leur acte de mariage qui sert de critère.
Sur la base de ces définitions diverses, les personnes qui ne possèdent pas du
tout,ou seulement de façon tout ti fait insuffisante,la capacité d’écrire ou de lire
sont dénombrées.O n sait que, de nos jours,l’effectifdes illettrés augmente,mais
moins vite que celui des alphabbtes. L e pourcentage des analphabktes est donc
en diminution. D’après les estimations des experts, parmi les personnes de
15 ans et plus, il y avait sans doute dans le monde, en 1950,environ 879 millions
d’alphabbtes et 700 millions d’analphabètes. Les premiers représentaient par
conséquent 56% de la population mondiale de 15 ans et plus et les seconds 44%.
Par suite de l’effet combiné de l’évolution dkmographique et des progrès de
l’instruction,les alphabètes de 15 ans et plus étaient environ 1,548 d a r d en
1970 (68%) et les analphabètes, environ 742 d o n s (32%). En 1990,il y aura
sans doute prts de 2,6 milliards d’alphabttes (74%) et 884 millions d’analpha-
bbtes (26%). ((Ainsi,au bout de ces vingt ans, il y aura certes 142 millions d’anal-
phabètes de plus, mais en revanche il y aura aussi 1.012 millions d’alphabètes de
plus, ce qui représente un accroissement sept fois supkrieur ti celui des anal-
phabètesV.
L‘apprentissage de la lecture et de l’kcriture est le produit: a) des conditions
de Vie et de travail (y compris media); b) en m ê m e temps que de la scolarisation
accrue de la jeunesse; c) de campagnes d’alphabétisation des adultes. Les fac-
teurs a) correspondent ti ce que l’on peut appeler l’école de la vie; les facteurs b)
134 Finalités de I’éducation

et c) représentent l’action de l’enseignement. Ekole de la vie et enseignement


agissent en interaction.Démeler ce qui revient en propre au second est ardu.
A cet égard, il est intéressant de noter que, d’une façon générale, pour une
génération donnée d’adultes,le taux d’analphabétisme a plut& tendance 8 légè-
rement diminuer avec l’avance en âge. Cela découle d’observations consistant 8
relever ce taux pour des groupes d’âge lors de recensements ou enquetes succes-
sifs. Par exemple, les personnes qui avaient 25-34 ans lors d’un recensement
effectué en 1960 et les personnes qui avaient 35-44 ans en 1970. Il s’agit du
m e m e groupe d’âge, 8 10 ans d’intervalle. Les cas dans lesquels le taux d’anal-
phabétisme d’un groupe d’âge augmente avec le temps sont moins nombreux
que les cas contraires. Cette amélioration est plus marquée chez les jeunes
adultes que dans les cohortes plus âgées. D’après les experts de l’Unesco, il est
vraisemblable que cela est dû en bonne partie aux campagnes d’alphabétisation
des adultes, auxquelles les jeunes illettrés ont davantage tendance 8 participer
que les illettrés plus âgés. U n e partie des adultes sortent aussi de l’analpha-
bétisme sans suivre d’enseignement formel.
Il faut aussi tenir compte du caractère approximatif des indications recueil-
lies. Il n’est pas exclu que les personnes qui sont juste 8 la limite de l’alphabéti-
sation (savent très vaguement écrire et lire) aient moins tendance 8 se déclarer
illettrées étant jeunes que plus tard. L a mortalité différentielle joue sans doute
aussi: l’analphabétismeest lié 8 des handicaps personnels, économiques,cultu-
rels et sociaux qui sont aussi en corrélation avec la mortalité4.
Etudiant les étapes de l’alphabétisation en France, F. Furet et J. Ozouf ont
constaté aussi que le taux d’analphabétisme des adultes avait eu tendance 8
diminuer avec leur avancement en âge, au XIXe siècle5.C e qui est vrai 8 cet
égard pour le Tiers monde aujourd’hui l’a été autrefois dans les pays industriels.
L‘outd principal de l’alphabétisation est, d’une façon générale,l’extension du
taux de scolarisation primaire. Dans les pays en développement pris globale-
ment, le pourcentage des enfants de 6 A 1 1 ans qui fréquentaient une école a
passé de 46% en 1960 8 58% en 1970. Pour 1980,les estimations donnent 6 5 W .
Il résulte de 18 un écart massif entre générationsjeunes et population plus avan-
cée en âge, du point de vue du taux d’analphabétisme: 31% d’illettrés en 1980,
dans les pays en développement,chez les jeunes de 15 8 19 ans,contre 48% pour
l’ensembledes personnes de 15 ans et plus’.
L‘action éducative concernant les adultes n’en est pas moins utile pour
consolider les connaissances des individus qui ont été scolarisés et pour réduire
l’analphabétismedu reste de la population.
Les résultats de l’évaluation des programmes d’alphabétisation des adultes
ont conduit 8 reconsidérer leurs buts et leurs méthodes. C‘est sans doute 18 l’un
des aspects les plus évidents du feed-back de l’évaluation sur la politique de
l’éducation.
Le Programme expérimental mondial d’alphabétisation (PEMA)a exercé 8
cet égard beaucoup d’influence. Financé par les Nations Unies, il a été exécuté
sous l’égide de l’Unesco.Il comprenait une série d’expériences pilotes réaliskes
dans onze pays et qui ont donné lieu 8 des travaux d’évaluation. Commencé
aprBs une conférence qui eut lieu 8 Téhéran en 1965,il se termina en 1975. S’il a
Finalités et résultats 135

fait faire de grands progrès 11 la stratégie de l’alphabétisation des adultes,ce fut


surtout en montrant que le rendement des pratiques, relativement classiques,
employées dans le cadre des expériences pilotes qui le constituaient était très
limité. Le taux de déperdition enregistré dans le cadre de ces expériences a été
élevé: environ un adulte sur deux a abandonné avant la fin du programme. D e
plus, faute d’occasions d’entretenir et d’appliquer leurs connaissances toutes
fraîches, une grande partie des participants sont retombés rapidement dans
I’analphabktismea.
L‘accent est mis dksormais moins sur l’apprentissage de la lecture et de l’écri-
ture considéré en lui-mêmeque sur la compétence fonctionnelle:comprendre de
façon plus lucide la situation de sa collectivité et être capable de faire face
convenablement aux problèmes de la vie de tous les jours. L a compétence fonc-
tionnelle est 11 définir, dans chaque cas, en fonction des besoins réels des groupes
qui participent 11 un programme d’éducation des adultes, dans la perspective du
développement économique, social, culturel et politique de leur milieu spéci-
fiqueg.
Bien que la portée des programmes d‘alphabétisation des adultes soit restée
dans l’ensemble limitée,de grands succès sont mentionnés B propos de certains
d’entre eux.
Les experts discutent B propos de la priorité B accorder, pour mieux com-
battre l’analphabétisme,soit aux investissements en faveur de l’enseignement
primaire, soit aux campagnes pour adultes.
C o m m e indiqué plus haut, d‘une façon générale,la scolarisation primaire est
la condition majeure de l’éradication de l’analphabétisme.Mais,compte tenu
des degrés de développement d’un pays donné,il peut ntanmoins apparaître que
l’effort principal est 11 réserver pour un temps aux programmes visant 11 instruire
les adultes illettrés,ou plutat des adultes Illettrés: ceux qui peuvent profiter le
plus de l’alphabétisation et apporter la contribution la plus nécessaire au déve-
loppement. Ils agiront rapidement. Les enfants d’aujourd’hui, en revanche, ne
produiront et ne contribueront 11 la vie politique que dans dix, quinze ou vingt
ans. Il n’en reste pas moins que l’analphabétismene peut &tre éliminé définitive-
ment qu’en plusieurs décennies,et que la condition clé pour y parvenir est de
scolariser tous les enfantslo.
A u total, le recul de l’analphabétisme,s’il est favorisé par le changement
social, qui améliore les conditions matérielles d’existence et rend la population
plus favorable 11 la scolarisation, est certainement B porter largement au crédit
de l’enseignement primaire. L’éducation des adultes contribue par ailleurs dans
une certaine mesure 11 ce progrès particulièrement important.

Evolution générale: autres aspecîs


L‘élévation du niveau formel d’instruction de la population a été tenue jusqu’ici,
11 peu près par tout le monde, pour un signe fiable de la réalité du progrès des
connaissances.C‘est une erreur.
Seule, sauf exceptions, l’alphabétisation a donné lieu 11 des relevés ne consis-
tant pas simplement 11 classer les individus d’aprèsla nature et la quantité (durée
136 Finalitès de l’éducation

de l’enseignementreçu,niveau formel d’instruction), mais par rapport A un seuil


de capacité réelle,établi au moyen de tests,d’actesconservés dans des archives
ou de questions ad hoc. Le seuil de l’alphabétisationest très bas. Il ne concerne
que les rudiments de l’écritureet de la lecture.
Quelle est l’évolution en cours dans d’autres domaines (calcul,langues étran-
gères,histoire,qualificationsprofessionnellesde tout genre,etc.) et par rapport
A d’autres seuils? La barre peut être fixée,par exemple,au niveau,très modeste
encore,de ce que doivent savoir en principe des élèves des derniers degrés de
l’éCole primaire. Combien d’adultes avaient, après avoir quitté l’école depuis
plus ou moins longtemps,des connaissances réelles de ce niveau en 1960,en
1970,en 1980? Il serait très intéressant,et utile,de le savoir.Les critères choisis
pourraient être un peu plus élevés ou très élevés. Ces derniers serviraient esti-
mer la fraction de la population qui possède une culture de grande qualité et des
compétencesprofessionnellestout A fait supérieures.
La réalisation des observations nécessaires n’offre pas de difficultés insur-
montables pour ce qui est de la situation présente. Certains aspects de l’évolu-
tion passée pourraient sans doute être reconstituésd’aprèsdes archives,compte
tenu notamment de tous les tests administrés par des services de recrutement
militaire ou des offices du personnel. Sans parler des résultats des examens
passés dans les écoles,centres d’apprentissageet universités.
CertainsCléments,très fragmentairesencore,montrent en particulier que:
- Le niveau des connaissances générales (lecture et compréhension de textes, sciences
notamment) des élèves de 10 et de 14 ans était encore, vers 1970, beaucoup plus bas
dans le Tiers monde que dans les pays industriels.
- Entre pays industriels,il y avait alors au contraire peu de différence quant aux rksultats
de ces mêmes klèves de 10 et de 14 ans dans les mêmes branches générales.Au surplus,
les modestes diffkrences séparant nkanmoins ces pays ne paraissent pas, pour autant
qu’on en puisse juger, être liées systkmatiquement au degrk prkis de développement
économique et social du pays. Ces remarques se rapportent B des pays tels que les Etats-
Unis,la Hongrie, la Finlande,le Royaume-Uni, la SuMe, le Japon, la Belgique, l’Italie
et les Pays-Bas.Faut-ilconclure de 18 que, tant qu’il s’agit des phases initiales du dkve-
loppement économique et social, celui-ci conditionne fortement le niveau réel des
connaissances, mais qu’ensuite ce niveau est davantage fonction d’autres facteurs? A
noter qu’il ne s’agit apparemment pas du rkgime politique, ni du type de systkme
d’enseignement, puisque les pays industriels considkrés diffèrent sous ces deux rap-
ports. Mais la comparaison est trop rudimentaire;elle est limitée B trop peu de pays
pour qu’il soit possible de faire autre chose, pour le moment, que de soulever de telles
questions.
- Dans les pays industriels,A en juger par le cas de la Suisse, il se pourrait que, pour ce
qui est encore des connaissances générales correspondant approximativement aux
niveaux dont il vient d’être question, la situation soit bloquée. E n effet, la proportion
des jeunes hommes d’une vingtaine d’années qui échouent B des exercices correspon-
dant en gros B ce qui est enseigné aux degrés primaires obligatoires ktait en Suisse,
semble-t-il,du m t m e ordre de grandeur en 1975 qu’A la veille de la guerre de 1914-18:
environ le quart ou le tiers de leur groupe d’âge. Aux Etats-Unis,la proportion des
adultes n’ayant pas un degré suffisant de compttence fonctionnelle est assez semblable
de nos jours.Le seuil de la compétence fonctionnelle,telle que celle-ciest définie dans le
Finalitks et résultats 137

contexte des Etats-Unis,est proche du niveau des C O M ~ ~ S S ~ ~deC niveau


~ S approximati-
vement primaire auxquelles se rapportent les donnbs suisses. Autrement dit, dans de
tels pays, la grande majorité des adultes atteignent et dépassent ce niveau. C‘est le côté
positif des constatations dont il vient d’être fait état. Mais,côté négatif, il n’est pas
exclu que la minorité notable restant au-dessous de ce seuil ait cessé de diminuer. E n
Suisse,son volume s’est réduit de façon trts rapide de 1880 A 1908.O n le sait par de trts
précieuses statistiques de l’kpoque. Elles vont jusqu’d 1913.D e 1908 A 1913,la tendance
a été plutôt au piétinement. En 1975,d‘aprts l’enquête ponctuelle qui vient d’être citée,
la situation paraissait être peu A peu identique A ce qu’elle était A la veille de la Premikre
guerre mondiale. Faut-il en conclure qu’il y a eu, en ce qui concerne cet aspect des
choses (laproportion des sous-instruits),statu quo pendant plus de soixante ans, malgré
les grands changements économiques,sociaux et pédagogiques du X X e sitcle? Cela irait
dans le sens de l’hypothtse d’une dissociation entre ddveloppement économique et
social (y compris développement de l’enseignement) et évolution du niveau réel des
connaissances générales (de base), une fois atteint un certain degré de modernisation.
C e qui préctde se rapporte uniquement au volume de l’arritre-garde((insuffisamment
fonctionnelle,).L‘évolution du niveau des connaissances du reste de la population,la
grande majorité, est inconnue, sous réserve de rares données, certaines concernant les
Etats-Unis.
- Aux Etats-Unis,d’aprts les données qui viennent d’être évoquées, le score obtenu en
moyenne par les jeunes qui veulent entreprendre des études supérieures est en baisse
continue depuis 1963-1964 et, en outre, la tendance est A la baisse du niveau des
connaissances également chez les adolescents de 17 ans, considérés en bloc, et chez les
jeunes adultes de 26-35 ans.’’
O n le voit, autant les progrès de l’école primaire semblent favoriser le recul de
l’analphabétisme,autant les évolutions qui se produisent par rapport & d’autres
seuils,plus élevés,incitent & douter que le développement de la machine & ensei-
gner soit cause d’un progrès du niveau général des connaissances.Les trop rares
matériaux disponibles conduisent en tout cas &se poser la question.
Bornons-nous A le noter et & souligner combien seraient souhaitables des
observations poussées, prenant en compte non seulement une g a m m e étendue
de types de savoir - généraux et spécialisés - mais aussi les capacités d’imagina-
tion et de coopération, l’aptitude & apprendre du nouveau, le sens critique, le
goût artistique,etc. Rien ne prouve que de telles observations ne conduiront pas
&réviser la conclusion provisoire très décevante &laquelle conduisent les indica-
tions dont il faut se contenter aujourd’hui. Pour le moment, cette conclusion
décevante est la seule qui corresponde aux quelques faits constatés.

Genre d’ktudes et niveau des connaissances


C‘est la deuxième des questions du début de cette section. Si l’enseignement for-
mait intégralement l’individu, au moins au point de vue cognitif,il suffirait de
connaître le diplbme qui indique la nature et le niveau des études effectuées
pour en déduire la nature et le niveau des compétences de quelqu’un, exacte-
ment comme le contenu d’une boîte de conserve se déduit de l’étiquette.La
réalité n’a rien &voir avec pareille fiction.
Les analyses concemant la relation entre enseignement suivi et niveau des
connaissances ne sont qu’autant de variations sur ce que tout le monde sait: les
138 Finalités de l'éducation

élèves d'une m ê m e classe ou d'une m ê m e faculté, y compris ceux qui ont suivi
exactement le m ê m e enseignement aux degrés antérieurs, ne parviennent pas
aux mêmes résultats dans les branches du programme, pour ne pas parler de
tout ce qui les distingue quant au reste de leur culture. Entre les premiers et les
derniers, l'écart est en général très grand.La diversité des résultats s'intercalant
entre ces extrêmes est habituellement considkrable. Donc, un m ê m e enseigne-
ment ne parvient pas A amener tous les klkves au m ê m e niveau. Cela vient de ce
que leurs connaissances sont largement fonction de facteurs autres que l'ensei-
gnement lui-même:caractéristiquesindividuelles,plus ce que l'on peut appeler
l'école de la vie (l'action du milieu familial,des camarades,des loisirs,etc.). Per-
sonne ne doute de ces évidences. Néanmoins, les résultats des travaux statis-
tiques sur le degré de dkpendance des compktences par rapport aux études sur-
prennent. Ces travaux ne font pourtant qu'exprimer sous forme numkrique ce
que chacun a mille fois constat6 dans la réalité.
Les titulaires d'un m ê m e niveau formel d'instruction ne sont que l'ensemble
des personnes qui ont terminé leurs études A un m ê m e degré. Autrement dit, ils
sont l'addition des élèves de classes plus ou moins semblables.Si dans chacune
de ces classes les élèves sont inégaux,ils le sont aussi A l'échelle de l'ensemble, et
encore plus, dans toute la mesure où les diverses classes ainsi réunies diffèrent
par la nature exacte de l'enseignement dispensé, leur climat psychologique, le
recrutement social des élèves et leur mentalité. Exemple, en Suisse, parmi les
jeunes adultes (hommes) de 20 A 21 ans qui ont accompli des études secondaires
supérieures, 14% déclarent comprendre très bien l'anglais, 32% le comprendre
bien, 26% assez bien, 17% un peu, 6% un tout petit peu et 5% pas du tout. Parmi
les autres jeunes adultes, ceux qui ont une formation de type commercial, un
diplôme d'apprentissage manuel ou pas de diplôme, ces divers niveaux de
connaissances de l'anglais sont aussi reprksentés,mais pas dans les mêmes pro-
portionsI2. Pour les autres sortes de connaissances génkrales (maîtrise de la
langue maternelle, calcul,etc.), dans la mesure où des données d'ensemble exis-
tent - et elles sont extrêmement rares -, elles conduisent A des constatations
semblables. Les corrélations calculées sur de telles bases pour exprimer le degré
de dépendance du niveau réel des C O M ~ ~ S S ~ ~ CparZ S rapport au niveau formel
d'instruction sont tout au plus moyennes. Traduites en pourcentage de variance
expliquée, elles indiquent que le niveau rkel des connaissances s'explique, sui-
vant les branches, A raison de 15%, 25%, 30%, par exemple, par le niveau formel
d'instruction. Le reste - 85%, 75%, 70%, dans de tels exemples - est A attribuer
aux caractéristiquesindividuelleset A l'école de la vie.
Mais les proportions ainsi attribuées au niveau formel d'instruction sont
exagérées car, plus un niveau d'instruction formel est haut, plus ceux qui le
possèdent tendent A être favorisés par les caractkristiquesindividuelles,le milieu
familial,etc. Ces avantages agissent sur les connaissances,indépendamment de
l'enseignement. Il faut donc dissocier, dans l'explication de la différence du
niveau des connaissances,la part de ces avantages et celle qui revient en propre
A l'enseignement. L'influence de ce dernier est alors ramenée A un certain nom-
bre de points au-dessousdes pourcentages ci-dessus.A u lieu de 1596, 10%, etc.
Finalitès et rèsultats 139

Certains chercheurs ont été plus loinl3. Ils Qsposaient de renseignements sur
le budget des écoles, leurs programmes et méthodes,la formation des maîtres,le
nombre d’élèves par classe et d‘autres points semblables.Ils ont donc fragmenté
l’effet global du type d’enseignement reçu en dtterminant ce qui est imputable
aux différencesskparant les écoles du point de vue de divers facteurs. Chacun
d’eux n’apparaît alors responsable que d’une petite fraction de l’inégalitk des
résultats.La politique de l’kducation, en manipulant tel ou tel de ces facteurs
- par exemple, en réduisant le nombre d’tlèves par classe, en modifiant le pro-
gramme d’une branche ou l’organisation générale d’une ttape des études, etc. -
n’agit que sur quelques centitmes, ou moins, de l’ensemble des causes expli-
quant comment les individus se répartissent entre les degrés les plus bas et les
plus élevés du savoir.
Des enquêtes de l’Association internationale pour l’évaluation du rendement
scolaire (IEA),il ressort aussi que les diffkrences plus globales de type d’ensei-
gnement ne paraissent pas avoir d’effet évident sur le niveau des connaissances.
Elles concernent des pays industriels. Plus haut, nous avons fait mention des
comparaisons que ces enquêtes comportent au sujet des éltves de 10 8 14 ans.
Pour les élbves des classes terminales de l’enseignement secondaire - c’est-
&-dire des degrés les plus affectés par les différences globales de type d’enseigne-
ment - les conclusions de ces enquêtes sont du m ê m e genre. Qu’il s’agisse de
la High school américaine, du lyde français ou des tcoles secondaires supé-
rieures du Japon, de la Rkpublique fédkrale d’AUemagne ou de la Hongrie par
exemple, les lyckns qui obtiennent un score élevé (déterminé par les mêmes
tests quel que soit le pays) reprtsentent 8 peu prbs le m ê m e pourcentage de tout
leur groupe d’âge. Le fait le plus curieux est peut-êtreque les résultats de cette
élite lyctenne sont indépendants de la durée des études: ils sont plus ou moins
les mêmes, au stade final des études secondaires, dans les pays où celui-ci est
atteint vers 17-18 ans, 8 18-19 ans ou ZI 19-20ans.
Le nombre d’heuresde classe accumulées depuis leur entrée ZI l’école primaire
par les Clèves de 10 ou de 14 ans varie beaucoup selon les pays. C‘est que les
études obligatoires ne commencent pas au m e m e âge et que les horaires quoti-
diens sont différents, tout c o m m e le nombre de jours de classe par an. Le lien
entre quantité d’enseignement reçu jusque-18et résultats 8 10 ou 14 ans est faible
et il est ntgatif. Cela confirme que les programmes peu chargés et les études qui
ne traînent pas en longueur sont de bonnes solutions14.
Rappelons que les écarts séparant les klbves du point de vue des connais-
sances tendent 8 être trbs stables au cours du cycle des étudeSIS.C‘est observer
sousun autre angle que, d’une façon gknkrale,celles-cin’ont que peu d’effets sur
ces différences.

Genre d’études et nature du savoir


-
Cette question la troisième et dernière de l’introduction de cette section - ne
sera qu’évoquke. Les observations précédentes se rapportaient 8 des connais-
sances gtnérales,ou assez générales, que tous les genres d’enseignement,ou du
moins un certain nombre, cherchent 8 dtvelopper.
140 Finalitès de I‘èducation

Il s’agirait d’examiner aussi le rapport entre connaissances spéciales et ensei-


gnements spéciaux (y compris formation professionnelle): latin,branches parti-
culières des mathématiques, comptabilité, techniques propres au métier de
maçon, droit, etc.
La grande diversité des métiers pratiqués par les titulaires de la plupart des
diplômes de type commercial, technique ou universitaire (y compris certificats
consacrant un apprentissage) suggkre déj& que les compétences effectivement
utilisées au travail diffbrent souvent beaucoup de celles qui ont été apprises.
Certaines observations faites aux Etats-Unis les mettent en évidence de façon
plus directe. Elles montrent que la plus grande partie de ces compétences ne
vient pas de l’enseignement16.

Conclusion
Cette section paraît montrer que, sous réserve des degrés élémentaires, dont la
fonctionnaliténe paraît pas douteuse,le rendement effectif des systèmes d’ensei-
gnement et les résultats des politiques de l’éducation mériteraient de faire l’objet
de plus d’évaluations systématiques.Celles-ci provoqueraient certainement des
polémiques, c o m m e celles qui se développent actuellement, par exemple aux
Etats-Unis, et compromettraient certains programmes. Mais & la longue, elles
seraient profitables &la cause de l’enseignement,en aidant celui-ci & concentrer
ses ressources et ses efforts sur les tâches qu’il peut réellement réaliser et &
gagner ainsi en crédibilité.

EDUCATION ET DEVELOPPEMENT
Le système d’enseignement influe sur la structure de la population active et sur
la qualité du travail.
Son action structurelle est celle qui provient de la répartition des jeunes par
genre d’études (y compris formation professionnelle). Le cycle de la vie active
s’étend en moyenne sur environ un demi-siècle.C o m m e , dbs le départ,beaucoup
d’individus entrent dans des professions plus ou moins éloignées de leur forma-
tion et que par la suite les changements sont nombreux, le rapport diplôme-
profession (et grade dans la profession) n’est rien moins que rigoureux. D’ail-
leurs beaucoup d’individus n’ont pas de diplôme.
D e plus, sauf exceptions (médecine par exemple), les programmes de forma-
tion cherchent & préparer & un éventail assez large de branches d’activité pro-
fessionnelle. Tous cherchent A rendre l’individu aussi capable que possible
d’adaptation aux occasions que les aléas de la vie font surgir. L‘éducation des
adultes facilite la mobilité professionnelle, qui est grande. C‘est seulement dans
les théories toutes faites de certains que chaque division de l’enseignementassure
la reproduction d’une catégorie sociale déterminée ou d’une profession précise.
Jan Tinbergen a écrit:
En r6gle générale: une m ê m e profession peut &tre exerde par des gens qui ont fait des
études différentes.Ainsi le directeur commercial d’une grande entreprise peut avoir, mais
n’a pas toujours,fait des études supérieures; s’il en a fait, il peut avoir rqu une formation
Finalités et résultats 141

de juriste ou d’hnomiste ou m ê m e d’ingenieur.U n technicien de la chimie peut être ingé-


nieur chimiste ou docteur en chimie (sorti d’une faculté des sciences). U n ouvrier spécia-
lise peut etre passé par une kole industrielle ou avoir suivi un cours de recyclage accelére,
etc. Les rapports entre la main-d‘œuvre et la formation nkessaire sont donc assez
vagues.17
Les inventions techniques, l’évolution des structures de l’économieet celle de la
conjoncture entraînent des changements 8 peu près entibrement imprévisibles
des besoins en personnel dans les diverses professions. Les fluctuations de la
natalité aussi. Pensons par exemple 8 ses incidences sur l’offrede travail dans les
professions pédagogiques. Pourtant,celles-cicorrespondent L un domaine où la
prévision des besoins est relativement moins difficile que dans d’autres. Le nom-
bre d’enfants de O 8 5 ans permet de déterminer plusieurs années 8 l’avance les
effectifs scolaires. Mais dans le détail, la prévision est difficile, m ê m e dans ces
professions: un changement des plans d’études (dirmnution de la part accordée
8 telle ou telle branche, etc.) ou une modification de l’intérêtdes jeunes pour un
type donné d’établissement post-obligatoire peuvent déjouer brusquement et
largement les pronostics.U n professeur d’histoire ne peut pas soudain enseigner
l’informatique parce qu’il y a réduction des horaires dans sa branche, diminu-
tion du nombre d’éltves qui la choisissent ou des tendances contraires en ce qui
concerne l’initiation8 l’utilisationdes ordinateurs.
La seule chose vraiment prévisible 8 long terme est qu’une très forte propor-
tion des membres des générations jeunes d’aujourd’hui auront 8 accomplir plus
tard des tâches trts différentes de celles qu’ils visent aujourd’hui. Nombre de
spécialistes en sont arrivés A la m ê m e conclusion que Mark Blaug: ((Lesprévi-
sions 8 long terme des besoins de main-d’œuvre [...]sont assimilables L de la
divination pure et simpleol8.D e sont côté, George Psacharopoulos a constaté
que, confrontées après coup L l’évolution réelle, toutes ces prkvisions apparais-
sent grevCes de lourdes erreurs, ((parfoisde l’ordrede lOO%))19.
Mais si la diversité des situations 8 études identiques est grande, cela ne
contredit pas un autre fait qui est que, selon les voies de formation,la probabi-
lité des diverses orientations varie beaucoup. U n e partie des titulaires de
diplômes universitaires deviennent cadres moyens, tout c o m m e une partie des
personnes ayant un diplôme commercial ou techmque ou que celles qui n’ont
pas de diplôme. Mais dans tel pays, par exemple, 30% des universitaires sont
cadres moyens, tandis que c’est le cas de 60% des titulaires d’un diplôme com-
mercial ou technique et de 2 ou 3% des sans-diplôme.Certaines orientationssont
rarissimes 8 partir de telle ou telle voie d’études. En particulier, les personnes
qui ont accompli des études supérieures ne viennent pas grossir les rangs des tra-
vailleurs manuels, 8 moins d’y &tre contraintes par le chômage ou par d‘autres
graves difficultés. Toutefois, 18 oh ces études sont trts largement ouvertes, la
fraction des individus qui n’accèdent pas 8 des postes élevés après les avoir
accomplies est grande. A m Etats-Unis,elle a augmenté aprts 1970,du moins en
début de carrière:au stade des premiers emplois,en 1970-75,59,48 des hommes
ayant accompli des études universitairesont obtenu un poste de cadre moyen ou
un poste plus élevé alors qu’en 1960-70,la proportion était de 73,1% et, en
1950-60,de 69820. Les autres sont, 8 ce stade, employés ou, rarement, travail-
142 Finalités de I‘éducation

leurs manuels. Il s’agirait de savoir dans quelle mesure les aspirations évoluent
en paralltle: c’est-&dire dans quelle mesure les études supérieures tendent plus
souvent que par le passé être entreprises pour elles-mêmes,par des jeunes qui
n’ont pas l’intention trts arrêtée de briguer des situations dirigeantes ou d’entrer
dans une carritre scientifique.
Dans la mesure où tous les jeunes, ou presque, qui entreprennent de telles
études sont animés par des ambitions professionnelles de niveau élevé, les frus-
trations ne peuvent manquer d’être nombreuses si l’économie n’a pas suffisam-
ment de postes de cols blancs supérieurs A offrir. En pareille hypothèse, le déve-
loppement de l’enseignement est pour une partie de la jeunesse, c o m m e l’a dit
Sauvy, créateur non d’aptitudes utiles, mais d’une ((inaptitudemorale A certains
métiersV1.
Dans beaucoup de pays, notamment en développement, le système d’ensei-
gnement comporte de telles distorsions.Elles ne s’observent pas qu’A propos de
l’enseignement supérieur. Ces distorsions freinent l’essor économique et aggra-
vent certains problèmes sociaux.
Certains programmes sont dysfonctionnels, en ce sens qu’ils éloignent
beaucoup de jeunes du cadre de vie et d‘action où ils pourraient mener une exis-
tence normale et utile. Ils développent chez eux des aspirations et des qualifica-
tions sans rapport avec la réahté. Cela est particulitrement vrai dans les zones
rurales de certains pays du Tiers monde. Il resulte de la un regrettable accroisse-
ment des courants migrateurs en direction des villes surpeuplées,où le chômage
et le paupérisme sévissent. Les flux de sortie des écoles d’enseignement profes-
sionnel ou général et des facultés ne peuvent pas, 111 où ils sont en désaccord trop
grand avec les besoins, être intégrés convenablement A l’économie. Cela crée des
probltmes de chômage, de sous-emploi et de mal-emploi (mis-employment).
Actuellement, la société ne dispose que de peu de moyens d’incitation qui pour-
raient contribuer A réduire ces dysharmonies22.D u point de vue de l’individu, un
diplôme élevé demeure un atout pour trouver une bonne situation. Mais la
collectivité aurait besoin de pourvoir beaucoup de postes manuels et techniques
que les titulairesde diplômes élevés tendent A dédaigner.Certains d’entre eux se
disputent des postes non manuels parasitaires et pas toujours bien rémunérés,
alors qu’ils pourraient être utiles dans d’autresemplois.
Des tendances nouvelles se font jour, pour rapprocher l’enseignement de la
réahté économique et sociale et augmenter le degré de polyvalence des forma-
tions dispensées23.
Passons la question de l’action des études sur la quahté du travail,laquelle
conditionne sa productivité, non pas A elle seule mais côté de la qualité de
l’outillage,de la t d e des entreprises,de leur organisation,du climat social,etc.
L a qualité du travail présente des aspects affectifs (ardeur, conscience profes-
sionnelle,etc.) et cognitifs (habileté générale, discernement, quahfications tech-
niques, administratives, etc.). Seuls ces derniers seront pris en considération
dans les remarques qui suivent.Il est clair que la réalité de l’action de l’éduca-
teur sur les aspects cognitifs du comportement des travailleurs (au sens large,
toute la population active y compris employés, patrons, enseignants,médecins,
etc.) dépend: a) de l’ampleur des effets de l’enseignement sur le développement
Finalitks et résultats 143

des connaissances au cours des études; b) du degré de réalité des effets différés
(en aval des études,jusqu’a la retraite) de cette influence initiale sur le devenir
des connaissances; c) de la question de savoir si les connaissances dont l’indi-
vidu se sert le plus dans son travail appartiennent ou pas aux parties de son
bagage cognitif qui sont le plus nettement affectées par ces effets différés des
études. Nous avons vu qu’une large partie des compétences intervenant dans le
travail semble ne pas venir de l’enseignement.Pour illustrer ce fait, pensons A un
agriculteur ayant appris son métier aux champs avec son père. Pensons aussi A
un ex-instituteur devenu pilote d’avion en suivant le programme de formation
d’une compagnie aérienne, en m ê m e temps que des ex-élèves d’écoles tech-
niques, commerciales ou autres et sans que ces différences de background sco-
laire aient aucune incidence perceptible sur la rapidité et le degré d’assimilation
de ce programme d‘initiation au pilotage par les uns et les autres. Les exemples
pourraient être multipliés.
En pratique, dans les calculs que l’économie de l’éducation effectue pour éva-
luer l’incidence des études sur la qualité du travail, c’est le niveau formel d’ins-
truction qui est pris en considération. Plus il est élevé, plus les individus sont
censés avoir acquis grâce A l’enseignementun supplément de compétences. Cette
méthode appelle des réserves que les sp6cialistes qui se livrent A ces calculs sont
les premiers A formuler.Par d’ingénieux efforts,ils tentent d’atténuer les incerti-
tudes de cette méthode en estimant la part des différences de niveau formel
d’instruction qui revient a l’enseignement lui-mêmeet celle qui est due aux apti-
tudes (quotient intellectuel), au milieu social d’origine, etc. D’autres difficultés
viennent de ce que la production des travailleurs, elle aussi, n’est pas observée
directement,mais estimée par des hypothèses24.

Ces travaux donnent lieu A des discussions méthodologiques extrêmement


intéressantes; mais pour devenir tout A fait convaincants,il faudrait qu’ils puis-
sent reposer sur des bases plus expérimentales, grâce a des mesures de l’effet
concret des études sur le devenir des compétences que les tâches professionnelles
mettent réellement en œuvre et grâce A la mesure de la part de productivité indi-
viduelle venant de cet effet.
Sur la base des estimations indirectes auxquelles il leur est possible de se
livrer,les spécialistes de l’économie de l’éducation considèrent en gknéral que le
développement du système d’enseignement stimule nettement la modernisation
de l’économie et la croissance du revenu national.
George Psacharopoulos, A partir de comparaisons étendues, considkre que ce
sont les investissementsen faveur des degrés élémentaires qui paraissent avoir le
plus d’effet sur le développement de l’économie dans le Tiers monde.
Cela signifie que, dans les pays peu dCveloppCs, accroître le taux de frdquentation des
6coles primaires est un meilleur investissement que de crkr une nouvelle universitk. C‘est
une conclusion que les universitaires, les politiciens et les bureaucrates de ces pays ont de
la peine A admettre.Mais,c’est la rCalit6.25
144 Finalités de réducation

Il ajoute qu’ilconvient d’être attentif it l’inégale fonctionnalité économique des


enseignements post-primaires.Les investissements doivent d’abord aller aux
enseignements les plus utiles, dans toute la mesure où des limites financières
imposent des choix.
Les investissements doivent aussi aller de préférence aux formes d’éducation
qui s’adressentaux groupes les plus défavorisés.Aider ceux qui sont dans l’igno-
rance A acquérir quelques compétencesutilisables dans leur contexte d’existence
peut avoir un effet immédiat sur leur degré de bien-êtreet leur contribution au
développement.En revanche, certains enseignements de luxe pourraient être
rendus payants.Il n’y a aucune raison légitime pour qu’ilsrestent it la charge du
contribuable.
Compte tenu de ce que les évolutions réelles déjouent prévisions et plans,le
même auteur estime qu’il convient de préférer les politiques de l’éducation très
flexibles,facilementmodifiables selon les circonstances.
Il s’agit en somme de préparer les jeunes en fonction des postes qu’ilsont le
plus de chances d’occuperdès le lendemain de leurs études.Ensuite,des change-
ments d’activitéinterviendront.Avec ou sans recours a des programmes de recy-
clage.C o m m e Alfred Sauvy l’a souligné,il faudrait orienter la jeunesse vers les
emplois qui répondent aux besoins actuels,notamment manuels,et faciliter par
adleurs les promotions intervenantau cours de la vie active,au gré des besoins,
en particulier vers le tertiaire26.
Voici ce que relève Charles Hummel:
Constatant le manque de pertinence de leurs systèmes éducatifs importés,et conscients du
fait que le coût élevé de ces systdmes ne leur permettra pas de donner une instruction
toutes leurs populations dans un délai raisonnable,les pays en voie de développement sont
ti la recherche de nouveaux modèles éducatifs. C e faisant, ils commencent A se souvenir
des méthodes d‘éducation qui leur étaient propres avant l’arrivke du colonialisme. Car ces
pays n’avaient peut-etre pas eu d’écoles, mais ils avaient tous eu une pratique éducative
très développée. Cette recherche d’alternatives,qui se trouve d’ailleurs également dans les
pays industrialisés, a pour première conséquence une tendance A la déscolarisation des
systèmes éducatifs existants [...]Dans pratiquement tous les cas, ces nouvelles formes
d’actions éducatives visent directement le processus de développement,et très souvent le
développement dans la réalité locale.27
Le même auteur note aussi que ces évolutions tendent A dépasser le système
traditionnel,qui sépare rigoureusement l’école et le travail. A le lire, et aussi
d’après divers rapports récents,il est clair que les experts souhaitent que les for-
mations techniqueset professionnelles soient autant que possible valorisées.Des
matières A option correspondantaux projets de carrière sont d’oreset déja intro-
duites dans certains programmes d’éducation générale,aux degrés obligatoires,
et il faudrait étendre ce genre de solution. D e préférence,les &verses formules
adoptées devraient cependant être conçues de façon a reculer le plus possible
l’âgede la spéciahation et it ne pas rendre celle-citrop étroite.Ainsi,la polyva-
lence et les changements seraient davantage favorisés.La spécialisationpropre-
ment dite est plutôt it concevoir comme une mise au courant en vue d’un emploi
précis et de ses exigences spécifiqueszn.La compénétration du travail et des
études (y compris formation permanente) correspond certainement aux exi-
Finalités et résultats 145

gences de la pédagogie en m ê m e temps qu’A celles de l’économie. Les grands


penseurs sociaux n’ont jamais Qt autre chose; les classiques de la pédagogie non
plus.

MOBILITI? SOCIALE

L a démocratisation des études n’est pas sans intérêt en elle-même: tendre A ce


que tous les enfants et adolescents passent leurs années d’études dans des éta-
blissements de plus en plus semblables et A ce que, parvenus aux degrés où des
spécialisations s’amorcent, ils choisissent leur orientation en fonction d’eux-
mêmes plutôt que de la condition de leurs parents, voilA des buts qui sont bien
dans l’esprit de la démocratie modeme. On peut espérer que, de toutes sortes de
façons, une société où la démocratie est A l’école soit encouragée par lA A être
elle-mêmeplus démocratique. On peut espkrer aussi que la démocratie A l’école
rende les années d’études plus agrkables.
Toutefois, la démocratisation des études est conçue surtout, A l’ordinaire,en
vue d’atténuer l’inégalitédes degrés de développementdu savoir et de la person-
nalité, l’inégahté des conditions sociales et l’inégalité des possibilités de car-
rières.C‘est ce dernier point qui va être examiné maintenant.
Les effets de l’enseignement sur la personnalité ne sont pas abordés dans ces
pages. Le problème de l’action de l’enseignement sur les degrés de développe-
ment cognitif a été discuté plus haut. Celui de l’incidence éventuelle de la démo-
cratisation des études sur l’étendue des différences de condition sociale sera
laissé de &té. Notons seulement que ces différences tiennent évidemment A
l’organisation de la société et pas A l’enseignement.
Donnons-nous par la pensée une petite société de très sages agnculteurs et
artisans produisant juste ce dont ils ont besoin, en s’entraidant,chacun ayant un
bien modeste et tous exploitant en c o m m u n pâturages et forêts. Les inégalités
sociales sont réduites au minimum.Nous voila très près des Naturels de Jean-
Jacques Rousseau, entraide en plus. Les sociétés que nous connaissons sont au
contraire vastes et complexes. Condamnées A de hauts rendements pour répon-
dre A la soif de consommation privée et de services sociaux (enseignement,santé
publique, retraites, etc.), et ayant de gigantesques frais de défense, elles accen-
tuent sans cesse cette complexité. Les fonctions se divisent et se subdivisent,
l’échelle des opérations augmente, la coordination prend de plus en plus
d’importance. Elle fait naître quantitk de chefs et sous-chefs.Certaines mesures
sont prises pour atténuer les différences de revenu et de degré de participation
aux décisions qui dérivent de 18. Elles concernent la politique fiscale et celle des
salaires, ainsi que la politique de participation. Il est difficile de concevoir
comment l’enseignement pourrait modifier les racines des inégalités sociales et
avoir sur ces politiques plus qu’une influence trts diffuse.
L‘inégalité des possibilitts de carritres, ou inégalité des chances sociales, est
autre chose.Il s’agit du rapport entre origines familiales et situation personnelle.
Il comporte plusieurs aspects. Les travaux sur la mobilité sociale29 ont mis en
évidence que l’enseignement m’a pas de prise sur l’inégalité des chances
146 Finalités de I'èducation

sociales.Il n'en est pas responsable;il n'a pas la possibilité de la modifier)). En


revanche,à condition d'avoir un meilleur rendement cognitif,il peut contribuer
A ((l'augmentationdes possibilités de promotion (mobilité ascendante))), ce qui
est ((un objectif d'une plus grande importancepratiquePo.U n meilleur équilibre
entre répartition des jeunes,par voies d'études et besoins immédiats des divers
secteurs de l'économie, peut aussi avoir de bons effets A ce point de vue, tout
comme des mesures intelhgentesd'éducation des adultes.
Les constatations de ce genre déroutent en première lecture.Elles ont contre
elles le dogme de l'étroite correspondance entre sélection scolaire et sélection
sociale. Il consiste en quelques poncifs, aussi vénérables qu'irréahstes selon les-
quels l'écoleforme l'individu et,par 18,détermine son avenir social,parce que les
situationsseraient distribuéesd'après la formation.
Cette idée est partout.Elle est le fonds commun des prophètes de l'égalisation
des chances socialespar des retouches au système d'éducation et des esprits qui
voient dans ce système l'instrument qui perpétue l'inégalité des chances,quand
ce n'est pas l'inégalité tout court (le fait qu'il y ait des riches et des pauvres,des
puissants et des faibles).
Ce dogme figure,par exemple,chez Durkheim:
Chaque profession, [.. .]constitue un milieu sui generis qui réclame des aptitudes particu-
lières et des C O M ~ ~ S S ~ ~ Cspéciales,
XS où r6gnent certaines idées, certains usages, certaines
manières de voir les choses; et comme l'enfant doit être préparé en vue de la fonction qu'il
sera appelé A remplir,l'éducation, A partir d'un certain âge, ne peut plus rester la m ê m e
[. .]La société [. .]pour pouvoir se maintenir, a besoin que le travail se divise [ . .]
. . .

C'est pourquoi elle se prépare de ses propres mains,par la voie de l'éducation, les travail-
leurs [.. .]dont elle a besoin. C'est donc pour elle et c'est aussi par elle que l'éducation
s'est ainsi di~ersifiée.~'
Elle a pour objet de susciter et de développer chez l'enfant un certain nombre d'états
physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son
ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destine.'*
Il s'agit lA non du fruit de l'observation,mais de déductions à partir de pré-
misses correspondantA une société imaginaire.Dans cette société,chaque milieu
social et professionnel a sa façon d'être (sous-culture) que l'on retrouve chez
tous ses membres.Dans cette société,l'enfant est destiné A une fonction profes-
sionnelle et à un milieu. Dans cette société,l'enseignement se présente sous
autant de types qu'il y a de genres de fonction et de milieu, modèle l'élève de
part en part,en fonction de sa destination professionnelle et sociale.Dans cette
société,l'individu reçoit la fonction A laquelle il a ainsi été approprié et est inté-
gré au milieu social correspondant,une foispour toutes.
En fait, les diverses professions sont pratiquées par des personnes qui diffè-
rent par la personnalité,le style de vie,les revenus (surtout considérés A l'échelle
du ménage), le genre exact d'entourage; l'enseignement ne leur fournit qu'une
fraction de leurs compétences et ne dicte certainement pas davantage la nature
de leur personnahté; entre les divisions de l'enseignement,la division du travail
et la mosaïque des milieux d'existence,la symétrie est loin d'être très poussée;
dès l'entrée dans la vie active, la diversité des emplois et des milieux vers les-
quels se dirigent les jeunes provenant de chaque filière de formation est grande
Finalitès et rèsultats 147

(quelques voies,comme les études de médecine,mises A part); ensuite,la mobi-


lité en cours de carrikre est importante; même pour ceux qui restent dans la
même profession,le contenu du travail change beaucoup; les façons d'être des
divers milieux évoluent aussi. Tel quinquagénaire,contremaître d'une fabrique
de transistors de Berh-ouestou de Berlin-est,a grandi dans les année 30-45.Il
demeurait alors peut-êtredans une petite d l e ou un village. Il a appris le métier
d'ébéniste, de mécanicien, ou accompli des études techniques.Des événements
aléatoires de tout genre ont contribué il le conduire dans sa fabrique actuelle.Sa
trajectoire n'était pas visible en pointaé devant lui il l'époque de ses études. Le
milieu provincial de son enfance et le régime politique de l'époque sont bien
loin.Il vit dans un autre univers.
Venons-enA ce que dit l'observation au sujet des rapportsentre enseignement,
inégahté des chances sociales et mobilité. Commençons par dstinguer ces deux
dernikres notions. Supposons une société composée de cent personnes,&visée
en trois catégories sociales: ouvriers (O),classes moyennes (M),hrigeants et
membres des professions intellectuelles (D).Admettons que, dans ce cadre,la
répartition des adultes selon leurs origines famhales et leur situation présente
est la suivante:
Origine Situation personnelle aujourd'hui
(catégorie des parents)
D M O Total
D 5 4 1 10
M 8 20 12 40
O 2 21 27 50
Total 15 45 40 1O0

Dans ce cas théorique,l'évolutionstructurellequi est survenue ressemble à celle


qui est enregistrée en fait dans les sociétés très avancées: accroissement de
l'effectifdes dnigeants et des classes moyennes,réduction de celui des ouvriers
(voir les colonnes total ou marges du tableau).
La mobilitè sociale entre les générations se mesure au nombre d'individus qui
n'appartiennent pas A la même catégorie que leurs parents,donc qui ne sont pas
sur la dagonale (nombres en italiques). Dans le casparticulier,48 individus sont
mobiles en tout et 52 stables.Cette mobilité est ascendante si la catégorie d'am-
vée est supérieure A celle d'origine. Il s'agit des cas se situant 9 gauche de la
hagonale (8+2+21=31). Une politique sociale logique doit tendre A
augmenter ces cas.
Elle doit aussi,et même surtout,tendre il améliorer la condition de l'ensemble
des membres de toutes les catégories (qu'ils soient stables, ascendants OU descen-
dants du point de vue des origines). Cette action doit se déployer en priorité en
faveur des catégories du bas de la pyramide, puis des catégories moyennes.
Ainsi, une mobilité ascendante des groupes se produira: pouvoir d'achat plus
élevé (croissance du PNB et medleures répartitions), meilleures conditions de
travail,plus de loisirspour tous et de meilleure qualité,etc.
148 Finalités de I‘éducation

C o m m e dit plus haut, une augmentation du rendement cognitif de l’enseigne-


ment peut accélérer de tels changements positifs, dans la mesure où elle se tra-
duit par un surcroît de capacité professionnelle. Il en va de m ê m e d’une plus
grande harmonie entre la distribution des jeunes par genre d’apprentissage ou
d’études terminales et les besoins immédiats de l’économie. La formation des
adultes peut aider aussi. Ces &vers facteurs sont en effet susceptiblesde contri-
buer A l’accélération de la croissance,d’où augmentation plus rapide de la pro-
portion des fonctions moyennes et supérieures,moins de chômage,plus de PNB,
c’est-A-dire,concrètement,plus d’investissements économiques,ainsi que de ser-
vices sociaux possibles, et aussi plus de biens et services sur le marché.
Dans la mesure où la volonté politique réussit A intervenir avec efficacité en ce
sens, l’utilisation préférentielle de ces ressources supplémentaires en faveur
d‘une réduction des écarts séparant les classes moyennes et populaires des
classes favorisées peut se traduirepar certains résultats appréciables.
L‘inégalité des chances sociales est autre chose. Elle se mesure en comparant
les catégories d’origine du point de vue de leur degré d’ouverture sur les diverses
destinations.Ainsi les personnes ntes dans la catégorie D du tableau figurant
plus haut ont eu cinq chances sur dm (50%) d’appartenir elles-mêmesplus tard A
cette m ê m e catégorie. Les personnes nées dans la catégorie M ont eu, elles,
seulement huit chances sur quarante (208)d’entrer dans la catégorie D.Parmi
les cinquante personnes nées dans les classes ouvrières, deux seulement ont
accédé A cette catégorie D (4%). Des comparaisons analogues peuvent être faites
A propos de la probabilité d’aboutir en M ou en O A partir des trois catégories
d’origine considérées ici. Parmi les personnes d’origine ouvrière,par exemple, la
probabilité de rester dans les classes ouvrières est, dans ce cas de figure,de 548,
alors que pour les personnes nées dans les classes dirigeantes,la probabilité de
devenir ouvrier est de 10%.
Il peut très bien y avoir augmentation de la mobilité en direction des caté-
gories supérieures (en expansion) sans changement du degré d’inégahté des
chances. C‘est, semble-t-il,ce qui s’est produit au cours de ce siècle dans les
pays industriels,du moins ceux pour lesquels existent des données permettant
de jalonner l’évolution survenue.Les recherches continuent et se perfectionnent.
Il est fort possible que leur avancement conduise A reviser ces conclusions très
provisoires. Il faudrait en particulier analyser les courants qui s’observent dans
le Tiers monde et leurs rapports avec l’éducation.
Il est certain toutefois qu’il n’y a pas de relation nécessaire entre démocratisa-
tion des études et évolution du degré d’inégalité des chances. C‘est: a) que les
études ne conditionnent que très partiellement les compétences effectives (et les
autres caractéristiquespersonnelles); b) que, de toute façon,le premier emploi et
les postes occupés ensuite ne dépendent pas strictement de ces caractéristiques,
ni des diplômes; c) que la g a m m e des postes h occuper et celle des diplômes ne
sont pas identiques et qu’elles varient chacune de leur côté, de façon indépen-
dante. Cela fait que, m ê m e si le rapport diplôme-valeur personnelle (et aspira-
tions) était plus serré,il y aurait forcément des cas de non-concordance.
Bref, le système d‘enseignement ne distribue pas les places. Donc, modifier le
degré d’accès des &vers groupes sociaux A l’enseignement peut avoir un grand
Finalités et résultats 149

intérêt en soi.Mais il ne fautpas compter sur ce genre de réforme pour réduire


le degré d'inégalité des chances sociales.Ce type d'inégalité évolue sous l'effet de
trop d'autres facteurs.
Le phénomène de l'inégalité des chances sociales (probabilité comparée des
diverses destinations) est beaucoup plus abstrait que ceux: a) de l'amélioration
générale des condtions de vie;b) de l'amélioration préférentielle des conditions
de vie de la masse et donc de la réduction de l'inégalité sociale tout court (dis-
tances entre groupes); c) de l'augmentation de la proportion des individus qui
bénéficient d'une mobilité personnelle de sens ascendant.
Sous ces trois rapports, l'enseignement peut avoir une incidence, via son
action sur le développement économique. Cette influence sera A la mesure de
l'efficacité cognitive du système d'enseignement, ainsi que du degré de corres-
pondance entre la structuredes flux de sortie de ce syst&me et celle des besoins A
court terme de l'économie. Elle sera accrue par la souplesse,la qualité et le taux
de fréquentation des programmes de perfectionnement et de recyclage proposés
aux adultes.

NOTES ET RÉFÉRENCES
1. Institut international de planification de I'6ducation.L'évaluation des systèmes éduca-
tifs: un séminaire de l'IIPE,29 mai-2 juin 1972. Paris, 1972. 169 p.; Organisation de
coopération et de développement économiques. LRs indicateurs de résultats des sys-
tèmes d'enseignement. Paris, 1973. 121 p.; Evaluation studies review annual (Beverly
Hills, Calif.) liyr., 1976- ; Abt, C.C.,ed. The evaluation of social programs.
Beverly HiUs, Calif.,Sage Publications, 1977. 503 p.; Lazarsfeld, P.F.;Sewell,W.H;
Wilenski, H.,eds. The uses of sociology. New York, Basic Books, 1967. 902 p.;
Lazarsfeld, P.F.,et al. An introduction to applied sociology. New York, Elsevier, 1975.
196 p.; Weiss, C.H.Evaluation research: methoh for assessing program effectiveness.
Englewood Cliffs., N.J., Prentice-Hall, 1972. 160 p.; Finsterbusch, K.; Motz,
Amabelle B. Social research for policy decisions. Belmont, Calif.,Wadsworth, 1980.
199 p.; Baker,H.Education and socioeconomic development. Saskatoon,Sask.,Univer-
sity of Saskatchewan,1978.3 v.
2. Unesco.Alphabétisation 1972-1976.Paris,1979,p. 17.
3. Unesco. Office of Statistics.Division of Statistics on Education.Estimates andprojec-
tions of illiteracy.Paris, 1978,p. 144.(CSR-E-29)
4. Ibid.,p. 128.
5. Furet,F.;Ozouf,J. Lire et écrire: l'alphabétisation des Français de Calvin ÙJules Ferry.
Paris,Editions de Minuit, 1977,vol. 1, p.292.
6. Unexo. Office des statistiques.Division des statistiques relatives ti I'éducation. Ten-
dances et projections des effectifsscolaires par degré d'enseignement et par age. Paris,
1978,p. 49.(CSR-E-21)
7. Unesco. Office of Statistics. Division of Statistics on Education.Estimates andprojec-
tions ofilliteracy. Op. cit.,p. 72 et 1 1 1.
8. Hummel,C.L'éducation d'aujourd'hui face au monde de demain. Paris, Unesco; Presses
universitaires de France, 1977,p. 67-82.Voir aussi Meister,A.Alphabétisation et déve-
loppement: le rôle de l'alphabétisation fonctionnelle dans le développement économique et
la modernisation.Paris,Editions Anthropos, 1973.274p.
150 Finalités de l'éducation

9. Voir:la Bibliographie il. la fin de l'ouvrage, notamment le rapport du séminaire de


New-Delhi(1980); Hummel, C. Op. cit.; Unesco. Alphabétisation 1969-1971.Paris,
1972,p. 45-47.
10. Hummel, C.Op. cit.,p. 75;Unesco.Alphabétisation 1969-1971.Op. cit.;Bureau inter-
national du travail. L'emploi, la croissance et les besoins essentiels: problème mondial.
Genève, 1976,p.62.
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de France, 1981. 263 p. Girod, R.Le niveau réel des connaissances et son évolution:
exemples occidentaux. [Communication présentée au séminaire du Comité de
recherche sur la stratification sociale de l'Association internationale de sociologie,
Paris,27-30avril, 19811
12. Girod,R.,et al. L'éCole et la vie: études et apprentissage,aperçu des connaissances et
attitudes, avenir professionnel. Enquête auprès des jeunes Suisses entrés au service
militaire en 1975.Aarau,Sauerlader,1977.346 p.; Girod,R.Politiques de I'éducation.
op. cit.
13. En particulier:U.S.Office of Education.Equality of educational opportunity,by James
S. Coleman, et al. Washington,D.C.,1966.2 v.; UK.Department of Education and
Science.Central Advisory Council for Education. Children and their primary schools.
London, Her Majesty's Stationery Office,1967.2 v. [LeRapport Plowden]; Peaker,
G.F.The Plowden children four years later. Slough,UK,National Foundation for Edu-
cational Research in England and Wales,1971.50 p. En outre,les grandes enquêtes de
l'Association intemationale pour l'évaluation du rendement scolaire (IEA),animées
principalement par Torsten Husén: Internationalstua'y of achievement in mathematics:
a comparison of twelve countries. Stockholm,Almqvist and Wiksell;New York,Wiley,
1967.2 v. et les neuf volumes de la série International stua'ies in evaluation. Stockholm,
Almqvist and Wiksell;New York,Wiley, 1973-1976.
14. Sur la question du rapport entre quantité d'enseignement reçu et connaissances effec-
tives,Husén,T.The leaming Society. London,Methuen,1974.268 p.
15. Bloom, B.S.Stability and change in human characteristics. New York, Wiley,1964.
237 p.;Bloom, B.S.H u m a n characteristics and school learning. New York, McGraw-
Hill,1976.284p.;Peaker,G.F.Op. cit.
16. Girod,R.Politiques de I'éducation.Op. cit.,p. 34-38.
17. Tinbergen, J. Les évaluations relatives il. l'éducation. In: Unesco. Les aspects écono-
miques et sociaux de laplanification de I'éducation.Paris,1965,p.233.
18. Blang,M.Fkonomie et planification de l'éducation dans les pays en voie de dévelop-
pement. Perspectives (Paris,Unesco), vol. II, No 4, Hiver 1972, p. 479. Cité par
Hummel,C.Op. cit.,p. 149.
19. Psacharopoulos,G. Economics of education: an assessment of recent methodologicd
advances and empirical results. In: Séminaire européen sur la mesure des effets écono-
miques et sociaux de l'inégalitédes niveaux d'instruction,Sipswil,Berne, 1976.Effets
économiques et sociaux de l'enseignement. Vevey, Suisse,Fiditions Delta, 1978,p. 308.
20. Girod,R. Politiques de I'éducation.Op. cit.,p. 15 1- 152.
21. Sauvy, A. L'kconomie du diable: chômage et inflation. Paris, Cal"-Lévy,
1976,p. 87.
22. Regional Workshop on Goals and Theories of Education in Asia,New Delhi,1980.
Goals and theories ofeducation in Asia: report of a regional workshop. Bangkok, Unesco
Regional Office for Educational in Asia and Oceania, 1980. 151 p.; Coombs,P.H.Lu
crise mondiale de I'éducation.Paris,Presses universitaires de France, 1968.322 p.
23. La 34e session de la Conférence internationale de l'éducation, organisée par l'Unesco:
Bureau international d'kducation il. Genève en 1973, a eu pour thème spécial les liens
entre l'éducation,la formation et l'emploi, notamment en ce qui concerne l'enseigne-
ment secondaire, ses objectifs, sa structure et son contenu. Voir aussi: Unesco.
Finalitéset résultats 151

Grandes îendances actuelles de I'éducation et bien-êire de I'enfanî. Paris, 1979. 28 p.


(ED/BIE/CONFINTED/37/4)[Document présenté il. la Conférence internationale
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Op. ciî.; Bureau international du travail.Programme mondial de l'emploi,nombreuses
publications,y compris sur les aspects éducatifs du probltme dans les pays en déve-
loppement et les autres. Voir notamment: Bibliography of the published research of the
World Employment Programme. 3rd ed. Geneva, International Labour Office, 1980.
105 p.
24. Psacharopoulos, G.Returns to education: an international comparison. Amsterdam,
Elsevier, 1973. 216 p.; Psacharopoulos, G. Revenu et éducation dans les pays de
l'OCDE. Paris,Organisation de coopération et de développement hnomiques, 1975.
125 p.;Eicher, J.-C.; Levy-Garbona,L.,et al. Economique de I'éducation: travaux fran-
çais. Paris,Economica, 1979.378 p.;Page,A.L'économie de I'éducation.Paris,Presses
universitaires de France, 1971.270p.
25. Psacharopoulos,G.Economics of education: an assessment of recent methodologcal
advances and empirical results.In:Séminaire européen sur la mesure des effets écono-
miques et sociaux de l'inégalité des niveaux d'instruction, Sigriswil, Berne, 1976.
Op. cit.,p. 309.
26. Sauvy,A.Op. cit.,p.86.
27. Hummel,C.Op. cit.,p. 137.
28. Boutin, A.L'éducation malade de la formation professionnelle. Paris,Casterman, 1979.
177 p.
29. En particulier: Boudon, R.L'inégaliîé des chances: la mobilité sociale dans les sociétés
industrielles. Paris,Colin, 1973. 237 p.; Boudon, R.Lu logique du social: introduction à
l'analyse sociologique. Paris, Hachette, 1979. 224 p.; Jencks,C.,et al. Inequaliîy: a
reassessmenî of the effectof family and schooling in America. New York, Basic Books,
1973. 399 p.; Goldthorpe, J.H. Social mobility and clms structure in modern Britain.
Oxford,Clarendon Press,1980.310 p.
30. Girod,R.Politiques de I'éducation.Op. ciî.,p. 255.
31. Durkheim,E. Education et sociologie. Nouvelle éd. Paris, Presses universitaires de
France,1966,p.85-86.
32. Ibid.,p. 41.
CHAPITRE CINQ
Pour une approche mondiale
du problème des finalités
par B.Suchodolski

LA CIVILISATION CONTEMPORAINE A LA CROISEE DES CHEMINS

Commençons par la caractéristiquepropre A la situation dans laquelle se trouve


la civilisation contemporaine.C'est surtout au cours des dernitres décennies que
l'on ressent de manitre plus profonde et générale les différents dangers qui sur-
gissent dans la voie de ce développement.
Jamais encore dans l'histoire les hommes n'ont disposé de forces aussi puis-
santes qu'aujourd'hui, de ces moyens de destruction puissants COM MUS de nos
ancêtres.Nous pouvons dire sans exagtrer que, si cette folie ne conduit pas ii un
conflit armt ouvert, elle empoisonne l'atmosphtre intellectuelle du monde,
entrave le dialogue entre les continents et les civilisations et détruit les valeurs
humaines de la science et de la technique mobilisées pour détruire et non pro-
téger la vie et favoriser son tvolution.
L a civilisation industrielle tend A ce que la production excbde de plus en plus
les besoins rationnels sociaux et individuels,en gaspillant toujours davantage et
les matitres premitres épuisables et l'effort du travail de millions d'hommes.
Les indices croissants de production et de consommation, calculés en argent,
accusent la baisse des indices dans le domaine de l'attitude de l'homme ii l'égard
de son semblable et de l'homme A l'égard de lui-même,ainsi que de la qualité de
sa vie.
Simultanément apparaissent les effets indirects nocifs du développement
dynamique de la civilisation scientifique et technique moderne. Le milieu
naturel de la vie humaine est non seulement menacé mais aussi dévasté, ce qui
est parfois irréversible.
Paralltlement, les grandes agglomtrations urbaines, qui encore récemment
semblaient assurer une vie confortable,deviennent de grandes concentrations de
masses humaines dont les conditions d'existence se dégradent et qui sont tour-
mentées par les maladies liées A la civhsation,plus souvent que ne l'était par les
épidtmies la population des anciennes époques.
Des conflits sociaux profonds pénttrent dans la vie de nombreux pays. Les
changements évolutifs qui doivent conduire ii l'tdification d'une sociétt juste et
équitable semblent trop lents et l'accélération rkvolutionnaire présente trop de
dangers. Le maintien de l'ordre social existant est un défi aux anarchistes qui
s'efforcent d'en ébrader les bases. Les nouveaux probltmes, difficiles A
Pour une approche mondiale 153

résoudre, sont inhérents aux processus de création de la civilisation globale. Le


conflit entre pays développks et pays en dtveloppement - entre le Nord riche et
le Sud pauvre - se manifeste trts fortement.
Les perspectives de développement du Tiers monde sont de moins en moins
claires. Certains pays tentent de passer directement des rapports féodaux tradi-
tionnels A la rkvolution sociahste; d’autres esptrent obtenir des succts dans la
voie du nkocapitalisme; d’autres encore tentent audacieusement d‘abandonner
les structures existantes pour atteindre directement A cette ((nouvellesocikth)
juste et équitable oh les traditions culturelles locales seraient liées au sentiment
humanitaire de liberté et d’égalité. La situation s’aggrave du fait que la culture
intellectuelle dans le monde entier ne peut donner - ni aux nations,ni aux indi-
vidus - une réponse A la question de savoir comment vivre d’une façon digne et
heureuse; elle ne guide pas leurs comportements.
Si la civilisation doit continuer A se développer de manitre incontrôlée, on
peut s’attendreA tout un enchaînement de dksastres et de calamités,et peut-&re
m ê m e une catastrophe totale, c’est-&dire a la destruction de la vie sur tout le
globe terrestre.C‘est la croisée des chemins que l’histoire découvre devant nous.

LA SITUATION DES HOMMES


La situation des hommes dans la civilisation contemporaine devient
compliquée;leur attitude envers la vie rkvtle des tensions et des contradictions
internes;la distance entre l’intention et la rkalisation s’accroît;les sentimentsde
frustration augmentent; le travail suscite l’ennui et l’indiffkrence;la vie est par-
fois considérée cornme un ((jardinde délices))mais la lassitude devance les possi-
bilités d’intensification du bonheur; le recours tantôt aux tranquillisants tantôt
aux excitants kmousse le contact avec la réalité; la morale et les idkologies
perdent leur force normative; la révélation des dessous ((douteux))de la poli-
tique et le refus des ((idéaux))sont largement approuvés, mais cette critique
dtsoriente la vie; l’indnidu cherche un appui dans la sociétt mais il ne trouve
qu’une masse d’individus semblables A lui,une foule anonyme, égoïste,envieuse
et irritable; il semble que le seul refuge soit la vie privke, non pas toutefois dans
les institutions sanctionnées de la famille mais dans la licence des relations
sexuelles dont la force excitante fait oublier le monde; contre la sociktk de
consommation s’éltve la protestation des gens ((salesti longs cheveux))qui mani-
festent publiquement leur ((refus))de cet univers bourgeois; certains rappellent
que le Christ - qui lui aussi portait les cheveux longs et se montrait bienveillant
pour Marie-Madeleine - s’opposait kgalement aux Pharisiens et aux riches; les
uns sont prêts au meurtre en signe de protestation; les autres fondent des
communautks de pauvretk; d’autres encore, se voulant missionnaires de la paix
et de la justice dans le monde, acceptent la mort ou la prison; toutes les autoritts
s’effondrent:celle de la religion,celle de l’Etat et m ê m e celle de la culture; on
pourrait mettre le feu aux bibliothkques et aux mus&; ce monde est mort. Il
fautjouer un ccth&tre vivant))dans les rues et dans les usines parce que la vie est
devenue un drame A moins qu’elle ne soit qu’une farce cruelle; l’art tente de
(tdéréahser))le réel parce qu’il n’a pas de sens et que le poids en est insoute-
154 Finalités de I‘éducation

nable; mais ce fardeau s’impose avec une force contraignante et personne ne


peut se soustraire aux lois inflexibles de l’organisation du travail,A la discipline
de l’administrationpublique, aux mécanismes de la bourse, de l’armée,des tri-
bunaux; dans toutes les professions,on exige un rendement de plus en plus élevé
qui devient de plus en plus épuisant; les habitants des villes vivent dans une
atmosphère empoisonnée par les fumées et les gaz d’échappement et cherchent
en vain le repos au sein des masses qui occupent le moindre espace libre au bord
des rivières et des mers polluées. Cela n’empêche pas que la vie brille de tout
l’éclat des néons et qu’elle attire par le charme de possibilités exigeant un sur-
croît d’effort dans le combat pour l’existence et dans la course au luxe; A tout
moment s’allume dans le monde un foyer de guerres ou de luttes intestines qui,
dans leur cruauté inouïe,ravagent la terre et les hommes; des jeunes partent A la
guerre dans des pays lointains sans en comprendre le sens et en reviennent
moralement dépravés;les meilleurs périssent en luttant courageusement pour la
justice tandis que ceux qui se sont emparés du pouvoir assassinent au plus vite
leurs prédécesseurs; des milliers de tragédies et de meurtres ébranlent la
conscience du monde mais la vie quotidienne s’écoule dans l’inhfférence tant
que la foudre ne tombe pas A proximité; un inquiétant rksidu de culpabilité se
dépose toutefois dans le cœur des hommes qui se défendent par l’indifférence
ou le cynisme de la part de responsabilité qu’ils ont dans le destin de cette terre.
Les expéditions dans l’espace c o m m e les grandes manifestations sportives
deviennent un spectacle destiné aux masses, excitant c o m m e tous les autres
divertissements. L‘héroïsme force au silence; parfois, il est exploité par le
nationalisme;parfois encore il est ressenti c o m m e un jugement trop sévère sur la
médiocrité de la vie absorbée par les soucis quotidiens;mais personne ne sait s’il
existe d’autres appels et d’autresindications,ni en quoi consistent la beauté et la
sagesse de la vie humaine.
C‘est dans cette accumulation chaotique de faits et d’interprétations, d’aspi-
rations et de désillusions,de vécu et de réflexion,que se forment les expériences
les plus dramatiques de l’homme contemporain. Dans ces conditions se
façonnent deux modes de vie moderne.
Le premier est une aspiration planifiée A des buts fixés, un accomplissement
systématique de tPches fragmentaires.La catégorisationdes buts et des moyens,
la conception du présent en tant que chemin conduisant vers l’avenir et l’avenir
en tant qu’horizon s’éloignant continuellement,la directive d’un ((bon travail))
rentable dans ses résultats,conforme aux prévisions et aux intentions- tels sont
les principaux Cléments de ce mode de vie. Cette vision pragmatique du monde
le fait entrevoir c o m m e une réalit6 bien ordonnée et stable; elle montre que la
vie humaine a atteint la limite de son (tobjectivation))totale mais que, préci-
sément pour cela, elle est préservée des épreuves intérieures inquiétantes,de ce
qu’on pourrait appeler l’anarchiepsychique.
Le deuxième mode de vie est le contraire de tout cela. Son terrain essentiel est
le présent vécu subjectivement c o m m e instant en lui-même important et suffi-
sant. La mesure principale de cette vie, ce sont les expériences intérieures,
personnelles: le monde n’est que la réalité qui nous ((parle)), qui nous
((convient)).Les dimensions du monde et sa structure objective ne sont pas
Pour une approche mondiale 155

importantes si elles se trouvent hors de portée de l'expérience intérieure. De


cette façon, la vie devient un grand acte d'expression violente et passionnée,
personnelle et intérieure,mais retentissant aussi sur les autres et créant un far-
deau commun, une expression constituant le chemin d'une communautk nou-
velle, non organisée et non formelle, mais dynamique, ((ouvrant))le psychisme
dans le cadre de dialogues, de discussions spontankes, du théâtre,de la musique
et de la poésie. Cette attitude n'aboutit pas A un programme positif de révo-
lution sociale - pas plus en tant que stratégie d'action politique que c o m m e
vision utopique - étant donné que tout ((programme))et m ê m e tout ((espoir))lui
sont étrangers. Mais elle manifeste son opposition A la vie ((ordonnée))dans
laquelle les couches sociales au pouvoir organisent leurs forces pour consolider
ce pouvoir et &lever le niveau de la satisfaction des besoins. E n dépit de son
conformisme utilitaire, cette attitude s'exprime - sans prendre en considération
ni les circonstances ni l'avenir- par une soumission A l'Clément de l'expression.
Ces deux modes de vie moderne sont en conflit, mais en m ê m e temps se
renforcent l'un l'autre.
Comment faire, dans le premier cas, pour remédier A la soumission des gens
aux choses - laquelle leur fait perdre les contenus humanistes de leur vie -, pour
briser les liens qui réduisent l'homme aux dimensions de producteur et de
consommateur? Comment faire,dans le deuxième, pour vaincre les tendances
anarchiques A la révolte, A la protestation, A la contradiction, de m ê m e qu'au
goût pour les divertissements vides et les amusements ((de l'heure))? Peut-on
trouver d'autres valeurs de la vie que celles que fournissent,ici, les moyens qui
stimulent l'énergieet 18,les narcotiques qui intensifient les sensations?
Ces questions aboutissent au problème essentiel qui se pose A l'homme
moderne: celui de l'engagement. L'engagement unit les gens du monde objectif
et c o m m u n A ceux du monde individuel et subjectif.C'est toujours l'engagement
de quelqu'un dans quelque chose.

VISION DE L'AVENIR: SCIENCE,TRAVAIL,CULTURE ET CRhTIVITfi


Tournons A prksent nos regards vers l'avenir. C'est dans cette perspective que
nous allons commencer nos réflexions: les conditions de la vie y seront consi-
dérées comme un champ d'action fixant aux hommes leurs tâches et l'activité
sociale, A la fois nécessaire et planifiée par les hommes, c o m m e un facteur libé-
rant certaines motivations de leurs actions et une certaine manikre de savourer
la vie. Sur cette lancée, on peut essayer de construire une image de l'homme
futur qui, sans être identique, n'en sera pas moins le m ê m e que celui des siècles
révolus, ce qui permettra de garder la grande unité humaniste des traditions
historiques en m ê m e temps que de garantir l'évolution incessante de son
contenu et de ses formes.
Sur ce chapitre, une signification particulière revient A l'analyse de tout ce
qui change la situation des hommes et les tâches universelles qui en découlent.
C e qui importe surtout, en l'occurrence, c'est la manière dont l'homme accepte
et exploite le prodigieux essor de la science et de la technique. Celui-ciintervient
156 Finalités de l'éducation

de plus en plus profondément dans la vie quotidienne des hommes - profes-


sionnelle et extraprofessionnelle.Il est certain que la science et la technique
modernes ne doivent pas être envisagées c o m m e une somme de C O M ~ ~ S S ~et~ C ~ S
de savoir-faire qu'il suffit d'((apprendre)) pour s'y adapter, mais c o m m e une
réalit6 dans laquelle il faut vivre, en y participant activement et en contribuant &
la faire progresser. La science et la techruque ne resteront plus longtemps un
moyen de préparer les hommes au travd professionnel; elles deviendront des
facteurs façonnant leur mode de vie, ainsi que leur attitude et leur culture
personnelles.L a grande cause de l'éducation universelle des hommes va bien au-
del& de notre époque.
L a générahsation de la culture scientifique, qui s'effectuera non seulement
c o m m e un processus autonome de la connaissance théorique mais aussi c o m m e
un processus de l'activitépratique - et en premier lieu du travail professionnel -
aura des conséquences extrêmement importantes. Si, dans l'avenir, de plus en
plus d'hommes sont tenus d'exkuter un travd professionnel de plus en plus
fondé sur l'incessantprogrès de la science et de la technique,il en résultera non
seulement la nécessité de promouvoir l'éducation permanente mais aussi la
possibilitk de rapprocher plus profondément, plus intimement,l'homme et son
travail.
Dans la civilisation future, le travd, tout en demeurant un moyen de gagner
son existence, deviendra, dans des proportions considérablement accrues, le
terrain où l'homme pourra se réahser en y trouvant toutes les possibilitks de
satisfaire ses penchants, ses capacités, ses passions et ses ambitions. Trans-
former le travail professionnel d'une besogne lourde et inhumaine en une acti-
vité humaine libre et engagée,c'est 18 un processus qui demandera certainement
beaucoup de temps et n'ira pas sans heurts. Il ne sera pas facile de changer les
conditions de travail objectives dans nombre de professions; pas plus qu'il n'est
aisé, aujourd'hui, de surmonter l'idéologie qui veut que l'humanisme de la civili-
sation future trouve son expression uniquement dans les heures de loisir et non
dans le travail lui-même.
Mais il semble que le processus historique,déterminépar le développement de
la science et de la technique ainsi que par les progres de la démocratie sociale,
conduise inévitablement vers des conditions qui rendront possible la généra-
lisation du travail créateur. Les hommes seront-ils alors & la hauteur de ces
conditions? Sauront-ils en profiter pour 6laborer un nouveau style de travd
professionnel de nature & produire de meilleurs effets sur la société et assurer &
l'individu une vie plus intense? Il est dfficile de prkciser les délais dans lesquels
ces questions pourront recevoir une réponse positive. Mais c'est sur cette voie
que l'on observera les événements les plus marquants du grand processus de for-
mation de l'homme nouveau.
Toutes ces réflexions nous amknent aux problèmes les plus importants et
peut-être les plus essentiels qui se poseront & l'homme futur. Je pense aux
motifs de ses actions, &la nouvelle hiérarchie des valeurs qu'il fera sienne.
La recherche d'une réponse & ces questions nous ouvre une double perspec-
tive. Il se peut que l'avenir soit une époque de bien-être et de consommation,
qu'il apporte la réalisation de l'idéal petit bourgeois: bonheur paisible et sans
Pour une approche mondiale 157

problèmes, écoulement tranquille de jours sereins. Mais il se peut aussi qu’il


apporte une intensification de la vie, qu’il soit l’époque de l’accroissement géné-
ral de la curiositéhumaine, des tentativespassionnantes et des inspirations créa-
trices les plus hardies. Tout semble indiquer que les conditions sociales favo-
riseront plutôt ce deuxième genre de vie. Mais rien ne nous dit qu’il soit une
nécessité;il demeure une possibilité entre les mains des hommes.
Saurons-nous orienter les hommes vers une telle option? N o n point en les
abreuvant d’appels et recommandations mais en éveillant en eux un profond
besoin de choisir précisément ce genre de vie. Les Romains disaient jadis que
l’homme n’est pas obligé de vivre, mais qu’il est obligé de naviguer. Saurons-
nous prêter un contenu moderne A cette admirable observation anthropologique,
maxime de courage et d‘espérance?
Située dans ces perspectives, la critique moderne de la société de production
et de la société de consommation dépasse son sujet initial pour devenir une
grande vision d’un monde nouveau peuplé d’hommes nouveaux. Il s’agit de
rompre le cadre d’une vie déterminée par le cycle production-consommation,
cycle dans lequel la place principale revient A la marchandise plutôt qu’g
l’homme.11 s’agit de restituer 21 l’homme le droit A l’action effectuée dans la joie,
de lui assurer une existence aux horizons plus amples que ceux du producteur et
du consommateur.Appréhendé sous cet angle, le travail deviendra lui aussi une
expression de l’homme et l’on verra disparaître le clivage tant discuté qui sépare
la problématique du temps de travail de celle des loisirs. Alors que, dans la
société bourgeoise,le temps de travad c o m m e le temps de loisirs contribuent A
l’aliénation de l’homme,dans la société future,il n’y aura plus aucune raison de
distinguer l’un de l’autre.Lorsque nous surmonteronsla civilisation des marchés
d’écoulement, nous pourrons réunir toutes les conditions pour que l’activitéde
l’homme, et en premier lieu son travail, devienne objet de sa volonté et de sa
conscience et qu’il puisse se reconnaître dans le monde qu’il aura créé. Dans
cette situation, l’homme ((produira))non pour satisfaire ses besoins matériels
mais pour satisfaire ses besoins spirituels, au sens large du terme. Alors il ne
vivra pas pour consommer tout ce que fournit le marché, mais il consommera
pour vivre d’une mani&re toujours aussi riche et passionnante. Dans ces
conditions, il pourra s’affranchir du sentiment de l’hostilité du monde, monde
qui lui apparaît souvent telle une grande maison d’esclavage.Dans le travail et
dans le jeu, on verra s’accomphr une double réconciliation des hommes qui par-
viendront A se réahser pleinement en créant une réalité nouvelle; et 18 sera le
champ du ((grand jeu)) qui,dépassant les limites du divertissement et du repos,
deviendra l’expression m ê m e de l’homme dans toute la plénitude de sa richesse
intérieure.
Dans cette perspective oc la vie humaine apparaît en termes de travad et de
jeu, libérée des services de production et de consommation,la liberté humaine
prend une dimension nouvelle que l’on ne pouvait imaginer que dans des visions
de l’avenircourageusement opposées A l’étroitessede la vie réelle des hommes de
notre temps. Cette dimension nouvelle de la liberté humaine, c’est la créativité
qui l’apporte. C‘est elle qui permet de concilier le travail et le jeu A un échelon
nouveau,plus élevé,de l’existencesociale et individuelle.
158 Finalités de réducation

C'est la créativité qui donne aux hommes le maximum de liberté qui leur soit
accessible. C'est grâce aux Cléments créateurs que le travail cesse d'être le dur
effort ayant pour seul but de nous assurer des moyens d'existence, pour devenir
une manière de vivre, le sens m ê m e de notre vie et la source de notre enga-
gement. C'est grâce 8 la création que le jeu cesse d'être un divertissement stan-
dardisé, que nous acceptons passivement, pour devenir notre aventure et
l'expression de nous-mêmes.C'est grâce A elle que nous dépassons les frontières
du monde des objets produits et consommés pour entrer dans un monde de
possibilités imaginées dont nous sortons des choses inédites. C'est encore grâce
8 elle que nous cessons d'être toujours identiques A nous-mêmes,dans un monde
hérité et sans cesse reproduit, pour devenir des hommes qui, dans la nouveauté
de leurs actions, acquièrent,pourrait-ondire, des visages nouveaux.
C'est aussi la créativité qui, parce qu'elle nous absorbe,nous protège contre la
saturation et l'ennui; qui nous permet d'encourir hardiment le risque et, m ê m e
en cas d'échec, de ne pas perdre le sentiment du sens de la vie. C'est pourquoi la
liberté que nous trouvons sur les chemins de la création n'est jamais une liberté
qui effraie, une liberté dont le fardeau pourrait paraître trop lourd. C o m m e on
l'a observé avec raison, il est des libertés auxquelles les hommes préfèrent la
condition d'esclave où ils trouvent la paix et la sécurité dans l'obéissance et la
soumission. La création nous offre, elle, une liberté d'un tout autre genre; les
hommes mûrs pour une vie créatrice sont non seulement 8 m ê m e de ((supporter
le fardeau de la liberté));ils sont effectivement et authentiquement libres.
Nos développements sur l'homme de l'avenir ont le caractère d'une réflexion
pleine de modération.Tout ce que nous pouvons dire se ramène 8 exprimer la
complexité de cette problématique afin de faire comprendre que jamais encore,
depuis que l'humanité existe, tant de choses n'ont dépendu de la ((qualité))de
l'homme et que, dans le cadre de la lutte pour cette qualité, jamais tant de
choses n'ont dépendu d'une claire conscience de la situation historique dans
laquelle nous vivons et qui exige que la reconstruction socialiste de la vie soit
renforcée et approfondie par l'éducation d'un h o m m e nouveau.

CONDITION D E L'AVENIR: LA PAIX UNIVERSELLE


La défense de la paix consiste A former la conscience et le comportement des
hommes de sorte qu'ils puissent coopérer pour maîtriser les différentes sources
de menaces pour la paix, enracinées dans la mentalité humaine, dans les sys-
tèmes idéologiques, dans la réahté sociale et politique, dans les injustices et les
préjugés, dans les conflits objectivement motivés.
Disons d'emblée que la défense de la paix peut être interprétée en termes
d'éducation d'hommes - essayons de le définir ainsi - qui vivent dans la paix
intérieure. C'est 18 une affirmation peut-être inattendue mais importante. Les
hommes qui connaissent la paix intérieure ne &dent pas aux impulsions de
l'agression, quelles qu'elles soient. La psychologie contemporaine a maintes fois
attiré l'attention sur les multiples sources de l'agressivité individuelle et a
formulé diverses propositions de thérapie susceptible de la subjuguer et de la
vaincre.
Pour une approche mondiale 159

Il faut orienter l'individu vers ses semblables et vers les valeurs; non vers les
succès et la domination. La stratégie de la vie individuelle peut être diversement
conçue. Elle peut l'être suivant un principe vertical, c'est-&dire axée vers le haut
par les échelons du succès,afin d'avoir toujours plus d'importance et d'argent et
d'exercer un pouvoir plus grand sur les hommes. Cette orientation menace la
nature des rapports inter-individuels en ce qu'elle fait des autres nos alliés ou
nos ennemis et exclut la possibilité de relations désintéressées, donc l'amitié
désintéressée,l'amour désintéressé,la communauté désintéressée.
Cette orientation de la vie vers les succts et la domination a pesé d'une
manière caractéristique sur toute la civhsation moderne, ce que Bacon annon-
çait dans sa philosophie. Nous ressentons aujourd'hui la crise de ce comporte-
ment dominateur de l'homme également &l'égard de la nature.Nous voyons que
son attitude &cet égard ne peut être uniquement de lutte et de domination mais
peut aussi impliquer coexistence et coopération.Le grand programme de protec-
tion de l'environnement est non seulement un programme technologique et éco-
nomique; il exprime aussi la nouvelle phdosophie du monde, la philosophie de
la nature; il exprime - disons-le clairement - la nouvelle métaphysique
définissant l'attitude de l'homme A l'égard de la nature. Nous croyons que l'atti-
tude de domination est indivisible et nous sommes obligés de la limiter dans
toute sa portée, par conséquent dans le domaine de la domination: de l'homme
sur les hommes et des hommes sur la nature.
Cette tâche implique la défense de la stratégie des actions non violentes. Il
s'agit de la lutte sans brutalité, sans haine. Bien que fréquemment considérée
c o m m e utopique,cette stratégie est néanmoins appliquée réellement.Elle est liée
au grand n o m de Gandhi qui, précisément,concevait la lutte pour la liberté de
l'Inde, la lutte pour le bien-être de tous, en tant que ((luttesans lutte)). Aujour-
d'hui, la valeur de cette méthode s'est estompée.
Dans un monde si cruel,la stratégie de l'action sans violence dont je viens de
citer des exemples parait irréelle. Et pourtant, il faut dire que nous sommes
confrontés & l'alternative: ou l'escalade de la violence,de la terreur,des coerci-
tions de toute sorte, ou la recherche d'une solution pertinente des conflits qui
engendrent ces actes de violence, la tentative de les résoudre autrement.Je pense
que la stratégie de l'action sans violence est une stratégie extrêmement difficile &
appliquer,mobilisant rarement pour l'action commune, moins propre & captiver
les masses qui &dent plutôt facilement & la fascination de la coercition et & la
fascination de la violence. Néanmoins, cette stratégie doit - au moins dans notre
conscience - avoir priorité, et non faire l'objet du complaisant sourire de bien-
veillance qui n'oblige & rien. A u fond, il n'y a pas de raison de prétendre que
cette stratégie est utopique et que celle de la violence est réelle. En dernier
ressort,les atouts de l'une et de l'autre se distribueraient de manière fort diffé-
rente. Si nous ne devons pas choisir le fanatisme,nous devons choisir la tolC-
rance - c'est-&dire, au fond, que nous devons choisir le dévouement, l'action
par le modèle et par l'exemple, plutôt par rayonnement que par le 'biais des
institutions,de la bureaucratie et de l'administration. Notre civilisation,qui est
&un haut degré une civilisation d'organisations et d'institutions, a certainement
besoin de la vérité sur l'homme et de la vérité sur les rapports entre les hommes.
160 Finalitès de l'èducation

Notre civilisation, qui est A un haut degré un mécanisme guidé vers ce qui est
bon ou vers ce qui est mauvais, a besoin de tout ce qui inspire la liberté,l'œuvre
créatrice et l'action, de tout ce qui rattache l'homme A l'homme et non uni-
quement l'homme A l'institution et A l'organisation.
Si ce retour A la vie authentique doit s'opérer, nous devons attacher une très
grande importance précisément Zi la stratégie de l'action sans violence, dans une
atmosphère de tolérance opposée A tout fanatisme, une action qui soit surtout
celle des hommes et non des institutions et des organisations,une action spon-
tanée et non un arrêté de l'administration, une action volontaire et non une
action imposée. D e telles actions semblent particulièrement nkcessaires A notre
civilisation. Elles sont la meilleure garantie de paix, mais d'une paix cette fois
qui règne dans le monde objectif;les hommes doivent comprendre le bien-fondé
de ces formes directes d'action de l'homme avec l'homme et de l'homme pour
l'homme. U n jour,Herbert Read a écrit: ((Lapaix descend du ciel avec la grâce
de la colombe,mais seulement pour demeurer dans les esprits sereins, dans les
cœurs qui battent sans peur et sans contrainte.))
Le problkme suivant, Zi savoir l'éducation pour la paix, tient au fait que la
formation dispensée dans un esprit de tolkrance et de coopération déborde le
cadre de la vie individuelle. Cela n'implique pas ce que nous appelons ((paix
intérieure))mais oblige A neutraliser l'ascendant exercé par plusieurs idéologies
qui pèsent sur la neutralité de l'homme et l'entraînent dans la voie des passivités
dangereuses et du fanatisme. Des idéologies c o m m e le nationalisme et le
fascisme dont l'histoire n'est pas encore close, telles que l'impérialisme et le
colonialisme,des idéologies qui divisent le monde et incitent les hommes A pro-
fiter de ce partage pour occuper les postes de haut rang - de souverains, de
maitres qui exploitent tous les autres peuples -, ces idéologies sont très difficiles
A démasquer. Mais il est important de le faire afin de montrer comment elles
cernent perfidement la mentalité humaine et exploitent habilement les besoins
fondamentaux de l'homme.Pour cela, il faut s'élever au-dessusdu niveau étroit
des stricts intérets de sa propre nation, pour atteindre celui des relations humai-
nes mutuelles,indépendantesdes frontières qui séparent les hommes.
En démasquant ces fausses idkologies, il faut avoir une vision positive de la
vie sociale.C'est ce qu'on appelle aujourd'hui le dialogue entre civilisations.La
situation actuelle de l'Europe, mère de la ciwhsation scientifiw-technique qui
cerne le monde entier, est une situation difficile, précisément du fait que les
solutions humanistes sont différentes en Europe et dans les autres parties du
monde. Il faut entamer ce grand dialogue entre les civilisations pour tenter de
parvenir A une entente entre toutes les nations de la terre, entente réalisée dans
la tolérance, la coopération, la compréhension des valeurs propres aux autres
civilisations éloignées dans le temps et l'espace, mais importantes en tant
qu'expérience de la vie humaine, en tant qu'éléments de l'opinion ((humaine))sur
le monde. Nous vivons dans des régions différentes de cette terre,mais les pro-
blèmes de la compréhension du sens et de la valeur de la vie y ont été toujours
abordés dans les mêmes intentions. Lorsque nous analysons les problèmes de la
paix intérieure en tant que l'une des conditions de l'éducation pour la paix, nous
devons non seulement cerner les probltmes de la lutte contre les idéologies qui
Pour une approche mondiale 161

préparent les guerres, mais aussi, et simultanément,édifier une grande entente


entre les hommes quant aux questions essentielles de la vie, la grande entente
entre les civilisations.

Le cycle de problkmes suivant implique la question de la politique appré-


hendée d'un double point de vue: en tant que service au bénéfice des hommes et
en tant que pouvoir exercé sur les hommes et qui les manipule A son propre
profit. Quand nous parlons de la défense de la paix, il nous faut chercher une
alternative pour la politique des préparatifs de guerre et la politique cause de
guerres entre les pays. La phase de la guerre froide en Europe nous a rendus
particulièrement sensibles A la valeur des relations pacifiques entre pays A sys-
tèmes socio-politiquesdifférents.Mais ce qui nous inquikte aujourd'hui le plus,
ce sont les tensions et les conflits,les hostilités de courte durée que nous obser-
vons actuellement entre pays ayant choisi les mêmes systèmes politiques. Ils
prouvent que l'activité pour la paix doit s'intensifier et gagner en profondeur,
afin d'être en mesure de conjurer aussi ces confits-la, incompréhensibles au
fond du point de vue idéologique.

Il faut aujourd'hui être socialement vidant quant A l'activité des hommes


politiques dans certains pays. Le large front du mouvement pour la paix qui
mobilise et engage des millions d'hommes est un atout spectaculaire dans la
lutte pour l'avenir. C'est peut-être grâce A lui que nous avons pu, au cours de
dernières décennies,éviter la guerre qui menace le monde. L'éducation doit, elle
aussi,mobiliser A grande échelle les masses populaires pour soutenir les hommes
politiques qui veulent sauvegarder la paix et contrecarrer les plans de ceux qui
préparent la guerre.

L a politique mise au service de la paix est liée au respect des droits de


l'homme et de la vie humaine. La Déclaration des droits de l'homme des
Nations Unies a constitué un élCment de base important de l'éducation pour la
paix. Malheureusement, notre époque oh l'on parle tant et A juste titre de la
personne humaine et de sa dignité, des choses épouvantables se passent B une
échelle peut-être inconnue dans l'histoire:des hommes sont systématiquement
détruits et spoliés non seulement dans leurs droits A la liberté mais tout sim-
plement dans leurs droits B la vie; des groupes entiers sont exterminés et on
massacre les enfants, tout A fait c o m m e au temps d'Hérode ainsi que nous
l'enseigne l'histoire biblique. On extermine cruellement A tout propos: pour ce
que les hommes pensent;pour ce qu'ils disent; parce qu'ils vivent.
En achevant cette brève revue des problèmes afférents B la défense de la paix,
je voudrais souhgner qu'elle implique une certaine vision de l'ordre humain -
intérieur et extérieur - qui lie l'attitude personnelle et les relations entre indi-
vidus A l'attitude sociale des hommes en tant que citoyens d'un pays et citoyens
du monde. L a liaison de ces deux perspectives de la vie - la vie individuelle et
privée, la vie civique et publique - constitue la principale tâche, et la plus diffi-
cile, de l'éducationpour la paix.
162 Finalitès de I'éducation

CONDITION DE L'AVENIR: LE NOUVEL ORDRE fiCONOMIQUE


ET LA PROBLfiMATIQUE DE LA CULTURE MONDIALE

Nous intensifions nos efforts pour créer les bases d'un nouvel ordre économique
mondial qui ouvrirait les perspectives d'un avenir meilleur où serait abolie
l'injustice dans le partage des biens, égdsées les conditions d'existence de tous
les peuples de cette terre,limité le gaspillage dans les pays (triches))et supprimés
dans les pays ((pauvres))la misère, la maladie et l'obscurantisme. Les grandes
organisations internationales(a commencer par l'ONU),les dizaines d'associa-
tions scientifiques et les centaines d'éminents savants et de spéciahstes des
domaines de l'économie,de la science appliquée et de la technique,de l'alimen-
tation,de la santC et de la politique de I'éducation concentrent leurs efforts pour
établir les principes de ce nouvel ordre économique dans le monde.
Mais l'ordre économique n'est pas seulement le fruit d'une politique juste
dans le domaine des matières premières,des capitaux,du commerce extérieur;il
ne découle pas simplement de la formation de cadres quahfiés et d'une orga-
nisationjudicieusea l'échellerégionale et mondiale.
L a gestion des hommes est en dernière instance enracinée dans l'image qu'ils
se font de ce qui est précieux et souhaitable dans la vie, dans leurs aspirations et
leurs décisions touchant le style de vie qu'ils veulent mettre en place. Il est
évident qu'un type donné d'économie consolide le type correspondant d'atti-
tudes humaines en affaiblissant ou éliminant leurs autres aspects; en effet,
chaque nouveau type d'économie oblige A reconsidérer le système de valeurs en
cours. C'est donc A juste titre que depuis un certain temps nous observons -
mais encore trop peu - la problématique des associations entre les conceptions
et les projets du nouvel ordre écononomique et la ((réorientation))qui s'opère
dans le domaine des valeurs fondamentales qui guident la vie humaine.
L a création du nouvel ordre économique nous confronte réellement au grand
problème de la culture mondiale. Faudrait4 l'uniformiser et dans quelle
mesure? Suivant les modèles de la science et de la technique qui sont partout les
mêmes? L'unité culturelle du monde doit-elle respecter l'hétérogénéité régionale
des opinions sur le monde et la vie? Mais si elle devait le faire, voire m ê m e les
développer, quelles seraient les possibilités d'intégration? U n ctdialogue))
pourrait-il suffire?
Consacrons un moment d'attention A cette problématique. Des siècles durant,
l'évolution de l'humanité s'opérait dans des cercles culturels réciproquement
assez isolés. Il est vrai qu'A la jonction de ces cultures différentes,certaines idées
affluaient - parfois sous forme de controverses violentes - mais ces courants
d'idées importants pour les diverses régions géographiques n'étaient jamais
durables ni profonds. E n général, ils ne pénétraient que dans le domaine intel-
lectuel- mentionnons notamment A cet égard la science et la philosophie arabes
médiévales - et le domaine artistique, surtout la peinture et la musique des
temps derniers. Il est vrai que les historiens de l'art apprécient hautement le rôle
que l'art des peuples d'Afrique, d'Asie et de Polynésie a joué dans le dévelop-
pement de l'art européen moderne; mais ce rôle ne s'est pas fait sentir au-dela
du d e u artistique.
Pour une approche mondiale 163

Dans la vie sociale, la situation se présentait autrement. L'expansion de la


culture européenne,orientée vers le monde entier, avait un caractère dynamique.
Elle s'opérait sur deux plans: le plan visionnaire,propageant le christianisme,et
le plan scientifico-technique,développant dans le monde la civilisation indus-
trielle moderne.
Les résultats obtenus dans ces deux voies étaient controversables. Jomo
Kenyatta a fait, relativement ii la première, cette amère réflexion: ((Quand
l'homme blanc est apparu en Afrique, il avait dans la main la Bible, mais c'est
nous qui régnions sur notre terre. Et maintenant? Nous avons la Bible, et il s'est
emparé de notre terre)). C'était une critique sév6re de l'activité missionnaire: elle
gagnait des adeptes A la religion chrétienne, mais ne garantissait pas aux indi-
gènes des possibdités de vie et de développement dans leurs propres pays qui
devenaient le terrain de l'exploitationcoloniale.
Dans la deuxième voie apparaissaient des difficultés d'un autre genre. Il est
vrai que l'assimilation de la science et de la technique européano-américaines
par les peuples d'Afrique et d'Asie permettait dans certains cas -par exemple au
Japon - de créer des organismes hnomiques puissants; mais cela n'était
nullement ghéral. Il convient d'ajouter que cette expansion technico-scienti-
fique s'accompagnait d'une propagande en faveur du style de vie propre aux
sociétés évolutes d'Europe et d'Amérique du Nord, style qui demeure en contra-
diction flagrante avec les traditions et les mœurs locales. Tout en adoptant la
science et la techmque européano-américaines, le Japon a réussi dans une
certaine mesure ii maintenir le caracthe distinctif de sa propre culture. L'Inde
s'oriente également dans ce m ê m e sens.
Mais en Afrique, cela n'est déjii pas facile. L'adoption de la science et de la
techque occidentales menace la continuité culturelle des peuples et des tribus
et engendre dans ces sociétés de graves conflits internes entre l'ensemble de la
population et le groupe restreint des privilégiés et des ((dépaysés)) par
l'européanisation et l'américanisation. D'oh une double protestation: les uns
défendent la culture traditionnelle de leur pays et y retrouvent des valeurs qu'ils
estiment précieuses pour le monde entier; les autres, en critiquant ce tradition-
nel et émotionnel programme de défense de leur propre culture et de son rôle
missionnaire, s'opposent ii l'européanisation et A l'américanisation en adoptant
le point de vue marxiste, qui permet de différencier dans ces influences ce qui est
durable et important pour tous -la science et la techmque modernes - et ce qui
est l'expression du système social de classe et le modèle de vie des classes
rkgnantes.
Ces expériences montrent que l'édification d'un nouvel ordre culturel mondial
est une tâche fort compliquée. L'analyse fait apparaître qu'elle comporte des
zones d'activité hfférentes.
Considérons d'abord le rôle de la science et de la techque dans le monde.
Rien ne saurait arrêter le processus de vulgarisation dont elles sont l'objet, ainsi
que l'élargissement permanent du cercle des créateurs de ce développement dans
les différents pays. Il ne fait pas de doute que science et techmque constituent la
langue commune de la cidsation moderne mondiale, qu'elles sont le principal
élément de son intégration dans le cercle des mêmes problbmes de la cognition
164 Finalitès de l‘èducation

et de l’action.Les progrès de la science et de la techmque, d’intensité variable


suivant les pays, deviennent un bien général toujours mieux compris.
Néanmoins, le développement de la science et de la techmque ne s’opère pas
indépendamment des con&tions sociales et politiques concrètes qui influent de
manières &verses sur son orientation et sa mise en œuvre. Nous vivons h une
époque qui a cessé de croire aux bienfaits de la civilisation et de ce dévelop-
pement; nous pouvons nous en rendre compte: premièrement, du fait qu’il doit
être protégé de l’exploitationque pourraient en faire les forces hostiles aux inté-
rêts globaux du monde; deuxièmement, du fait qu’il doit être judicieusement
guidé afin que soient lunitées et liquidées les conséquences néfastes de la civili-
sation industrielle.
L a réahsation de ce programme - sous ses deux aspects - est difficile,car c’est
ici qu’entrent en jeu les diverses conceptions des buts sociaux et des valeurs
sociales, conceptions parfois opposées, le plus souvent inspirées par les grands
consortiums internationaux ou les différents Etats rivaux. C‘est pour cette
raison - quoique la science et la technique deviennent une langue commune au
monde entier - que ce qui est dit dans cette langue varie beaucoup. E n consé-
quence, l’édification du nouvel ordre culturel dans le monde suppose au préa-
lable l’obtention d’un consensus quant h l’orientation sociale h donner au déve-
loppement de la science et de la technique.
Le deuxième domaine de l’activité déployée en faveur du nouvel ordre cul-
turel concerne le style de vie. Il diffère sensiblement dans les diverses parties du
monde. L‘acquis culturel et le standmg matériel constituent sous des formes
différentes le style de vie des masses. La civilisation européano-américainelance
un certain mode de vie et de consommation luxueux, fort attrayant aussi bien
pour les couches pauvres de la population dans les pays riches que pour l’élite
dans les pays en développement. Dans les deux cas, ce style de vie devient
l’Clément spécifique de la dissociation sociale, des conflits entre les différentes
couches de population, des luttes entre les défenseurs de la tradition culturelle et
des mœurs et les groupes privilégiés qui ont abandonné cette tradition.
Simultanément, la civilisation européano-américainelance un type actif de
vie, mobilisant pour les efforts incessants censés conduire,par la voie de succès
croissants,toujours plus haut sur l’échellesociale: avoir de plus en plus d’argent,
de plus en plus d’importance, exercer un pouvoir de plus en plus grand, avoir un
n o m de plus en plus COMU, etc.
Dans beaucoup de pays, ce type de vie n’est pas très apprécié. U n touriste
américain en Inde, voyant un Hindou qui se reposait A l’ombre de son pousse-
pousse, lui a demandé pourquoi il ne travaillait pas; il a reçu en réponse cette
question: ((Pourquoidevrais-je travadler du moment que je n’aipas de femme et
que j’ai déjh mangé m a portion quotidienne de riz?)). A l’échelon plus élevé des
besoins et des aspirations, cette attitude se manifeste par l’acceptation de la
méditation ou de la contemplation, de la vie en communauté avec la nature,
avec l’art,avec les amis. Johan Galtung définit ce style de vie en tant que style
((horizontal))et l’oppose au style tcvertical))qui joue un rôle prédominant dans la
ciwhsation européano-américainemoderne.
Pour une approche mondiale 165

Comment concilier ces styles de vie dfférents? Est-ilpossible de h t e r les


aspirations qui conduisent ii la consommation de luxe et de créer une atmo-
sphère favorable A la vie modeste que pourraient s'assurer tous les citoyens de la
m ê m e société et, en perspective,tous les hommes du monde entier? Pourrait-on
réduire les préférences pour le style de vie vertical et populariser les préférences
pour l'autre style? Toutes ces questions s'adressent ii la civilisation européano-
américaine. Mais aux autres civilisations, opposées, il faudrait demander
comment on pourrait préserver les attitudes ((horizontales))des dangers de la
stagnation, de la paresse et de la passivité. Bien qu'il soit très difficile d'équi-
librer ces différents styles de vie, il importe de mobiliser ii cet effet tous les
efforts car aucun ordre culturel global ne pourra être instauré si la contradiction
flagrante qui les oppose se maintient.
Ces problèmes nous donnent aussi accès au troisi6me plan d'activités en
faveur du nouvel ordre culturel dans le monde. Il s'agit de la problématique du
sens et de la valeur de la vie, la problématique de l'homme et de sa destinée ou
vocation. 11 fut un temps où l'on croyait que la civilisation scientifique et tech-
nique, organisant la vie pragmatique et utilitaire, repousserait beaucoup plus
loin et remettrait ii beaucoup plus tard ces problèmes ((définitifs)).En effet, dans
le tumulte quotidien, ils passaient inaperçus. Mais ils n'ont pas pour autant
disparu de la conscience de l'homme, et surtout de son subconscient. Nous
observons aujourd'hui un accroissement sensible des besoins affectifs et intellec-
tuels de ce type. Ils se manifestent aussi bien par l'animation de la vie religieuse
dans le cadre des Eghses chrétiennes que sur le terrain des différentes sectes reli-
gieuses, de m ê m e que dans les pratiques mystiques et thérapeutiques de toute
sorte.
Nous observons en m ê m e temps une très grande activité socio-politique de
l'Islam en tant que religion qui prend entièrement en charge la dnection de ses
adeptes dans le monde entier. L'exemple de l'Iran, qui semblait appelé A être un
Etat industriel capitihste moderne et qui est devenu une république islamique,
caractérisecette problématique métaphysique de la vie humaine.
Les processus précités créent une situation particulièrement difficile pour la
prise de conscience européenne, formée depuis quelques siècles dans un esprit
de confiance croissante en la philosophie et la science laïques. Il semblait que ce
fût un signe de la modernité de professer une conception laïque du monde,
d'admettre les vérités scientifiques en tant que directives de vie et d'accepter les
idéaux humanistes en tant qu'acquis historique du genre humain engageant
toutes les générations.Aujourd'hui, en cette époque &te volontiers époque de la
révolution scientifique et techque et époque de la générabsation de
l'éducation, ii c6té des éléments scientifiques et laïques apparaissent des forces
contraires qui, lorsqu'elles prennent l'ascendant sur la conscience et les compor-
tements des hommes, rendent la problématique du nouvel ordre culturel parti-
culièrement compliquée.
Dans cette problématique, la science constitue et a constitué notre contri-
bution européano-américaine. Mais quand elle ne peut répondre ii toutes les
questions concernant le sort humain, elle doit quitter la ligne de front et laisser
le champ libre ii la grande controverse des différents systèmes métaphysiques et
166 Finalités de l'éducation

religieux du monde. Il n'y a aucune chance que, dans ce débat, les uns puissent
convaincre les autres. Mais il y a des chances que cette controverse soit un dia-
logue incessant et non une lutte incessante,que ce soit un débat poursuivi dans
un esprit de tolérance et non une source de fanatismes croissants. C e dialogue
doit être intCgré dans le nouvel ordre culturel du monde.

CONDITION DE L'AVENIR: L'fiDUCATION


L'avenir du monde dépend d'une défense efficace de la paix et de la réalisation
juhcieuse du nouvel ordre économique. L'avenir dépend aussi de l'éducation,
vers laquelle se tournent les espérances de notre époque - que nous appelons
époque de la civilisation A la croisée des chemins.
Quel doit être l'objet de l'éducation? Doit-elle s'adapter A la civilisation
contemporaine afin de préparer A participer au courant actuel de son dCvelop-
pement, ou doit-elleinciter A améliorer de façon appropriée et systématiquetous
les domaines qui doivent être judicieusement gérés?
L e programme de l'éducation adaptatrice est, bien entendu, plus facile A
réahser, sans riques ni périls. Mais si l'avenir ne doit pas etre identique au pré-
sent, s'il doit être ((autre)),nous devons choisir l'éducation innovatrice.L'éduca-
tion au service de l'avenir doit s'appliquer A former en l'homme la conscience
critique qui lui permettra d'apprécier la réalité et de guider son dkveloppement
en vue de lui conférer le rôle social qu'elle doit avoir. Il s'ensuit que l'éducation
qui, des siècles durant, avait un caractère élitiste et prestigieux, privilège de
quelques-uns,devient un bien général utile A la fois A la société dans son ensem-
ble et au monde dans sa totalité. Aujourd'hui, la situation et le rôle de l'tduca-
tion ont entièrement changé. Evidemment, l'éducation demeure un bien très
important pour l'homme, notamment pour sa carrière et la formation de sa
personnalité.Mais elle devient aussi,dans différents domaines,notamment dans
l'économie, un bien général,A caractère social.Depuis le milieu de ce siècle,on a
observé que les matikres premières,les capitaux et l'organisation du travad ne
sont pas les seuls éléments de la croissance économique mais que la quahté de ce
travail,qui exige un niveau d'instruction de plus en plus élevé, est aussi un élé-
ment important.
Il en est de m ê m e dans le domaine politique. L a conception traditionnelle de
l'enseignement prévoyait un cadre h t é de connaissances civiques qui permet-
trait au citoyen de trouver sa place dans la société et dans l'Etat. Aujourd'hui, la
formation civique devient un facteur important de la conscience politique de la
société et de son attitude A l'égard des grands problèmes nationaux et intema-
tionaux.Elle devient aussi un instrument de lutte contre les ré@es dictatoriaux
qui manœuvrent les hommes selon la volonté de ceux qui se sont emparés du
pouvoir. Elle devient enfin un élément de l'éhfication de l'ordre démocratique
et de la participation croissante des citoyens h la gestion de la société et A la
culture.
L'éducation constitue la source m ê m e qui permet de comprendre le caractère
et les tendances Cvolutives de la civilisation m o d e m e et qui permet aussi d'en
diriger le développement. Nous savons aujourd'hui que ce développement ne
Pour une approche mondiale 167

saurait être violent ni s’effectuer dans et par la violence car il menacerait alors la
sécurité et le bonheur des hommes.
La participation consciente des masses A toutes les activités visant A améliorer
la civilisation moderne et & préserver notre planète et l’humanité tout entière
d’une catastrophe est un facteur très important. Cette problématique globale se
pose aujourd’hui A tous les habitants de la terre. Sa compréhension n’est
évidemment pas la m ê m e partout, mais partout, A l’heure actuelle, la tâche
primordiale de l’éducation consiste & atteindre un certain niveau de convictions
communes, indispensablesA l’actioncommune.
Dans ce contexte où des tâches sociales nouvelles, autrefois inconnues, se
posent A l’éducation, les conceptions tradtionnelles de l’instruction, les insti-
tutions traditionnelles qui la servent, c o m m e les programmes qui indiquent ses
principaux objectifs,ne peuvent aujourd‘hui suffire.A &té de la théorie et de la
pratique de l’instruction conçues en tant que bien de l’homme, il faut élaborer
une théorie et une pratique de l’éducation conçues en tant que bien social,parti-
culièrement important & l’heure où notre civilisation se trouve & la croisée des
chemins.
Il est évident que ces deux conceptions de la formation ne sont pas opposées
ni nettement distinctes. Elles sont au contraire inséparablement liées et
s’influencentréciproquement.Les hommes ne vivent pas isolés et ce qu’ils consi-
dèrent c o m m e leur propre bien dépend de la société A laquelle ils appartiennent
et m ê m e du sort du monde entier. D’autre part, l’éducation en tant que bien
social est dispensée aux individus leur vie durant. Et c’est précisément A cause de
cela que les nouvelles tâches qui lui incombent déterminent son programme,
lequel s’associe A celui que les hommes établissent pour eux-mêmes,pour leur
profit personnel et au bénéfice du développement. Malgré cette intégration qui
s’opère de façon naturelle et non consciemment programmée, il faut nécessai-
rement distinguer ces deux domaines et comprendre la double tâche de l’éduca-
tion: former la personnalité de l’homme et le former en tant que citoyen de son
propre pays et du monde.
Ces deux directions ont souvent été précisées au cours de l’histoire de
l’éducation et un instant de réflexion sur les expériences historiques permettrait
de comprendre plus profondément les visées propres A chacune.
Dans le cadre de la première, la réalité est un terrain opératoire où l’homme
organise sa vie; pour la seconde, cette m ê m e réalité constitue la partie d’un tout
avec lequel l’individus’associe intimement grâce A la réalité en soi et A l’appel et
aux exigences de cette réalité. Dans le premier cas, il s’agit d’une activité effec-
tuée dans l’ordre matériel et pratique de la vie; dans le second, c’est la vie inté-
rieure personnelle qui est en jeu. ((Que dois-je faire?))- se demande l’homme
pour lequel la réahté constitue un champ d’action. ((Que dois-je être?)) - se
demande l’homme considérant la réalité c o m m e un monde de valeurs et
d’obligations. Ces deux attitudes impliquent des conséquences éducatives
diverses.
En rapport avec la première apparaissait une pédagogie préoccupée par la
préparation & la vie; en rapport avec la seconde, une pédagogie orientée vers la
formation de la personnalité. L’idée de la préparation & la vie &tait liée A la
168 Finalités de réducation

conviction que la vie humaine est la participation de l'homme au monde objec-


tif, produit de l'activité sociale séculaire des hommes; elle n'est alors mesurable
que par ses propres catégories objectives et elle est modelée par ses exigences.
L'homme est, bien entendu,créateur de ce monde, mais il en est aussi le produit
final;en quahté de produit,il devient également créateur. Mais quelle que soit la
forme concrète de la vie, plus ou moins active,l'homme demeure toujours lié à
l'univers de ses propres créations. Sa vie n'est que son appartenance à ce monde,
un ensemble d'effets issus de l'action du monde sur l'homme et de celle de
l'homme sur le monde. Le rôle de l'éducation devient alors énorme. La prépa-
ration à la vie décide de ce que sera la vie même, puisque la vie n'est rien d'autre
que la synthèse d'effets conditionnés par une bonne préparation.
D e ce point de vue, cette pédagogie proposait ses principes fondamentaux et
un style caractéristique de réflexion. Toutes ses analyses partaient de la réalité
objective qui devait constituer le contenu de l'éducation.C'est pour cela qu'elle
s'intéressait beaucoup à la logique et A la méthodologie des sciences,à une struc-
ture systématique des effets et à la structure du processus de la connaissance
dans divers domaines. U n e question, ((Commentenseigner?)),devenait alors pri-
mordiale du point de vue de l'objectif visé: transmettre le savoir. Pour cette
m ê m e raison, on s'intéressait à la sociologie et A l'économie, A l'histoire et à la
politique, aux disciphes qui mettent en valeur l'aspect objectif de la réalité
sociale dans le cadre de laquelle et pour laquelle on réahsait l'éducation. U n e
question,C o m m e n t former l'homme?)),était, au sein de cette conception péda-
gogique, analysée surtout du point de vue des tâches qu'on assignait à ce genre
d'éducation. C e point de vue objectif et extérieur faisait que l'élève n'était consi-
déré qu'en qualité de ((matériau))particuher servant à ((produire))ce qui était
proposé par les objectifs de l'éducation.
L a problématique change quand il s'agit de former la personnalité. Cette
orientation pédagogique tend vers une réflexion sur ces domaines de l'activité
éducative qui - c o m m e on le pensait - concernaient plus que les autres la forma-
tion humaine. C'étaient alors les problèmes de la formation morale et esthé-
tique, des relations humaines au sein du groupe de jeunes et de la relation
maître-élèves.Par rapport à une activité éducative réalisée sur un plan plus exté-
rieur comme, par exemple, la formation intellectuelle et technique,ce genre de
souci pédagogique donnait lieu A des analyses approfondes mettant en valeur
les liens qui existent entre l'acquisitiondu savoir et les expériences intellectuelles
d'ordre personnel, de m ê m e qu'A des études sur le rapport entre l'habileté
technique et l'ordre intérieur,la maturité affective chez l'homme.
Conformément à son propre point de vue, cette pédagogie s'intéressait parti-
culièrement A la dynamique du développement de la personnalité: on étudiait
alors les instincts et les penchants, les émotions et l'imagination;on procédait à
des recherches, tout récemment très en vogue, sur les motivations,les styles de la
vie humaine,le caractère. Des notions c o m m e l'expression et la créativité,l'inhi-
bition et la frustration,le ressentiment et l'identification sont devenues des caté-
gories importantes pour la pédagogie de la formation humaine. Cette éducation
se préoccupait de la qualité de l'homme beaucoup plus que de ses activités.
Pour une approche mondiale 169

Cette dualité de l’éducation a été, depuis des siècles,le sujet de nombreuses


réflexions. Il paraissait évident, bien que difficile 9 comprendre, que l’homme
est un être mystérieux qui, tout en menant sa vie dans la réalité qu’il a lui-même
créée, déborde ses cadres. Il paraissait évident, bien qu’inquiétant, qu’il est un
être qui, tout en acceptant son destin quotidien,le conteste et lutte contre lui; un
être exceptionnel qui, tout en vivant hic et nunc, réahse une autre dimension de
sa vie dans le temps et dans l’espace.Finalement,il paraissait évident,mais aussi
un peu insolite, que l’homme est un être 9 la fois social et solitaire, qu’il cherche
la coexistence et la coopération tout en s’opposant aux devoirs que cela implique
et qu’il apprécie sa liberté personnelle plus que toute autre valeur,qu’il est prêt ti
offrir sa vie aussi bien pour sa patrie et toute la communauté que pour sa propre
opinion. Cette dualité de l’existence humaine marquée par des contradictions
dynamiques constituait la base principale sur laquelle, dans la culture euro-
péenne, apparaissaient des dfficultés importantes quant 9 la philosophie de
l’homme et de sa vie.
Le processus analysé prend cependant,ti notre époque, une valeur nouvelle et
particulièrement importante. Beaucoup plus que les civilisations du passé, la
civilisation moderne exige, pour se maintenir et se développer,une participation
active. D u m ê m e coup, l’épanouissement personnel de l’homme dépend dans
une plus large mesure de sa contribution créatrice aux processus de mutation de
cette civilisation moderne. Notre époque ouvre les perspectives pour une situa-
tion dans laquelle il n’y aura pas d’autre préparation de l’homme 9 la vie que par
l’intermédiaire de sa formation personnelle et, inversement, il n’y aura pas
d’autre formation personnelle que celle réahsée 9 travers une préparation appro-
fondie - et non pas instrumentale- 9 la vie tout court.
Préciser davantage les problèmes relevant de cette stratégie éducative
exigerait une recherche particulière et collective. Mais pour aborder ce domaine
difficile, il semble qu’on puisse provisoirement retenir la liste suivante des pro-
blèmes méritant d’être pris en considération dans la politique éducative.
Le premier groupe de ces problèmes embrasse certains aspects de l’activité
humaine qui paraissent avoir une importance particulière pour une éducation
((sur mesure)) de l’homme de notre temps. Il s’agit d’une manière générale de
tout ce qu’on n o m e besoins de l’homme, motifs de son comportement et sti-
mulants de son activité.
Ces questions se posent aux éducateurs. Leur nouvelle tâche sera de faire en
sorte que l’éducation crée chez les jeunes générations des besoins ayant la qua-
lité et la valeur souhaitables. Il ne faut pas nier que c’est la une tâche difficile.
Les difficultés viennent 9 la fois du fait que ni l’histoirede l’éducation ni la pra-
tique éducative actuelle ne nous fournissent d‘exemples de formation des
besoins réahsée de manière consciente et systématique,et du fait plus énigma-
tique encore que m ê m e la notion de qualité ((désirable))des besoins ne soit suffi-
samment claire.
Le second grand domaine de problèmes s’ouvrant 9 la pédagogie moderne est
déterminé par des notions c o m m e l’expérience et l’expression de soi, l’expé-
rience de l’existence, la créativité et la poétique du soi. Il importe de bien
comprendre la position primordiale que tient dans la vie humaine ce qu’on peut
170 Finalités de l'éducation

qualifier de ((poétiquedu soi)). Il s'agit d'un processus de dtveloppement et de


croissance dans lequel est admis et s'exprime le contenu essentiel de la person-
nalité, ses potentialités latentes et ses possibilités en sommeil, son ((fonction-
nement))intégral et multiforme;ce processus implique d'un côté qu'est reconnue
et acceptée cette ((base))de la personnalité donnée A chaque type humain; de
l'autre,que ses mutations sont guidées et orientées vers la maturité de l'être.
Les éducateurs doivent se soucier non seulement de développer c o m m e il
convient toutes les forces que manifeste l'homme, mais aussi de les multiplier.
Ils doivent alors faire naître et s'épanouir des forces toujours nouvelles.
Autrement dit, il s'agit en matière d'éducation A la fois de donner forme A la vie
et d'en assurer l'intensité et la richesse.
Evidemment, le processus de formation de la vie professionnelle et celui de
l'éVeil de cette vie sont intimement liés. Mais les duections pratiques liées A ces
deux processus sont, sous certains aspects, diverses. La première d'entre elles
met l'accent sur l'acquisition du savoir, sur la capacité de mémoriser l'infor-
mation et de bien l'utiliser; elle prône l'obéissance aux normes, la préparation
immédiate A des tâches dtterminées.L a seconde oriente le travail éducatif plutôt
vers l'éVeil d'intérêts et de préoccupations personnels, suscite la curiosité intel-
lectuelle, des expériences complètement nouvelles, des formes neuves - et
jusqu'alors inconnues de l'élève - de l'expression et de la sensibdité, ainsi que
l'élargissement de l'horizon par le contact avec le monde et les hommes.
L'éVeil et l'enrichissement de la vie personnelle, divers processus d'((ouver-
ture)) des sens et de l'esprit sur le monde et ses richesses infinies, la sensi-
bilisation aux problèmes nés des contacts humains, l'effort pour inspirer des
expériences et des sentiments multiples et variés, l'invitation A une réflexion sur
sa propre vie, telles sont les grandes tâches éducatives qui, A la lumière du
savoir nouveau que l'on a sur l'homme, prennent une importance toujours
croissante.
Le troisième terrain opératoire relatif A la formation de l'homme est lié aux
problèmes de son inttgration au monde et A ceux qui touchent l'essence de la
communautt humaine. Ces problèmes paraissent particulièrement ardus et aigus
A notre époque.
Le sentiment de la communauté entre les hommes se constitue dans le
contexte matériel de leur vie, dans les processus de leur intégration A travers
l'accomplissement de tâches et d'objectifs bien définis, et aussi par le biais
d'expériences communes. La vie farmliale et son atmosphère, le nuheu social et
le groupe enfantin en mesure de forger aussi bien les attitudes adaptées que
négatives comptent beaucoup A cet égard. Un rôle important est joué aussi par
l'ambiance du travail professionnel. On consacre de plus en plus d'études et de
recherches A ces divers facteurs et l'on peut constater que le sentiment de la
communauté entre les hommes peut résulter d'une action consciente sur le plan
de l'organisation des conditionsde travail.
Mais le rdle de tous ces facteurs n'explique pas complttement le sentiment de
communauté ressenti dans l'expérience humaine. Cette communauté se forme,
bien entendu, au cours de l'activité organiste dans le cadre de vie donné et les
conhtions qu'il impose. Mais elle se forme aussi sous l'effet de facteurs très
Pour une approche mondiale 171

divers c o m m e l'expérience personnelle - et notamment sentimentale - liée A


l'histoire, A la culture,A l'art et aux représentationsque l'on se fait de l'avenir.
D e ce point de vue aussi la communauté entre les hommes n'est pas
uniquement le produit des conditions et relations existantes; elle se forme éga-
lement A travers l'atmosphère créée par la tradition historique et par l'art.
L'éducation historique et l'éducation esthétique deviennent d'importants
moyens de constituer ce sentiment d'isolement, de réduire les instincts d'agres-
sion qui se fontjour chez les êtres solitairesvivant dans un c h a t de crainte.Ces
deux types d'éducation, contribuant A faire naître le sentiment de communauté,
Cveillent et développent chez l'individu sa vie intérieure et ses expériences
personnelles.
Venons-en enfin au quatrième domaine de l'activité éducative. C e domaine
englobe les problèmes relevant de l'intensité de la vie et de la manière de ressen-
tir l'expériencedu monde et de soi,de la dynamique de l'action et du sentiment.
C e sont les grandes questions du mode d'être, du style de vie de l'homme.
Certes, les tâches éducatives sont ici les plus difficiles A préciser et A réahser.
Mais il faut se rendre compte de leur importance,d'où la nécessité de les appré-
hender sur le plan éducatif.
Comment pourrait-on rendre A l'homme la joie de vivre, la confiance en la
valeur de la vie, la capacité d'en comprendre le sens, le charme de l'engagement?
Comment serait-il possible d'appeler l'indwidu mener une vie intense? Cela
nous confronte avec les problèmes éducatifs les plus difficiles.
On peut toujours avoir recours aux grandes idées. Mais il faut cependant rap-
peler que l'attitude pour laquelle on lutte est particulièrement méfiante A cet
égard. On peut avoir recours aux conceptions du monde, mais il faut en m ê m e
temps souligner qu'au Moyen Age, époque où régnaient un grand courant spi-
rituel et la foi intérieure dispensée par l'Eghse, une attitude ruineuse, celle de
taedium vitae,était particulièrement répandue.O n peut certainement fournir des
exemples d'autres formes de vie, des modèles d'héroïsme et de dévouement,de
grandeur humaine et de réussites créatrices,mais il ne faut pas oublier que les
exemples positifs ont souvent un effet négatif et suscitent l'opposition,la contes-
tation, la colère et le ressentiment. On peut mettre en valeur les charmes nom-
breux de la vie, les attraits des activités possibles, les tentations du risque et du
courage, l'inquiétude passionnée de la pensée réflexive, la beauté de l'art créant
un monde A part afin d'éveiller en l'individu ses intérêts, ses penchants, ses
préoccupations. Mais ce sont justement les intérêts,les penchants et les préoccu-
pations qui constituent la clé perdue du mystère de la vie riche et intense, cette
clé que l'on cherche.Tout serait très facile si l'on avait cette clé entre les mains.
Cela signifie-t-ilqu'il n'y ait rien A faire? Certes,il existe des limites A l'action
humaine efficace. Si l'on ne connaît pas le mystère de la vie biologique et de la
procréation, il est aisé d'admettre que l'on n'est pas en mesure de susciter une
vie spirituelle riche et intense. Si l'on ne sait pas vaincre la mort physique, il est
difficilede supposer qu'il soit possible de surmonter l'anéantissement de la vie
psychique,l'ennui, l'indolence, l'indifférence et le pessimisme.
Mais tout c o m m e on cherche A soigner la vie biologique, A la guérir de ses
malaises et A raffermir ses forces, il faut aussi croire qu'il est possible de soigner,
172 Finalités de I'éducation

guérir et améliorer la vie spirituelle.Toutes les méthodes d'action éducative que


l'on vient d'évoquer en pleine conscience de leurs limites - la grandeur des idées,
la conception réflexive et ouverte au monde, le rôle suggestif des modèles, la
force attrayante des intérêts personnels - gardent leur valeur 8 condition que
l'action éducative soit approfondie et de longue haleine et qu'elle embrasse 8 la
fois le milieu et les expériences des élèves. Cette action peut élargir les possi-
bilités de l'activité humaine, agir sur les attitudes et les motivations, et, d'une
manière systématique,bienveillante et mesurée, (couvrir))l'esprit sur le monde et
par-del8le ((sommeildogmatique)),éveiller l'inquiétudeintellectuelle,introduire
l'homme dans le riche monde de l'art et inspirer des expériences sur le plan de la
communauté humaine.
C e genre d'éducation aiderait 8 libérer l'homme de l'oppression des nécessités
et des freins de l'ennui. L'homme entre sur le chemin du bonheur accessible
lorsque sa vie s'élève au niveau supérieur de celui qui lui est désigné par la lutte
pour l'existence matérielle ou par le conformisme passif envers les conditions et
le milieu. La nécessité de créer,la joie de l'engagement et le sentiment intense de
la communauté ne sont possibles qu'A travers l'épanouissement des attitudes
personnelles et de l'imagination. Grâce 8 ses intérêts personnels, l'homme
commence 8 vivre c o m m e il le veut et non c o m m e on le lui impose. L'imagi-
nation est une force qui suscite, 8 côté de la vie empirique,une expérience fictive
constituant le point de départ d'une activité créatrice en mesure de transformer
la réalité existante et de préparer la réahté future. Cette conception de la vie
fondée sur l'imagination confère 8 celle-ci son importance,justifiant ainsi sa
contribution 8 l'édification du monde civilisé sur le plan de la science et de la
technologie. C'est ainsi que l'imagination permet de transcender les données
réelles du milieu naturel de l'homme. Dépassant les expériences du passé, elle
contribue aussi 8 l'établissement de la justice sociale et devient une force créa-
trice de l'homme lui-même,lequel,justement grâce 8 l'imagination,multiplie ses
propres forces vitales.
L a formation de la personnalité conçue de façon aussi multiforme devrait
compléter l'activité éducative organisée en vue de préparer l'homme 8 la vie et
pénétrer ses méthodes d'action en lui donnant des dimensions accrues. C'est
ainsi que la préparation de l'homme aux activités professionnellesserait justifiée
par son engagement personnel. Simultanément,cette éducation pour l'accom-
plissement des tâches concrètes constituerait un matériau pour la formation
personnelle, une réahté 8 apprivoiser par l'homme pour son extériorisation et
son expression.
U n monde privé de personnalités ne serait qu'une structure mécanique morte;
mais en revanche, la personnalité humaine privée de contact avec le monde ne
serait qu'un fantôme.

POUR UN PROGRAMME MONDIAL D'6DUCATION


POUR LA CIVILISATION DE L'AVENIR
Les tâches de l'éducation que l'on vient d'analyser et qui montrent les perspec-
tives de la formation humaine doivent être incluses dans un programme d'acti-
Pour une approche mondiale 173

vités beaucoup plus ample en vue de protCger la civilisation des nombreux


dangers qui la menacent.Il faut également organiser les conditionspropices A la
création d’une civilisation du bien-êtrepour tous,de la communication mutuelle
entre les nations, de la garantie des droits de l’homme et de l’amélioration de la
qualité de la vie.
Malgré les différences entre les continents et notamment sur l’axe Nord-Sud,
entre les pays développés et les pays en développement, malgré les différences
culturelles et idéologiques, les finahtés de la lutte pour un nouvel avenir du
monde sont partout les mêmes. Partout il s’agit de défendre la paix, de garantir
une formation B tous les êtres humains, de vaincre la menace de la faim et de
protéger la santé, de préserver les valeurs du d e u naturel, de sauver l’identité
culturelle de tous les groupes humains. Il faut stopper les fanatismes et la ter-
reur, assurer A tous le respect des droits de l’homme et des chances de partici-
pation B la vie sociale et politique.
Dans le cadre de finahtés si variées,il serait important et urgent d’élaborer en
c o m m u n un programme mondml d’éducation axé sur les activités visant B mettre
sur pied la civilisation de l’avenir.Nous présentons ci-après,B titre d’exemple,
huit éléments qui nous paraissent essentiels B cet égard.

1. L’humanité en lutte pour l‘existence et le bien-être


Les étapesfondamentales de la luttepour l‘existence dans l‘histoire du monde entier
en fonction des transfonnations démographiques et du développement des formes
productives. L e rôle crucial de l’épanouissementde la cidsation industrielle en
Europe. Le développement dynamique des forces productives aux XIXe et
XXe siècles, l’explosion démographique et l’accroissement du bien-être dans les
pays industriahsés. Situation des pays en développement. Perspectives de dia-
logue et de compréhensionmutuelle.
L a situation dans les divers pays du monde. ((Géographiede la faim)).Exploitation
dans les pays colonisés et processus de décolonisation. Problèmes de la lutte
pour l’existencedans les pays en développement:la lutte contre la faim,la sous-
alimentation,les épidémies,les maladies et la mortalité infantile.
Les inégalités contemporaines du niveau d’aisance dans les dijjérents pays du
monde. Civilisation de la consommation.Civilnation de la satiété et du gaspil-
lage par rapport A la civilisation de la misère. Confits entre les pays développés
et les pays en développement. Recherche de voies de dépassement de ces
conflits. Probkmes actuels de l’alimentation de la population du monde et de
l’exploitation des matières premitres et des sources d’énergie. Economie mon-
diale c o m m e entité et contradictionsdes intérêts. Perspectives d’avenir:stratégie
de la limitation de la croissance économique et stratégie de l’économie ration-
nelle sur le plan mondial fondée sur les principes de la coopération et d’une juste
répartition des biens. Espérances concernant la révolution scientifique et
technologique.
L’aspect moral des inégalités mondiales dans le niveau de la vie des nations et des
continents. Solidarité A l’échelle mondale et missions humanitaires. Exemples
174 Finalités de l'éducation

d'activités charitables et héroïques (l'exemple d'Albert Schweitzer). L'art


- essentiellement littérature, cinéma et art graphique - c o m m e instrument de
protestation contre la misère et l'injustice.

2. Vers unejustice sociale


Communauté primitive et étapes du développement des sociétés de classe. Les
diverses formes de leur modèle social de base: possession privée des moyens de
production,exploitation des masses laborieuses,inégahté sociale, guerres et pil-
lages. Caractère durable de l'idéal d'égahté, de la communauté, de la justice.
Pensée utopique et mouvements révolutionnaires populaires dans l'Europe du
Moyen Age et des temps modernes. Programme de la nouvelle organisation de
la société dans le cadre des révolutions bourgeoises des XVIIe et XVIIIe siècles
et leurs limites. Mouvement socialiste, sa théorie et sa pratique révolutionnaire.
Révolution d'octobre et m o d d e de la société sociahste.
Situation contemporaine.Deux systèmes d'organisation des rapports production-
vie sociale: capitalisme et sociahsme. Le progr& social dans les pays socialistes
conditionné par le développement de l'économie nationale et la juste répartition
du revenu national. Domaines de la vie concernés par le programme de progrès
social: conditions matérielles de vie, aide médicale, accès B l'éducation et A la
culture, protection sociale, égalisation des chances. Le capitahsme et le socia-
lisme en tant que systèmes d'organisation de 1'Etat et du pouvoir. Démocratie
bourgeoise et système parlementaire. Les menaces du fascisme. Démocratie
socialiste et caractère de 1'Etat socialiste. Participation directe et indirecte des
citoyens B l'exercicedu pouvoir de l'Etat. Directions et espérances de l'évolution
politique des pays en développement.

3. Rapports entre les nations: guerres et défense de la paix


La guerre dans l'histoire de l'humanité. Les Qfférentes justificationsde la guerre:
réahté et mystification. Tentatives de défense de la paix en Europe aux XVIIe et
XVIIIe siècles.L'idke de tolérance et d'humanitarisme; concept d'humanité. Les
guerres nationales de libération et les guerres impérialistes aux XIXe et
-
X X e siècles. L a Seconde guerre mondiale (1939 1945). Idéologie du racisme,
programme du génocide, crimes contre l'humanité. L a résistance: aspect moral
du mouvement. La philosophie, la littérature et l'art au secours des valeurs
humanistes détruites par le fascisme. La présence constante de ces expériences
dans la conscience sociale des nations B l'&poque actuelle.
Défense de la paix en tant que politique internationale et mouvement social Ci
l'échelle des masses. Littérature et art au service de la paix. Jamais plus
Auschwitz et Hiroshima. Institutions de coopération internationale (Nations
Unies,etc.) et activités internationalesen faveur de la consolidation de la paix et
de la coopération (Helsmlu, etc.). Aspect moral de ces activités et vision de
l'humanité unie.
Pour une approche mondiale 175

4. Situation de l'homme dans la civilisation contemporaine

StyZe de vie. Traditionnel, dans le contexte établi, surtout la campagne et dans


les communautés stables du voisinage. Style contemporain issu des processus
d'industriahsation et d'urbanisation. Mobilité sociale et solitude de l'indvidu.
Société de masse et foule anonyme. Conséquences inquiétantes pour la santé
psychque de l'individu. Besoins de la communauté et exaltation fasciste. Pers-
pectives de la communauté fondée sur les valeurs humanistes confirmées dans le
travail d'équipe et l'activitt sociale.Communauté nationale sans nationahme.

Rôle prépondérant des processus d'institutionnalisation et d'organisation de la vie.


Dangers de la manipulation administrative pour les êtres humains dans tous les
domaines de leur activité. Place A donner A l'initiative individuelle ou collective
de caractère novateur. Problème de la responsabilité: au niveau des institutions
et au niveau des indvidus. Importance des rapports interhumains de caractère
dmct et non formel.

Ambiguïté face d la civilisation contemporaine. Acceptation de ses réussites


facilitant la vie et peur des dangers qu'elle comporte. Concepts catastrophiques:
dégradation de l'homme, esclave au service des machines. Manipulation des
êtres humains dans le sens de leur exploitation. Orientation du développement
de la civilisation moderne en vue du bien-etredes hommes. Utilisation des réus-
sites de la science et de la technologie et mesures de protection contre l'éven-
tualtté d'une utihsation de caracttre anti-humaniste. Littérature et cinéma
traitant de la situation de l'homme dans la civilisation contemporaine.Présen-
tation démystificatrice de cette situation dans les pays capitalistes.Visions diffé-
rentes de l'avenir.Science-fictiondes diverses orientationsidéologiques.

Processus modernes d'urbanisation. L a ville c o m m e milieu et cadre de vie de la


plupart des hommes. Caracttre diversifié des villes en fonction de leur hstoire.
Villes anciennes et villes nouvelles. Idées nouvelles sur l'urbanisme. Villes, cités
de l'avenir - visions utopiques et possibhtés effectives de réalisation du pro-
gramme humaniste de construction des villes.

Problèmes de l'économie spatiale. Développement et emplacement des unités


d'habitat. Zones industrielles et zones de repos. Dimension optimale de l'agglo-
mération.Tâches importantes de protection du milieu naturel.

Transformation des conditions traditionnelles de vie. A la campagne. L'idée de la


campagne moderne unissant les valeurs du miheu naturel aux institutions et aux
conforts urbains. Situation du lieu d'habitation par rapport au lieu du travd.
Points de vue sur la solution optimale de ce dilemme. Situation dans les pays en
développement. L'identité et la diversité de la culture. Modèle de la société
industrielle développée et expériences et besoins des pays en développement.
Perspectives mondiales de la société post-industrielle.
176 Finalités de I'éducation

5. L e travailhumain dans le contexte du développement


de la science et de la technologie
Mutations modernes du travail humain. Le travail avec les machines et en équipe.
Système capitahste de l'organisation du travail et de la stimulation de son effi-
cacité. Le travail &éné. Conditions sociales de l'autoréahsation de l'homme au
travail.
Le progrès technique moderne et son rôle dans le cadre du travail humain. Théories
selon lesquelles ce progrès rend le travail mécanique pratiquement inhumain.La
vie authentiquement humaine uniquement possible pendant les heures de
liberté. Critique de ces conceptions. Automatisme et chance de supprimer le
travail A la chaîne. Rôle accru de l'enseignement. Perspectives de diffusion du
travail permettant l'engagement personnel.
La révolution scientifique et technologique. Ses conséquences pour le travail
humain. Qualifications professionnellesc o m m e capacités de participation active
au développement de la science et de ses applications.Chemins vers la dffusion
de la culture scientifique.Rapidité du progrès scientifique et technique.Défi aux
innovations permanentes. Le travail c o m m e source d'expériences sociales.
Organisation collective et responsabilité collective et individuelle.Problèmes de
la participation des travailleurs A la planification et A la gestion des processus de
travail.
Le temps libre. Ses éléments et ses fonctions diverses dans la vie humaine.
L'augmentation du temps libre dans la civilisation contemporaine et son
utilisation sociale et indwiduelle.Le temps libre c o m m e temps de repos et de
régénération des forces.Le temps du bricolage et des hobby. Le temps de l'auto-
didaxie. Le rôle du temps libre - m ê m e utilisé de façon ((désintéressée))- pour
l'activité professionnelle, surtout demandant un engagement intégral de la
personnalité.Problèmes du travd dans les sociétés en développement.

6. La culture comme facteur de développement social et individuel


Principale fonction sociale de la culture dans le passé. Ornement de la vie. Culture
d'élite et culture populaire en tant que formes dstinctes de cet ornement. Créa-
tivité des artistes solitaires et des savants - son rôle social limité. Le Siècle des
lumières en Europe et le processus de la naissance de la culture sociale généra-
lisée; son rôle croissant dans la vie des nations et des individus. Programme de
l'enseignement générahsé.
Situation actuelle. Le développement de la science et ses caractéristiques diffé-
renciant le stade moderne des stades anciens de son histoire. Le développement
de la technologie moderne et ses différences par rapport A la technologie des siè-
cles passés, notamment du XIXe siècle. Union de la science et de la technologie.
Révolution scientifique et technique, phénomène propre A notre époque. Le rôle
de cette révolution pour la vie sociale et économique. Problèmes des ((deux
cultures)): scientifico-techniqueet littéraire-artistique.Oppositions et chances de
les surmonter.Alliance de la technique et de l'art dans l'industrie, l'urbanisme et
Pour une approche mondiale 177

l'architecture,le cinéma et les arts plastiques. Musions aux traditions gréco-


romaines, médiévales et de la Renaissance. La notion modeme d'humanisme
débordant son contenu philosophique et englobant la problématique de la
science et de la technologie au service de l'homme. Humanisme et travd.
L'explosion éducative du milieu du XXe siècle. Processus de diffusion de
l'enseignement secondaire et sup6rieur. Education permanente. Formation de
cadres qualifiés c o m m e facteur essentiel de développement. L'éducation en tant
qu'approfondissement du processus de participation personnelle A la culture.
Education sur les biens traditionnels de la culture et critique contemporaine de
ce programme. Inspiration et animation des forces créatrices et des tendances A
l'innovation.
Rôle croissant de la culture.C o m m e facteur du développement des sociétés et des
individus. ProblCmatique de l'orientation de ce développement. Planification A
terme de durée variée. L'avenir c o m m e œuvre consciente des hommes. Prospec-
tive et futurologie.Le caractkre du milieu culturel moderne. Développement des
institutions de diffusion et accessibdité des valeurs intellectuelles et artistiques
des sciences et des arts. Moyens de communication de masse et leur portée crois-
sante. Durée permanente de la participation culturelle dans les petits groupes
non formels. Choix selon les préférences individuelles dans le domaine des arts
et selon les intérêts indwiduels dans le domaine des sciences. Notion et pro-
gramme de la culture de masse. Espérances qu'elle suscite et critique de ses limi-
tations. Niveau d'élite et niveau populaire. Le type de public touché par la cul-
ture et les perspectives d'une culture commune, générahsée.

1. L'art c o m m e monde imaginé et vécu par l'homme contemporain


L'art ((attaque)).De divers points de vue et partout dans la cidsation contem-
poraine. Il est présent dans le milieu vital de l'homme, constitue un élément
important du milieu culturel et intervient de plus en plus dans la production.
L'importance de I'éducation pour l'art et par l'art. L'Cducation pour l'art c o m m e
éducation des besoins esthétiques et de la capacité de vivre de manière authen-
tique les œuvres d'art. Les grandes œuvres du passé en tant qu'œuvres encore
vivantes de nos jours. Interprétation et compréhension de l'art moderne. Les
tâches multiformes de l'éducation par l'art: stimulation de l'expression,enrichs-
sement affectif, inspiration de l'intuition et de l'imagmation, animation des
forces créatrices, modèle de vie. Diversité des institutions dispensant de nos
jours l'éducation pour et par l'art.
Le rôle décisif des expériences personnelles. L'art c o m m e miroir de la personnalité
et ((manuelde vie)). Expérience de l'art en tant qu'expérience de soi. Projection
et identification. Elargissement des frontikres de la vie réelle de l'homme.
Approfondissement de l'autoréflexion. L'art et la conscience morale.
L'art et le ((rapprochement))de la réalité matérielle et sociale. L'image concrkte
des choses et des hommes c o m m e complément de l'analyse théorique des élé-
ments et des lois. Rapprochement de la réalité lointaine et élargissement des
178 Finalités de l'éducation

frontières de la communauté interhumaine. Beauté du monde et cruauté des


hommes. L'art militant. L'art démystificateur et contestataire. Les grandes
traditions de l'art en tant que révolte. Les genres contemporainsde cet art: diffé-
rentes dxections de l'attaque; diversité des formes (surréalisme et baroque).
L'art persifleur. L'art de la métaphysique laïque,l'art de la ccconhtionhumaine))
et du destin de l'homme; l'art, fait humain. Lyrisme de la communion avec la
nature et le monde. Son rôle particulier dans la civilisation moderne. Expérience
de l'art c o m m e chemin vers la formation des attitudes créatrices; décloi-
sonnement des schémas, dépassement de la routine, inspiration du courage et
construction d'attitudes (couvertes))et cependant engagées.

8. L'homme et la qualité de son existence


Certains résultats de la recherche psychologique. Surtout concernant le dévelop-
pement de la personnalité et ses divers types aussi bien que les niveaux des
besoins chez l'homme. Quelques idées d'anthropologie philosophique quant A
l'interprétation de l'essence de l'homme. Attitudes et possibilités de dmger sa
propre vie. Diversité des facteurs élevant la qualité de la vie humaine. Le bien-
être et la carrière déterminant les horizons bornés de la vie: satisfaction,
consommation, tension ou ((stress)).Idéaux traditionnels de l'homme et du
citoyen invitant au dépassement de ces horizons. Contenus de ces idéaux varia-
bles avec l'histoire; répétition de l'opinion que ce n'est pas la vie en tant que
telle qui présente une valeur, mais la vie forgée par certaines valeurs. Conflit des
idéaux de l'homme et du citoyen. Bases de leur rapprochement: finahtés huma-
nistes d'un Etat au service de la nation et d'une vie des citoyens authenti-
quement ((humaine)).
Problème de I'autoréalisation de l'individu. Epanouissement de ses intérêts et de
ses aspirations. Activité de l'indwidu valable A la fois pour lui-même et pour la
société. Dépassement d'un égoïsme destructif. Situations exceptionnelles: ser-
vice offert A la société en tant que sacrifice,privation, voire héroïsme.
La vieparmi les autres. Relations établies par les lois et les institutions.Rapports
informels, personnels. Engagement dans ce type de rapports en vue d'autrui.
Formes d'une communauté engagée: famille, amitié, équipe. Pratique de
l'amour et de la bienveillance. Devise de Marx: ((Pouravoir un ami,il faut être
soi-même ami.))Deux styles de vie humaine: disciplinée et rationnelle,axée sur
les activités menant vers la réahsation des plans, moments actuels utilisés
c o m m e moyens de parvenir aux buts fixés; vie faite des expériences actuelles,
ayant une valeur en soi et ne servant aucun but. Culture, science, art et éduca-
tion peuvent être conçus c o m m e valeurs humanistes instrumentales servant
l'accomplissement d'une carrière professionnelle,visant la conquête d'une situa-
tion, d'une position sociale, de la fortune. Peuvent également être considérés
c o m m e valeurs non instrumentales en soi. Rôle de ces deux styles de vie pour
l'épanouissement de la personnalité intégrale:catégories ((avoir))et (cêtre)).
Menaces actuelles de la richesse existentielle de la vie. Difficulté de l'existence et
problème de la santC psychique de l'homme dans les conditionsde la civilisation
Pour une approche mondiale 179

moderne. Intégration de la personnalité. Diversité des vecteurs de son épanouis-


sement et engagement suivant l’un d’entre eux. Fidélité A soi-même et attitude
(couverte))face aux nouvelles possibilités et tâches. Etre soi-même et non pas
toujours le même.

CONCLUSION
Ainsi que nous avons tenté de le montrer, l’éducation doit, A notre époque,
remplir de grandes taches.C‘est précisément pour cette raison que la responsabi-
lité des éducateurs s’accroît.Leur rôle est beaucoup plus difficile qu’autrefois car
les objectifs de l’éducation qu’ils doivent atteindre ne sont pas aussi clairs ni
aussi généralement reconnus qu’ils l’étaient dans le passé. Alors qu’autrefois le
rôle des éducateurs était seulement de transmettre les finalités de l’éducation
fixées par la société, aujourd‘hui ils doivent participer A leur formulation. E n
unissant leurs efforts A ceux de la fraction la plus éclairée de la société, en liant
partie avec ceux qui cherchent A instaurer dans le monde entier un ordre juste et
général, en s’associant aux aspirations et aux inquiétudes des jeunes, les éduca-
teurs doivent poursuivre un dialogue difficile, plein d‘incertitudes, d’espérances
et d’hésitations,un dialogue se donnant pour fin l’établissement de la commu-
nauté entre les hommes et la lutte contre le fanatisme et les dscriminations.
Dans ce dialogue devront être formulés les objectifs lointains de l’éducation
en vue de mettre fin A tous les conformismes et opportunismes qui consolident
l’état de choses actuel qu’il faut améliorer. C e dialogue ne doit toutefois pas
aller trop loin dans l’avenir dont la vision risquerait de perturber les activités
actuelles. L‘éducation permanente, qui est le grand thème de notre époque,
oblige A déterminer sans cesse les buts qui règlent les changements dans la vie
des peuples et des individus. Il s’agit d’accepter les traditions historiques
vivantes qui renforcent le sentiment d’identité nationale, mais il s’agit aussi, et
simultanément, de prévenir le nationalisme par une large (<ouverture))sur les
tâches de la cidsation globale.
Il faut lier le patriotisme local aux obligations de tous les peuples et de tous
les Etats A l’égard de la communauté humaine. Dans cette optique, les éduca-
teurs doivent chercher et déterminer les valeurs reconnues par tous les hommes.
A l’encontre des tenLalilies relativistes de notre temps, il nous faut - c o m m e
l’enseignela tradition de la culture européenne formée par Qfférentes sources -
retrouver l’ident té humaine dans l’hétérogénéitédes images et des actions créées
par les hfférentes civilisations du monde.
Les finalités et les valeurs éducatives liées A la problématique de la civilisation
doivent être complétées par une réflexion sur les tâches de l’éducation dans la
vie des différentes sociétés de cette terre. Le sens multiple des propositions de la
démocratie doit être concrktement précisé dans des situations concrètes. Il s’agit
surtout de développer la participation de tous A tout ce qui est important pour
tous, ainsi que d’associer les droits et les obligations,l’évolution de 1’inQvidu et
la consolidation de la communauté. Dans les conditions difficiles de la vie
contemporaine pleine de tensions et de contradictions,l’immunité de l’homme
180 Finalités de l‘éducation

doit constituer la visée prioritaire. C’est autour de ce principe,tant de fois violé


dans l’histoire du monde, que doivent se concentrer tous les efforts des édu-
cateurs.
Cela conduit enfin au vaste domaine des rapports humains et au programme
de formation de la vie individuelle.A côté des institutionspubliques destinées à
cette activité éducative, il s’agit d’inspirer et de développer des rapports directs
d’homme h homme, s’inscrivant c o m m e disent les phlosophes dans les caté-
gories ((moiet toi)) et non dans les systbmes ((moiet eux)). Enfin, les Cducateurs
devraient avoir pour tâche d’aider à la création d’une bonne stratégie de la vie
individuelle.L a formation professionnelle de chaque citoyen et sa participation
à la vie sociale sont évidemment importantes.Mais l’orientation de la vie vers les
valeurs non instrumentales par lesquelles se réalise la vocation de l’homme, et
non seulement ses succbs évalués de façon pragmatique, est également trbs
importante. En acceptant les obligations concrètes et les besoins vitaux qui se
manifestent ((iciet maintenant)),l’homme devrait aussi organiser sa vie en fonc-
tion de la stratégie déterminée par une conception humaine de l’existence tant
de fois exprimée dans les doctrines religieuses et métaphysiques,c o m m e dans
celle de l’humanisme laïque. Cela signifie, si l’on en croit les philosophes, que
l‘être a priorité sur l’avoir et l‘agir. Etre homme, c’est là, en définitive, ce qui
exprime la vocation suprême des éducateurs.
CHAPITRE SIX
Buts et perspectives de l’éducation
par I.Z Bestoujev-Lada

Pour appliquer les méthodes de la recherche scientifique moderne A l’étude des


perspectives de l’éducation,il faut d’abord préciser les limites,la portée et la
structure de ce qu’on entend par éducation et prtsenter celle-cisous forme de
système bien défini dont les paramètres principaux peuvent &tre incorporés dans
un modtle prévisionnel. L’kducation, en tant que système social,est considérée
ici au sens large,global,comme l’ensemble ordonné des sous-systèmesci-après.
- Sous-systèmeI (SSl).Les établissements dits préscolaires des deux niveaux suivants:
pour les enfants âgés de O ii 2-3ans et pour ceux de 2-3 h 5-7 ans (crtches et jardins
d’enfants dans plusieurs pays dont l’URSS).
- Sous-système2 (SS2).Les écoles primaires, les écoles secondaires du premier cycle et les
écoles secondaires complttes d’enseignement général. Pour les enfants et adolescents
âgésde5-7B9-11ans,de9-11 A 13-15 ansetde 13-15 h 16-18 ans, avecdelégersécarts
selon les pays. Il convient d’ajouter les établissements correspondants pour adultes
n’ayant pas fait d’études dans leur jeunesse et suivant le m & m e programme ii un âge plus
avancé.
- Sous-système3 (SS3).Les établissements de formation professionnelle d’ouvriers et
employés spécialisks ayant suivi l’école primaire, le cycle court du secondaire ou l’école
secondaire compltte, ou n‘ayant pas fait d’études du tout. 11 convient de rattacher
cette catégorie l’apprentissage,individuel ou en groupe, dispenst directement sur le lieu
de travail futur des kltves.
- Sous-système4 (SS4).Les établissements de formation de spécialistes diplômés, qui se
répartissent en deux niveaux comportant chacun 2 ii 3 ans d’études: les établissements
de formation d’agents spécialisés (techniciens,etc.) et les établissements de formation
d’ingénieurs, d’enseignants, de médecins et d’autres spécialistes de niveau analogue.
Dans certains pays, le premier niveau est considéré ” m e faisant partie de l’enseigne-
ment secondaire spécialisk, tandis que le deuxitme est assimilé tt l’enseignement
supérieur.Dans d’autres pays, la frontitre entre ces deux niveaux est quelque peu diffé-
rente.Mais en principe,les deux niveaux constituent un seul sous-systtme.
- Sous-système5 (SSS).Les établissements post-secondairesde niveau universitaire desti-
nés A la poursuite de l’enseignement génkral des adultes. C e sous-systtmeest appelé h
englober en principe toute la vie active de l’adulte et l’on y inclut organiquement l’auto-
didaxie.
- Sous-système 6 (SS6).Les établissements de perfectionnement et de recyclage profes-
sionnels, d’autant plus nécessaires que les connaissances acquises sont aujourd’hui de
plus en plus rapidement dépassées.
1 a2 Finalités de l‘éducation

- Sous-système 7 (SS7).Les travaux dirigés (par des ((répétiteursu), individuels ou en


groupe, destinés A combler les lacunes éventuelles des études antérieures dans les autres
sous-systèmes,ou A approfondir les connaissances dans tel ou tel domaine, ou A assurer
une meilleure formation lors du passage d’un sous-systèmedans un autre. Il convient de
rattacher ici l’éducation des enfants en famille, par des précepteurs ou par les parents
qui ont la formation requise et les possibilités pratiques; mais la part de ce type d’éduca-
tion est comparativement néghgeable et tend de plus en plus A devenir nulle.
- Sous-système 8 (SS8).La formation des cadres scientifiques pour les centres de recher-
che et pour l’enseignement l’université.

Strictement parlant, il aurait fallu ajouter ces catégories les institutions de


caractère social dont l’activité est également liée ii l’éducation (famdle,moyens
de grande information,établissements culturels tels que théâtres,clubs, musées
et autres, diverses organisations politiques et sociales,forces armées,etc.). Mais
l’objetde notre étude s’en trouverait alors véritablement Illirmté. C‘est pourquoi
nous examinerons exclusivement les sous-systèmes énumérés ci-dessus, étant
entendu qu’il nous arrivera aussi, évidemment,de traiter d’institutions sociales
plus larges et, en particulier,de la f d e .
Le système décomposé ci-dessus,c o m m e tous les systèmes sociaux,se prête en
principe ii un contrôle, c’est-&dire ii la planification, ii la programmation,ii la
division en thèmes et projets, bref, A des prises de décision déterminant son
avenir.C‘est pourquoi,dans la recherche prospective,il est impensable de tenter
de prédire son évolution future sans tenir compte des décisions immédiates et
éventuelles qui risquent de changer radicalement n’importe quelle situation pré-
dite (quoique de telles ((réflexionssur l’avenir))soient fort constructives pour
l’orientation de l’opinion publique et exercent ainsi une influence certaine sur
les futurologues). Il est beaucoup plus rationnel de faire porter l’étude prospec-
tive du système ainsi contrôlé sur l’accroissementdu niveau de rationalisation et
d’objectivité et, par conséquent, d’efficacité des décisions immédiates et éven-
tuelles.Pour ce faire,on a recours ii deux techruquesmodernes de recherche pré-
visionnelle:

- Les prévisions ii caractère d’extrapolation(exploratoires): prolongement théo-


rique dans l’avenir des tendances de développement observées, indépendam-
ment des décisions qui sont ou pourront être prises et qui pourront peut-être
infléchir ces tendances. Cette opération a pour but de mettre en lumière les
problèmes qui risquent théoriquementde se poser A l’avenir et dont la résolu-
tion demandera une décision de la part des instances de contrôle.
- Les prévisions normatives: détermination d’autres voies possibles pour la
résolution optimale des problèmes circonscrits, afin d’arriver A la solution
optimale correspondantaux critères pré-établis.

La juxtaposition des prévisions exploratoires et des prévisions normatives


permet d’évaluer en quelque sorte ii l’avance les conséquences possibles ou
souhaitables des décisions prises, et d’en assurer ainsi le bien-fondé et l’effi-
cacité.Pratiquement,cela se fait:
Buts et perspectives de l‘éducation 183

- par l’élaboration de modèles initiaux de l’objet (système) étudié, ensembles


ordonnés des parmètres de ce système et des paramètres des facteurs exté-
rieurs déterminant le développement du système;
- puis par le réajustement exploratoire de tous ces paramètres, ceux du système
c o m m e les paramètres extérieurs, en fonction des tendances du dkvelop-
pement;
- puis par le réajustement normatif de ces tendances en vue de la recherche d’un
optimum déterminé;
- par la vérification des données ainsi obtenues;
- et par l’élaboration,sur la base de ces données,de recommandationsdestinées
aux instances de contrôle et de décision.
Pour cela,on utilise la méthode de modélisation des faits sociaux (au sens large,
depuis la simple extrapolation de séries dynamiques de paramètres jusqu’aux
scénarios,matrices, graphiques et équations mathématiques), et aussi l’expertise
individuelle et collective, directe et par correspondance (questionnaires adressés
51. des spéciahstes).
Dans le cas qui nous intéresse ici,il ne semble guère opportun d’appliquer une
telle procédure de recherche car cela demanderait un gros travd scientifique
impliquant le recours 51. tout le corps de spécialistes en la matière. Nous nous
hterons ii l’examen des tendances globales et régionales du développement de
l’éducation qui nous semblent les plus importantes,telles qu’elles nous apparais-
sent 51. la lumière des recherches menées dans différents pays sur tel ou tel aspect
de ce problème complexe;nous y ajouterons certaines considérations de carac-
tère normatif liées ii la planification et au développement des innovations
susceptibles de déterminer dans une mesure appréciable le caractère du futur
système éducatif, lequel sera dfférent de celui que nous connaissons,qu’il soit
d’hier ou d’aujourd’hui. C‘est une telle approche qui nous permet, 51. notre avis,
de lier les buts et les perspectives de l’éducation et de discuter de l’avenir de
l’éducation non ii partir de considérations et de suppositions subjectives,mais
dans le cadre d’une recherche réellement scientifique.

TENDANCES GLOBALES ET Rl?GIONALES

Avant d‘aborder les tendances modernes du développement de l’éducation,il est


indispensablede s’arrêter sur la situation de dkpart de ce développement.Nous
ne pensons pas nous tromper en &sant que dernièrement encore le point de
départ du développement de l’éducation sous sa forme contemporaine était par-
tout (et est encore aujourd’hui) la famille. N o n pas la f d e typiquement cita-
dine, la ((cellulesociale)) composk des deux parents ou de la mère seule avec
habituellement un ou deux enfants, mais la farmlle étendue, complexe, consti-
tuée de trois ou quatre générations (parents, enfants, petits-enfants, grands-
parents) et comptant en moyenne une dizaine et plus d’enfants d’âges variés,
quelques parents proches d’âgeségalement variés, parfois aussi quelques collaté-
raux, en tout souvent jusqu’ii une vingtaine de personnes.
184 Finalitès de I‘èducation

Bien qu’A propos de la cellule sociale ancienne ou moderne nous utilisions le


terme unique de ((fanulle)),le contenu réel de cette notion est essentiellement
différent. La f a d e ancienne traditionnelle,la famille dite patriarcale, h la dif-
férence de l’unitéfarmliale contemporaine,a été une organisation sociale univer-
selle. Elle a été l’unité de production,au m ê m e titre que l’entreprisede nos jours,
le foyer de culture c o m m e le club aujourd’hui, le centre de santé c o m m e l’hôpital
moderne, l’institutionjurihque c o m m e les tribunaux actuels et, ce qui n’était
pas son moindre rôle, l’établissementéducatif c o m m e ceux qui constituent au
moins la moitié des sous-systèmesd’éducation énumérés plus haut.
Il a m v e que l’on réduise l’essentieldu système éducatif h trois fonctions fon-
damentales: l’enseignement général (transmission de la conception du monde
d’une génération h l’autre), la formation spécialisée ou professionnelle(appren-
tissage d’un métier ou d’une profession) et l’éducation (transmission et assimila-
tion des valeurs morales). Dans toutes ces fonctions, intimement liées les unes
aux autres, la famille patriarcale remplissait parfaitement son rôle. Il était de
règle que les enfants héritent de la profession de leurs parents, de sorte qu’il
revenait naturellement aux parents d’assumer entièrement ou presque entière-
ment la formation professionnelle des enfants. En m ê m e temps, et c o m m e
((accessoirement)),s’opérait la transmission h la jeune génération de la concep-
tion du monde et des valeurs morales admises dans la famille, c’est-à-dueque
les enfants recevaient la culture et l’éducation correspondantes.
Dans cette ((universitéfamiliale))originale,l’éducation se prolongeait jusqu’h
14-16ans - depuis la naissance de l’enfantjusqu’h la puberté.Et cette éducation
avait un caractère individualisé: chaque élève avait jusqu’h une dizaine ou plus
de maîtres et d’éducateurs: les frères et sœurs aînés, les oncles et les tantes, les
autres proches, dont le rôle éducatif, au sens large, ne le cédait en rien au rôle
des parents eux-mêmes et, dans bien des cas, le dépassait. D e plus, les études
étaient liées organiquement au travd productif: dès l’âge de 2-3 ans, l’enfant
commençait h apporter une contribution matérielle h la vie familiale, et vers
10-11 ans, il avait souvent déjh le statut de travailleur, au m ê m e titre que les
adultes.
Tout cela faisait que ce système était très efficace pour son temps, et c’est ce
qui en a assuré la pérennité pendant des &ers d’années. Vers 14-16ans, c’est-
à-dne 2 A 3 ans avant l’âgehabituel du mariage et la création d’un foyer,le jeune
h o m m e avait normalement atteint le niveau professionnel de ses parents dans
leurs jeunes années, avait totalement assimilé leur conception du monde et leurs
valeurs morales et était tout h fait prêt h former et éduquer la génération
suivante.
Nous ne voudrions pas donner l’impression d’idéaliser dans une certaine
mesure le système éducatif ainsi décrit. Son efficacité relative était le résultat
d’un lourd travail, de privations, de l’oppression permanente de l’individuahté
de chacun, de l’atteinte à la dignité humaine, de la privation des joies de
l’enfance et, pour les vieux, de la privation d’une vieillesse tranquille.En outre,
ce système appartient au passé et m ê m e 18 où ses éléments,par inertie, existent
toujours,il disparaît rapidement,sous nos yeux. Il n’est pas de retour possible h
un tel passé; un tel retour serait extrêmement fâcheux, m ê m e s’il était possible
Buts et perspectives de l’éducation 185

de l’imaginer.Il s’agit d’autre chose: pendant des &ers d’années,un système a


existé, caractérisé par un équilibre relatif et répondant pleinement, ou presque,
aux exigences de son temps.Les temps ont changé. Le système s’est effondréou,
plus exactement, sa destruction s’achève. Le passage & un nouveau système,
adapté à la situation nouvelle, a commencé - dans de nombreuses régions du
monde, il ne fait que commencer. Dans cette phase de transition surgissent des
disparités, des problèmes sans précédent, dont la résolution déterminera & pro-
prement parler les perspectives de l’éducation dans un avenir prévisible. Il y a
donc u n lien direct entre les tendances et les perspectives de l’éducation.
L’inconsistance du système éducatif traditionnel dans les circonstances
actuelles vient de ce que, malgré son efficacité relative, il n’était pas conçu pour
la résolution de problèmes qui n’avaient autrefois qu’un caractère limité et pou-
vaient être résolus hors de ce système, mais qui sont devenus aujourd’hui
globaux,universels et fondamentaux pour l’économie et la culture de la société
et dont la résolution a exigé le développement de sous-systèmes qui avaient
autrefois un rapport indirect, tout juste complémentaire, avec le systkme en
question. C‘est ainsi que la famille, dans la grande majorité des eas, ne pouvait
pas apprendre aux jeunes &lire et A écrire; mais ce n’était pas indispensable. L a
famille ne pouvait pas non plus former de spécialistes diplômés; mais ces
derniers ne constituaient alors qu’une fraction infime de tous les travailleurs.
Elle ne pouvait pas assurer non plus le recyclage des travdeurs; mais ce n’était
m ê m e pas nécessaire, car les connaissances acquises suffisaient généralement
pour 30 & 40 ans, c’est-&-direpratiquement pour toute la vie active et non pour
5 &7 ans c o m m e c’est le cas aujourd’hui.
D’autre part, la famille elle-même a aussi changé.Les enfants, dans une majo-
rité de plus en plus écrasante des cas, n’((héritent))plus de la profession de leurs
parents et, en ce sens, former les enfants en famille ne sert plus à rien et aucun
membre de la famille n’est plus en mesure de le faire. La famille a cessé d’être
une unité de production; les parents sont du matin au soir au travad en dehors
du cadre familial et ne peuvent plus servir d’exemple personnel permanent pour
les enfants,ce qui était depuis des milliers d’années le fondement m ê m e du sys-
thme éducatif. Les parents ne peuvent pas non plus faire concurrence aux
moyens d’information de masse en ce qui concerne la culture générale, de sorte
qu’à cet égard ils ont cessé d’être l’autorité incontestée pour les jeunes géné-
rations.
Or,la société de production contemporaine a besoin de travdeurs sachant
lire et écrire. U n e partie de plus en plus importante de ces travailleurs (parfois
20 ou 30 pour cent) sont des spécialistes diplômés. Faute d’un recyclage régulier,
le spécialiste se trouve totalement disquahfié en peu d’années. Faute d’une
culture générale de niveau suffisamment élevé, il ne peut plus s’adapter aux
changements techniques et technologiques rapides et h l’évolution du mode
d’organisation de la production, sans Farler du préjudice qu’une telle lacune
cause au développement de sa propre personnahé.Enfin,pour assurer une édu-
cation suffisamment efficace des enfants, la famille ne peut se passer aujour-
d’hui des établissements d’enseignementpublics.
186 Finalités de I‘éducation

Toutes ces circonstances ont provoqué le développement rapide des sous-


systèmes qui sont énumérés au début du présent chapitre et qui sont fondés non
pas sur la fadle, mais sur la société.C e développement a été et reste inégal;il a
provoqué et continue ?i provoquer de nettes disproportions qui constituentjuste-
ment la substance m ê m e des problèmes dont dépendent les tendances du déve-
loppement de l’éducation.E n ce qui concerne la f d e ,elle est en quelque sorte
entrée dans l’infrastructuredu système éducatif et, en m ê m e temps, elle s’est
trouvée dans des relations extrêmement complexes avec presque tous les sous-
systèmes de celui-ci,d’où l’apparition d’un problème supplémentaire:l’optimi-
sation de ce type de relations.
L’évolution historique a fait qu’au début du passage du système éducatif
traditionnel au système plus développé que nous connaissons aujourd’hui,c’est
l’école d’enseignement général - SS2 - (d’abord primaire, puis celle du premier
cycle du secondaire et enfin l’école secondairecomplète)qui a connu le dévelop-
pement le plus rapide, nettement plus rapide que celui de tous les autres sous-
systèmes. Cela s’explique par le fait que c’est justement ce sous-système qui,
moyennant un investissement relativement faible, produit immédiatement un
rendement économique et social immense, en formant A grande échelle des
citoyens-travdeursconvenablement instruits. Le développement des établisse-
ments préscolaires (SS1) c o m m e celui de la formation professionnelle (SS3)
restent pendant longtemps en retard sur ce sous-système.A cette étape du déve-
loppement,on considère généralement le SS 1 non pas c o m m e une unité d’ensei-
gnement, mais c o m m e un service A l’usage des parents qui travdent, sa fonc-
tion étant plus ou moins celle de la consigne A bagages (l’enfant y est ((mis)), en
est ((repris))). Quant au sous-système SS3, il se situe alors essentiellement au
niveau de l’individu ou de groupes étudiant directement dans l’entreprise.Dans
l’un et l’autre cas, la famille continue d’ailleurs A jouer un rôle important, sans
que s’effectuele passage de la structure patriarcale A la structure moderne.
Les établissements de formation de spéciahstes(SS4)connaissent au début un
rythme de développement assez proche de celui de l’école secondaire, mais leur
importance quantitative est alors considérablement inférieure A cette dernière
car ils ne représentent guère plus de 1% de tout le système. L‘enseignement
général des adultes (SS5) et le perfectionnement des cadres (SS6) ne sont pas
prioritaires A cette étape et ne constituent généralement pas des sous-systèmes
en tant que tels mais des Cléments séparés de sous-systèmesA venir. Le recours A
un répétiteur (SS7),A cette m ê m e étape, ne peut avoir de développement un tant
soit peu notable, en raison tant des possibilités économiques modestes de la
population que de l’absence des stimulants requis car, dans les sous-systèmes2
et 4, l’offre dépasse fortement la demande (dans bien des pays, sauf dans les
pays socialistes, il s’agit d’une demande payante). Enfin, en ce qui concerne la
formation de cadres scientifiques (SSS), A cette étape (et m ê m e beaucoup plus
tard), elle est menée sur une kchelle quantitativement insignifiante, selon les
stéréotypes des siècles passés, et l’anachronisme d’un tel état de choses n’est pas
reconnu objectivement pendant longtemps, ni perçu subjectivement;jusqu’au
moment où ce sous-systèmeconnaîtra brusquement un développement rapide.
Buts et perspectives de l’éducation 187

Les mutations spectaculaires du système ne se font qu’aux étapes ultérieures,


quand apparaît pour la société la possibilité objective de ne pas limiter la plus
grande partie des élèves ii l’école primaire, puis h l’école secondaire du premier
cycle (incitant après cela leur passage massif dans la vie de production active),
mais de prolonger la scolarité d’enseignement général pour la grande masse des
jeunes jusqu’h 16-18 ans et plus, au niveau de l’école secondaire complète qui
n’était accessible auparavant qu’à un pourcentage infime de la population. Le
fait est que l’échelon supérieur du SS 2 - traditionnellement orienté pendant des
siècles vers la formation de l’infime pourcentage mentionné ci-dessus devant
accéder au SS4 - cesse, lors de l’affluence massive de la jeunesse, de corres-
pondre aux besoins réels de la production et exige des changements qualitatifs.
Tous les parents, en effet, espèrent naturellement voir leurs enfants au nombre
de ceux qui,en faible pourcentage,passeront du SS2 au SS4.Apparaissent alors
des surcharges croissantesdes deux sous-systèmes,et celui des études avec répé-
titeur (SS7)commence ?i progresser très rapidement,provoquant bientôt I’insa-
tisfaction des couches les plus défavorisées de la population, des disparités
économiques et des heurts sociaux ii grande échelle.
D’autre part, la faiblesse de la formation préscolaire et les conditions désor-
mais inégales d’éducation des enfants compliquent fortement alors le fonction-
nement de l’échelon inférieur du SS2: entrent h l’école primaire, A la dfférence
d’autrefois,des enfants dont les niveaux de préparation sont fortement hétéro-
gènes: certains savent lue, compter, dessiner et ont déjh pas mal de connais-
sances, possèdent des habitudes de travad physique et intellectuel, tandis que
pour d’autres enfants il faudra des années avant qu’ils aient atteint un niveau
analogue. Cela diminue sensiblement l’efficacité potentielle du SS2 (dans la
mesure oh les maîtres doivent faire porter le gros de leurs efforts sur les enfants
les moins bien préparés) et provoque un mécontentement compréhensible aussi
bien des élèves que de leurs parents.
En m ê m e temps s’accroît la demande de la société h l’égard du SS4,tant du
point de vue quantitatif que - et surtout - du point de vue qualitatif,le besoin
de l’enseignement aux niveaux des SS 5 et SS 6 devient plus urgent, et se pose
aussi le problème de la modernisation du SS 8 en fonction des progrès modernes
de la science. Tout cela entraîne la nécessité sociale de perfectionner sérieuse-
ment le système tout entier.
L‘évolution décrite ci-dessus,qui présente un caractère universel (avec, il est
vrai, d’appréciables dfférences propres aux pays capitalistes ou socialistes éco-
nomiquement développés et aux pays en développement), peut être dlustrée
par l’exemple de l’Union sovietique qui, en un délai historique bref, est passée
de l’état de pays capitaliste relativement arriéré à celui de pays sociabste
hautement développ6, exemple qui présente un grand intérêt pour les trois
groupes de pays mentionnés plus haut,donc pour le monde entier.
Quand, après la Révolution de 1917, a commencé ii se former le système édu-
catif qui est en place aujourd’hui encore, ses créateurs se sont heurtés à deux
probkmes sociaux fondamentaux reçus ((en héritage)) de la Russie tsariste:
l’analphabétisme de la plus grande partie de la population et le manque aigu de
spécialistes diplamCs. D’après le recensement de 1897, 28,4% seulement de la
188 Finalitès de i‘èducation

population âgée de 9 A 49 ans était alors alphabétisée,une grande partie de ce


pourcentage ne l’étant A vrai dire que partiellement.Et c o m m e près de 805% des
enfants n’avaient pas la possibilité de fréquenter l’école,la situation est restée
sans changement appréciable pendant vingt ans. En d’autres termes,cette situa-
tion était analogue A celle que connaissent la majorité des pays en développe-
ment d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine depuis le troisième quart de notre
siècle.Il en était approximativement de m ê m e des spécialistes dplômés: dans la
Russie tsariste, ils n’étaient pas plus nombreux, en pourcentage, que dans la
((moyenne))des pays en développement d’aujourd’hui, et une grande partie
d’entre eux a péri pendant la guerre impérialiste et civile ou du fait des épidé-
mies et de la famine de cette époque.
Le système d’instruction publique devait objectivement résoudre deux pro-
blèmes: premièrement,donner dans les premiers temps A la masse des jeunes et
des adultes analphabètes ne serait-ceque l’instruction primaire; deuxièmement,
former A un rythme accéléré le minimum de spéciahtes sans lesquels ne peuvent
se développer normalement l’économie et la culture d’un pays. Pour résoudre le
premier probkme a été créée l’école générale du premier degré, divisée par la
suite en deux cycles: un premier cycle de 4 ans et un deuxième de 3 ans (et plus
tard de 4 ans), correspondant au début du secondaire. Pour résoudre le
deuxième problème a été créée une école du second degré qui, en fait, était une
sorte de département de préparation aux établissements supérieurs spéciahsés,
avant tout techniques.
Bien entendu, tous ceux qui terminaient cette dernière école ne passaent pas
A l’université,mais le programme de cette école (secondaire complète) n’en était
pas moins conçu en tant qu’étape préparatoire au passage au sous-système
d’enseignement suivant, car il ne donnait en lui-même aucune spécialité. E n
1922,moins de 15% des jeunes de 18 ans avaient terminé cette école d’instruction
générale de jour du second degré, tous les autres travdant depuis longtemps
déjA A la charrue ou A l’usine, ou s’occupant de leurs enfants et de leur foyer.Et
m ê m e en 1950, quand le pays eut fini de redresser son économie détruite par la
Deuxième guerre mondiale, 55% seulement des jeunes de 18 ans avaient terminé
l’école secondaire de jour,soit 1 sur 20,les autres passant directement de l’école
A l’usine après en moyenne 4 A 7 ans d’études. Cela était nettement insuffisant
pour le développement économique et culturel du pays. Aussi un gros effort
a-t-ilété fait alors pour développer l’école secondaire ainsi que le réseau des
écoles du soir pour les jeunes n’ayant pu, pour différentes raisons, recevoir une
instruction secondaire en m ê m e temps que leurs contemporains, et un sous-
système spécial a été créé,intermédiaire entre le SS2 et le SS4,constitué par des
établissements secondaires spécialisés qui permettaient de devenir spécialiste
auxlliaire (agent techque, a d a i r e médxal, instituteurdes plus jeunes classes,
etc.) au bout de 3 ans d’études après la 7‘ ou la 8‘ année du premier cycle du
secondaire. En m ê m e temps se développait A un rythme accéléré la formation
universitaire (SS4).
Les autres sous-systèmes éducatifs se trouvaient alors A l’état embryonnaire.
Dans les jardins d’enfants et les crèches,pour des raisons économiques (manque
de moyens), on n’acceptait qu’une minorité d’enfants d’âge préscolaire, princi-
Buts et perspectives de I‘éducation 189

palement dans les villes, B une époque où la majorité de la population vivait


encore B la campagne. Les études professionnelles se faisaient essentiellememt
sur le tas et un faible pourcentage seulement des enfants d’âge scolaire appre-
naient une spécialité (un métier) dans les écoles professionnelles. L‘instruction
générale se poursuivait après l’école secondaire essentiellement par autodidaxie
ou dans de petits cercles. Le perfectionnement des travailleurs n’était pas systé-
matique et les cours de recyclage étaient tout juste sporadiques.Les études avec
répétiteur étaient devenues tout ?i fait né&geables. Enfin, la formation des
scientifiques avait également des proportions relativement modestes, s’effec-
tuant surtout par des travaux de thèse (aspirantoura) de trois ans après la fin des
études universitaires.
Le développement délibéré et intensif de l’école secondaire et de l’enseigne-
ment supérieur a donné dans un délai relativement bref des résultats impression-
nants. A u cours du troisième quart de notre siècle, notre pays a pu instaurer le
système d’enseignement secondaire général pour tous les jeunes de 7 B 17 ans,
c’est-&-direun système de dix ans d’études. Environ un élève sur quatre termi-
nant l’enseignement secondaire a commencé B recevoir une instruction spécia-
lisée. L‘Union soviétique occupe désormais le premier rang au monde pour ce
qui est du rythme et du volume de la formation de spécialistes diplômés.
Aujourd’hui,pour ce qui est de la quantité et de la quahté de sa ((production)),le
système éducatif de l’URSSne le cède en rien B aucun autre pays économique-
ment développé du monde et présente sur les pays capitahstes l’avantage de la
totale gratuité des &tudes et d’une grande facilité d’accès aux établissements
d’enseignement. Et tout cela a été accompli en une génération, pour la plus
grande partie au cours des 15 A 20 dernières années.
Cependant, ainsi qu’il est courant dans la vie (car c’est une loi sociologique
essentielle du développement de la société et de l’individu), au fur et B mesure de
la résolution de certains problèmes sociaux d’autres apparaissent aussitôt, plus
complexes et plus difficiles.
D u fait de son caract&re général, l’école secondaire ne pouvait plus conserver
le caractère d’établissement préparatoire B l’université. Outre les spécialistes
diplômés,l’économie et la culture du pays avaient besoin de millions d’ouvriers
et d’employés possédant un assez haut niveau d’instruction générale. Le
problème est alors apparu de dispenser aux jeunes terminant l’école secondaire
l’enseignement spécialist voulu. Après quelques expériences, ce problème a été
résolu essentiellement par le développement massif de l’enseignement
professionnel (SS3), soit sur la base de l’école secondaire générale, soit au
moyen d’écoles B proprement parler professionnellesmais permettant d’acquérir
en m ê m e temps une instruction secondaire générale. Naturellement, un autre
problème encore a surgi: comment adapter au mieux au nouvel ordre des choses
le programme de l’école d’enseignement général elle-même et comment établir
une corrélation optimale entre les sous-systèmesSS2 et SS3?
Vers la fin des années 70,les crèches ont pu accueillir pendant le temps de
travail des parents plus d’un quart des enfants jusqu’h l’âge de 3 ans et les
jardins d’enfants, la majorité de ceux de 3 B 7 ans. Avant la fin des années 80,il
est prévu de garantir des places dans les jardins d’enfants B tous les enfants
190 Finalitès de I'èducation

d'âge correspondant et dans les crèches, A tous ceux dont les mères, pour une
raison quelconque,ne pourront pas utiliser entièrement le congé payé de mater-
nité d'une durée pouvant aller jusqu'A un an qui leur est spécialement accordé
après la naissance de l'enfant et qui, par la suite, ne veulent pas rester A la
maison sans salaire ou ne peuvent pas être aidées par une grand-mère ou par
une autre parente. Ainsi, du point de vue quantitatif,la mise en place du sous-
système SS 1 touche A sa fin. C'est alors que se pose le problème de la quahté:
que doivent être ces établissements préscolaires de masse pour préparer conve-
nablement et également les enfants en vue de leur entrée A l'école et comment
doit s'effectuer le passage d'un service public conçu dans ,l'intérêtdes parents A
un établissement spécifiquement scolaire, premier maillon de l'instruction
générale?
L'attirance massive des jeunes,A l'issue de l'école secondaire,pour les établis-
sements de formation spécialisée,la demande étant ici supérieure de beaucoup
au nombre de places offertes, a provoqué un fort développement des cours de
préparation (SS7)et a obligé l'Etat A les rendre publics, sous forme de cours pré-
paratoires spéciaux organisés dans beaucoup d'universités du pays. S'est posé
alors le problème de l'organisation optimale du passage de l'école A l'université,
afin que puissent y accéder non pas seulement les étudmnts les plus enclins A
poursuivre des études, mais surtout les plus aptes A devenir des spécialistes
diplômés.
L a formation massive de spéciahstes diplômés a conduit A mettre l'accent
davantage sur la qualité que sur la quantité. L'idée est née de la différenciation
en matière de formation spéciahsée,conformément aux particularités des diffé-
rentes spéciahsations. E n Union soviétique et en Bulgarie ont commencé des
expériences A grande échelle consistant A diviser la formation en deux cycles:
- l'un pour les ((praticiens))- 2 A 3 ans de formation théorique suivie d'un long
stage pratique sur le futur lieu de travail;
- l'autre pour les ((théoriciens))- avec une formation théorique plus longue,
suivie de travaux obligatoires, avant l'obtention du diplôme, dans un institut
scientifique,un laboratoireou une université.

Ces expérimentations doivent encore être poursuivies et générahées; en outre,il


restera aussi A résoudre le problème du choix des moyens les plus efficaces
d'améliorer le sous-systèmeSS4.
Le vieillissement de plus en plus rapide des connaissances,A notre époque de
révolution scientifique et technique avec toutes ses conséquences socio-écono-
miques, a nécessité le développement intensif du sous-système de formation
continue et de recyclage des cadres (SS6).A la fin des années 70,presque toutes
les branches de l'activité socio-économique,de l'industrie et de la construction A
l'administration, A la santé et A l'éducation elle-même,avaient mis en place un
ensemble échelonné de cours de formation continue,d'instituts de perfectionne-
ment des spéciahstes et d'académies de recyclage du personnel dirigeant. A u
sommet de cette pyramide sont apparues les académies de sciences sociales,
dûment réorganisées,pour les dirigeants politiques, et les académies d'économie
Buts et perspectives de l’éducation 191

nationale pour les dmgeants du secteur économique.Ainsi se sont dessinées les


grandes lignes du sous-systèmetout entier. Mais 18 aussi des problèmes entière-
ment nouveaux et fort complexes ont surgi: l’optimisation du processus
d’apprentissage dans les établissements de ce sous-systeme en fonction des
particularités de celui-ci et de son rôle dans la vie sociodconomique du pays;
l’optimisation de la sélection des étudiants et de leur passage dans le sous-
système;l’optimisationde l’interactionde ce sous-systèmeet des sous-systèmes
éducatifs connexes.
L’ardent désir des élèves sortis de l’école secondaire ou des établissements de
formation spécialde de bénéficier d’une instruction permanente de caractère
général, indépendante de leur spéciahsation professionnelle,a entraîné le déve-
loppement du sous-systèmede formation permanente et d’autodidaxie (SS5),
non seulement sous la forme des cercles connusjusqu’alors,mais aussi sous celle
des universités dites populaires, par opposition aux universités d’Etat du sous-
système SS4. A la fin des années 70,des haines de d o n s de personnes ont
affluédans les différentsniveaux du sous-systbmeSS5. Celui-ci a surpassé de
beaucoup le SS4 et a COMU alors une ampleur comparable A celle de l’école
d’enseignement général (SS2). Et de nouveau, des problèmes sans précédent et
très difficiles ont surgi: comment satisfaire au mieux les exigences de connais-
sances de personnes de professions différentes et de niveaux différents,non du
point de vue des qualifications mais aussi de celui de la culture générale, et
comment lier de manière plus organique ce sous-systèmeéducatif et ceux qui lui
sont contigus, pour qu’il ne devienne pas indépendant (pas de savoir pour le
savoir, mais pour son application dans la vie) et qu’il ne se substitue pas non
plus 8 la formation spécialisée?
L a croissance rapide des cadres scientifico-techniques(qui ont doublé au
cours des années 50 et A nouveau doublé pendant la premi6re moitié des années
60,après quoi le rythme de croissance s’est ralenti tout en restant plus élevé que
dans maintes autres branches de l’économie et de la culture) a entraîné une
diminution correspondante des effectifs de chercheurs et, dans une plus large
mesure encore, des hommes de science travaillant dans les établissements de
recherche scientifique et dans les universités. E n outre, étant donné que les
recherches scientifiques ont désormais un caractère de plus en plus collectif,un
autre problème encore a surgi: comment minimiser l’opposition entre les
travaux de thèse,individuelspar tradition,et les travaux de recherche,collectifs
par nécessité? En d’autres termes, comment moderniser radicalement le sous-
système de formation des cadres scientifiques(SS8)?
Il serait facile de continuer A énumtrer les problèmes du genre de ceux qui ont
été signalés ci-dessus et qui, selon nous, se retrouvent plus ou moins dans tous
les pays du monde, c’est-&dire qu’ils ont un caractère universel. D e la façon
dont ces problèmes seront résolus, et avec quel succès, dépendent pour
beaucoup, si ce n’est entitrement,les perspectives détaillées du développement
futur de l’éducationdans chacun des pays du monde et dans le monde entier.
Les multiples recherchesportant sur le système d’enseignement montrent que
ce systkme,c o m m e l’écrasante majorité des autres systèmes sociaux,ne présente
une capacité d’homéostasie,c’est-&dire d’équilibre, d’autorégulationinterne des
192 Finalités de I‘éducation

différents sous-systèmes en réponse aux exigences du mdieu extérieur (écono-


mie, culture, politique), que lorsqu’il se trouve dans une situation ((calme)),
statique,celle d’un système stabilisé.Lorsque au contraire commence le passage
d’un état du système A un autre, qudtativement différent, c o m m e c’est le cas
aujourd’hui dans la plupart des pays du monde, alors l’autorégulation se révèle
le plus souvent insuffisante pour assurer le développement optimal du système
conformément A la demande de la société. Autrement dit, il est peu probable
que les problèmes énumérés ci-dessus se résoudront d’eux-mêmes.Bien au
contraire, il y a de solides raisons de croire qu’ils vont continuer A croître et
s’accentuer tant que n’aura pas eu lieu une intervention des organes de décision
susceptible de transformer les tendances alarmantes en tendances plus
favorables.
E n Union soviétique,la réponse A ce ((défi))que constituent les problèmes du
développement futur du système éducatif a pris la forme d’une résolution de
principe du gouvernement: le système d’enseignement général exige une sérieuse
réforme. D e ce fait, les perspectives de l’enseignement correspondent,dans leur
détail, aux réformes qui seront apportées aux &vers sous-systèmeséducatifs. Il
semble bien qu’il est impossible de donner une réponse plus constructive aux
problèmes actuels. Se pose donc la question des moyens de perfectionnement du
système éducatif existant. Mais avant d’aborder cette question, il convient de
déterminer le caractère d’urgence de ce perfectionnement: celui-ci est-il indis-
pensable et, si oui, dans quelle mesure et quelle forme doit-il prendre? Selon
nous, il est préférable de le faire en ayant recours aux ressources de la pros-
pective, d’abord au niveau global puis au niveau régional,c’est-&-direen déter-
minant pour un avenir prévisible (par exemple, pour les vingt prochaines
années) les tendances fondamentalesdu développement global puis régional de
l’éducation,en faisant volontairement abstraction des décisions éventuelles qui
pourront modifier et m ê m e modifieront A coup sûr les tendances étudiées et en
tenant ou en ne tenant pas compte des prévisions qui ont pu être faites.
Les tendances principales et universelles de chacun des sous-systèmeséduca-
tifs que nous avons circonscritspeuvent se résumer de la façon ci-après.

Sous-système1
Le sous-systèmedes établissements préscolaires se développe et est appelé A se
développer encore dans le sens de l’admission de tous les enfants d’âge présco-
laire, c o m m e c’est le cas pour l’école. Il est vrai qu’il n’atteindra pas, ni & court
ni & moyen terme, leb effectifs de l’école,en particulier dans les pays en dévelop-
pement, car une grade partie des mères, par obligation ou par choix, éduque-
ront leurs enfant:, par leurs propres moyens pendant les premières années de
leur vie, avec l’aide des grands-mères,d’autres parentes ou de nourrices sala-
riées. Dans une large mesure, cela concernera le premier échelon du sous-
système (les deux ou trois premibres années de la vie de l’enfant), et dans
une mesure moindre (et de moins en moins grande) le second échelon (après
2-3 ans). D a n s une série de pays, essentiellement les pays socialistes,le second
échelon englobera déjA dans dix ou quinze années la quasi-totalité des enfants
Buts et perspectives de l’dducation 193

du groupe d’âge correspondant tandis que le premier échelon accueillera une


grande majorité des petits enfants. Les autres pays, l’un après l’autre,et selon les
particularités de leur développement socio-économique,vont se rapprocher de
ce m ê m e niveau dans un avenir plus lointain.
Cette tendance comporte un caractère objectif, largement indépendant de la
volonté des individus et m ê m e des dxigeants. Elle est directement liée au pro-
cessus tout aussi objectif du passage de la famille patriarcale A la cellule fami-
liale d’aujourd’hui dont nous avons parlé plus haut et s’explique par le fait que,
dans les condtions actuelles, la f d e réduite n’est pas en état d’assurer A
l’enfant des soins pleinement satisfaisants, sans parler m ê m e d‘une éducation
convenable, sans le recours aux établissements préscolaires. A cet égard, on
observe une totale analogie avec l’école,aux services de laquelle la majorité écra-
sante des familles d’autrefois n’avaient pas recours mais dont pratiquement
aucune famille avec des enfants ne peut aujourd’huise passer.
Cela dit, cette m ê m e tendance a un caractère contradictoire.L’éducation pré-
scolaire doit-elle échapper en totdté h la responsabilitédes parents, c o m m e cela
se passe aujourd’hui pour leur instruction scolaire? Dans un passé récent,
certains défendaient un tel point de vue et celui-ci compte aujourd’hui encore
quelques partisans. Or,la vie a montré l’inconsistance totale d’une telle concep-
tion. D’un côt6, elle prive les enfants d’une enfance pleinement heureuse, qui
suppose une communication permanente avec les parents. Et de l’autre, elle
retire aux parents les derniers encouragements A mettre au monde des enfants et
renforce ainsi la dénatalité dans les pays économiquement développés. En un
mot, dans tous les cas, cela constitue une anti-utopievers laquelle il ne semble
guère opportun de tendre.
Mais peut-on imaginer que l’ensemble de l’éducation préscolaire repose sur la
participation organique d’une large majorité de parents, ainsi que de grands-
parents? En d’autres termes,peut-on imaginer reproduire de nos jours l’homéo-
stasie éducative d’autrefois,pendant les premikes années de la vie de l’enfant?
La réponse h cette double question, que nous aborderons spécifiquement plus
loin, fournira manifestement la clé du processus du développement du sous-
système 1 dans un avenir prévisible.

Sous-systèmes2 et 3
L e sous-système des établissements scolaires présente deux tendances univer-
selles: d’une part, la tendance A la prise en charge totale de tous les enfants,
jeunes gens et jeunes filles d’âge scolaire (de 5-6 h 16-18 ans) et, d’autre part, la
tendance A l’intégration organique de la formation générale et de la formation
professionnelle A ce niveau. Les deux tendances concernent les trois niveaux de
ce système (école primaire, premier cycle du secondaire et école secondaire
complète), mais dans des mesures différentes: la première concerne davantage le
premier niveau; la deuxième, le troisième niveau; quand au niveau central, il
occupe en quelque sorte une position intermédiaire.
L a tendance générale du système consiste h assurer progressivement l’admis-
sion de tous les enfants - de 5 A 10 ans, puis de tous les adolescents de 10 h
194 Finalités de l‘éducation

14 ans et enfin de tous les jeunes de 14 A 18 ans - dans les établissements


d’enseignement général, où il y aura en m ê m e temps une augmentation cons-
tante du rôle de la formationprofessionnelle,de telle sorte qu’au degré supérieur
de cette séquence sera réalisée une combinaison optimale de l’enseignement
général et de la formation professionnelle et le ((produitfinal))du sous-système
sera un ouvrier ou employé qualifié ayant une culture générale suffisante pour
pouvoir s’adapter A l’évolution rapide des conditions de production actuelles.
Cette tendance comporte également un caractère A la fois objectif et contra-
dictoire.Son objectivité tient A ce que le développement économique et culturel
est subordonné,de nos jours, A l’existence d’une main-d’œuvrequalifiée ayant
une culture générale relativement élevée. L‘opinion publique en a pleinement
conscience,particulièrement les parents qui souhaitent donner A leurs enfants la
meilleure instruction possible. Quant A la contradiction,elle résulte du fait que
le sous-système2 est appelé A former aussi bien des hommes et des femmes qui
poursuivent leurs études en accédant au sous-système4 qu’un personnel destiné
A entrer dans la vie active,bien qu’il s’agisse d’aspectstotalement différents tant
par le contenu que par l’orientationdes études. Autrefois, c o m m e nous l’avons
vu, cette contradiction était levée du fait que le premier puis le deuxième
échelon du sous-systèmeétaient orientés vers l’enseignementgénéral,tands que
le troisième l’était vers les établissements spécialisés. Mais lorsque tous les trois
échelons du sous-systèmes’adressentA l’ensemble des jeunes,une telle approche
devient anachronique et inadéquate.Il faut alors avoir recours au sous-système
de formation professionnellecréé spécialement (SS3). Cependant,une telle divi-
sion du SS2, artificielle et dans une large mesure peu efficace, ne peut avoir
qu’un caractère temporaire étant donné qu’il faut une combinaison de l’ensei-
gnement général et de la formation professionnelle. D e 18 découle la tendance A
l’intégration du SS2 et du SS3, tendance qui ne peut qu’augmenter dans un
avenir prévisible puisqu’elle répond tant aux nécessités objectives de la produc-
tion sociale qu’aux aspirations subjectives et A la demande de la population.
En fin de compte,le processus de développement futur du SS2 et du SS3 sera
justement fonction de la façon dont se fera l’intégrationdes deux sous-systèmes,
c’est-A-direde la mani&re dont chaque pays effectuera la fusion organique opti-
male de l’enseignementgénéral et de la formationprofessionnelledes jeunes.

Sous-systèmes4 et 5
A la différence des deux sous-systèmes précédents, les deux suivants ne se
prêtent pas A une intégration puisqu’ils sont qualitativement différents,m ê m e si,
d’une certaine façon,ils se complètent l’un l’autre.Le premier (SS4)est entière-
ment orienté vers la satisfactiondes besoins économiques et culturels en spécia-
listes diplômés, de sorte qu’il ne peut en aucun cas avoir un caractère global,
qu’il ne peut pas s’adresser A la totalité de la population correspondante. Les
utopies technocratiques selon lesquelles tous les travailleurs seront en fin de
compte des spéciallstes diplômés se révèlent A l’examen dénuées de fondement.
M ê m e si l’on atteint une automatisation complexe de tous les secteurs de la pro-
duction, il restera toujours assez d’emplois n’exigeant pas d’instruction supé-
Buts et perspectives de l’éducation 195

rieure. Il est peu rentable du point de vue économique et préjudciable du point


de vue psychologique de dispenser un enseignement qui ne sera jamais utile
dans la vie (ce qu’on appelle l’enseignement pléthorique). C‘est pourquoi le
sous-système4 restera toujours relativement h t é , malgré un rôle de plus en
plus prépondérant. En revanche, l’autre sous-système (SS5) est entièrement
orienté vers la satisfaction des besoins culturels de l’homme, indépendamment
de sa spéciahté et de ses qualifications (bien que l’aspect culture influence évi-
demment les qualifications). C‘est pourquoi,c o m m e les deux sous-systèmes2 et
3, il tend vers la globalité. Il est vrai que le processus est ici moins nettement
explicite parce que, dans les conditions actuelles,les besoins de connaissances
chez les adultes sont généralement beaucoup plus faibles que chez les jeunes et
sont le plus souvent teintés de vanité et liés A un espoir d’amélioration du statut
social par l’obtention d’un hplôme plus prestigieux. Néanmoins, au fur et ii
mesure du développement du sous-système4,on assiste A une sorte de dévalua-
tion des diplômes et, au fur et A mesure du développement du sous-système2,A
un renforcement des besoins cognitifs de personnes plus cultivées. Il y a donc
toutes raisons de prévoir que le développement du SS5, A la différence de celui
du SS4,sera A peu près analogue A celui des sous-systèmes 1 et 2,quoique avec
ses propres particularités.

Le développement quantitatif du SS4 va nécessairement entraîner une


augmentation de la complexité qualitative de ce sous-système.L a tendance glo-
bale et générale est, A cet égard,au renforcement de la dfférenciation au sein de
ce sous-systèmedont la structure était auparavant assez simple. Cinq éléments
au moins se dessinent de plus en plus nettement qui,jusqu’alors,faisaient partie
de manière plus ou moins amorphe de ce sous-système et des sous-systèmes
connexes. Le premier élément concerne la sélection des étudiants capables et
désireux de continuer des études dans des établissements spécialisés. Dans la
mesure où l’échelon supérieur du sous-systèmeprécédent perd rapidement le
monopole de cette fonction, apparaît le probkme de la recherche des formes
optimales d’organisation de cette sélection parmi les élèves de l’école secondaire
(concours, séminaires, stages d’été, etc,). Second élément: les sections prépara-
toires mises en place dans les universités,dont le rôle revenait autrefois au m ê m e
échelon supérieur du sous-systèmeprécédent.Troisième élément: la préparation
des ((praticiens))au moyen d’un cours théorique plus complet et avec un stage de
fin d’études plus long sur le futur lieu de travail.Quatrième élément: la forma-
tion des ((théoriciens))et autres spécialistes diplômés pour lesquels il faut une
formation théorique plus longue (celle-ci pourrait être subdivisée en deux
branches comportant une formation plus longue et une formation moins
longue). Enfin, cinquième élément: l’adaptation du spéciahte diplômé (tant
avant qu’apr6s la soutenance du diplôme) sur le futur lieu de travail, ce qui
suscite le problème de la recherche des formes optimales de cette adaptation
dans les différents secteurs de I’économie et de la culture. Le contenu détaillé
des perspectives de développement du SS4 dépendra totalement de la manière
dont seront résolus les problèmes liés au développement des cinq éléments énu-
mérés ci-dessus.
196 Finalités de l‘éducation

Le développement futur du sous-système5 comporte trois aspects: l’inclusion


de contingents de plus en plus larges d’étuQants; la prolongation des études (ou
bien l’allongement des dfférents cycles les uns après les autres) de manière com-
patible avec la vie active de l’adulte et, si possible, avec une longue retraite;
l’articulation des modes institutionnalisés d’éducation générale et de l’auto-
didaxie. E n ce qui concerne l’accroissement des effectifs, il est possible de
prévoir une extension appéciable du sous-système,mais il est peu probable,pour
d’évidentes raisons socio-économiques,que celui-ci arrive A englober dans un
avenir prévisible la totalité de la population des groupes d’âge correspondants.
Néanmoins, dans les pays socialistes, on peut certainement espérer ce résultat.
Dans les autres pays, cela se fera évidemment beaucoup plus tard, car il faut
pour cela des transformations sociales correspondantes.En ce qui concerne la
prolongation des études, apparaît en filigrane une tendance analogue A l’éduca-
tion ((toute la vie durant)) (permanente). Et sur le troisième point, on peut
espérer une intégration progressive des formes institutionnahées et des formes
individuelles d’instruction générale grâce aux moyens de grande information
(avant tout de la télévision, surtout de la télévision par câble avec liaison en
retour). Il est clair que le contenu détaillé des perspectives de développement du
SS 5 dépendra entièrement de la manière dont seront résolus les problèmes rela-
tifs A ces trois aspects du sous-système.

Sous-système6
La tendance générale du développement de ce sous-systèmedans son ensemble
est A l’inclusion progressive de la totalité de la population, tout c o m m e pour les
sous-systèmes 1,2et 5, puisque le vieillissement des connaissanceset la nécessité
qui en découle d’un perfectionnement systématique des travadleurs sont l’une
des particularités objectives de la production contemporaine. On observe ici
deux caractéristiquescomplémentaires:la tendance A l’accélérationdes cycles de
perfectionnement, pour qu’ils s’adaptent au rythme de plus en plus rapide du
vieassement des C O M ~ ~ S S ~(aujourd’hui,
~ C ~ S en moyenne, ces cycles s’étalent
sur environ dix années, mais de plus en plus souvent ils sont ramenés A 5 ou
7 ans et parfois m ê m e A 3 ou 4 ans) et aussi la tendance A lier de manière plus
organique les cycles de perfectionnement aux cycles d’accroissement des qualifi-
cations.Tout cela demande encore un effort d’organisation,de systématisation,
qui n’en est encore qu’A ses débuts dans presque tous les pays du monde, sinon A
un stade expérimental.D e la manière dont il sera tenu compte de ces deux ten-
dances caractéristiques dans l’organisation du sous-systèmedépendent entière-
ment les perspectives de développement de celui-cidans un avenir prévisible.

Sous-système 7
A l’opposé du précédent,le sous-systèmedes études dirigées (par un répétiteur)
a toujours eu et aura toujours une ampleur relativement h t é e . L’expérience
montre qu’il ne connaît un développement excessif, hypertrophié, que dans les
cas où apparaissent de sérieuses Qsproportions qui rendent plus Qfficile, sans ce
recours, le passage d’un sous-systèmed’éducation au suivant (par exemple, de
Buts et perspectives de I’éducation 197

l’école a l’université). Mais c o m m e ces disproportions n’ont habituellement


qu’un caractère temporaire et s’amenuisent,voire Qsparaissent complètement,
grâce A une planification optimale du développement du système tout entier, le
sous-système7 est aussi réduit au minimum tant que n’apparaissent pas de nou-
velles dsproportions du m ê m e genre. C e système ne peut pas dsparaître com-
plètement, car il sera toujours nécessaire de faire appel a un répétiteur pour un
rattrapage rendu nécessaire par la maladie ou pour toute autre raison,pour assi-
d e r une discipline difficile, pour approfondir des connaissances,etc. Le pro-
blème consiste ?I faire en sorte que le sous-système7 non seulement facilite au
mieux le passage d’un sous-système A l’autre,mais serve aussi A améliorer dans
certains cas le fonctionnement des sous-systèmeseux-mêmes.C‘est la résolution
de ce problème qui conditionne,au fond,l’avenirdu développement du SS7.

Sous-système8
C e sous-système,c o m m e le précédent, a toujours eu et continuera A avoir un
aspect assez limité, loin de la globalité. Cela s’explique par la constatation de
plus en plus évidente que les effectifs scientifiques ne peuvent pas continuer A
s’accroîtrefortement pendant une longue période (un rythme équivalant au dou-
blement du nombre des scientifiques en quelques années, c o m m e celui qui a eu
lieu dans un certain nombre de pays au cours des dernières décennies, condui-
rait vers l’an 2000 A une situation absurde ou l’on verrait une écrasante majorité
de la population engagée dans le secteur scientifique et, par la suite, la popula-
tion tout entière!). Le fait est qu’au-del8d’un certain seul,une croissance exten-
sive a un effet de moins en moins important et, A la lirmte, n’a plus d’effet du
tout car, en matière de sciences, le succès est toujours obtenu non pas grâce au
nombre de chercheurs mais grâce A leurs capacités, au niveau de leur prépara-
tion et ii l’efficacitéde leur organisation,y compris dans ses aspects matériels.
L‘afflux vers la science d’un nombre excessif de personnes incapables de mener
des travaux de recherche aboutit finalement ?i l’apparition d’un ((poidsmort))
qui abaisse l’efficacité du sous-systèmetout entier. On obtient un résultat ana-
logue si l’on applique des méthodes anachroniques de formation des scienti-
fiques méconnaissant les particularités de la recherche scientifique moderne
(par exemple, leur caractère collectif,la nécessité d’équipements de plus en plus
complexes,etc.). Tout cela fait que l’on comprend de mieux en mieux et partout
la nkessité de donner ti la science un développement non plus extensif mais
intensif, en profondeur. Cela suppose, en particulier, la nécessité d‘adapter la
formation des scientifiques aux exigences du monde contemporain. D e cette
adaptation dépendra aussi le développement futur de ce sous-système.

Nous avons parlé plus haut des disproportions qui se forment de temps en
temps entre les sous-systtmes énumérts, lors du passage de tout le système
d’éducation d’un état caractéristique d’un passé encore récent A un état qualita-
tivement différent,qui sera caractéristique de l’avenir. O n trouve également des
dsproportions analogues A l’intérieur de chaque sous-système. O n ne les
198 Finalités de I‘éducation

remarque habituellement pas quand le champ visuel est limité par le cadre du
sous-systèmelui-même;mais elles deviennent évidentes si l’on sort de ce cadre
et si l’on observe le fonctionnement du sous-systèmeen fonction des facteurs
essentiels qui en déterminent le développement et qui sont la base (background)
des prévisions à caractère d’extrapolation.
Nous disposons aujourd’hui d’une quantité suffisante de données prospec-
tives fiables sur les contours essentiels de l’an 2000.Nous savons que la popu-
lation mondiale aura dépassé alors les 6 milliards d’individus, dont les 80%
environ se trouveront dans les pays en développement et presque la moitié
seront des enfants ou des jeunes, c’est-A-direune clientèle potentielle des sous-
systèmes 1, 2 et 3. Nous savons que le produit total de tous les pays du monde
aura au moins doublé par rapport au début des années 80, mais que si l’on ne
freine pas la course aux armements,une partie encore plus importante que celle
d’aujourd’hui en sera perdue. Cela signifie,en ce qui concerne le financement du
système d’éducation, qu’il n’y aura aucun miracle et que, c o m m e auparavant,le
budget des huit sous-systèmesénumérés restera très serré.
Or,les besoins de la famille réduite moderne en matière d’établissements pré-
scolaires vont augmenter très rapidement;les besoins de la société,des familles
et des individus en matière d’instruction générale des jeunes (y compris la for-
mation professionnelle) également;les besoins de la société en matière de spé-
cialistes de qualifications variées également; les besoins des individus en matière
de formation permanente également; et les besoins de la société en matière de
perfectionnement et de recyclage systématiques des travdeurs et de formation
de cadres scientifiques également. Il suffit de s’imaginer, dans l’absolu,que les
sous-systèmes éducatifs que nous avons examinés resteront sous leur forme
actuelle jusqu’à l’an 2000 ou m ê m e que leur développement restera purement
quantitatif pour déceler immédiatement des disproportions criantes entre les
besoins de l’individu et de la société d’une part, et les formes et proportions de
leur satisfaction par les établissements d’éducation d’autre part, c’est-à-dne
entre la ((demande))et l’((offre))dans le domaine de l’éducation.
Ainsi donc, la recherche prospective dévoile trois types de problèmes à long
terme liés au domaine de l’éducation:
- les problèmes de disproportion entre les différents sous-systèmes de l’édu-
cation;
- les problèmes de disproportion à l’intérieurm ê m e de ces sous-systèmes;
- les problèmes de disproportion entre l’ensemble du système d’éducation et les
autres systèmes sociaux.
Et ces trois types de problèmes n’exigent pas, pour être résolus, un simple
accroissement quantitatif de la capacité de chaque sous-systèmesous sa forme
actuelle mais des transformations qualitatives, des innovations dans des
domaines précis, permettant d’obtenir le maximum d’effet avec l’inévitable
minimum d’investissements économiques.
Nous avons jusqu’ici abordé essentiellement les tendances globales, mon-
diales, du développement du système éducatif. Il semble que, quelles que soient
les différences régicnales,qui sont dûment reconnues et dont il est dûment tenu
Buts et perspectives de l'éducation 199

compte, il est rationnel d'examiner le problème sous cet aspect global. Cepen-
dant, les dfférencesrégionales sont si importantes que, m ê m e dans une appro-
che globale,il faut constamment s'y référer. Et d'deurs, la prise en considéra-
tion des différences régionales ne fait que renforcer nos conclusions sur les
particularitésdes problèmes sociaux h long terme de l'éducation.
Les différences régionales ne concernent pas seulement les différents systèmes
sociaux du monde. Elles apparaissent aussi assez clairement dans le cadre de
chaque système; mieux encore, dans le cadre de chaque Etat et parfois m ê m e
dans le cadre de différentes régions d'un Etat un tant soit peu étendu. L'examen
de toutes ces différences nous conduirait bien au-delh du cadre de la présente
étude. Mais m ê m e si l'on se limite aux différences qui existent entre grands
groupes de pays - sociahstes, capitahstes et pays en développement d'Asie,
d'Afrique et d'Amérique latine - les conclusions mentionnées ci-dessus
apparaissent sous un jour encore plus catégorique.
C'est ainsi que, dans les pays en développement,le rythme de croissance de la
population reste encore aujourd'hui supérieur au rythme de développement du
sous-système2, de sorte que le pourcentage des analphabètes n'y h u e que
dans une mesure insignifiante,et qu'en nombre absolu, nous le savons, ce pour-
centage augmente m ê m e sur l'ensemble du globe terrestre. Le problème de la
formation professionnelle des jeunes de ces pays est tout aussi peu satisfaisant,
tout aussi grave. Dans ces pays, le développement du sous-système4 doit tenir
compte du danger représenté par la ((fuitedes cerveaux)),émigration de spécia-
listes diplômés dans les pays plus développés, ce qui complique considérable-
ment le fonctionnement normal de ce sous-systèmeet fausse l'indication que
constitue son taux de croissance.Dans ces conditions,les établissements présco-
laires, l'autodidaxie et le perfectionnement des cadres passent loin au second
plan. Si l'on extrapole la courbe de développement de l'éducation de ces pays
jusqu'en l'an 2000,on met en évidence un retard encore plus considérablesur les
pays développés et une satisfaction encore plus réduite des besoins correspon-
dants de l'individu et de la sociéth.
Nous avons déjja dit qu'en Union soviétique et dans d'autres pays sociahstes,
l'introduction de l'enseignement secondaire complet et obligatoire pour tous les
jeunes, la réalisation quasi totale de l'accueil de tous les enfants d'âge présco-
laire dans les établissements d'éducation correspondants,le désir de la grande
masse de la population de bénéficier d'un enseignement spécialiséet de l'éduca-
tion générale permanente, l'organisation du sous-système de recyclage et de
perfectionnement des cadres, etc. ont donné lieu h des problèmes complexes
exigeant une refonte sérieuse du système tout entier.
Dans les pays capitalistes développés, le fonctionnement normal des sous-
systèmes 2, 3 et 4 se heurte au problème de la montée du chômage et pose la
question de l'utilisation réelle des ((produits))de ces sous-systèmes:leurs élèves
trouveront-ils, h l'issue de leur formation, un emploi correspondant h leur
spécialisation et s'ils n'en trouvent pas, quel est alors le sens de l'existence des
sous-systèmes eux-mtmes? Dès lors, dans ces pays c o m m e dans les pays en
développement,les autres sous-systèmespassent au second plan et une situation
dépressive s'étend au système d'éducation tout entier. Selon nous, la solution ne
200 Finalitès de I‘èducation

peut être cherchée ici dans le cadre du seul système d’éducation,mais exige des
transformations radicales de toute la société. C‘est dans ce contexte seulement
que peuvent être examinées telles ou telles transformations quahtatives du
système d’éducation lui-même.L a m ê m e conclusion s’applique d’ailleurs égale-
ment 9 beaucoup de pays en développement.
Ainsi donc, les perspectives de développement du système d’éducation sont
liées non seulement aux tendances observées, mais également 8 des transforma-
tions quahtatives qui sont inévitables.Cela nous oblige A passer d’une approche
exploratoire 9 l’approche normative et 8 examiner la question de l’opportunité
d’innovations dans chacun des grands sous-systèmesen tant qu’élément impor-
tant du fondement scientifique de la planification de leur développement. C e
faisant, étant limité par le cadre du présent chapitre,nous passerons de nouveau
sur le plan des générahsations globales tout en formulant évidemment certaines
réserves ou précisions de caractère régional.

PLANIFICATION ET INNOVATIONS

A la différence des prévisions - exploratoires c o m m e normatives - avec leur


approche stochastico-descriptivedes problèmes futurs,les plans, programmes et
projets ont un caractère prescriptif et apparaissent c o m m e une forme spécifique
de la prise de décision relevant entièrement du domaine du contrôle des pro-
cessus sociaux. Si le processus (par exemple, le développement du système
d’éducation) reste stable ou est supposé tel, les décisions qui s’y rapportent ne
peuvent avoir qu’un caractère de conservation,de protection,empêchant et pré-
venant quelque transformation occasionnelle ou spontanée que ce soit. Dans ce
cas, l’élaboration de nouveaux plans, programmes ou projets est dépourvue de
sens et le contrôle se limite au maintien de la stabdité des paramètres fonction-
nels du système. La planification et la programmation proprement dites com-
mencent seulement 18 où le fonctionnement va de pair avec le développement,
c’est-A-direquand on envisage de sérieux changements quantitatifs et quahtatifs.
Ainsi la planification est-elleinconcevable sans les innovations, que nous allons
donc examiner ci-après.A leur tour, les innovations,au niveau de la recherche
prévisionnelle, font justement l’objet de la prévision normative.
Jusqu’ici,il n’existe pas de prévisions normatives du système éducatif élabo-
rées dans le détail,ni A l’échelonglobal,ni A l’échelonrégional. On manque pour
cela des bases théoriques indispensables dans les sciences pédagogiques elles-
mêmes. Les prévisions du développement éducatif, culturel et scientifique font
partie des branches les moins développées de la prospective contemporaine,
étant très en retard sur les prévisions des domaines de la technique, de l’écono-
mie, de la démographie et de certains aspects de la politique. A cet égard, un
vaste champ d’activités s’ouvre aux établissements scientifiques de l’Unesco, car
il faut mettre au point un système de recherches prévisionnelles spéciales et
développer les branches correspondantes de la prospective. Par ailleurs,maintes
études prévisionnelles et expériences constructives ont été faites ici et 18,et des
hypothèses de travail ou plus simplement des idées intéressantes ont été formu-
Buts et perspectives de réducation 201

lées, qui méritent l’attention.Cela donne une base certaine aux réflexions préa-
lables de caractère normatif.Nous nous arrêterons plus en détail sur celles qui, h
notre avis, sont les plus importantes,dans la séquence logique des sous-systèmes
éducatifs fondamentaux définie précédemment.

Sous-système1
Nous avons déjA dit que la famille d’aujourd’hui ne pouvait pas se passer de
l’aide des établissements préscolaires mais que, d‘autre part, la théorie selon
laquelle ces établissements pourraient remplacer totalement la famdle était mal
fondée et qu’il était indispensable qu’entre la famille et ces établissements pré-
scolaires s’établisse une collaboration sur de nouvelles bases. Quelle pourrait
être cette collaboration? Pour répondre h cette question, essayons un instant
d’oublier l’ordre actuel des choses et d’imaginer la situation idéale, plus exacte-
ment optimale, qui répondrait non pas tellement h l’intérêt immédiat des
parents (bien que ce soit fort important) mais aux besoins du développement
harmonieux de la personnalité de l’enfant. Nous n’oublierons pas h ce propos
que, selon les dernières données pédagogiques, c’est justement dans les pre-
mikres années de la vie que se forme essentiellementla personnahté,de sorte que
l’approche proposée est tout A fait justifiée du point de vue de la qualité de la
formation des générations nouvelles.
D e quoi l’enfant a-t-ilbesoin pour un développement général harmonieux? E n
premier lieu, de l’attention constante, des soins et des caresses de la mère et éga-
lement, si possible, du père. E n second lieu, de contacts périohques avec
d’autres adultes,avec des enfants de son âge et avec d’autres enfants un peu plus
âgés ou un peu plus jeunes. En troisième lieu, de l’observation constante d’un
pédagogue et d’un médecin qui sont prêts h intervenir en cas de déviation dange-
reuse du régune d’éducation optimal.Essayons d’imaginer le premier échelon du
sous-système en cause sous la forme d’un établissement techniquement bien
équipé, proche de la maison des parents, où les enfants de O k~ 2-3 ans se trou-
vent sous la sumefiance constante d‘un éducateur et de ses adjoints, sont l’objet
d’examens médicaux périoQques et restent en m ê m e temps en contact systéma-
tique avec leurs parents, grands-parents et autres adultes qui sont en l’occur-
rence des sortes d’auxiltaires de l’éducateur, et en contact aussi avec d’autres
enfants d’âges variés. Il est évident que de tels contacts nécessitent une organisa-
tion stricte, une définition précise des droits et des devoirs de ces ((adaireso.
Mais une telle approche rend assez souple le séjour m ê m e de l’enfant dans l’éta-
blissement préscolaire.Telle m a m a n préférera laisser son enfant sous la surveil-
lance de l’éducateur; d’autres mhres pendant une, deux ou trois heures, telle
autre le laissera une demi-journée, une journée, une semaine, selon son travad
ou son caractère. Mais dans tous les cas, elle saura que son enfant bénéficie des
medleurs soins, auxquels elle participe dans la mesure de ses moyens.
Tout au long de l’histoire de l’humanité, h de rares exceptions près, la mère
n’est jamais restée seule h seul avec son enfant pendant des jours entiers. Cela
est contre nature, néfaste autant pour le psychisme de la mère que pour celui de
l’enfant. L a mère a toujours continué h mener une vie ((sociale)),h diriger son
202 Finalités de l‘éducation

ménage et a toujours été aidée,pour s’occuper de l’enfant et pour l’éduquer,par


d’autres membres de la famille, y compris les enfants plus âgés. D’autre part, il
est démontré scientifiquement que l’effectif optimal d’un groupe, pour l’éduca-
tion de l’enfant,est de l’ordre de 5 8 7 membres, effectif qui garantit tî la fois
une saine émulation et une approche individuelle, ainsi qu’une bonne réaction
de l’enfant lui-même.Mais où trouver les millions d’éducateursnécessaires tî de
tels groupes? L a solution semble devoir être qu’un seul éducateur s’occupe,
c o m m e aujourd’hui,d’une vingtaine d’enfants, mais qu’il soit secondé 8 tour de
rôle par les parents,les grands-parentset d’autres adultes.
C e m ê m e principe semble devoir être tout aussi fécond pour le deuxième
échelon du sous-système(le jardin d’enfants). Dès l’âge de 2 tî 3 ans, les enfants
doivent non pas se préparer seulement 8 entrer 8 l’école, mais également, en
fonction de leur âge, s’initier 8 une dizaine de ((disciplines))sans lesquelles il est
difficile d’aborder la vie scolaire. A u nombre de ces ((disciplines)),on relève les
habitudes élémentaires de travail physique et intellectuel,une sensibilisationaux
sciences naturelles et tî la vie en société,une introduction 8 la morale et 8 l’esthé-
tique,une culture physique élémentaire, les rudiments de la lecture et du calcul
et une initiation au dessin qui d’ailleurs favorisera l’apprentissagede récriture.
U n seul éducateur peut-il enseigner tout cela 8 vingt ou trente enfants? A
l’évidence,non. Mais si la mère vient l’aider en disant des contes aux enfants, si
le ptre vient jouer avec eux, si le grand-père fait avec eux une promenade 8 la
campagne, si la grand-mère leur montre comment tenir une aiguille et du fil,
etc., on peut compter sur un effet bien meilleur. D e chacun des adultes, cela
n’exigera peut-être pas plus d’une heure par semaine, mais l’ensemble de leur
travad pédagogique, avec l’organisation et la responsabilité voulues, peut pré-
parer convenablement et pleinement tous les enfants de 2-3 8 5-7ans 8 entrer 8
l’école.
En ce qui concerne les grands-parents,une expérience a déjtî été faite et elle a
été positive.En République démocratique allemande, on a construit 8 titre expé-
rimental plusieurs jardms d’enfants 8 proximité de maisons de retraite. U n e
sorte d’((osmose)),d’interpénétration mutuelle, s’est produite entre les vieux et
les jeunes- 8 la grande satisfaction des uns et des autres - sous un strict contrôle
des éducateurs. Le résultat a dépasst toutes les espérances. Plus difficile est la
situation des parents puisque aujourd’hui,en règle générale,ils travaillent toute
la journée.Seul un long congé payé de la mère après la naissance ou la réduction
de la semaine de travail (sans réduction de salaire ou avec une allocation suffi-
samment élevée) sont 8 m ê m e de résoudre cette question sur le plan pratique.
Il est aisé de voir que l’on propose 18 un nouveau type d’établissement présco-
laire, une innovation qui ne soit pas seulement pédagogique mais aussi sociale,
susceptible de changer dans une large mesure le mode de vie des gens et m ê m e
dans une certaine mesure l’hnomie de tel ou tel Etat. Et 8 notre avis, ce sont
justement de telles innovations qui sont capables de faciliter l’achèvement du
passage du système d’éducation traditionnel tî un système nouveau répondant
aux impératifs de notre époque charnière entre le X X e et le X X I e siècles.
Buts et perspectives de réducation

Sous-systèmes2 et 3
11 serait, A notre avis, tout A fait logique que le principe d’intégration de la
famille et des établissements préscolaires que nous venons de proposer soit
étendu également aux relations entre la famille et l’école, du moins au niveau
des deux premiers échelons du SS2, c’est-&dire pour les enfants et les adoles-
cents dont l’âge va de 5-7ans il 14 ou 16 ans. A ces âges, il est prématuré de
choisir un métier. Mais vers 14-16ans, l’adolescent doit avoir non seulement une
assez bonne culture générale,mais aussi une idée précise de ses possibilités pro-
fessionnelles et de ses goûts, et savoir quel type d’activité lui conviendrait le
mieux et dans lequel il pourrait être assuré du meilleur succès. Autrement dit, il
s’agitici d’une bonne orientation professionnelle,qu’il est trop tard de commen-
cer au cours de la dernière année d‘études car elle exige de longues années
d’assimilation, l’information correspondante, une sérieuse connaissance d’une
série de professions (pour pouvoir les comparer), une certaine expérience pra-
tique - un ((tempsd’essai))- dans plusieurs d’entre elles, etc. Cela signifie qu’h
côté des études habituelles,il est indispensabled’organiser des cours facultatifs,
des groupes d’intérêts communs, des stages pratiques dans l’industrie,etc. et
cela en introduisant partout une approche aussi individuelle que possible pour
déterminer au plus près les goûts et les possibilités de chacun. L‘enseignant
peut-il venir bout de tout cela? S’il est seul, cela est peu probable. Mais avec
des auxiliaires bénévoles (dont les parents, les grands-parents et d’autres
proches), il y parviendra pleinement. Il convient de ne pas oublier, A ce propos,
le problème de l’optimisation du travail de l’enseignant lui-même (en fait, cela
ne concerne pas le seul sous-système2,mais tous les sous-systèmesd’éducation).
O n sait que la profession d’enseignant, aujourd’hui, n’est pas des plus presti-
gieuses ni des mieux rétribuées, mais en revanche une des plus difficiles et des
plus complexes,et qui implique le plus de responsabilité.Que peut-on faire pour
faciliter le travail de l’enseignant,renforcer sa créativité,son effort personnel de
mise en évidence et de stimulation des possibilités des élèves, et pour faire en
sorte que le travail pbdagogique se rapproche davantage du travail scientifique
hautement quahfié? Il est évident qu’un rôle important incombe ici au cinéma et
il la télévision scolaires,de m ê m e qu’aux machines A enseigner ou il toutes sortes
d’appareils mécaniques ou électroniques pouvant faciliter les opérations mono-
tones ou augmenter le rendement du travail pédagogique. Mais les auxdiaires
bénévoles n’ont et ne doivent pas avoir un rôle moins important auprès de
l’enseignant, car ils le soulagent du poids des tâches secondaires et lui per-
mettent de se concentrer sur l’essentiel, c’est-&dire sur l’approche attentive et
créative de chaque élève.
U n e question peut se poser: celle du rôle que peuvent jouer lesdits auxiliaires
de l’enseignant dans l’appréciation des possibilités et des dispositions des
enfants si ceux-ci,c o m m e il est habituel A cet âge, rêvent d’être savants, pein-
tres, cosmonautes ou champions sportifs,alors que l’économie de chaque pays a
besoin d’abord de professions courantes - d’ouvriers spécialisés, ingénieurs,
agronomes, médecins et enseignants connaissant bien et aimant leur métier
- d’autant plus qu’il est très difficile aux parents et aux proches de déterminer
204 Finalités de I‘éducation

objectivement les possibilités réelles de leurs enfants. A notre avis, ce rôle peut
se révéler très constructif si ces parents font instamment comprendre aux
enfants que, de nos jours,un bon ouvrier a plus de valeur qu’un savant médiocre
c o m m e on en compte aujourd’hui des millions, qu’un bon cuisinier ou un bon
tailleur sont plus utiles qu’un mauvais artiste ou un mauvais peintre, qu’un
employé consciencieux et efficace est plus apprécié qu’un sportif de second
ordre; et qu’ils ne se contentent pas seulement de le leur faire comprendre,mais
qu’ils le démontrent aussi par l’exemple de leur propre carrière et fassent
connaitre leur profession B un nombre aussi grand que possible d’autres jeunes.
A 14-16ans, l’adolescent atteint la maturité, devient adulte, et le maintenir
dans une situation d’enfant, c o m m e c’est encore souvent le cas, est contre
nature,néfaste pour son psychisme et coûte très cher B la société,non seulement
sur le plan économique mais aussi sur le plan social Cjusques et y compris la
déhquance des jeunes non motivés). Dès 14-16ans, l’adolescent ne peut plus
rester un élève A qui l’on enseigne. Il doit absolument devenir un étudiant, une
personne indépendante qui acquiert et a s s d e des connaissances B l’aide du
pédagogue. Quelles connaissances doit-il donc acquéir et assimiler pour qu’A
18 ans au plus tard il soit devenu un citoyen A part entière,un participant B part
entière de la production nationale? E n premier lieu, il s’agit d’un éventail de
matières générales suffisamment large pour achever sa culture générale (qu’il
devra par la suite améliorer dans le cadre du sous-système5); en second lieu,des
matières spécialiséessuffisamment amples pour lui permettre de devenir un pro-
fessionnel qualifié.
U n e telle approche pose la question de la liaison optimale de l’enseignement
général et de la formation professionnelle. Cela suppose non seulement les
études scolaires habituelles,mais aussi des cours d’introduction,des séminaires,
des stages en usine, l’utdisation du cinéma et de la télévision scolaires et des
machines B enseigner, de tout ce qui n’est aujourd’hui accessible qu’aux établis-
sements spécialisés(SS4). En revanche,cela fait totalement disparaître l’opposi-
tion actuelle entre l’enseignement général et la formation professionnelle et
conduit B une totale intégration des sous-systèmes2 et 3. L a totale maitrise d’un
métier exige, outre tout le reste,non seulement de simples stages pratiques,mais
encore de longues périodes de travail réel, d’un mois et plus, dans la spécialité
choisie. Cela est d’ailleurs excellent car cela permet d’appliquer le principe,
essentiel en éducation, de la liaison entre l’apprentissagedes jeunes et le travail
productif, sans laquelle l’apprentissage et l’éducation perdent dans une large
mesure leur efficacité. Cela fadte en outre le passage au sous-système 4 pour
ceux des jeunes qui souhaitent recevoir une éducation spécialisée:la possibilité
pour le jeune de devenir un spécialiste diplômé sera déterminée non plus par
l’examen d’entrée B l’université,et encore moins par les sessions de contrôle au
sein de cette Université,mais préalablement,au cours des études et des stages de
travail productif B l’échelonsupérieur du sous-système2.
L a dernière année des études générales et spéciahsées ti l’échelonsupérieur du
sous-système2 sera-t-elleaccompagnée d’un stage d’avant diplôme dans la spé-
cialité choisie? Tel ou tel grade sera-t-ilattribué aux intéressés,c o m m e cela se
fait dans certains pays? Ces questions ne présentent qu’une importance secon-
Buts et perspectives de l’éducation 205

daire et ne trouveront réponse qu’après la réalnation de nombreuses et sérieuses


expériences.Mais sans entrer dans le détd, il est évident qu’on propose ici une
autre innovation caractérisée: un établissement d’enseignement qualitativement
nouveau, synthétisant les aspects les plus efficaces de l’échelon supérieur du
sous-système2 et de l’ensembledu sous-système3.

Sous-système4
Nous avons déjja vu plus haut que l’organisation optimale de ce sous-système,A
la différence des précédents et de la plus grande partie des suivants,doit se faire
selon le critère non point tant des besoins individuels (des étudiants et de leurs
parents) que des besoins économiques et culturels réels de chaque pays en spé-
cialistes de niveaux et de profils déterminés (sans oublier que toute personne qui
le souhaite peut continuer A améliorer sa culture générale dans le cadre du sous-
système 5 et accroître systématiquement ses compétences professionnelles dans
celui du sous-système 6). Nous avons vu également qu’une telle approche
suppose une diversification du sous-systtme 4 en au moins cinq Cléments inter-
dépendants. Essayons maintenant d’imaginer plus concrètement un établisse-
ment d’enseignement expérimental de ce type.
U n professeur d’université perspicace cherchera ses futurs étudiants parmi les
élèves de l’échelon supérieur et peut-être m ê m e de l’échelon moyen du sous-
système 2. Il aura avec eux des entretiens, organisera pour eux des jeux-
concours et des séminaires, survedlera attentivement leurs études de spéciah-
sation et surtout leurs stages de travd productif, les regroupera dans des écoles
d’été et les invitera ii faire connaissance avec l’université.Les recommandations
des enseignants et des moniteurs des stages pratiques de travail productif du
sous-système2 joueront évidemment un rôle essentiel. Il importe beaucoup que
toutes ces procédures n’aient pas un caractère de sélection élitiste (pseudo-
élitiste), mais soient c o m m e le prolongement de l’orientation professionnelle et
aident les jeunes A choisir avec plus de conviction et d’espoir leur futur métier.
Les impétrants du sous-système2, une fois entrés A l’université, y suivront
d’abord un cours préparatoire où ils se feront une idée plus précise de leurs
futures études et de leur futur travad, et grâce auquel s’éliminera la majorité de
ceux qui ont fait une erreur d’orientation. Les étudiants restants suivront un
cours théorique suffisamment intensif, en alternance avec des stages pratiques
de production, uthsant largement le cindma, la télévision et les machines ii
enseigner, et avec une aide individualisée aussi complète que possible des pro-
fesseurs.Après quoi, la majorité d’entre eux feront un stage de longue durée sur
leur futur lieu de traval, tout en continuant A passer des examens de contrôle
des connaissances et a préparer leur diplôme. U n e minorité d’étudiants plus
aptes et plus motivés pour les travaux théoriques poursuivront des études A
l’université,puis feront eux aussi un stage dans un institut de recherche, un
laboratoire ou une chaire d’université. Les uns et les autres obtiendront leur
diplôme en étant déjh parfaitement familiarisés avec leur travail. Ils n’auront
pas A ((toutréapprendre))et n’auront pas besoin d’une longue période d’adapta-
tion après l’obtention du diplôme. Les secteurs économiques et culturels dans
206 Finalités de l‘éducation

lesquels travaillera le stagiaire, puis le spécialiste diplômé, deviendront en


quelque sorte le cinquième élément du sous-système.
N o n seulement la conception que nous proposons d’un tel établissement de
formation spécialisée facilitera le choix d’une orientation aux jeunes gens dési-
reux de devenir spécialistes et améliorera sensiblement la qualité de leur prépa-
ration, mais elle diminuera considérablement l’angoisse actuelle de l’examen
d’entrée et aussi des examens de contrôle et de fin d‘études universitaires.Les
examens deviendront alors un dialogue entre l’examinateur et l’examiné, dia-
logue qui permettra 8 ce dernier de mieux saisir ses lacunes et en général les fai-
blesses de sa préparation, afin d’y porter remède par la suite ou de changer A
temps son domaine de préparation. Cela simplifie aussi dans une grande mesure
le problème des gains d’appoint indspensables ii beaucoup d’étudiants pour
continuer leurs études. D u n e part, ils perdront moins de temps (alors que dans
les universités actuelles ils en perdent beaucoup trop et de façon peu rationnelle)
et, d’autre part, ils auront alors la possibilité d’être payés non pas pour un
travail occasionnel,mais pour un travail productif ou pour un stage effectué
dans leur future spéciahté.
A notre avis, cette innovation peut avoir une incidence économique et sociale
considérable. Bien entendu, c o m m e les formes traditionnelles d’enseignement
universitaire, elle est impuissante devant des maux sociaux tels que, par
exemple, le chômage. Il faut pour cela de profondes transformations sociales.
Mais 8 bien d’autres égards, surtout dans la situation actuelle des pays en déve-
loppement,elle peut jouer un rôle extrêmement positif.

Sous-système5
C o m m e il est souhaitable que ce sous-système englobe la totahté de la popula-
tion intéressée,et qu’il soit en m ê m e temps de trbs bonne quahté, au m ê m e titre
que le sous-systbme précédent qui, lui,ne s’adresse qu’A un nombre d’étudmnts
relativement limité,il y a 18 un problème qu’il n’est guère possible de résoudre ni
dans le cadre des établissements traditionnels d’éducation des adultes, ni dans
celui des écoles et universités de type habituel. La solution consiste, 8 notre avis,
A créer un réseau d’établissements d’enseignement d’un type qualitativement
nouveau.
Pour assurer le fonctionnement optimal de ce sous-système,il faut certai-
nement utiliser le cinéma et la télévision, qui doivent permettre de faciliter
l’intégration des formes individuelles et collectives de l’autodidaxie. Cependant,
pour être efficace, l’autodidaxie doit nécessairement comporter des réunions
périodiques de groupes d’étudiants, des cours introductifs attrayants, des sémi-
naires-débats,des examens-interviews compétitifs, des échanges d’expériences,
la reconnaissance publique des résultats de l’autodidaxie,etc. Le problbme se
complique du fait qu’il est souhaitable que chaque adulte qui entre dans ce sous-
système y reste toute sa vie durant,en permanence. On a besoin pour cela d’une
organisation et de stimulants pour cette variété de travail intellectuel qui ne le
cède en rien aux autres variétés d’effort intellectuel quant A la difficultt, A
l’attentionrequise et 8 la portée sociale.
Buts et perspectives de l’éducation 207

En ce qui conceme l’organisation, il semble utile de diviser cette longue


période d’études, qui peut au total compter plusieurs duaines d’années, en
cycles successifs de type plus habituel, c’est-A-~ed’une durée de 2-3 ans 8
5-7ans chacun. Et il faut assurer le passage très souple d’un cycle A l’autre.Tel
indwidu préférera étudier toute sa vie u n seul sujet, que ce soit la philologie
autique, la technologie de la pêche ou, disons, la cosmologie contemporaine; il
faudra donc organiser son passage d’un cycle A l’autre de telle sorte que chaque
nouveau cycle apporte quelque chose de neuf et soit plus complexe et plus sédui-
sant que le précédent. Tel autre préférera au contraire étudier un large spectre
de matikres, fût-cemoins profondément;il est évident que lui aussi doit avoir la
possibilité de ((fairele tour))des matières ainsi choisies.Enfin,tel autre préférera
changer totalement, au bout de quelques années, sa problématique d’études;
cette approche doit elle aussi être assurée d‘une organisation qui prenne en
compte l’augmentationdu niveau des connaissancesgénérales de l’intéressé.
A propos des stimulants,il ne faut pas oublier que ce sous-système,A la diffé-
rence du précédent, n’a pas pour finahté l’amélioration des quahfications dans
une spécialité donnée, mais le relèvement du niveau général de culture, et n’est
donc pas lié directement 8 l’augmentation du salaire (quoique,indirectement,il
puisse avoir une influence A la fois sur la qualification professionnelle et sur le
traitement). Par conséquent,les stimulants matériels doivent ici forcément céder
le pas entièrement ou presque aux stimulants moraux. Quelle que soit la façon
dont on considère le système existant de grades et titres universitaires,et m e m e
si l’on pense qu’il s’agit 18 d’un certain anachronisme, conservé par inertie
depuis ces temps lointains où les diplômes et les grades s’opposaient en quelque
sorte aux titres héréditaires, le possesseur des premiers étant protkgé dans une
certaine mesure de l’arbitrairedu d6tenteur des seconds,il nous semble que, tant
que l’homme ne sera pas devenu plus conscient,il sera raisonnable de continuer
B utiliser cet anachronisme dans le cadre justement du sous-systèmeéducatif
considéré. Si chaque fin de cycle est sanctionnée par l’obtentionpar le candidat
du diplôme convoité (baccalauréat,licence,maîtrise, doctorat,etc.), ce stimulant
moral aura indiscutablement une grande efficacité.L‘essentiel est que le prestige
social de l’intéressé dépende désormais moins d’un diplôme du sous-système4
(car cela conceme aujourd‘hui moins l’individu que la société) que, et cela dans
une mesure de plus en plus grande, d’un diplôme du sous-système5, prouvant le
niveau de développement polyvalent de l’individu en tant que personne.

Sous-système6
L a qualité de ce sous-système dépend autant de la mesure dans laquelle il
englobe la totahté de la population concemte que de la succession rationnelle de
ses divers échelons, et d’une combinaison plus organique du perfectionnement
professionnel et du recyclage. Le vieihssement des connaissances est aujour-
d’hui si rapide que si le détenteur d’un diplôme, quel qu’il soit,ne perfectionne
pas systématiquement ses quahfications dans les années qui suivent l’obtention
de ce hplôme et ne suit pas des cours de recyclage, en huit A dix ans au maxi-
m u m ce diplôme n’est plus qu’une feuille de papier, aussi inutile que s’il avait été
208 Finalitès de l‘èducation

reçu en héritage! D o ù la nécessité catégorique de renforcer tous les cinq 8 dix


ans la qualification reçue, 8 tous les échelons de la production, depuis le simple
ouvrier ou l’employéjusqu’audirecteur général et il l’administrateurprincipal. Il
est important 8 cet égard de minimiser l’élément de chance et d’improvisation.
Chaque travailleur doit savoir 8 l’avance dans combien d’années exactement et
sous quelle forme il doit passer le cycle suivant du sous-système,quel sera le
résultat de cet effort et quelles seraient pour lui les conséquences d’un retard
dans la mise 8jour de ses compétences professionnelles.
L’expérience montre que la poursuite d’études dans le cadre du sous-
système 6 sans interruption de travail dans la profession n’a qu’un effet limité,
car l’adulte,après une journée de travail,est fatigué et assimile mal une informa-
tion de m ê m e type que celle qu’il reçoit dans le cadre de son travail.A la diffé-
rence du sous-système précédent, où l’on se transfère dans un domaine de
connaissances différent,et cela en fonction de ses intérêts personnels (du point
de vue de la curiositéintellectuelle de chacun), de sorte qu’il s’agit au fond d’une
forme originale de loisirs après la journée de travail,dans le sous-système6,les
études du soir et pendant les jours de congé sont inévitablement vécues c o m m e
une forme de travail supplémentaire et, qui plus est, non rémunéré. Mais il ne
faut pas non plus éloigner pour longtemps l’homme de son travad dans un but
de perfectionnement: au bout de quelque temps, il se trouve coupé des affaires
courantes,de ses collègues et de l’ambiance et du rythme habituels de son travail
et il lui faudra,au retour,un certain temps pour se réadapter 8 son ancien poste.
E n outre, au-del8 d’une certaine limite,l’acquisition de connaissances nouvelles
présente une importance relative de moins en moins grande par rapport au
temps perdu. C‘est pourquoi l’éloignement de son travail en vue de son perfec-
tionnement pendant un temps relativement long n’est admissible que si l’inté-
ressé doit être promu il un nouveau poste de travail exigeant des connaissances
plus approfondies. Dans tous les autres cas, il est recommandé que les stages de
perfectionnement avec interruption du travail soient de courte durée, ou que ce
perfectionnement se fasse en cours d‘emploi.
L‘expérience empirique montre que l’interruption maximale du travail aux
fins de perfectionnement en vue d’un poste de plus grande responsabiliténe doit
jamais dépasser deux 8 trois mois et qu’elle doit être en moyenne de l’ordre
d’une 8 deux ou trois semaines, voire d’un mois. Au demeurant, il est entendu
que tout travailleur doit bénéficier au sein de son entreprise de conditions qui lui
permettent de se perfectionner sans quitter son emploi. Si l’on établit une stricte
hiérarchisation des divers échelons du sous-système 6, qui pourrait comporter
par exemple des cours périodiques sans interruption du travad, des stages de
brève durée (plusieurs jours) avec interruption du travail une fois par an, des
stages de durée intermédiaire (plusieurs semaines) une fois tous les deux ou trois
ans et, dans certains cas indispensables, des stages de longue durCe (plusieurs
mois) tous les cinq 8 dix ans,on peut s’attendreque le sous-système 6 donne les
meilleurs résultats. Cela dit, des recherches et experimentations supplémentaires
s’imposent pour déterminer les paramètres de ce sous-système avec plus de
précision.
Buts et perspectives de l‘éducation 209

A cet égard, il serait très opportun d’étabhr des normes internationales de


recyclage et d’amélioration des compétences dont les différents Etats pourraient
s’inspirer dans leur pratique quotidienne. A notre avis, les institutions scienti-
fiques dépendant de l’Unesco pourraient fort bien prendre l’initiatived’élaborer
de telles normes.

Sour-système 7
Si les innovations ainsi proposées sont dûment appliquées, le sous-systèmedes
études dmgées perdra dans une grande mesure sa raison d’être,car il n’y en aura
plus besoin lors du passage d’un sous-système 2I l’autre et son utilité se limitera
aux cas de rattrapage pour raisons de maladie ou autres, ou aux cas de diffi-
cultés individuelles d’assimilation de certaines connaissances.

Sous-système 8
Pour rendre le système de formation de cadres scientifiques aussi efficace que
possible, il est A notre avis indispensablede tenir compte de deux considérations
principales: il faut que les scientifiques commencent 21 faire davantage de tra-
vaux de recherche créatrice h un âge relativement plus jeune que ce n’est le cas
actuellement,et il faut qu’il y ait un rapprochement plus marqué des travaux de
thèse de doctorat et des travaux de recherche fondamentale de pointe. Il est
scientifiquement établi que, chez la majorité des savants,la création scientifique
atteint généralement son ((apogée))entre 30 et 40 ans, après quoi elle décroît
progressivement. Bien qu’il y ait beaucoup d’exceptions A cette règle, et que la
sagesse des anciens remplace l’audacede la jeunesse,le problème de l’utilisation
maximale du potentiel créatif des jeunes savants reste entier, et il est impossible
de le résoudre en reculant jusqu’h 40 ans et plus le moment de l’entréeen action
des jeunes scientifiques, c o m m e cela se fait dans certains pays. Quant aux
thèses, il ne faut pas oublier que toute information nouvelle (y compris l’infor-
mation scientifique) suscite généralement au début - et doit m ê m e susciter,dans
la mesure où les idées avancées sont fondées et viables - une attitude sceptique
chez les collègues, surtout chez les ((experts)).D’où la tentation, qui est loin
d’être rare, d’emprunter les voies de moindre résistance et de ne pas se rendre
plus difficile l’obtention du grade recherché en avançant des idées scientifiques
trop audacieuses.11 en résulte que la thèse se présente souvent c o m m e l’imita-
tion plus ou moins bien réussie de recherches faites par d’autres. Les potentia-
lités créatrices des jeunes scientifiquessont alors gaspillées.
L a solution A cet état de choses consiste, semble-t-il,2I incorporer le plus tat
possible les jeunes scientifiques prometteurs aux travaux de groupes de cher-
cheurs et d’évaluer “ m e il se doit leur contribution personnelle aux travaux
de leur groupe, en leur accordant des titres et grades scientifiques en fonction
justement de cette contribution.Aucune innovation particulière n’est ici néces-
saire: on dispose de suffisamment de données sur l’expérience positive acquise 2I
ce sujet dans différents pays. Malheureusement,ces données sont encore mal
210 Finalités de I'éducation

connues et mal diffusées,et ce sont des expériences négatives qui prévalent. Les
institutions scientifiques de l'Unesco pourraient ici aussi jouer un rôle essentiel
de stimulation.

Si l'on tient compte de toutes les innovations proposées plus haut pour planifier
le développement du système éducatif, au niveau global c o m m e au niveau
régional,il faudra encore éviter deux défauts fort répandus: le faux prestige de
certains sous-systèmes d'éducation (ou bien de certains éléments de sous-
systèmes) et les tendances A l'élitisme de certains sous-systèmes(ou de certains
de leurs Cléments). C'est ainsi que dans certains pays en développement, on
accorde artificiellement un grand prestige, par exemple, A la formation de
spécialistes (SS4), sans tenir compte des besoins réels de l'économie et de la
culture du pays en spécialistes de profils et qualifications donnés. Résultat: des
disparités surgissent, la ((fuite des cerveaux))commence et les dépenses géné-
rales consacrées A l'éducation ont un rendement inférieur A celui qu'elles
auraient eu si elles étaient réparties proportionnellement aux besoins réels de la
société. D e même, dans certains pays capitahstes développés, on observe une
tendance A réserver telles ou telles institutionsdu système éducatif A un cercle de
gens restreint, en maintenant artificiellementla majorité des autres jeunes A cer-
tains niveaux de ce système. Il en résulte une baisse de potentiel intellectuel
créatif du pays et, bien entendu, aussi celle de l'efficacité potentielle du système
éducatif. Certes, la clé du problème réside dans le régime socio-politique de
chaque pays. Mais nous nous contentons ici de faire ressortir dans l'absolu les
aspects négatifs de tels faits du point de vue de l'efficacité du système éducatif.
Les considérations du type de celles qui sont faites ci-dessus pourraient, A
notre avis, être A la base de prévisions exploratoires et normatives du développe-
ment du système éducatif A l'avenir (A titre indicatif jusqu'en l'an 2000 ou m ê m e
jusques et y compris la première décennie du X X I e siècle). A leur tour, de telles
prévisions pourraient donner une information scientifique utile pour les pro-
grammes A long terme établis pour au moins les dix prochaines années. Sur cette
base, il est possible d'établir des plans quinquennaux de développement de
l'éducation nationale, A l'échelle globale ou A l'échelle régionale,en en précisant
les objectifs A atteindre au cours de chaque année. D'autre part, les prévisions,
programmes et plans supposent nécessairement l'élaboration de projets d'inno-
vation dans ce domaine conformément aux données nouvelles relatives aux
perspectives du développement de l'éducation.O n voit finalement apparaître un
modèle systémique de prévisions, de planification et de programmation dont
l'efficacité pour le perfectionnement du développement de tel ou tel secteur a été
objectivement démontrée A maintes reprises au cours des deux dernières
décennies (par exemple, pour la réalisation du programme de recherches sur la
Lune). Et A ce propos, il nous faut revenir une fois de plus au problème du sous-
emploi considérable du potentiel des institutions scientifiques de l'Unesco qui
sont, nous en sommes convaincus, pleinement A m ê m e de prendre l'initiative
d'un tel travail et d'entraîner derrière elles les institutions correspondantes des
Etats membres de l'organisation.
CHAPITRE SEPT
Les finalités de l’éducation:
génération et re-génération
par S.Roller

E n ce temps-là,les archers (pédagogiques)vouaient à la fabrication de leurs jlèches


un soin extrême, dheloppant des techniques de pointe, fondées en science et sans
cesse renouvelées par la recherche; bien résolur, cependant, qu’ils étaient, ces
archers, à ne jamais tirer qu’au hasard.

La riposte de Bertrand Russell:


Nous devons avoir une concepiion du type de personne que nous désirons former,
avant que nous ne puissions avoir une opinion prkcise quelconque sur I’éducation
que nous considérons la meilleure.‘

L’GDUCATION OBLIG~E
L a nature, au cours des millénaires,a d‘abord déroulé sur les parties émergées
de la planète le tapis luxuriant de la vie verte. Puis,poursuivant sa marche créa-
trice, elle a inventé le monde animal. A u nombre de ses innombrables essais,
deux sont particulièrement remarquables: les mollusques et les vertébrés. Les
premiers, mous de nature, ne tiennent qu’en raison d‘une protection pierreuse
qui,tout en les protégeant,les alourdit. Les mollusques vivent peu, ils survivent.
Leur espace vital est de médocre dimension. Ils n’invententrien. Les vertébrés,
en revanche, frappent par leur mobilité. L a nature a rendu celle-ci possible en
raison d’une inversion de génie: la solidité qu’elle avait mise, tel un rempart, A
l’extérieur de la bête, elle l’installe désormais B l’intérieur. L e squelette tient
l’animaldu dedans. Articulés B lui, les membres assurent la mobilité. L e sang,
mer intérieure, nourrit l’organisme et pourvoit B sa restauration. Un dispositif
isothenniquepermet d’échapper A l’irrégularitédes températuresclunatiques. L a
gestation interne des mammifères accroît encore l’autonomie de l’animal.Ainsi
la nature dépose-t-elle,dans ses créatures,par intériorisation et complexification
croissantes,les germes de la liberté.
Avec l’homme, les choses s’acdlkent et culminent. L e squelette se redresse.
L‘homme est le seul animal debout. Et, simultanément, la main libérée du
212 Finalités de réducation

fardeau de la marche et, de plus, dotée du pouce opposable aux quatre autres
doigts, se fait fabricatrice.L‘homme se donne des outils inorganiques. La tête,
haut dresste et, désormais, dispensée du fouissage alimentaire, peut laisser le
maxilaire inférieur se résorber au profit du crâne qui abrite un cerveau grand au
milliard de cellules interconnectées.Avec l’homme,la mobilité est A la fois maxi-
male et optimale. L‘homme, de tous les animaux,est le seul qui ait pu s’adapter
A presque toutes les conditions. O n le trouve sous toutes les latitudes,alors qu’il
n’y a pas de girafes en Laponie, ni d’ours blancs sous les tropiques. Avec
l’homme,un pas immense a été franch: le pas de la raison. L‘homme pense et il
sait qu’il pense. Homo faber avec sa main,il est devenu homo sapiens avec son
cerveau.L‘homme de raison non seulement vit et agit mais il crée. Il s’adapte au
monde et fait le monde. Il n’est cependant pas que de raison. En lui subsistent
les besoins de la vie végétative, de la vie instinctuelle et pulsionnelle. Il vit cette
vie et la protège des dégradations que pourrait lui faire subir I’être fabricateur
- et aussi destructeur -, l’être de raison et de froide logique. L‘homme a sacrahé
certaines de ses conduites, inventant des morales protectrices et des dieux pour
les confirmer: morales et religions closes. Investiguant plus avant,plus profond,
et sans doute plus haut, l’homme mystique, parvenant aux sources mêmes de la
vie, s’est approché du Dieu ontologique.Il lui a alors rendu le culte de ses reli-
gions. Fabriquant,pensant, adorant, l’homme, simultanément,avec le surplus
de forces que lui donnaient ses réussites, s’est donné le luxe des inventions gra-
tuites, le luxe vital de l’art. Ainsi ont pu se bâtir les civilisations, les cultures;
ainsi l’homme a-t-ilétendu son règne sur le globe.
Toute-puissance de l’homme. Et pourtant extrême vulnérabilitb. Car cet
h o m m e libre,le plus libre de tous les êtres vivants, paie cher sa liberté: il devra,
longuement, difficilement,apprendre A s’en servir pour lui être fidèle. Sa liberté
le contraint.
L‘animal naît programmé. Ses gènes organisent sa conduite. Les apprentis-
sages sont quasi inexistants ou relativement brefs. Il a une enfance courte qui
suffit A son adaptation au réel borné qui est le sien. L‘homme, en revanche,naît
sans programme avec une seule aptitude, celle d’être programmable ou de pou-
voir se programmer. Il lui faudra du temps pour monter ses conduites élé-
mentaires et pour apprendre A en monter de nouvelles. Celles que requerra son
monde. Or,ce monde est d’une complexité extrême. Il est de nature et, aussi,de
culture (la culture étant la nature plus l’homme). Cette culture, élaborée au
cours des siècles, ((constitueun capital informationnel de savoirs, savoir-faire,
normes, comportements qui, venant de l’extérieurde l’individu,se combine A la
détermination génétique intérieure))*.Le petit de l’homme doit s’insérer dans
cette culture, s’y équilibrer,y vivre, y grandir et y déposer son empreinte. Il doit
être, par elle, institué. Il doit aussi, sur elle, agir. O n comprend que son temps
d’apprentissage ne puisse être que long. D e tous les vivants, l’homme a l’enfance
la plus longue. Il est d’deurs remarquable qu’elle n’ait cessé de s’allonger au
cours des âges. A u siècle dernier, la scolarité obligatoire (quand elle existait)
s’achevait A douze ans. Aujourd’hui, elle le fait A seize. Pratiquement,rares sont
les jeunes qui entrent dans la vie active avant vingt ans. A u m ê m e moment
cependant, la maturité sexuelle se fait plus précoce. L‘enfant coexiste dans
Génération et re-génération 213

l’adulte.U n conflit ne peut que résulter de ce télescopage.La difficulté de deve-


nir h o m m e croît d’autant. Il importe en conséquence que le fils de l’homme soit,
de la part de ses aînés, particulièrement bien accompagné, qu’il soit l’objet des
soins les plus attentifs, les plus avertis. Telle se trouve être, pour l’homme,
l’exigence de l’éducation. Il est l’animal qui ne peut, en aucune manière, se
passer d’éducation.O n a pu croire que cette éducation se limitait dans le temps,
celui de l’enfance,voire de l’adolescence.Les institutions éducatives sont encore
fondées sur cette croyance. Les faits la contredisent. La vie des hommes, le
monde des hommes, sont devenus h ce point complexes et lourds de menaces
que l’éducation n’a désormais plus de terme, si ce n’est la mort de l’individu.
L‘éducation permanente n’est pas une invention d’industriels soucieux de
maintenir laforme de leur personnel; elle est un signe des temps. Elle révèle aux
hommes leur fondamentale et vitale obligation, celle de devoir poursuivre leur
éducation sans relâche ou de périr. L’homme n’est h o m m e que dans la mesure
où il accepte de se faire, de se créer perpétuellement lui-même. L‘éducation est
Co-extensive A la durée de l’existence. Elle concerne tous les hommes, elle
concerne tout l’homme.Elle est proprement inéluctable,rigoureusement obligée.

L’STAT DU MONDE
L‘homme, par nature, est contraint,s’il ne veut pas renoncer A son humanité, de
se prendre tous les jours en charge, de pourvoir A son éducation jusqu’h son
dernier souffle. Cette contrainte est, aujourd’hui, d’autant plus lourde que l’état
du monde lance h l’homme un ultime défi: ou vaincre par un effort accru
d’hominisation,ou mourir. Qu’on en juge.

L’accroissement de la population
O n estime qu’au début du X X I e sibcle, les hommes qui peupleront la Terre
seront plus nombreux que l’ensemble de ceux qui l’occupèrent depuis que le
globe porte des hommes. L‘agressivitC étant, on le sait, corrélative A la densifi-
cation des groupements humains, on peut prévoir des conflits nombreux et
violents.

Le tissu social
Pendant longtemps, la société a été un milieu aux interconnexions rares, faibles
et lentes. Aujourd’hui,elle tend h devenir un système aux interconnexions nom-
breuses, rapides et fortes. Ces interconnexions se sont multipliées avec l’impri-
merie, h la Renaissance, coïncidant avec le processus d‘urbanisation. Actuel-
lement, avec les moyens modernes de transmission de l’information,en raison
aussi d’une urbanisation accélérée, les interconnexions se démultiplient et se
renforcent. Le système social, lui aussi, se renforce; mais, en m ê m e temps, il se
referme sur lui-même,se développant par le jeu d’autortgulations cybernétiques.
D’où l’absence,désormais,de toute finahté extrinsèque qui donne lieu A un vide
métaphysique douloureusement ressenti,par les jeunes surtout.
214 Finalités de I'éducation

Par ailleurs, le tissu social est pris en charge, aux fins de gouvernement, par
des systèmes politiques stato-nationahtes. L'Etat règne; l'Etat s'arroge la
dignité de la valeur; il se soumet tous les hommes et tout l'homme.

Le couple science-technique
Pendant longtemps, la science se développait de manière toute gratuite,
craignant de se commettre avec les arts mécaniques. D e nos jours, science et
technique cheminent de concert, l'une appuyant l'autre, l'une assurant le pro-
grès, souvent foudroyant, de l'autre.L a méthode expérimentdeinnerve tous les
secteurs de l'activité humaine et, au premier chef, la techmque que sert une
machinerie toujours plus complexe, dotée d'une énergie toujours plus grande.
Couplée avec les récentes méthodes d'invention (l'heuristique, l'inventique),
cette m ê m e méthode expérimentale, d'une part, prétend résoudre, A plus ou
moins longue échéance,les problèmes des hommes et, d'autre part, constate que,
plus elle sonde le réel, plus nombreux sont les problèmes qui surgissent.Appré-
hendant le réel, la science offre aux hommes d'avoir prise sur lui. Mais,ce
faisant,elle déchaîne des forces é-normes;elle change la face du monde. Science
et technique semblent n'avoir d'autre fin que leur accroissement sans frein,celui
m ê m e des cellules cancéreuses. Le règne de la technique est le règne des moyens.
L'homme lui est soumis; il appartient A la technique,lui étant c o m m e consubs-
tantiel;il est devenu lui-mêmeorgane technique,moyen.

Le gonflement de I'information
Il est corrélatif A celui de la science. Des marées d'informations, par la presse, le
livre, la radio, la télévision et la télématique déferlent sur les individus, les
encombrant, les menaçant. A l'ère de l'automatique succède celle de l'infor-
matique. Mais quelle information? Celle, untlatérale et volontairement propa-
gandiste, descendue des satellites, ou celle, personnalisée, que les individus
sauront choisir eux-mêmespour leur seul et unique profit?

Le processus de cérébralisation
Le réel des hommes, physique ou social, travaillé par le cerveau humain, est
d'une complexité extrême. Pour le maitriser, deux voies: la prise en compte
séquentielle et la prise en compte globale. L a première recourt A la logique et ?I
la mathématique. Elle a pris un élm particulièrement puissant quand l'impn-
merie a incliné l'homme ti penser de manière linéaire et discursive. L'analyse a
pris le pas sur la saisie globale, la réflexion sur l'immédiateté, l'abstrait sur le
pragmatique,la neutralité du message sur l'émotionalité.L a pensée logique s'est
de plus en plus formahsée. Elle a dégagé des structures et des ensembles de
structures (des systèmes). Cette pensée s'est, son tour, donné un outil inor-
ganique,l'ordinateur qui,prenant le relais du cerveau,travadle séquentiellement
plus vite que lui.
La prise en compte globale appréhende le réel en une fois, sous plusieurs
dimensions. Elle est, pour le moment, l'apanage du seul cerveau humain. Si ce
Génération et re-génération 215

processus de cérébralisation, caractérisé par la prédominance des activités


logico-mathématiques,a pu assurer le progrès d‘aujourd’hui et assurera vraisem-
blablement encore celui de demain (les calculatrices croissent chaque jour en
nombre et en puissance et sont gages de survie dominatrice pour ceux qui les
détiennent), il comporte cependant un double danger, celui de développer insuf-
fisamment le pouvoir d’invention et celui d’anémier la vie affective de l’homme,
voire celle de son âme.

L’accélération du changement
Depuis Héraclite,on sait que le monde change et qu’on ne se baigne jamais deux
fois dans le même fleuve. Ce qui est nouveau, c’est l’accélération de ce
changement. Jadis, les modifications du train de vie étaient imperceptibles aux
yeux d‘une génération. Il fallait le recul de l’historien pour en saisir l’existence.
Aujourd’hui,le changement constitue la trame mouvante de la vie. Il en résulte
des bouleversements qui peuvent mettre en péril des économies, des systèmes
sociaux,des politiques. Si,par plusieurs de ses aspects, le changement peut &tre
considéré c o m m e indice d’une création qui se continue, donc c o m m e Clément
constructif,il est, par ailleurs, agent destructeur. Il ruine des structures sur les-
quelles s’appuyaient les hommes, celles qui leur donnaient sécurité et stabilité.Il
s’ensuit un désarroi que certains supportent mal. Le nombre des inadaptés
grandit, celui des inquiets, des déboussolés, de tous ceux qui, plus ou moins
consciemment, se demandent avec angoisse où tout ce changement les mènera.

Les périls
Chacun des regardr portés jusqu’ici sur le monde comporte son poids d’espé-
rance comme, aussi, celui d’une désespérance. Il est pourtant des périls t e m -
blement actuels qu’il faut citer:
- Le pillage de la planète; sa sur-exploitation au profit, presque exclusivement,
des nantis du Nord.
- L a pollution de la nature et la désertification galopante.
- La faim des hommes, ceux du Sud notamment, qui meurent pour engraisser
les riches.
- L‘oppression des peuples qui insulte les Droits de l’homme, aussi bien A l’Est
qu’A l’Ouest, au Sud qu’au Nord.
- La guerre endémique dévoreuse d’armes aux coûts exorbitants.
- Le chômage qui,cornme une peste malkfique, réapparaît 18 où,jadis (moins
d’un demi-siècle), il avait suscité les révoltes, la terreur et généré l’holocauste.
- L’entropie envahissante. Tout se neutralise, tout se banahse. Le désordre
grandit sous l’apparence de l’ordre.Celui de la normalisation neutralisante,
anesthésiante. Les crkations originales, qui attestaient la résurgence d’ondes
de vie, se rarefient. La Terre devient termitière. L‘homme, l’Occidental sur-
tout,ne croit plus &ce qu’il fait, ni &son avenir; il ne voit plus de signification
A sa vie.
216 Finalités de I'éducation

Le monde est en crise. Or, étymologiquement, crise veut dire jugement.


L'homme approche du jugement dernier: ou il retrouvera un orient salvateur,ou
il s'enfoncera dans la ténèbre de l'absurde.

L'GMERGENCE DES FINALITgS )?DUCATIVES


Les ouvrages humains ont une histoire qui, régulièrement, se développe d'une
manière analogue A celle de l'évolution elle-même.Elle va de l'obscur au lumi-
neux, de l'inconscient au conscient, de l'instinctuel au rationnel. Ainsi de
l'éducation et de ses institutions.
A l'origine, le petit de l'homme acquiert les conduites que veut son équili-
bration au sein de son milieu de vie par une suite de conditionnements suscités
par la génération adulte, par les parents, dans sa farmlle; par quelques sages,
dans sa tribu. L'éducation avoisine le dressage. Elle monte des habitudes,élabo-
rant,chez l'individu,et par voie externe,ce qui, chez l'espèce humaine,n'est plus
confié A l'hérédité.
Cependant, au cours des âges, les hommes ayant mis au point, par lentes
approximations, un nombre croissant de savoir-faire,une tâche singulibre se
détache sur fond initiatique quasi instinctuel: celle qui consiste A transmettre,
avec une conscience en éveil, le capital,modeste encore, mais pourtant efficace,
de ces savoir-faire.Premiers apprentissages artisanaux,techniques.
L a vie humaine, pourtant, ne génère pas que des recettes de vie pratique;
elle invente, les généralisant, les systématisant, les auréolant, des savoirs qui
concerneront non seulement le faire matériel des hommes, mais aussi leur agir et
leur penser social. U n e science, un droit s'établissent, une sagesse s'approfondit
et s'exalte: la culture prend corps. Il faudra, dès lors, des soins accrus pour ini-
tier le fils de l'homme aux arcanes de ce milieu de culture, de ce miheu huma-
nisant. Cette initiation devant servir non seulement A faire les propagateurs de la
culture, mais ses continuateurs,ses inventeurs.Derechef, la fonction instructrice
du petit de l'homme se précise: des hommes sont commis au soin de la transmis-
sion, aux jeunes, des valeurs de la civilisation naissante. Le pédagogue est né.
Ses élèves, au début, sont peu nombreux. On les trouve chez les clercs ou chez
les moines. Le sacré enveloppe le savoir. Sa transmissionest acte révérenciel.
Dès le XVe siècle,avec l'imprimerie de Gutenberg, le processus s'accélère. La
masse du savoir s'enfle (Renaissance). Les destinataires augmentent en nombre.
La Réforme protestante entend que quiconque sache hre pour avoir accès aux
Ecritures. L'instruction devient publique.Au XVIIIe siècle européen, trois fonc-
tions se trouvent assignées A l'éducation-instruction(Domenach): a) la conser-
vation et la transmission du savoir universel; b) la synthèse des dsciplines en
vue de la formation générale de l'honnête homme; c) l'avancement des connais-
sances par la recherche et l'émulation.
A u XIXe siècle, nouvelle accélération consécutive A trois crises au moins. La
Révolution française: tous les hommes, égaux en droit, doivent recevoir l'édu-
cation que requiert leur dignité d'hommes. L a création des Etats-nations:tous
les hommes doivent être faits citoyens éclairés. L'expansion industrielle: les
hommes doivent apprendre A devenir de bons producteurs. C'est le temps de
Génkration et re-génération 217

l'ctinstruction publique, obligatoire et gratuite)). L'institution scolaire est éta-


tisée. Ses buts, inscrits dans des constitutions, des lois et des règlements,
reflbtent les valeurs de la société (le maintien de l'Etat, l'accroissement de la
richesse). Ces valeurs dictent des politiques Cducationnelles. Les philosophes
interviennent: nantis d'une mission de sagesse,ils ne peuvent pas ne pas réflé-
chir sur l'kducation. Toute phdosophie est grosse d'un système éducatif;tout
systèmeéducatif,on commence A le comprendre,requiert une phdosophie qui le
justifie.Les valeurs enfantées par le réel des hommes rencontrent la pensée qui
s'exerce sur elles. Deux sources qui, peu A peu, vont générer des conceptions
éducativeset dégager un orient,celui des finalrtés.
Le ler aoiît 1914marque la fin du triomphalisme scolaire du XIXe siècle.La
grande guerre ouvre une crise universelle. L'éCole est, elle aussi, concernée:
n'aurait-ellepas fait fadhte? On est en droit de le penser. Son élm initial s'est
affaibli parce que son idéal lui-mêmes'est anémié. O n voulait l'homme moral,
l'homme libre.Le voulant cependant dans une institution qui,en raison du plu-
ralisme, avait fait de la neutralité une valeur, cet idéal humanisant n'a pu que
perdre de son pouvoir d'enthousiasme. On a cessé d'y croire.Et,dès lors,toutes
les autres finalités,les implicitesqui,antagonistes des explicites,attendaient leur
heure,ont pu,insidieusement,mais non moins sûrement,prendre le pouvoir.On
oublia de faire l'homme libre.
Le mouvement de l'ctécole active)), dès 1920,a été un sursaut de conscience.
On l'a vu prendre un essor prometteur dans la Vienne socialiste d'après-guerre.
Il était trop faible cependant pour former des hommes capables de résister ?i la
désespérance du chômage comme ?i l'asservissement des fascismes. A cette
époque, de grands esprits s'inquiétaient: où allons-nous?que faut-ilvouloir?
Ainsi de Paul Valéry,en 1924:
Je suis bien obligé de remarquerque les questions fondamentales ne sont jamais énoncées.
Je sais que le probkme est horriblement difficile. La quantité croissante des connaissances
d'une part, le souci de conserver certaines qualités que nous considérons, A tort ou A
raison, non seulement comme supérieures en soi, mais comme caractéristiques de la
nation, se peuvent difficilement accorder. Mais si l'on considkrait le sujet lui-memede
l'éducation: l'enfant, dont il s'agit de faire un homme, et si l'on se demandait ce que l'on
veut au juste que cet enfant devienne, il me semble que le probldme serait singuhdrement
et heureusement transformé, et que tout programme, toute méthode d'enseignement,
comparés point par point, A l'idée de cette transformation A obtenir et du sens dans lequel
elle devrait s'opérer, seraient par lA jugés. Jamais ne se produit la question essentielle:
- Que veut-on et que faut-il vouloir? C'est qu'elle implique une décision, un parti A
prendre. Il s'agit de se représenter l'homme de notre temps, et cette idée de l'homme dans
le milieu probable où il vivra doit d'abord etre établie.'

La guerre mondiale,celle de 39-45,précipite l'état de crise.L'éducation, partout,


est repensée.Un des tkmoins les plus impressionnants de cet effort de reconsidé-
ration de la chose éducativeest sans doute le Plan Langevin-Wallon(1947)qui a
inspiré,nolens volens, la quasi-totalitédes réformes scolaires des trois dernières
décennies. Le temps de scolaritt s'est beaucoup allongé; des structures nou-
velles,globales,ont kté essaykes pour assurer l'égulitd des chances;les études se
sont diversifiées, les méthodes perfectionnées (intervention massive de la
218 Finalités de l'éducation

psychologie) et les moyens démultipliés.L'éducation, enfin,s'est voulue perma-


nente,d'où une scolarisationassezinquiétante de la vie. Une fièvre s'était empa-
rée des pédagogues et des investisseursqui voyaient dans l'éducation la source
des richesses A venir. Il est A cet égard remarquable de constater que c'est un
organisme international,h vocation économique,l'organisation pour la coopé-
ration et le développement économiques (OCDE)qui a le plus entrepris en
faveur de l'innovation en matière d'éducation. On innovait.Il fallait A tout prix
innover.Mais,pour quoi innover?Question primordiale.L'Unesco a eu le mérite
d'oser la poser. Des réponses ont été esquissées.Le fort volume Apprendre d
être4 en est une. Le séminaire Unesco:BIE d'avril 1974 (Genève) en fut une
autre. Esquisses seulement,car le problème des finalités éducatives prenait, au
sein de la turbulenceoù l'on était,une acuité extrême.Le pilotage de l'éducation
était désormais inéluctable.Il importait de savoir où l'on allait,où l'on voulait
aller.
LA FINALITfi D E S FINALITfiS GDUCATIVES
La complexité et l'étendue de la démarche éducative non seulement légitiment
une préoccupation relative aux finalités,elles la commandent.Car les finahtés
ont des fonctionsprécises et d'une importance telle que, sans elles,l'éducation
est vouée A l'échec, entraînant dans sa ruine celle de l'homme lui-même.
Les finahtés constituent d'abord un référentiez auquel tout rapporter et au
moyen duquel tout évaluer,tout juger.L'efficience du système en dépend puis-
que la présence permanente du référentiel en tous ses points assure son fonc-
tionnement optimal. Problème de cybernétique, problème de sain gouver-
nement. C'est ainsi que tout changement,toute innovation peuvent trouver ou
leur pleine justification ou,au contraire,leur éhnation. C'est ainsi que l'éva-
luation permanente du système peut se faire formative et assurer, A chaque
moment,des ajustementsefficaces.
Les finalités ont une fonction régulatrice. Elles sont une assurance contre la
proliférationabusive des moyens.Jacques Maritain écrivait:
Si les moyens sont aimés et cultivks pour l'amour de leur propre perfection, et non pas
c o m m e moyens seulement, dans cette mesure m ê m e ils cessent de mener & la fin,et l'art
perd sa vertu pratique; son efficience vitale est remplacke par un processus de multipli-
cation B l'infini, chaque moyen se dkveloppant pour lui-mêmeet prenant pour son propre
compte un champ de plus en plus étendu. Cette suprkmatie des moyens sur la fin et
l'effondrement consécutif de tout dessein assure et de toute efficacité réelle semblent être
le principal reproche qu'on puisse faire B l'éducation contemporaine. Ses moyens ne sont
pas mauvais. A u contraire, ils sont généralement meilleurs que ceux de l'ancienne péda-
gogie. Le malheur est justement qu'ils sont si bons que nous perdons de vue la fin.D'oh la
faiblesse surprenante de l'éducation actuelle,faiblesse qui procède de notre attachement &
la perfection m ê m e de nos moyens et méthodes d'éducation et de notre impuissance A plier
B leur fin ces moyens et ces méthode^.^
La fonction des fins est aussi organisatrice: structures scolaires,programmes,
méthodes, moyens d'enseignement, formation des maîtres, planification et
recherche,toutes ces activités constitutivesdu grand œuvre éducatif,toutes,sont
appelées A recevoir,chacune A sa manière,l'impulsion significative des fins de
Génération et re-génération 219

l'éducation. L'éducation permanente, dernière venue, se trouve, par les fins,


située, dignifiée, fécondée. Tout c o m m e les recyclages qui, apparemment de
nature uthtaire, peuvent, dans une perspective finahte, trouver le sens qui les
fasse accepter.
Les finahtés renforcent l'explicite et démasquent l'implicite. C'est ainsi
c o m m e on le verra plus loin que si, ouvertement, l'éducation est productrice de
néguentropie, le monde moderne ne cesse de la contredire en produisant de
l'entropie;ce que font, entre autres,les mass media, les séductions de la techno-
logie (hypnose produite par le savoir-faire et le pouvoir-avoir) et les analgé-
siques. Les finalités dénoncent le mal;elles accusent.
Les finahtés donnent sens humain au savoir enseigné et, du m ê m e coup,
motivent qui en entreprend la conquête. Le savoir que distribue l'éCole ne vaut
que dans la mesure oh il est véhcule d'une sagesse elle-mêmefinalisée:
Le savoir,dans les sociktks africaines traditionnelles,n'ktait pas seulement une somme de
connaissance dont le sujet était le seul dkpositaire enrichi et muet, mais surtout et d'abord,
une sagesse intkgrke, une sagesse convertible en conduites sociales significativeset utiles et
profitant li tous, inkvitablement, et presque immkdiatement.6
Les finalités président A l'interventiondes sciences constitutives de la pédagogie
- psychologie,sociologte, etc. - et leur assignent la juste place qui leur revient,
une place ancillaire.
Confinkes dans leur domaine et dans leurs problematiques propres, ces disciplines ne
favorisent gubre une rkflexion critique touchant leurs fondements, leurs présupposks,leur
signification,leur rdle, leur importance,soit par rapport B la formation pkdagogique, soit
par rapport B l'éducation et li la question de l'homme. Elles oeuvrent ainsi li l'édification
des systbmes kducatifs sans obkir A un plan d'ensemble qu'elles ne connaissent point et
dont elles ne se soucient gubre d'aider li tracer le dessin.'
Les finalitts sont coordinatrices. Elles constituent le sommet vers lequel tout
converge. Tout, c'est-&-dire le &vers qui constitue l'étoffe concrète du réel
éducatif.Seul n'existe que le singulier. Encore faut-ilqu'il se rattache & un géné-
ral qui le signifie,le dignifie et, de ce fait, lui communique la force d'entretenir
cette m ê m e et fondamentale originalité. L'union différencie (Teilhard de
Chardm). Mais elle ne le peut faire qu'A une condition: l'existence d'un principe
de rahement incontesté. Les finalités sont alors intégratrices et mobilisatrices.
Elles cimentent et suscitent l'enthousiasme. Pour autant qu'elles soient
d'authentiques finalités.
Les finahtés sont de nature prospective. L a prospective,cette ((prédictioncréa-
trice)), consiste, on le sait, A se projeter dans le futur, pour l'y construire tel
qu'on le souhaite,tel qu'on l'appelle de ses vœux les plus fervents et, ensuite, h
faire retour au présent pour l'organiser et le rendre porteur d'avenir. Les fina-
lités transportent vers demain; elles inspirent l'aujourd'hui; elles animent le
bâtisseur.
Les finahtés assurent lapermanence des valeurs. Transtemporelles,elles appar-
tiennent aussi bien au passC qu'au présent et au futur. E n tout temps,elles sont.
Et étant, elles sécurisent; elles sont réponse A l'angoisse des hommes; mieux,
elles en préviennent l'apparition.
220 Finalités de l’éducation

Ainsi,la finalité des finalitéspourrait bien consister en la permanence anima-


trice d’unesprit de finalité innervant tout le systèmeéducationnel et entretenant,
chez maîtres et élèves,une exigence:celle de ne jamais rien entreprendre dont
on ne connaissela signification,le sens,la fin.
C‘est [. .]de l’aptitude B se dessiner B soi-même ses propres finalités et B en inventer les
.

moyens de réalisation que se mesure la vitalité d’un systkme éducatif et, B travers lui, celle
de la société globale.8

L‘eLABORATION D U N PORTRAIT DE L‘HOMME


Finalitésrequises,impkrativement.
Finalitésutiles,indubitablement.
Mais,au fait, quelles finalités? Sont-ellesplurielles? O u n’y aurait-ilpas,pour
l’éducationde l’homme,une seulefinalité,unique,primordmle,essentielle?
La riposte qui s’imposecomme ((donnéeimmédiate de notre consciences est
celle-ci:pas d’autrefin A l’acte éducatif que l’homme lui-même.Qui,alors,fera
le portrait de cet homme? Cet homme de tous les temps,cet homme de toutesles
latitudes,cet homme toujours cd la recherche de son humanité)). Les sages de
tous les siècles,les phdosophes ont,A de multiples reprises,entrepris cette tâche
immense et, chaque fois,l’homme est apparu,avec sa grandeur, comme avec,
aussi, sa carence d’être.L‘Unesco, il y a peu, a œuvré dans le même sens. Sa
Division de la philosophie, animée alors par le professeur Jeanne Hersch,a pro-
duit un ouvrage de synthèse,Le droit d’être un homme9 qui devait être cité ici,
abondamment. O n peut cependant se demander si un texte aussi fondamental
que la Déclaration universelle des droits de l’homme ne pourrait pas tenir lieu
de centre de ralhement et cela d’autantplus que ce texte a été voulu,adopté et
proclamé par les représentants de l’humanité réunis A Paris,en décembre 1948,
sous l’égide des Nations Unies.
Le journalisteLouis-AlbertZbinden,s’adressant A des maîtres du secondaire,
disait récemment:
A l’époque où les idéologies sont mortes, on se demande sur quel idéal un consensus peut
unir les pédagogues dans leur diversité. C e pourrait être les droits de l’homme. Si la pro-
blématique scolaire est aux dimensions du monde, je ne vois pas quelle autre ambition
peut être assignée aux hommes parmi la diversité des hommes, et aux nations parmi la
diversité des nations. C‘est peu et c’est beaucoup. Peu parce que les droits de l’homme ne
constituent pas une idéologie.C‘est peu enthousiasmant. C‘est le dénominateur commun,
c’est le minimum vital, mais vital aussi en ce sens que c’est la dernière chance de survie.
Par contre, cela peut €tre beaucoup si, sur ces droits, agissant comme critère des compor-
tements, sont appréciés les régimes, les systkmes et les philosophies, et si sur leur base
s’édifient demain de nouvelles idkologies renouvelant les grands mots usés de liberté,
d’égalité et de fraternité.1°
La Déclaration de 1948 a une htstoire.D’autresdéclarations l’ontprécédée qu’il
n’estpeut-êtrepas inutile de rkinstaller dans nos mémoires.Celles qui sont évo-
quées ici ne sont guère que des jalons. Ils balisent la route des hommes en
marche vers leur bien le plus précieux,bien voulu par leur nature,bien jamais
acquis,toujours A conquérir:la liberté.
Génération et re-génération 221

Déclaration d’indépendance des Provinces-Unies


Philippe II d’Espagnerègne aussi sur les Pays-Bas,en catholique intransigeant,
résolu & résorber l’hérésie calviniste. Son ardeur néanmoins suscite la révolte.
Quelques provinces se soulèvent,conduites par Guillaume d’orange,le Taci-
turne; elles se proclament indépendantes et constituent une fédkration d’Etats,
la République des Provinces-Unies.Le 26 juillet 1581,& La Haye, les Etats-
généraux (députés des provinces) signent la Déclaration d’indépendance des Pro-
vinces-Unies. Un extrait de la version française:
Les sujets ne sont pas créés de Dieu pour le Prince, afin d’obéir i lui en tout ce qu’il lui
plaît commander, soit selon Dieu ou contre Dieu, raisonnable ou déraisonnable, et pour
lui servir comme esclaves, mais plut& le PMce pour les sujets (sans lesquels il ne peut être
Prince) afin de les gouverner selon droit et raison.ll

Pacte du Mayflower
A u début du XVIIe siècle,l’Angleterrepost-élisabéthainese durcit;la Royauté
tente de s’absolutiser;elle affaiblit le Parlement et renforce son empire sur
1’Eghse(anacane). La révolte sourd,chez les Puritains particulièrement.Ceux-
ci n’admettent d‘autorité que de Dieu. Certains s’embarquent alors sur le
Mayflower. C e sont les ((Pères pèlerinsu qui fonderont la Nouvelle-Angleterre,
puis, au-delhd’elle,plus tard,les Etats-Unisd’Amérique.Avant de quitter leur
navire, le 11 novembre 1620,les Pères pderins signent un pacte politique, le
Pacte du Mayflower, affirmation d’une liberté conquise, volonté d’assurer sa
pérennité:
Au N o m du TrBs Haut, Amen. Nous, les soussignés [. .]convenons et disposons par les
.

présentes, solennellement et mutuellement,en présence de Dieu et les uns des autres, de


nous unir en un corps politique pour favoriser l’ordre et notre commune préservation et
pour atteindre les buts mentionnés plus haut; en vertu de quoi il nous est donné de
composer, établir et instituer, de temps A autre, dans la justice et l’égalité,telles lois,
ordonnances, constitutions et charges qui seront jugées les plus convenables et propres A
favoriserle bien général de la colonie [. .IIz
.

Bill des droits des Anglais


En France,1’Edtde Nantes a été révoqué.En Angleterre,un roi tente de rendre
au catholicisme romain sa suprématie.Le peuple alors se soulève.Il acclame un
nouveau roi venu des Provinces-Unieset instituela monarchie constitutionnelle.
Le Bill des droits (Billof Rights) en établit les principes (Palais de Whitehall,
Londres,13 février 1689):
[Les] Lords spirituels et temporels et les Communes, aujourd‘hui assemblks en vertu de
leurs lettres et élections,constituant ensemble la représentation pleine et libre de la nation,
et considérant gravement les meilleurs moyens d’atteindre le but susdit, ddclarent d’abord
(comme leurs ancêtres ont toujours fait en pareil cas), pour assurer leurs anciens droits et
libertés:
1” Que le prktendu pouvoir de l’autoritéroyale de suspendre les lois ou l’exécution des
lois sans le consentement du Parlement est illégal;1. . .J
222 Finalités de l‘éducation

[4”]Qu’une levée d’argent pour la Couronne ou il son usage, sous prétexte de prérogative,
sans le consentement du Parlement,pour un temps plus long et d’une manikre autre
qu’elle n’est ou ne sera consentie par le Parlement,est illégale;[.. .]
[8”] Que les élections des membres du Parlement doivent être libres [.. .

Déclaration d’indépendance(Etats-Unis d’Amérique)


Exilés volontaires ((pourmotif de conscience)),les Pères pèlerins, installés sur la
côte est de l’Amérique du Nord, demeuraient inféodés A la Couronne britan-
nique. (Colons)),ils devaient A cette dernière le tribut le plus large. Trop large
A leurs yeux. Le temps vint alors de leur ctlibérationo. Le 4 juillet 1776, A Phi-
ladelphie, les colonies anglaises se soulkvent contre l’Angleterre et lancent la
Déclaration d’indépendance,elle-même précédée d’un exposé philosophique,la
DécIaration des droits:
Nous tenons pour évidentes par elles-mêmesces vérités que tous les hommes ont étC créés
égaux, qu’ils sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables;que, parmi ceux-
ci, sont la vie,la liberté et la recherche du bonheur; que, pour assurer ces droits, sont insti-
tués chez les h o m e s des gouvernements tirant leursjustes pouvoirs du consentement des
gouvernés; que, chaque fois qu’une forme quelconque de gouvernement devient destruc-
tive de ces fins, c’est le droit du peuple de le changer ou de l’abolir et d’instituer un
nouveau gouvernement [.. .Il4

Déclaration des droits de l‘homme et du citoyen


1789, la France fait sa Révolution.L‘Assemblée constituante élabore la Consti-
tution et la fonde sur un exposé de principes gbnéraux vérifiés par la raison,
reconnus justes par elle, donc, d’une application universelle, vrais en tous pays
et en tous temps, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (Paris,
20-26août 1789):
Les représentantsdu Peuple Français,constitués en Assemblée Nationale,[. - 1 ont résolu
.

d‘exposer, dans une déclaration solennelle,les droits naturels, inaliénables et sacrés de


l’homme, afin que cette Déclaration, constamment présente il tous les membres du corps
social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs; afin que les actes du Pouvoir
législatif et ceux du Pouvoir exécutif, pouvant être A chaque instant comparés avec le but
de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des
citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables,tournent toujours
au maintien de la Constitution et au bonheur de tous [.. .]
1. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits: les distinctions sociales
ne peuvent étre fondées que sur l’utilitécommune. [. . .]
III. Le principe de toute souveraineté r6side essentiellement dans la nation; nul corps,
nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.
IV. La liberté consiste il pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas il autrui; ainsi,l’exercicedes
droits naturels de chaque h o m m e n’a de bornes que celles qui assurent aux autres
membres de la soci6té la jouissance de ces memes droits. [.. .]
V. La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles il la société. Tout ce qui n’est
pas défendu par la loi ne peut être empéché et nul ne peut étre contraint A faire ce
qu’elle n’ordonne pas. [.. .]15
Génération et re-génération 223

Dèclaration universelle des droits de l'homme

10décembre 1948,Paris.Une ((guerrede trente ans)), de plus de trente ans (août


1914 - mai 1945), a bouleversk le monde,ébranlant,knorme séisme, les valeurs
des hommes,leurs cultures,leurs politiques, leurs éthiques et même leurs espé-
rances et leurs fois. Des ruines qu'ils ont laissk se faire, ces mêmes hommes
essaient pourtant de rebâtir le monde. U n de leurs gestes re-créateursest cette
Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée et proclamke par
l'AssemblCe gknkrale des Nations Unies:
Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente II tous les membres de la f d e
humaine et de leurs droits kgaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la
justice et de la paix dans le monde,
Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l'homme ont conduit II des
actes de barbarie qui révoltent la conscience de l'humanité et que l'avtnement d'un monde
où les êtres humains seront libres de parler et de croire,libérés de la terreur et de la misère,
a été proclame c o m m e la plus haute aspiration de l'homme,
Considérant qu'il est essentiel que les droits de l'homme soient protégés par un régime de
droit pour que l'homme ne soit pas contraint, en suprême recours, h la révolte entre la
tyrannie et l'oppression, [. . .]
Considérant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé II nouveau
leur foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la per-
sonne humaine, dans l'égalité des droits des hommes et des femmes, et qu'ils se sont décla-
rés résolus II favoriser le progrts social et A instaurer de meilleures conditions de vie dans
une liberté plus grande,[. . .]
l'Assemblée générale proclame
la présente Déclarution universelle des droits de l'homme c o m m e l'idéal commun II atteindre
par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de
la société, ayant cette Dklaration constamment A l'esprit, s'efforcent, par l'enseignement
et l'éducation, de développer le respect de ces droits et libertés. [.. .]
Article premier. Tous les êtres humains naissent libres et Bgaw en dignité et en droits. Ils
sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un
esprit de fraternité.[. .]
,

Article 3.Tout individu a droit II la vie, h la liberté et II la sûreté de sa personne.


Article 4.Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; [. . ]
.

Article 5. Nul ne sera soumis II la torture, ni A des peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants. [.. .]
Article 18.Toute personne a droit A la liberté de pensée, de conscience et de religion;[ . .]
.

Article 19.Tout individu a droit II la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le


droit de ne pas être inquieté pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répan-
dre, sans considérations de frontitres, les informations et les iddes par quelque moyen
d'expression que ce soit.
Article 20. Toute personne a droit II la liberté de réunion et d'association pacifiques. [.. .]
Article 26.
1. Toute personne a droit A l'éducation. L'kducation doit &tre gratuite, au moins en ce qui
concerne l'enseignement tlémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est
224 Finalitès de I'kducation

obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé;l'accès aux


études supérieures doit etre ouvert en pleine égalité A tous en fonction de leur mérite.
2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au
renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales.Elle doit
favoriser la comprkhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les
groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations
Unies pour le maintien de la paix. [. . .]
Article 27. Toute personne a le droit de prendre part librement B la vie culturelle de la
communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui
en résultent.[. . .]
Article 28. Toute personne a droit A ce que règne, sur le plan social et sur le plan intema-
tional, un ordre tel que les droits et les libertés énonds dans la présente Déclaration
puissent y trouver plein effet.
Article 29. L'individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et
plein développement de sa personnalité est possible.[. .]
.

Article 30.Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme


impliquant pour un Etat,un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer B
une activité ou d'accomplir un acte visant B la destruction des droits et libertés qui y sont
énonds.l6

L'HOMME,VALEUR PRFiMIhE
A l'éducation,une finalité,une seule:la formation de l'homme.Et aussitôt nait,
douloureux,amer,un soupçon.Ne va-t-onpas, une fois de plus, une fois de
trop,ahgner des mots,des mots prétentieux et vains. L'homme,valeur première.
Mais quel homme? Et,du fond de l'amertumedésabusée,un désir,grand,quasi
désespéré,de faire crédit et de voir ceux qui parlent,ceux qui écrivent,prendre
enfin en considération l'homme vrai, l'homme de chair. Car il ne devrait plus
être permis d'oser prononcer sur l'homme en oubliant sa concrétude. Aussi,
toute parole sur l'homme ne doit-elleêtre proférée qu'en référencepermanente à
l'homme réel. Et cet homme ne peut être, d'abord, que celui qui, misérable,
démuni,souffre.Le handicapé,souvent victime d'une civrlisationgénératrice de
malformations. Le prisonnier des geôles totalitaires qui torturent les corps et
avilissent les âmes.L'affamé du monde austral. Le chameur en proie A la déses-
pérance.Témoin,cettejeune femme,mise au chômage,progressivementenvahle
par la psychose du chômeur (celle de la lente dévalorisation de l'individu) et qui,
l'autre jour,s'est donnée la mort.Dans son journal: ((Unjeune travailleur vaut
plus que tout l'or du monde.)) Tel est l'homme auquel tout rapporter,l'homme
auquel est due toute révérence.
Dans le secteur de l'éducation, d'autres chances d'instruction devront être offertes aux
catégories défavorisées: enfants non scolarisés, analphabètes,adultes, femmes vivant dans
les milieux ruraux et ouvriers, émigrants vers les villes B la recherche d'un travail,
inadaptés sociaux.''
L'homme concret.Encore faut-il,pour le bien saisir,le bien comprendre et,si
possible,le bien accompagner,être en mesure de porter sur lui un regard juste.
Or,ce regard dépend, lui, d'une certaine conception que l'on s'est faite de
Génération et re-génération 225

l’homme. Il n’est pas vain, en conséquence,de réfléchir sur l’homme. Quel


homme? Question inéluctable et paralysante. Seule l’audace de l’ignorance
autoriserait une esquisse de réponse. Diderot, évoqué par Jean Guéhenno,
définissait l’éducation,l’enseignement, ” m e une préparation de tous les
hommes h ((devenir avec le temps des hommes profonds)). Et Guéhenno de
poursuivre:
Je ne crois pas qu’il convienne de seulement penser 8 utiliser les hommes et 8 leur donner
un métier. Les hommes ne font pas seulement que travailler et gagner leur pain. Ils
espkrent vivre, vivre vraiment,aimer et btre aimés, btre heureux. U n h o m m e est un esprit,
un m u r , une âme, si difficile A définir que soient ces mots. Ils expriment sa réalité
d’espèce,sa vraie richesse, sa plus profonde valeur dont il faut lui donner conscience et
qu’il faut augmenter,Blargir, pour qu’il soit au monde tout ce qu’il peut être.I8

C‘est B cet h o m m e profond que Pestalozzi,lui aussi,songeait:


Dans la situation oh nous nous trouvons,il faut agir directement sur l’espritde l’homme,
et par les forces qui dorment en lui; sur le cœur de l’homme et par la vertu qui réside en
lui. C‘est cette conviction qu’il faut crber chez les esprits les plus clairvoyants, c’est cette
foi qu’il faut raviver au m u r des nations et c’est dans ce sens qu’il faut susciter l’action des
plus nobles cœurs.C‘est 18 notre seul recours.19

D u fond de la crise de l’entre-deux-guerres,crise qui n’afait que déboucher sur


la catastrophe 39-45,Emmanuel Mounier est probablement celui des philo-
sophes qui a le mieux et le plus vigoureusement traité des finalités éducatives.
En 1936,dans le Manifeste au service du personnalisme, il a écrit:
Il suit que le but de l’éducation n’est pas de tailler l’enfant pour une fonction ou de le
mouler 8 quelque conformisme, mais de le mûrir et de l’armer (parfois le désarmer) le
mieux possible pour la découverte de cette vocation qui est son être m b m e et le centre de
ralliement de ses responsabilités d’homme. Tout l’appareil lbgal, politique, social ou
économique n’a d’autre mission dernikre que d’assurer d’abord aux personnes en forma-
tion la zone d’isolement, de protection,de jeu et de loisir qui leur permettra de reconnaître
en pleine liberté spirituelle cette vocation; ensuite de les aider sans contraintes A se déga-
ger des conformismes et des erreurs d’aiguillage;enfin de leur donner, par l’agencementde
l’organismesocial et économique,les moyens nécessaires pour donner 8 cette vocation son
maxi” de fécondité.Il faut préciser que cette aide est due 8 tous sans exception; qu’elle
ne saurait &tre qu’une aide discrète, laissant au risque et 8 l’initiative créatrice tout le
champ nécessaire.La personne seule trouve sa vocation et fait son destin. Personne autre,
ni homme, ni collectivitk, ne peut en usurper la charge. Tous les conformismes privés ou
publics, toutes les oppressions spirituelles,trouvent ici leur condamnation.*O

L‘homme, cet être inaccompli, qui ne cesse pourtant d’être exigence d’accom-
plissement (Jankélévitch), est donc fondamentalement vocation et engagement.
La vocation est,en lui,appel de sa nature profonde,de son essence,de son être
primordial, sohcitation de manifestation, d’enracinement dans l’humus des
hommes. L’homme de la vocation est singulier.Unique parmi les hommes, il a
pour devoir d’assumer son oripalité et d’en assurer le développement optimal.
Chacun a le droit et le devoir d’être entikrement lui-même et de travailler B
atteindre,par un effort personnel,voire par la souffrance,son propre sommet.
226 Finalités de I'éducation

Chacun aussi a,vis-&vis de son prochain et de la communauté qui l'a nourri,


un devoir imprescriptible,celui de mettre ses forces- ses forces maxi-optimales
- au service de ce prochain,au service de la communauté.Pour que ce prochain
puisse,lui aussi,entendre l'appel de sa vocation et y correspondre.Pour que la
communauté se fasse toujours davantage, et toujours mieux, matrice des per-
sonnes. Personne et communauté étant deux concepts où chacun fait néces-
sairement surgir l'autre de façon cogénérique (Edgar Morin). L'homme profond
est,ainsi,l'homme de la démocratie.Bergson écrivait en 1932:
O n comprend donc que l'humanité ne soit venue II la démocratie que sur le tard (car ce
furent de faussesdémocraties que les cités antiques, bâties sur l'esclavage, débarrassées de
cette iniquité fondamentale des plus gros et des plus angoissants problkmes). Elle attribue
l'homme des droits inviolables. Ces droits, pour rester inviolés,exigent de la part de tous
une fidélité inaltérable au devoir. Elle prend donc pour matitre un h o m m e idéal, respec-
tueux des autres comme de lui-même, l'insérant dans des obligations qu'il tient pour
absolues,coïncidant avec cet absolu qu'on ne peut plus dire si c'est le devoir qui confère le
droit ou le droit qui impose le devoir. Le citoyen ainsi défini est & la fois législateur et
sujet, pour parler comme Kant. L'ensemble des citoyens, c'est-&-dire le peuple, est donc
souverain. Telle est la démocratie théorique. Elle proclame la liberté, réclame l'égalité, et
rhncilie ces deux sœurs ennemies en leur rappelant qu'elles sont sœurs, en mettant au-
dessus de tout la fraternité. Qu'on prenne de ce biais la devise républicaine, on trouvera
que le troisième terme lève la contradiction si souvent signalée entre les deux autres, et que
la fraternité est l'essentiel: ce qui permettrait de dire que la démocratie est d'essence évan-
gélique,et qu'elle a pour moteur l'amour.21
L'homme profond est,en fin de compte,un être d'amour. Parce que fondamen-
talement,intrinsèquement,un être de vie, un vivant. L'homme propulsé par la
vie au sommet du phylum biologique,cet homme a pour mission d'entretenir la
vie,sous toutes ses formes,en quelque lieu que ce soit.Dans la nature w m m e
l'écologiel'enjoint de le faire.Dans l'homme aussi,dans l'enfant de l'homme.
Car si puissante que soit la vie qui enveloppe la Terre,cette vie demeure chétive.
Elle est sans cesse menacée,toujours en danger.Aussi requiert-elledes vivants,
des hommes surtout,les soins les plus attentifs. L'homme est un entreteneur de
vie,un animateur de vie.Telle est,spécifiquement,sa vocation ultime,tel est son
devoir d'amour.

LES VALEURS CONSTITUTIVES DES FINALITES E D U C A T I V E S


Finalités,buts,objectifs,etc.Certains planificateurs,quelque peu behavioristes,
se sont laborieusement appliqués ti imaginer un système éducatif splenhdement
ordonné où chaque pièce trouverait docilement sa place au sein d'un grand
ensemble hiérarchisé.A u sommet la fin ultime,puis,en descendant,de proche
en proche, les buts et,enfin,les objectifs au moyen desquels procéder A l'éva-
luation formative des apprentissages. Le réel pédagogique est cependant trop
près de la vie mouvante et diverse pour tdérer pareil encadrement. Ce qui
importe, c'est que tout, dans l'activité éducationnelle, soit en permanence
irrigué par la finalité ultime,l'homme dans sa plénitude. Cette fin,entée elle-
même sur le tronc vital de l'univers (de l'univers terrestre tout au moins), en se
Génération et re-gknération 227

répandant,c o m m e sève nourricière,dans toutes les zones de l’éducation doit, si


elle agit bien, opérer de telle sorte que tout, au sein de ces zones, devienne
valeur. Car qu’est-ce qu’une valeur si ce n’est ce ((je-ne-sais-quoi)) qui rend un
savoir, une techmque, un comportement désirables parce que reconnus c o m m e
utiles pour l’individu,ou pour la société,reconnus c o m m e propres A accroître en
lui, en elle, des pouvoirs, des forces de vie, des vertus. La valeur, c’est ce qui
((paye)),c’est ce qui mérite attention et effort. C‘est, ce devrait être, ce qui suscite
l’enthousiasme.Il résulte de cela que les ((politiqueséducativeso feraient bien de
prendre en considération finalités et valeurs si elles voulaient, vraiment, se
mettre au service de leur nation et de leur peuple. C e qui malheureusement n’a
été jusqu’ici que fort rarement le cas.

L’instruction
Chaque individu a le droit d’être instruit. Ainsi se trouvent légitimés tous les
efforts tentes, et A poursuivre encore, pour alphabétiser les humains. Ainsi se
trouvent aussi condamnées les alphabétisations avortées dont sont victimes,
dans les pays ((développés)),le nombre inquiétant d’enfants ((retardés)),
d’enfants qui,jamais, ne recevront la ration minimale d’instruction h laquelle ils
ont droit.Ainsi se trouventjugés les modes de vie qui génèrent l’actuel néo-anal-
phabétisme. Des &ers d‘individus sont menacés de n’être, profession-
nellement, que des presse-boutons,quasi sans formation,ne menant, en dehors
de leur travad alimentaire,qu’une vie végétative de consommateurs de TV.
L‘éducation [l’instruction, ici] a d’abord pour tâche de donner aux individus et aux
groupes le maximum de compétences et de capacités de choix afin qu’ils puissent gérer
leur vie.22
Cette gérance concerne deux choses au moins: la maîtrise des notions de base
qui permettent, en tout cas, de s’établir dans un statut matériel décent, h l’abri
de la pauvreté. Les savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter) doivent assurer
le pain quotidien. Ils doivent cependant faire plus: conférer qui les conquiert
une maîtrise qui, lui donnant confiance en lui-même,lui donne assez d’audace
pour refuser tout avilissement.Les savoirs de base doivent être libérateurs.

L’identité
L‘individu a besoin de se sentir enraciné dans un sol (un humus), dans une
f d e , dans une patrie, dans une communauté. Il a droit B l’initiation.Par quoi
il faut entendre que tout ce qui constitue le patrimoine de son lieu d’existence
doit pouvoir être, par lui, intégré et fait substance de sa substance. Car ce sont
les valeurs locales, les us et coutumes, qui skcurisent le mieux l’indwidu naissant
et qui le conduisent le mieux A lui-même. Cette revendication d’identité,
d’authenticité, est particulièrement forte dans la plupart des pays dits ((endéve-
loppement)). Le colonialisme les a rendus culturellement orphelins. Aussi
aspirent-ilsh retrouver les valeurs d‘antan, celles de la tribu, de la race, de la foi.
228 Finalités de réducation

réducation, sans préjudice de sa dimension universelle, doit principalement favoriser la


connaissance de la réalité du pays, des pays voisins et de la région de la façon la plus
objective pour retrouver le passé, édifier le présent et orienter l’avenir.23
Mais il est aussi bien remarquable de constater la clairvoyance de ces mêmes
démunis: ils demandent l’enracinementpour pouvoir mieux, une fois n o u m s de
leurs sèves propres, se décentrer et participer au grand jeu de la vie intema-
tionale, celle qui appelée de leurs vœux sera, pour le monde, pourvoyeuse de
paix.
C‘est dans ce contexte que le problème des langues se pose avec le plus de
clarté. Toute langue n’est vraiment maîtrisée qu’au sein d’une culture qui lui
donne sa valeur plénière, la culture étant elle-meme cet ensemble de valeurs
matricielles qui font les individus et les installent dans leur humanité. La langue
vernaculaire est lait maternel. Elle donne 8 l’individu son squelette moral. Peut
ensuite venir une langue seconde 8 valeur internationale, voire universelle,
langue particulièrement propre 8 introduire l’individu dans le vaste monde, celui
de la science,de la technique,sinon de la sagesse.

Les savoirs
Les institutions éducatives- les écoles - ont toujours voulu, au-del8des notions
de base, nantir leurs élèves d’un ensemble de savoirs, tous jugés indispensables.
D e 18 les programmes scolaires chargés, toujours trop chargés et que jamais per-
sonne ne réussit 8 alléger. Or,sur ce point, la présence de la finalité éducative
humanisante qui est la nôtre ici pourrait jouer un rôle particulièrement efficace.
Car ce qui compte pour un individu,quel qu’il soit et quel que soit son âge,c’est
d’acquérir des savoirs dont il sait le sens pour lui, des savoirs désirés, voulus.
Des savoirs qui, dès lors, seront maîtrisés et qui, l’étant,assureront 8 leur tour
l’individu en lui-même,le rendant du m & m e coup plus fort et plus résolu 8 pour-
suive sa propre conquête du savoir.Toute la nouvelle pédagogie des apprentis-
sages par module ou crédit trouve ici sa justification. Avec elle pourront
tomber en obsolescence les structures scolaires qui ne sont que lits de Procuste
et productrices,artificielles,de retard scolaire, d’échec et de découragement.Les
savoirs, par ailleurs, ne sont pas que cérébraux. L a pensée, sans doute, est
remontée de la main au cerveau;mais sans le cerveau,la main reste malhabile.Il
s’ensuit qu’une éducation vraiment humanisante maintient en équilibre travail
manuel et travail intellectuel pour que l’individu sache, un jour, agir en h o m m e
de pensée et penser en h o m m e d‘action.

La culture
Les savoirs,tels que les programmes scolaires en dressent encore l’inventaire, ne
constituent pas une culture. Et c’est probablement 8 cause de cela qu’ils sont,
par les élèves, si peu prisés. A tel point que cette mésestime dont ils sont l’objet
pourrait bien signer, 8 brève Cchéance, leur condamnation. Toute ctscola-
risationw est minorative, et elle l’est parce qu’en rupture avec la finalite huma-
nisante. E n effet, il n’y a de culture qu’humaine. Et si elle l’est, elle ne peut être
Génération et re-gènération 229

par les élèves des écoles que reçue, désirée et aimée. Les jeunes sont humains,
plus qu’on ne veut l’admettre. Les forces jeunes de la vie bouillonnant en eux
déj’a les rendent tels. Et ces mêmes forces ne peuvent que les rendre sensibles et
accueillants ‘a tous les ouvrages des hommes, de ces hommes qui sont déj’a,eux.
Toutes les œuvres des hommes, celles de la techque, de la science, des arts, de
la musique et de la littérature,toutes ces œuvres ne sont que l’homme, l’homme
créateur,l’homme inventeur et libre projeté en elles.Ces œuvres disent l’homme,
exaltent l’homme et ne peuvent, en raison m ê m e de la vibrance humaine qui les
anime, qu’exalter qui s’en approche. Il est vrai qu’une distance, temporelle et,
jusqu’h un certain point, de nature, les sépare des générations montantes
actuelles que l’accélération du changement emporte dans sa turbulence et rend
peu propres A percevoir l’humain au sein des choses qui leur sont proposées. Le
rôle des mdtres est, ici, capital. Il est de l’ordre de la catalyse. A eux de mettre
les jeunes ((enprésence)) de la culture de telle sorte qu’entre elle et eux, leurs
élèves, un feu prenne, un métabolisme se produise. Alors la culture A nouveau
intérioriséedans des humains retrouve son vrai statut. Elle sort du musée-nécro-
pole où on l’enferme souvent pour redevenir être vivant parmi les vivants, les
aidant A vivre et A se dépasser.

L’écologie
Au nombre des choses A connaître, les disciplines de la vie que l’écologie met
aujourd’hui sous son égide ont pris et prendront sans doute encore demain une
importance telle qu’il convient de leur faire,dans cet inventaire des valeurs, une
place ‘a part. Si l’homme a pour vocation d’être entreteneur de la vie, son pour-
voyeur,voire son animateur, encore faut-il qu’il sache le faire. D o ù la nécessité
qu’il y a d’apprendre aux jeunes le respect de la vie et la manière dont la vie, ici-
bas, chemine, se reproduit,meurt et, sans cesse,renaît.L’écologisme ne doit pas,
cependant,devenir un conservatisme frileux.Edgar Morin avertit:
L’tcologisme qui ne conçoit pas la possibilitt de nouveaux développements dans Saven-
ture de la vie et dans l’aventure humaine (c’est-&dire qui ne conçoit pas la vie et l’huma-
nit6 aussi comme aventures) devient mutilant c o m m e ce qu’il combat.24

L’autonomie
La conquête par un individu de sa stature d’homme passe par celle de la liberté.
Il convient qu’au fur et A mesure de son développement,qu’au fur et A mesure
que se renforce son miheu intérieur, cet individu devienne capable de s’auto-
gérer,de prendre ses propres décisions, de se donner ses propres déterminismes;
en u n mot, de se comporter en h o m m e libre. La fin de l’éducation exige cela au
premier chef. Aussi, tout, dans le secteur éducatif, absolument tout, devrait-il
être entrepris pour donner aux jeunes - dès l’fige le plus tendre - des occasions
d’exercer dans des h t e s convenables leurs pouvoirs de liberté. Car c’est l’acte
libre, l’acte de volonté, qui, quand il aboatit,renforce le mieux et le plus l’indi-
vidu. C‘est par lui qu’il grandit; c’est par lui qu’il devient homme. Et c’est dans
la mesure où il s’éprouverafort, sain,vigoureux,de corps et d’esprit, qu’il peut,
230 Finalités de l‘èducation

franchissant alors les limites de son autonomie, s’ouvrir à l’autre et l’aider il


conquérir et son autonomie et ses vertus intérieures.
Ainsi est-ce dans le cadre de cette autonomie il conqukrir qu’il convient de
situer le fameux ((apprendreà apprendre)).Car1 Rogers écrit:
Le seul individu formé,c’est celui qui a appris comment apprendre, comment s’adapter et
changer, c’est celui qui a saisi qu’aucune connaissance n’est certaine et que seule la capa-
cité d’acquérir des connaissances peut conduire & une sécurit6 fondée. La capacité de
changer,la confiance dans une capacité plutôt que dans un savoir statique,tels sont dans
le monde moderne les seuls objectifs que l’enseignement puisse s’assigner et qui aient un
sens.25

La simplicité
L‘homme moderne est encombré. Le nombre sans mesure des informations qui
l’assaillent va croissant et constitue, pour lui, une agression qui risque de
menacer sa santé mentale. Comment filtrer pour retenir l’essentiel,conforme à
son orient,il sa vocation,à ce qui l’accorde avec lui-même?
Dans une vie où les signaux se multiplient et se compliquent, l’enseignement a pour but
d’aider &classer,&interpréter et &critiquer l’information, et cela au sein d’activités profes-
sionnelles et quotidiennes qu’il doit rendre démocratiques, c’est-&-direaussi maîtrisables
que possible.26
Tout cela dépend,on le voit, de la qualité du rkférentiel personnel que chacun se
sera donné. C’est moins une affaire de méthode de travail,encore qu’elle ait son
importance, que de volonté. Qui sait où il va et le fait avec assurance, avec,
même, une sorte de bonheur, se déleste de ce qui freine son cheminement. Il
dégraisse son esprit et lui donne du muscle.

La dignité
Le Yi King,cet étonnant recueil de la sagesse chinoise la plus ancienne, parle à
chaque page de l’homme noble, qui n’est autre que l’homme profond de Diderot,
l’homme que dresse devant nous la finahté ultime de l’éducation. Cet h o m m e
apparaît c o m m e doté des plus hautes quahtés morales. Les rapports des pays de
l’Islam sont, sur ce point, particulièrement explicites. Ils plaident pour l’honnê-
teté, la justice, le droit et la fraternité internationale. Toutes qualités, toutes
vertus qui sont celles de l’homme fort, de l’homme de maitrise. Le moraliste
suisse, Alexandre Vinet, a formulé cela de manière lapidaire et convaincante:
((Je veux l’homme maitre de lui-même afin qu’il soit mieux le serviteur de
touW7. Cette maîtrise demande cependant qu’on l’explique. Certains redou-
teraient qu’elle ne soit que rigueur,voire raideur austère. Ils auraient tort.Car la
maîtrise de l’homme noble, de l’homme de dignitk, comporte la maîtrise de la
maîtrise, ce qui veut dire que l’homme fort est aussi l’homme de la sensibihté,de
la compassion, de la tendresse et de l’amour. C‘est alors qu’il atteint - ou
commence d’atteindre - la plénitude et qu’il peut, riche de sa joie, donner aux
autres cette m ê m e joie et les aider à progresser en humanité.
Génération et re-ginération 231

LE FONCTIONNEMENT DES FINALIfiS DE L'fiDUCATION


Réfléchir sur les finahtés de l'éducation,élaborer A leur propos un corps de doc-
trines et proclamer solennellement ces finahtés du haut d'une tribune interna-
tionale est une chose.Chose somme toute dérisoire. L'ouvrage éducatif est trop
grave; il concerne l'homme d'une mauière trop impérative pour qu'on se
contente de cela. Le faire, d'ailleurs, serait trahu ces mêmes finahtés. Si donc
finalitésil y a - et il doit y en avoir - ces mêmes finahtés doivent passer dans les
faits. Cette exigence a été formulée B plusieurs reprises.
Il faut tout A la fois se garder de tomber dans le mythe en posant le probltme des finalités
en termes trop lointains et éviter les écueils de la politique A courte vue en adhérant de
trop prks au rée1.28
E n vue d'assurer l'efficacité des objectifs A l'intérieur du systkme éducatif,les participants
attirent l'attention que le fait de ne considérer les objectifs qu'au niveau global amtne trts
souvent A néghger leur contenu réel au niveau de l'acte éducatif lui-même,ce qui crée un
fosd entre la formulation théorique des objectifs et leur mise en applicati~n.~~
Les finalités générales de l'éducation doivent être formulées de telle manikre que leur sens
puisse être compris et interprété et traduit en politiques éducatives et en finalités intermk-
diaires et spécifiques qui facilitent leur SUC&S.~~
Cette exigence d'enracinement des finalités,le jeune plulosophe de l'éducation
Claude Pantillon l'avait excellemmentsaisie:
La réflexion A tendance fondamentale, la pensée ne sont efficaces et utiles que dans la
mesure où elles s'efforcent aussi de montrer les premiers pas II accomplir. [.. .]Il faut
donc que cette réflexion et cette pensée décident d'habiter le monde, de s'incarner, de
cheminer vraiment avec les hommes et de courir avec eux l'aventure édu~ative.~]
Habiter le monde.L'éducation étant Co-extensiveB la vie humaine tout entière,
ses finalitésont,elles aussi,A adhérer A la totahté de cette vie: éducation perma-
nente,éducation formelle (celle qu'instituent les Etats) et éducation informelle
(celle, diffuse, de l'école parallcile). C'est ainsi, on a dû dé.# s'en apercevoir ici,
que les finahtés,en raison d'un pouvoir recteur qui leur est inhérent,ne peuvent,
parce qu'elles chevauchentla vie entière de l'homme, qu'exercer sur l'éducation
de ce dernier une action de déscolarisation. Il ne s'agit pas,ce qui serait contraire
A des finalitéshumanisantes,de mettre la vie dans l'école.Mais au contraire,de
mettre l'école dans la vie ou,mieux encore,de procéder de telle sorte que l'école
- au sens h t é du terme - se dissolve pour que soient offertes B tous les
humains,enfants ou adultes,en permanence, toutes occasions de s'instruire, de
se former en vue de tâches conformes aux impératifs de leur vocation et donc,
par eux,voulues.
Dans l'état actuel des choses,l'éducation est encore affaire de l'Etat, service
public. Si donc l'éducation nationale entend fonctionner de manière efficiente
(elle proclame toujours qu'elle le désire mais, chose curieuse,elle le veut rare-
ment), il importe qu'elle aussi soit traversée par l'esprit des finalités. Et,au
premier chef,les textes légaux.Ceux-ci,dans les démocraties le plus souvent et
en raison d'un neutrahsme borné,sont rarement explicites quant aux finalités
éducationnelles. Ils attestent une volontk de non-engagementqui, en fin de
232 Finalités de l'éducation

compte,sape les fondements de la démocratie. L'esprit de finalité dont il a été


question plus haut devrait inspirer les législateurs et se manifester dans leurs
textes. Mais où sont les commissions chargées de faire les lois scolaires qui,
avant toute chose,prennent en considération lafinde l'ouvrage éducatif? Où?
L'administration scolaire,elle aussi,aurait besoin de faire régulièrement une
cure de finalité. Car l'administration est menacée par deux maladies malignes:
son gonflement et son inefficacité. La prise en compte, claire et révérencielle,
des finalitésl'en préserverait.
Tant que les adrmnistrateurs, aux différents niveaux de l'enseignement, ne sont pas dotés
d'une vision administrative prospective, soutenue par les concepts des systèmes et sous-
systèmes et les mécanismes de leur interaction dynamique, les pratiques éducatives ne
trouveront pas le soutien moral, matériel et technique nécessaire ii leur succès.32
Ce succès d'ailleurs n'a pas qu'un caractkre moral. Il doit aussi en avoir un
d'ordre financier. L'éCole riche n'est pas obligatoirement une école efficace,
une fabrique d'hommes. L'éCole,pour humaniser les petits de l'homme,peut être
pauvre. A une condition:qu'un esprit l'habite, celui de la fin.A telle enseigne
qu'un système scolaire bien orienté pourrait fonctionner efficacement 9 frais
réduits.C'est l'étoile,plus que les budgets, qui assure au système éducatif sa
réussite.
L'innervation du système par les fins ne peut être,pour une part importante
sinon capitale,que le fait des éducateurs eux-mêmes.
Pour surmonter ce désaccord [entrela formulation des finalités et leur aboutissement]on
considère comme nécessaire la participation de l'éducateur (considéré au sans large de sa
situation dans le processus éducatif, quelle que soit la forme que celui-ci prenne) dans la
formulation des buts de l'éducation. On signalera aussi l'opportunité pour Yéducateur de
prendre pleinement C O M ~ ~ S S ~ I du
U sens prkis qu'ont les finalités éducatives, tout cela
pour qu'il se recycle d'une manière constante et adéquate afin de travailler ii la réussite des
finalités elles-mêmes.]-'
Or,on a dû le constater,ce même éducateur voit h n u e r considérablement son
prestige et son autorité.Pourquoi?Parce que justement,en raison d'une carence
éthique,on a néghgé de nantir cet éducateur du sens de sa mission.Cette mission
- et il faut oser employer ce terme - qui consiste préciskment A faire passer dans
l'actepédagogique sa fin ultime. Si cet éducateur fait sienne cette fin,s'il adhkre
aux valeurs qui la constituent, s'il les vit, il ne pourra que susciter l'adhésion
- adhésion enthousiaste - de ses élkves comme celle aussi des parents puis, de
proche en proche,celle de la communautéau sein de laquelleil opère.
Parmi [les thèmes proposés ii la réflexion des consultants] on peut citer l'enthousiasme A
insuffler aux jeunes,[enthousiasme]duquel on ne parle presque jamais et qui devrait pour-
tant constituer une préoccupation essentielle de tout système éducatif.I4
Le maître alors exercera un ascendant sur ses élèves. Son crédit grandira.Car il
aura donné aux jeunes des ((raisonsde vivre)); il aura animé,en eux,le ((goûtde
vivre)) (Teilhard de Chardin) les rendant du même coup capables d'efforts, des
efforts les plus grands et des engagementsles plus généreux.
Génération et re-génération 233

L’aide due h l’élève, h l’apprenant,ne saurait qu’etre personnalisée puisque


chaque individu est singulier; puisque, aussi, ses conditions de vie lui sont
propres.
Aux finalités et objectifs de l’éducation - dont le rapport dialectique doit rester évident si
-
l’on tient A la cohérence de la conception m e m e du système éducatif doit correspondre
une pluralité de stratégies et de moyens qui tienne compte A la fois de la relativité des
situationsparticulières et des impératifs d’une solidarit6 mondiale qui se veut agissante.35
[Les participants attirent] l’attention sur la gravité des méthodes traditionnelles d’ensei-
gnement qui néghgent l’individualisation de l’enseigné, et ne favorisent pas sa partici-
pation positive A son propre enseignement dans la perspective d’une autodidaxie progres-
sive et c0ntinue.~6
Enfin,l’aide accordée au petit h o m m e en marche vers son humanité ne peut être
que discrète,prévenante,non abusivement formatrice.Car c’est moins de sa for-
mation qu’il s’agit que de son in-formation,par quoi il faut entendre une forma-
tion organique procédant du dedans de l’individupour, peu h peu, se manifester
dans un faire et, surtout,dans u n être.
Les finalités,c o m m e on l’a vu plus haut, semblent devoir apporter une solu-
tion au problkme de l’évaluation des actes pédagogques, des actes d’apprentis-
sage.Valéry le laissait entendre.Et Bouhdiba,citant Reuchlin, dit:
La recherche de critères opératoires aux buts de l’éducation est difficile. Les objectifs dont
il s’agit sont en général d’une nature telle qu’il est tout A fait impossible de définir un cri-
tQe opératoire empirique,utilisable de façon cohérente par des observateurs différents, et
qui permettrait de s’entendre sur le fait de savoir si un objectif détenniné a été atteint ou
11011.37

L a difficulté est d’importance. Car,ou elle est telle qu’on renonce A objectiver
les finahtés et alors on risque de ne pas évaluer ou de mal évaluer, ou elle auto-
rise quand m ê m e des objectifs rationnels qui, 9 y regarder de près, ne corres-
pondent qu’imparfaitement aux finalités et, derechef, on évalue mal. Il semble
que, sans dénier aux docimologues le droit d’inventer des techmques rigoureuses
d’évaluation,on doive ici encore s’en remettre aux enseignants eux-mêmes. Si
ces derniers ont intériorisé les finalités, s’ils les vivent, les faisant passer de
manikre presque inconsciente dans leur pratique éducative, il y a de fortes
chances pour qu’ils sachent trouver, inventer eux-mêmes’ et sur-le-champ,les
critères,les signes qui diront si, dans telle ou telle activité éducative,les finalités
ont vraiment passé.
Les finalitéséducatives enfin doivent être explicitées.Elles doivent descendre
dans l’arène et se mêler aux combattants.Tous les gens de l’éCole - de toutes les
écoles, d‘humanité ou de techcité - doivent connaitre ces finahtés. Mais aussi
les spectateurs du combat, les gens du forum:citoyens, employeurs, employés,
parents. Tous non seulement doivent savoir ces finalités, mais aussi les accepter,
les intérioriser, les aimer jusqu’h œuvrer pour leur actualisation et, le cas
échéant,se battre pour leur défense. Car ces finalités éducatives concernent tous
les hommes et tout l’homme.Nul ne saurait leur demeurer étranger.
234 Finalités de l‘éducation

LA RE-GfiNeRATION DES FINALITES fiDUCATIVES


L‘univers éducatif est passé, au cours des siècles,du stade microscopique au
macroscopique. L‘éducation remplit désormais la vie entière de l’homme.Elle a
aussi crû en complexité.Il en est résultéune prise de conscience dufait éducation
qui a elle-mCme suscité une réflexion sur les fins de cette éducation. Cette
réflexion,déductive chezles philosophes et inductive chez les pédagogues,a pris,
en raison de sa nécessité,une ampleur grandissante,jusqu’hsolliciter l’attention
d’organismesinternationauxcomme 1’Unesco:BIE.La présente étude atteste la
vitalité de cette réflexion. Les finahtés de l’éducation se trouvent aujourd’hui
quelque peu précisées et certains modes de leur enracinement suggérés.O n n’est
guère allé plus loin. Et d’adleurs, en avait-onles moyens? Au terme de cette
étude, deux tâches pourtant se présentent: évaluer l’effet des finahtés telles
qu’on a pu les définir et remettre sur le métier leur définition.Le rapport sur
l’étatactuel des finalités et théories de l’éducation dans les Etats arabes insiste,
avec raison, sur cette nécessité d’être informé sur la manière dont les finahtés
ont fonctionné:
En ce qui concerne l’évaluation et le follow-up,[les participants h la réunion du Caire
(1978)l tiennent [. .]h souligner [.. .]que l’évaluation doit être considérée comme un
.

processus permanent, car notre vie est en perpétuel changement, de m ê m e que nos exi-
gences et nos besoins. Aussi devons-nous réviser constamment nos objectifs, et corriger
nos orientations pédagogiques afin d’éviter qu’un fossé se creuse entre l’éducation et les
exigences de la vie.38
O n devra, dès lors, être en mesure de voir où les dysfonctionnements se
produisent:au niveau des moyens mis en œuvre ou au niveau des finahtés elles-
mêmes qui auraient pu être ni idoines, ni bien formulées. En effet, écrit
Bouhdiba:
[. . .]les finalités ne sont pas des données toutes faites et une fois pour toutes.Elles s’éla-
borent,se prouvent et s’éprouvent au sein de l’institutionéducative.39
Et Edgar Morin,A sa manière,d’insister:
Toute notion au départ élucidante devient abêtissante dks qu’elle se trouve dans une éco-
logie mentale et culturelle qui cesse de la nourrir en complexité.Les idées, les théories
n’existent pas en dehors de la vie mentale qui les anime. Elles ont besoin d’être sans cesse
régénérées,re-géndrte~.~~
On se trouve ici,en présence d’un phénomène d’auto-créationet,plus particuliè-
rement d’auto-créationd’un référentiel.Tout référentiel et toute finalité ont un
caractère de fixité auquel on tient.Ils stabilisent la pratique;ils rassurent.Ils ont
même quelque chose de sacré;on craint d’y toucher.Et cependant,il le faut.La
dignité de l’hommelibre le commande.
Sans doute la finahté ultime de l’éducation sera-t-elletoujours d’aider
l’homme A s’in-former,de l’accompagner dans la recherche de son humanité.
Mais cet homme, qui le connaît? Qui a pu prendre conscience de sa véritable
nature,de la dimension de ses pouvoirs,de l’ampleurde ses espérances et de la
plénitude de sa destinée? Qui? Une réflexion permanente sur l’hommes’impose
Génération et re-génération 235

donc afin que toute aide éducative ne puisse jamais, ne puisse plus jamais,
empecher l’homme de devenir pleinement lui-même,mais qu’au contraire elle
l’aide B trouver de mieux en mieux, en lui-même,son orient.
Ainsi faudra-t-iltoujours, et sans relâche, remodeler le portrait de l’homme.
Qui le fera? Sans doute des hommes et des femmes venus des quatre horizons et
que saura Convoquer un organisme international c o m m e l’Unesco dont c’est
d’ailleurs la vocation. L a présente publication l’atteste.
Mais qui convoquer? O n songe,un peu par tradition,par habitude,aux sages
parmi les sages: philosophes, représentants des grandes religions, anthropo-
logues, sociologues, économistes, hommes politiques, psychologues et péda-
gogues, etc. Leur assemblée pourtant devrait en tout cas compter en son sein
deux sortes d‘humains: des prêtres et des prophktes. Les prêtres, qui se recru-
teraient essentiellement parmi les sages, sont ceux qui, toujours, élaborent la
doctrine,font les lois et en règlent les applications.Ils sont ceux qui prononcent.
Les prophètes, en revanche,venus d’ailleurs, cassent la doctrine,transgressent les
lois,perturbent les applications.Ils sont ceux qui hurlent.
Or,dans l’état actuel du monde, il semble bien que l’assemblée commise au
soin de définir l’homme doive se composer surtout, et d’abord, de proph2tes.
Car l’homme auquel il faut songer, c’est l’homme A aider, B soutenir, à accom-
pagner: l’homme souffrant. Et l’homme souffre, dans le monde, atrocement.
L’affamé,l’assoiffé,l’emprisonné,le captif des camps, le torturé,l’ouvrier avili,
la femme dégradCe, le chômeur qui se déprime, le handicap6 qui gémit, le soli-
taire qui appelle, le désespCré qui se noie. H o m m e de douleur.11 attend qu’on lui
tende la main. Il attend qu’on fasse quelque chose pour que son monde à lui
change. Il attend qu’on lui donne le moyen de découvrir, en lui, les forces qui
lui appartiennent, qui feraient de lui un h o m m e fait, un h o m m e digne et
heureux, et qui - et c’est en cela que consiste son &énation - n’ont jamais pu
sourdre et le faire croître.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, l’homme de douleur ne se rencontre pas que
dans les s l u m des mégapoles, dans les déserts des tropiques, dans les geôles des
dictateurs, dans les usines des profiteurs; cet homme, à visage d’enfant, se
rencontre dans les écoles aussi. Et m 2 m e dans les écoles luxueuses des nations
riches. Partout où un enfant est bafoué, partout où un enfant a subi un échec et
se trouve en proie au découragement,partout où un enfant n’a pas r q u la ration
de tendresse B laquelle il a impérativement droit, il y a torture, dégradation,
avilissement.C‘est 18 que doivent intervenir les sages, les faiseurs du portrait de
l’homme.
Ainsi l’homme, dont on prétend faire la fin ultime de l’éducation,ne sera pas
l’homme glorieux et triomphant des idéalistes.C e sera,bien davantage, l’homme
peinant; l’homme qui, malgré tout, se redresse et tente de vivre avec, en lui, un
bonheur. La fin de l’éducation? Entretenir en l’homme, fût-ille plus misérable,
le courage de faire un pas, encore un pas; pour ne pas tomber,pour ne pas, dans
sa chute,entraîner le reste des hommes; pour que, en raison de ce pas courageu-
sement fait, l’humanité se sauve.
L a re-génération des finalités de l’éducation prend dès lors l’allure d’un
combat, d’une croisade. Et ce combat, en raison m ê m e de sa gravité et de son
236 Finalitès de 1'èducation

urgence, doit être mené non pas uniquement par les notables qui foulent la
moquette des clubs internationaux,mais par des êtres de plein air, hardis, coura-
geux, nourris d'espérance et de foi. Des êtres qui,éprouvant en leur chair que
l'enjeu de la lutte est la vie elle-même,celle de l'écosystbme,celle de l'homme
dans ce système, vont au combat avec, en eux déjja, une joie. Car la joie atteste
que la vie a passé; qu'on est dans le vrai. Telle est la joie de la Neuvième de
Beethoven. Cette joie qui, en fin de compte, pourrait bien être le critère ultime
de toute finahté éducative.La joie env&t qui réussit. Et quelle réussite ne sera
jamais plus totale que celle qui coïncide avec la promotion de l'homme?

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Génération et re-génération 231

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29. Skminaire sur les objectifs futurs de l'éducation dans les pays arabes, Le Caire,1978.
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Op. cit., p. 14.
33. Séminaire régional sur ((Finalitéset théories de l'éducationo, Santiago, 1979. Op. ciî.,
p. 8.
34. Réunion du Groupe de consultants sur (des finalités et les théories de l'éducationo
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d'éducation,IIe, Paris,1976.Op.cit., p. 8.
35. Ibid,p. 4.
36. Séminaire sur les objectifs futurs de l'éducation dans les pays arabes,Le Caire,1978.
Op. cit.,p. 13.
37. Voir Chapitre III, p. 116.
38. Séminaire sur les objectifs futurs de l'éducation dans les pays arabes, Le Caire,1978.
Op. cit.,p. 19-20.
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(ROEAO-79/RWG./REF. 1)
La crise de l’éducationqui a fait couler beaucoup
d’encredepuis le début des années 60peut être
considéréecomme A l’originedu besoin de changement
et d’innovationqui n’a cessé de se manifester et de
s’exprimerdepuis le début des années 70.Mais de quel
type d’innovation s’agit-il?Et en vue de quoi? En vue de
quel projet de société et pour former quel type
d’homme? C’est sur de telles interrogations que se fonde
cet ouvrage sur les finalitésde l’éducation.Les
problèmes qui y sont soulevéssont ii la fois anciens et
d’uneactualité éternelle puisqu’ilsportent sur ce qui
fonde le processus même par lequel l’hommeassureplus
que son développement,sa propre survie:l’éducation.
Dans la tourmente que connaît le monde des valeurs en
cette fin de siècle,tourmente qui explique dans une large
mesure l’incertitudede la jeunesse devant le présent et
son angoisse face A l’avenir,la réflexion sur les finahtés
de l’éducationA laquelle nous convie le BIE apparaît
plus qu’opportune.

ISBN 92-3-201970-1

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