Therenty Reclame Et Edition Dans La Presse ROM - 155 - 0091

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LA RÉCLAME DE LIBRAIRIE DANS LE JOURNAL QUOTIDIEN AU XIXE

SIÈCLE : AUTOPSIE D'UN OBJET TEXTUEL NON IDENTIFIÉ

Marie-Ève Thérenty

Armand Colin | « Romantisme »

2012/1 n°155 | pages 91 à 103


ISSN 0048-8593
ISBN 9782200927530
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-romantisme-2012-1-page-91.htm
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Marie-Ève THÉRENTY

La réclame de librairie dans le journal


quotidien au XIXe siècle : autopsie d’un objet
textuel non identifié

On voit sur les boulevards et dans les rues des files d’hommes en blouse portant des
bannières sur lesquelles on lit NANA par Émile Zola, dans le Voltaire ! Quelqu’un
me demanderait si je suis homme de lettres, je répondrais « Non Monsieur, je
vends des cannes à pêche » tant je trouve cette folle réclame humiliante pour tous.
MAUPASSANT à FLAUBERT, 17 octobre 1879
La critique a laissé place à la réclame.
Anatole CLAVEAU, 1907

La réclame ! Le XIXe siècle bruit de diatribes contre elle. Et pourtant, comme


le constate Émile Faguet en 1900, « la physiologie de la réclame est encore tout
empirique. La réclamologie n’est pas encore constituée en France1 ». Aujourd’hui,
à l’instar de Maupassant dans la citation en épigraphe, nous assimilons souvent la
réclame au phénomène plus général de la publicité alors que la réclame désigne
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pendant la majeure partie du XIXe siècle un phénomène journalistique tout à fait
précis : l’insertion par un « annonceur » (un entrepreneur, un commerçant, un
éditeur...) d’un petit texte rédactionnel dans la presse contre rétribution. Or cette
pratique, pour le livre notamment, s’avère source de méprises car la réclame de
journal est souvent confondue par les lecteurs avec la critique. Il s’agira ici de
proposer des critères d’identification de la réclame de librairie et d’expliquer, en
étudiant l’histoire de ce petit genre, pourquoi les facteurs de reconnaissance ont été
de moins en moins marqués au fil du siècle. Une des raisons peu connues du succès
de cette microforme est le fort investissement souterrain des écrivains eux-mêmes
dans l’atelier de la réclame. La réclame de librairie, contrairement aux idées reçues,
relève autant de l’exercice auctorial qu’éditorial. Non seulement les jeunes auteurs
commencent souvent leur carrière comme agents de publicité mais plus généralement
les écrivains rédigent eux-mêmes la réclame pour leurs œuvres. L’étude de la réclame
fait donc émerger tout un corpus, jusqu’ici invisible, d’autocommentaire des œuvres,
exercice fortement contraint par sa spécificité commerciale. Les réclames, lues avec
les précautions qu’impose la connaissance de leur système de production, peuvent
donc s’avérer une nouvelle source intéressante pour l’historien de la littérature.

1. Émile FAGUET, « Réclame livresque », Le Gaulois, 28 août 1900.

rticle on line Romantisme, n° 155 (2012-1)


92 Marie-Ève Thérenty

POÉTIQUE DE LA RÉCLAME
La réclame s’invente en même temps que l’annonce vers 1825 comme l’a montré
Marc Martin2 . Même si le procédé fait rapidement l’objet de nombreuses critiques,
la réclame se définit clairement comme « un petit article de journal, payé par celui
qui le fait insérer, en dehors de la place assignée aux annonces, et qui contient l’éloge
d’un objet mis dans le commerce » (Grand Larousse du XIXe siècle).
Du côté de l’édition, les livres qui engendrent le plus d’annonces et de réclames
sont les romans, les livres illustrés, les ouvrages par souscription, les œuvres complètes,
les ouvrages didactiques ou semi-didactiques, les recueils amusants comme les
salons caricaturaux ou les almanachs comiques, les livres pratiques3 . La réclame est
généralement insérée dans plusieurs quotidiens à la fois. Sa récurrence constitue donc
un indice qui, empiriquement, permet de la distinguer d’autres formes rédactionnelles
comme la critique.
Peut-on reconnaître en soi la réclame ? Elle se distingue par un ensemble de règles
contraignantes dont la conjonction aboutit sinon à « dénoncer » certains énoncés, du
moins à les faire fortement « soupçonner ». D’abord la réclame appartient à l’ensemble
de ces microformes journalistiques4 qui constituent la majeure partie du journal.
Hippolyte de Villemessant les appelait non sans humour « les capucines autour de la
salade5 ». Comme les autres microformes, la réclame est brève, répétitive et anonyme6 .
Elle a cependant quelques traits propres : elle vit sous le régime de l’hyperbole et se
caractérise par une gradation de superlatifs et d’adjectifs emphatiques frôlant parfois
l’adynaton.
La librairie Curmer annonce une magnifique publication : L’Irlande au XIXe siècle
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excitera l’attention des amis d’une nationalité qui lutte avec courage et énergie pour
son indépendance. Les gravures qui accompagnent le texte sont d’une merveilleuse
beauté : elles surpassent à un haut degré tout ce qui avait été fait en ce genre, et
les sujets sont aussi intéressants que remarquables. Les monuments gothiques, les
magnifiques prairies, les immenses falaises, les chaussées basaltiques se trouvent
représentées dans ces belles planches avec un soin et un perfectionnement inouï7 .
Le plus souvent, la réclame de librairie met en avant autant la fonction éditoriale
que la responsabilité auctoriale. L’œuvre y est présente comme objet plus que comme
entité immatérielle, soit que ses particularités physiques (illustration, taille, typogra-
phie) soient décrites, soit que son mode de production (livraisons, souscriptions)
soit détaillé , soit encore que sa future place dans la bibliothèque de son nouveau

2. Marc M ARTIN, Trois siècles de publicité dans la presse, Paris, Odile Jacob, 1992.
3. Élisabeth PARINET, La Librairie Flammarion 1875-1914, Paris, Imec Éditions, 1992.
4. Guillaume P INSON et Marie-Ève T HÉRENTY, dir., Microrécits médiatiques. Les formes brèves du
journal entre médiations et fiction, Études françaises, Montréal, Les Presses de l’université de Montréal,
2008, vol. 44.
5. Hippolyte DE V ILLEMESSANT, Mémoires d’un journaliste, À travers le Figaro, Paris, Dentu, 1873,
p. 41.
6. Microrécits médiatiques, ouvr. cité, p. 8.
7. Le Siècle, 15 février 1843.

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La réclame de librairie dans le journal quotidien au XIXe siècle 93

propriétaire soit déjà indiquée : « Cette nouvelle suite à une grande publication
paraît destinée à aller se placer dans toutes les bibliothèques où se trouvent déjà les
quatre premiers volumes de cet ouvrage national8 . » Le livre, dans la réclame, est
d’ailleurs rarement orphelin ou singleton : il s’insère dans une œuvre, une suite ou
une collection. La réclame a à cœur de souligner la continuité d’une production édi-
toriale pour enjoindre au consommateur de combler ses lacunes. La réclame invente
donc facilement des étiquettes collectives et se révèle fortement consommatrice de
concepts génériques ou surtitres comme l’expression « romans des familles » qui sert
à caractériser quatre romans de Souvestre en 1854. Cet investissement paratextuel
renvoie à une poétique romanesque mais constitue aussi un artifice publicitaire pour
faire naître chez le lecteur le besoin de compléter sa série.
Mais la principale caractéristique de la réclame livresque est qu’elle définit
quasiment tout ouvrage comme somme de qualités contradictoires. Chaque œuvre se
présente comme une concaténation de propriétés difficilement compatibles et ceci
pour attirer et séduire le maximum de public. La réclame dessine des bibliothèques
de livres idéaux, à la fois amusants et sérieux, érudits et faciles, destinés à l’enfant et à
l’adulte...
Paris le matin et Paris le soir. Ceci est l’album des contrastes : de l’obscurité à la
splendeur, de la pauvreté à la richesse, de la mansarde au salon, du trottoir au
boudoir, on est sans cesse promené de quartiers en quartiers, de professions en
professions, de métaphores en métaphores. Vous savez comment on va au bal
et comment on en revient, comment on s’habille le soir et comment on cire ses
bottes le matin. La vie parisienne n’a plus de secrets pour vous, la physiologie
universelle de la capitale a été résumée dans cet album de Gavarni9 .
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La Loire historique est une de ces publications qui éveillent l’intérêt du savant, du
littérateur, de l’artiste, soit à cause des magnifiques contrées dont elle parle, soit
à cause de la variété des matières, soit en raison de la richesse des gravures, de la
beauté de l’édition, de tout ce qui forme un livre de bibliothèque10 .
Un des topoï de la réclame consiste en la convocation du couple éduquer/amuser,
avec toutes les isotopies associées. La collocation de ces deux champs sémantiques
dans une microforme suffit à poser une forte présomption de réclame. Mais la réclame
peut se dénoncer autrement car lexicalement coquette, elle fourmille de ces « mots à
la mode » dont se moquait Balzac. Dans les années 1840 par exemple, l’opposition
piquant/utile apparaît dans beaucoup de réclames.
Au fur et à mesure de l’industrialisation et de la spécialisation du secteur éditorial,
la réclame, sans revenir fondamentalement sur son mode de fonctionnement, paraît
plus nettement obéir à des chartes éditoriales spécifiques et comprend des « éléments
de langage » récurrents qui révèlent la mise en place chez les éditeurs de chartes
publicitaires. Ainsi une réclame Hachette cherche très souvent à motiver l’achat par
8. Le Siècle, 30 janvier 1843.
9. La Presse, 4 janvier 1843.
10. La Presse, 13 février 1843.

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une double argumentation référant d’une part à la morale, d’autre part à l’effet-
collection : « La librairie Hachette annonce aujourd’hui sa riche collection de livres
d’étrennes. [...] On le voit entre les grandes publications de L’Enfer, de Don Quichotte,
et les petits volumes de la bibliothèque rose, il y a dans cette collection tout un monde
de publications de tous prix et de tous genres, présentant le choix le plus vaste aux
personnes qui veulent offrir des étrennes instructives, restant entre les mains et dans
la mémoire des enfants11 . » La mention et la définition du récipiendaire sont aussi
importantes dans un énoncé dont l’effet est pensé comme injonctif.
Pour résumer, la réclame fait souvent mention de trois actants (l’auteur, l’éditeur,
l’acheteur et/ou lecteur) ; elle s’organise autour du livre qu’elle réifie comme bien
matériel et comme objet à insérer dans une série ; elle développe souvent un discours
hyperbolique et contradictoire tentant de faire feu de tout bois. Ces caractéristiques
doivent permettre au chercheur de reconsidérer certains textes jusqu’à présent définis
comme des articles :
Les éditeurs E. Rouveyre et G. Blond viennent de publier le nouveau livre de
J. Barbey d’Aurevilly : Les ridicules du temps. C’est un livre tout à la fois de
moraliste et d’historien sur la société et surtout sur la littérature de ce siècle.
On reconnaît également dans ce livre, le mouvement, la couleur, la vie du style
du romancier qui a écrit La Vieille Maîtresse et L’Ensorcelée et aussi l’aperçu et
l’étendue d’observation de l’auteur de cette épopée critique qu’on appelle Les
œuvres et les hommes. Ces qualités souvent séparées de critique et d’imagination,
réunies en Barbey d’Aurevilly font de cet écrivain une individualité originale et
puissante et aucun de ces livres ne l’atteste mieux que celui-ci. On y trouve un tel
relief et un tel acharnement de verve impétueuse et mordante qu’on pourrait très
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bien appeler ce livre La Comédie diabolique des ridicules du temps par l’auteur des
Diaboliques. Il justifierait ce nom. (Paris-Midi Paris-Minuit, 6 mars 1883)12
Parce que Mirbeau admirait profondément Barbey d’Aurevilly et que l’auteur de
Sébastien Roch est le seul rédacteur de Paris-Midi, les éditeurs de Mirbeau ont joint
cet articulet aux articles de combat de Mirbeau. Or la mention princeps de l’éditeur,
l’emploi de l’hyperbole, la présence d’une poétique contrastée et même contradictoire
et la constitution d’une série auctoriale suffisent à faire planer une forte présomption
de réclame. En cas d’hésitation, une possibilité consiste à vérifier les colonnes des
autres journaux de l’époque : on retrouve le même énoncé, un peu écourté, dans Le
Gaulois du 7 mars 1883 et tout à fait raccourci (deux lignes) dans le Journal des débats
du 7 mars, ce qui confirme le réclamisme13 .

11. Le Petit Journal, 24 décembre 1865.


12. Recueilli dans Pierre M ICHEL et Jean-François N IVET dir., Octave Mirbeau, Combats littéraires,
Paris, Séguier, 2006, p. 65.
13. Cependant, et c’est là que l’analyse de la réclame s’avère passionnante, le fait que le texte du
Gaulois soit plus court que celui de Paris-Midi Paris-Minuit permet deux hypothèses : soit le rédacteur en
chef du Gaulois a tronqué, à l’instar de celui du Journal des débats, la réclame qu’il jugeait trop longue,
soit la rédaction de Paris-midi Paris-Minuit, dans un rite d’appropriation qui permet de justifier le passage
de la réclame dans un espace critique, a rallongé le texte initial. Pour aller vite et selon les perspectives
développées plus loin, il n’est pas impossible que cette réclame commerciale soit une œuvre collective,

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La réclame de librairie dans le journal quotidien au XIXe siècle 95

HISTOIRE DE LA RÉCLAME
Le problème est que la réclame ne s’insère pas dans une rubrique spécifique et
titrée qui permettrait de l’identifier, même si elle est censée se situer plutôt en fin de
journal, à la page 3 ou 4 juste avant les annonces avec qui elle fonctionne souvent en
binôme – la coprésence de l’annonce et du développement rédactionnel constituant
très tôt une manière empirique d’identifier la réclame.
Aujourd’hui, la réclame est le corollaire indispensable de l’annonce. L’une ne va
pas sans l’autre. Vous trouvez à la quatrième page :
« En vente – Gratter la terre avec ses ongles par Alphonse Brot ».
Et dans le corps du journal : « Gratter la terre avec ses ongles, cet ouvrage si
impatiemment attendu, vient enfin de paraître. Jamais l’auteur de Ainsi soit-il,
Entre onze heures et minuit, Boire un verre d’eau sans reprendre haleine ne s’était
élevé aussi haut. Il arrachera encore cette fois des larmes aux âmes sensibles et
jettera ses lectrices dans les plus ravissantes émotions14 . »
Très tôt, la réclame se loge dans d’autres espaces du journal, remontant les
colonnes du quotidien jusqu’à s’incruster par exemple dans des rubriques de faits
divers. Aucun indice paratextuel ne permet alors de distinguer la réclame, énoncé
allogène, des autres textes du journal rédigés par la rédaction. Des commentateurs,
comme Félix Verneuil, ont tôt fait de souligner cette incongruité du journal qui vend
une partie de ses colonnes à un annonceur : « Sa fille, Réclame, plus adroite, plus
rusée, mais plus hypocrite, cachant tous ses vices sous le manteau de la vertu, fera
plus de mal encore, et surtout plus de dupes. Son beau langage, sa figure de sainte,
ses protestations de loyauté, son air décent séduiront ceux que la voix rude et le style
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bouffi de l’annonce avaient mis en garde15 . » En 1845, le publicitaire Édouard Lebey,
en collaboration avec Émile de Girardin, fonde la société générale des annonces et
en appelle à une rationalisation et à une transparence des pratiques concernant « la
réclame » et le « fait-Paris payé ».
Ce sont là deux sortes d’annonces déguisées qu’il importe maintenant de mettre
à l’index. Elles ont pour objet de tromper le lecteur, en lui présentant comme
émanant du journal, les éloges burlesques que certains industriels ont la manie de
se décerner eux-mêmes.
C’est là un subterfuge condamnable et qui déconsidère l’annonce16 .
En fait, la pratique du rédactionnel rémunéré s’est profondément instituée comme
le montre la publication des tarifs publicitaires. Si, en 1846, Le Siècle se contente
sobrement de distinguer entre l’annonce-affiche (1 franc 25 la ligne) et la réclame

voire un texte de Barbey complété par Mirbeau. Je mets ces remarques en note car nous sommes dans la
critique-fiction.
14. « Les réclames », Le Figaro, 29 décembre 1837.
15. Félix V ERNEUIL, Histoire impartiale de l’annonce et la réclame, 1838, cité par Laurent M ARTIN
« Mauvaise publicité. Sens et contresens d’une censure » dans Le Temps des médias, Paris, Nouveau Monde
Éditions, 2004/1, n° 2, p. 155.
16. Édouard L EBEY, Manuel de l’annonce ou Instructions élémentaires sur son usage, Paris, Maison
dorée, s.d., p. 26.

Romantisme, n° 155
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(4 francs la ligne), la Gazette de France déjà distingue trois tarifs : l’annonce (50
centimes la ligne), la réclame (2 francs la ligne) et les faits divers (trois francs la ligne).
La différence de rémunération atteste d’une efficacité éprouvée de la réclame déguisée.
Le Tintamarre qui s’est fait une spécialité de critiquer les abus de la publicité dénonce
avec régularité les quotidiens qui afferment leurs colonnes intérieures au commerce.
Ainsi le 10 janvier 1869, il épingle Le Figaro dont la rubrique de faits divers du
précédent numéro contient dix réclames : « Dans tous les journaux possibles, [...] faits
divers veut dire : accidents, vols, incendies, inventions, etc., etc. Au Figaro, les faits
divers de la journée ne sont qu’une rallonge aux annonces17 . » Le Guide Mermet en
1880, guide professionnel de publicité, confirme que plus la réclame est dissimulée
derrière le fait divers, plus elle est efficace.
La publicité se présente sous trois formes :
– l’annonce anglaise ou annonce-affiche à la quatrième page du journal. Bien
employée et bien comprise c’est celle qui doit attirer le plus les regards et produire
le plus d’effets.
– La réclame à la troisième page qui porte mieux peut-être parce que le lecteur la
trouve plus facilement, qu’elle est à sa portée et qu’en conséquence il la lit plus
volontiers.
– Enfin, le fait divers dans le corps du journal, qui, lorsqu’il est écrit par un
rédacteur habile, comme il s’en trouve beaucoup de nos jours, porte avec le plus
de certitude18 .
La réclame pour le livre présente cependant quelques spécificités. Sous la monarchie
de Juillet, les observateurs les plus critiques du journal notaient qu’une discordance
était possible et même courante entre la voix flûtée de la réclame et les coups de
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trompe du feuilleton critique. Cette différence manifestait l’indépendance maintenue
de la critique.
Une des plus grandes infirmités de la réclame est de se voir presque toujours
démentie par le feuilleton.
Dans un même numéro de journal, vous êtes exposé à lire :
Réclame. Il y a bien longtemps qu’une œuvre aussi capitale n’avait été signalée
dans les fastes de la littérature. Le nouveau roman : Tirez le cordon s’il vous plaît,
dont la scène se passe dans le Moyen Âge, est appelé à un succès étourdissant. Le
nom de M. Vaquier, qui en est l’auteur contribue à cette vogue que vingt éditions
ne sauraient épuiser.
Feuilleton. Tirez le cordon, s’il vous plaît est un ouvrage écrit en style de portier,
en admettant que les portiers aient un style. Rien de plus niais, de plus plat, de
plus nul que cet ouvrage, qui probablement, ne trouvera que des lecteurs forcés,
hélas ! comme nous, pauvres feuilletonistes. Nous recommandons à chacun de
laisser ce livre à la porte et d’ordonner à son concierge de ne pas se laisser séduire
par un titre si trivial, mais si perfide19 .
17. Le Tintamarre, 10 janvier 1869.
18. Émile M ERMET, La Publicité en France, guide manuel, Paris, A. Chaix et Compagnie, 1880, 3e
éd., p. 712.
19. « Les réclames », Le Figaro, 26 janvier 1838.

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Au fil du siècle, cette discordance est moins souvent présente d’autant que s’opère
une coïncidence matérielle de plus en plus grande entre la réclame et la critique.
Sous le Second Empire, au moment où l’édition entrée dans sa phase industrielle
s’organise, les journalistes et les directeurs de journaux se voient soumis à des pressions
contradictoires. La réclame, ce fait est confirmé par plusieurs sources, se négocie
souvent facilement et de manière très favorable à l’éditeur directement avec la partie
rédactionnelle du journal. Lors de la sortie des Contemplations en livraisons, l’éditeur
Pierre-Jules Hetzel écrit à Victor Hugo le 18 mars 1857 :
Je n’ai point jugé à propos de faire d’annonces pour cette édition, je trouve – et je
suis en cela de l’avis de tous mes confrères en librairie de Paris – que l’annonce des
quatrièmes pages ne rapporte pas ce qu’elle coûte, aujourd’hui que cette quatrième
page est envahie par des annonces de toutes les grosses industries qui peuvent s’en
donner à cœur joie là où nous ne pouvons agir que comme des pleutres.
Le fait-Paris, la réclame au besoin ont dix fois plus d’effet et coûtent d’autant
moins cher que, grâce à mes relations et mes amis, elles ne nous coûtent guère que
des exemplaires20 .
Plusieurs facteurs entrent en jeu pour expliquer cette évolution. Les grandes
maisons d’édition organisent de véritables services de presse à la tête desquels elles
placent parfois des jeunes écrivains. Si on connaît le passage d’Émile Zola chez
Hachette, on sait moins qu’Alphonse Lemerre employa Anatole France comme
factotum éditorial et notamment comme rédacteur de revue bibliographique21 . Les
journalistes, souvent à la recherche d’éditeurs, sont pris, quant à eux, dans des conflits
d’intérêts.
L’examen des négociations de Zola, employé par Hachette à partir de 1862, avec
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ses interlocuteurs journalistes montre bien que ce nouvel homme qu’est l’attaché de
presse ou plutôt l’agent de publicité prend le pouvoir. Le 31 octobre 1863, Émile
Zola est encore plein de scrupules à envoyer à Géry-Legrand, directeur du Journal
populaire de Lille, des réclames rédigées initialement pour le Bulletin du libraire de
Hachette et à les faire figurer comme des articles signés dans les colonnes du journal :
« Vous me demandez s’il me serait possible de vous adresser chaque mois une note
très courte sur chacun des livres dignes d’être remarqués publiés par la librairie
Hachette. Cela me sera d’autant plus facile que je rédige pour cette librairie une sorte
de bulletin bibliographique inséré dans le Bulletin du libraire et de l’amateur de livres,
petit journal mensuel publié par la maison. Le malheur est qu’à vraiment parler, ce
sont là plutôt des réclames que des articles et que je ne voudrais ni signer ni faire
signer par personne ces lignes écrites sans conscience et sans critique22 . » En 1864, le
ton a changé. Zola négocie systématiquement l’insertion de réclames contre l’envoi
de livres par la maison Hachette :

20. Pierre-Jules H ETZEL à Victor H UGO, 17 mars 1857 dans l’édition établie par Sheila G AUDON,
Correspondance Hugo/Hetzel, Paris, Klincksieck, 2004, t. II, p. 374.
21. Cette collaboration se termina par un procès.
22. Lettre du 31 octobre 1863. Correspondance de Z OLA, éditée sous la direction de B. H BAKKER,
Montréal, Presses de l’université de Montréal, CNRS, 1978, p. 334.

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L’affaire de librairie que j’ai à vous proposer au nom de MM. Hachette et Cie
est celle-ci. Je vous enverrai donc sinon toutes, du moins une grande partie des
nouvelles publications de la maison. En échange vous m’inséreriez dans le journal
populaire des réclames de vingt à trente lignes concernant les ouvrages envoyés. Je
vous enverrai ces réclames toutes faites23 .
Et Zola tient avec une certaine brutalité la comptabilité des réclames, n’hésitant
pas à en réclamer l’insertion rapide en cas de retard24 . Dans certains journaux, comme
dans Le Temps25 ou le Journal des débats, ces notes paraissent dans une colonne
de faits-paris signés26 . Ces textes écrits par Émile Zola, comme en témoigne leur
insertion dans le Bulletin du libraire qu’il était chargé de rédiger, sont donc intégrés
dans les colonnes internes des journaux sous couvert de la signature de rédacteurs
patentés ! Cette soumission des directeurs et rédacteurs de journaux au service de
la publicité d’Hachette s’explique par plusieurs facteurs : la qualité de conviction
personnelle d’Émile Zola sensible à travers sa correspondance, l’indemnisation par
des livres parfois coûteux, l’insertion complémentaire d’annonces payantes dans la
quatrième page (systématique pour des journaux parisiens comme Le Petit Journal
ou Le Figaro27 ), voire la volonté des journalistes et des directeurs de journaux d’être
accueillis dans une grande maison d’édition. Gery-Legrand, le correspondant zélé de
Zola au Journal populaire de Lille, s’enquiert justement en mars 1864 de la possibilité
de faire publier un recueil de nouvelles par... Hachette. Rien d’étonnant à ce que
Barbey d’Aurevilly, plume perfide s’il en est, attribue La Confession de Claude, roman
d’Émile Zola paru chez Lacroix en 1865, à la maison Hachette : « J’ai confondu
(horresco referens) la maison Hachette avec son employé !...». Zola, homme-lige
d’Hachette, se construit grâce à cette maison d’édition un carnet d’adresses bien
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rempli, une connaissance sans pareille de la littérature contemporaine mais aussi une
réputation ambiguë. La reconversion de Zola en critique est donc accompagnée de
certaines demandes de garantie de ses employeurs. Max Grassis, directeur du Salut
de Lyon, écrit à Zola dans la lettre du 14 janvier 1865 qui l’engage comme rédacteur
de revues bibliographiques : « Il va sans dire, que ces revues ne constitueraient dans
aucun cas ce qu’on nomme une réclame [...]. Elles ne feraient point également double
emploi avec les notices que vous m’adressez au nom de la maison Hachette et ces
notices continueraient à m’être envoyées avec les ouvrages qui en font l’objet28 . »
Précautions fort utiles car dans les années soixante, la confusion règne de plus
en plus. Les réclames sont maintenant insérées dans des rubriques signées par des
responsables bibliographiques. Hector Pessard, chroniqueur littéraire au Temps,
avoue avoir souvent inséré dans ses articles, vers 1865, des réclames pour l’éditeur des

23. 3 février 1864, ouvr. cité, p. 349.


24. Voir la lettre à G ÉRY-L EGRAND, 8 mars 1864, ouvr. cité, p. 353 ou lalettre à G ÉRY-L EGRAND,
12 avril 1864, ouvr. cité, p. 257.
25. Voir la réclame Sur les vacances de la comtesse d’Edmond About dans Le Temps du 16 septembre
1865 reprise du Bulletin du libraire ou celle sur Figuier dans le Journal des débats du 23 décembre 1865.
26. P. DAVID (Le Temps) et A. L E F RANÇOIS (le Journal des débats).
27. Voir par exemple Le Petit Journal, 24 décembre 1865 et Le Figaro, 11 février 1864.
28. Voir Correspondance, ouvr. cité, p. 404.

2012-1
La réclame de librairie dans le journal quotidien au XIXe siècle 99

Misérables, Albert Lacroix29 . Henri Vathelet30 , auteur d’un ouvrage sur la publicité,
identifie justement à partir de 1865, de nouvelles catégories de réclames, arrivant
encore plus haut dans l’espace du journal : l’entrefilet et l’écho, au prix fort élevé et
qui trônent dès la première page31 . À la fin du siècle, le journal est complètement
gangrené par la réclame comme le prouvent les témoignages des contemporains. La
réclame est maintenant capable d’affermer un journal entier. Une lettre de 1892
adressée par Zola à Charpentier atteste d’une proposition d’un rédacteur du Matin
prêt à vendre un supplément intégral du quotidien à la promotion de La Débâcle
avec publication d’interviews de généraux, de gens célèbres, etc.
Les auteurs eux-mêmes sont en pleine confusion. Octave Mirbeau, en 1888, écrit
à Francis Magnard, rédacteur en chef du Figaro, pour lui reprocher d’avoir inséré
une petite note anonyme bibliographique qu’il avait rédigée et publiée cinq ans plus
tôt dans Les Grimaces en faveur d’un livre de Mme Georges de Peyrebrune. Il lui
reproche d’ailleurs non pas tant la publication que de lui avoir rendu la responsabilité
de cette note en rétablissant sa signature. L’argument fort curieux fait planer une
forte suspicion sur la première insertion : « Présentée comme elle l’est, j’ai l’air d’avoir
fait pour Madame de Peyrebrune ou pour son éditeur une réclame de librairie, payée,
ce qui me désoblige infiniment32 . » L’écrivaine Mathilde Alanic, désorientée, écrit,
quant à elle, à Flammarion : « j’ai vu avec le plus grand plaisir l’excellente réclame
du Petit Journal. J’ai reçu aussi une notice du Matin. Est-elle du même genre que les
précédentes ou dois-je remercier le signataire de l’article33 ? »
À la fin du siècle, les manuels pour gens des lettres dévoilent l’invention du prière
d’insérer systématique34 rédigé par l’auteur. Plusieurs observateurs notent que cette
réclame encourage à la fois la paresse et la corruption de la critique. Ainsi Henri
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Baillière, auteur d’un ouvrage sur la crise du livre écrit en 1901 : « La critique a été
par le fait réduite, avilie puis supprimée. Il n’y a plus place dans les journaux que
pour l’article payé35 . » Symptomatiquement, lorsqu’est fondée l’association syndicale
professionnelle des critiques littéraires et bibliographes en 1902, sa première assemblée
générale exclut d’emblée les rédacteurs de publicité commerciale ; une clause prévoit
en outre l’ostracisme inconditionnel et immédiat des auteurs de faits graves intéressant
la dignité professionnelle et notamment la transgression des règles interdisant toute
contribution à une entreprise de « réclame36 ».

29. Rétrospectivement, Pessard qualifie même ses propres articles de « poubelle littéraire ». Hector
P ESSARD, Mes petits papiers, Paris, C. Lévy, 1887-1888, p. 97.
30. Henri VATHELET, La publicité dans le journalisme, Paris, Albin Michel, 1911.
31. Voir par exemple l’entrefilet pour les Contes de la Bécasse de M AUPASSANT en page 1 du Gaulois
le 9 juin 1883.
32. Lettre de M IRBEAU à Francis M AGNARD, 13 juillet 1888, dans Octave M IRBEAU,
Correspondance générale, Paris, L’Âge d’homme, t. I, 2002, p. 830.
33. Élisabeth PARINET, ouvr. cité, p. 137.
34. Tanneguy DE W OGAN, Manuel des gens de lettres : le journal, le livre, le théâtre, Paris, Firmin-
Didot, 1899, p. 218.
35. Henri BAILLIÈRE, La Crise du livre, Paris, Baillière et fils, 1904.
36. Voir Marie C ARBONNEL, « Profession : critique ? Les défis de l’association syndicale profession-
nelle de la critique littéraire de la Belle Époque à la fin des années trente », Le Mouvement social, n° 214,
janvier-mars 2006.

Romantisme, n° 155
100 Marie-Ève Thérenty

LES ÉCRIVAINS ET LA RÉCLAME


À reconstituer cette histoire de l’avancée progressive de la réclame dans le journal
et l’affaiblissement subséquent de la critique, le chercheur pourrait avoir la tentation
d’écarter la réclame de son champ d’étude. Pourtant la réclame est un lieu où se
rejoue en miniature et par mise en abyme le même paradoxe que pour la presse :
vilipendée par les écrivains en public, elle est, dans le secret des écritoires, revendiquée
et fabriquée par eux.
D’abord les écrivains, dans les coulisses de la transaction autour du contrat d’auteur,
font très tôt entrer la réclame dans la négociation. Les militants de l’autonomie de la
littérature ne sont pas forcément les derniers à se préoccuper de leur publicité. Ainsi
Charles Baudelaire se dit prêt, en cas de défaillance de son éditeur, à payer la réclame
et les annonces de sa poche : « Je continue à douter que nous puissions faire deux
volumes en six semaines. Il faudra que nous pensions surtout pour les Fleurs à des
affiches, des annonces et des réclames. Si vous me trouvez exigeant, et si vous avez peur
de M. De Broise, j’y mettrai de mon argent. La nature tout à fait impopulaire de mon
talent me défend de négliger les moyens grossiers. (citations quelques jours avant la
mise en vente, affiches, annonces et réclames pendant la vente)37 . » D’autres auteurs,
mieux intégrés dans le système journalistique comme Maupassant, proposent de se
charger eux-mêmes de l’insertion de la réclame : « Je me charge de faire cette fois
assez de réclame autour de mon volume pour vendre rapidement une édition. Je suis
sûr dès à présent de la plupart des journaux, et j’ai d’autres procédés encore. [...] Je
ne vous demande aucune réclame ; je vous prie seulement d’être prêt bien vite, et
vous verrez comme je me tire de la réclame38 . » Un comble : Émile Zola considère
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même pour les Contes à Ninon qu’il va à coups de réclames « rembourser » les frais
d’impression de l’ouvrage : « Comme équivalent de vos frais de première édition, je
m’engage, aux termes de ma lettre de proposition, à faire pour mon volume, dans
tous les journaux des annonces ou réclames, pour une valeur au moins égale aux frais
d’impression de l’ouvrage, sans que M. Hetzel ou vous, vous ayez à supporter aucune
dépense de ce chef39 . »
Les correspondances révèlent parfois des doubles discours auxquels l’historien
de la presse est habitué. Octave Mirbeau rédige plusieurs articles par exemple dans
Le Gaulois du 8 septembre et du 8 décembre 188440 où il assimile et condamne du
même geste le journalisme et la réclame. Or la correspondance privée le montre, par
ailleurs, offrant ses services à Charpentier début 1876 pour intégrer des réclames pour
Manette Salomon et Renée Mauperin des Goncourt : « je mets les colonnes du journal
à votre disposition pour toutes réclames qu’il vous plaira41 . » Fin 1889, en réponse à

37. À Auguste P OULET-M ALASSIS, 13 mars 1860, Correspondance de Charles BAUDELAIRE, Paris,
Gallimard, 1973, t. II, p. 9.
38. Lettre de M AUPASSANT à C HARPENTIER, mars 1880, Évreux, Le Cercle du bibliophile, 1973.
39. À Albert L ACROIX, 2 juillet 1864, Correspondance, ouvr. cité, p. 365.
40. « Le journalisme », Le Gaulois, 8 septembre 1884 et « Réclame », Le Gaulois, 8 décembre 1884.
41. Signalée par Virginie M EYER, « Les lettres d’Octave et Alice Mirbeau à Georges Charpentier :
deux auteurs, un éditeur, une amitié », www.scribd.com/doc/13891116

2012-1
La réclame de librairie dans le journal quotidien au XIXe siècle 101

Catulle Mendès qui lui avait demandé de rédiger une réclame pour Sébastien Roch,
Mirbeau décline poliment en deux lignes l’invitation – « Je suis fort embarrassé et
vous me demandez là une chose que je n’ai jamais su faire : parler de moi. Et je
compte même sur vous pour cette petite réclame obligatoire, que je vous prierai de
faire le plus simplement possible42 » – avant de se lancer dans le paragraphe suivant
dans la rédaction canonique d’une réclame parfaitement hyperbolique. Cette réclame
sera d’ailleurs insérée43 . Ces exemples et ces tractations manifestent que quasiment
tous les écrivains – les mêmes contradictions existent chez Maupassant, Balzac, Zola,
Baudelaire – sont investis dans la machinerie de la réclame. Les transactions se font
d’ailleurs sur des bases et des fondements très variables. L’éditeur, l’auteur, le critique
et le directeur de journal – mais ses positions sont rarement distinctes – sont impliqués
dans des tractations qui impliquent autour de la réclame de l’argent auctorial, de
l’argent éditorial, des livres, de l’influence, des places, du pouvoir critique et même
parfois des textes.
Contrairement donc aux idées reçues, une grande part de la réclame est auctoriale,
non seulement parce que l’écrivain soutient le système mais surtout parce qu’il est très
souvent le propre rédacteur de la réclame, « le metteur en œuvre des Barnum du jour »,
comme en témoignent les correspondances et ceci très tôt dans le siècle. Dès 1833,
une correspondance entre Charles Gosselin et Balzac aboutit ainsi à l’écriture d’un
texte rédactionnel pour Louis Lambert 44 . Charles Baudelaire propose une réclame à
Michel Lévy en novembre 1863 pour Euréka de Poe, réclame que l’on retrouve dans
Le Temps du 12 décembre 1863. De même, Guy de Maupassant envoie ce texte à
Rouveyre en juin 1883 :
Les éditeurs Éd. Rouveyre et G. Blond viennent de mettre en vente un nouveau
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volume de Guy de Maupassant : Les Contes de la Bécasse. Ce qui distingue
particulièrement ce dernier ouvrage de l’auteur de La Maison Tellier et d’Une Vie,
c’est la gaîté, l’ironie amusante. Le premier récit du livre, Ce Cochon de Morin,
ne peut manquer de prendre place à côté de Boule de Suif. Et les nouvelles qui
suivent donnent toutes des échantillons très divers de la bonne humeur railleuse
de l’écrivain. Deux ou trois seulement apportent une note dramatique dans
l’ensemble.
Il est publié avec quelques modifications dans le Journal des débats du 8 juin et
dans Le Figaro du 13 juin. Car le journaliste qui insère a souvent tendance à apporter
des modifications légères à la réclame, un simple nettoyage textuel (déplacement de
virgules, suppression de phrases, inversion de termes...), sans doute l’équivalent d’un
rituel d’appropriation. Parfois ces transformations sont plus importantes : troncatures
sauvages, voire plus rarement, développements. Ce dernier cas correspond souvent
à une tentative de transformation d’une « autoréclame » en un ambitieux article

42. À Catulle M ENDÈS, fin décembre 1889 dans Octave M IRBEAU, Correspondance générale,
Lausanne, L’Âge d’homme, t. II, 2005, p. 175.
43. Voir L’Écho de Paris, 4 janvier 1890.
44. Charles G OSSELIN à BALZAC, le 30 ou 31 janvier 1833, dans Honoré de BALZAC,
Correspondance, Paris, Garnier, t. I, 1976, p. 728.

Romantisme, n° 155
102 Marie-Ève Thérenty

critique comme le montre une notice pour les Contes à Ninon rédigée par Zola45 .
Elle est publiée sous sa forme brève, dans Le Figaro du 27 novembre 1864. Zola
l’envoie aussi à Eugène Paz du Petit Journal et lui demande l’insertion « de la notice
en article de critique et non en réclame46 ». Eugène Paz la signe mais en procédant
à une amplification manifeste du texte47 comme si le fait d’insérer la réclame en la
signant nécessitait moralement une intervention sur le texte.
Ce corpus de réclames n’est pas négligeable même s’il faut le considérer avec pré-
caution, tant les contraintes extérieures et la superposition des écritures compliquent
la tâche de l’exégète. La réclame de Maupassant sur les Contes de la Bécasse, citée plus
haut, tout en répondant parfaitement aux injonctions du genre (mention initiale de
l’éditeur, mise en série de la production, poétique contradictoire du volume) attire
l’attention sur un des principes originaux de la constitution du recueil journalistique
chez Maupassant : la disparate. De même, l’examen du corpus homogène des longues
réclames, rédigées par Zola pour le Bulletin du libraire, et de leur transfert dans les
journaux s’avère passionnant en dépit de la rhétorique Hachette. D’abord, il renseigne
sur les lectures faites par Émile Zola à l’orée de la constitution des Rougon-Macquart.
Comme l’a montré Colette Becker48 , globalement, la lecture par Zola de la production
de Hachette le forme aux sciences vulgarisées par les collections scientifiques, les séries
d’encyclopédies, de dictionnaires et d’annales. Au-delà, dans le détail, on découvre
l’intérêt que Zola porte déjà à tel ou tel élément essentiel de l’épopée des Rougon-
Macquart comme le chemin de fer, l’hérédité ou la famille. Connaissant la suite, on
hésite à mettre certains énoncés uniquement du côté de l’exagération publicitaire :
« Bien pensée, bien écrite, l ‘épopée domestique de la famille Colinet fait encore plus
de plaisir à la seconde lecture qu’à la première49 . » Des formules zoliennes sont en
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gestation : le fameux « coin de nature vu à travers un tempérament » n’est encore que
« [...] dans sa vérité un certain coin de la société contemporaine50 ». Surtout Zola
qui utilise beaucoup, selon les volontés d’Hachette, les termes de collection et de
bibliothèque, les détourne fréquemment de leur sens éditorial pour penser déjà la
série auctoriale : « Le Roman d’un héritier ira rejoindre la collection de bons livres et
de purs récits d’amour que les honnêtes gens doivent déjà à M. X. Marmier51 » ou
encore « On le voit, M. Paul Féval finira par avoir son rayon à part dans la maison
Hachette, et par y composer toute une petite bibliothèque, formée des romans les
plus variés et les plus attachants52 ». Ces énoncés, qui constituent manifestement un
dévoiement de la rhétorique Hachette, montrent la constitution d’un imaginaire de

45. Voir la lettre à G ÉRY-L EGRAND, 24 novembre 1864, ouvr. cité, p. 387.
46. Lettre à Eugène PAZ, 24 novembre 1864, ouvr. cité, p. 388.
47. Le Petit Journal, 28 novembre 1864.
48. Colette B ECKER, Zola à la librairie Hachette, Revue de l’université d’Ottawa, 1978, p. 306 et
suivantes.
49. Ernest S ERRET, Onze filles et un garçon, Bulletin du libraire et de l’amateur de livres, 31 mai
1864.
50. Annonce publiée dans le Bulletin du libraire et reproduite dans Le Temps, à propos des Vacances
de la comtesse d’Edmond A BOUT, 16 septembre 1865.
51. Le Figaro, 7 août 1864.
52. Le Petit Journal, 5 avril 1865.

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La réclame de librairie dans le journal quotidien au XIXe siècle 103

la collection auctoriale que Zola va matérialiser en négociant quelques mois plus tard
avec Lacroix puis avec Charpentier le contrat pour l’œuvre-monde.
La réclame, du côté de sa poétique – hyperbole et exagération –, paraît relativement
figée tout au long du siècle et se révèle surtout sensible aux effets de mode lexicale et
aux rhétoriques publicitaires de chaque maison d’édition. Mais comme pratique, elle
se complique car, au pur règlement monétaire, s’ajoutent des échanges complexes de
livres, de services et de perspectives. Au début du XXe siècle, la réclame se concrétise
et se généralise sous la forme du prière d’insérer, petit texte hyperbolique rédigé
par l’écrivain, imprimé sur un papier multicolore intercalé directement dans le livre
envoyé au critique53 . Ce dernier fait perdurer les mêmes pratiques de caviardage et de
réécriture, rédigeant « son article avec force coupures, ratures, soudures et raccords54 »
et faisant de l’article critique souvent un palimpseste de la parole auctoriale. Les
auteurs sont donc toujours présents dans la fabrique de la réclame tout en continuant
de nier farouchement cette implication. Ainsi en est-il de Jean Cocteau, pourtant l’un
des plus fameux réclamistes du XXe siècle, se moquant dans son journal d’un Mauriac
exagérément publiciste à ses yeux : « Mauriac venait de publier Les Mains jointes. Il
s’écria : “Ma décision est prise. Je lancerai mon prochain livre comme le chocolat
Poulain”. D’où ce surnom de Poulain que nous lui gardâmes55 . » À ce compte, Balzac,
Maupassant, Mirbeau et les autres sont déjà des « écrivains-Poulain ».

(RIRRA 21, Université de Montpellier III – IUF)


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53. « Le livre et la réclame », Les Marges, juin 1923.


54. Ibid.
55. Jean C OCTEAU, Le Passé défini, Paris, Gallimard, juillet 1952, t. I, p. 293.

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