Positif Extracts

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72 Dés le m ent ot le Bunuel fut projeté, ce Festival de Cannes était déjq gagné. Restait attendre, non sans angoisse, le film d’Antonioni. LECLIPSE, APOTHEOSE DE L’OBJET. La sélection Ia plus foisonnante, comme d'habitude, nous venait d'ltalie. Deux courants étaient en présence : celui du film de témoignage, et celui de la eréw tion pure. On peut i bon droit glisser sur le premier, que caractérisait une agre.. sivité éparse et sans objet, frappant au petit bonheur, et un désir de racolage assez genant. Mondo cane est le film d'un chien. M. Jacopetti, en nous livrant son étalage de laideurs exotiques, n’enlaidit que lui-méme. Tout ce qu'il nous montre de mutilations, de vomissures, de déchéances et sonies pourrait étre filme honnétement, directement, avec un sens précis de ce qui est cruel et de ce st bas. Les Nouveaux Anges de Ugo Gregoretti, enquéte sur la jeunesse mense le, contient de trés bonnes seénes : les injustices de la psychotechnic ies, la virée amoureuse sur carnet noir d'une Américaine en villég ture, Iexode urbain des jeunes paysans. Mais tous ces épisodes sont ouvertement itués ¢ aprés enquéte >, et mis en scéne avec astuce, puis rassemblés en un cocktail hatif. Dans Tun et Vautre cas, on aboutit au cinéma-mensonge, au faux témoignage filmé, et a la diffamation du réel. A autre extrémité, Boccace 10, ce goliath de la fausse provocation tire sciem. ment d'un semblant de scandale une affaire voulue dorée, mais dont les ties semblent fragiles. Sans le moindre rapport avec Boceace, Fellini, De Sica, Visconti et Monicelli brimé (1) ont tenté de séduire tout en choquant, un pro. gramme qui invite a la dégringolade. De Sica sort le glorieux vainqueur de cette confrontation sur le plan de la vulgarité et de 1a bassesse, et tire Sophia Loren en oterie pour le plus grand amusement de la gent goujate. Fellini. dans un fiasco monumental s'ingénie a ¢ faire gros> sur une Tentation de saint Antoine. Sa Premiére tentative Ja couleur fait penser au plus mauvais Tati, et je me rappelle non sans tristesse que ce e clown avait toujours compté parmi ses plus fervents admirateurs Vauteur des Vitelloni. L'indigence des effets spéci: rend inerédible Yapparition d'une Anita Ekberg de quinze métres de haut, et détruit totalement un sketch interminable. Mais Visconti par contre en s’brouant dans T'équivoque (son domaine) a réussi avec son sketch un entracte cynique et dépravé, dans le pur style décadent. Pendant que les playboys pourchassent des call-girls, leurs belles épouses délaissées y sont tenues pour fuir l'ennui d'apprendre chex Jes professionnelles comment se vendre a leur légitime. Autour de Romi Schneider, ici encore d'une féminité envahissante, Visconti dresse le tableau d'un luxe pervers, ott les chats et les valets de chambre sont considérés comme autant a’éléments seabreux. Glissons sur le Germi, Divorce & Titalienne, sorte de Noblesse oblige dans le cadre da Bel Antonio, oii Marcello Mastroianni fait une création inattendue de coe volontaire hourré de tics et gominé, glissons sur Vintéressant Giorni contati, do Petri, sorte d'CEil sauvage transalpin. Il faut bien V'avouer, rien de tout cela ne tenait auprés de L’Eclipse. Le film d’Antonioni a dérouté, dégu ou contrarié beau. coup de gens. Il n’en demeure pas moins, avec L’Ange Exterminateur, le sommet de ce festival, et tiendra dans Teuvre de son auteur la place d'un manifeste revendicateur, et d'un constat de vie. 1’Eclipse est un temps mort, une morte-saison, dans la vie sentimentale de son héroine, Vittoria. Au début du film, Vittoria se détache volontairement de son (1) On sait que son sketch, retiré par Ponti de la compétition sur la demande de Favre Le Bret, causa 4 Cannes un incident diplomatique, syndical et financier d'ordre fabuleux. 19 Ici encore le sens politique de la manifestation n'est nullement mis en évidence, et les classiques techniques de propagande sont delibérement abandonnées. Les marcheurs sont des gens ordinaires, dépolitisés, leur manifestation est une expression spontanée de leurs convictions pacifistes et morales. A Ja fin du film, ce sont eux qui sont interviewés et non les quelques politiciens qui prennent part a la march Il faut noter que ce refus de I'engagement politique est commun aussi a presque tous les « Angry Young Men ». Pour aussi paradoxal que cela puisse paraitre aux yeux du Frangais « engagé », il n’en correspond pas moins outre-manche & la situation réelle des intellectuels vis-d-vis des partis pclitiques. Le Labour Party les a profondément décus, ils ne lui ménagert pas les sarcasmes: « Je porte en mon cceur un couteau pour chacun de vous, écrivait Osborne dans une lettre ouverte « & ses compa- triotes », pour vous Mac Millan, et pour vous Gaitskell, pour vous en parti- culier. » Quant au marxisme, 1! semble qu'il soit trop irrémédiablement contraire au caractére national, & son humanisme foncier, pour que son idgologie ne soit as étrangére aux jeunes, révoltés anglais, On ne saurait mieux rendre cotnpte de leur position idéaliste et morale qu’en citant cette phrase de John Berger écrite dans Sight and Sound (été 57), & propos de Lindsay Anderson : « Il devient de plus en plus clair qu’a une époque de génocide officiel, I'humanisme est une force positive, voire méme subversive ». En face de ce refus de I’action politique, l’attitude des socialistes anglais reste cependant empreinte de compréhension et de svm- pathic. Ce qu'un hebdomadaire de I’aile gauche du Labour écrivait d’Ar- thur Seaton, le héros de Saturday Night and Sunday Morning, peut s’a ser aussi bien & chacun des jeunes intellectuels anglais : « anarchiste et anti-social, mais rous sommes avec lui ». Les autres réalisations du Free Cinema sont sans doute moins signi- ficatives que celles qui viennent d’étre passées en revue. Le deuxitme programme du National Film Theatre présentait, outre deux films de Lindsay Anderson, Singing Street (réalisé par le Norton Park Group d'Edim- bourg), qui a pour theme des jeux et des chansons d’enfants, et Nice Time de Claude Goretta et Alain Tanner. Influencée par O Dreamland, c'est = étude amére et parfois violente sur la vie nocturne de Piccadilly ircus. En 1959, le dernier programme Free Cinema est constitué par deux moyens-métrages, celui de Karel Reisz, We are the Lambeth Boys, et celui de Robert Vas, jeune réfugié hongrois, sur les difficultés que doit affron- ter un étranger en Grande-Bretagne. WE ARE THE LAMBETH BOYS C'est le film du Free Cinema le plus connu en France. Le grand prix ‘i obtint a Tours en 1959 marque la découverte par la critique francaise la « Nouvelle Vague Britannique », Inutile d’ajouter qu’elle en resta 1a. Reisz, comme Anderson, sc propose de découvrir un groupe social qu'ignorent l’opinion et le cinéma anglais : celui des jeunes ouvriers et des feddy-boys qui fréquentent un club de jeunes dans le faubourg popu- laire de Lambe: eisz se méla pendant deux mois aux activités de ces jeunes gens, gagna leur confiance, les familiarisa avec la présence de la caméra. [1 obtint d’eux une spontanéité réelle & base de recherche patiente et de direction insinuée. Il ne se contente pas de regarder s'agiter, d’écou- ter parler les fences de Lambeth, il montre le sens de leur vie, leurs rai- sons de vivre, la lutte qu’'ils ménent pour échapper A !’ennui de la civilisa- tion industrielle qui les écrase. 25 personnages libres de leurs mouvements et de leurs dialogues. C’est un peu l'influence de la télévision qui dicte cette méthode, dont Rozier usa chez nous avec des résultats bien différents. C’est aussi le systéme qu’em- ploya Vittorio de Seta pour ses magnifiques documentaires, puis pour son long méirage Banditi a Orgosolo. Si l'on veut, la lecon de Flaherty a porté ses fruits dans la mesure out I'événement est capturé grace a ses constantes décelées a Vavance. Il est donc moins recréé que « ressaisi » par deux sociologues attentifs dont la vérité (fdt-elle provoquée), est le souci profond et humble, Il y a plus d’authenticité chez le berger sarde de De Seta (il ignorait sans doute la portée du simulacre qu'on exigeait de lui) que dans les « acteurs » innocents de Giacopetti qui, sans le savoir, participaient A une duperie d’eux-mémes et du public. La liaison manifeste entre le témoignage direct, et la reconstitution artielle se trouve opérée, sembie-t-il, dans le film de Ugo Gregoretti Les louveaux Anges. Dans le but de dresser un panorama des problémes de la jeunesse italienne, de la classe ouvriére & la paysanne, en passant par la bourgeoisie, Ugo Gregoretti a recherché la situatior-limite, c'esta-dire Ie phénoméne. Dans certains cas, il filme l'enquéte elle-méme, avec un nombre approprié d'interrogatoires, comme lorsqu'il décrit l’exode urbain des populations méridionales, et la désaffectation des campagnes. Dans autres, il reconstitue, lui aussi, aprés enquéte approfondie, et accumula- tion d'un matériel parié, certaines scénes-clé vécues par leur protagoniste original. Ainsi, il étudie, avec plus ou moins de bonheur, le réle déniai seur du cinéma chez les jeunes gens dans les régions arriérées de I'Italie, ou le jeu des tests psychotechniques a différents échelons d’une usine; cela donne de véritables sketches ot coincident un nombre ¢levé de constatations accolées les unes avx autres par artifice ou méme Ja drama- tisation pure et simple d'une vérité statistique, comme dans |'épisode de Vétrangére qui fait les plages, en cochant sur'un carnet noir les spécia- listes sexuels d'une céte a l'autre de la péninsule. Ici, c'est la conception globale du film qui rend compte d'une volonté élucidatrice. Chaque &p' sode séparé appartient a différentes catégories de vraisemblance (2). Leur ensemb'e réalise, plus qu'un reportage, un survol créateur de la réalité démographique ou statistique. Les Nouveaux Anges, par exemple, par rapport A La Francaise et l'Amour qui prétendait illustrer des données statistiques, triomphe par l’absence d’auteurs, d’intermédiaires abusifs. Gregoretti reconstitue, il ne raconte pas. Et les protagonistes sont authen- Hones, ll y a donc éléments orchestrés de témoignage et presque « mal- gré » Gregoretti, survivance d'une réalité épisodique. Crest Ge & partir de vingt heures enregistrées au magnétophone de la bouche méme d'un boxeur noir, Abdoulaye Faye, que Francois Rei- chenbach, en France, a tourné Un ceeur gros comme ¢a. « Il s'agissait, dit Reichenbach, de le prendre comme personage, en lui gardant sa sponta- néité, Il a pensé qu’on faisait un reportage sur lui. II savait, bien sdr, que je le filmais, mais il ne savait jamais quand. Il ne s'imaginait pas qu'il faisait du cinéma comme pour un vrai film : il n’était pas maquillé, pas payé. J’avais donc un enregistrement sur magnétophone, un court-métrage sur la boxe, un personage ». De cet ensemble, Reichenbach, qui nie caté goriquement avoir fait du « cinéma-vérité », a tiré un autre genre de témoignage. L'événement, c'est le personnage. Recréé & partir de ses confessions méme, toutes naives qu’elles soient, Abdoulaye Faye atteint (2) Crest dans te se ces catégories ti Schoue dell Yietlement et mérite ies epochs ‘eee Rene leriths Coueetienn Ganecel ener copie eunees Mois ils pour lui devoir eréé un précédent incontestable.

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