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Dossier scientifique

Interférences et pièges en immuno-analyse


Bruno Baudin1,2,*, Antoine Pilon2,3
1 Laboratoire de Biochimie, Hôpitaux Universitaires Est-Parisien, site Armand Trousseau, 26 avenue du docteur Arnold Netter, 75012 Paris
2 INSERM UMR 1193, UFR Pharmacie, 5 Rue Jean-Baptiste Clément, Châtenay-Malabry 92296 Cedex
3 Laboratoire de Biochimie-Hormonologie, Hôpitaux Universitaires Est-Parisien, site Saint-Antoine, 184 rue du faubourg Saint-Antoine,
75571 Paris cedex
*Auteur correspondant : bruno.baudin@aphp.fr (B. Baudin).

RÉSUMÉ
Les interférences sont très nombreuses dans les méthodes d’immuno-analyse ; elles sont source d’erreurs par défaut ou
par excès parfois au détriment de la qualité des soins au patient, en particulier concernant les hormones, les marqueurs
cardiaques et les marqueurs tumoraux. La réaction croisée résulte d’un défaut de spécificité des anticorps (AC) de la
trousse et de la présence de cross-réactants ; elle concerne surtout des dosages hormonaux dans des situations bien
connues. La principale cause d’interférence reste la présence d’anticorps dans le sérum du patient, essentiellement des
auto-AC et des AC hétérophiles ; il est important de les mettre en évidence et de lever l’interférence. Les nouvelles
trousses seraient moins sensibles à ce type d’interférences. L’interférence par excès d’antigène doit être anticipée par
des tests de dilution et l’adaptation des méthodes. Il existe d’autres types d’interférences, comme par des protéines
endogènes (albumine, protéines de transport, complément immunologique) et bien sûr l’effet matrice, ou la présence
de biotine dans l’échantillon. Malgré les progrès réalisés en immuno-analyse, il restera toujours des causes d’interfé-
rence et il peut en apparaître de nouvelles. Le biologiste doit rester vigilant et formé sur ces méthodes d’analyse et les
principales causes d’interférence.

ABSTRACT
Interference and pitfalls in immuno-assays.
Interferences are frequent in immuno-assays; they are the cause of errors with default or excess, sometimes to
the detriment of the quality of medical care, in particular for hormones, cardiac markers and tumor markers.
Cross-reaction can come from a low specificity of the antibodies and from the presence of cross-reacting pro-
ducts, mostly for hormone assays in well-known situations. The main cause of interference remains the presence
of antibodies in patient serum, such as auto-antibodies and heterophilic antibodies. It is particularly important to
detect them and to remove the interference. New kits should be less sensitive to this type of interference. The
interference with antigen excess or “hook effect” must be anticipated with dilution testing and the adaptation of
the methods. Other types of interferences or pitfalls concern endogen proteins, such as specific binding-proteins,
albumin, or immunological complement, also matrix effect or the presence of
biotin in the sample. In spite of recent progress in immuno-assays, it will always
remain some causes for interference and some others can appear. The biologist
MOTS CLÉS
has to be vigilant and trained on these methods of analysis and on the main
◗ auto-anticorps
causes for interfering.
◗ effet crochet
◗ immuno-analyse
◗ interférences
◗ réaction croisée Liste des abréviations

KEY WORDS AC : anticorps TnIc : troponine I cardiaque


AG : antigène TnTc : troponine T cardiaque
◗ auto-antibody HAAA : Human Anti-Animal Antibodies
CR : cross-réactant
◗ cross-reaction HAMA : Human Anti-Mouse Antibodies
hCG : human Chorionic Gonadotrophin
◗ hook effect TSH : Thyroid-Stimulating Hormone AFP : Alpha-Foeto-Protéine
◗ immuno-assays PTH : parathormone PSA : 7YVZ[H[L:WtJPÄX\L(U[PNuUL
PRL : prolactine CA125 : Carbohydrate Antigène 125
◗ interferences
Tg : thyroglobuline

© 2019 – Elsevier Masson SAS


Tous droits réservés.

60 REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES • N° 510 • MARS 2019


Dossier scientifique
Difficultés d’interprétation, pièges diagnostiques

Introduction par des AC monoclonaux en large excès. Quelques


exemples, plutôt anciens peuvent cependant être cités :
Les interférences et les pièges sont très nombreux ◗ biais par défaut (pseudo-effet crochet), ex : hCG
dans les méthodes d’immuno-analyse ; ils sont sources (human Chorionic Gonadotrophin) élevée sur dosage de
d’erreurs par défaut ou par excès parfois au détri- TSH (Thyroid-Stimulating Hormone), ou sandwiches sur-
ment de la qualité des soins au patient, en particulier numéraires parce que l’AC reconnaît deux épitopes ;
concernant les hormones, les marqueurs cardiaques et ◗ biais par excès : reconnaissance de fragments de
les marqueurs tumoraux. Malgré les progrès réalisés en la parathormone (PTH) lors du dosage de la PTH
immuno-analyse, il restera toujours des causes d’interfé- « intacte ».
rence et il peut en apparaître de nouvelles. Le biologiste
médical doit rester vigilant et formé sur ces méthodes Stratégie de couplage
d’analyse et les causes d’interférence (tableau I).
pour le dosage d’haptènes
Elle est un problème majeur pour le dosage des sté-
La réaction croisée roïdes ; en effet, l’AC doit être dirigé contre un épi-
tope éloigné de la zone de couplage de l’haptène sur la
Elle est due à un défaut de spécificité de l’anticorps protéine porteuse. Des interférences sont prévisibles
(AC), essentiellement l’AC de capture pour les entre épitopes proches du site, ex : la testostérone sur
méthodes non compétitives, et à l’existence de cross- le dosage de 5-hydroxy-testotérone ou de progesté-
réactants (CR) de structure identique ou apparentée rone. Parfois la réaction est choisie, ex : les AC anti-
(un épitope en commun au minimum). digoxine reconnaissent les métabolites qui sont plus
ou moins actifs, les AC anti-aldostérone reconnaissent
Dans les dosages compétitifs aussi les métabolites hydrogénés [2].
Ces interférences sont plus fréquentes dans les dosages
compétitifs que dans les méthodes non compétitives, La réaction croisée
car ils utilisent un seul AC et en défaut. L’interférence peut être évaluée
est quasiment toujours positive car le CR déplace
Pour les dosages compétitifs, on peut utiliser la méthode
l’antigène (AG) marqué. Si l’on prend l’exemple du
d’Abraham, qui étudie le déplacement de la courbe
dosage des stéroïdes, ces interférences peuvent avoir
d’étalonnage par le CR, méthode simple qui permet de
différentes origines : physiologique (grossesse, période
comparer les AC de trousses commerciales différentes.
néonatale), pathologiques (présence d’un bloc enzyma-
En revanche, les courbes sont rarement parallèles et le
tique, insuffisance rénale), thérapeutique (corticothéra-
déplacement par le CR est rarement total. Cette étude
pie, œstrogénothérapie) ou diagnostique (épreuve dyna-
peut sembler longue et fastidieuse si on doit étudier de
mique avec la métopirone). Il a également été décrit des
nombreux CR. Notons que ce que l’on étudie in vitro
interférences provenant du manipulateur (traitement
ne représente peut-être pas ce qui se passe in vivo. Pour
cutané contenant de la testostérone) [1].
les dosages non compétitifs, il s’agit de croisement avec
un ou les deux AC du sandwich, on mesure l’analyte
Dans les dosages non avec le CR, ou dans un sandwich séquentiel si le CR est
compétitifs (sandwiches) reconnu par l’AC traceur. En pratique, les trousses com-
L’interférence peut être due à la neutralisation d’un des mercialisées utilisent le plus souvent des AC différents.
AC (de capture ou traceur). Ces interférences sont plus En cas de suspicion d’une interférence, il est conseillé
rares, du fait de la reconnaissance de deux épitopes de réaliser le dosage en utilisant une autre méthode [2].

Tableau I. Principales causes d’interférences et pièges en immuno-analyse.


Types Causes

Réaction croisée Présence de co-réactants, mauvaise spécificité des anticorps

Interférence par des anticorps (AC) AC anti-analytes, anti-réactifs ou anti-protéines animales

Interférence par des protéines de liaison Albumine, pré-albumine, protéines de liaison spécifiques des hormones

Effet matrice Hémolyse, lipémie, ictère, biotine

Effet crochet Excès d’antigène par rapport à l’anticorps

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Dossier scientifique

Interférences Dosages compétitifs


Dans ce cas, l’AC interférant lie le traceur, ce qui dimi-
dues aux anticorps nue le traceur lié sur l’AC réactif du dosage. Ceci
entraîne alors une surestimation de l’analyte dosé. Les
Anticorps anti-analytes cas les plus fréquents sont retrouvés dans les dosages
d’hormones thyroïdiennes (anti-triiodothyronine ou T3
Des AC anti-analytes peuvent être présents dans le
et anti-thyroxine ou T4).
sérum de patients présentant des pathologies auto-
immunes (AC anti-thyroglobuline dans les pathologies
thyroïdiennes ou anti-insuline dans le diabète) [3, 4], ou Anticorps hétérophiles
au cours de certains traitements (AC anticorps anti- Le sérum de certains individus peut contenir des AC
insuline chez des patients traités à l’insuline). D’autres anti-idiotypes ou anti-isotypes (IgG ou IgM) dirigés
AC peuvent être retrouvés sans que l’étiologie en soit contre des Ig animales, dits AC hétérophiles et pou-
connue, l’exemple le plus courant étant celui de vant réagir avec les AC utilisés pour le dosage
la prolactine (PRL) donnant un complexe [7]. Ces AC sont formés lors du contact
AC/PRL nommé macro-prolactine. de l’homme avec des animaux, par
En fonction des dosages, ces inter- 10 % de exposition accidentelle (éleveurs
férences dues aux AC anti-analytes la population d’animaux…), iatrogène (traite-
peuvent conduire à des résultats ment par des protéines recombi-
sur ou sous-estimés [5].
générale et 25 %
nantes ou AC monoclonaux), ou
des patients atteints au cours de certaines patholo-
Dosages non compétitifs d’un cancer différencié gies. On peut citer l’exemple du
L’interférence des AC anti-thy- facteur rhumatoïde dans ce type
roglobuline dans le dosage de la de la thyroïde ont des d’interférence. Il s’agit d’auto-AC
thyroglobuline (Tg) est un pro- anticorps anti-Tg IgM, IgA ou IgG anti-Fc des IgG,
blème important. En effet, 10 % qui est fréquent chez les patients
de la population générale et 25 % dans leur sérum atteints de polyarthrite rhumatoïde
des patients atteints d’un cancer diffé- et chez près de 5 % des individus sains.
rencié de la thyroïde ont des AC anti-Tg Le plus souvent sa présence conduit à
dans leur sérum. Cette présence conduit à des dosages faussement augmentés. Quand
une sous-estimation de la Tg, le complexe Tg/anti-Tg ils proviennent d’une immunisation contre des pro-
n’étant en général que partiellement reconnu par le téines d’une espèce donnée, on parle d’AC anti-animal
couple d’AC du dosage. Toutes les trousses de dosage (ou HAAA pour «Human Anti-Animal Antibodies»).
étant plus ou moins sensibles à la présence d’AC anti- C’est le cas, par exemple, d’AC anti-souris ou HAMA
Tg, le dosage de ces AC doit toujours être réalisé en («Human Anti-Mouse Antibodies»). Ils peuvent provenir
parallèle d’un dosage de Tg et le résultat utilisé pour de beaucoup d’autres animaux à cause de la grande
l’interprétation du résultat. diversification actuelle des protéines recombinantes,
L’un des exemples les plus connus d’interférence est comme de leur mode de production et avec une uti-
celui de la macro-prolactine (macro-PRL) dû à la for- lisation exponentielle. Ces HAAA sont en général de
mation d’un complexe, généralement, immunoglobuline forte affinité et peuvent interférer dans de nombreux
G/prolactine (IgG/PRL) [6]. Cette forme est considé- dosages (marqueurs cardiaques, marqueurs tumoraux,
rée comme inactive du fait de sa faible biodisponibilité hormones thyroïdiennes…) compétitifs ou non com-
due à l’importante masse moléculaire du complexe pétitifs [2,5]. Ces interférences peuvent être positives
et peut s’accumuler en raison de sa plus faible clai- ou négatives en fonction de la spécificité de l’anticorps
rance. La présence de ces complexes, reconnus par les (figure 1B).
AC du dosage, conduit à une fausse élévation de la
concentration de PRL et donc à un risque de diagnostic
erroné d’une hyperprolactinémie. Des études ont mon- Dosages non compétitifs
tré qu’environ 25 % des hyperprolactinémies seraient Ce sont les dosages les plus sensibles à ce type d’inter-
dues à une macroprolactinémie. En cas de suspicion férence. Si l’AC interférent est capable d’interagir avec
d’une macroprolactinémie, il est important de pouvoir les deux AC utilisés pour le dosage, il prend la place de
séparer la PRL monomérique du complexe IgG/PRL. l’analyte et entraîne donc une surestimation du résul-
Pour cela, l’échantillon peut être analysé par chroma- tat. De très nombreux dosages sont sensibles à cette
tographie d’exclusion stérique ou après précipitation interférence (TSH, Tg, hCG, FSH, LH, PTH…). Inverse-
par le polyéthylène glycol (PEG 6000), permettant la ment, si l’AC interférent ne reconnait qu’un seul AC
séparation du complexe IgG/PRL, peu soluble dans le du dosage, il empêche la formation du complexe entre
PEG, de la PRL soluble [2, 5]. l’analyte et les deux anticorps et conduit à un résultat
faussement abaissé.

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Dossier scientifique
Difficultés d’interprétation, pièges diagnostiques

Figure 1. Deux cas de pièges en immuno-analyse par la présence d’anticorps interférant.

© B. Baudin
A B

A. Dans un dosage d’insuline par une méthode sandwich, déplacement de l’insuline liée sur un auto-anticorps par fixation de l’insuline liée aux
AC de la trousse de dosage (AC de capture et AC de révélation) ; la présence d’auto-AC anti-insuline donnera un résultat par défaut.
B. Interférence par des AC humains anti-Ig animales dans un dosage de type compétitif ; la présence de ces AC anti-idiotype donnera un résultat par excès.

Dosages compétitifs l’électrocardiogramme (ECG) ne présente pas d’ano-


Cette interférence est plus rare. Elle peut conduire à malies ; la TnIc dosée au laboratoire revient très posi-
une surestimation de l’analyte dosé lorsque l’AC interfé- tive, comme pendant 26 jours après l’hospitalisation
rent se fixe sur le traceur. Quelques cas ont été décrits pour surveillance et investigations supplémentaires
concernant les dosages d’hormones thyroïdiennes (T3, (TnIc de 1 à 10 μg/L, N < 0,05 μg/L), puis 19 μg/L pen-
T4) ou de stéroïdes (testostérone) (figure 1A). dant deux mois sans autres appels cliniques ou élec-
triques. Les résultats ont été obtenus de trois appa-
Identification et minimisation de reils : RXL-Dimension©, Triage-Biosite© et Stratus CS©,
l’interférence mais le dosage de la troponine T cardiaque (TnTc)
Les fournisseurs de réactifs utilisent désormais différentes revient négatif. En absence de contexte électrique
stratégies pour éliminer ou minimiser ces interférences : et sans autre appel clinique qu’au premier jour aux
ajout de traces de sérum animal de la même espèce que Urgences, ce faux positif de TnIc est évident. Des AC
celle utilisée pour produire les AC réactifs, ajout d’Ig ani- interférant ont été recherchés : le facteur rhumatoïde
males dirigées contre les Ig humaines. L’utilisation d’AC était négatif, la recherche d’AC hétérophiles n’a pas
été fructueuse, par contre la précipitation au sulfate
chimériques ou humanisés, ou de fragments d’AC (Fab)
d’ammonium tout comme celle avec un AC anti-IgG
permet également de limiter les interférences de ce type.
ont isolé un immun-complexe, confirmé par électro-
Ces stratégies suffisent le plus souvent à éviter ces inter-
phorèse sur agarose à 1,5 %, avec une masse molécu-
férences. Cependant, dans le cas où une interférence sub-
laire d’environ 500 kDa [9].
siste, il est possible d’utiliser des réactifs bloquant les AC
hétérophiles, disponibles chez certains fournisseurs. ◗ cas n° 2
Une jeune fille de 18 ans consulte aux urgences pour
Anticorps anti-réactifs douleur épigastrique ; l’ECG est normal, la TnIc est éle-
vée sur Stratus CS© (0,7 μg/L, N < 0,05 μg/L) et nor-
L’interférence due à des anticorps dirigés contre cer- male sur Access II© (< 0,05 μg/L). Une interférence est
tains réactifs utilisés pour le dosage a également été évoquée ; l’emploi de réactifs bloqueurs d’AC hétéro-
décrite. Il peut s’agir d’AC anti-avidine ou straptavidine, philes lève l’interférence ; l’hypothèse formulée pour
lorsque la technique de dosage utilise une interaction expliquer ce faux positif est de considérer que l’AC
de la biotine avec l’avidine ou la streptavidine [8]. hétérophile (HAMA) simule la TnIc formant des com-
plexes supplémentaires en mode sandwich [10]. Les
Quelques exemples sur les dosages macro-complexes semblent fréquents sur des immuno-
de troponine I cardiaque (TnIc) analyses en méthode sandwich [11].
◗ cas n° 1 ◗ cas n° 3
Une dame âgée de 78 ans, ayant déjà présenté des Cas d’un autre faux positif sur la TnIc dosée sur
douleurs cardiaques, est admise au service d’urgences RXL-Dimension © et Immulite ©, non caractérisé par
pour crise douloureuse accompagnée de dyspnée ; l’emploi des réactifs bloqueurs ; en revanche, l’hypo-

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Dossier scientifique

thèse d’une interférence par une IgM a été formulée


Figure 2. Formation de sandwiches devant la concentration plasmatique élevée des IgM,
surnuméraires par des AC anti-isotypes, la précipitation d’un immun-complexe au PEG et sa
neutralisation au dithiothréitol (réactif réducteur).
Notons que le test de Waaler-Rose était positif, mais
pour la même raison ce test était peut-être fausse-
ment positif [12].

Conduite à tenir devant


une suspicion d’interférence
La suspicion d’interférence peut venir du clinicien ou
du biologiste (voire du technicien). Voici la conduite à
suivre devant une telle suspicion :
◗ Un dialogue clinico-biologique doit s’engager ; de
bonnes relations préalables et la définition d’une ligne
© B. Baudin de conduite commune sont de bon aloi pour favoriser
ces échanges.
Situation possible lorsque les deux réactifs de la trousse proviennent ◗ Le biologiste doit vérifier le résultat sur un autre
de la même espèce (par exemple deux AC monoclonaux de souris) ; appareil, si possible utilisant un autre anticorps dans
la présence de ces AC anti-isotypes, dits HAMA dans le cas d’AC de
souris, donnera un résultat par excès.
une autre méthode, et peut-être avec un autre prin-
cipe d’immuno-analyse. Il faut bien-sûr avoir pris soin
de conserver des échantillons. Si l’on ne possède pas
plusieurs appareils (ce qui est plutôt fréquent), il faut
Figure 3. Courbe de précipitation du s’adresser à des collègues qui possèdent d’autres
complexe antigène (AG)/anticorps (AC) types d’analyseurs.
dite courbe d’immuno-précipitation ◗ Le biologiste doit tenter d’identifier la cause de l’inter-
de Heidelberger. férence ; les kits de dosages sont maintenant fournis
avec des réactifs bloqueurs ; il ne faut pas hésiter à
s’en servir. Si le résultat de ce premier test est néga-
tif, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’interférence.
Il faut continuer les investigations, en collaboration
avec des collègues et les fabricants des kits. Dans le
cas où la méthode ou le lot de réactifs est suspecté
d’interférences multiples, une signalisation à l’ANSM
doit être faite.
Ces principes de contrôle des interférences doivent
s’appliquer à l’ensemble des méthodes d’immuno-ana-
lyse, certaines, par leur configuration analytique avec
double ou triple anticorps, avec ou sans sandwich, étant
plus susceptibles aux interférences que d’autres.
© B. Baudin

Interférences par excès


Zone I : excès relatif en AC par rapport à l’AG. Les épitopes de d’antigène ou « effet crochet »
l’AG sont saturés par les paratopes de l’AC. L’immun-complexe
(IC) est de faible taille et précipite peu, principe utilisé dans les L’effet crochet ou «hook effect» est rencontré dans les
méthodes d’immuno-analyses par immuno-turbidimétrie ou immuno-
néphélémétrie.
méthodes en sandwich en une étape et des dosages
Zone II : zone d’équivalence. La proportion en épitopes et en
avec de larges excès d’analytes [13], par exemple pour
paratopes est optimale pour former un réseau. L’IC est de grande les marqueurs tumoraux tels que l’AFP (Alpha-Foeto-
taille et précipite, principe utilisé dans les méthodes d’immuno- Protéine), hCG, PSA (Prostate Spécifique Antigène),
analyses par immuno-précipitation. CA125 (Carbohydrate Antigène 125), et les hormones
Zone III : excès relatif en AG par rapport à l’AC. Les paratopes de polypeptidiques, ACTH, FSH, PRL, ferritine… Il corres-
l’AC sont saturés par les épitopes de l’AG. L’IC est de faible taille et
précipite peu, phénomène retrouvé dans l’effet crochet. pond à la situation d’excès d’antigène dans la courbe
de précipitation de Heidelberger (l’immun-complexe

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Dossier scientifique
Difficultés d’interprétation, pièges diagnostiques

se redissout dans les conditions où le réseau tridimen- utilise un tube avec séparateur ou non. Le pH et
sionnel ne peut pas se former) et conduit à une très la force ionique, la concentration en protéines du
forte sous-estimation du résultat (figure 3). On peut milieu tiennent aussi une grande importance dans la
le mettre en évidence en testant plusieurs dilutions du réaction antigène-anticorps. La majorité des immuno-
sérum, le résultat non dilué étant largement inférieur dosages est réalisée sur sérum et ces dosages sont
au résultat du tube dilué, voire très dilué. On limite cet peu affectés par l’hémolyse, la lipidémie ou l’ictère,
effet en réalisant des sandwiches en plusieurs étapes, à la différence de nombreuses autres méthodes de
dans des schémas séquentiels associant des lavages, dosage. Cependant, une hémolyse importante (libéra-
ce qui complique l’automatisation ; on va aussi dimi- tion de protéases) peut avoir des effets très marqués
nuer la prise d’essai et réaliser une pré-dilution, mais pour des analytes très sensibles à la protéolyse, tels
cela diminue la limite de détection. Bien sûr tout cela que l’insuline [15], l’ACTH, la PTH, le glucagon ou
dépend de la qualité des AC, surtout des AC monoclo- la calcitonine et entraîner une sous-estimation des
naux, qui doivent être très affins pour augmenter résultats. Les immuno-dosages sont également peu
la linéarité. Il est conseillé de redoser les sensibles à la lipidémie, à l’exception de la
échantillons lorsque le résultat est dans thyroxine libre, qui peut être sous- ou
une zone à risque (points extrêmes sur-estimée en présence d’acides gras
de la courbe d’étalonnage), donc à Les valeurs libres. Au cours de l’accréditation, le
définir [2, 5]. usuelles des SH FORM 43 demande de préciser
la matrice, la validation sera diffé-
hormones sont rente selon qu’il s’agit de plasma,
Autres types différentes entre plasma de sérum, d’urine, ou encore de
liquide céphalo-rachidien, et
d’interférences et sérum et selon que donc autant de dossiers à rem-
Par des protéines l’on utilise un tube plir que de milieux biologiques
différents. Pour les urines, on doit
de liaison avec séparateur préciser le type d’inhibiteurs de la
Elles peuvent posée problème pour ou non protéolyse utilisé (ex : aprotinine). La
les analytes présent dans le sérum biotine endogène ou exogène interfère
sous forme libre et liée à une protéine sur les dosages avec amplification avidine
de transport (hormones stéroïdes, hormones (ou streptavidine)/biotine, dosages amplifiés
thyroïdiennes, vitamine D…). Les analytes à doser se devenus très courants, tout comme les supplémen-
répartissent entre la fraction libre (forme active) et tations nutritionnelles en biotine (vitamine B8), dont
la fraction liée à la protéine porteuse (albumine, pré- celle des associations multi-vitaminiques. Dans ce
albumine, protéines de liaison spécifiques des hor- dossier scientifique, un article est réservé à ce sujet
mones). Il est plus fréquent de réaliser le dosage des devenu très important [2,5].
fractions libres (formes actives), comme les T3L et
T4L. Dans ce cas, il est nécessaire de maintenir in vitro
les conditions in vivo, pour éviter de déplacer l’analyte
et d’obtenir des résultats faussement augmentés ou
Conclusion
diminués. Il est également important de connaître les
Il existe de nombreuses causes d’interférence en
sources d’interférence, comme la présence d’acides
gras libres qui déplacent la T4 de sa protéine de liaison, immuno-analyse, certaines dues à la présence d’anticorps
la TBG (Thyroxin Binding Globulin) [14]. Le dosage des interférant ou de cross réactants, d’autres à la présence
formes totales nécessite, quant à lui, un déplacement de composants du milieu biologique, ou encore parce qu’il
total de la forme liée, ainsi que d’empêcher la fixation y a trop d’antigène à doser. Au laboratoire de biologie
du traceur sur les protéines de liaison (extraction médicale, on doit savoir prévenir les interférences, les
par un solvant, dénaturation de la protéine de trans- reconnaître et prévoir une démarche à suivre en cas de
port ou ajout d’un compétiteur qui déplace l’analyte, suspicion d’interférence. La norme ISO EN NF 15189
sans être reconnu par l’AC du dosage). Ces dosages demande de signaler les différents niveaux d’interférence
peuvent être rendus difficiles par les variations impor- possible et les difficultés d’interprétation prévisibles. Le
tantes de la concentration de ces protéines de liaison dialogue clinico-biologique est particulièrement important
[2,5].
dans ce contexte ; la détection d’une interférence peut
être l’occasion de nouer ou renouer ce dialogue. QQ
Effet matrice
On sait que les valeurs usuelles des hormones sont Liens d’intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de liens
différentes entre plasma et sérum et selon que l’on d'intérêts.

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Dossier scientifique

Points à retenir
◗tLes causes d’interférences et les pièges en immuno- ◗tL’effet matrice est très prégnant en immuno-analyse ;
analyse ont des origines multiples. le choix du tube de prélèvement et les conditions
◗tLa réaction croisée est liée à la mauvaise spécificité de prélèvement conditionnent beaucoup d’examens
des anticorps. utilisant les anticorps.
◗tLes interférences dues à la présence d’anticorps ◗tL’effet crochet est prévisible et doit faire l’objet
anti-analytes ou anti-protéines animales sont les d’une adaptation de la méthode d’analyse.
pièges les plus fréquents en immuno-analyse et on
doit savoir les détecter.

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66 REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES • N° 510 • MARS 2019

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