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Hymne Des Sept Serments
Hymne Des Sept Serments
Hymne Des Sept Serments
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offrir à l’humanité ; la voie comme la voix de la vie pastorale qui, par elle-même, est
une oeuvre d'art et de religion.
Alors le Peul du Ferlo ne se sera pas lui-même oublié comme le monde n'aura pas
laissé le Peul sombrer dans l'oubli.
Par un exemple précis que voilà, ce texte dit Konngol (Konngi, au pluriel), véritable
hymne à l'économie de la nature, au divin et à l'humain, révèle, avec bonheur
surprenant ce que cachent le signe, le symbole et le sens profonds des expressions
du banal quotidien tel: 'Harameeji-am jeeɗiɗi'.
Toutes ces catégories d’interjections de joie ou de peine, de boutade, de
confessions négatives ou positives et des professions de foi dites 'paroles mineures
'Haala tookosa' ont, toutes, une historicité. Il y en a autant que les jours et nuits,
disent les Peuls mais seules les grandes personnes, au sens spirituel du terme,
peuvent en retracer l'histoire et dénouer l'ésotérique qui relève de la 'grande
parole' 'Haala mawka'. Le texte 'Konngol' est la trame historique et topologique à
fonction artistique, rituelle et éthique et contient le clair et l'obscur du
'Haala tokosa' au quotidien.
Nous traduirons donc le titre de ce texte par : 'Konngol Harameeji Jeeɗiɗi' =
'Hymne des Sept Serments'.
D'aucuns seront tentés, à tort ou à raison, de relier ce texte, par exemple, aux dits
'Dix Commandements' des religions révélées, ou bien au 'Livre des Confessions
Négatives dit Livre des Morts' de l'Égypte ancienne ou bien encore aux Ramaya ou
Purana de l'Inde ancienne. Bien que toute analogie ait de l'intérêt, des raccourcis
déductifs trop simplistes commandent à la prudence car il faut d'irréfutables
preuves historiques et anthropologiques. Il n'y a pas deux expériences de
civilisation absolument identiques ou bien totalement différentes si l'on considère
les logiques de chronologie et de cartographie réelle des cadres géographiques
concrets de la genèse puis de l'évolution de la culture Peul.
Si les sept serments de l'hymne peuvent être considérés comme universels, c'est
leur combinaison spécifique qui en fait un ensemble originel et original dans la
singularité du contenu comme de l'expression propre à la vision éthique et
esthétique Peul. Il n'y va pas autrement car c 'est la la combinaison des notes de
musique qui en fait la singularité du rythme, de l'harmonie ou de mélodie
reconnaissable. Donc les sept serments sont un
tout comme mouvement d'ensemble pour former un Konngol.
D'autres Konngi relatifs aux normes éthiques auxquelles les Peul attachent un
inestimable prix, telles: la pudeur physique,morale et intellectuelle;l e sens inné de
l'honneur; l'esprit de contenance et de resserve; la patience face aux doutes et
erreurs de la vie sociale; existent vraisemblablement. Il y a une logique de
revendication dans d'exhumation de ce patrimoine et de sa réédition, face aux
exigences du présent et de l'avenir.
Ce Konngol est récité devant une statuette en or en forme de bovidé, pour saluer
lever du soleil, face à l'Est, avec les rites gestuels précis, dans la stricte discipline
des sens ainsi que la pureté corporelle et mentale requise. Saluer, c'est plus qu'un
simple geste ou parole de politesse : c'est une adoration du divin omniprésent et
éternel par l'entremise de tous les éléments de l'univers y compris l'humain. Dans
la vision Peul, la salutation est un acte d' adoration de son créateur en passant par
son semblable humain ou bien par un astre. Saluer,
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c'est le condensé de l'attitude de savoir-vivre et de savoir-être Peul face aux lois de
la nature et de la société.
Qualifier ce texte-Konngol de 'pré-islamique' relève d'une convention et de
convenance dont l'intérêt relève de codification chronologique et de
prédisposition idéologique. Ce qui serait vrai mais combien réducteur.
Ce sont plutôt le contenu théologique, le sens éthique et l'utilité pratique du texte
qui comptent. Le débat ne se poserait pas car l'expérience culturelle Peul a eu et
aura à partager un tronc commun de la première religion monothéiste primordiale
depuis la période Rama-Kush ...avec ses dérivées dans les variantes ultérieures des
religions révélées. Une fois convenu qu'il n'y a qu'une seule religion monothéiste
universelle primordiale avec ses diverses manifestations et expressions selon des
expériences spécifiques sans lesquelles on ne
pourrait de parler langue ou de culture, encore moins de ses produits telle la
littérature ou l'oralité.
Le Konngol, le Taalol (Taali,au pluriel) qui se définit comme bréviaire d'initiation à
l'art de vie pastorale, au savoir et au pouvoir politique ainsi que le Fantaŋ qui se
comprend comme poème mythique sous forme d'ode bucolique dont la
préoccupation populaire n'aura privilégié que le support musical instrumental par
le classique air du même nom, ainsi que le Cefol (Cefi, au pluriel) incantation
magique comme connaissance de volonté mobilisant les lois physiques, biologiques
selon les règles de correspondance cosmique, relèvent de la
littérature et de l'oralité sacrées Peul. La musique du Fantaŋ inspire celui qui en
joue et les paroles déclamées engagent ceux qui l'écoutent et comprennent la
portée et l'enjeu du message.
Ces genres sont habillés par la parole sacrée qui, disent les Peul, est divinement
exacte ; il convient donc d'être exact avec elle.
Le Tinndol (Tinndi, au pluriel) se peut traduire par conte, le Daarol (Daari, au pluriel)
roman historique sous forme épique et tragédique ainsi que le Leele (Leeleji,au
pluriel) qui se compose en poème romantique de libre inspiration pour le loisir et le
plaisir, peuvent se simplifier au niveau de littérature ou oralité profane tout en
conservant un tréfonds sacré. Il en est de même pour les Konnguɗi qui peuvent se
comprendre par paroles libres sous forme de dicton, proverbe, déclaration
d'attitude ou d'intention. Les Konngi relèvent du sacré alors
que les Konnguɗi sont profanes sans pour autant être démunis du sérieux.
Tous ces genres se regroupent sous le générique Coñce (littérature et oralité) qui
est une intersection entre le nyenyal (l'art) et le nyeenyal (la sagesse) et qui se
résume par le culte de la beauté au sens propre comme au sens symbolique. Tous
ces genres reflètent les profondeurs de la vision du monde, le cadre normatifs et
les échelles de valeur de la tradition Peul.
Souhaitons et osons espérer que cette contribution, ô combien modeste, saura
interpeller nos enfants à davantage d'ambition d'explorer, avec courage et
méthode, d'autres pans inestimables de cet héritage culturel que nous ont légué
nos ancêtres et que nous transmettrons à nos descendants.
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Konngol Harameeji*¹ Jeeɗiɗi*²
1. Buuɗal yurmeende*3
2. ƴellitiingal e innde Geno*4
3. Yo jam nyallu haa to ciinyciiɗe-ma kaaɗi.
4. Ɓesngu ina e wuro, jawdi ina sarii e ladde harimaaji*5
5. Yo yiitere-ma reen*6
6. Kala ko njeyɗa*7 min coottirii*8 ɗum
7. Biigi*9 baggi, gay dimaaɗi*10 e ƴiiƴam sagataaɓe *11.
8. Minen ɓiɓɓe Fulɓe*12 min ngoondanii-ma *13
9. Harameeji jeeɗiɗi ɗi min pirtataa :
10. Goo: min ngujjataa *14!
11. Ɗiɗi: min penataa *15!
12. Tati: min kulataa *16!
13. Nay: min njanfotaako *17!
14. Joy: min taƴataa ennɗam*18!
15. Jeegom : min pirtataa aadi *19!
16. Jeeɗiɗi: kala ko danyaa ina rennda, min ɗawataa *20 !
17. Min piɓii ɗiiɗoo harameeji jeeɗiɗi ɗi mi pirtataa.*21
18. E laawol pulaaku*22 ngol mi ndoni
19. E Baaba Kikala kam woni maama kala
20. E Neene Naagara*23 kam woni sabu kala.
21. Min piɓii ɗiiɗo harameeji jeeɗiɗi ɗi min pirtataa
22. E barke kosam e nebam.*24
23. Min piɓii ɗiiɗo harameeji jeeɗiɗi ɗi min pirtataa
24. Foroforondu *25 ina seedi
25. Kam woni mawɗo sippooɓe
26. Kam woni mooftuɗo sirru burgal kelli *26, ɓirdugal eeri *27 e lahal baddi *28
27. Kam humpitii ko boloŋ e sumalle kasam kaalata *29.
28. Min piɓii ɗiiɗo harameeji jeeɗiɗi ɗi min pirtataa
29. E yeeso Kuumen *30 kam woni mawɗo aynaaɓe
30. Mo Geno-Dundaari resndi duruunde harimaaji,
31. Caali e beeli e daabaaji wuro e ladde.
32. Kam wakki sirru sawru nelɓi*31 e boogol daɗol,
33. Kam foɓɓii ndurbeele*32, cabbi nay ndewi heen,
34. Kam soggiti koobi*33, forli lelli, billi e tewdi*34 to ladde Tulaa-Heela*35.
35. Min piɓii ɗiiɗo harameeji jeeɗiɗi ɗi min pirtataa
36. E toraade ndokuwal Caamaaba*36 ba bacce kaŋŋe capannɗe jeenay e
jeegom*37
37. Yoo min male jawdi e cellal.
38. Min piɓii ɗiiɗo harameeji jeeɗiɗi ɗi min pirtataa
39. Yo Geno-Dundaari wuurnu-min, suura-min, dannda-min
40. No O danndirnoo ndaw*38 e nder jereende
41. E ngendiije nano e nyaamo*39,
42. Gila njaajeeri cooya*40 haa sahal*41 haa ɓaleeri*42 haa maaje geej*44.
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HYMNE DES SEPT SERMENTS (Version en langue française)
*1. Les termes 'haram', 'ra','mana', 'lah', 'dunia', 'ham', 'him', 'sam', 'kush',' duwa',
'sah', 'wati ,'maa', 'waa', etc., sont des radicaux des substantifs qui relèvent du
glossaire sacré issu de la langue première qui couvrait l'aire géographique du
continent africain, la péninsule arabique jusqu'aux confins du sous-continent indien.
Ils traduisent soit les noms des divinités, soit leurs attributs ou fonctions. Selon les
données issues de recherches de l'archéologie linguistique, l'on comprend que les
langues sémites notamment l'araméen, l'hébreu, l'arabe et le gueze, supports
officiels des institutions des religions révélées (du fait de leur réussite historique et
sociale de portée quasi universelle), n'ont fait que reprendre puis exporter dans le
reste du monde ce fort ancien lexique théologique.
Les Peuls islamisés n'auront que fait que se réapproprier ce qui leur appartenait
pour le réinterpréter. Il ne s'agit pas donc de la soit-disante influence 'arabe'
puisque la culture Peul, à l'instar autres cultures dites nilosahariennes, est bien
antérieure à la vague arabe-islamique et appartient à cette vieille strate dite des
peuples premiers (7500 années avant JC).
Plus précisément, le terme 'haram' se comprend comme jurer devant la divinité
solaire 'Ra'; quand les cultures nilo - sahariennes avaent certainement atteint le
culte solaire, avant successivement les cultes totémique, stellaire puis lunaire. Ce
culte solaire nous rappelle bien le culte solaire 'Ama- Ra' (Dieu-Soleil) qui se
pratiquait aussi dans l'Égypte ancienne.
A noter que les Konngi sont bien antérieurs aux textes des religions
révélées…notamment dans leurs versions indo-européennes de la religion
universelle primordiale africaine-asiatique à laquelle la tradition Peul est un aspect,
à l'instar des autres cultures africaines.
C'est ainsi, par le Yurmeende, le Peul exprime l'honneur et le bonheur d'être
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humain et humaniste en se laissant émouvoir et se guider par le divin. En outre, il
est convenu que c'est par la faculté d'être saisi par la profonde émotion que l'être
humain se civilise car sans elle, point d'art ni de religion. Yurmeende- charité n'est
pas don gratuit ou réception gratuite : c'est une attitude face à la vie qui se traduit
par des paroles et des gestes de compensation qui y sont adjugés. Dans ce sens,
l'émotion dépasse bien la simple catégorie psychologique de l'école euro-centriste,
pour constituer le point culminant de la courbe métaphysique de
l'humain.
*4. Geno, c'est le Dieu Suprême des Peul, le démiurge unique de l'univers. Le terme
'Geno' est le substantif du verbe ''yenndude' = durer éternellement.
Par extension le terme 'Ngenu' se construit du radical 'Gen', signifie l'univers
éternel et tout ce que recouvre le concept 'Dunia' plus restrictif c'est-à-dire le
monde géographique habité. Le terme 'Ngenndi', se construisant par le même
procédé, se traduit par 'patrie' en complément du terme plus générique 'Leydi':
terre, terroir, territoire, espace régional.
Le terme 'Gentu' se construit de la même manière. Il signifie la demeure des esprits
des ancêtres 'awliaaɓe' et se matérialise par les sites archéologiques et historiques
dont l'inventaire topographique, l'évaluation patrimoniale et la typologie par
identification de la toponymie et l'ethnonymie Peul restent encore à faire.
C'est là que réside l'intérêt dans l'usage pratique des textes sacrés comme outils de
support méthodologique et de techniques d'enquête scientifique.
Le qualificatif premier de Geno se comprend donc comme l'Éternel. Le second
qualificatif de Geno est Dundaari . Dundaari et signifie le 'Tout-Puissant'. Il est à
noter que ce terme se retrouve aussi dans les langues du Mande. Ce qui se
comprend par phénomène de transculturation mutuelle ou bien d'un fond commun
vue que le Peul et le Mande font partie du même vieux fond de civilisation négro-
africaine, sans compter qu'ils ont eu à partager souvent les mêmes expériences
historiques.
En outre, le panthéon des Peul comprend: Geno ou bien Geno-Dundaari-l'Éternel-
Tout-Puissant ,créateur de l'Univers ainsi que les émanations de Geno que sont les
divinités et qui ne sont ni des dieux ni des déesses mais des attributs ou bien des
fonctions de celui-ci.
Plus simplement:ce sont, en fait, des lois de la nature et de la société qui y sont
sublimées au niveau du sacré et fixées par des repères intelligibles selon un besoin
de compréhension (science) ou de volonté de contrôle (magie) par les deux bouts
de la voie de l'esprit humain qui opère par le langage des signes ou bien de sons
articulés. Ce n'est par hasard que les Peul affirment que: 'Haala ko diidol' = 'la
parole est gravée'.
Cela implique que l'écrit et l'oral relève de la loi de l'unité des différences. Les
illustrations matérielles de cela sont à chercher dans les glyphes allégoriques ou
magiques des peintures rupestres de l'espace Nil -Sahara, sur les décorations des
calebasses et écuelles, sur les objets d'art pastoral, sur des matériaux d'habitations
et surtout dans la signification des marquages sur les les corps des bovidés.
La religion traditionnelle Peul n'est ni polythéiste, ni idolâtre encore moins
fétichiste, contrairement à ce que l'a voulu faire admettre une certaine
anthropologie eurocentriste. L'intelligence de la pratique humaine veut que l'on
utilise les supports matériels et énergétiques pour interpréter et agir sur les
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émanations du Divin en se conformant à ses manifestions en forme de lois. Pour
cela, il leur faut donner des noms : ainsi les divinités
telles que Tago (nature), Weeyo (espace cosmique), Dumunna (temps)et Kuum ou
Kuus ou bien Kush (Humain Primordial, de petite taille et de grand esprit) en
constituent des exemples courants. La plus fantasmagorique est sans doute
Caamaaba: serpent mythique aux quatre-vingt-seize écailles qui correspondent aux
quatre-vingt-seize types de robes de bovidés connues des Peul du Ferlo.....; il est
gardien des eaux terrestres et célestes, ses demeures étant l'arc-en-en ciel et les
abysses;. Il peut symboliser la fécondité, la prospérité et l'idée d'immortalité de
l'âme et de la mortalité du corps par l'image de la mue du reptile comme
renouvellement permanent, Il fait également partie des monuments symboliques
du panthéon
des Peuls. Il y en bien d'autres divinités telles que Ham, Sam, Dem, Yer, Paat , Del,
Kum, Pen que les Peuls finiront en faire des prénoms (Hammadi , Sammba,
Demmba, Yero, Paate, Kummba, Pennda etc)....quand la cosmographie et la
cosmogonie précèdent et inspirent l'anthroponymie car les cultes totémique,
stellaire, lunaire et solaire se simplifient progressivement dans la liturgie au
quotidien . Enfin, les 'Lareeji'' qui se comprennent comme manifestations des
divinités-lois de la nature et de la société et qui, en interpellant l'intelligence,
l'intuition, l'émotion ou bien la sensibilité de l'humain, forment la strate la plus
familière du panthéon Peul. La religion Peul est donc un monothéisme aux
multiples divinités avec leurs phénomènes manifestes qui constituent les agents
objectifs du destin de la paire humain-bovidé. Il y a toute une tradition de science
et de magie de cela : deux aspects d'une véritable école de mystères qui servent de
soubassement à la religion. Tout ce panthéon s'exprime par la grande écriture à
travers les signes et symboles et par la grande parole.
Il serait donc excessif d'affirmer d'emblée, sans aucune enquête maîtrisée, que la
culture Peul est uniquement orale. L'énigme réside dans le traçage de cette
écriture dans sa forme alphabétique : d'aucuns pensent qu'elle est perdue au
hasard des avatars historiques (guerres, razzia, épizooties, invasions, pillage,
émigrations, etc..), d'autres chercheraient dans les mystères que les initiés
cacheraient encore jalousement. La question reste ouverte.
*5. Harimaaji : les pâturages sacrés sont des zones écologiques spéciales : prairies
aquatiques, ceintures arbustives ou arborées et herbacées autour des points-d'eau
permanents. Elles concentrent sur des aires restreintes, tout ce dont la paire
humain-bovidé a besoin : fourrage à très valeur nutritive, affleurement de strates
de sols salés, variabilité botanique des espèces appétées, abondance de plantes
alimentaires et pharmaceutiques. Ces aires sont mises en défense par les 'Huurum'
: zone naturelle qui 'n'est jamais occupée ni par l'habitat ni par toute autre activité
d'exploitation. Ce type de pâturage sacré est géré selon un calendrier
pastorale d'origine stellaire : il comprend 28 séquences de 13 jours ; chacune des
séquences ayant pour nom une étoile remarquable spécifique. La dernière
séquence comprend 14 jours dont le dernier jour est celui de la veille du nouvel an
des Peul pasteurs. Le mode de gestion des Harimaaji obéit des règles strictement
codifiées, en observant les lois de correspondances cosmo- biologiques, les
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directions cardinales et collatérales, l'état maturité des parcours. Les Harimaaji,
disent les bergers, c'est la rencontre de l'eau, de l'herbe, du soleil et du sel pour
donner le fidèle miroir du pâturage : le lait de qualité. La répartition des bovidés à
l'intérieur des Harimaaji s'effectue selon la projection de scenario céleste : les
bergers et les bovidés jouent le rôle des astres dans une procession de haute
gravité. C'est plus que de 'élevage, au sens habituel mais un culte fort ancien.
L'occupation et utilisation de Harimaaji sont régies par des attitudes totem et de
tabou pour celui qui y pénètre et qui en ressort., comme dans un vrai temple avant
la lettre. Ici, c'est le religieux qui donne la force d'efficacité au droit. Pour les
exigences du monde Peul moderne, une telle cartographie des Harimaaji nécessite
une expertise dans l'interprétation des Konngi - hymnes. Le type de pâturage dit
profane,
tout ordinaire, se désigne par 'Duruunde' et relève de libre parcours tant qu'il n'y a
pas de droit séculier d'exclusion explicite.
*7. Yiitere : l'oeil, au sens propre comme au sens figuré, du disque solaire avec la
double allégorie par la couleur rouge du lever du soleil (Yiite= feu sacré) ) et OEil
symbole de Celui-Qui-Voit-Tout, émanation de l'Être-Suprême, source de la vie.
*8. Coottirii : dérive du verbe 'soottirde' = racheter, au sens propre. Au sens figuré,
peut se traduire par la notion de mérite. Ceci introduit la logique de conscience de
mérite très accentuée dans l'éthique du Peul.
Cela rappelle, de manière plus explicite, la loi d'équilibre au monde et de l'être qui
l'habite : la loi de l'équilibre de l'être-au-monde, selon la pertinente formule 'Neɗɗo
kiɓɓo e Weeyo teeyngo = Personne équilibrée dans un espace d'équilibre'.Toujours
recevoir sans rien jamais donner en compensation, au sens large et au sens profond
du terme, traduit l'ingratitude sociale qui qui fait horreur aux Peul car c'est la
transgression de la loi d'équilibre du monde avant de constituer un aspect de code
social.
*9. Biigi: (Wiige, au singulier), génisse mûre à son premier vêlage. C'est l'un des
meilleurs présents de valeur et d'honneur, comme l'or (symbole de fortune et de
savoir ) pour le Peul qui en donne ou qui en reçoit. Ceci, selon le principe
d'accroissement de fortune physique et de devenir positif du destin.
Les Peuls du Ferlo classifient la femelle du bovidé par l'âge, en la dénommant:
nyalel (velle), nyale (velle sevrée), wiige (génisse) haange ( jeune vache en deux ou
trois vêlages) nagge (vache mûre), rajjawe (vieille vache).
Du point de vue économique et anthropologique, la culture Peul n'a pas
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l'exclusivité de l'élevage, ni du pastoralisme mais elle figure parmi celles qui en
conservent la permanence historique et une signification sociale spécifiques à
l'égard du bovidé. L'évolution de la disponibilité des données historiques montre
que le zébu (Bos indicus) ne provient pas de 'Inde mais une dérivée d'adaptation du
taurin sans bosse (Bos taurus) aux conditions de d'aridification climatique ...tel que
figuré dans les peintures rupestres du Nil-Sahara. C'est
ce zébu qui aura accompagné les peuples africains qui migreront vers l'espace
asiatique (Péninsule arabique, Elam, Hindu-Kush, Ceylan) et non l'inverse. Le
paradigme aryen créa la confusion en caricaturant le culte de la 'vache sacrée' qui
est bien antérieure à l'arrivée des codificateurs de l'Hindouisme). La tradition Peul
a, elle aussi, une expérience d'un culte fort ancien dans la phase totémique :
l'animal ou bien la plante comme support matériel et symbolique du culte
totémique. Le bovidé comme le serpent- 'Njaawa' en sont des
exemples dont l'histoire reste encore à écrire.
En outre, la zoolâtrie n'est pas le culte de l''animal en soi, c'est le culte totémique
par l'entremise de l'animal dans la première expérience du monothéisme qui exclut
toute autre association égalitaire avec Geno- le Démiurge Suprême. C'est l'école
anthropologique du missionnaire avec ses bigoteries et l'arianisation de l'islam avec
ses imams caucasiens (à partir de la période Abbasside) qui ont infantilisé les cultes
africains et asiatiques, avec le syndrome 'idolâtrie' et polythéisme'. Ce qui est non-
sens théologique devant la permanence du monothéisme premier et universel.
L'instrumentalisation des religions dites révélées relève
davantage d'idéologie de projet politique avec son cortège de génocide culturel,
mais certaines élites auront résisté, d'autres pas.
Les principes qui régissent l'art pastoral Peul se retrouvent aussi chez les autres
peuples africains et asiatiques qui se spécialisent dans d'autres secteurs :
agriculture, pêche, chasse, artisanat etc. L'un des principes les plus significatifs est
celui du rapport de consubstantialité c'est-à-dire communauté de destin entre
l'être humain et l'objet de son industrie: le paysan à la terre-divinité, le pasteur au
bovidé, l'artisan à la matière qu'il transforme, le pêcheur ou le chasseur à la faune
aquatique et terrestre. Les Konngi existent aussi dans ces aires culturelles ou
d'activités.
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Dans la littérature épique des empires Peul du XV au XIX siècle après JC, l'école des
Wambaaɓe (artistes instrumentalises jouant spécialement du Hoddu-guitare
tétracorde ou pentacorde) en a fait un genre profane épique très prisé des Peul du
Ferlo, d u Fuuta-Tooro et du Maasina d'où sont originaires les maîtres
traditionalistes ainsi que la thématique évènementielle.
*11. Sagataaɓe (Sagata, au singulier): jeune adulte de 21 à 28 ans. Les Peul du Ferlo
subdivisent la vie active d'une personne mâle en neuf séquences de sept années
chacune. Le Sagata correspond à la quatrième séquence. C'est, dit-on, l'âge de
plénitude physique et la confirmation définitive du caractère (cela peut se
tempérer ou s'accentuer ou se stabiliser avec le concours des circonstances de la
vie mais ne changera plus jamais fondamentalement). En termes de responsabilité
sociale, le Sagata passe du stade de 'Aga'-apprenti de l'art pastoral à celui de
Gaynako- berger plein et de guerrier de choc. C'est à ce stade que les patriarches
repèrent les potentialités ou bien les limites de ce postulant à de haute
responsabilité dans son
lignage ou bien de sa communauté élargie. S'il se développe moralement et
spirituellement, il peut tenter de postuler le niveau d' initié à la sixième séquence
qui se situe entre 35 et 42 ans. Le Sagata constitue donc le plus important capital
humain dans la société Peul. Par extension, c'est le meilleur compliment que le Peul
aime s'entendre traiter de 'Sagata': dans le sens d'être de haute responsabilité,
souvent au prix de sa vie qui, en fin de compte, ne lui appartient pas tout seul.
*12. Fulɓe : (Pullo, au singulier). C'est le nom que les Peuls se donnent eux-mêmes.
Le radical du terme 'Ful' est le nom du peuple et le suffixe 'ɓe' se traduit par 'ceux
du' pour donner le composé 'Ful-ɓe' c'est-à-dire 'ceux du Ful'. Le peuple Ful dépasse
le cadre d'une ethnie telle que le présumait la sociologie coloniale que ne voit en
Afrique que des 'ethnies' et 'dialectes'. Le peuple Ful constitue une nation à unité
culturelle dans une
grande diversité géographique : au bas mot, une cinquantaine de millions de
locuteurs dans une aire de 4, 5 millions de kilomètres carrés, sur dix huit pays
africains (sans compter la diaspora en Europe, en Amérique et au Moyen-Orient). Le
glossaire qui les désigne sous de différentes appellations contient toujours le
radical 'Ful' ou Pul (principe d'interchangeabilité entre les consonnes initiales ou
terminales).
Ainsi , on aura 'Fulani' dans pays anglophones (à partir de la langue Hausa), Fullata
Fulaan, Fellata (dans les langues sémites), Fula pour les lusophones (emprunté aux
langues Mande)et Peul en terminologie francophone qui s'est faite en partir du
terme Wolof qui les désigne par Pël. Autant éviter une aberrante confusion en
fractionnant artificiellement toute une grande nation sous la fallacieuse
différentiation à partir de simples variantes de la même appellation. avec des
enjeux géopolitiques très sensibles et exploitables dans le bon ou mauvais sens.
L'espace de vie ou bien espace vécu des Fulɓe s'appelle Fuuta (ou bien 'Phut' tel
que transcrit dans les textes anciens). Il s'agit du Fuuta originel berceau de la nation
Ful. Fuuta veut dire ' pays des Fulɓe'. Il s'agit du Fuuta originel. Les Fulɓe, suite aux
vicissitudes de l'histoire (notamment les invasions des indoeuropéennes dans la
vallée du Nil et du Sahara oriental) ont naturellement redonné la même toponymie
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et ethnonymie aux nouveaux espaces qu'ils auront à occuper. De la vallée du Nil
aux rives de l'Atlantique on retrouvera les noms 'Fuuta' ('pays des Fulɓe') dans leurs
progression et stabilisation pour reconstituer le Fuuta originel. On aura ainsi, par
exemple: le Fuuta-Kukia, le Fuuta-Kingi, le Fuuta-Tooro, le Fuuta-Fuladu, le
Fuuta-Jaloŋ, etc.
Ainsi, la migration s'est faite d'abord dans le sens Nord-Est vers le Sud-Ouest (Nil -
Atlantique) ensuite dans le sens Ouest-Est (Atlantique-Mer Rouge). Dans la
mythologie de l'épopée des Fulɓe, le point cardinal de repère est le Sud car c'est
l'espace dit de 'main droite et comme 'tête de pont de l'eau et de l'herbe'. La
péjoration climatique aura , en fait , modelé et structuré l'esprit Ful car c'est devant
les défis écologiques et humains que se constitue la survie d'une nation et
qu'exprime sa conscience historique.
La langue des Fulɓe s'appelle le Fulfulde ou bien le Pulaar ou Pulal , selon les
régions, et se subdivise en dialectes et parlers. Les Fulbe nomades bergers qui
voyagent et les initiés qui connaissent bien le 'Fulfulde Mawnde' (la langue
standard) se retrouvent facilement alors que celui qui s'isole dans son terroir ou
bien le Peul urbanisé doit hésiter. Ce phénomène est, du reste, universel dans
toutes les langues.
Les clés pour lire la langue Fulfulde, en graphie latine sont:
-i) Lettres minuscules: a; b; ɓ ( comme dans ɓiɗɗo = enfant);d; ɗ (comme ɗiɗi = deux);
c (comme cakka = collier); e (comme eey = oui); f, g (comme gite= yeux); ɠ (comme
dans ɠabri = tombe, souvent pour les mots d'origine arabe); h, i, j (comme dans
jalde = rire); k, l, m, n, ŋ (comme dans ŋoŋde =somnoler); ñ (comme dans ñaamde =
manger, peut se simplifier en 'ny'); o, p, r, s, t, u (comme dans ummaade= se lever);
w (comme dans waare=barbe) , y (comme dans yaarde = boire); ƴ (comme dans
ƴeewde = regarder).
-ii) lettres majuscules: sont les mêmes, sauf : Ɓ =ɓ, Ɗ =ɗ ; Ɠ = ɠ ; Ŋ = ŋ; Ñ =ñ ou bien
Ny=ny; Ƴ =ƴ.
Les voyelles longues se doublent, les consonnes dites dures se doublent aussi. La
graphie en arabe reste encore à homologuer.
La langue Fulfulde, troisième langue africaine par son aire d'extension, se situant
entre les vingt et trente premières dans la liste des langues mondiales, est une
langue de plus d'une vingtaine de classes et d'une richesse lexicale inouïe pour
supporter tous les concepts de la science moderne et de la technologie moderne.
12
de ses forces et faiblesses, de ses potentialités et limites, des solutions de ses
contradictions, constitue un débat de nature philosophique. Disons, la tradition
spécifique issue de l'expérience singulière des Peuls laisse apparaître la philosophie
qui, somme toute, à l'instar de la science, est d'essence universelle. La culture Pullo
n'est pas moins rationaliste ni plus mystique que les autres cultures.
Le 'Woondoore' exprime donc la valeur, le prix que la civilisation Ful attache à la
vérité.
A cet égard, l'aspect pratique du 'Konngol', c'est de mettre dans un même texte un
condensé exotérique et ésotérique qui renferme, tout à la fois, la théologie, l'art
poétique et la philosophie, pour en faire un instrument à la portée de tous. Tout un
chacun saura s'en servir, selon son âge, son niveau spirituel et son son centre
d'intérêt, en vertu de sa compréhension et de sa conformité avec la chorégraphie
des divinités-lois de la nature et de la société. Le 'Konngol' c'est l'instrument
spirituel de ce pasteur nomade qui se déplace sans cesse avec toute sa
bibliothèque.
*14. 'Ngujjataa': forme négative du verbe 'wujjude' = voler. Voler, c'est la double
honte, disent les Peuls et surtout que l'on pousse la malchance ou bien la
maladresse de se laisser prendre.
Toutefois, le 'Ruggo' ou bien la 'guerre du bétail', autrefois 'le jeu des hommes'
favori des Peuls du Ferlo, ne relève pas du vol. En effet, il y toute un code éthique à
respecter : entre autres principes directeurs, ne pas enlever du bétail à l'insu du
propriétaire ou du dépositaire, ne pas s'en prendre aux personnes vulnérables
telles que enfants, femmes vieillards ou infirmes ou bien toute personne désarmée.
S'écarter de ce code, c'est sombrer dans la déchéance morale et sociale pour se
situer au niveau du vulgaire voleur de bétail. Il y a un ensemble de code juridique de
partage des produits du 'Ruggo' qui n'ont rien à voir avec les razzia-rapine et pillage
caractéristiques des voisins Arabes-Berbères leucodermes, et plus tard, des
exécutants locaux des négriers européens. Ce sont ces règles qui garantissent la
circulation interne du patrimoine pastoral au sein des différents groupes de
lignages. Le lecteur sera mieux édifié par l'oeuvre du célèbre artiste Sidi Mboocel
et ses descendants natifs du Ferlo, dans ses fameux 'Daari'-romans historiques
déclamés au son enivrant du violon.
*16. 'Kulataa': forme négative du verbe 'hulde' = avoir peur au sens physique,
moral et intellectuel. Le peureux n'a pas de visage humain, disent les Peuls. Au
13
contraire, le brave meurt une seule fois afin d'être considéré comme 'immortel' de
ses paroles et actes par la postérité alors que le poltron 'meurt tous les jours' pour
demeurer mortel socialement parlant, aux yeux de ses pairs.
14
de bien des contradictions sociales et politiques.
iv)'Ennɗam jeydal' = parenté d'intégration et ou de voisinage. Quand des membres
d'un groupe de lignage quittent leur lieu d'origine, par accident historique, pour
s'intégrer dans un autre groupe d'accueil, souvent en abandonnant leur patronyme
pour adopter celui du groupe d'accueil. Ceci, soit pour renouveler leur patrimoine
soit pour avoir le droit d'accès aux ressources naturelles. Ce type de parenté est
très fréquent pour reconstituer un grand terroir pastoral ou bien un complexe de
terroir agro-sylvo-pastoral ou bien un terroir halieutique - pastoral.
Ainsi, la technique généalogique parcourt indifféremment le registre de parenté
matrilinéaire ou bien patrilinéaire pour rappeler l'identité du groupe de lignage
avec ses devises et actions d'éclat ayant marqué l'histoire Ful. Tout cela relève du
culte totémique dans sa variante culte des ancêtres dits 'Awliaɓe', d'où le verbe
'awlude' c'est-à-dire évoquer les ancêtres réels ou mythiques par la généalogie
avec le comput du temps historique d'une précision remarquable. Ce qui donnera le
substantif 'Awluɓe' (Gawlo, au singulier), nom d'une caste spécialisée équivalent au
'Jeeli'' dits 'Griots' du monde Mande.
Ainsi, il sera convenu que la civilisation Ful, aura expérimenté une synthèse
originale d'institutions sociales et politiques qui ne peuvent pas toutes relever d'un
simple genre de vie nomade pastoral. Cela signifie que les Peuls sont passés par
plusieurs cycles culturels différents et complémentaires pour constituer des strates
d'une civilisation qui, sous une apparente simplicité matérielle, est l'une des plus
complètes du continent. Cela se confirme par une mémoire collective très dense,
un horizon géographique vaste une histoire profonde et
une métaphysique sophistiquée. Bien que le pastoralisme soit l'essence constante
du Ful, d'autres composantes s'en sont entrelacées pour en faire de civilisation très
structurée dans l'espace et dans le temps.
Ce que l'on voit aujourd'hui dans le Ferlo, c'est une phase simplifiée mais pas
dégénéré d'une ancienne réalité historique et sociale infiniment plus riche et plus
complexe.
C'est le sens plus élargi de cette attitude sociale et éthique : ne jamais rompre le
pacte de parenté, comme solution de continuité pour ne pas rompre cette
extraordinaire aventure humaine de la civilisation Ful par la conjugaison des
différentes formes liens de parenté, condition garantie de survie d'un peuple.
*19. 'Aadi ': Tenir promesse ou respecter la parole donnée. Les concepts 'Aadi' et
'Aada' se complètent pour former la notion élargie de contrat social, au sens large
et au sens fort du terme. 'Aada', c'est la constitution orale et écrite du fait de
civilisation Ful, dans le sens de l'ensemble des principes directeurs qui justifient et
balisent tout un corps de code civil, civique et religieux. 'Aada' ferait penser, par
exemple, à la dite 'Table des Lois', de la tradition judaïque mais il n'est guère permis
d'en faire un produit direct sans une enquête d'histoire des religions certainement
mieux maîtrisée. ''Aada' rappelle aussi le contenu et l'esprit des textes anciens de
l'Égypte pharaonique tels 'les Déclarations d'Innocence', le ' 'Livre de Khunumpu', le
'Livre du Paysan Eloquant', bien qu'aucune preuve tangible n'en fasse la filiation
directe de l'un ou de l'autre. L'hypothèse la plus probante serait de les rattacher au
très vieux
fond éthiopien qui est leur antérieur et dont ils en seraient des héritiers parmi
15
d'autres cultures africaines et asiatiques.
En outre, le culte solaire que met en exergue ce Konngol, fait référence, eu égard à
ce que l'on connaît de la culture Ful actuelle, à certaines propriétés constantes de
l'Aada, telles que:
-L'ordre divin de Geno que reproduit l'ordre astronomique 'Mbeyu' qui modélise
l'ordre social traditionnel :la paix sociale est bien le reflet de l'équilibre cosmique;
-L'idéal de savoir se connaître pour connaître véritablement l'être humain. Il existe
toute une science appelée 'Coorinkaagal' et sa symétrie magique 'Mbileewu' c'est-
à-dire l'art de comprendre et de manipuler le 'Mbeelu' (que l'on peut traduire par
'silhouette vitale' ou bien la substance vitale de l'être humain ou du bovidé). Le
praticien du 'Coorikaagal ' est un Coorinke' appelé parfois 'Siltigi' et le spécialiste
en 'Mbilewu' est un 'Bileejo'
que l'on traduit par le cliché pittoresque de 'féticheur'..... mais c'est une autre
histoire tant qu'il y en a des faux ou bien des vrais ….mais mauvais ou bons, selon
ce que veut et vaut l' interlocuteur;
-Le rite des vertus de base de la vérité, l'esprit de justice économique et sociale,
l'attitude d'harmonie et de contenance, l'acte de solidarité, éprouver de scrupules
devant de grands dossiers de la vie,se concrétisent par la parole donnée ou
promesse tenue.
'L'Aada', comme toute institution humaine qui se réfère à un ordre divin, aura du
traverser bien des exigences politiques et des demandes de configuration dans des
cadres étatiques que les Peul ont construits ou bien ont été associés. Ainsi, s'opère
une typologie en éventail des institutions politiques que le Ful aura eu à élaborer :
-ii) 'Laamu Cori': démocratie élective par délégation des anciens comme électeurs
et éligibles pour représenter leurs groupes de lignages au 'Batu Mawɓe' = Conseil
des Anciens' qui délibère, juge et exécute selon l'esprit de l'Aada. C'est surtout, le
principe légitimité par expérience et de sagesse qui ne repose pas seulement sur
l'âge puisque il exclut aussi bien des anciens qui ne cadrent pas avec les exigences
de la méritocratie ('Mawdo wonaa duuɓi tann' = on n'est pas ancien seulement par
l'âge) qui prévaut;
-iii) 'Laamu Kanankagal': monarchie élective dont le 'Laamɗo Kaananke' est choisi
parmi les lignages qui détiennent davantage de pouvoir et de savoir et confirmé
par des procédures de divinisation: en lisant ce que montrent les robes des bovidés,
16
en interprétant les beuglements et en déchiffrant les marques de sabots des
bovidés comme sur un thème espace-temps. C'est encore la lecture des signes et
symboles qu'exprime la grande écriture de la nature qui suggère aux humains la
voie de l'Aada à suivre.
17
'L'Aadi' peut donc être compris, au sens large, comme une voie juridique-religieuse,
à l'échelle personnelle individuelle en accord avec l'échelle collective-
communautaire, pour la cohésion du groupe, par l'adoration du divin par
l'entremise des divinités. C'est l'esprit qui se projette sur sur la société pour donner
corps à ses institutions. Le serment numéro six de ce Konngol suggère qu'il existe
d'autres Konngi ou d'autres fragments de Konngol relatifs à l'Aadi qu'il serait
nécessaire de chercher et reconstituer le tableau d'ensemble de la constitution Ful,
dans ses constances et variables.
L'Aadi, c'est la monumentalité mythique et pratique de l'Aada par l'obligation de
traduire dans les faits (par intention et action) la volonté de la communauté dite
'Renndo', à travers la charge émotionnelle qu'inspire l'hymne aux divinités : le
serment six est si contractant et si engageant.
Ainsi la rupture du contrat 'Firtude Aadi'', contrairement à l'attente du 'jugement
dernier post-mortem', entraîne une implacable logique de compensation
permanente et inexorable qui engage le fautif ainsi que sa descendance comme il
aura eu a payer pour ses ascendants. L'humain peut être mortel dans un sens
biologique, mais son 'Aadi' ne l'est pas; pas plus que son Mbeelu-double vital
auquel se colle son 'Aadi'. Dans le même esprit, 'Malu'-la-Grâce divine, par la voie du
jugement ante-mortem et du jugement dernier postmortem, traduit une
perception plus complète. L'eschatologie de l'islam qui aura influencé le monde Ful,
insiste surtout sur le côté 'jugement dernier post-mortem (en fait une
simplification de culte Osiris dans l'Egypte ancienne par la tradition juive) alors que
le culte originel considère tout le cycle de l'être humain-au monde.
Le culte totémique de base fait de l'Aadi une signature permanente qui prévaut
dans un cycle
permanent et continue : ce que le Pullo hérite de ses Awliyaaɓe, de sa propre vie et
de ce qu'il transmet à ses descendants, constituent son Aadi-capital moral et le
contour de sa personnalité.
Ainsi, rompre l'Aadi par le manquement à sa parole donnée ou bien ne pas tenir sa
promesse, c'est se mettre hors-la loi Aada.
La conception des Peuls de l'Aadi ne semble pas relever du manichéisme de type
zoroastrien par l'éternel dualisme vérité-mensonge ou bien-mal. Selon la vision du
Peul, Goonga-la-Vérité et Moƴƴere-la-Bonté finissent par triompher, en fin de
compte, en tant qu'aspects du Aadi. Comme toute divinité-loi de la nature et de la
société, elle est, certes démobilisable mais elle demeure indestructible.
L'Aadi ne semble pas adopter d'emblée, la notion de 'péché originel' ou bien de
'paradis perdu qu'il faut retrouver puisqu' il y a une conscience de liberté par le
serment et non une tentation selon la caricature des exégètes des religions
révélées.
L'Aadi ne privilégie pas une une eschatologie de rédemption par la prophétie car
les culte totémique, lunaire et solaire se fondent sur le principe de conservation
permanente spatio-temporelle qui commande l'attitude humaine raisonnée comme
contrat de responsabilité.
18
reconnaissance, la solidarité sont concrètement traduites dans les faits par
l'économie sociale qui opère par les procédures de gestion du patrimoine pastoral
et foncier de capitalisation de forces de travail suivantes :
-i)'Dokkal:' cadeau librement consenti selon les moyens, la conscience du donneur,
la situation de mérite du receveur et les circonstances sociales de l'acte. La
bienséance veut que le principe de réciprocité soit différé dans le lieu, dans le
temps et dans la meilleure discrétion. Il y a des dons en bétail ou en or qui
s'effectuent à chaque étape phare de l'existence du Pullo: au jour du baptême, à la
circoncision, aux fiançailles, au mariage
qui relèvent de l'Aada. Les autres types dons qui illustrent la générosité légendaire
du Pullo se font au quotidien, une forme de circulation du capital-bovin au sein du
groupe.
-ii)'Ndonu ': provient du principe de partage de l'héritage des bovidés qui suivent
les règles de l'Aada auxquels s'ajoutent et balisent les règles du droit islamique. En
principe, personne ne serait lésé, une fois convenu l'accord sur les règles de
partage. La parenté de lait recommande l'attitude de 'Yaafaade' = retransmission
volontaire aux frères et sœurs économiquement moins avantagés par la vie.
-iv)'Diilagol' : quand un Peul délègue à un ami, parent ou voisin une partie de son
troupeau, pour reconstituer ou bien renforcer son capital-cheptel en cas de
d'accident tel que la sècheresse, les épizooties, les les razzia etc.
Le principe du Diilagol s'applique aux animaux qui naissent de ceux qui ont été mis
à disposition mais le capital-cheptel initial revient à son troupeau d'origine. Le
Diilagol obéit uniquement au principe de Aadi.
19
-vi)'Battugol’: quand un groupe de lignage très fourni en cheptel rétrocède
gracieusement une partie de son troupeau à un autre lignage de parent, ami ou
voisin moins fortuné pour permettre à celui-ci de renforcer son capital-cheptel. La
seconde forme de 'Battugol' est la fusion de tous les troupeaux de riches et de
pauvres, chacun sachant exactement ce qu'il possède et seulement les usufruits
sont partagés et consommés en commun, en attendant que le capital du groupe
moins favorisé se multiplie suffisamment pour lui permettre
une autonomie.
*21. 'Piɓiii': provient du substantif 'Piɓol' ('Piɓi', au pluriel). Le 'Piɓol' c'est, au sens
20
propre comme au sens figuré, un nœud de cordelette ou bien de fil de coton
renfermant le souffle de la parole magique ou bien connaissance expérimentale,
formulé à partir du registre des signes et symboles de la grande écriture ou bien la
grande parole. C'est le point oméga de la rencontre, à l'échelle microcosme, de la
mobilisation des divinités lois de la nature ainsi sollicitées. C'est la traduction dans
les faits du 'Woondoore' par l'action du nœud sacré
et fonctionnel.
Aussi, dénouer le 'Piɓol', c'est blasphémer et commettre le pire des péchés, sources
de désordre dans la nature et la société (sécheresse, épidémies, épizooties,
famines, inondations, sauterelles etc.). La culture Pullo ne semble pas privilégier la
notion du 'pèche originel' qui ne s'est superposée que plus tard par l'islamisation.
Elle ne semble pas avoir expérimenté, à l'origine, le messianisme tant que le 'Piɓol''
est une donnée permanente et omnisciente pour cadrer au quotidien, le savoir-être
ainsi que le savoir-agir du Pullo.
Le 'jugement dernier' n'est pas un bilan outre-tombe : il est présent en
permanence, aussi immortel que la mort elle-même.
Le dénouement du 'Piɓol'' engage la personne, en tout lieu et tout le temps à
travers les maillons de la chaîne de son ascendance-descendance. Aucun sceau ou
signature d'inspiration de l'administration occidentale ne peut égaler le 'Piɓol'. Le
'Piɓol'' ne contredit pas le destin, ce qui serait un contresens : sa fonction explicite
consiste à traduire dans la réalité, la conciliation ou bien l'aliénation de l'être
humain face à son destin. Ceci, soit en l'acceptant consciemment ou bien en le
refusant sur la base du serment'-Piɓol'.
Ne pas savoir nouer le ''Piɓol'- preuve irréfutable d'adoration de son seigneur Geno
par l'entremise du culte solaire, c'est rater son l'identité de l'humain tout ayant une
figure humaine 'Neɗɗo kiɓɓo ko jom Piɓol '= 'la personne complète est celle qui sait
nouer le 'Piɓol' c'est-à-dire ne jamais renier les serments pour de simples raisons de
vanité humaine et individuelle.
Enfin, pour un croyant musulman, la ligne numéro 16 de cet hymne, qui revient
comme un refrain dans tout le texte, rappelle bien la récurrente profession de foi.
Ces deux types d'expression traditionnelle et islamique illustrent bien le point
culminant d'une courbe théologique. L'antériorité ou bien la postériorité de l'un
par rapport à l'autre est certes une convenance de chronologie historique mais en
termes d'essence et de sens, c'est la même attitude religieuse,du reste
universelle,dans toute sa gravité.
21
culturelle et cultuelle de l'essence Pullo, et non le considérer comme un simple
animal domestique pourvoyeur de lait et de viande. C'est le droit de l'animal depuis
des millénaires,avant le discours moderne.
*24. 'Kosam e Nebam': Lait et beurre. Une ancienne mythologie des Peuls voudrait
22
que la nature (c'est-à-dire, la matière subtile animée et fécondée par la grande
parole et la grande écriture) soit créée à partir d'une goutte de lait. Ce qui pourrait
prêter à l'étonnement devant les théories évolutionniste ou créationniste : si l'on
convient que les mammifères se situent dans les chaînes les plus récentes dans
l'histoire naturelle des êtres organisés. Alors, quel est le sens de cet énigme
ésotérique ?
Pour une autre histoire, l'expérience des pasteurs du Ful a fait du 'Kosam-lait' un
produit hybride entre la classe des solides ('Kos' = dur, solide) et celle des liquides
('Am' = liquide) pour donner 'Kosam' qui contiendrait la base de toute nourriture,
de tout traitement médical et toute pathologie de l'humain et du bovidé. La
substance concentrée de tout cela à la fois. Le lait, c'est l'image fidèle de la qualité
du pâturage, de l'eau, de la sente menant au pâturage et du confort du parc au
niveau du campement. Rien qu'à l'odeur et à la saveur du lait frais, le pasteur est
édifié sur le parcours quotidien de son troupeau. Le lait, c'est le livre de la nature
ouvert devant le pasteur, c'est 'indicateur de la bonne gestion de son cheptel et du
sérieux de son art pastoral. Tout l'univers des Peuls du Ferlo et du Fuuta Tooro qui
élèvent l''espèce zébu Bos indicus gobra, se condense autour de la notion 'Kosam'
dans ses différentiations pratiques et au sens mystique.
Le lait frais possède de différents noms selon les qualités et usages précis :
-'Kandi': lait de couleur jaunâtre de trois ou six premiers jours après vêlages, trè s
nourrissant pour les enfants et personnes âgées ou bien de faible constitution;
-'Kosam keccam':lait de trois ou quatre premiers mois après vêlage. Plus quantitatif
que qualitatif, en général une bonne partie est laissée à la tétée du veau ou de la
vêle pour sa croissance accélérée;
-'Kosam yaaknunge' :lait de deux ou trois ans après le vêlage. De très faible
quantité mais très concentré en teneur alimentaire et en de saveur agréable. C'est
le meilleur des laits de consommation domestique, celui qui est offert aux visiteurs
de marque. L'équilibre est atteint car le veau ou la vêle alterne brouter et téter ;
-'Kosam sogum':lait destiné uniquement aux veaux et vêles pour leur croissance
exclusive, notamment aux futurs taurillons pour devenir de bons reproducteurs
sélectionnés surtout à partir des qualités laitières de leur génitrice.
Le lait caillé donne la typologie suivante :
-'Kosam mbaggam': lait des premières heures après traitement. Le lait s'est
concentré en se caillant mais n'ayant pas encore la saveur âpre;
-'Waalnde':lait du second jour après traitement suffisamment écrémé et pas très
amer. En se concentrant en un seul bloc blanchâtre certains l'appellent 'Wulsere'
quand il est mûr pour être battu à la mouvette pour donner le lait caillé écrémé
dans sa pure forme;
-'Ittaaka waɗtaaka': c'est le lait caillé dans sa forme originelle, auquel on n'a ajoute
ni eau ni aucun autre corps chimique et très visqueux. C'est ce lait qui est souvent
destiné à usage externe dans le cadre d'économie domestique d'échange (par
exemple contre le mil et autres denrées alimentaires). Cela relève d'un tabou d'y
ajouter de l'eau pour en augmenter le volume de manière artificielle. Cette
pratique est aussi peu recommandée par la morale musulmane.
-'Dubbe daro':lait caillé super concentré de plusieurs jours. Ce type de lait est très
prisé pour la fabrication des dérivés de lait pour la nourriture de bébés et des
cosmétiques pour les élégantes femmes Peuls.
23
Cet artisanat laitier et pastoral s'étiole sous la concurrence des produits laitiers
importés. Consommer et ne pas savoir produire ce que l'on consomme au quotidien
est un signe de dépendance économique et sociale.
Alors que la classe sociale éclairée des pays exportateurs occidentaux remprunte le
chemin inverse: vers la culture biologiques comme savent le faire les laitières Peul.
Le lait et l'or sont considérés comme les réceptacles du savoir et de la bonne
fortune,au sens réel comme au sens symbolique, selon l'adage 'Kosam rufeetake,
Kaŋŋe wedetaake' = 'l'on ne verse jamais volontairement le lait comme on ne jette
jamais l'or'. Certains maîtres-bijoutiers, clients de certaine grandes familles Peul, se
servent du beurre des vaches du patrimoine familial hérité ('nay suudu baaba') lors
de leurs rites de confection des bijoux en or. L'or et le lait constituent les supports
matériels de sacrifices qui plaisent le plus aux divinités, dit-on. Tels sont les usages
et les puissantes émotions qu'éclairent les vertus du lait et du beurre, par
lesquelles jurent le Pullo dans des circonstances aussi tragédiques sans pour autant
être
tragiques que de devoir prêter un serment devant la mise en scène d'un rite
religieux. D'autres peuples voisins auront recours, sur le même principe, par
exemple, au sel, à la cola, aux cauris, au tabac, au mil ainsi qu'à l'or dans le multiple
support des vertus de valeur d'usage, d'échange, de savoir et de religiosité.
*25. Foroforoondu: femme Pullo, fille de Mawnde = 'le Patriarche', est la sainte-
patronne des laitières Peul.
Dans le panthéon Ful, Foroforoondu est considérée comme la dépositaire de tous
les secrets de l'art pastoral domestique. Elle est la gardienne sur terre de l'espace
de vie domestique qui est une réplique en miniature du cosmos et de la
cosmogonie des Peuls. Ainsi, dans l'architecture physique et symbolique, dans le
campement que gère Foroforoondu, chaque élément, chaque objet, chaque
ustensile se trouve placé là où il
faut et orienté exactement dans la direction qu'il faut. Rien n'est fixé et laissé au
hasard, ceci pour former un tout cohérent aussi bien sur le plan structurel que
fonctionnel.
Ce campement idéalisé, c'est l'assemblage logique, selon les règles d'ordre; de
simplicité sans être simpliste (pour une société en déplacement);de justification
pragmatique comme dans la symbolique d'orientation; de proportions des
dimensions (case, corral des veaux, parc des vaches laitiers, espace séjour des
humains, corral des génisses et taurillons, arbustes rituels, parc des grands
animaux, );de symétrie avec les autres éléments du village physique qui obéit à des
règles de correspondance cosmologique. Tout cela, pour le besoin de sociabilité de
la paire humain-bovidé. Sa personnalité résume les qualités idéales fondamentales
de la femme Pullo: beauté, bonté, fécondité, porte-bonheur qui se trouvent
symbolisées par les quatre points cardinaux de l'espace lesquels illustrent les
quatre 'femmes' que tout homme doit consulter dans des grandes décisions de la
vie:sa mère, sa compagne, sa soeur et sa fille majeure. Fororoondu marque une
idéologie de reconnaissance de la femme dans tous ses droits et devoirs dans les
institutions sociales, politiques et religieuses.
Ainsi, force est de souligner le rôle primordial de la femme, à l'image et par
l'exemple de Foroforoondu dans l'échelle de valeur sociétale de la culture Pullo.
24
Ceci, sans avoir à plonger dans l'abîme ténébreux du machisme patriarcal ou bien
dans l'amazonisme revanchard indo-européen qui constitue son pendant.
*26. 'Burgal Kelli':' Burgal' = mouvette , instrument apparemment très simple qui
sert à battre le lait caillé pour en faire du liquide visqueux très écrémé. La
mouvette est l'instrument pastoral que l'on pense l'un des plus sacrés: c'est le
double de la personnalité physique et fonctionnel de la femme Peul, par l'élégance,
la beauté et l'utilité , dit-on.
Elle est taillée à partir d'une branche de l'arbre Kellli (Grewia bicolor) après des
rites et incantations appropriés. Normalement c'est un membre ou ami de la famille
qui confectionne la 'Burgal', en insérant deux baguettes en croix et les reliant à la
manche par des fibres du même arbre ou bien avec du fil de coton. Il y a des tabous
liés à l'usage de la 'Burgal'. Elle n'est jamais trempée dans aucune autre matière
que le lait.
Après usage, elle est soigneusement nettoyée, quatre fois rincée et mise dans un
endroit sec sans aucun risque de souillure possible. Elle n'est jamais mise à coté du
récipient de lait, après usage. Elle est toujours tournée vers le haut, vers le ciel et
jamais vers le bas quand on la transporte. Elle se manie avec précaution et respect
comme tout instrument qui relève de l'utile et du sacré.
Le Kelli (nom botanique: Grewia bicolor) est une espèce arborée de la famille des
tiliacées avec une très amplitude écologique dans les zones de steppes,de savanes
et de forêts claires. A l'image du bovidé, on utilise toutes les parties du corps 'alaa
ko woppete e nagge , alaa ko woppetee e kelli' '= du corps du bovidé tout est utile
comme il en est de l'arbre Kelli'. C'est le cèdre du méditerranéen, le bambou de
l'asiatique.
Presque tout l'artisanat domestique du Peul repose sur l'usage du Kelli.
L'autre variante de la 'Burgal' est la 'Sirgal' de taille plus grande et qui n'a qu'un
seul bâtonnet pour faire deux manchettes seulement. La 'Sirgal' était plutôt
utilisée par les femmes Peul initiées à l'art pastoral sacré mais il commence à se
raréfier,sauf chez certains rameaux des Peul Bororo du plateau nigérien central
25
ceux du plateau de Jos-Bauchi, là où l'islamisation et le modernisme ont moins
d'impact.
*27. Ɓirdugal Eerii : seau à traire du lait pouvant contenir 3 ou 4 litres, taillé sur le
tronc l'arbre Eeri (nom botanique: Sclerocarrya birrea), arbre des sommets des
plateaux dunaires. En plus de sa haute valeur nutritive pour les bovidés, il constitue
une très ample gamme dans la pharmacopée humaine et vétérinaire des Peuls.
Entre autres, contre la morsure des serpents tout comme substance de support
magique pour le traitement contre les morsures de serpents. Sa sève constituait la
boisson enivrante favorite des sénégambiens avant les liqueurs modernes. En fait,
l'Eeri est le bois d'oeuvre de base pour l'artisanat domestiques pastoral (mortier,
pilon, meubles,etc.) car très résistant aux termites. Excellent restaurateur des
sols dégradés. A noter que beaucoup de scientifiques modernes s'intéressent
davantage à cette espèce arborée, découverte depuis la nuit des temps par les
africains.
26
Ce fut une civilisation complète avec d'autres ethnies qui y sont consubstantielles
tant du point de vue historique que d'anthropologie sociale.
Civilisation complète veut dire: un complexe de chasse, de foresterie, de
techniques et de science halieutique continentale, de maîtrise agronomique,
d'artisanat extractif et de transformation, de commerce de longue distance et
d'érection des villes dans des cirques montagnards, le long des cours d'eau fluviaux
et lacustres.
Ces témoins, sous forme de sites de peuplement archéologiques, de gravures et de
peintures rupestres, ne demandent qu'a être réinterprétés dans dans la logique de
ceux qui sont les héritiers spirituels et généalogiques de ces grands acteurs de
l'histoire de l'Afrique. La vigilance et la prudence épistémologique sont de mise.
Ces matériaux historiques se lisent mieux avec l'esprit de ceux qui les ont produits
et non avec celui des académiciens occidentaux qui en font des codes échafaudés
sur des enjeux idéologiques et politiques.
Civilisation complète veut dire un esprit de pastoralisme qui réinterprète les autres
aspects de genre de vie, dans le même sentiment de vie négro-africain. En quoi ce
qui est visible aujourd'hui dans les paysages ruraux des aires du Sahel-Savane, c'est-
à-dire la symbiose pastoraliste et les autres activités, serait-elle si différente de
celle qu'on connue leurs ancêtres du Sahara-Nil? C'est la même continuité
historique (avec des flux et reflux évidents) et sociale allant de l'Atlantique à la Mer
Rouge, avec des strates qui ont toujours coexisté. C'est dans ce sens que
s'expliquent les 'énigmes' de la question de l'origine des Peuls. Si toutefois la
question est, certes, pertinente en soi, mais c'est plutôt le problème qui est mal
posé ?
Le pastoralisme qui définit le Pullo, c'est la sublimation spécifique de l'ensemble de
l'expérience africaine de civilisation par l'entremise du bovidé qui en constitue le
vecteur de diffusion culturelle transcontinentale. Des dynamique d'évolution ne
justifient pas le réductionnisme voire le négationnisme.
La civilisation Ful, multi-ethnique de vocation, a toujours pu jouer sur deux registres
antagonistes et complémentaires : le nomadisme (Ferlu) et la sédentarisation
(Sincu). La civilisation complète par le nomadisme aura besoin du bovidé Bos
africanus qui évoluera en Bos indicus, grand marcheur, rustique et de grande
plasticité zootechnique pour coloniser de vastes espaces fourragers et élargir
l'horizon de l'espace vital du Pullo.
La civilisation complète par la sédentarisation, pour se stabiliser le long des grands
fleuves historiques du Nil, du Niger, du Sénégal, aura construit des cités au
carrefour des points de rupture de charge du commerce transcontinental. Pour
cela, il a fallu de la graine, de la métallurgie et des des modes de gestions foncières
des ressources naturelles, donc un communalisme multi-ethnique, en un mot, une
fédération de cites-états (Saareeji).
Le Pullo aura donc su bouger quand il le faut ou bien s'arrêter pour se fixer au
moment où il faut à l'endroit propice pour créer un espace d'équilibre qui ne fut
pas ethnocide.
Il importe de remarquer un fait historique : pourquoi les Peul se sont perdus au
nord du Sahara (dans l'actuel Maghreb, la Cyrénaique,la Tripolitaine et le Fezzan)
alors qu'ils ont pu survivre sur une profondeur historique considérable en Afrique
au Sud du Sahara? Cela fait penser à la même mésaventure qui frappa l'Égypte
27
pharaonique, la Nubie et le Massif Éthiopien : les coups de boutoir des peuples
caucasiens venus de l'est et du nord tels les Hyksos, Perses, Grecs, Romains,
Vandales et Turcs-Mamelouks. En termes clairs : comment le
Maghreb s'est progressivement 'dénégrifié' pour se blanchir ou se métisser !
*29. Pratique de divinisation par interprétation des signes acoustiques que fait le
lait dans les différentes phases de sa transformation, surtout quand il est en
contenu dans la gourde ou bien dans l'outre. Les femmes initiées sont celles à qui
'l'on a ouvert les oreilles':'Noppi mawɗi = grandes oreilles' dans le sens de
clairaudiantes et clairvoyantes, savent écouter le signal sonore puis en comprendre
le sens.
La capacité de déchiffrement du langage de signes et des symboles peut s'acquérir
par le don mais elle se structure mieux quand elle est adjugée d'initiation qui
comporte le volet éthique pour mieux cadrer et donner un sens humaniste et éviter
les pièges d'une aptitude mal orientée et mal intentionnée, La divinisation par le
lait se complète par d'autres formes et moyens :les cris des animaux dans certaines
circonstances graves (maladies, guerre,sècheresse, etc.), l'ombres des nuages et
par des lecture géomantique('Leydi fenataa '= la terre ne ment jamais'). En un mot,
tout s'exprime dans l'univers du Pullo qui se veut le vrai intellectuel d'abord dans sa
culture. Le baobab s'élève plus haut quand ses racines s'enfoncent plus
profondément, dit-on dans les cultures sénégambiennes.
*30. Kuumen : dans le panthéon du Ful, Kuumen est l'époux de Foroforoondu. C'est
le saint-patron des bergers Peul. Il joue sur le registre des composantes de l'art
pastoral et de la religion pastorale dans la haute brousse et la forêt. IL gère le
domaine physique et symboliques qui circonscrit celui que gère Foroforrondu:
les points d'eau, les pâturages, les sentes, les parcs arbustifs et arborés, la faune
sauvage notamment toutes les espèces issues de familles des bovidés et ovidé s
considérées comme les doubles de leurs cousines domestiques.
Le terme Kuumen pourrait-il provenir de la contraction habituelle de la langue
Fulfulde à partir de deux mots pour en faire un mot composé : 'Kuus-Men'= 'Notre
cher petit bonhomme' ? : comme allusion évidente au mythique initiateur
primordial de l'aube des temps historiques c'est-à-dire la période Kush-Rama
(religion primordiale universelle ayant pris naissance aux sources du Nil, autour des
Grands Lacs) ?
Il y a des voies possibles à l'initiation aux connaissances et à l'art pastoral. Soit en
franchissant les douze degrés auprès du maître-initiateur ou bien en intégrant une
confrérie secrète soit en ayant la grâce de rencontrer l'esprit de Kuumen qui aurait
suggéré l'évènement, étant certain des prédispositions du candidat.
Toujours est-il que Kuumen est un être mythique sur fond historique qui fut l'un
des ces grands prêtres de la période Kush-Rama dont l'esprit se réincarne de
génération en génération. A noter que la notion 'Kuus' désigne un personnage très
familier dans les contes des peuples d'Afrique. Quand des peuples savent inventer
des contes (le point culminant de tout esprit de civilisation quand celle-ci exprime
son expérience spirituelle), cela signifie que le cycle culturel est arrivé à maturité.
Ainsi le personnage 'Kuus', qui se traduit par petit bonhomme, fils cadet, espiègle,
paillard, malicieux et très sage, est très populaire dans les contes
28
africains. Le conte, c'est le condensé de la cosmogonie du peuple et se comprend
de manière différentielle à tous les niveaux. Pourquoi les personnes modernes ne
savent plus inventer des contes pour avoir du mal à saisir la notion de Kuus ou
Kuumen?En se situant en deçà l'apogée de l'art et de la religion?
En reproduisant le type idéal de pasteur Peul dans le sillage de Kuumen, la vie se
module en étapes successives suivantes :
- 'Gaynaako' = berger ordinaire, entre 21 ans et 28 ans. Il évolue tout seul dans la
haute brousse avec une centaine de têtes. Il peut exécuter tous les travaux
ordinaires de l'art pastoral.
29
'Manna,' existent également chez les peuples Nilotiques et d'Egypte pharaonique.
Ces personnages ont eu à traiter avec des prophètes, sans en être, ainsi qu'avec des
pharaons, empereurs ou rois. L'histoire des Peuls s'explique aussi dans les
traditions
des autres peuples africains qui peuvent souvent lui servir de réflecteurs. Seule une
chronologie comparative permettra de replacer ces personnages historiques pour
devenir mythiques dans une trame chronologique définie et dans une aire
géographique précise. C'est déjà une voie intéressante de recherche par-delà de la
noble ambition qui se focalise souvent uniquement 'sur l'origine des Peuls
...thématique en soi importante et
passionnante certes mais pourquoi l’hypostasier ?
*31. Sawru Nelɓi = bâton de berger taillé, après incantation rituelle, sur les
branches l'arbre Nelɓi (nom botanique : Diospyros mespiliformis, souvent appelé
ébène d’Afrique). C'est un grand arbre qui pousse dans les bas-fonds des forêts
claires ou bien le long des vallées alluviales. Le bois est très dur et résiste aux
termites alors que l'arbre pousse souvent bien tout près des termitières. Cette
espèce arborée est l'hôte prisé des abeilles pour constituer une réserve importante
de ruches. Il est aussi connu dans la pharmacopée vétérinaire et humaine comme
un puissant antibiotique (les décoctions d'écorces et de racines) et microbicide
efficace pour la prophylaxie du bétail. Il est très utilisé dans traitement traditionnel
des maladies infectieuses.
Le bâton du berger peut aussi se tailler dans les branches du Kelli (Gewia bicolor)
mais le Nelɓi passe pour être plus solide, et peut servir de redoutable arme de
défense du Peul contre personnes et animaux carnassiers. Le bâton de berger est
plus qu'un accoutrement utilitaire : tous les secrets de l'art pastoral dévolu aux
hommes y sont associés. C'est un instrument sacré avec tous les rites de totem et
tabou qui sont afférents : ne jamais sans séparer volontairement sans accomplir le
rite de purifications ;le laisser toujours dans un endroit propre. Le plus grave des
actes de serments c'est quand le berger jure sur son bâton de pâtre, comme l'aurait
fait le soldat sur le drapeau national ou l'emblème du régiment. Le bâton de pâtre
est ce que représente la Burgal ou la Sirgal pour la femme Peul. A l'initiation,
l'heureux élu reçoit le bâton pâtre après que le code secret du vrai nom du bovidé
lui fut révélé. Alors il ne manquera jamais de bétail dans sa vie puisqu'il peut
interpréter les signes des divinités pour interpeller le bovidé par son nom magique.
C'est, certainement, une des clés possibles d'explication de la survie d'une telle
culture qui ne meurt jamais dans
l'adversité, en dépit d'un outillage matériel fort léger mais d'un niveau de
sophistication inégalable. Ce bâton de pâtre, support de savoir, de savoir-faire et
de savoir-exister, créa de vastes paysages de géographie humaine comme berceaux
de systèmes de production et circulation des complexes d'agro-sylvopastoralisme
qui dépassèrent les frontières dites modernes,en fonction et en signe de solution
de cohabitation avec les autres peuples.
30
connaissance et la richesse Une conception purement biologique donnerait une
réponse trop superficielle et étroite . La mythologie offre une approche idéaliste et
idéale du phénomène zoologique dans la mesure où, dans la vision des vieilles
cultures, le sens du réel contient et dépasse le sens du fait. Il ne s'agit pas d'une
étrange anomalie génétique. Les attributs de Ndurbeele traduisent, à un autre
niveau de lecture, les onze symboles mâles et onze symboles femelles que cette
culture de pasteurs se fait de la notion 'Jawdi'. Le concept 'Jawdi' désigne en même
temps le cheptel et la fortune. Le sens de ces symboles se révèle ou bien se vit au
cours de long voyage initiatique dont peu s'en tirent, dans ce redoutable royaume
de l'ésotérisme.
Ndurbeele, c'est aussi un exemple de principe de l'unicité de la divinité temps :
diurne-nocturne, positif négatif, vrai-faux, clair-obscur, chaud-froid etc. Ce qui se
traduit par la loi universelle de l'unité des contraires dans tout, et en tout et qui
s'illustre par une norme matérielle et spirituelle de peuple de pasteurs.
En outre, ce vers laisse deviner un autre Konngol ou bien d'autres Konngi
spécialement dédié au culte solaire à l'instar du culte du taureau d'Apis mais rien ne
dit lequel est postérieur ou antérieur sinon une identification certaine de l'image
de Ndurbeele dans les peintures ou gravures rupestres du Sahara- Nil. Dans ce cas,
ce seraient les Peul et les autres peuples nilotiques, proto-couchites et proto-
sémites (des négro-africains d'origine pour se métisser progressivement) dérivant
d'un tronc commun plus ancien à partir du Rift Valley et du Bassin du Nil pour se
déverser sur le reste du continent africain, qui fourniraient ce type de canevas
théologique au reste du monde.
La tentation de rattacher ce culte de tradition Ful à celui du Veau d'Or de la
tradition judaïque, ne tiendrait pas la route, du point de vue de logique
chronologique, puisque l'on sait que l'aventure judaïque n'a fait que recopier, de
manière caricaturale, la tradition du culte solaire par le rite du Temple d'Apis
(Taureau d'Apis).
Ainsi, il s'agit d'une suggestion que les Peuls se servent de l'image du bovidé dans
ses différentes figurations réalistes et symboliques, comme écriture pratique pour
exprimer leur compréhension de l'univers par l'art poétique qui tourne autour de ce
qu'ils connaissent et s'identifient le mieux au monde : la paire humain-bovidé
comme cosmos en miniature.
31
les sites des gravures et peintures rupestres. Cela traduit également une fonction
de conservation de la faune domestique par l'entremise de la faune sauvage.
*34. Biche, gazelle, oryx et autres espèces d'antilopes furent l'objet de chasse
sélective bien avant la domestication du Bos africanus et du Bos indicus.
La civilisation Ful du Sahara-Nil fut d'abord celle de la chasse pour coexister ensuite
avec celle du pastoralisme qui lui donnera son identité définitive. Les mêmes
écosystèmes de zones de savanes arbustives tropicales, de savanes boisées et de
steppes des flancs des massifs montagneux furent sensiblement les mêmes que
ceux que l'on retrouve présentement au Sud du Sahara.
Le pastoralisme et la céréaliculture le long des vallées alluviales n'ont pas
supplanté la chasse aux bovidés sauvages mais mais l'ont réorienté comme
complément nutritif et comme base du totémisme (les clans patronymiques et
territoriaux se partagent la division du travail par préservation spécifique des
ressources cynégétiques et les formations végétales qui les supportent).
Les mêmes écosystèmes se répètent plus au sud du Sahara, notamment dans la
zone Sahel- Savane allant de l'Atlantique à la Mer Rouge portent, depuis des
millénaires, les mêmes types de terroirs de chasse. Il s'agit, pour l'essentiel, d'un
aspect de l'application de la culture de chasse et de pêche magique de la faune des
bovidés sauvages et de la faune aquatique (notamment le lamantin et
l'hippopotame). Les cornes des bovidés sauvages sont les meilleurs supports de
pratiques magiques depuis des millénaires. Les preuves édifiantes se retrouvent
dans les peintures et gravures rupestres du Sahara-Nil et suggèrent un style de
haute magie quand on domine la nature par l'esprit (puissance de la volonté) avec
un très haut niveau
d’abstraction : la toute-puissance des signes comme glyphes magiques qui sont à
ajouter au grand répertoire du système d'écriture de la culture Ful.
Il convient de s'interroger sur la durabilité de cet art religieux par ces mises en
scène d'un modèle d'organisation d'espace pastoral équilibré à double composante
sylvo-pastorale. En effet, les massifs gréseux du Fuuta-Jaloŋ, de Banjaaŋara, du
Bauchi-J o s et les contreforts de l'Adamawa, présentement peuplés par des
groupes Peul et qui présentement les conditions géologiques et
paléobiogéographiques du Sahara-Nil quand cette zone était semi-humide,
n'offrent plus ces gravures et peintures rupestres comme de véritables temples
d'art pastoral et religieux. Que s'est-il passé au juste ? L'islamisation, somme toute
trop récente, dans un excès de zèle prosélyte, serait-elle prise en défaut ?
Cependant, la tradition de l'islam africain
avait bien, somme toute, repris à son propre compte, cette ancienne connaissance
qui s'est bien perpétuée dans le culte stellaire sabéen, berceau immédiat de la
tradition islamique. S'agit-il plutôt d'une révolution zootechnique quand le Bos
indicus remplace progressivement le Bos bubalus ou Bos primigenius et quand la
civilisation du Ful évolue plutôt dans les basses plaines des bassins sédimentaires
des fleuves Sénégal- Gambie, du Niger-Benue, du Lac Tchad et du Moyen Nil ? Les
signes et les symboles de la grande écriture et de la grande parole se fixent alors
sur des supports plus légers : marquage sur les corps des bovidés,
décoration les objets utilitaires, motifs et griffes sur tissus, les thèmes
géomantiques ainsi les cornes gravées de bovidés sauvages, persistent toujours.
32
*35. Tuula Heela: l'expression 'Ladde Tuula Heela' désigne,dans le langage
familier, la haute brousse ou bien la grande forêt touffue. Au sens mythologique,
les termes tels 'Dunia' (grand espace de géographie culturelle) et Beeli Daari
(grandes cuvettes inondables ou bien grands lacs ) constituent les noms de lieux
historiques, point de départ de ce que l'on pourrait appeler ' la route du bovidé'
comme qui dirait la route de l'or ou bien la route du sel ou bien encore la route du
coton qui jouèrent un rôle déterminant dans les civilisations africaines et
asiatiques.
L'une des plus grandes tragédies de la civilisation Ful fut que sa mémoire
toponymique fut amoindrie du fait de l'invasion des 'peuples de la mer': soit à partir
de la Mer Rouge soit à partir de la Méditerranée, qui effacèrent bien des noms de
lieux topographiques et sites historiques des Peul pour les remplacer par une autre
toponymie . Ceci, soit en les déformant soit en les substituant par leurs propres
noms.
Aussi, seuls les Konngi, en plus du concours des sciences connexes telles que
l'archéologie linguistique, la paléogéographie, l'anthropologie, l'astronomie
historique des anciens sites mégalithes et l'étude comparée des religions, peuvent
fournir une interprétation et une reconstitution de la mémoire de cette culture
pasteurs du Sahara-Nil et , aujourd'hui de Sahel- Savane-Soudan.
Ceci, pour corroborer l'assertion des Peuls de l'Ouest du continent qui disent venir
de l'Est du continent africain ainsi que celle des Peuls de l'Est qui affirment que
leurs ancêtres proviennent de l'Ouest du contient : c'est cela la route du bovidé.
Alors, quels sont les tracés, les carrefours, les directions, les séquences historiques
et leurs significations dans le devenir de la civilisation Ful?
Autant fournir quelques pistes de recherche ultérieures se fondant sur les acquis
de fond issus des matériaux de sites des peintures rupestres et monuments
astronomiques et astrologiques qui parsèment le continent africain c'est-à-dire les
sites archéologiques en allant de la Mer Rouge à l'Atlantique. Une classification par
la méthode spatio-temporelle dite de morphologie culturelle des sites historiques
du Ful , allant du Nord-Est vers le Sud-Ouest, puis du Sud Ouest vers l'Est ,
donnerait grosso moto:
-i)Les sites de Nabta Playa, Dakla, Gelf Kebir , Dakla, Uwainat (Egypte moderne
occidentale, jusqu'aux confins de la Libye moderne orientale) : les termes sont
complètement 'arabisés'. Il s'agit des anciens lacs et ceintures boisées et herbeuses
adaptées au mode de vie pastorale. Des preuves de mégalithes à usage
astronomique et religieux des cultes totémique, stellaire, lunaire et solaire tels que
suggère le terme ancien Wati Dunia (espace habité par des humains) ou bien 'Beeli
Dari' (ceintures des lacs et zones de complexes pastorales) correspondent à la
notion mythique et, plus tard, eschatologique de 'paradis terrestre'. Cela se
comprend en sublimant une réalité socioéconomique et écologique d'oasis
paradisiaque mais sur terre et non dans l'au-delà. Ce vieux terme sera hellénisé puis
latinisé en mot moderne 'oasis': à l'origine ce terme n'est ni indo-européen ni
sémite.
La même série de types de sites descend plus au Sud le long du bassin du Nil pour
donner une strate plus ancienne qui n'est pas uniquement Peul mais d'un tronc
33
commun avec les autres cultures. Plus tard, ce seront des fédérations de groupes
de lignages qui évolueront en formations sociales et politiques contemporaines
aux nomes de l'Egypte pharaonique pour s’identifier comme Fuut (hellénisé en
'Phut' dans les textes anciens, alors que la consonante originale demeure). A 'Phut
'se rattache une entité générique 'Kamit' désignant l'ensemble du bassin du Nil. Il
est plus certain que les gens du Fuut ne descendent pas directement
des anciens égyptiens mais qu'avec ces derniers, ils proviennent tous, à l'instar des
autres nilotiques, plutôt d'un tronc commun plus ancien. Suite à la péjoration
climatique (actuellement ces sites se trouvent dans les zones les plus arides du
globe), des rameaux de peuple Ful vont glisser vers la vallée du Nil, plus viable
tandis d'autres vont essaimer dans les contreforts orientaux du Tibesti, de l'Ennedi
de l'Air et de l'Ahagar plus propices à l'élevage d'altitude.
-ii) Les sites du complexe des Tassili, de l'Ahagar et Fezzan des peintures de
pasteurs-chasseurs : In- Guezzan, Tamrit, Tin-Abu-Tekka, Tin-An-Tazarif
(actuellement en langue Berbère) et ceux de Jabaren, Garama, Sefar, Tadmekka
(Tenkamenin en langue proto-Mande) prouvant que les gens du Ful ont bien
cohabité avec d'autres peuples africains. Il s'agit d'un type de sites de villes
épousant la topographie naturelle des couloirs de vallées montagnardes et des
grottes immenses. Des premières villes 'naturelles' dont les grottes taillées servent
es temples recèlent d'immenses tableaux d'art religieux représentant soit les
élément
du panthéon ou bien des scènes de liturgie ou bien des cérémonies d'initiation. Les
personnages offrent des différents types de teintes : du 'bodeejo' (teint clair), du
'ɓaleejo' (noiraud) et du 'naawo' demi-teint que bien des savants occidentaux
aimeraient classer en de différentes races humaines qui seraient des 'Blancs à la
peau noire' ou bien des 'Noirs à la peau blanche'.....sans commentaire! Les produits
qui servent à la peinture de cet art sont les mêmes que ceux qui sont utilisés dans
la palette des produits sacrés chez les Peuls: gomme
d'acacia, lait caillé et ocre gréseux. Tous les types de genre de vie pastorale,
cynégétique, halieutique et d'artisanat y sont représentés dans un contexte
d'urbanisation première polarisant des terroirs pastoraux d'altitude.
C'est le point culminant de la période dite 'bovidienne' qui se situe entre 7500 et
1600 avant J.C.
A cet égard, Il serait absurde de faire dériver les Peuls des dits 'Arabes'
leucodermes ou bien des 'Berbères' leucodermes alors que les ancêtres de ces
derniers n'étaient pas dans cette zone avant cette période. Les formations
sociologiques et politiques sur un fond religieux de culte totémique et stellaire
sont l'œuvre des Peuls et des Bafur ancêtres des peuples dits du Niger-Kordofan
notamment les Wangara qui se spécialisèrent dans le commerce transsaharien :
Niger-Carthage via Numidie et Niger-Nowa (hellénisé en Thèbes) - Napata / Meroe -
Axum).
Ceci aura permis une fédération des États du Garama- Bafur au centre du Sahara et
de Kush à l'Est du Sahara. Les cités rupestres étaient toujours fondées par
l'expertise classe de prêtres-initiés (les 'Horon' en Mande, ou 'Jom' en Pulaar) en
qui, une fois le site sélectionné, (rites d'érection de phallus de taureau et du
premier tesson de foyer ardent allumé) devraient continuer leur travail de
34
missionnaires auprès d'autres groupes de lignages.
Ce commerce transsaharien (céréales, bovidés domestiques et sauvages, huile, sel,
tissus, plantes aromatiques, or, fer, sel et cauris) faisait de cette partie du monde
une puissance continentale. Ces sites fonctionnels et sacrés sont les témoins de
sièges des premières relations panafricaines établies entre africains et furent en
même temps le second berceau de civilisation Ful. C'est l'échange de ces produits
et des idées qui les accompagnent nécessairement, qui allume le feu sacré de cette
humanité. L'instrument de ce commerce transsaharien est le chariot tiré par les
bœufs, bien avant l'introduction du chameau qui reliaient les gites dits 'Tables du
Soleil'', c'est-à-dire, étapes balisées en quarante jours de voyage.
Cet Etat du Garama - Bafur aura certes une expérience avec la religion judaïque
entre le VIII siècle avant JC et le V siècle après JC.
Toutefois, autant démystifier une imposture plus idéologique et scientifique : la
soi-disant 'Étoile de David', emblème de l'État théocratique juif, figure dans le lot
du langage des signes anciens de la Civilisation Ful bien avant l'existence de l' Etat
juif de Jerusalem. La langue Fulfulde appelle cela ''Faddunde Ndaw' ou bien
hexagramme magique, un des symboles-clés du culte totémique du Sahara-Nil.
L'intrusion de ces peuples sémites négro-africains du Canaan-Phénicie-Carthage
dans le Sahara-Nil est une réalité historique (les inscriptions en Hébreu ancien sur
les sites de Tuat et de Wargla qui étaient des sites de 'Tables du Soleil ') mais de là à
qualifier l'Etat de Garama- Bafur de théocratie judaïque paraît excessif tant que des
stèles de temples juifs dans les sites sacrés ne seraient pas mises en évidence
comme c'est le cas à Aksum,à Habasha (latinisée en Abyssinie) et plus loin à Saba et
au Yémen.
La vague de ces éléments de la diaspora juive d'origine négro-africaine s'est
effectivement infiltrée au Sahara pour aller plus à l'intérieur de l'Afrique de l'Ouest
au second siècle avant JC mais tout cela sera noyauté par la conquête de l'islam à
partir du XI siècle après JC. C'est la même souche que les Juifs d'Éthiopie dits
'Falashas'. L'enjeu était plus politique-religieux qu'ethnique car à cette époque,
l'unité du genre humain n'était pas encore rompue. L'expérience africaine avec le
judaïsme n'a rien à voir avec la version du judaïsme
institutionnel indo-européen, du reste, préfabriqué par les rabbins de l'Europe de
l'Est, avec la sublimation de l'idéologie du patriarcat.
Il serait aussi intéressant de poser aussi le problème : l'influence des peuples du
Garama-Bafur sur la Méditerranée : la Mauritanie (Maroc actuel et non la
Mauritanie moderne), la Numide, la Tripolitaine, la Cyrénaïque qui doivent
l’essentiel de leur culture par l'apport des proto -Mande (notamment les Wangara),
de l'ancien Songhrai, du Ful ainsi que des Juifs Berbères de souche négro-africaine.
Cette page de l'histoire du Ful reste a écrire ou bien a réécrire.
-iii) Les sites dits des 'Atlantes' du Sahara occidental atlantique sont plus récents
que ceux du Sahara Central (entre 5000 avant JC et 1500 avant JC). Ils se situent
essentiellement sur les 'Adrar' termes arabe - berbère désignant les contreforts de
massifs montagneux. Les plus fameux sont sont Dar-Tsichitt, Tafarut, le Hamada de
Tindouf mais l'inventaire est loin de clore la liste des fameuses villes-fortifiées. Les
gravures rupestres sont plus importantes que les peintures rupestres. La
thématique est la même que celle du Garama-Bafur prouvant
35
ainsi l'unité de la même civilisation qui évolue vers l'Ouest jusqu'au littoral de
l'Atlantique.
Les auteurs anciens Grecs ont surnommé ces peuples 'Atlantes' (hellénisation du
terme original 'Ataranta' qui n'est ni hébreu, ni grec ni arabe mais dérivant d'une
ethnonymie locale). Cet État Ataranta qui un complexe de Ful, de proto-Mande, de
Berbère négro-africains aura bien inspiré les auteurs anciens tels que Platon, tant
du point de vue philosophique par le concept ' de l'État Idéal' que géographe
Hérodote qui a compris que la notion 'Atlantide' n'est pas une fable mais une
réalité historique et géographique localisée dans le temps et dans l'espace.
Curieusement, ce seront les savants européens qui vont fabriquer les mythes de
l'Atlantide, à partir du XVII siècle après JC.
La destruction de la capitale de l'Ataranta peut s'expliquer par un accident naturel
d'une très grande amplitude comme il en arrive souvent pour marquer la mémoire
de l'humanité dont la mondialisation remonte dans la nuit des temps. Dans la
logique de la culture Ful, cet accident peut s'expliquer par la rupture du Aada par
une partie de la population. Ce n'est pas tellement loin de l'explication des savants
: tout acte qui s'écarte des divinités ou bien plus explicitement : des lois de la
nature et de la société, entraîne inexorablement la destruction. Le récit
mythologique de 'Njeddo Dewal' ('la Grande Calamiteuse') avec sa variante
ultérieure de
''Dewel Jawando' ('la Méchante Malicieuse') a un fond cosmologique, théologique
et qui peut s'expliquer rationnellement : une personnification didactique, dans un
style artistique, de non-respect des lois de la nature.
Du point de vue évolutif, ce complexe Ful-ancien Mande -Berbère aura connu
d'importante mutations: le remplacement du taurin par le zébu se généralise
devant les ondes de désertification qui poussent les peuples à se réfugier soit le
long des cours endoreiques, soit autour des oasis et plus tard le long des affluents
des fleuves Sénégal et du Niger qui aspirent les peuples plus vers le Sud-Ouest.
Cette interface géographique comprise entre l'Atlantique et le Niger sera le
troisième berceau du Ful. Le changement climatique aura produit ce Peul mais c'est
le leucoderme dit 'Libyen' qui va le déranger.
L'antagonisme entre le Peul et le leucoderme 'berberisé' puis arabisé ne date pas
d'aujourd'hui.
Les auteurs Grecs tels que Homère, dans Odyssée, ont sans doute eu raison de
qualifier les peuples Ataranta de géants, à l'instar des autres peuples de l'Éthiopie
(ancien nom originel de l'Afrique au Sud du Sahara) au sens physique comme au
sens de performance culturelle : 'les plus beaux et les plus justes des humains et
dont les sacrifices étaient les plus appréciés des Dieux'. L'introduction du chameau
qui remplace le chariot à beauf fait perdre aux Ataranta la maîtrise du commerce
transsaharien. Le Peul n'a jamais eu à domestiquer ni le chameau, ni à apprivoiser le
buffle nain ou l'éléphant d'Afrique : ces animaux n'entrent pas sa sélection
culturelle et économique. Il ne reste plus qu'a pousser la route du bovidé vers une
nouvelle frontière : en direction du Sud-Ouest.
-iv) Les sites des steppes et savanes méridionales, entre l'Atlantique et la boucle du
fleuve Niger (dans la Mauritanie centrale actuelle, le Delta Intérieur du fleuve du
Niger, la rive gauche de la Boucle du Niger) serviront de lieux de lieux historiques et
36
géographique de renaissance de la civilisation Ful et qui lui servira de quatrième
berceau entre 1500 avant JC et 700 après JC. C'est le stratum du Sahel, constitué
de Dalli (Dallol au singulier : vallées très fertiles, saines, riches en pâturages) et de
'Beeli-Lamlam (sources d'eau natronées indispensable à la santé du zébu) qui
servira de nouvel 'Wati' comme concept de paradis
terrestre. Le vieux terme Fuuta, tenace dans la mémoire collective, réapparait pour
designer des entités politiques et sociales plus au moins autonomes dans la même
grande unité culturelle. C'est ainsi que les Fuuta - Kingi, Fuuta Maasina ( avant de se
simplifier en 'Macina' dans le glossaire colonial), et Fuuta-Kukia (complètement
érode par le même glossaire colonial) seront les trois soeurs pour générer, plus
tard et plus au Sud, d'autres Fuuta-Tooro, Fuuta-Jaloŋ, Fuuta-Firdu, Fuladu etc.
L'économie pastorale, la métallurgie du fer de l'or et du cuivre,la polyculture des
vallées alluviales et le transport fluvial en feront un don de ce grand Fuuta un don
des fleuves historiques Sénégal et du Niger, comme l'Égypte fut un don du Nil. Ici,
la toponymie et l'ethnonymie se conservent dans le paysage moderne en dépit de
l'effort délibéré de l'arabisation ou de francisation pour gommer les signes et les
symboles du Ful.
Ce nouveau Ful de l'Ouest du continent aura produit, à la lisière du Sahara-Niger,
des expériences politiques dont les plus remarquables sont:
-La confédération des principautés du Taaga (arabisé puis francisé en 'Tagant' dans
la cartographie coloniale moderne) dominée par les groupes lignages ainés de Uur
(les clans des terroirs Uururɓe, plus nombreux et plus riches en cheptel
s'imposeront);
-La confédération des principautés du Termes (le terme persiste) dont les leaders
du terroir du Ngiril (Yirlaaaɓe de patronyme Jallo ) émergeront pour former le
royaume du Baghena - Maasina et en s'alliant au peuple Songhrai pour former le
royaume de Kukia. Plus tard, ce groupe se fera supplanter par une dynastie
Songhrai plus puissante militairement et finira par s'accommoder d'une situation
de voisinage d'associésrivaux.
Quelques rameaux de ces groupes lignages des principautés de Termes fonderont
des dynastie de courte durée dans le Fuuta Tooro (dites Laam-Taaga et Laam-
Termes en souvenir de leur ancêtres nordiques);
-La confédération des principautés de Njaaw et de Njaal qui s'assoient sur le Fuuta
Kingi. Des principautés plus ou moins rivales :Njaaw (des groupes des lignages
Jaawɓe, au patronyme Jah ) et Njaal (des groupes de lignages de Yaalaɓe au
patronyme Bah) dont certains clans formeront, plus tard au XV siècle après JC, le
fameux royaume Denianke sur le Fuuta-Tooro.
-La fédération Biru-Awdagost entre des groupes de lignages Peul et des groupes
de lignages Berbères et surtout de métis de Peul-Berbère-Soninke (notamment les
sous-groupes Joadalla et Laamtuuna dont l'historiographie coloniale, sans raison,
en fait gratuitement des Berbères leucodermes) qui se posera en rivale de l'empire
Soninke de Wagadu (un rameau du Mande, puissant héritier du Garama - Bafur que
l'on appellera communément 'l'Empire du Ghana'. En fait Ganna était le titre d'une
dynastie dont le fantastique Sammba Ganna; la légende dit qu'avec son oeil unique,
juché sur le haut rocher du Wagadu, il savait tout ce qui se passait sur l'empire....,
pour la petite histoire!. Cette loi d'harmonie entre les peuples pour se gérer
37
un espace multi ethnique devrait inspirer la Mauritanie moderne puisque c'est le
miroir d'une réalité qui était en avance sur les errements de la géopolitique
moderne.
La toponymie et l’ethnonymie méritent aussi une clarification : les soi-disant
Berbères Jodalla sont en fait des hôtes d'un groupe de lignages Peul : le clan des
Jom-Dalli, terme que les aventuriers arabes du Moyen Age ont transcrits en
Jodallla c'est-à-dire 'les maîtres des Dalli' désignant l'espace des rivières et mares'.
Ils sont de patronyme Jah dont nombreux sont issus les groupes lignages des
Jaawɓe Dalli (surnommés 'les Peul des Eaux', du fait de leur profonde connaissance
du culte de l'eau).
IL est de même soi-disant Berbères 'Lemtuna, en fait il s'agit de Laam-Tuuna tels
que les Laam-Termes et Laam-Taaga,et plus tard, Laam-Tooro qui sont des
dynasties Peul. La terminologie des auteurs arabes en fera 'Lemtuna' et sera
reprise par la géographie coloniale sans aucun esprit critique.
Il en est de même que les soi-disant Berbères du royaume dit 'Awdaghost': en fait
c'était une association de clans totémiques de Peul et de Soninke (la transcription
correcte dans le vieux Mande est Wadagasiri (association des radicaux des noms
totémiques des clans fondateurs du terroir et des clans conquérants, selon le
principe de pacte d'entente entre vainqueurs et vaincus). Ainsi 'Wa' est le totem
ayant comme symbole l'oiseau et 'Gasiri' c'est la divinité-Pluie. Cela peut même
évoluer pour exprimer l'identité qui se qui se forge avec la dynastie fondatrice qui y
est associée. On aura dans cet espace de nombreux exemples édifiant: Wangara,
Wagadu et Wakore (des composantes fédérées pour former de l'empire du Ghana).
Dans le même ordre d'idée: le radical Ma désigne le culte totémique de la faune
aquatique (lamantin, hippopotame) en se superposant a celui du culte totémique
ayant comme symbole le serpent 'Saa' ou bien Nde donnera 'Man-Nde' (peuple
Mande) et ' Man-Saa' (dynastie du même peuple) ou bien 'Mali '= hippopotame-
totem ).
Dans une perspective plus évolutive et plus large, se verra le culte totémique (Saa=
serpent ) auquel se superpose le culte solaire (Ra) pour identifier l'entité Saa-Ra
(qui sera arabisé puis latinisé en 'Sahara').
-v)Le cinquième berceau du Ful, se situe entre les fleuves Niger et Nil, est le plus
récent. C'est le reflux, à partir du VIII siècle après JC, dans le sens Ouest-Est mais
sur des latitudes plus méridionales que le Sahara- Nil. Cela est essentiellement dû à
la savanisation édaphique par le changement climatique, suite à l'alternance des
saisons sèche et pluvieuse qui clarifient les forêts primaires et à la savanisation
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anthropique provenant de la multiplication des jachères agricoles. Ces
savanisations auront fourni d'immenses réserves de pâturages et de points d'eau
dans toute la bande médiane Sahel-Savane et Savane-forêts claires. Le pasteur Peul
et son tandem le zébu peuvent circuler sur des centaines et milliers de kilomètres
pour essaimer
dans un bonne partie du Bassin oriental du Niger et affluents, du Basin Lac Tchad,
du Chari-Logone et du Nil Occidental.... jusqu'à la Mecque, s'il le fallait, dirait
l'adage populaire en pays Adamawa.
L'acclimatation du zébu dans les hauts plateaux de Jos-Bauchi et de l'Adamawa est,
sans doute, l'une des plus belles réussites zootechniques pour se traduire en une
tradition de créativité culturelle qui caractérise le Ful depuis son premier berceau.
Ce berceau aura également produit de puissantes formations sociales et politiques
parfois
indépendantes, parfois intégrées dans de vastes empires de peuples :Liɓataako,
Toorodi, Dallol-Booso, Dendi, Sokoto-Rima, Haɗeja-Jamari, Jos- Bauchi, Adamawa,
Bagirmi, Daarfur, Aljasiree.
Elles furent souvent de composantes des prestigieux empires du Dagomba-Moose,
du Damargaram, du Bornu-Kanem, du Wadai-Daarfur et surtout du Kalifa de
Sokoto-Adamawa.
Ainsi,les termes radicaux de base qui sont issus du tronc commun des langues Ful
et Mande tels que :'waa', 'ra', 'saa', 'maa', 'ndaa',nja 'ra','nga', 'ga', 'jaa', 'ba', 'laam'
sont des concepts liés au culte d'abord totémique auquel se greffent des cultes
stellaire, lunaire et solaire. Ils peuvent servir de point de départ pour explorer les
fondements et les sens de la toponymie et de ethnonymie et même des origines
dynastiques.
39
civilisations Mande et Ful avec des représentations analogues à
celles des murs des temples de Kerma en Nubie ainsi que sur des peintures
rupestres des sites du Garama-Bafur et Ataranta. Caamaaba, c'est aussi la divinité
de l'éternel renouvellement périodique ou épisodique du principe d'immortalité
relative quand ce dernier se trouve rompu ou bien ébranlé par le non-respect
serment d'Aadi- Aada.
*37. Le 'Caamaaba' aux quatre-vingt-seize écailles de couleur or. Les Peuls du Ferlo
auront eu à faire une typologie de quatre-vingt seize de robes possibles de bovidé
qui leur sont connues, avec tous les attributs qualificatifs qui y sont afférents. Mais,
seuls les initiés en connaissent le répertoire complet ainsi que le sens des signes de
ces robes. L'identification du bovidé singulier se fait en général par son âge, son
genre, la forme des cornes en plus de sa robe et de la dénomination de sa génitrice
si elle est connue. Les robes à pelage de couleur unique : blanche, noire, jaune,
rouge-fauve se symbolisent par les quatre points cardinaux : noir au
Sud, blanche au Nord, jaune à l'Est et rouge-fauve à l'Ouest. Il est à remarquer que
les Peuls du Ferlo préfèrent sélectionner le zébu dans le blanc, alors que les Peul
Bororo sélectionnent dans le rouge-fauve, d'autres choisissent des robes
multicolores pour des raisons esthétiques, éthiques et ésotériques.
Ce passage fait appel et constitue un rappel des deux divinités jumelles de la
fortune et du savoir : or et bovidé, selon la devise 'Nagge woni kaŋŋe yiitere' =Le
bovidé est bien l'or visible du vécu de fortune'.
Ce python mythique est l'image de synthèse exprimée, de manière sublime, en une
conception esthétique et fonctionnelle de savoir-avoir par un symbolisme au style
sobre et profond.
*38. Ndaw : L'autruche. Cette espèce aviaire, très adaptée aux écosystèmes arides
et semi-arides, est un produit du changement climatique, au même titre que le
zébu et d'autres sous- espèces de bovidés. Un mythe tenace affirme que les Peuls
de l'Ataranta auraient découvert 'Maayo Gueej' - l'Océan Atlantique… en suivant
les traces des autruches dans le sens Est vers l'Ouest.
La tradition historique en fait animal qui, bien que ne fût jamais domestiqué, aura
souvent été apprivoisé.
Effectivement, c'était un oiseau favori qui se trouvait dans bien des cours royales
ou bien dans les demeures des grands patriarches. Des contes d'enfants relatent
des guerriers-chasseurs chevauchant des autruches....mais c'est une autre histoire,
à 'instar du merveilleux des Contes de Mille et une Nuits. Dans la cosmogonie du
Ful, cet animal est censé être le double de l'humain initié pour avoir des pouvoirs
magiques et des facultés fonctionnelles extrêmement évoluées qui font penser au
dauphin.
L'un des symboles-phares de la tradition du Ful est le 'Faddunde Ndaw' qui se
comprend comme hexagramme magique de protection: les signes que trace cet
oiseau autour de sa niche afin de protéger ses œufs contre des prédateurs en son
absence.
Il faut être initié pour lire et interpréter ces signes, dans leurs contours
géométriques précises parmi les multiples marques que laisse l'oiseau quand il
exécute sa danse hiératique autour du trou de ponte avant de recouvrir tout de
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terre. La gracieuse danse hiératique de l'autruche aura inspiré toute une
chorégraphie liturgique dans le culte solaire des ballets du folklore au quotidien.
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lunaire se succèdent, à partir de Juillet: Morso, Juko, Silto, Yarkomaa, Jolal, Bowte,
Siilo, Colte, Mbooy,Seeɗto, Duujal, Korse. C'est, essentiellement, le calendrier à
vocation agraire ou bien agro -pastorale pour les
sédentaires ou semi-sédentaires. Il se subdivisent en semaines de 7 jours. La
semaine se compte de samedi au vendredi:Hoor biir, Dewo, Aaɓande, Mawbaare,
Njeylaare, Naasaande, Mawnde;
*40. Njaajdri cooya: C'est le nom de lieu par lequel les Peul du Ferlo et du Futua-
Toroo désignent le Désert du Sahara, sites de leurs anciens berceaux avant de
descendre plus au Sud-Ouest. L'expression elle-même, se traduit par 'grande
étendue de nappes de sable jaune-rouge'.
*41. Sahal : Déformation du mot 'Sahel' qui signifie rivage, ici rivage ou bien lisière
du Sahara. La zone de transition entre le Sahara et la Savane. Par extension, dans
certains dialectes il peut aussi designer le Nord comme point cardinal.
*43. Maaje Geej: Les deux océans Atlantique et Indien,de part et d'autre du Sahara-
Nil que le Ful aura eu eu à connaître dans ses différents berceaux.
BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR :
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Ses fonctions d'enseignant-chercheur et d'expert-consultant international dans le
domaine de développement rural, urbain et régional l'ont amené à effectuer des
travaux de terrain dans bien des pays africains habités par d'importants groupes
Peul.
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