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BIBLIOTHEQUE SOCIALE CHARLES FOURIER L'ORDRE SUBVERSIF Trois textes sur Ia Civilisation ‘A propos DE Founter : LUTTE DES CLASSES EY LUTTE DE CIVILISATIONS «Ce qui a mangué inconsciemment a Fourier, ce sont des armes, car s'il a renié tous ses disciples qui voulaient harmoniser dans leur coin, il s'isolait et ne dénongait pas ses véritables ennemis. Le réveur phénoménal a imaginé le renversement total du monde sans lui en donner les moyens. Désormais, parler de Fourier, Yun des assassins du commerce, sans parler de Corganisation révolution- naire, ne peut relever que de gens cultivés, Cest-d-dire dimbéciles. Quils crévent ! > Je reléve ces lignes dans « Pour lOrganisation conseil- liste », Bulletin n° 1, juin 1970, pour la belle frappe des derniéres formules. Mais elles témoignent & Vanalyse dune certaine confusion, et il n’est pas inutile, puisqu’il Sagit ici de parler de Fourier, de débrouiller les. pro- blémes qu’elles posent. Bien stir, on Tadmettra volontiers, Yeeuvre de Fourier ne peut étre Pobjet aujourd’hui de simples exégéses, d'une simple que Yon pourrait se contenter de « lire », Paradoxalement, ‘ 20 VORDRE SUBVERSIF méme si Fourier, en raison de loubli od Ja culture uni- versitaire et celle des partis l'ont sciemment plongé, doit _ étre lu, une pure lecture, aussi complete soit-elle, n’est pas lessentiel, et perdrait méme tout sens A devenir Tapanage de « spécialistes » de Fourier, d’érudits recons- tituant ce genre de « sectes » qu'il a dénoncées et abhor- rées. A Vheure actuelle, sans que Fourier ait peut-étre été vraiment lu — & coup stir jamais tout Iu — ce sont, et ce seront de plus en plus, d'autres que des fouriéristes «< cultivés » qui s'approprient pratiquement sa découverte. Je lis encore un peu plus loin, dans le texte cité plus hant, ces expressions non empruntées 2 Yceuvre, mais accent fouriériste : «le plaisir est une totalité qui ne souffre aucun géneur >... place nette au plaisir et aux passions >. Sur Jes murs du Lycée Rodin, & Paris, en décembre 1970, apparait inscription « Fin du travail, début de Fattraction passionnée », contradictoire dans sa lettre avec Ja leon complite du Fourier historique, pour qui le tra vail est précisément un « pivot > attraction, mais lim- ~ pide dans opposition, elle trés fidéle, qu'elle souligne, entre le travail (« répugnant » et « sans attrait > en civi- isation) et le champ ouvert du désir ; lecon rétenue dun Fourier vivant. 5; Meme chez ceux qui ne se recommandent pas explici- tement de lui, tous ceux que leur jeunesse appelle & «vivre» et non simplement & ¢survivre », c’est une ins« Piration fouriériste qui nourrit l’élan révolutionnaire. Elle anime incontestablement ces propositions saisissantes que Fextrais au hasard du texte de Richard Deshayes pour un «Front de libération de la jeunesse » : « vivre sans temps morts, jouir sans entraves >... «un projet culturel radicalement neuf, et des ébauches matérielles de com- munauté de vie différente » ; cest Vironie de Fourier qui PREFACE 21 dénonce les idéaux mystificateurs avec lesquels les partis endorment les masses, en leur proposant pour exemple : «les jamilles prolétarisantes et le mariage comme expres- sion concréte de la vertu révolutionnaire ». Autre témoignage de la présence diffuse d'un Fourier iré des bibliothéques et devenu partie intégrante d'une nouvelle conscience qui retrouve le méme projet que lui et le vit dans l’évidence de Faction, cette analyse extraite du journal (n°) 8, février 71) sations, cela veut-dire que nous faisons une révolution de-vie autant que de survie dans laquelle U'aspect prit cipal deviendra de plus en plus la réponse de masse a fournir d Vensemble de Vhumanité. Réponse a tout. A ce stade oit la civilisation est en cause en masse, il n'est plus question de maintenir les masses au niveau de la reven- dication, qu'elle soit économique ow politique. » La pensée de Fourier, ou une pensée en étrange fami- liarité avec la sienne, devient mot dordre : « Exigence immédiate de nouveaux tapports sociaux» (Richard Deshayes, Texte interrompu par une grenade, supplément & Tout, n° 9). Un Fourier peut-étre tronqué, du point de vue de son lecteur, mais en tout cas un Fourier qui a quitté les régions nébuleuses ot I’on relégue le théoricien réveur, dont les conseils se font pratiques et, d’ores et déja, appa- raissent comme immédiatement applicables. Enfin je choisis encore, pour terminer ici des citations que Yon pourrait multiplier, dans < U'Internationale situa- tionniste» (n° 12, sept. 69, p. 74) une référence directe & Fourier dont un fragment sert d’épigraphe & un article : {, «Ne sacrifiez point le bien présent au bien d venir; jouis- | sez du moment, évitez toute association de mariage ou | dintérét qui ne contenterait pas vos passions dés Vins- tant méme. Pourquoi travailleriez-vous pour le bien @ | venir, puisqu’il surpassera vos veux et que vous n’au- 22 VORDRE SUBVERSIF rez dans Vordre combiné qu'un seul déplaisir : ce sera de ne pouvoir doubler la longueur des jours afin de sufire au cercle immense des jouissances que vous aurez 4 parcourir > (p. 74). (Extrait de «I'Adresse aux Civili- sés», Théorie des Quatre mouvements, p. 451). Texte que R. Vaneigem commente de la manigre suivante (p. 75) : «C'est un des grands mérites de Fourier Zavoir montré qu'il faut réaliser sur-le-champ — et pour nous cela signifie des le début de Vinsurrection généralisée — les conditions objectives de Témancipation individuelle. Pour tous, le début du moment révolutionnaire doit marquer une hausse immédiate du plaisir de vivre ; Ten- trée vécue et consciente dans la totalité. » 3 Faisons momentanément abstraction du style prophé- tique de ces lignes («insurrection généralisée », « début du moment révolutionnaire ») — ce sont précisément des points en litige que notre propos est d’examiner dans Jes pages suivantes — pour ne retenir que l’étonnante faveur d'un Fourier rajeuni dont les paroles, par des voies imprévisibles aux théoriciens de Téco- nomie et de la politique comme aux fouilleurs de biblio- théques, deviennent expression méme de la période de Vhistoire dans laquelle nous entrons. Non pas lire Fourier, mais vivre selon Fourier (1), la question est désormais posée. * Seulement, le rapport, ou mieux le passage, de Poeuvre | 4 Vaction, peut étre envisagé de fagons différentes, étre plus ou moins bien compris dans sa spécificité. L’inter- prétation que propose le texte de « [Organisation conseil (1) Roland Barthes écrit — mais est-ce au méme sens ? — * vere | avec Fourier », ‘PREFACE 23 liste > auquel je me suis référé en commengant, de méme que celui de « [Internationale situationniste > qu’on vient de lire, entretiennent & cet égard des confusions, voire contribuent & la perpétuation d’un mythe od jouent les concepts de théorie et de pratique, d’organisation, d’in- surrection, sans que leur réle et leur place soient repen- sés en fonction de la situation présente. On ne peut parler, dit-on, ede la théorie de Fourier... sans parler de Vorganisation révolutionnaire ». Expres- sion défi équivoque. Certes, ce qui nous géne en elle n’est pas le mot révolutionnaire. Les citations précé- dentes montrent assez que, si Fourier est vivant, c’est qu’aujourd’hui «la tendance principale est a la révolu- tion >. Quiil ne se soit pas voulu ¢ révolutionnaire », qu'il ait méme rejeté explicitement la Révolution frangaise, en sements politiques, qu’il ait écrit dans Vintention juste- ment d’éviter pour Pavenir des révolutions on révoltes prévisibles, ne doit pas nous embarrasser. Car, le sens de ces répugnances est suffisamment défini par Fourier Iui-méme dans de nombreux passages de son ceuvre. A quoi bon une révolution comme celle de 89 et de 93, une révolution arrétée, si elle n'a pu fondamentalement rien changer dans la structure de Ia société et dans les rapports humains, plus encore si elle n’a fait gve confir- mer des institutions détestables, le commerce,da famillé On n’en retient plus alors que les destructions inutiles. A quoi bon préparer une révolution pour le temps & venir, au nom d'une éthiqne, Pune économie politique qui, de ce qui est A rejeter, conserveraient ou renforce- raient méme Vessentiel? Fourier n’est pas révolution- naire non plus dans la mesure oi la révolution implique Ia violence, alors qu’il utilise, pour ce qu'il propose, Yarme de la persuasion; mais c’est que le changement radical de la vie éhappe, quoi qu'on fasse, & Ia con- 24 JORDRE SUBVERSIF trainte, ressortissant & Vordre du désir. Pourtant, qui est Je plus prés de Fourier, d'un Pellarin crachant haineu- sement sur les Communards (Ch, Pellarin, Charles Fou- rier, Préface de la 2" éd. de 1871) ou de ceux qui, aujour- hui, le célébrent au nom de Ja révolution ? Cette révolutionnaire de Fourier signifie-t-elle toutefois qu’il suffise d’ajouter, & une « théo- rie > fouriériste restée inopérante, « Vorganisation révolu- tionnaire > qui la ferait passer dans la réalité ? Surtout lorsqu’en le prétendant les rédacteurs de I’ « Organisation conseilliste » désignent sous le nom d'organisation des quielle n’avait pas, en la confiant & une orga- nisation ouvriére déji définie sur la base de l’usine. Sans doute une telle proposition parait-elle A premidre vue « théoriquement » séduisante : Fourier, indifférent ou aveugle 3 la lutte des classes ne s'est pas adressé directe- ment aucprolétariat, ne Ya pas traité comme la seule force de histoire capable de_renverser ien_ordr or; nous qui savons ce qu’est cette force qui a déja trouvé ses formes d'organisation propres, nous y découvrons les du «ré- veur phénoménal », Mais précisément, la nécessité de cette relation, sa clarté, ne sont qu’apparentes. Disons-le net : une telle « idée claire» n’est qu'une vue de lesprit, un vaeu pieux, de méme d’ailleurs que le concept « d’insurrection géné- ralisée » qui, selon I’ « Internationale situationniste > doit inaugurer l'entrée dans un monde de style ¢ fouriériste >. ‘Vue de Yesprit parce qu'elle repose sur la méconnais- d nds ‘PREFACE 25 sance de la réalité des contradictions internes & la civi- lisation qui rendent la pensée de Fou si proche & des masses tout d’abord inorganisées — peut-6tre en vertu méme de ce refus de Yorganisation — parce que Je «début du moment révolutionnaire > & partir duquel Fourier serait crédible n’est pas un point dans le temps, mais désigne une période de rupture de toutes les forces révolutionnaires avec Ta | s « civiliste commencé. Vue de esprit, la volonté de maintenir, pour comprendre ces phénoménes neufs, des découpages ina- déquats : les idées d'une part, identifiées & «la théorie », la pratique de l'autre, identifiée & Y ¢ organisation >. Pré- sentation isolant d’abord abstraitement des plans de lutte pour chercher ensuite artificiellement 2 les unir. Une vision & la fois plus historique et plus actuelle des choses substitue la complexité du réel & la simplicité spécieuse de ce schéma. * Commengons par le point od Fourier offre le plus de résistance & la réduction proposée par nos modernes théo- riciens en organisation révolutionnaire. Tl n'est pas vrai ‘ase Fourier \inconscemmedt’s ak nacligt ie Horta qu’ll n’ait pas Vu «ses véritables ennemis », Cest--dire ceux qui offriraient le plus de résistance A son entreprise. Toute son ceuvre (tous ces volumes!) toute sa vie sont consacrées 4 démontrer aux capitalistes individuels qu’ils ne risquent rien, bien plus, qu’ils gagneront énormément A entrer en(associatiOmpcar il ne fait aucun doute pour lui que le prolétariat n’adhare spontanément a cette idée. Mais il est vrai_qu‘il-n’a_jamais consenti & fonder son entreprise-Sur le prolétariat seul>car il ne veut pas d'une organisation: strictement prolétarienne. Il ne le veut pas, 26 LoRDRE SUBVERSIF cest-dire quil ne la pense ni valable ni possible pour” ce qu'il vise. iF Et, de méme, il n'est pas vrai que la résurgence de- Yinspiration fouriériste, un peu partout dans le mouve- ment de la jeunesse contemporaine, soit directement pro- létarienne, qu'on puisse la comprendre sur la base de schémas simples : prolétarisation croissante de la jeu- nesse, crise de Temploi, etc. ; que, par suite, cette fois, Yorganisation prolétarienne d’abord construite sur ces schémas soit éminemment apte A adopter une telle ins- A Vanalyse, cest que la Critique radicale de la civilisation par Fouris le iébu signié In mort de In Société Dour geoise qui, aujourd'hui, entre dans une phase de crise “decisive; et que sont «révolutionnaires » toutes les forces, directement prolétariennes ou non, organisées ou non, qui contribuent & son effondrement. r 1 La place et le réle de Fourier ne peuvent étre juste~ ment compris si l'on ne marque par principe la diffé- rence entre lutte des classes et lutte de civilisations (ou, Jittéralement, lutte contre la Civilisation). Dans le cadre de cette différence — et pourvu que la différence soit \_ bien maintenue — se situe alors le lieu de la rencon * La lutte des classes définit les forces en présent Je systéme de production capitaliste ; la forme d PREFACE a7 société bourgeoise y avoir de révolution au sens propre que prolétarienne. Mais, en méme temps qu'elle a établi son pouvoir sur exploitation du travail salarié, geoisie a défini pour easels a la société un 1 certai prése enter comme porteuse dea Givlisction ee iP a Tisation universelle, seule possible parce que progressi- vement instaurée sans que la classe dominante ait paru Vimposer, et qui disparaitrait avec elle. Or, tout d’abord, la civilisation ne parait effectivement pas recouvrir le méme champ que celui oi se livre direc- tement la Iutte des classes. A cet égard, Yapparition de Ja bourgeoisie et du prolétariat est plutdt un phénoméne Cdans le champ de la Civilisation. Lienjeu de leur lutte ‘peut, en ce cas, se présenter aussi bien comme l’appro- priation, par Tune ou Yautre classe, de la Civilisation. Il n’est pas immédiatement donné, du point de vue de la lutte des classes, que cet enjeu soit sa destruction ou son maintien. Cette équivoque ressort particuliérement lors- qu'il s’agit de définir, par exemple, le rapport du prolé- tariat a la culture (bourgeoise?), & la nation (bour- geoise ?), & la famille (bourgeoise ?), A ensemble du sys- téme des valeurs sociales ct morales (bourgeoises ?). A mettre exclusivement l'accent sur la lutte de classes & son niveau-socio-économique, er au second plan plimes spécifiques de omAlors se trouve pro] A la «révolution prolétarienne », de reprendre en charge, par un simple changement de qualification, les diverses structures ct valeurs « civilisées », Le prolé- tariat, dépossédé de fait de la culture que la bourgeoisie Sest appropriée, devra pouvoir en bénéficier — mais, quelle culture ? Il reprendra en charge la nation ; il fon- dera Ia «famille prolétarienne » ; il sera le dépositaire des valeurs an moment ott la bourgeoisie les abandonne. cern 28 LORDRE SUBVERSDF Ainsi, la Civilisation se présente comme un «éther » indifférent aux luttes qui la traversent, et qui attend “| seulement un changement de signe. Test & peine besoin d'insister sur le fait que cette vision des choses accompagne généralement tout ce qui est affecté aujourd'hui du qualificatif de « prolétarien », Lorganisation « prolétarienne » sous sa forme de parti a contribué a la renforcer, & tel point que penser la lutte en terme de civilisation apparattra comme une déviation étrangére & la lutte des classes. de fait, lorsque Yon passe au plan de la lutte la Civilisation, il s’agit bien d'un déplacement, ‘un déplacement commandé par le fait que la Civi lisation, loin @’étre indifférente, est la face tangible et omniprésente de la domination du Capital, qu'il ne peut | | se dérouler en son sein de lutte authentiquement révo- lutionnaire qui n’ait pour but de la détruire. isation de la lutte prol 7 La lence, ce n’est pas mécon- naitre la lutte des classes, c'est lui donner une impulsion et méme une raison d’étre, en Youvrant a la transforma- tion totale des rapports sociaux. Mais il faut dire plus, puisqu'une telle lutte a été sou- mise trop longtemps & un effet de méconnaissance : en E raison de cet effet, il y a peut-étre impossibilité essen tielle 4 «glisser » en quelque sorte la vivante et multi- forme lutte contre la Civilisation dans le cadre dor, nisations déja définies sur le plan strict du combat Aétarien, au point of s'affrontent directement le C: et le travail. Elle répugne méme par principe et d’eml i la forme organisationnelle, car Pempri PREFACE 29 la plus insupportable, et surtout 1a od elle devient massi- vement Yobjet d'une prise de conscience collective. Si la lutte des classes s’est historiquement définie & tra- vers des organisations renforeées, la lutte de civilisation Et Fourier? Ce qui lui » — de 1 le divorce de Fourier avec Owen, avec les Saint-Simoniens, la rupture marquée plus tard par Marx et par Engels — voile un fait & nos yeux plus important, une forme trop oubliée de la convergence : c'est la conjonction pratique, dés le début du x1x° siécle, entre la lutte prolétarienne du mouvement ouvrier. Pour ce prolétariat, au jusqu’S Ta Commune, la Tutte révolutionnaire est @ Ta veaux rapports humains, pour la suppression de la pour la transformation complite de V’éducation, p Vémancipation de la femme, pour Pamour libre. Ces thémes n'ont cédé que progressivement la pl jusqu’a complétement s'effacer et apparaitre incon « petit-bourgeois », aux doctrinaires de la lutte des class inspirés d’une conception rigide et ascétique de la mot et de Vorganisation révolutionnaire — c’est-A-dire a simplement réassumé Vessentiel de la Civilisation, Certes, il serait abusif de placer toute cette tendance de masse, qui a d’autres interprétes, sous le signe de pensée de Fourier. C’est bien toutefois cette pensée, de facon exemplaire, est explicitement reprise et formée en arme de combat dans une ceuvre qui vient etre tirée de Youbli : celle de Joseph Déjacque (1822- 1864). Elle porte, au nom du prolétariat entrant en scone comme force historique, la critique de Ia classe domi- nante jusqu’au plan institutionnel, cest-A-dire dans la civilisation méme (Iégislation, propriété, religion, famille, morale). Elle sait condenser Qui, en Fourier, exprime une idéologie révoluti de masse : « La, dans cette société anarchique, la fa et la propriété Legales sont des institutions mortes, higrographes dont on a perdu le sens ; est la famille, une et indivisible est la propriété, Geile communauté fraternelle, libre est le travail PREFACE sl sation, et en termes souvent proches de ceux de Fou- rier, est étroitement lige A celle de la domination écono- mique de la classe bourgeoise. Seulement, cet emprunt. reconnu ailleurs, de Marx au penseur frangais, ne peut dissimuler que est bien chez lui que se trouve la rup- ture, Yinflexion des luttes vers une phase o8 les _pro- blémes de la Civilisation se tiendront A Varriére-plan. * On dira : rien d’étonnant & cela, puisque apport his- torique de Marx, qui rend le marxisme, pour notre temps, indépassable, est d’avoir introduit la science Ii ot il n'y avait que projet idéologique, en discernant les forces his- toriques réelles, en définissant les conditions de classe de la seule pratique révolutionnaire possible. / Mais c'est justement le rejet, dans le « projet idéolo- gique >, en tant qu’élément antérieur d la science, d'une | pensée telle qne celle de Fourier qui est aujourd'hui en \ question. Le postulat selon lequel le < socialisme uto- pique > a fait place au «socialisme scientifique » qui l'a ainsi relégué dans la . Sans doute Fou pensé Iui-méme développer une « Science » et uns rie» (des «Quatre mouvements>, de « selle »), mais ce fut surtout pour tourner &D «sciences incertaines >, philosophie, 7 politique, incapables de résoudre les systéme social. Elles mélent «la per et Yabsurdité en action » (Du libre TUnité universelle, t. I, p. XLVI), € ‘PREFACE 83 Charles Fourier » (Topique, 4-5, p. 159), Fourier «ne se propose pas de «réfuter > ce savoir (ce qui Ven rendrait prisonnier...), mais, en faisant fonctionner son jeu, de le «contredire » de Vintérieur, en déroulant pour ainsi dire a vide le mécanisme de cette machine, d’en manifester Ja vanité ». Il s'agit pour lui d’établir_un_autre_syst&me de références, de changer de « scéne >. ‘¢ changement, s'il se présente dans la pensée de Fourier comme le passage & une « science fixe > celle de la Nature et des « Destinées >, est essentiellement com- mandé par la pratique. Car, c'est pratiquement que toutes les sciences ou idéologies, se heurtant aux faits incoer- cibles, révélent leurs contradictions, c'est pratiquement que la seule «science fixe» de la Nature s'insére dans Ja réalité, en suivant ce que dicte la passion, ou « Vim- mensité de nos désirs > (Théorie des quatre mouvements, p. 105). Orientation pratique, parce que la pensée de Fourier prend son départ dans une opposition de principe trois constantes de ” substituer un homme théorique & «réprimer, corriger, modérer > (ibid. p. 284). Ta ition est fausse, parce itso rnotrvérnedb"éet “lar uncer codbugiia des poe sions, leur €essor subversit >; elle ne peut dtre perfec tionnée, quelque modification partielle qu'on introduise en clle. Ce qui peut aussi se traduire ; le champ qu'elle ‘a ouvert & Ia science et la théorie qui proposent des remedes de perfectibilité est irrémédiablement clos ; il est vicié par méconnaissance du réel. C'est pourquoi la Civi- lisation fonctionnant comme ensemble théorique quit praliquément le sens _d’ine totalité répressive~a, besoin, non d'une «bonne» théorie, mais de Ta libération des passions dont elle a entravé Lessor, Or, cotte Libération eo ost sa destruction, le passage au radi« Ce west pas de la science quiil faut calement autre; Vonpnn sunvensiy a 84 LORDRE SUBVERSIF au genre humain, il n'en est que trop pourcu » (Publica- tion des manuscrits, 1851, p. 22) : il a besoin de «richesses >, ¢d’harmonie sociale > — par quoi il faut entendre la libération intégrale et de principe de «attraction passionnée >. * Nous disons que la pensée de Fourier est celle d’une nouvelle pratique, de méme @’ailleurs que celle de Marx, dont la «théorie » ne s’entend pas en dehors de la pra- tique qui la sanctionne. Mais c'est une pratique diffé- rente, bien qu’indissociable de la pratique de la lutte de classes, sans laquelle celle-ci ne pourrait se comprendre — tonte révolution étant alors « glacée » — pratique tirée de la force incoercible de la vie et du désir. Cette force, bien que présupposée dans son dessein général, n’entre dans Tocuvre de Marx, et dans le marxisme, qwépisodiquement comme théme. Une différence fonda- mentale en arrive & disjoindre le marxisme « scientifique » une partie essentielle du domaine des motivations qui introduisent dans Ja révolution — ce fait socio-historique — inéluctable A Véchelle de toute la période historique du capitalisme — au sens propre. (Fourier, a la fin de [Unité universelle, ouvrage gravitant tout entier autour du principe de T'attraction passionnée, dit Qu’il y manque une « théorie des passions »). L’idée fon- damentale, maintes fois réaffirmée par Fourier, qu’il ne Sagit pas de modifier Thomme, de «changer les pas- sions », de substituer & la réalité un réve utopique, une fiction idéologique, ouvre la voie A son interprétation, La théorie du champ pratique qu’il délimite est avant tout Yexploration des combinaisons possibles entre des forces réelles et seulement entravées par des institutions ui, elles, rfont d’autre < réalité» que les idéologies qui les sous-tendent. Sans doute iva-t-il pas apprécié A sa juste valeur la résistance de ces idéologies ; il les a tou. tefois repérées au point of elles s'ancrent, et ailleurs que 36 LORDRE SUBVERSIF dans la seule infrastructure économique ou dans les rap. Ports de classes; il a défini la seule pratique qui pouvais les renverser, celle dia désir, Aussi ne pense-t-il Pas par étapes, dans Vattente-d’une~e évolution », et projette-t-i] moins qu’il ne semble un réve dans Paveni Proprement <« utopie ». i, Ce qui serait En fait, il ouvre, ou plutét indique of s’ouvre, dans la civilisation, la félure, of se loge cette nquidtude qui fait que Wores et déji ellene~ peut se clore en elle-méme, et appelle en chacun, avec chaque pulsation de la vie, son contraire. Ce qui caractérise & cet égard la pensée de Fourier est @avoir signifié une fois pour toutes Purgence du chan. gement, par Fimpossibilité pratique (et en ce sens elle est aussi théoriquement démontrée par lui), en Civilisa: tion, de vivre. Aussi son temps est-il autre que celui, dialectique et conceptuel, de Marx. L’essentiel de la pra- tique quill indique réside dans la conscience de cette urgence qui, ici et maintenant, appelle & de nouveaux rapports : de l'homme avec le travail, avec lui-méme, avec les autres, avec la nature. Ici et maintenant, sur tous les points oi Ja civilisation « réprime, corrige, modere >. La pratique de Fourier est une impatience que Yon peut, si Yon veut, mettre sur le compte du réveur, de l’utopiste, mais 4 condition de créer la fiction théorique d'un homme «changé >, mais sans laquelle aucune révolution ne peut naitre, son concept méme manquant de base. Méme si Yon pense qu’il était nécessaire que Marx portit ailleurs accent, que le mouvement de Lhistoire sest opéré selon une rupture avec «le réve », l’essentiel de la pensée de Fourier est irréductible au nouveau cadre. Si, de nos jours, nous la retrouvons avec une nou- velle fratcheur, c'est que la lutte de civilisations, venue sur le devant de la scéne, ressortit A la pratique méme — et & la temporalité que Fourier a définies : «c'est main- PREFACE 87 tenant que nous avons fait le choix @étre libres > (R. Deshayes, texte cité). Et cette lutte est bien réelle. Elle est issue, non d'une théorie, mais de la pratique contre les forces oppres- sives; elle ne touche pas seulement au domaine de Ia superstructure, elle n'est pas seulement « idéologique >, si Yon entend par 1a purement subjective. La passion qu'elle met en ceuvre, attraction qu’ it forces matérielles et n’appartiennent pas au registre des objets i sont la matérialité non utopique et non idéologique de ta-vie. Aussi n’ont-elles pas besoin de reteroi-te-bime-seing des savants en lutte de classes. Dans cette pratique, non dans la théorie, se résout le probléme du rapport entre lutte des classes et lutte de civilisations : il ne peut y avoir de lutte de civilisations (ou contre elle) qui ne soit contribution & Ia révolution prolétarienne, et une «lutte prolétarienne » qui ne met- trait pas en question un fait de civilisation — sur le plan de Vautorité, des structures, des institutions ou des valeurs —, ne serait pas encore révolutionnaire, mais simple recherche d’une meilleure intégration & la société bourgevise. Fourier, non < dépassé > par Marx, a révélé, dans sa critique de la Civilisation, un champ subjectif-objectif indépassable. Les relations entre Fourier et Marx passent beaucoup moins par Vopposition classique entre socia- lisme utopique - socialisme scientifique que par la mise en relation des couples : capitalisme - révolution proléta- rienne, civilisation ~ attraction passionnée (= nouveaux Tapports sociaux satisfaisant la totalité de Ja vie). Plus précisément : la mise & Vécart par la pratique Prolétarienne de ces nouveaux rapports sociaux (leur définition étant issée_d Vavenir lution: Mane se-contente de les définir comme «ral transparents»), cette mise & Vécart délimite 38 VORDRE SUBVERSIF dans Jequel la pensée de Fourier, pour nous, s'actualise, Elle indique aussi un autre écart ou une différence, par quoi la pensée de Fourier, sans « contredire » celle de Marx, sans étre non plus remplacée par elle comme une théorie encore balbutiante, sans pratique, s'efface devant la science, apporte au contraire un supplément de sens. * A Yéchélle d'une période révolutionnaire commencée avec le capitalisme industriel, od il-apparait-clairement quil ne peut y avoir de révolution prolétarienne qui ne soit en méme temps une révolution culturelle, Vapport de cette pensée ne concerne pas un probléme de second ordre, une simple contradiction « secondaire », la contra diction principale restant celle qui oppose le prolétariat et la bourgeoisie. En utilisant librement un vocabulaire Igniniste que reprend Mao-Tsé-Toung dans «De la contradiction », mais en en modifiant librement V’appli- cation, nous dirons que la lutte de civilisations qui inter- fére avec la lutte des classes sur tous les plans, pour en structurer le champ en d'autres lieux que ceux ot appa- rait la contradiction directe capital-travail, manifeste «Tantagonisme » dans la contradiction. C’est 14 en effet que la contradiction principale, que voile la lutte pure- ment revendicative pouvant conduire 2 une intégration sociale et culturelle du prolétariat dans la société bow ae * partir de illusion entretenue de l’amélioration nigh oe selon Fourier), se révele Wousdnerise aa olntige produit I’élargissement et Rae une révolution prokétariente tie mardate chi PASE et non seulement dans la th non du simple accas a Seer eselos-— le lu prolétariat au « pouvoir », mals PREFACE 39 de la suppression de la société de classes et de toutes les structures de civilisation qui Pétayent. Le ¢supplément» qu'apporte la pensée de Fourier, nous le comprenons a partir de Touverture, dans effon- drement idéologique et culturel de la société capitaliste avec sa civilisation, d’une pratique révolutionnaire entrai- nant, sous des formes nouvelles, des forces nouvelles auxquelles, sans quiil soit besoin de se livrer & des consi- dérations «de classe», le poids de la civilisation est devenu intolérable. Les femmes entrent en révolte contre leur asservissement spécifique et contre leur réle, les étu- diants et les Iycéens contre la bétise pesante du ‘systéme éducatif, la jeunesse contre . Et lorsque les travailleurs entre- prennent une lutte qui n'a plus seulement le caractére revendicatif, mais devient révolutionnaire, c'est pour, sous une forme justement dite » (= non inté- grée & la lgislation civilisée), s'en prendre aux rapports autorité, au mode de production, pour s‘interroger non plus seulement sur leur sort en société capitaliste, mais sur leur ¢Destinge» — c'est-d-dire pour remettre en question leur travail et le sens global de leur vie. (De méme Fourier trouve le probléme des « Destinées» et «Tissue » de la civilisation en opérant «Técart absolu » & Tégard du systéme). * Peut-étre comprend-on mieux, & partir de ces quelques remarques, pourquoi le probl&me de «organisation », soulevé plus haut, de méme que Vidée d'une ¢ insurrec- tion généralisée » passent au second plan. Ces notions deviennent inutiles devant des formes non organisation- 40 LORDRE SUBVERSIF nelles au sens classique qu'inventent les « masses >. Une telle réactivation massive et si étonnante, & premigre vue, de la pensée du ¢ réveur » solitaire, ne peut s’expli- quer que parce que — répétons-le — la pensée de Fou- rier dés son origine, est une «pensée de masse » pour toute Tépoque dentrée en crise de la civilisation. Et Timpatience @ changer de vie qu’elle implique, ne pou- vant étre comprise dans le cadre d’une stratégie de classe, jnvente naturellement des formes de pratique originales dans V’actuel. ] Ou bien, conservons au terme de «stratégie> sa valeur: le mise on acte, au sein méme de clvi- @ ise, et sans attendre, de «contre-sociéés > marginales, | de petits groupes ou «communautés » constituant des expériences immédiates de changement de vie, peut étre considérée comme une nouvelle forme de «stratégie » révolutionnaire qui, par la faille qu’elle ouvre, Vappel quelle suscite, corrode de 'intérieur la totalité organique de cet «ordre ». Démonstration pratique que le passage a Facte, dans Ia constitution du «canton dessai> ou ‘phalanstére » n’était pas aussi utopique qu’on Va dit. Se demander si de telles tentatives sont ou non ¢ prolé- tariennes », si elles détournent ou non de la lutte xéelle, et les opposer & un seul modéle d’organisation valable, est rester encore prisonnier d’anciens stéréotypes. En fait, ly a Ji un phénoméne original qui contribue plus que tout autre & Yeffondrement de la Civilisation, et fait ce titre partie dune révolution générale. C'est um autre ‘front intérieur > qui, pour se penser davantage en termes attraction que de pouvoir, et sans doute pour méme, n’en met pas moins en jeu, en des lieux ot elle restait impnissante, la dictature de la bourgeoisie. Oui est alors l'utopie, od est le réve pris pour dté_du_désir entrant_en_scene—col force 1 rielle de Vhistoire, ou du coté de ceux qui 5’ aoa PREFACE, 41 dans des formules et yeulent contraindre le réel A leurs dogmes ? (1) * Il reste A dire que, pour le fouriériste sourcilleux, toute cette réappropriation de inspiration fondamentale, s‘ef- fectue dans des directions et avec des méthodes infidéles A la lettre, voire d certains aspects importants de esprit. Nous avons parlé déja du paradoxe d’un Fourier révolu- tionnaire. Mais attitude 2 V’égard du travail, des tichesses, de la violence, de la forme méme de la com- munauté a édifier, tout différe entre le «vrai > Fourier et le Fourier « parmi nous ». La communauté selon Fourier, l'association agricole et industrielle est fondée sur la production — «< mettre le genre humain en attraction industrielle > (Théorie des quatre mouvements). Elle ne peut concerner des groupes trop petits, trop peu variés — son modéle est formé de 1600 personnes différentes en Age, en sexe, én fortune, et réparties en «ordre combiné»; elle doit, par pur effet attractif, en excluant toute violence, conduire la civilisation 4 I'Harmonie soci¢taire. Les différences sont, on le voit, importantes, avec un mouvement contemporain qui s’exerce & des commu- nautés ou «communes» peu structurées, faibles en nombre, généralement non productives, qui rejettent par principe la consommation des richesses et leur accroisse- ment, qui s’articule sur 'acceptation de la violence néces- (1) Pour Fourier, soul est utopique le systéme qui croit sup- primer les, contradictions en les ignorant. Ainsi est utopique le systéme répressif des amours, car il s'attaque A une passion incoercible : « Si Yon désire le régne de la vérité, si on la veut en. faite ct nan on rév, i faudra done x ayer de ae a sées aux ndtres », éerit-il & propos fausseté civilisés » (Théorie de Tunité universelle, tome IV, _— 2 LORDRE SUBVERSIF en état de choses. Quant au renversement de Vancie cons et Ie désir, elle est encore rdre > selon ur les passi wésordre, plutot que comme € 2 arement et la perversion du mot par la ‘ai en fait le synonyme de répression nncore d’en convertirte-sens- Et, de de de la-« subversion saire 4 Youverture $ pensée comme Fourier, V’accap: classe dominante qi ne permettant pas © méme, on S€ recomman' ier, c’ “plus justement ta ci pour at dite < subversive >» puisquielle va a Tent tinées » et de Tor ‘des passions Te Et pourtant, Ie facteur commun €n qui, dans Ja jeunesse de notre temps, Je moment était venu de «prendre ses tés> et de changer selon Cux Vordr jen le refus de Tintégration dans une société blo- reste bit quée, et désormais, quels que soient ses sursauts, morte + era avant tout par celui de son travail, Aussi le sixiéme refus qui se marqu‘ de sa consommation, de ses institutions. point de ‘Adresse aux it : «Ne sacrifiez point venir ; jouissez du moment mariage ou Cintérét qui ne cont das Vinstant méme» Se trouve-t-il étre d “dérence plus inrécusable que les combinaisons mesurées du phalanstére. Celles-ci toutefois, dans Jeur configura tion générale comme dans la profusion de leurs détails — particuliérement en certains aspects, comme Je systéme de Yéducation, celui des amours, Taménagement 4° Yespace humanisé, la plénitude du temps de vivre — se profilent dans un horizon proch i Ta vieille distinction entre Ja pratique réelle et plus 4, évitex tout enterait pas vos passions action oi Yutopie commence a s’abolir. ‘Ayec Fourier, méme A travers des infidélités qui Jaissent Ja Civilisation cession « Ordre subversif », pour désigner El estde toute. ‘PREFACE, 43 transparaitre une communauté d'espritprofonde, le monde redécouvre, en se libérant des pensées trop de cette «raison égarée > qui déroulait sa logique en marge de la vie, que a révolution étre aussi attractive. Que, pour étre, elle le doit. 3 René Scuénen close? 7s 26 mars 1971.

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