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:Apollinaire, Alcools (1913)

ZONE

1 À la fin tu es las de ce monde ancien

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine

Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes


5 La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation

Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme


L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
10 D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers

15 J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom


Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
20 Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J’aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes

25 Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant


Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc
Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize
Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église
Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette
Lecture linéaire
Guillaume Apollinaire, Alcools (1913)
« Zone »
Introduction :
• Veille de 1ère GM. Europe connaît de profonds bouleversements/culture traditionnelle.
Révolution industrielle a provoqué des changements sociaux, politiques, culturels majeurs, dont
les arts se font écho. Cubisme en peinture = transition de la représentation à l’abstraction. En //,
en littérature, Apollinaire embrasse la modernité, tant dans les thèmes que dans l’esthétique à
laquelle il a recourt.
• Lecture linéaire des 29 premiers vers du poème.
• Mouvements : -1 à 3 : Une affirmation de la modernité
-4 à 10 : Une fusion du religieux et du technologique
-11 à 14 : La littérature
-15 à 24 : L’univers urbain du quotidien
-25 à 29 : Un souvenir d’enfance

Explication :

• 1 : Alexandrin. Forme tradi. Diérèse, mais pas de ponctuation. Rejet du « monde anc-i-en »
mais partiel. Vers détaché, isolé, programmatique.
• 2 : Métaphore de la modernité associée à l’Idylle. Allégorie qui fusionne l’ancien et le
moderne, transfiguration. Vers libre même si la rime est conservée.
• 3 : « Tu » repris du v.1. Dédoublement énonciatif. Lui-même, un autre, un autre lui-même…
« en as assez » familiarité de ton novatrice qui forme contraste avec le soutenu et tradi du v.1
« las ».
• 4 : Paradoxe : Automobiles anciennes, religion neuve. Reprise anaphorique début et fin de
vers.
• 5 : Adjs mélioratifs « toute neuve », « simple » (=bonne)
• 6 : Comparaison aux hangars, summum de la modernité, temple.
• 7 : Invocation directe et traditionnelle « ô » emphase. « Seul », détaché du reste de la culture,
« pas antique », cf « antiquité grecque et romaine » v.3.
• 8 : Reprise de l’opposition antique/moderne. Superlatif appliqué au Pape. Pas de rime, mais
paronomase. Exagération ? Humour ? Ironie ?
• 9 : Changement d’interlocuteur « Tu ». Cliché, image fixe de l’âme vue par Dieu, allégorisé par
des fenêtres personnifiées. « honte » = sentiment fort et caché.
• 10 : Encouragement à dépasser la honte et à s’humilier comme y invite la religion.
• 11 : Absence de ponctuation. Ambiguïté : à la place d’entrer dans une église ou à un autre
moment ? Enumération d’éléments liés au monde moderne, capitaliste. Esthétique de la
discontinuité, du coq-à-l’âne qualifié de
• 12 : « poésie » opposée à la prose « voilà » répétition de « il y a... »
• 13 : Mention du prix, détail factuel, quotidien. Romans-feuilletons, presse.
• 14 : Genre biographique, littérature édifiante, hagiographie. Abondance « mille »
• 15 : Strophe. Discontinuité. « Je », voix perso qui succède au « tu ».Alternance, dédoublement.
• 16 : « rue » élément urbain de la modernité, cf Baudelaire « Tableaux Parisiens ». Valorisée
« jolie »
• 17 : Allégorie, synesthésie.
• 18 : Désordre, diversité de la population. Absence de ponctuation, énumération. Impression
du spectacle de la rue.
• 19 : Personnification « gémit »
• 20 : Animalisation « aboie »
• 22 : Comparaison « à la façon »
• 23 : Implication personnelle du locuteur-poète. « grâce » cf la religion.
• 25 : Souvenir distancié « tu », narré au présent. Mélange tradition/modernité. Elément
anecdotique et personnel « René Dalize »

Conclusion :
• Esthétique de la juxtaposition et du collage
• Célébration poétique de la modernité.
• Continuation de la quête de Rimbaud en ce qui concerne « trouver une langue »
• Moment historique unique en son genre.

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