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MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE

LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
---------------------------------
UNIVERSITE DE TOLIARA
-------------------
FACULTE DES LETTRES ET DES SCIENCES
HUMAINES ET SOCIALES
--------------------------------
DEPARTEMENT D’ETUDES FRANCAISES

« ABDELKÉBIR KHATIBI OU LE PROCÈS


DE L’ACCULTURATION À TRAVERS LA
MÉMOIRE TATOUÉE. »

Mémoire de Maîtrise ès-


ès-Lettres
Présenté par :

SAINDOU Ibrahim

Sous la direction de :

Monsieur BEMIARANA Jean Marie,


Maître de Conférences à l’Université de Toliara

Année universitaire 2011-2012


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MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE
LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
---------------------------------
UNIVERSITE DE TOLIARA
-------------------
FACULTE DES LETTRES ET DES SCIENCES
HUMAINES ET SOCIALES
--------------------------------
DEPARTEMENT D’ETUDES FRANCAISES

« ABDELKÉBIR KHATIBI OU LE PROCÈS


DE L’ACCULTURATION À TRAVERS LA
MÉMOIRE TATOUÉE. »

Mémoire de Maîtrise ès-


ès-Lettres
Présenté par :

SAINDOU Ibrahim

Sous la direction de :

Monsieur BEMIARANA Jean Marie,


Maître de Conférences à l’Université de Toliara

Année universitaire 2011-2012

3
Dédicace :

Je dédie ce Mémoire de Maîtrise à mon père Monsieur IBRAHIM Saïd Hafidhou qui
m’a toujours dit que : « L’Education est la seule clé qui ouvre toutes les portes. »

4
REMERCIEMENTS !
• Mes premiers remerciements s’adressent d’abord à Allah (Dieu) le Tout-Puissant qui
nous a gardé en vie jusqu’à ce que nous puissions réaliser ce Mémoire de Maîtrise.
• A Monsieur BEMIARANA Jean Marie, Maître de conférences à l’Université de
Toliara et Directeur de ce Mémoire de Maîtrise.

5
INTRODUCTION GENERALE

La littérature est la discipline que nous avons choisie d’étudier au sein du Département
d’Etudes Françaises. Le présent travail de mémoire de maîtrise s’inscrit dans le cadre de la
littérature maghrébine d’expression française plus particulièrement la littérature marocaine de
langue française. Le Maghreb est formé d’un ensemble de trois pays (Algérie, Maroc,
Tunisie) situés dans le Nord-africain.

Les pays du Maghreb sont partagés entre similitude et dissemblance historiques et


culturelles. En effet, le Maroc connaît une histoire coloniale différente de celle du reste du
Maghreb. C’est un pays qui occupe une position géographique isolée. Cet isolement a été
propice, au niveau culturel, à une certaine préservation de l’identité culturelle régionale
marocaine. Sur ce, le Maroc est le pays maghrébin qui a, historiquement, le moins souffert de
vagues d’envahisseurs. De ce fait, la France s’est infiltrée dans la colonisation du Maroc une
fois qu’elle a été sollicitée par le Sultan Mouley Hafid.

La littérature marocaine de langue française est un phénomène qui a vu le jour dans le


contexte colonial. Et cette colonisation est à l’origine de deux sortes de conflits notamment
culturel et linguistique qui pèsent sur les colonisés. Le problème majeur reste le choix de la
langue d’écriture des écrivains qui sont confrontés au dualisme linguistique. Certains
écrivains préfèrent utiliser l’arabe littéraire (Rachid Boudjedra) comme langue d’écriture
seulement pour conserver les valeurs culturelles et linguistiques. D’autres choisissent de
s’exprimer dans la langue de l’Autre pour atteindre un public plus vaste et montrer à celui-ci
leurs mécontentements face à une langue imposée par le régime colonial.

Notre étude se porte sur le premier roman autobiographique intitulé La Mémoire


tatouée de l’écrivain marocain Abdelkébir Khatibi, sorti aux Editions Denoël, Paris, dans la
collection « Les lettres nouvelles » en 1971. C’est un roman qui a été écrit dans les années 70,
période pendant laquelle les écrivains traitent des thèmes subversifs qui critiquent le régime
en place. Cette critique est due au fait que certaines autorités continuent encore de perpétuer
le système colonial. Khatibi fait partie des fondateurs de la revue Souffles créée et animée par
les écrivains marocains eux-mêmes. Cette revue se penchait sur la légitimation idéologique de
la littérature marocaine d’expression française et le changement de quelques valeurs
culturelles marocaines.

La littérature marocaine est marquée par deux cultures radicalement différentes, deux
histoires antagonistes et un public hétérogène, car la colonisation porte atteinte à la culture du

6
Maroc. Abdelkébir Khatibi est né à El Jadida, une ville marocaine au Sud de Casablanca, le
11 février 1938 et est décédé le 16 mars 2009 à Rabat à l’âge de 71 ans. Son ambition est de
se lancer dans une réflexion et une pratique de l’écriture qui le conduit à rechercher une
langue dialogique qui puisse exprimer la langue maternelle dans la langue française.

En effet, La Mémoire tatouée est le roman sous-titré Autobiographie d’un décolonisé,


c’est le récit qui fit découvrir son auteur à travers une œuvre majeure de la littérature
marocaine du XXe siècle.

Dans ce roman, Khatibi évoque, à travers une éducation sentimentale et une formation
intellectuelle, les déchirements d’un garçon né dans le Maroc colonisé. Cet enfant a vécu les
années de lutte pour l’indépendance et a retrouvé en métropole la guerre, les préjugés, les
interdits d’une société dominée par la pensée colonialiste. La déstabilisation a été la
conséquence directe de la colonisation, d’où les trous de mémoire.

Le problème de la mémoire est l’une des sources d’inspiration du roman. C’est


d’ailleurs ce qui a poussé Khatibi à choisir le titre de La Mémoire tatouée, c’est-à-dire une
mémoire marquée par le traumatisme de la colonisation. En effet, la plupart des œuvres de la
littérature marocaine d’expression française étudient les troubles physiques et moraux causés
par la guerre d’indépendance au Maroc. Les écrivains issus de cette littérature de contestation
et de violence traitent dans leurs œuvres des thèmes tels que la guerre, la violence, la révolte,
la quête d’identité maghrébine, l’émigration, l’immigration, la femme, l’exil ainsi que
l’acculturation. Nous avons choisi d’étudier le problème de l’acculturation à travers le premier
roman d’Abdelkébir Khatibi La Mémoire tatouée en intitulant notre travail : « Abdelkébir
Khatibi ou le procès de l’acculturation à travers La Mémoire tatouée. »

Il est à noter que toutes les œuvres d’Abdelkébir Khatibi, qui s’étendent du roman aux
essais sociologiques en passant par la poésie, gravitent autour du même thème :
l’interrogation sur l’identité et l’origine. L’identité, exprimée par le nom propre, est soumise
aux contraintes engendrées par le joug de la colonisation. D’où la question suivante : quel
jugement Khatibi porte-t-il sur le déracinement culturel provoqué par l’action coloniale ?
Cette interrogation laisse entendre que la colonisation est la cause majeure qui provoque les
bouleversements des valeurs culturelles du Maroc.

En effet, le choix de notre sujet se justifie par plusieurs raisons. D’abord


l’acculturation est l’une des conséquences directes de la colonisation. Dans le cadre de notre
travail, il convient de définir la notion de l’acculturation. L’acculturation est un processus

7
d’aliénation culturelle par lequel l’individu ou le groupe social se trouve dépossédé de sa
langue et de sa culture au profit d’une langue ou d’une culture étrangère imposée par des
rapports de domination politico-économique ou culturelle.

En plus, le Maroc, une région du Maghreb, est une nation attachée profondément à sa
culture. Mais depuis l’instauration du régime colonial, le Maroc subit la dégradation de ses
valeurs culturelles. En d’autres termes, la présence française au Maroc pendant la colonisation
a suscité un bouleversement considérable de la mentalité marocaine.

C’est l’étude du processus de ce bouleversement culturel et linguistique qui est l’une


des premières raisons qui nous ont poussé à choisir l’acculturation comme thème. Etant né
dans un pays de culture musulmane, nous avons opté pour le Maroc pour mieux appréhender
la réalité du biculturalisme et du bilinguisme en territoire anciennement colonisé comme les
Comores. L’acculturation reste un phénomène qui constitue le drame culturel et linguistique
dans toutes les régions qui ont été colonisées par la France. C’est le cas des Comores où nous
assistons actuellement à des bouleversements culturels qui mettent en cause la culture
comorienne au profit des modèles occidentaux.

Le thème de l’acculturation est aujourd’hui en vogue. Le concept de mondialisation


est parmi les causes fondamentales de l’acculturation. Et la mondialisation a comme but
d’élargir le champ de domination des Occidentaux au détriment des pays pauvres. C’est
pourquoi nous avons choisi de réfléchir sur ce thème pour pouvoir en définir le mécanisme.

Quand nous observons un pays comme le nôtre, nous nous apercevons que la
population abandonne progressivement les valeurs traditionnelles. Elle s’apprête à imiter
arbitrairement les mentalités occidentales comme le tatouage du corps, la dépigmentation qui
se fait chez les femmes, le port d’habit à la mode occidentale afin de ressembler aux blancs.

La dégradation des valeurs culturelles liées à la religion dans notre pays nous a incité
à réfléchir des solutions envisageables pour conserver le patrimoine menacé de disparition.

Ce sont toutes ces raisons qui nous ont motivé dans notre présent travail à choisir et à
orienter notre sujet sur l’acculturation.

La Mémoire tatouée est un récit autobiographique qui appartient au roman colonial.


Abdelkébir Khatibi a choisi comme cadre le Maroc et la France. Le temps du roman est divisé
en deux périodes : la période de l’enfance passée au Maroc et la période de l’âge adulte passée
en France. Le personnage principal se manifeste par la présence du « je » autobiographique. Il
s’agit d’un « je » qui peut désigner en même temps le narrateur, l’auteur ou le récitant. A

8
travers cette Autobiographie d’un décolonisé, Abdelkébir Khatibi entreprend une quête de
l’identité et de la différence. Ici, la trame narrative est divisée en trois étapes différentes : celle
des souvenirs, celle d’une réflexion et d’une méditation sur les rapports entre l’Orient et
l’Occident, et, enfin, celle d’une réflexion sur l’autobiographie.

En outre, pour mieux appréhender notre sujet, nous allons adopter deux approches
littéraires. Il s’agit de l’approche psychanalytique et de l’approche sociocritique.

Par définition, l’approche psychanalytique est une méthode d’analyse littéraire qui
consiste à étudier un texte à l’aide de la psychanalyse littéraire. La critique littéraire
psychanalytique est une critique interprétative. La psychanalyse littéraire désigne l’analyse de
la psyché, à travers l’analyse du texte. De ce fait, nous allons mettre à profit la théorie de Jean
BELLEMIN-NOËL qui consiste à orienter l’étude sur le texte. Il convient dans ce domaine
d’étudier les symptômes qui ont échappé au contrôle de l’auteur : les formulations
inconscientes, les répétions, les absences, les lapsus et les oublis.

Le choix de l’approche psychanalytique se justifie aussi du fait qu’il est d’abord


question ici d’un problème qui concerne la mémoire. Khatibi a choisi La Mémoire tatouée
comme titre de son ouvrage afin d’évoquer les cicatrices morales provoquées par la
colonisation. De plus, la mise en cause de la culture et de la langue relève d’une réflexion liée
directement à l’appareil psychologique du décolonisé. De ce fait, la psychanalyse littéraire
sera d’une grande utilité.

Notre travail nécessite aussi l’intervention de l’approche sociocritique. La


sociocritique est un prolongement de la sociologie. Elle permet d’expliquer la littérature par la
société. Elle sera mise en œuvre parce que les notions de culture et de langue sont des valeurs
rattachées à la société. Cela veut dire qu’il est question de consacrer notre étude sur les effets
négatifs de la colonisation sur la population marocaine. Le roman de La Mémoire tatouée se
montre ici comme une résistance à l’histoire, c’est-à-dire une résistance à la colonisation.

Notre travail se divise en trois grandes parties dont chacune est composée de trois
chapitres. La première partie traitera des effets pervers de l’usage de la langue française pour
la culture du décolonisé. La deuxième partie va étudier le bilinguisme conflictuel comme
facteur d’acculturation. Et la troisième partie s’occupe de la blessure de la mémoire.

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PREMIERE PARTIE :

LES EFFETS PERVERS DE L’USAGE DE LA LANGUE FRANCAISE POUR LA

CULTURE DU DECOLONISE

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INTRODUCTION

Le choix de la langue française par les écrivains maghrébins a été un phénomène


problématique dès le début de la littérature maghrébine d’expression française. La population
du Maghreb s’interroge sur la question de cette pratique de la langue étrangère qui risque de
diviser l’être maghrébin.

Les raisons du choix du français sont multiples. Certains écrivains maghrébins qui ont
grandi sous la colonisation ont été marqués par l’enseignement du régime colonial. D’autres
écrivains dont la langue maternelle est l’arabe parlé ne maîtrisent pas parfaitement l’arabe
classique. D’où, la marginalisation de la langue arabe provoquée par l’utilisation de la langue
française.

En d’autres termes, l’usage de la langue française véhicule des conséquences négatives


vis-à-vis de la culture arabe. Car la langue du colon est considérée comme celle de la culture
seconde, c'est-à-dire une culture qui est supérieure.

La langue française a été imposée par l’administration coloniale durant l’époque


d’oppression. Cette imposition accorde le statut supérieur à cette langue tout en dévalorisant
la langue arabe.

L’usage du français provoque aussi d’autres conflits sociaux attribués aux écrivains
maghrébins francophones, car ces derniers ont été considérés par la société maghrébine
comme des traitres une fois qu’ils ont choisi d’utiliser la langue française. D’où, l’opposition
entre la langue du colon et celle du colonisé.

Le dualisme linguistique apparaît comme l’origine du déchirement culturel de


l’autochtone. Puisque la langue et la culture sont deux réalités qui s’interpellent. La langue
est un instrument véhiculant la culture. Certains nationalistes pensent que l’utilisation du
français au sein du Maghreb ne peut laisser que des traces douloureuses auprès des
autochtones.

Donc, l’usage du français remet en cause la langue arabe, la culture musulmane et


l’identité maghrébine.

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CHAPITRE I : LE MÉCANISME DE L’ACCULTURATION.

Le phénomène d’acculturation résulte du contact continu et direct entre des groupes


d’individus de cultures différents. Il entraîne des modifications dans les modèles culturels
initiaux de l’un ou des deux groupes. Sur ce, l’acculturation est un problème causé par la
colonisation au détriment de la société colonisée. D’où, le conflit de deux cultures qui reste un
obstacle difficile à franchir par les autochtones.

Pour introduire leur culture dans les pays colonisés, les colons s’attaquent à la langue
maternelle des colonisés.

I.1. La minorisation de la langue maternelle

La minorisation de l’arabe est parmi les stratégies mises en place par les colons afin de
mettre en avant leur propre culture. Ils ont commencé par enseigner le français aux Arabes
pour que ceux-ci soient dominés rapidement. Abdelkébir Khatibi le dit déjà dans son texte que
cet enseignement du français était imposé dès l’école de sa petite enfance :

« A l’école, un enseignement laïc, imposé à ma religion ; je


devins triglotte, lisant le français sans le parler, jouant avec
quelques bribes de l’arabe écrit, et parlant le dialecte comme
quotidien. Où, dans ce chassé-croisé, la cohérence et la
continuité ? »1

Dans ce passage, l’auteur met l’accent sur cette imposition de l’enseignement de la


langue du colon qui prime sur celle du colonisé. C’est une manière de dominer la langue arabe
et de la déjouer en faveur du français. Car le colon veut voir se dégrader l’arabe en vue
d’imposer le français.

La dévalorisation de la langue arabe fait partie des stratagèmes mis en œuvre par les
colons afin de privilégier leur propre culture. Khatibi en parle presque dans toutes ses œuvres.
L’auteur évoque que la présence de la langue étrangère supprime la langue maternelle :

« Lorsque je t’entretiens dans ta langue, où s’oublie la mienne ?


Où parle-t-elle encore en silence ? Car, jamais, elle n’est abolie
à ces instants. Quand je te parle, je sens ma langue maternelle
glisser en deux flux : l’un, silencieux (silence siguttural), et

1
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, Paris, Denoël, Lettres Nouvelles, Tome I, 1971, p.40.

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l’autre, qui tourne à vide, se défaisant par implosion dans le
désordre bilingue. »2

La déconsidération de la langue maternelle est l’une des conséquences néfastes


engendrées par la colonisation. Au niveau de l’enseignement et de l’administration, c’est la
langue du colon qui domine. Dans ce passage, Abdelkébir Khatibi ne manque pas de montrer
que la présence du français occupe le champ valeureux dans son pays.

I.2. La politique coloniale d’assimilation.

La politique coloniale d’assimilation est une méthode stratégique utilisée par les
colons pour s’intégrer dans les relations entre eux et les autochtones. Ces derniers ont subi
cette ruse sans leur consentement et restent dépendants du colon durant toute la période
coloniale. Nous pouvons citer par exemple le cas de la dépigmentation chez les femmes qui
est à l’origine de la politique d’assimilation instaurée par le régime colonial.

L’assimilation se manifeste également dans le mode d’habillement des colonisés qui


apprécient tout ce qu’utilisent les colons. Les autochtones imitent les habitudes des colons
afin de ressembler à l’oppresseur. Abdelkébir Khatibi développe à travers son roman cette
assimilation au niveau de l’habillement. Il évoque un personnage secondaire nommé
Carmichael qui s’habillait à l’occidentale :

« Se leva un imposteur en direction franche et, d’un geste,


proclama devant tout le monde que Carmichael portait un
pantalon occidental. Scandale! »3

L’évocation de l’habit occidental exprime ici le désir de porter ce que portent les
colons. Ces derniers ramènent leurs vêtements usés pour les offrir sinon les vendre aux
colonisés afin que ceux-ci soient considérés comme leurs semblables.

Dans cette citation, l’expression « pantalon occidental »laisse entendre que porter les
habits occidentaux c’est s’assimiler, c'est-à-dire accepter ce que les colons imposent dans le
mode d’habillement.

La politique d’assimilation ne se limite pas seulement à la couleur de la peau ni à


l’habillement mais aussi à l’utilisation de la langue étrangère au détriment de la langue
maternelle :

2
Abdelkébir Khatibi, Amour bilingue, Montpellier, Fata Morgana, Tome I, 1983, p.232.
3
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., pp.94-95.

13
« -Ecoute, tant que ma langue est parlante, dans l’exacte
mesure où je suis sacrifié à cette langue étrangère qui sépare
mon être. Ô ma langue originelle, ne t’ai-je pas trahie ! Ne t’ai-
je pas bafouée ! N’ai-je pas blasphémé tes morts ! »4

Dans cet extrait, Khatibi montre que sa langue maternelle paraît humiliée à cause de
l’usage de la langue étrangère imposée par les colons. Ceux-ci ont privilégié leur langue pour
la mettre en bonne posture et la faire une arme de domination. L’auteur s’exclame dans ce
texte pour marquer son inquiétude face à la division causée par l’utilisation de la langue
étrangère.

La politique coloniale d’assimilation consiste à montrer aux colonisés une image


semblable du colon envers eux. C’est un des stratagèmes mis en œuvre par les colons pour
surpasser la conscience des opprimés. Donc, la politique d’assimilation demeure une ruse
exercée par les dominants sur les dominés.

4
Abdelkébir Khatibi, Le Livre du sang, Paris, Gallimard, Tome I, 1979, p. 196.

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CHAPITRE II : L’ ABÂTARDISATION CULTURELLE

L’abâtardisation culturelle est un processus qui consiste à faire perdre les qualités
originelles de la culture du colonisé. Ce phénomène a été introduit par l’idéologie colonialiste
qui prône la primauté de la culture occidentale. L’occident colonial demeure le coupable de la
dégénérescence de la culture autochtone.

Le colon avait comme objectif de valoriser sa façon de vivre propre à lui face à un
peuple différent de lui. Ce qui fait que la culture originelle se décline en faveur de celle de
l’Autre. Ce dernier s’impose à l’aide de la violence engendrée par la politique coloniale.

II.1. La perte des valeurs culturelles

La culture est l’ensemble des structures sociales et religieuses des manifestations


intellectuelles qui caractérisent une société. C’est une valeur indispensable à tout groupement
social qui reconnaît son intégralité territoriale. Mais depuis l’instauration du régime colonial
au Maroc, les Marocains ont vu leurs valeurs culturelles se détériorer progressivement.
Abdelkébir Khatibi attribue la cause de la perte de sa culture au colon qui a détruit les valeurs
culturelles marocaines :

« On connaît l’imagination coloniale : juxtaposer,


compartimenter, militariser, découper la ville en zones
ethniques, ensabler la culture du peuple dominé. En découvrant
son dépaysement ; ce peuple errera, hagard, dans l’espace
brisé de son histoire. »5

Le colon ne voit d’autres moyens que de nier la culture de l’indigène pour ensuite
imposer la sienne. Dans le passage ci-dessus, Khatibi fait l’analyse de l’idéologie colonialiste
qui prétend toujours balayer la culture originelle du dominé afin de plonger celui-ci dans le
désordre biculturel. L’auteur emploie des verbes péjoratifs tels que « juxtaposer »,
« compartimenter », « découper », « ensabler » qui évoquent le champ lexical de la division.

En d’autres termes, le colon privilégie l’instauration de la division au sein du peuple


dominé afin de mieux diriger ses colonies. C’est une des stratégies colonialistes les plus
dangereuses : l’utilisation de la violence et l’accentuation de la division des pays en ethnies. Il
s’agit d’une fissure sociétale causée par les stratégies du colon.

5
Abdelkébir Khatibi , La Mémoire tatouée, op.cit., p.34.

15
La perte des valeurs culturelles marocaines fait partie des conséquences néfastes de la
colonisation. Cette dernière a laissé derrière elle beaucoup de malheurs qui affectent tous les
secteurs. Par exemple la culture, la langue et la religion qui sont toutes menacées par la
présence du colon.

La dégradation des valeurs culturelles marocaines est analysée par Abdelkébir Khatibi
comme un mal intérieur de son peuple. Le colon a d’abord introduit la terreur et les troubles
afin de désorienter la culture du dominé. Le terme « hagard » employé par l’auteur signifie le
désordre ou le trouble.

L’esprit colonialiste vise tout simplement la primauté de sa culture dans un pays


arabo-musulman où le peuple s’attache profondément aux valeurs traditionnelles. Cette
déroute de la culture marocaine affecte aussi l’histoire toute entière du Maroc. Dès lors, il est
permis de souligner que l’usage de la violence du colon reste la cause profonde des maux
laissés par l’histoire coloniale.

En fait, le peuple marocain ne sait pas où elle devrait aller une fois que ses valeurs
culturelles restent dévalorisées par l’étranger. Car c’est un peuple qui se ressent ahuri et même
étranger dans un pays qui lui appartient. Le Marocain colonisé est alors forcé de vivre avec
l’oppresseur afin de sauver sa vie menacée par les effets néfastes de la colonisation.

Donc, la perte des valeurs culturelles marocaines est une conséquente directe de la
colonisation qui se manifeste même pendant l’acquisition de l’indépendance. Car cette
dernière, malgré sa présence, n’a pas atteint entièrement son objectif.

II.2. La déconstruction culturelle par la laïcisation.

La remise en cause de la culture du décolonisé a toujours été une question récurrente


pour Khatibi. La religion qui est une valeur culturelle est aussi profanée. C'est-à-dire que
l’usage de la langue du colon a banalisé la langue du Coran. L’auteur dit que cela a été
introduit depuis l’école :

« A l’école, un enseignement laïc imposé à ma religion ;... »6

Il convient de dire ici que la langue française est présentée comme un mal qui porte
atteinte à la religion du décolonisé. L’administration coloniale a passé par la laïcisation pour
pouvoir imposer au colonisé l’emploi de sa langue. Donc, le processus de laïcisation reste un
facteur destructeur de la culture du colonisé.
6
Op.cit., p.40.

16
Abdelkébir Khatibi parodie le Coran à travers La Mémoire tatouée. Il montre
l’importance de cette parodie dans sa part et sa vocation d’écrivain. Il n’a pas manqué de
souligner que la culture religieuse domine sa pensée et que l’usage du français l’inquiète :

« De là à comparer mon français à la langue du Coran exige un


autre parchemin, qui arrivera le jour où rien ne m’empêchera
de sauter de page en page, eu égard à mon dédoublement
furieux, et le livre que j’écrirai sera alors pensée religieuse.
Arbre de mon enfance, le Coran dominait ma parole alors que
l’école, c’était une bibliothèque sans le Livre. »7

L’objectif de l’autobiographie est de retrouver la maghrébinité qui est menacée par


le « dédoublement furieux » du biculturalisme. Ce dernier est porteur de la dévalorisation de
l’arabe présenté ici en tant que langue d’une écriture sainte. L’existence de deux cultures au
Maroc a établi une situation de conflit culturel. C’est pourquoi Khatibi parle du dialogisme
biculturel.

La primauté du Coran dans l’esprit de l’auteur est très importante. Cette importance se
manifeste dans ses écrits aussi bien que dans son expression orale. Car Khatibi met en avant la
langue du Coran malgré que celle-ci soit dominée par l’enseignement laïc du système
colonial. Dès lors, la laïcisation se présente comme un piège tendu au décolonisé pour
profaner sa religion de culture musulmane.

Le biculturalisme au Maroc a été véhiculé par l’utilisation déroutante de la langue


française. Ensuite, la prédominance du français continue à persister de telle sorte que même
les valeurs religieuses sont affectées par les effets néfastes de l’usage de cette langue. Dans ce
passage ci-dessus, Khatibi expose la compromission de la langue de sa religion par le
français. En fait, l’auteur tient à exprimer que malgré cette implication, la langue du Coran
demeure toujours plus indispensable et constructive de son être et de sa formation
intellectuelle.

7
Abdelkébir Khatibi , La Mémoire tatouée, op.cit., p.41.

17
CHAPITRE III :L’ALIENATION CULTURELLE

L’aliénation culturelle se manifeste par les difficultés de vivre deux cultures


différentes. Lorsque la culture de l’autochtone est bafouée par celle de l’autre, elle est en
quelque sorte bannie, car l’aliénation est une forme de dépendance soumise au colonisé.

Depuis 1970, les romans écrits dans cette période se veulent une révolte contre
l’histoire d’une aliénation qui se continue. De ce fait, la recherche de l’identité ne s’est pas
limitée, dans la littérature maghrébine contemporaine. Sur ce, les écrivains s’intéressent de
plus en plus à la mémoire collective afin d’y rechercher les sources d’une identité maghrébine
que l’aliénation causée par la colonisation a fait disparaître.

Les écrivains maghrébins ont été contraints par plusieurs formes d’aliénations comme
l’aliénation culturelle. Au fait, l’aliénation de l’écrivain est surmontée par l’écriture, mais pas
n’importe quelle écriture, surtout quand il s’agit d’homme colonisé ou en période de
décolonisation. Les premières formes d’aliénation se manifestent par le déchirement
linguistique et le déracinement culturel.

L’identité maghrébine est remise en cause en raison de l’aliénation culturelle qui finit
par provoquer la perte de cette identité.

III-1. La perte de l’identité

L’identité maghrébine est le point focal autour duquel sont issues toues les œuvres
littéraires de la littérature maghrébine d’expression française. L’identité est le caractère
permanent et fondamental de la personne du Maroc. C’est une valeur qui fait l’être et le bien-
être de tous les Maghrébins et qui se résume dans le terme de maghrébinité. Cette dernière a
été remise en cause depuis l’arrivée des colons au Maghreb.

L’usage de la langue française qui a permis au colonisé de revendiquer son identité


s’est retournée contre lui à cause de l’apport culturel négatif. Ce biculturalisme véhiculé par la
langue de l’Autre a fini par instaurer chez le colonisé une crispation identitaire. D’où, la perte
de l’identité maghrébine qui demeure parmi les conséquences négatives de la colonisation.

La perte de l’identité peut s’expliquer par la dévalorisation de la culture maghrébine,


une dégradation de l’usage de la langue arabe et une perte de soi, c'est-à-dire une perte de la
personne du Maghreb. Abdelkébir Khatibi fait partie des premiers auteurs maghrébins qui ont

18
réfléchi en profondeur sur cette question de la perte de l’identité. C’est une question
problématique du fait que des auteurs continuent à la traiter jusqu’alors.

Dans La Mémoire tatouée, il y a en même temps roman, autobiographie et poésie. Car


Abdelkébir Khatibi, en renonçant aux modèles romanesques occidentaux, invente sa propre
manière d’écrire en exploitant le mélange des genres. C’est ici où son identité est perdue mais
il essaie de la retrouver à l’aide du bilinguisme. Abdelkébir Khatibi exprime la perte de
l’identité lorsque sa propre culture se trouve devancée par celle du colon :

« On m’acceptait parce que j’étais semblable, annihilant


d’avance toute mon enfance, toute ma culture. »8

Khatibi évoque la mort de sa culture par l’aliénation. Après avoir acquis la double
culture, il a pris le même visage que celui de l’Autre. C'est-à-dire qu’il est à la fois le même et
l’Autre. Cette ressemblance a fini par se transformer en dissemblance puisque la culture du
colonisé est annihilée. Cette annihilation culturelle signifie la perte de l’identité de l’auteur
qui ne cesse de se plaindre de sa personne et de tous les Marocains.

Telle est la crispation identitaire à la fois douloureuse et désirable qu’impose le


biculturalisme. Cette perte identitaire se manifeste dans le même corps, l’ici et l’ailleurs, le
même et l’Autre, l’identité et la différence. Khatibi affirme qu’il ne pourrait pas y avoir
d’identité véritable qui est le but de toute décolonisation. Comme nous montre le sous-titre :
Autobiographie d’un décolonisé. Ce dévoilement de l’échec de la décolonisation est ici
exprimé avec refus et rejet de toute assimilation d’une différence instaurée par l’usage de la
langue française.

En fait, il est à noter que la réflexion menée par Abdelkébir Khatibi sur cette perte de
l’identité est difficile à appréhender. Il se projette de rechercher son être de nature maghrébine
confisquée, victime d’un « rapt culturel ». Car la perte d’identité devient sa préoccupation
majeure de son roman:

« On rompt une enfance, par arrêt méditatif, à l’intersection


d’une identité qui se dévore elle-même et la fatigue d’une
fascination à l’âge successif. »9

8
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.71.
9
Idem, p.45.

19
Dans cette citation, Khatibi ne cache pas sa crispation identitaire qui s’impose depuis
son enfance. Le problème de sa personne se dessine chez lui dès qu’il s’aperçoit infligé par le
désordre colonial de son temps. L’auteur s’interroge sur la confiscation de son être influencée
par le désir d’apprendre les valeurs culturelles françaises. Car ce désordre identitaire est la
conséquence immédiate du rapt de sa culture.

En plus, l’auteur exprime la rupture qui se met en place dans sa personne et explique
que celle-ci lui affecte depuis sa naissance. Il est un enfant né au début de la Seconde Guerre
mondiale et les conséquences de ce conflit touchent son pays engagé dans une guerre qui n’est
pas la sienne. Donc, il est évident que l’identité recherchée à travers ce roman
autobiographique est loin d’être acquise, car des conflits de tous genres rendent instable le
Maghreb, y compris le Maroc et son peuple.

III.2. L’acquisition d’une culture hybride

Par définition, la culture est un système de connaissances transmises par des systèmes
de croyances, par le raisonnement ou l’expérimentation qui la développent au sein du
comportement humain, en relation avec la nature et le monde environnant. Ce genre de
culture a un rapport étroit avec le concept de l’identité culturelle d’un peuple, car la culture
est une dimension de l’identité de l’homme.

La culture hybride est une culture composite, c'est-à-dire composée d’éléments


disparates. Cette forme de culture est à l’origine de la diversité culturelle acquise depuis
l’installation de la colonisation au Maroc. La diversité culturelle a provoqué une apparition
subite de culture de masse constituée de diverses formes de cultures telles que la culture
européenne plus précisément la culture française.

L’acquisition de la culture hybride renvoie au passage de la culture arabe à la culture


française. Le conflit culturel apparaît lorsque la culture étrangère devance celle de
l’autochtone colonisé. L’hybridité culturelle chez Khatibi se manifeste aussi par le mélange
des genres littéraires qui se trouvent présents dans La Mémoire tatouée. Celui-ci est un roman
hybride dans la mesure où il contient quelques concepts et thèmes de la pensée de Khatibi
qu’il va développer dans les autres ouvrages.

Abdelkébir Khatibi a vécu réellement cette hybridité culturelle étant donné qu’il a
passé beaucoup d’années en France. Ses moments vécus à l’étranger lui ont permis d’acquérir

20
la culture de l’Autre qui s’ajoute finalement à la sienne. D’où cette liaison dangereuse entre
les éléments des deux cultures qui se mettent en place au sein de son écriture :

« Paris que je fréquentais reconnaissait ses phantasmes dans ce


Narcisse comblé, c’était sûrement du toc ; comme je n’avais pas
de préjugé désagréable vis-à-vis du toc et que le délire délicieux
des cultures est un regard réjoui, j’allais voir ses films pour
discuter ensuite. Après tout, j’étais là pour filer le temps, délier
ma langue, et non pour fuir. »10

A travers ce passage ci-dessus, l’auteur insiste sur l’intrusion de la culture française


dans la culture marocaine. Khatibi en montre l’exemple fâcheux acquis à l’étranger en ce qui
concerne le plan culturel. Il exprime aussi que « Paris » se présente pour lui comme un
élément qui exige de l’amour pour cette capitale. L’emploi du mot « Narcisse » avec une
majuscule à l’initiale explique l’importance du terme pour désigner enfin cette
personnification. Il s’agit d’une sorte de métaphore dont le comparé est inanimé(Paris) et le
comparant animé (Narcisse qui veut dire un homme amoureux de sa propre image). L’usage
de cette personnification consiste à valoriser la capitale française, c'est-à-dire la culture
française pour enfin dévaloriser celle de Khatibi.

En outre, l’auteur a employé une autre figure de style qui fait partie de la catégorie des
figures d’opposition. Il s’agit de l’oxymore ou l’alliance des contraires qui met en relation
grammaticale des termes qui s’excluent par leur sens. Dans l’expression « le délire délicieux
des cultures », il y a de l’opposition causée par la combinaison du nom « délire » qui veut dire
un trouble psychique caractérisé par la confusion des idées, sans rapport avec la réalité. Ce
terme qui relève de la psychanalyse littéraire signifie dans notre contexte la confusion sentie
par Khatibi face aux deux cultures dans un pays qui n’est pas le sien. L’auteur n’y arrive pas à
conserver sa propre culture qui est contrainte à l’imitation de celle de l’Autre (toc), c’est une
imitation qui se fait d’une manière inéluctable dans la mesure où Khatibi se trouve dans un
pays qui n’est pas le sien.

Le terme « délicieux » rattaché directement à celui de « délire » signifie l’état extrême


de ce qui est très agréable. Sur ce, dans cette figure d’opposition, l’auteur veut signifier qu’il a
vécu le biculturalisme en France où il en a profité pour s’enrichir de la culture de l’Autre. Cet

10
Abdelkébir Khatibi , La Mémoire tatouée, op.cit., p.78.

21
enrichissement culturel a abouti à la dévalorisation de sa propre culture qui demeure la culture
seconde en territoire étranger.

De plus, l’hybridité culturelle évoquée par Abdelkébir Khatibi a affecté la langue.


L’auteur exprime la libération de sa langue minimisée quand il était au Maroc.
L’expression « délier ma langue » renvoie au plaisir senti en France lorsque l’auteur parle sa
langue. Celle-ci est considérée comme valeureuse par ceux qui sont étrangers de cette langue.

22
CONCLUSION

Au terme de cette partie, il est vrai que l’usage de la langue française demeure
problématique pour la culture du colonisé. Abdelkébir Khatibi n’a pas manqué de souligner
les conséquences néfastes engendrées par l’utilisation de la langue française. Parmi ces
conséquences, nous pouvons citer la déconsidération de la langue maternelle et la perte des
valeurs culturelles marocaines.

Ainsi, l’utilisation de la langue française au Maroc a occupé pendant la colonisation


une place de premier plan. Car Khatibi démontre ce statut supérieur de la langue du colon qui
profane la langue de sa religion. L’auteur évoque cette profanation surtout quand il s’agit
d’établir une comparaison entre le français et la langue du Coran, c'est-à-dire l’arabe.

Abdelkébir Khatibi se présente dans le roman comme un auteur à double face, c'est-à-
dire à la fois colonisé et décolonisé. Car le processus de la décolonisation qu’il est en train
d’analyser n’a pas atteint son objectif. Etant décolonisé, l’écrivain se sent encore colonisé
moralement à cause de l’usage du français qui est au détriment de son identité cultuelle.

23
DEUXIEME PARTIE :

LE BILINGUISME CONFLICTUEL COMME FACTEUR D’ACCULTURATION

24
INTRODUCTION

Le bilinguisme est une situation qui désigne la présence de deux langues différentes
dans une société donnée. Dans le cas du contexte colonial, c’est un bilinguisme imposé au
profit de la langue du colon. Cette dernière est la langue de l’administration et de
l’enseignement. D’une part, le bilinguisme se présente comme un phénomène négatif du fait
qu’il est imposé dans la violence. D’autre part, il est une arme pour les écrivains puisqu’il leur
permet de se libérer du joug de la colonisation. Dans ce sens, il est un instrument de
jouissance et un outil de travail.

Le bilinguisme est toujours négatif dans le contexte colonial. Car il a envahi tous les
domaines tels que l’administration, l’enseignement, la culture et même la religion. C’est la
langue du colon qui occupe la grande partie de la vie de la société. C’est le primat du français
au détriment de l’arabe.

C’est une domination linguistique qui se manifeste surtout pendant la colonisation. Ce


qui fait que les Marocains perçurent de plus en plus qu’il y avait pour eux quelque chose
d’avantageux à s’emparer de la langue française pour entrer dans la modernité. Cette dernière
a permis aux écrivains marocains de se libérer à l’aide de la langue.

Les colonisés qui sont contraints à une langue qui n’est pas la leur restent confrontés à
un problème de choix de langue. Il s’agit de choisir entre la langue française ou la langue
arabe dans l’écriture.

En fait, beaucoup d’écrivains ont choisi d’utiliser le français pour exprimer leur
mécontentement, jouir de cette langue étrangère et l’utiliser comme un outil de travail.

25
CHAPITRE I: LA NOTION DE TRANSCULTURATION DANS LA MÉMOIRE
TATOUÉE

Dans le contexte colonial sur lequel s’est penché notre travail, la notion de
transculturation se produit lorsque le colonisateur adopte des éléments culturels du peuple
colonisé. Dans cette situation, il s’agit d’un mélange culturel qui s’effectue par les effets
produits par les deux cultures. D’où l’interpénétration culturelle qui se met en œuvre dans le
cadre de notre étude.

Sur ce, la notion de la transculturation se concrétise dans deux volets. D’une part,
l’adoption de la culture étrangère. D’autre part, l’attachement à la tradition ancestrale.

I.1. L’adoption de la culture étrangère

L’adoption de la culture étrangère s’est produite quand Abdelkébir Khatibi fait sienne
la culture du colonisateur. A partir du moment où l’auteur s’approprie de la langue étrangère,
il adopte alors la culture étrangère. C’est dans ce sens que la question de la transculturation
surgit. C’est pourquoi il convient de mettre en lumière la transculturation dans notre travail.

D’autre part, la transculturation se fait sentir lorsque Khatibi a vécu son séjour en
France pour ses études supérieures. C’est dans cette période de son âge adulte que l’auteur a
connu la double culture. Sur ce, il est à noter que depuis l’école franco-marocaine,
l’adolescent a adopté la culture française. Mais son séjour en France a accentué la réalité des
choses.

Les manifestations de la transculturation chez l’Occident sont remarquables. Dans La


Mémoire tatouée, le lecteur s’aperçoit que bon nombre de lexiques arabes sont francisés. Et
cette francisation des vocables arabes est due aux influences coloniales. Ce qui fait que la
notion de la transculturation se concrétise :

« J’avais fréquenté l’école coranique pendant un certain


temps. On me demanda de m’exercer à la calligraphie,
parce qu’elle mène, nous répétait le fqih, droit au
paradis, »11

Ce passage illustre bel et bien la présence du lexique arabe dans l’écriture en langue
française. Cette adoption de la culture arabe par le colon se manifeste au mot « fqih ». Ce

11
Abdelkébir Khatibi , La Mémoire tatouée, op.cit., p.25.

26
vocable désigne un guide spirituel responsable de l’enseignement coranique. Sur ce, le stock
lexical français s’est alors nourri du lexique des colonies.

Dans Le Livre du sang et Amour bilingue, le lexique arabe devient récurrent. Cette
récurrence marque l’enrichissement de la langue française par l’arabe. Et cet enrichissement
est occasionné par la fascination de ce qui appartient à l’autre. C’est ainsi que Khatibi écrit :

« Il se calma d’un coup, lorsqu’apparut le « mot » arabe


« kalma » avec son équivalent savant « kalima » et toute la
chaîne des diminutifs, calembours de son enfance : « klima… »
La diglossie « kal(i)ma » revint sans que disparût ni s’effaçât le
mot « mot ». Tous deux s’observaient en lui, précédant
l’émergence maintenant rapide de souvenirs, fragments de mots,
onomatopées, phrases en guirlandes, enlacées à mort :
indéchiffrables. Scène encore muette. »12

Dans Amour bilingue, l’un des récits de Khatibi où il a employé beaucoup de termes
arabes en même temps francisés. Dans ce texte, le mot « kalima » signifie « mot » en français.
C’est d’ailleurs le premier mot arabe utilisé à travers tout le récit. De ce fait, « calma »
et « kalma » forme une paire homonymique et à la fois homophonique. Ainsi, les deux
lexiques « kalima » et « mot » sont linguistiquement et culturellement étrangers l’un par
rapport à l’autre.

En outre, concernant Le Livre du sang, l’auteur n’a pas hésité d’employer les lexiques
arabes :

« Plusieurs histoires et voix tournent ici autour de l’apparition


d’un Androgyne dont le personnage féminin Muthna (prononcez
Mouthna) signifie justement, en arabe, efféminé, duel. »13

Cette présence du lexique arabe dans l’écriture en français justifie la notion de


transculturation. Car quand le colonisé utilise la langue française, le colon emploie à son tour
le lexique arabe. Ce qui fait que les deux langues rivales en présence vivent en échange et en
harmonie.

En outre, l’adoption de la culture française est nécessaire pour Khatibi. D’ailleurs, la


différence et l’identité s’acquièrent lorsque celui-ci se trouve face à deux cultures :

12
Abdelkébir Khatibi , Amour bilingue, op.cit., pp.207-208.
13
Abdelkébir Khatibi, Le Livre du sang, op.cit., p.117.

27
« J’organisais les autres à partir de mes aléas et leur intrigue ;
au centre de la vie, je pouvais m’occuper des livres et reprendre
les jeux de la culture. »14

Se servir des livres est synonyme de se cultiver moralement et spirituellement. Les


livres sont des trésors de connaissance et de culture. C’est pourquoi l’auteur s’apprête à
employer le mot « livres ». Selon Khatibi, les livres sont porteurs de la culture française.

De ce fait, Khatibi considère la langue française comme l’un de ses patrimoines. Il


déclare que le français est sa langue de vocation première :

« Plutôt une interlangue : entendre en anglais ou en allemand et


traduire en français, ma première langue. »15

L’auteur fait sienne la langue du colonisateur. Depuis l’enfance, le narrateur explicite


la primauté du français dans sa culture. Une langue étrangère qui véhicule une culture
étrangère s’apprend. Et cet apprentissage aboutit à la parfaite maîtrise de la langue française.
Dès lors, l’appropriation de la langue française devient une réalité.

D’une part, l’appropriation du français se manifeste au niveau de l’usage. De l’autre,


l’appropriation s’explique par la maîtrise de la langue et le goût de l’usage.

Le passage d’une langue à l’autre est une occasion tant attendue par Khatibi. Cet acte
est un facteur libérateur et enrichissant. En même temps, il est condamné à subir quelques
contraintes face au mélange des deux cultures. Car le biculturalisme ne va pas sans
inconvénient. C’est pour cette raison que l’auteur stipule :

« Dès lors, je ne pouvais partager l’impartageable −ce chiasme


de la solitude − ni cette souffrance, non plus cette grande joie
de passer d’une langue à l’autre,qui alimentait mon épreuve de
la pensée. Ce qui semblait nous unir était une extraordinaire
traduction. »16

Le passage suggère l’importance du dédoublement linguistique et en même temps, les


contraintes qui en découlent lorsque deux cultures se coïncident. Cette coïncidence engendre
encore une situation ambivalente et cette ambivalence fait l’originalité de la pensée
khatibienne.

14
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.84.
15
Abdelkébir Khatibi ,Un Eté à Stockholm, Paris, Flammarion, Tome I , 1990, p.310.
16
Abdelkébir Khatibi , Amour bilingue, op.cit., p.246.

28
Pour ce faire, Khatibi expose la richesse du bilinguisme. Ce dernier est la source de la
communion avec le colon. Car pour dépasser le colonisateur, il faut d’abord dominer sa
langue. C’est la stratégie appliquée par bon nombre d’écrivains. Dans ce cas, l’adoption de la
culture étrangère se fait par l’usage de la langue.

Cette adoption de la culture étrangère, c'est-à-dire de la culture française s’effectue


fréquemment à travers la langue. Car la langue est un trait caractéristique de la culture. C'est-
à-dire que tout ce qui est linguistique est culturel. C’est pourquoi un auteur comme Khatibi
combine ces deux notions dans son écriture. Dès lors, l’étude de la langue et de la culture fait
un travail unique chez Khatibi.

I.2. L’attachement à la tradition ancestrale.

L’attachement à la tradition ancestrale relate le côté positif de la transculturation.


Khatibi affiche sa volonté de s’attacher à sa tradition ancestrale dans deux aspects. D’une
part, il est obsédé par le désir du retour aux sources. De l’autre, Khatibi est animé par la
fascination de sa langue. Ceci pour manifester son attachement à sa culture ancestrale :

« Me saisit la même fascination devant cette Bédouine tatouée.


Quand celle-ci ouvre la main ancestrale, j’épouse ma fixation
au mythe. Toute calligraphie éloigne la mort de mon désir, et le
tatouage a l’exceptionnel privilège de me préserver. Aucun
point de chute dans le chaos, seulement la force d’une impulsion
dénouée, un graphe prompt comme un clin d’œil. »17

L’auteur essaie de se conformer intimement à sa culture. La tradition ancestrale mérite


d’être valorisée. En fait, le « tatouage » était jadis un symbole de la culture maghrébine. Mais
il a été prohibé au fur et à mesure par l’Islam. La calligraphie arabe fait partie intégrante de la
culture marocaine. C’est pourquoi Khatibi l’expose ici comme un trait culturel.

Les villes marocaines symbolisent elles aussi la tradition culturelle ancestrale. Ces
villes sont les lieux de l’enfance de Khatibi. Et chaque fois elles réapparaissent dans son
écriture romanesque. En plus, le souvenir de la ville natale permet d’évoquer les autres villes.
Il s’agit de Marrakech, El Jadida, Essaouira et Casablanca. Dans ce sens, l’évocation de ces
villes représente un signe purement culturel, car celles-ci constituent un double statut : un
statut maternel et culturel :

17
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p16.

29
« Marrakech se fit dépouiller de la place Djamaa Lfna par un
certain puritain, les bordels furent rayés de notre géographie.
Le Pacha, sous le poids de la défaite, s’inclina. On barbouillait
l’espace de morale triomphante, on voulait nettoyer d’un trait la
longue servitude. La tradition semblait, pour un instant,
refoulée. »18

Dans ce passage de La Mémoire tatouée, l’intervention de la psychanalyse semble


logique. Avec l’emploi du vocabulaire psychanalytique « refoulée », le lecteur s’aperçoit à
l’analyse de la psyché. Car en psychanalyse, le terme « refoulé » signifie le cas d’une
personne qui empêche ses désirs, en particulier sexuels de se manifester, de se réaliser.

Mais dans le cadre de notre passage, le mot « refoulée » prend le sens de « censuré »
ou de « défendu ». Ceci laisse entendre que la pratique de la tradition était ambiguë pendant
l’époque coloniale. Ici Marrakech est représentée comme une ville favorable pour le
narrateur. C’est un espace authentique et digne de la tradition ancestrale. La dernière phrase
du passage renvoie à un langage de crainte de la part du narrateur. Celui-ci se plaint de voir la
tradition en train d’être bannie, c'est-à-dire que Khatibi fait allusion au déclin de la civilisation
arabe.

La tradition est dans un sens le refuge de toute personne. Dans une situation
transculturelle, le dominé est appelé à être vigilant, car dans tous les cas, c’est la culture
autochtone qui laisse place à celle de l’étranger. Dans ces conditions, c’est la violence et
l’imposition qui privent le dominé de sa culture. C’est ainsi que Khatibi fait machine arrière
dans son texte suivant :

« Pour honorer la demande toujours grande, nous nous


installâmes dans le grand théâtre de la ville. Au programme, des
pièces poétiques en arabe classique. A la fin du spectacle, le
public était toujours assis, il n’avait rien compris à cette langue
des livres. Un acteur cria au public que c’était réellement la fin
et qu’il pouvait partir. Cet échec nous donna une raison, on se
réfugia dans la tradition, seule manière de séduire. »19

18
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.67.,
19
Idem, p.66.

30
Dans ce passage, l’auteur parle de l’échec de la langue française. Dans la mesure où
cette langue veut exprimer des sentiments arabes, il faut employer la langue arabe. Mais ici le
narrateur vit ce problème bilinguistique qui devient biculturel. Certes, l’auteur semble se
demander comment manifester des sentiments arabes dans une langue étrangère. Ce qui fait
que « le public n’avait rien compris. »

Mais dans cette situation, c’est la question de la transculturation qui impose sa place.
Il s’agit même d’un dilemme biculturel car l’auteur est confronté à deux choix en même
temps nécessaires. Ces deux éléments culturels ne peuvent aller ensemble. D’où le recours à
« la tradition » ancestrale qui est la « seule manière de séduire ». Ce refuge dans la tradition
symbolise le retour aux sources et à la langue arabe.

En parlant de la langue arabe, Khatibi déclare son attachement à sa langue maternelle.


Ceci dans le but de refuser celle de l’Autre :

« Quand j’écris en français, ma langue maternelle, se met à


l’écart, elle s’écrase(…). Mais elle revient comme on dit, la
mère, la terre, la loi voilée. Et je travaille aussi à la faire
revenir quand elle me manque. »20

Ici la question de la langue s’annonce au terme du bilinguisme. L’auteur s’inquiète sur


la manière de surmonter l’écart bilinguistique. Car c’est cet écart qui malmène le statut de sa
langue.

Sous un autre angle, Khatibi ne voit pas trop mal le bilinguisme. Malgré ses effets,
l’auteur arrive à gérer la complexité du bilinguisme. Car quelles que soient les circonstances,
le bilinguisme est toujours ambigu. D’où, l’utilisation du terme péjoratif « s’écrase ». Selon
Khatibi, même si sa langue se détruit, il est capable de la rendre vivante. C’est pourquoi il dit :
« je travaille aussi à la faire revenir.»

Ce passage laisse entendre que Khatibi possède la clé de déjouer les effets négatifs du
bilinguisme. Celui-ci a fait couler beaucoup d’encre dans l’écriture khatibienne. C’est pour
cette raison que l’auteur se donne comme objectif de tirer parti dans le bilinguisme.

De plus, Abdelkébir Khatibi ne cache pas son appartenance inéluctable des deux
cultures. Son séjour à Paris était le premier signe de la transculturation. C’est ainsi qu’il dit :

20
Abdelkébir Khatibi, ‘’Repères’’, Pro- culture, Spécial Khatibi, 1979, p.49.

31
« Faut-il tout dire ? Avant le départ pour Paris, pas de
promesse à ma mère de revenir intact : partir pour toujours, me
faire griser ou perdre le feu aïeul de ma tribu. Elle accepta ma
tentation nomade, et elle pleura, car elle me savait devenir un
peu plus simulacre. »21

Le passage suggère la métamorphose forgée par le séjour du narrateur en France. Dès


le départ, l’auteur s’inquiète de retourner au pays avec sa culture initiale. Car le mot « mère »
symbolise ici sa propre culture. Quand il dit qu’il n’est pas sûr de « revenir intact », parce
qu’il doute de la tentation de la culture étrangère. Cela justifie les effets significatifs de la
transculturation. Khatibi ne peut pas empêcher le biculturalisme tant qu’il séjourne en France.
C’est pourquoi il parle d’une « tentation nomade » dans ce passage.

En effet, l’attachement à la tradition ancestrale révèle de la transculturation. Cet


attachement se manifeste à travers la ville :

« Avais-je les clés de la ville, Cordoba ancestrale ! Si j’étais


poésie, princes déchus, ruines, fresques, mosquées ! J’étais
toujours fils de mon père et de ma lignée, je ne prévoyais ni
paradis, ni énigmes que mon pied eût pu fouler. Mon frère erra
dans ces déserts de la belle mémoire, cherchant la trace de ses
ancêtres andalous. L’Andalousie respirait maintenant une autre
fureur. Même chaleur qu’à Marrakech, même illusion de la
poitrine ouverte, je circulais dans les labyrinthes, me
rapprochant, irrésistiblement, de ma forme. Un lieu, un mythe,
croisement. »22

Les signes transculturels s’apparentent les uns des autres. « Cordoba » est une ville
d’Argentine qui laisse entendre le passage de l’Islam et de la civilisation arabe en Occident.
Dans le passage, « Cordoba » et « Marrakech » se rapprochent l’une après l’autre. C’est ce qui
prouve l’effet biculturel à la fois transculturel. Le Champ lexical de la civilisation arabe est
dominant : « ancestrale », « mosquées », « lignée », « déserts », « ancêtres », « labyrinthe » et
« mythe ». Ces vocabulaires marquent l’aspect à la fois mythico-religieux de la culture arabe.
Le narrateur est en train de chercher ses racines ancestrales.

21
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.73.
22
Idem, pp.96-97.

32
Selon Khatibi, si son « frère erra dans ces déserts », c’est qu’il s’adonne aussi à la
recherche de sa tradition. Car la phrase « l’Andalousie respirait maintenant une autre fureur »
fait allusion à la chute de la civilisation arabe en Andalousie au XIVe siècle. Donc, ce va-et-
vient de la culture arabe entre l’Orient et l’Occident justifie la transculturation. Malgré cela,
Khatibi entreprend toujours son attachement à la tradition ancestrale.

Le terme « déserts » a une double signification chez Khatibi. De ce fait, le désert est
une notion relative à la pensée des origines. Il est la métaphore de l’imaginaire et de la
création de la pensée dans l’écriture khatibienne. La deuxième signification du désert est
relative à la mémoire et au nomadisme. Cette analyse du désert dans ce passage révèle de
l’aspect dimensionnel de l’espace. C’est ce qui fait l’importance culturelle du désert chez
Khatibi.

33
CHAPITRE II : L’ÉCHEC DE L’ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE FRANÇAISE

L’échec de l’enseignement de la langue française se manifeste par les dangers que


celle-ci présente. Dans ce sens, le phénomène de la diglossie est la première forme de danger
du bilinguisme. Ce dernier se répand au Maghreb tout en favorisant le statut supérieur de la
langue du colonisateur.

La deuxième autre forme de danger que présente la langue française c’est que celle-ci
s’attaque à la culture indigène. La culture marocaine perd petit à petit sa valeur initiale. Dans
ce cas, le bilinguisme devient conflictuel et facteur d’acculturation. D’où l’interférence
culturelle néfaste entre deux cultures différentes.

II.1. Le désordre diglossique :

La diglossie est une situation linguistique dans laquelle l’une des deux langues qui
coexistent a un statut inférieur par rapport à l’autre. Cette situation prévaut généralement dans
les pays qui ont été colonisés. Il y a une inégalité de statut des langues en présence qui
provoque un désordre langagier presque insurmontable chez le colonisé :

« Mon père m’envoya à l’école franco-musulmane en 1945. (…)


A l’école, un enseignement laïc, imposé à ma religion ; je devins
triglotte, lisant le français sans le parler, jouant avec quelques
bribes de l’arabe écrit, et parlant le dialecte comme quotidien.
Où, dans ce chassé-croisé, la cohérence et la continuité ? »23

La diglossie apparaît véritablement violente car il s’agit ici d’une langue imposée au
détriment de l’arabe. Dans cette situation, le désordre diglossique règne d’abord à l’école
ensuite dans la conscience de l’enfant. Ce bilinguisme inégal est instauré par l’école
française. L’imposition de la langue française affecte d’abord la langue du narrateur puis à sa
religion. Dans ce texte, le désordre de la diglossie s’élargit de plus en plus et dégrade l’esprit
de l’enfant tout empêchant celui-ci de penser authentiquement :

« Cet homme qui affleurait à peine ma mère s’acharna sur le fils


aîné. J’arrivais en troisième position : mon père accepta de

23
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée , op.cit., pp.39-40.

34
m’expédier à l’école franco-marocaine, je devins la conscience
dégradée, donnée à la mécréance. »24

L’origine de tous les problèmes évoqués ici est l’école française. Car cette dernière est
porteuse de ce qui appartient à l’Autre. En effet, la dégradation de la conscience nourrit
l’impossibilité de l’auteur de pouvoir réfléchir aux problèmes de sa vie. C’est le drame de
l’acculturation. L’auteur est condamné de suivre les exigences de l’école française à partir du
moment où son père l’a jeté aux mains des colons. Ces exigences sont au détriment de sa
propre culture. C’est-à-dire qu’il est dans l’obligation de penser à la manière française à cause
de l’usage du français.

En effet, dans une perspective intertextuelle, Kateb Yacine est le premier qui a vécu
les douleurs de l’enfant envoyé à l’école française. L’auteur n’a pas manqué de souligner les
dangers que présente l’école coloniale. C’est une perte véritable de sa langue et de sa culture :

« Pourtant, quand j’eus sept ans, dans un autre village (on


voyageait beaucoup dans la famille, du fait des mutations de la
justice musulmane), mon père prit soudain la décision
irrévocable de me fourrer sans plus tarder dans la « gueule du
loup », c'est-à-dire à l’école française. » 25

La situation de malaise sentie par l’enfant lors de son expédition à l’école française
était une réalité vécue. L’auteur a comparé « l’école française » à une « gueule du loup » dans
la mesure où celle-ci est la cause majeure de la perte de sa langue et de sa culture.

Abdelkébir Khatibi a développé le concept de la diglossie d’une manière à présenter


les méfaits qu’elle engendre. C’est une notion ambiguë dans la mesure où elle est génératrice
d’un conflit entre la langue du colon et celle du colonisé :

« Passage multiple selon un chassé-croisé : ici, deux langues et


une diglossie, scène de ses transcriptions. Il avait appris que
toute langue est bilingue, oscillant entre le passage oral et un
autre, qui s’affirme et se détruit dans l’incommunicable. » 26

24
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.18.
25
Kateb Yacine, Le Polygone étoilé, Paris, Editions du Seuil, 1966, p.180.
26
Abdelkébir Khatibi , Amour bilingue, op.cit., p.219.

35
Les effets néfastes du bilinguisme semblent occuper une place importante dans
l’écriture de Khatibi. Ce passage en témoigne du fait que les deux langues en présence
connaissent des statuts inégaux.

Le phénomène de la diglossie apparaît dans l’écriture de Khatibi d’un épisode à un


autre :

« Perdu ? Mais quoi, ne parlais-je pas, n’écrivais-je pas dans


ma langue maternelle avec une grande jouissance ? Et la bi-
langue n’était-elle pas ma chance d’exorcisme ? Je veux dire
autre chose. Ma mère était illettrée. Ma tante – ma fausse
nourrice – l’était aussi. Diglossie natale qui m’avait voué peut-
être à l’écriture, entre le livre de mon dieu et ma langue
étrangère, par de secondes douleurs obstétricales, au-delà de
toute mère, une et unique. Enfant, j’appelais la tante à la place
de la mère, la mère à la place de l’autre, pour toujours l’autre,
l’autre. »27

Le désordre diglossique semble hanter l’auteur dès son enfance. Ce passage demeure
un exemple concret de la situation linguistique propre à Khatibi. Celui-ci subit la confusion de
sa langue natale et celle du colonisateur. Dès le début du texte, l’auteur clame la perte de sa
langue maternelle au profit de la langue étrangère. Dans ce cas, il convient d’évoquer les
douleurs atroces du bilinguisme conflictuel. La diglossie est l’origine irréversible de la perte
de la langue maternelle, c'est-à-dire l’arabe. Ce passage se présente comme une plainte d’un
auteur qui a perdu son identité.

Autrement dit, parmi les effets négatifs du bilinguisme, il faut citer la persistance des
écrivains maghrébins d’employer toujours la langue du colonisateur. Certains nationalistes
s’interrogent sur la raison qui pousse les intellectuels à privilégier le français au lieu de
l’arabe, car il y a un véritable danger qui consiste à accentuer le problème de l’acculturation.
Même après les indépendances, les écrivains maghrébins continuent à utiliser la langue du
colonisateur dans l’écriture. C’est pourquoi Abdelkébir Khatibi affirme :

« Mauvaise plaisanterie, nous les Maghrébins, nous avons


quatorze siècles pour apprendre la langue arabe (à peu près),
plus d’un siècle pour apprendre le français (à peu près), et

27
Abdelkébir Khatibi , Amour bilingue, op.cit., pp.248-249.

36
depuis des temps immémoriaux, nous n’avons pas su écrire le
berbère. C'est-à-dire que le bilinguisme et le plurilinguisme ne
sont pas dans ces régions des faits récents. »28

Dans son essai intitulé Maghreb pluriel dans lequel est tiré ce passage, Abdelkébir
Khatibi développe scrupuleusement la complexité du bilinguisme au Maroc. Cette complexité
se fait sentir du fait que le berbère est marginalisé au profit du français. Il convient en effet de
dire que c’est la colonisation qui est derrière cette complexité plurilinguistique. C’est-à-dire
que dans ces trois langues, c’est la langue du colonisateur qui importe, les deux dernières
étant reléguées au rang inférieur.

En d’autres termes, l’usage de la langue étrangère traduit l’adoption de la culture


étrangère. Car la langue est une valeur culturelle comme l’affirment Abdelkébir Khatibi,
Jacques Derrida, Albert Memmi, Frantz Fanon et bien d’autres.

Ce n’est pas seulement sa langue qui se perd, mais le Maghrébin perd aussi son
identité. Comme l’illustre bel et bien la citation suivante :

« J’ai rêvé, l’autre nuit, que mon corps était des mots. »29

Ecrire en français, c’est aussi modifier sa propre personne ; c'est-à-dire son propre
corps. C’est s’incarner ou s’incorporer dans la langue française, c'est-à-dire faire de l’occident
une partie de soi :

« […] L’Occident est une partie de moi, que je ne peux nier que
dans la mesure où je lutte contre tous les Occidents et Orients
qui m’oppriment ou me désenchantent. »30

Le drame de l’acculturation provoqué par l’utilisation de la langue française est


évident. L’auteur marque son incapacité de pouvoir lutter contre son image d’Occidental. Il se
sent transformé en Français. Cette métamorphose n’est rien d’autre que la perte de soi, c'est-à-
dire la perte de son identité marocaine.

C’est une remise en cause de sa « marocanité ». Autrement dit, Khatibi ne cache pas sa
double culture. Il souligne sa personnalité d’écrivain acculturé que la langue a façonné.

En effet, Abdelkébir Khatibi fait à travers ses œuvres une analyse très approfondie du
bilinguisme. Les rapports du bilinguisme et de l’identité ont toujours été les préoccupations
28
Abdelkébir Khatibi, Maghreb pluriel, Paris, Denoël, 1983, p.179.
29
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.53.
30
Idem, p.68.

37
majeures des écrivains maghrébins. Surtout quand il s’agit du drame linguistique. Assia
Djebar fait partie des écrivains maghrébins qui ont été contraints d’utiliser la langue française.
Etant un écrivain femme, elle défend la cause féminine contre le discours dominant de
l’homme d’une part. D’autre part, elle réclame le droit pour les femmes de pouvoir
s’exprimer.

Dans cette situation, Assia Djebar s’inquiète des effets de ce drame linguistique dans
le passage suivant :

« Le français m’est langue marâtre. Quelle est ma langue mère


disparue, qui m’a abandonnée sur le trottoir et s’est enfuie ?...
Langue mère idéalisée ou mal-aimée, livrée aux herauts de foire
ou aux seuls geôliers !... Sous le poids des tabous que je porte
en moi comme héritage, je me retrouve désertée des chants de
l’amour arabe. Est-ce d’avoir été expulsée de ce discours
amoureux qui me fait trouver aride le français que j’emploie. »31

Assia Djebar montre ici les effets néfastes du bilinguisme qui sont la cause de la
dévalorisation de la langue arabe. Cette dernière est selon la narratrice la langue mère, la
langue intime, la matrice des émotions et des sentiments. Alors que la langue française
l’éloigne de sa culture, de ses tabous et de son amour intérieur. Ce passage d’Assia Djebar est
un témoignage du bilinguisme conflictuel en tant que générateur d’acculturation. La langue
française devient une profanation des interdits qui caractérisent la culture algérienne et la rend
étrangère à sa propre culture. La narratrice fait en quelque sorte une plainte d’avoir été
étrangère dans sa propre culture.

En d’autres termes, le bilinguisme conflictuel développé par Abdelkébir Khatibi


demeure la source de l’acculturation. Des auteurs maghrébins ont déjà traité des malheurs de
ce dualisme linguistique avant lui. C’est le cas d’Albert Memmi dans son essai intitulé
Portrait du décolonisé :

« Mais le bilingue colonial n’est sauvé de l’emmurement que


pour subir une catastrophe culturelle, jamais surmontée. […]
En bref, le bilinguisme colonial n’est ni une diglossie, où
coexistent un idiome populaire et une langue de puriste,
appartenant tous les deux au même univers affectif, ni une

31
Assia Djebar, L’Amour, la fantasia, Paris, Editions Jean-Claude Lattès, 1985, p.241.

38
simple richesse polyglotte, qui bénéficie d’un clavier
supplémentaire mais relativement neutre : c’est un drame
linguistique ».32

Albert Memmi figure dans la liste des écrivains qui ont pu analyser en profondeur les
dangers du bilinguisme colonial. Dans ce passage, l’essayiste analyse ce qu’il appelle « drame
linguistique » vécu par le colonisé soumis à un bilinguisme inégal. Il évoque dans ce texte la
perte douloureuse de sa propre culture véhiculée par sa langue maternelle. Et cette dernière est
contrainte à disparaître à cause du bilinguisme colonial imposé dans la violence. L’auteur se
sent étranger dans son propre pays dans la mesure où la langue française envahit tous les
secteurs. Et cette invasion est destructrice de son être, de sa langue et de sa culture.

Le bilinguisme conflictuel demeure le point focal autour duquel les écrivains se


sentent tous concernés. La situation linguistique problématique introduite par l’usage de la
langue du colon reste un obstacle pour l’épanouissement du colonisé.

II.2. Interférence culturelle

L’interférence culturelle est la rencontre de deux cultures distinctes. Dans le contexte


de notre étude, il s’agit de la conjonction de la culture marocaine avec la culture française.
Cette interférence culturelle est la conséquence directe des rapports entre l’Occident et
l’Orient. Dans cette condition, il est nécessaire d’évoquer la présence de la dualité chez
Abdelkébir Khatibi.

En effet, il faut dire que La Mémoire tatouée est dans son ensemble un roman de la
dualité. Khatibi s’est toujours présenté dans ce récit sous son double aspect. La personnalité
de Khatibi est bipolaire, en lui sont réunis l’Occident et l’Orient.

Cette bipolarité culturelle de l’auteur n’est autre que la manifestation de l’interférence


culturelle. C’est ainsi que Khatibi affirme ceci :

« La fraîcheur mythique de cette rencontre avec l’Occident me


ramène à la même image ondoyante de l’Autre, contradiction
d’agression et d’amour. Adolescent, je voulais me définir dans
l’écoute nostalgique du mythe initial. »33

32
Albert Memmi, Portrait du décolonisé, Paris, Buchet- Chastel, 1957, pp.136-137.
33
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.17.

39
L’interférence culturelle semble s’afficher d’une manière concrète. La rencontre de
deux formes de cultures aboutit à une « contradiction d’agression et d’amour. »

Quelles que soient les circonstances, l’interférence culturelle prend toujours l’image
d’une humiliation culturelle. C'est-à-dire que la culture française prime largement celle de
l’auteur. Les deux cultures se superposent en créant des liens d’opposition.

En plus, la question de l’interférence culturelle commence à être sentie par l’auteur


depuis son enfance. L’appartenance au double statut revient à chaque fois dans la conscience
de Khatibi. C’est pourquoi il manifeste sa joie d’avoir eu deux mères : sa propre mère et sa
tante :

« Un jour un farfelu géant aux oreilles de chou vint m’enlever


ma tante maternelle qui fut, dans un sens, ma vraie mère. »34

La notion de la dualité chez Abdelkébir Khatibi concerne beaucoup de choses. Il parle


de deux mères (sa véritable mère et sa tante), de deux villes (El Jadida et Essaouira), de deux
cultures (la culture marocaine et la culture française), de deux langues d’expression (l’arabe et
le français), de deux milieux (la famille et l’école coloniale) et enfin de deux pays (le Maroc
et la France).

Par ailleurs, l’interférence culturelle devient dans ce cas synonyme de dualité


culturelle. Cette dualité culturelle est engendrée par le système scolaire de la période
coloniale .L’interférence culturelle nait de l’imposition de la culture étrangère véhiculée par
l’enseignement colonial. C’est ainsi que l’auteur écrit :

« A l’école, on retrouvait le chaos. Page tournée, dynastie


tombée ; la tête d’un roi ! Les dynasties se bousculaient, les
tribus piaffaient dans la poussière(…). »35

L’école coloniale reste, selon Khatibi, la source première de l’interférence culturelle.


Elle est responsable de tous les maux. L’école pose des problèmes même au sein de sa tribu.
C’est une image négative de l’école qui est présentée. L’expression de « tribus piaffaient »
nous renvoie à l’instabilité culturelle interne.

34
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.21.
35
Idem, p.43.

40
Au fait, les difficultés culturelles engendrées par la conjonction de deux cultures
deviennent récurrentes. Ces problèmes sont parmi les conséquences de l’enseignement reçu à
l’école coloniale. C’est dans ce sens que Khatibi souligne ce désordre culturel :

« Pour nous épater, le professeur de français fermait les volets,


hurlait tout en parcourant la salle. C’était son style totalitaire
pour nous soustraire à nous-mêmes, nous octroyer une culture
franche, baraquée et sans retour. Pendant son cours, le rite
remplaçait la culture, le bruit de ferraille, le chant intérieur qui
me charriait. »36

Dans ce passage, l’adolescent nous fait part du malaise culturel reçu auprès de
l’enseignement colonial. Il présente l’intrusion de la culture française dans la sienne. Dans le
texte, les vocabulaires péjoratifs priment : « épater », « nous soustraire », «baraquée », « sans
retour », « me charriait ». Cet ensemble de vocables négatifs justifient bien l’interférence
culturelle de l’enseignement colonial.

Dans ce contexte biculturel, Albert Memmi soutient que c’est l’usage des deux
langues qui en sont responsables. Il analyse la situation conflictuelle engendrée par les deux
langues, c'est-à-dire leur coïncidence :

« La possession de deux langues n’est pas seulement celle de


deux outils, c’est la participation à deux royaumes psychiques et
culturels. Or ici, les deux univers symbolisés, portés par les
deux langues, sont en conflit : ce sont ceux du colonisateur et du
colonisé. »37

L’analyse du phénomène de l’acculturation est complexe. Cette complexité se fait


sentir lorsque les deux cultures coïncident. Et cette coïncidence aboutit à l’interférence
culturelle. Il s’agit là d’un drame linguistique qui devient déchirement culturel. Pour cela, ce
conflit culturel fait plier par conséquent la culture autochtone devant la culture française.

En effet, il faut dire que l’interférence culturelle est l’un des effets négatifs de l’usage
de la langue du colon. Kateb Yacine n’a pas manqué de manifester les douleurs qu’il a
connues :

36
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.55.
37
Albert Memmi, Portrait du décolonisé, op.cit., p.136.

41
« Jamais je n’ai cessé, même aux jours de succès près de
l’institutrice, de ressentir au fond de moi cette seconde rupture
du lien ombilical, cet exil intérieur qui ne rapprochait plus
l’écolier de sa mère que pour les arracher, chaque fois un peu
plus, au murmure du sang, aux frémissements réprobateurs
d’une langue bannie, secrètement, d’un même accord, aussitôt
brisé que conclu…Ainsi avais-je perdu tout à la fois ma mère et
son langage, les seuls trésors inaliénables et pourtant
aliénés. ».38

Ce passage de nature autobiographique exprime le drame de l’acculturation. Kateb


Yacine nous fait part de la perte de sa mère et de sa langue maternelle. L’auteur se présente en
écrivain acculturé et privé de sa culture. Dans ce sens, l’aliénation semble surprendre l’auteur.
L’emploi de l’expression « exil intérieur » symbolise cette rupture culturelle et linguistique.
C’est pourquoi l’auteur utilise cette séquence de « cette seconde rupture du lien ombilical »
pour désigner sa double perte. Cette situation arrache l’auteur de ses racines dans un
déchirement culturel.

Dans l’écriture littéraire d’Abdelkébir Khatibi, le phénomène d’interférence culturelle


se dessine sous différentes formes. L’auteur compare le croisement culturel à un chassé-croisé
culturel. En effet, un chassé-croisé culturel est un mouvement par lequel deux cultures se
croisent sans réussir à se rencontrer positivement. C'est-à-dire que c’est un phénomène négatif
dans lequel l’écrivain se trouve :

« Où, dans ce chassé-croisé, la cohérence et la continuité ? […]


Autre exercice : tripoter les livres dans tous les sens, organiser
un puzzle, un chassé-croisé délicat et frileux. »39

L’auteur se demande où il peut trouver « la cohérence et la continuité ». Car dans cette


situation confuse, il est obligé de vivre un problème compliqué symbolisé par le
mot « puzzle. » Par réduction métaphorique, « puzzle » représente cette confusion culturelle
due à la conjonction de deux cultures. La question posée dès le début du passage sous-entend
l’absence de la cohérence et de la continuité. Dans ce sens, l’emploi du verbe « tripoter »
laisse entendre que le colonisé est fasciné par la culture étrangère. Ainsi, le chassé-croisé

38
Kateb Yacine, Le Polygone étoilé, op.cit., pp.181-182.
39
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., pp.40,54.

42
culturel devient un frein pour la culture autochtone. Cette ambiguïté culturelle est symbolisée
par l’usage du terme « frileux » synonyme de « refus d’aller de l’avant. »

D’autre part, l’interférence culturelle négative se manifeste aussi au niveau de la


langue arabe. Il s’agit de la désacralisation de la langue arabe par le français. Cette
désacralisation va se mettre en place à cause du statut privilégié de la langue française au
Maroc. Il faut savoir que la langue arabe est une langue poétique et prophétique. En même
temps, cette langue connaît un double statut païen et musulman.

Mais depuis l’arrivée des colonisateurs au Maghreb, l’imposition de la langue


française dévalorise sinon désacralise la langue arabe. Tandis que cette dernière représente la
culture arabo-musulmane. D’ailleurs, la parole divine se convertit dans le langage quotidien
des gens en proverbes et expressions. C’est ainsi que Khatibi écrit ceci :

« Car le Coran se faisait respecter ; là où il gisait, il se chantait


à l’intérieur et à l’extérieur. La parabole coranique, le proverbe
et la bonne nouvelle arrangeaient la tétralogie de notre
culture. »40

La lecture du Coran ne se limite pas seulement au champ du savoir et de la


jurisprudence. Le Coran fait partie de la mémoire populaire des musulmans. Il est aussi
l’expression de toute la culture maghrébine. Selon Khatibi, le Coran est un signe porteur de
l’identité maghrébine. Dans ce contexte, il mérite un véritable respect non seulement sur le
plan formel mais aussi sur le fond.

En d’autres termes, dans La Mémoire tatouée, le texte en français est écrit à l’aide
d’une série de paraboles coraniques. Celles-ci expriment le caractère sacré du Coran dans
l’écriture de Khatibi. La désacralisation du Coran provient alors de l’imposition du français.
Ecrire en français devient synonyme de profanation. Car l’imposition de langue française
demeure la source majeure de la désacralisation :

« A l’école, un enseignement laïc, imposé à ma religion ;… »41

La question de l’utilisation de la langue arabe comme langue d’écriture devient


problématique. Car la culture arabo-musulmane contient une série de tabous que l’arabe ne
peut pas exprimer. Ce qui fait que les écrivains ont recours à la langue française pour déjouer
les thèmes tabous. D’où, la désacralisation de la langue du Coran.

40
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.46.
41
Op.cit.,40.

43
Dans ces conditions, Khatibi utilise deux méthodes narratives. D’abord, il emploi la
langue française qu’il trouve sans morale. Ensuite, il procède à la subversion du langage
maternel à l’aide de la parabole qu’il détourne en sa faveur.

En fait, l’interférence culturelle n’est rien d’autre que la subversion de la parabole


coranique :

« On préférait à ce jeu subtil (la bagarre dans l’internat), le


chassé-croisé dans le bordel à quatre sous, tirer quelque chose
de la poche, après avoir mâché du chewing-gum. N’altérez point
vos femmes, on vous saura gré de votre ondulation… ».42

Dans cet extrait de texte, la parabole coranique se place à la fin. Elle joue une fonction
subversive. Car sur le plan social, le terme « bordel » employé dans le texte s’oppose à la
parabole du Coran. Cette dernière est porteuse de la morale du verset coranique. Abdelkébir
Khatibi manifeste la volonté de parodier le Coran pour donner sens à l’écriture du sacré. Avec
le terme « chassé-croisé » combiné au « bordel », ceci exprime cette double désacralisation de
la parabole coranique en fin du texte.

42
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.49.

44
CHAPITRE III : LES AVANTAGES DU BILINGUISME

Le bilinguisme colonial présente de véritables avantages au sein des peuples colonisés.


D’abord, il permet aux dominés d’exprimer leur mécontentement face aux dominants. Ceci
est la position des écrivains maghrébins qui voient dans la langue française un moyen de
riposte et de refuge. C’est le cas de l’écrivain marocain Abdelkébir Khatibi qui arrive à
critiquer le système de l’enseignement colonial.

Dans cette optique, il convient d’abord de voir la victoire que Khatibi a connue face
au désordre de la colonisation et la souffrance que celle-ci engendre. Et enfin, il faut
souligner que le bilinguisme colonial accorde un pouvoir aux écrivains sur les autres et sur le
monde.

III.1. Victoire sur le désordre et la souffrance

Les écrivains maghrébins d’expression française trouvent dans la langue française un


moyen de lutter contre le désordre et la souffrance. Par manque d’outil de riposte, ils tournent
le français contre les Français. C'est-à-dire que les écrivains maghrébins utilisent la langue des
colonisateurs pour dénoncer les oppressions et revendiquer leurs droits. C’est le cas bien sûr
de Khatibi qui est à la recherche d’un discours libérateur dans l’écriture :

« J’écrivais, acte sans désespoir et qui devait subjuguer mon


sommeil, mon errance. J’écrivais puisque c’était le seul moyen
de disparaître du monde, de me retrancher du chaos, de
m’affûter à la solitude. Je croyais au destin des morts, pourquoi
ne pas épouser le cycle de mon éternité ? Mon choix se retenait,
je ne voulais pas payer le prix de cette souffrance : je me voulais
gai quand me démasquait le jour, indéniablement d’une gaieté
déracinée et sifflante. ».43

Dans ce passage, Khatibi nous fait part de sa victoire sur le désordre et la souffrance.
Et il ajoute que l’usage de la langue française permet donc de contester le prestige de ceux qui
l’ont imposée. L’auteur va plus loin lorsqu’il glorifie la langue de l’Autre en disant que
«c’était le seul moyen. » Dans ce sens, Khatibi laisse entendre que cette langue étrangère
peut être qualifiée d’arme. De là, l’auteur en profite pour critiquer violemment le système
d’enseignement colonial :

43
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.57.

45
« Au collège, l’action politique, à tous égards, était tortueuse.
Nous arrivaient de façon épisodique quelques tracts que nous
commentions par petits groupes. Aucune organisation interne,
seulement le sabotage de la sécurité de l’Autre : pour désarmer
un enseignant colonialiste, on inscrivait au tableau un énorme
DIEU-BIEN-PHU. Comme le cours était foutu, il nous insultait,
occasion de nous traiter de vandales, de wisigoths, de barbares,
de tant de noms forcés qui chantaient curieusement leur
terreur. ».44

Cet extrait de texte met en évidence le mécontentement du narrateur face à


l’enseignement colonial. Ce mécontentement est dû à plusieurs facteurs notamment
l’imposition du français, la déconstruction culturelle et la désacralisation de la langue du
Coran. Ce sont ces contraintes qui ont poussé le narrateur-adolescent à se révolter contre le
système de l’enseignement colonial. Cette révolte se manifeste d’abord par « le sabotage de la
sécurité de l’Autre » et le désarmement de « l’enseignant colonialiste. »

A cet égard, le bilinguisme colonial devient une arme pour Khatibi de manifester son
indignation face au colon. Ce dévoilement de sa colère lui permet de vider en partie le
désordre de l’école coloniale. C’est pourquoi il convient de dire que le bilinguisme dans cette
condition est nécessaire. Car Khatibi s’en sert afin de témoigner de ce qu’il pense et de
partager son vécu.

Dans La Mémoire tatouée, Abdelkébir Khatibi ne cesse d’évoquer les avantages que le
bilinguisme présente. Ces avantages se trouvent d’abord dans la lecture puis dans l’écriture.
C’est ainsi que l’auteur privilégie la lecture comme secours. La lecture devient alors pour
l’écrivain un acte libérateur :

« C’était le début d’une fatigue que je croyais passagère, je


remettais le monde au lendemain. Comme elle persistait, que
mon vouloir était frère de sa fatalité, je me repliais en moi-
même, retrouvais, du coup, le goût féroce de la lecture. Fatigué
du corps je ne l’étais pas de la lecture, ce dédoublement me
sauva, je suppose. Et puis commençait l’itinéraire d’une longue

44
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.62.

46
année de convalescence entre le Maroc, Paris, Combloux et
Stockholm. ».45

Khatibi fait l’apologie de la lecture. Celle-ci est pour lui porteuse d’apaisement. La
lecture lui permet aussi d’échapper à la discipline de l’école, au conformisme de
l’enseignement classique et à l’ordre social et colonial. C’est donc une véritable réponse au
désordre et à la souffrance de la colonisation.

Dans ce texte, l’auteur a employé une figure d’opposition. Il s’agit d’un oxymore qui
sert à relier deux concepts de sens différents. L’expression « le goût féroce de la lecture »
entend signifier que l’auteur tire de l’avantage là où règnent le désordre et la souffrance. C’est
l’effet oxymorique produit par l’alliance du nom « goût » à l’adjectif « féroce » qui exprime
la violence.

Dans ce sens, c’est la littérature qui a porté secours à l’auteur. Car la littérature est le
refuge des écrivains lorsque ceux-ci se sentent agressés. C’est pourquoi Khatibi emploie
l’expression « ce dédoublement me sauva. » Cette dernière laisse entendre que l’auteur se
trouve dans une situation gênante. Mais celle-ci a été déjouée par ce dédoublement qu’est le
bilinguisme colonial.

Cette nécessité du bilinguisme développée par Khatibi a été aussi traitée par Albert
Memmi. Celui-ci attribue au bilinguisme un facteur d’accéder au développement des
colonisés. C’est dans ce sens qu’il dit ceci :

« Dans le contexte colonial, le bilinguisme est nécessaire. Il est


condition de toute communication, de toute culture et de tous
progrès. »46

En fait, le bilinguisme a son importance quand il s’agit aux écrivains de véhiculer leur
message. Sur ce, le colonisé s’approprie de la langue du colon afin de la maîtriser. Bien que
l’écrivain acculturé soit soumis aux contraintes de la langue, il reste clair que l’usage du
français est source de liberté. C’est ainsi qu’Assia Djebar voit dans la langue française la
source de lucidité et de liberté :

« Comme si soudain la langue française avait des yeux et


qu’elle me les ait donnés pour voir dans la liberté, comme si la
langue française aveuglait les mâles voyeurs de mon clan et

45
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.86.
46
Albert Memmi, Portrait du décolonisé, op.cit., p.136.

47
qu’à ce prix je puisse circuler, dégringoler toutes les rues,
annexer le dehors pour mes compagnes cloîtrées, pour mes
aïeules mortes bien avant le tombeau. »47

Ce passage de l’écrivain algérien Assia Djebar insiste sur l’importance de maîtriser la


langue du colon. Cette langue étrangère permet aux écrivains d’être perspicaces et d’accéder à
la liberté. Cette perspicacité s’acquiert du fait que les intellectuels se servent de cette langue
comme objet de connaissance. La preuve est que la plupart des écrivains maghrébins ont
choisi la langue française comme langue d’écriture.

En ce qui concerne la liberté, celle-ci s’acquiert aussi grâce à l’usage de la langue


française. Certains écrivains n’ont pas caché le plaisir qu’ils sentent quand ils emploient la
langue du colon. C’est le cas de Kateb Yacine et de Mohammed Khaïr-Eddine, qui eux
aussi, voient le français comme source de liberté.

Sur ce, le bilinguisme présente des valeurs indispensables aux colonisés. Il a aussi
contribué à leur développement économique. Ce qui fait que les écrivains continuent encore et
toujours d’employer le français. En somme, il est indéniable que le bilinguisme a déjoué le
désordre et la souffrance coloniale.

III.2. Le pouvoir sur les autres et sur le monde.

Les avantages du bilinguisme selon Khatibi sont multiples. Cette langue étrangère qui
s’ajoute à la sienne lui donne un pouvoir. Et ce pouvoir se manifeste sur ceux qui ont colonisé
le Maroc. Ce qui fait que Khatibi a connu une notoriété internationale comme le prouve
Jacques DERRIDA dans sa préface.

L’enseignement colonial a permis aux écrivains maghrébins de s’approprier du


français et de le maîtriser. Dans ce sens, écrire en français, c’est maîtriser la langue apprise.
C'est-à-dire que la possession de cette langue est une façon d’égaler le colon. C’est pour cela
que Khatibi annonce :

« Nous régnions sur la littérature. Ecrire, bien écrire, devenait


notre technique terroriste, notre lien secret. Et nous traversions
les années, portés par une fascination inexorable. Je devins
écrivain public; le dimanche, des internes me chargeaient de
leur dicter des lettres d’amour qu’ils devaient envoyer à leurs

47
Assia Djebar, L’Amour, la fantasia, op.cit., p.204.

48
amies. Pour exciter l’inspiration, on m’apportait des photos.
Entouré de mes dictionnaires, j’étais exalté, multiple à travers
ces passions épistolaires. Je gérais ainsi, jusqu’à midi, la
sensibilité du monde. »48

Ce passage met en évidence le pouvoir de l’écriture. Celle-ci accorde un pouvoir


véritable au narrateur. Ce dernier jouit alors de son pouvoir qui fait peur au colonisateur.
L’écriture devient donc pour Khatibi sa « technique terroriste », c'est-à-dire son outil de
combat. En maîtrisant le français, l’auteur trouve le plaisir d’être un « écrivain public ». Ce
statut lui permet de « dicter » à ses collègues français « des lettres d’amour ». C’est dans ce
contexte que le pouvoir sur les autres se fait le plus sentir.

Quant à la reconnaissance du public, Abdelkébir Khatibi en bénéficie une fois qu’il a


connu la chance d’être un grand écrivain. Ce qui lui vaut d’être « exalté » grâce à l’écriture.
La tâche dont ses amis lui ont confié fait de lui un personnage public. L’expression « je gérais
ainsi, jusqu’à midi, la sensibilité du monde » le prouve bien. Dans ces conditions, le
bilinguisme attribue à Khatibi ce pouvoir sur le monde.

La lecture et l’écriture sont les sources du pouvoir de l’auteur. Celui-ci ne cesse


d’évoquer la dimension libératrice de ces deux moyens de refuge. A cet égard, Khatibi
s’adonne à l’exploitation de la langue de l’Autre. C’est dans ce sens qu’il affirme :

« La lecture me rendait à la vie, à la mort. Le parfum d’un mot


me bouleversait. Je tremblais. Quel travail forcené que d’avaler
le dictionnaire des rimes et celui des synonymes ! D’ailleurs, je
prenais le livre à son auteur, le rendant discours de mon propre
miroir. En établissant ma tyrannie, je vidais tel livre de sa
pourriture, en sauvais, pour le bonheur de l’auteur et le mien,
quelques phrases immortalisées par moi, dans un carnet de
citations, attribuées d’un trait désinvolte aux écrivains les plus
célèbres. Les professeurs se taisaient, j’avais donc un pouvoir
irréversible. »49

Dans ce texte, l’auteur évoque le goût acquis dans l’exercice de la lecture. Ce plaisir
s’acquiert à l’aide d’un effort d’imitation d’autres écrivains. Ces derniers lui servent de guide

48
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.53.
49
Idem, p.54.

49
et de source d’inspiration. C’est ce qui a rendu l’auteur capable de s’enrichir
intellectuellement et spirituellement.

En plus, le pouvoir de l’écrivain est révélé lorsque celui du colon cesse. Car dans
l’écriture, l’écrivain se sent libre de penser et d’agir. C’est pour cela que l’écriture renforce le
pouvoir de l’auteur. D’où la phrase « j’avais donc un pouvoir irréversible. » Ce pouvoir est le
résultat de son désir « d’avaler le dictionnaire. »

De plus, le bilinguisme est alors la source du savoir et de connaissance. Ce


bilinguisme a fait de Khatibi le maître des colons. L’écrivain n’a pas caché son plaisir
d’enseigner aux Français leur propre langue :

« J’apprenais aux autres à écrire leur propre langue. On


applaudissait, sans plus. Je souhaitais une victoire irréversible,
ce furent le sourire, la surprise. Passion déréglée qui me
convainquit de la solitude. »50

Selon Khatibi, le bilinguisme lui sert d’arme et d’outil de connaissance. Il lui permet à
la fois de se défendre et d’attaquer à son tour le colonisateur. Cette offensive se manifeste du
fait que Khatibi tourne la langue française contre le colon. Et ce pouvoir offensif s’acquiert
par des exercices d’imitation. C’est pourquoi l’auteur affirme:

« Plusieurs fois, je m’étais hasardé, au gré de mes lectures, à


travestir les dieux officiels, à les neutraliser par des exercices
d’imitation, d’abord en m’identifiant à eux, et comme ce
voisinage me pesait, j’avais viré carrément vers la parodie que
je croyais décolonisante. Docile avec mes idoles, je torturais les
autres, ajoutant à leurs œuvres des morceaux inédits, sortis de
ma bibliothèque mobile, fourmillante, tyrannique. »51

Dans ce passage, Abdelkébir Khatibi développe la stratégie qu’il a utilisée pour


surpasser le colon. Ce désir de dépassement constitue une étape primordiale dans la pensée de
Khatibi. Ce dernier, pour atteindre son but, il s’adonne à « des exercices d’imitation. » C’est
cela qui l’a poussé à employer le terme « parodie. » La parodie est un procédé littéraire qui
consiste à imiter une œuvre artistique ou littéraire.

50
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.71.
51
Idem, p.57.

50
Dans ce sens, la parodie demeure alors une technique puissante pour Khatibi. Il s’en
sert afin d’acquérir ce pouvoir sur les autres. D’où l’expression « je torturais les autres. »
Cette parodie qui sert à dépasser est une manière de décoloniser la littérature.

51
CONCLUSION

En somme, il s’avère nécessaire de dire que la notion du bilinguisme est complexe.


Cette complexité surgit une fois que Khatibi se donne l’entreprise de retrouver en même
temps l’identité et la différence. C’est d’ailleurs cela qui fait l’originalité de Khatibi. Pour
cela, le titre même de l’ouvrage exprime cette alliance oxymorique et métaphorique. Il s’agit
du rapprochement du visible et de l’invisible qu’est La Mémoire tatouée.

Le bilinguisme conflictuel reste dans La Mémoire tatouée une question récurrente. Ce


bilinguisme est à l’origine de la problématique culturelle que Khatibi ne cesse d’évoquer. Il
est en même temps le système d’énonciation et de représentation de la culture maghrébine.

L’écriture romanesque de Khatibi relate la langue comme le siège du dialogue des


cultures. Ce qui fait que la transculturation se fait le plus sentir. D’où l’adoption de la culture
étrangère qui devient inévitable.

Alors, le bilinguisme constitue un phénomène à la fois fructueux et déroutant.

52
TROISIEME PARTIE :

BLESSURE DE LA MEMOIRE

53
INTRODUCTION

La colonisation a laissé derrière elle toutes sortes de séquelles : les traumatismes


physiques et la blessure de la mémoire aggravée par les effets néfastes du bilinguisme et du
biculturalisme.

La blessure de la mémoire du colonisé fait partie des conséquences fâcheuses de la


colonisation. Les guerres des indépendances au Maghreb ont causé des dommages
considérables dans la mémoire des colonisés.

Sur ce, il est nécessaire d’évoquer les conséquences morales engendrées par la
colonisation. Pour le cas du Marocain ayant vécu l’époque coloniale, celui-ci a vécu ces
douleurs morales dues à la terreur de la guerre. Enfin, le colonisé est toujours confronté à
cette difficulté morale qui est à l’origine de la déchirure de la mémoire.

Le biculturalisme et le bilinguisme contribuent aussi au problème de la mémoire du


décolonisé. La double culture provoque beaucoup de difficultés morales. C’est un brassage de
deux cultures opposées qui sont appelées à vivre ensemble. D’où, le conflit culturel entre la
culture du colon et celle du colonisé et dont la conséquence négative est l’acculturation.

Le cas du bilinguisme est aussi fâcheux étant donné qu’il est imposé. Cette imposition
est une agression morale du colonisé du fait que celui-ci est soumis à l’utilisation de deux
langues de statut différent. En fait, le bilinguisme et le biculturalisme sont à l’origine de la
blessure de la mémoire.

54
CHAPITRE I : LE TRAUMATISME LAISSÉ PAR LA COLONISATION

La colonisation est un processus de domination politique et d’exploitation économique


visant à légitimer l’occupation d’un pays par les colons. Ce phénomène a été jalonné par une
série de guerres durant sa réalisation. Et ces guerres ont laissé derrière elles des dommages de
divers ordres que nous allons étudier dans ce chapitre.

I.1. Les séquelles de la colonisation.

Les séquelles sont un ensemble de troubles ou de conséquences fâcheuses qui


subsistent après le passage d’un événement douloureux. Dans le cadre de notre travail, il
convient d’étudier les séquelles traumatisantes provoquées par ce choc historique qu’est la
colonisation. Abdelkébir Khatibi a évoqué à travers son roman la manière dont il a subi ce
choc pendant son enfance :

« Je jouais parfois avec des copains dans ce lieu, nous allions


regarder les parties de tennis ou de boules près d’un petit bar
de la France éternelle : un coup de Martini, le béret rituel, et
puis la partie interminable. N’est-ce pas que le temps se détruit
dans une répétition fissurante ! Je me retrouvais, perdu dans ce
montage d’images baroques, défilant dans le désordre d’un
enfant colonisé. » 52

Dans ce passage, l’auteur évoque en lui un moment passé qui a marqué son esprit. Il
raconte son enfance malheureuse liée aux contraintes morales de la colonisation. Le « je »
exprime ici la personne de l’auteur, lui-même menacé par les événements fâcheux du temps.
Avec l’emploi de l’expression « le temps se détruit dans une répétition fissurante », nous
comprenons alors que la colonisation a été une entreprise de la destruction de l’esprit.

D’ailleurs, l’auteur présente l’enfant comme un être sensible, c'est-à-dire susceptible


d’être très vite fragilisé par des évènements de nature traumatisante. Quand il s’aperçoit qu’il a
été agressé moralement, il pointe du doigt le processus de la colonisation. L’expression
« désordre d’un enfant colonisé » renvoie à l’explication des douleurs psychiques provoquées
par l’action coloniale. C’est dans cette situation que l’auteur ajoute:

52
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.34.

55
« Une mélodie semblable, recracher dans les rédactions
l’essence des morceaux choisis, telle quelle, quand, en flèche
brisée, l’esprit d’un enfant se colonise. » 53

Dans La Mémoire tatouée, Khatibi a scindé son texte en deux moments dont l’un est
celui de son enfance, et l’autre celui de son âge adulte. En plus, la colonisation a laissé de
mauvais souvenirs de son enfance qui ont continué de hanter pendant la période de maturité.
C'est-à-dire que ces mauvais souvenirs réapparaissent toujours au fur et à mesure qu’il vit :

« On s’enlisait dans la guerre et la mort. Je hasardais dans les


rues des signes d’inquiétude, comme cet homme qui me suivait
férocement sans raison connue de moi et qui rêvait peut-être
mon assassinat, mais inlassablement la guerre redevenait
parole. Le déchiré faisait sa petite confession, et l’on appelait
cela cri libérateur. Pire qu’un couteau inattendu, le rapt de
l’esprit. Ainsi l’intellectuel colonisé luttait, abrégé dans ses
racines les plus vivantes. »54

Abdelkébir Khatibi attribue au colon la responsabilité de tous les massacres commis


lors de la colonisation. Il présente les guerres ici dans son texte comme des événements
inéluctables. Car l’auteur se sent entraîné dans une situation inextricable. L’emploi de
l’expression « s’enlisait dans la guerre » laisse entendre que les conflits coloniaux sont à
l’origine de tous les assassinats commis pendant l’époque coloniale.

Pour toutes ces raisons, il est vrai que Khatibi manifeste sa terreur des contraintes liées
à l’esprit. Selon lui, le « rapt de l’esprit » est plus douloureux qu’être menacé de mort par« un
couteau inattendu ». Car les problèmes psychiques sont difficiles à guérir. Pour cela, « le rapt
de l’esprit » peut signifier ici une maladie pour laquelle Khatibi est en train de chercher les
solutions. L’auteur lui-même n’a pas échappé à l’emprise de cette contrainte morale étant
donné qu’il est la première victime. Il précise à la fin du texte que son engagement n’est rien
d’autre que la lutte contre ce genre d’oppression. Celle-ci touche en totalité toutes les
personnes qui ont été colonisées.

Les séquelles engendrées par le traumatisme de la colonisation touchent non


seulement l’esprit mais aussi le corps. Il convient d’évoquer les diverses formes de douleurs

53
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p. 42.
54
Idem, p.80.

56
qui sont restées témoins de mauvais traitements coloniaux. Le corps du décolonisé a aussi été
affecté car l’auteur lui-même parle de la perte de son corps, c’est-à-dire de la perte de soi qui
connote son identité :

« J’allais ensuite happer dans les romans de Sartre des signes de


mon inquiétude, encore que celle-ci fût plutôt frivole. Le monde
sartrien était antichrétien et antibourgeois, le mien magique et
épique, superposé de masques, mon esprit, mon corps colonisés.
De toute évidence, la division de notre être était différente, et ma
connivence oblique avec Sartre ne récolta de son univers et à
cette époque que quelques bribes sonores, autant dire un
morceau choisi parmi d’autres, avec toutefois un peu plus de
savoir et de révolte. »55

Abdelkébir Khatibi accuse la colonisation d’être la source principale de ses angoisses


et inquiétudes héritées des oppressions. Cet extrait fournit de grands témoignages concernant
la présence des signes du traumatisme colonial. L’auteur présente une multitude de formes
des séquelles étant à l’origine de la blessure de sa mémoire et de son corps.

La division de son être qui reste un obstacle à franchir demeure la préoccupation


majeure de son projet littéraire, c’est-à-dire son autobiographie. Khatibi fournit beaucoup
d’efforts afin de surmonter les pièges tendus par le spectre de la colonisation. Il s’agit de sa
remise en cause de son propre être renfermant le choc psychique et la division douloureuse de
sa personne. Sur ce, l’écriture de Khatibi reste un véritable témoignage de son choc moral et
de sa division provoquée par le processus de la colonisation. C’est pourquoi, l’auteur ne cesse
de dénoncer ce mal continuant de dévorer son être.

I.2. Le désordre de la conscience.

Le traumatisme du passé a été provoqué d’une part par la Seconde Guerre mondiale,
d’autre part par les guerres d’indépendance du Maghreb. Ce grand conflit mondial a fait que
les Occidentaux impliquent leurs colonies dans cette guerre qui n’est pas la leur. Abdelkébir
Khatibi en témoigne dans son texte suivant :

« Je naquis avec la deuxième guerre, je grandis dans son ombre


et peu de souvenirs me reviennent de cette époque. Se détachent

55
Abdelkébir Khatibi La Mémoire tatouée, op.cit., pp. 67-68.

57
de ma mémoire de vagues paroles sur la rareté des produits ou
le drame de parents engagés de gré ou de force. Radio-Berlin
captait l’attention de nos pères ; l’histoire internationale entra
dans ma petite enfance par la voix du sinistre dictateur. »56

Dans ce passage, l’auteur décrit le traumatisme causé par le processus de la


colonisation qui aboutit au désordre de la conscience. Né au début d’une guerre qui n’est pas
la sienne, Khatibi exprime son mécontentement face à l’implication du Maroc dans la Seconde
Guerre mondiale. Comme l’esprit d’un enfant n’est pas capable de supporter les douleurs
morales de ce genre, l’enfance de Khatibi en a subi les conséquences. De mauvais souvenirs
ne cessent d’apparaître en lui, Khatibi nous présente ici le malheur d’un enfant face à une
guerre.

Il était convenu pendant l’époque coloniale que toutes les colonies soient engagées
dans la Seconde Guerre mondiale qui éclate en Europe. Un pays colonisé comme le Maroc
était contraint à s’engager dans le conflit qui se déroule en Europe. Ce qui fait que l’auteur
évoque « le drame de parents engagés de gré ou de force » dans ce conflit européen mais
mondialisé. Ainsi, Khatibi souligne l’intrusion de cette histoire coloniale internationale dans sa
personne d’un enfant fragile moralement. Et l’auteur dénonce le colon exprimé dans le texte
sous le nom de « dictateur ». Car c’est à cause de lui que le colonisé subit ce désordre de la
conscience.

En outre, la question du traumatisme n’est pas un phénomène nouveau au sein du


peuple maghrébin. Mais c’est un problème qui remonte depuis des années, c’est-à-dire depuis
le début de la colonisation. Ce désordre moral s’est accentué surtout lors des guerres
d’indépendance. La prise de conscience des colonisés face aux problèmes psychiques a tourné
l’histoire coloniale contre les colons:

«− Bien que le cri de cette enfance épargne mon salut, l’énigme


à dénouer − quitte à demeurer sur plage déserte − renvoie
encore à cette identité nouée. Que marche vers nous cette
étrange contrée, avions-nous dit ! Si figuration s’accomplit, nous
aurions témoigné de notre reflet dans l’histoire, par notre

56
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.15.

58
descente précipitée contre l’Occident. Enigme sur énigme, nous
prenions cet Occident contemporain pour une blessure. »57

La déstabilisation morale causée par l’Occident a marqué tous les esprits maghrébins.
Khatibi manifeste la volonté d’afficher sa colère contre les colons. Car il n’y a rien de bon
dans le fait d’être sous la domination coloniale. C’est pour cette raison que Frantz FANON dit
dans l’une de ses œuvres majeures :

« Il vaut mieux la faim dans la dignité que le pain dans la


servitude. »58

L’auteur privilégie la liberté de l’homme même si celui-ci vit dans la misère. Car la
domination coloniale aboutit à des fins négatives.

Par ailleurs, dans le texte de Khatibi précédemment cité, il précise les contraintes
instaurées par le régime colonial. Il insiste aussi sur l’évocation des effets pervers de la
colonisation qui se présentent aux yeux de Khatibi comme une blessure multiforme.

Pendant l’époque coloniale, beaucoup de déchirements, d’échecs et de déceptions ne


pouvaient aboutir que sur des crises morales graves, et sur la division du peuple maghrébin.
C’est ce qui s’est produit après la Seconde Guerre mondiale. Les expériences vécues par les
Maghrébins au cours de ce conflit ont en effet éveillé la conscience. Abdelkébir Khatibi, dans
son texte ci-dessous, affiche sa volonté de résister:

« − Si la femme symbolique dont nous parlons se roule dans le


henné et qu’on me flagelle, je suis sûr de résister à toute
division, moi intellectuel colonisé-décolonisé. »59

Dans cette citation, l’auteur semble dire que les écrivains possèdent le pouvoir de lutter
contre la division coloniale. Il va même jusqu’à exprimer sa sureté face à cette contrainte
qu’est la division. C’est une façon d’accorder une grande importance à tout intellectuel
écrivain qui a lutté contre l’oppression coloniale.

Ainsi, il convient de souligner que le désordre de la conscience des colonisés reste une
véritable citatrice morale du régime colonial. Ce qui fait qu’un écrivain comme Abdelkébir
Khatibi s’est nourri de ces événements fâcheux pour écrire un roman dont le titre reflète le
traumatisme du passé et sa lutte pour l’exorciser.

57
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., pp.108- 109.
58
Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961, p.143.
59
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op. cit., p.110.

59
En plus, il est évident que même l’usage de la langue française peut présenter ce
problème de la conscience. Car face à un enseignement trilingue, Abdelkébir Khatibi
démontre l’incapacité de l’enfant qu’il était de maîtriser la complexité de ces langues. Dans le
roman, l’auteur en parle cette discontinuité, ce manque de cohérence qui aboutit au désordre
de la conscience :

« A l’école, un enseignement laïc, imposé à ma religion, je


devins triglotte, lisant le français sans le parler, jouant avec
quelques bribes de l’arabe écrit, et partant le dialecte comme
quotidien. Où, sans ce chassé-croisé, la cohérence et la
continuité ? » 60

Le problème de la conscience occupe une place prépondérante dans l’écriture


romanesque de Khatibi. Dans ce passage, l’auteur souligne ce défaut de remémoration lié à
l’absence de la cohérence et à la présence de la discontinuité. C’est pourquoi l’enfant n’arrive
pas à maîtriser l’articulation de ces langues dispensées à l’école primaire.

En outre, il convient de dire que le mélange de ces langues au niveau de


l’enseignement primaire est la source première de ce désordre.

Car l’emploi du nom composé « chassé-croisé » connote une situation de sens péjoratif
qu’un esprit d’un enfant n’en est pas capable de réussir.

Enfin, Abdelkébir Khatibi parle du désordre de la conscience de manière assez


récurrente dans son roman. C’est un thème qu’il traite tout en montrant qu’il ne peut pas le
contourner. Car les effets négatifs des guerres d’indépendance et ceux de l’usage de la langue
française marquent profondément l’esprit de l’écrivain comme celui du peuple maghrébin en
général.

60
Op. Cit., p .40.

60
CHAPITRE II : LA DECHIRURE DE LA MEMOIRE

Le problème de la mémoire demeure l’une des préoccupations majeures du projet


littéraire d’Abdelkébir Khatibi. Il convient ici d’énumérer les traces, les désordres ainsi que
les cicatrices morales laissées dans les esprits des colonisés. Après l’acquisition des
indépendances au Maghreb, beaucoup restent à faire sur la restructuration de la société et des
valeurs culturelles.

En plus, la déchirure de la mémoire s’explique d’une part par la hantise de mauvais


souvenirs de la colonisation. D’autre part, par la dévalorisation de la mémoire collective, c’est-
à-dire la déconsidération des œuvres, des monuments et des sites que les Maghrébins
considèrent comme le symbole de leur passé commun et de leur patrimoine culturel.

II.1. La souillure de la mémoire

La souillure de la mémoire de l’écrivain marocain Abdelkébir Khatibi se manifeste


lorsque les souvenirs qu’il qualifie d’atroces hantent en totalité son esprit dès son enfance :

Cet homme qui effleurait à peine ma mère s’acharna sur le fils


ainé. J’arrivais en troisième position : mon père accepta de
m’expédier à l’école franco-marocaine, je devins la conscience
dégradée, donnée à la mécréance. Orphelin d’un père disparu et
de deux mères, aurais-je le geste de la rotation ? Est-ce
possible, le portrait d’un enfant ? Car le passé que je choisis
maintenant comme motif à la tension entre mon être et ses
évanescences se dépose au gré de ma célébration incantatoire,
elle-même prétexte de ma violence rêvée jusqu’au dérangement
ou d’une quelconque idée circulaire. Qui écrira son silence,
mémoire à la moindre rature ? »61

Dans ce texte, Abdelkébir Khatibi utilise une écriture purement autobiographique


caractérisée par la complexité de moments difficiles. Il s’agit des moments marqués par le
passé de son enfance qui demeure la période où il a connu sa mémoire brisée. C’est-à-dire
marquée par une multitude de visions et de douleurs. L’auteur attribue la cause de la souillure
de sa mémoire « à l’école franco-marocaine. » Une souillure de la mémoire qui devient

61
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p. 18.

61
déchirure de la mémoire dans la mesure où Khatibi connaît « la conscience dégradée ». C’est
pourquoi l’auteur emploie l’expression de « mémoire à la moindre rature ».

Khatibi expose l’importance de son projet autobiographique qui lui permet de


recouvrer son identité. Il tente également d’évoquer un autre sens de la souillure. Car même le
titre de son roman La Mémoire tatouée désigne cette souillure. En effet, dans les religions
monothéistes, le tatouage est considéré d’abord comme une tache puis comme un déshonneur.
C’est pourquoi il convient de réfléchir sur cette question de la mémoire qui est à la fois
souillée et impure. Khatibi en parle dans le texte ci-dessous :

« Je t’ai souvent répété que mon être n’est pas ce vide que tu
nommes, cet œil noir où je me perdrais dans la mortelle
fascination, même s’il y a au fond de la pupille la peur d’être
dévoré par une simple fumée de tabac, quand, revenant vers ma
fatigue, elle s’enroule et disparaît dans ma propre chair.
Supposons ce vide irrévocable dans le battement, n’est-ce pas
que le souvenir est pure rature ? On peut commencer par
n’importe où, et tout le reste est hasard, chaque fois le souvenir
est à gagner ou à détruire, une fois pour toutes, dans une fraude
inavouée. »62

L’auteur met l’accent sur le problème de la mémoire. La mémoire n’est pas une chose
palpable. Mais c’est par métaphore que l’auteur qualifie la mémoire de tatouée, de souillée et
même de raturée. Car la mémoire est comparée à quelque chose tatouable dans la mesure où
les souvenirs traumatisants de la colonisation restent encore gravés dans les esprits des
colonisés.

En effet, Abdelkébir Khatibi explique que ce sont les souvenirs du passé qu’il faut
chercher à surmonter. Ceux-ci représentent pour lui un obstacle moral. Sur ce, il est évident
que le processus de la colonisation a laissé derrière elle de mauvais souvenirs de tous genres.
L’homme décolonisé est loin de pouvoir oublier définitivement ces troubles moraux qui se
présentent comme un vide laissé dans la conscience du colonisé. Khatibi accuse le
colonisateur comme étant le générateur de cette souillure et de cette déchirure de la mémoire :

62
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.107.

62
« Il n’y a rien de plus atroce que la déchirure de la mémoire.
Mais déchirure commune au colonisé et au colonial, puisque la
médina résistait par son dédale. »63

Abdelkébir Khatibi souligne à travers ce passage les douleurs subies par la mémoire.
L’auteur va jusqu’à dire que même l’agresseur a subi des séquelles coloniales. Car le colon
qui fait figure d’oppresseur a instauré des idées opprobres, c’est-à-dire pleines d’humiliation
au peuple colonisé. Donc, la déchirure de la mémoire est une contrainte morale qui menace le
sujet dominé et celui du dominant.

En outre, la réflexion sur la notion de la mémoire a pris une dimension sémantique


plurielle dans l’écriture romanesque de Khatibi. Celui-ci laisse apparaître, d’un épisode à
l’autre, sa mémoire hantée par les mauvaises images du passé colonial :

« Mon nom me retient à la naissance entre le parfum de Dieu et


le signe étoilé. Je suis serviteur et j’ai le vertige, moi-même
raturé en images, Je me range à ma question égarée entre les
lettres. Pas d’herbe verte ni desséchée qui ne soit dans un récit
explicite ! »64

Dès le début du roman, Khatibi décrit le caractère sacré de son nom, c'est-à-dire de sa
personne. Cette valeur sacrée est ensuite désacralisée par des événements perturbateurs étant à
l’origine de la déchirure nominale. Dans le passage, l’auteur évoque la présence des troubles
représentés par l’expression « raturé en images ». Cette expression semble dire que les
souvenirs choquants du moment passé ont transformé son être tout entier. Bref, il convient de
dire que Khatibi se présente dans le roman comme une personne hantée par les troubles
traumatisants du passé. Car la répétion de la déchirure de la mémoire laisse entendre qu’il
s’agit du dévoilement de l’auteur afin de surmonter les problèmes qui pèsent sur lui.

63
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.34.
64
Idem, p.13.

63
II.2. La perte de la mémoire.

Après l’acquisition de l’indépendance au Maroc, les écrivains s’orientent sur les


questions majeures de l’aliénation, de la libération du moi et de la quête de l’identité. Cette
libération du moi a permis à Abdelkébir Khatibi de mettre sur pied la première véritable
autobiographie de la littérature maghrébine qu’est La Mémoire tatouée. De ce fait, il convient
de dire que le thème de la mémoire est parmi les thèmes privilégiés du genre autographique.

En effet, dans La Mémoire tatouée, Khatibi fait l’analyse du moi en évoquant la perte
de sa mémoire qui apparaît d’un épisode à l’autre. L’auteur présente cette mémoire de façon
problématique puisque cette dernière reste perdue à cause de l’histoire coloniale. Ce qui fait
que Khatibi écrit ainsi :

« Aimer l’Autre, c’est parler le lieu perdu de la mémoire, et mon


insurrection qui, dans un premier temps, n’était qu’une histoire
imposée,… »65

La révolte individuelle de l’auteur apparaît violente. L’histoire coloniale a laissé


derrière elle des conséquences néfastes. Le colon apparaît dans le texte comme l’image de
l’Autre. La perte de la mémoire s’explique lorsqu’il s’agit de penser à l’Autre, c’est-à-dire
d’évoquer la passé colonial.

En outre, le projet autobiographique de Khatibi lui permet de rechercher l’authenticité


du moi. Cette recherche de l’authenticité du moi s’accompagne d’un exercice d’appropriation
et de subversion de la langue française. Car dans La Mémoire tatouée, Khatibi se forge une
écriture propre à lui tout en refusant de se conformer aux modèles romanesques occidentaux.
La preuve est ce mélange des genres : roman, autobiographie, poésie et théâtre.

La perte de la mémoire est décrite non seulement dans La Mémoire tatouée mais aussi
dans beaucoup de ses écrits. Cette perte de la mémoire résulte de la blessure de la mémoire
due aux guerres d’indépendance. C’est ainsi que l’auteur parle d’une mémoire blessée:

« Je suis né presque au cœur du siècle, dans la guerre et la


servitude. Vous m’avez tout donné, en une secrète dignité. Quel
don merveilleux, tombé, en plein éclat, dans ma mémoire
blessée ? »66

65
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.68.
66
Abdelkébir Khatibi, Un Eté à Stockholm, op.cit., p.355.

64
La blessure dont parle Khatibi est une blessure morale. Cette dernière est le résultat de
deux conflits qui ont marqué son siècle. Il s’agit de la Seconde Guerre mondiale et de la
guerre d’indépendance au Maroc. Ces deux conflits sont les causes profondes de la blessure
de la mémoire.

De plus, la récurrence de l’introspection est évidente dans le roman. Cette


introspection relève de la véracité du genre autobiographique. Car elle signifie l’étude du sujet
lui-même, c'est-à-dire de l’auteur. Ce qui fait que Khatibi recourt à l’analyse de sa mémoire
agressée. Cette agression de la mémoire s’est produite du fait qu’il a connu des trous de
mémoire sous la domination coloniale.

Par ailleurs, l’oubli est la manifestation de la perte de la mémoire. Dans ce cas, la


mémoire de l’auteur est atteinte d’une amnésie qui peut être quelque fois partielle ou totale,
temporaire ou définitive. Abdelkébir Khatibi évoque cette crise amnésique dans le texte
suivant :

« A quelques mètres de la maison familiale et en une fraction de


seconde, le vide m’envahit, se perd la mémoire, éclaire d’une
immobilité définitive. »67

L’auteur annonce cette attaque amnésique exprimée par l’expression de « le vide


m’envahit ». Il s’agit d’un trou de mémoire. Cette amnésie a atteint l’auteur dans ses moments
d’enfance où la terreur régnait au Maroc. Sur ce, les trous de mémoire qui sont les
conséquences médiates du conflit touchent la conscience du peuple marocain.

La question de l’amnésie fonctionne ici comme une métaphore d’un oubli


involontaire. C’est une des mauvaises conséquences qui touchent la mémoire de l’auteur.

En effet, dans Amour bilingue, un récit semi-autographique où Abdelkébir Khatibi


évoque l’aliénation linguistique provocatrice de la perte de la mémoire. L’auteur est en train
de conter l’histoire d’amour conflictuel d’un mariage mixte. Cette mixité devient amnésique
quand il s’agit d’une rencontre linguistiquement difficile :

« Je le pressentais, tu me quittais depuis notre premier regard.


Et notre rencontre –fût-elle extraordinaire! –provoqua une perte

67
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.20.

65
de mémoire, la joie de tout omettre et de tout oublier, y compris
mon visage. La rencontre : une passion amnésique »68

Dans la citation précédente, Khatibi relate les effets néfastes de l’amnésie provoquée
par une rencontre de deux personnes de langues différentes. La perte de mémoire est ici une
conséquence de l’amour qui s’impose face au couple. Cet amour est soumis d’abord au
problème d’adaptation. Dès lors, la blessure de la mémoire reste une fatalité même dans le cas
des personnes d’origine différente.

En fait, il est évident que le concept de la perte de la mémoire figure parmi les
confrontations présentes dans l’écriture de Khatibi. Celui-ci n’a pas échappé à la perte de la
mémoire. Car cette dernière parvient d’une part aux souvenirs atroces de la colonisation.
D’autre part, aux conséquences malheureuses engendrées par le mariage mixte.

68
Abdelkébir Khatibi, Amour bilingue, op.cit., p.257.

66
CHAPITRE III : LA MEMOIRE APAISEE

L’apaisement de la conscience du colonisé a été parmi les points positifs véhiculés par
le processus de la décolonisation. Cette dernière a permis aux colonisés d’accéder à
l’indépendance d’une part. D’autre part, elle a ouvert le champ de l’expression.

Rappelons que pendant la colonisation, les écrivains ont été contraints par beaucoup
d’obstacles notamment les assassinats fréquents des intellectuels au Maghreb (Tahar Djaout,
Mouloud Feraoun). Ce qui fait que l’acquisition des indépendances a élargi le champ de la
liberté d’expression.

III.1. L’acquisition de l’indépendance

L’indépendance a permis aux gens des pays colonisés de retrouver leur autonomie, et
la liberté. Les trois pays du Maghreb ont vu leurs territoires sous le contrôle des Français
depuis des années, des décennies voire même des siècles. Pour le cas du Maroc, il est rentré
sous le régime de protectorat français en 1912 et n’a recouvré son indépendance que le 20
mars 1956.

De plus, l’acquisition de l’indépendance au Maroc a permis la libération nationale.


Ensuite, elle a véhiculé un esprit d’ouverture permettant à l’apaisement de la mémoire. Dans
cette situation, les Marocains ont su préserver leur patrimoine culturel malgré la présence du
colon.

L’indépendance est une situation positive et porteuse de liberté. C’est dans ce


contexte que l’auteur avance:

« Les Français qui nous colonisaient, dit ma mère, ressemblent,


au moment de l’Indépendance, aux enfants séparés du sein
maternel. Pour ma mère, seule cette séparation pouvait
expliquer la folie de nos agresseurs. »69

Khatibi développe ici la situation qui résulte après la prise de l’indépendance


marocaine. L’auteur a employé une figure d’analogie pour rapprocher deux éléments: le
« Français » et l’« enfant » à l’aide d’un outil de comparaison un verbe : « ressembler à. »

Dans cette comparaison, Khatibi exprime d’abord la rupture occasionnée par


l’indépendance auprès des colons. L’expression « séparés du sein maternel » explique que les

69
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.17.

67
Français sont empêchés de s’accaparer aux richesses du pays après l’acquisition de
l’indépendance. Car le mot « sein » connote la vie, c'est-à-dire la nourriture. Dans ce
contexte, cet empêchement renvoie au sevrage qui est une cessation d’allaitement maternel.
Par réduction métaphorique, le sevrage peut signifier la fin de l’exploitation des richesses
minières marocaines par les colons.

En fait, il est crucial de dire en fin de compte que le processus de l’indépendance a


libéré les colonisés soumis jadis au joug colonial. Car c’est d’abord une liberté physique puis
morale.

Par ailleurs, l’indépendance a joué un rôle important dans la lutte contre les
conséquences négatives postcoloniales. Car, les souvenirs atroces laissés par la colonisation
ont été effacés progressivement grâce à l’indépendance. Cette dernière a permis aux écrivains
de s’approprier de la langue du colon pour ensuite en faire un instrument de jouissance. C’est
pourquoi Khatibi écrit ainsi dans son texte suivant :

« L’Indépendance était là. Ma jeunesse évasive s’éveilla


soudain à l’appel de l’action. Je sortais d’une enfance sinueuse,
mais protégée. L’avenir certain, je le voyais dans la culture. Pas
d’erreur, l’écriture est, dans ce sens, une adolescence
prolongée. Je me voulais écrivain sans en mesurer la souffrance
et le vertige. Ecrire était une manière de survivre au souvenir,
de flotter dans le temps, feuille hasardeuse et trouble. »70

Khatibi fait ici l’éloge de l’indépendance qui est la source originale de la liberté.
L’homme colonisé a vu les contraintes physiques derrière lui et celles du moral devant. Mais
ces deux genres de contrainte ont été franchis à l’aide de l’utilisation de la langue française.
Ce qui fait que l’auteur n’a pas manqué de souligner le recours à l’action. Et ce recours a
permis à la libération de l’esprit.

Khatibi met en lumière ce processus de l’indépendance, qui pour lui, a élargi sa vie
soumise au désordre postcolonial. Parmi les effets de l’indépendance, il convient de citer le
problème de l’imaginaire sous l’effet immédiat de la colonisation.

Après l’indépendance marocaine, les écrivains ont continué d’employer la langue du


colonisateur pour des raisons diverses. D’abord, ils voient dans cette langue un facteur

70
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.61.

68
étranger mais libérateur. Car cette utilisation du français leur permet de décoloniser l’arabe et
la culture marocaine. Ainsi, grâce à l’usage de la langue du colon, les intellectuels marocains
parviennent à se faire entendre d’un public plus large.

Dans ce cas bien précis, l’usage de la langue française après l’indépendance continue
de perpétuer le phénomène d’acculturation. Donc, c’est cette langue qui sert aux écrivains de
prendre une revanche contre le colon agresseur.

En plus, Abdelkébir Khatibi n’a cessé d’évoquer à travers son roman le sens positif de
la notion de l’indépendance. Celle-ci reste porteuse des merveilles spirituelles visant à libérer
tous les secteurs colonisés :

« Le colonisé que j’étais avait sa table de divination dans le


flottement du temps, la féerie de l’Indépendance apparaissait
couverte de sa propre fêlure, qu’il me fallait lire sans y laisser
mon âme. Et l’Occident colonial restait un déguisement à
franchir. »71

L’auteur affiche sa volonté de parler de sa personne colonisée retournée dans un passé


bien précis et non oubliable. Le processus de l’indépendance demeure donc la seule clé
permettant aux esprits d’alléger les douleurs morales de la colonisation. C’est pourquoi les
écrivains n’arrivent pas à abandonner l’emploi du français malgré que celui-ci reste toujours
et encore une continuation de l’acculturation.

III.2. La liberté d’expression

La liberté d’expression tant attendue par les écrivains maghrébins, a été définitivement
acquise grâce à l’obtention de l’indépendance. Il convient dans ce contexte de profiter de
l’usage de la langue française comme moyen de transmission de message. Car durant la
colonisation, les choses ne se passaient pas de la même manière qu’après. Ce qui fait que les
écrivains du Maghreb continuent encore de perpétuer une littérature d’expression française
postcoloniale.

En outre, Abdelkébir Khatibi soutient l’intérêt d’utiliser le français dans la mesure où


celui-ci guérit en quelque sorte la mémoire. Selon lui, il arrive à accéder à un public plus
vaste. Et ce public est la métropole que l’auteur s’apprête à lui reprocher. La question de la

71
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.73.

69
blessure de la mémoire semble occuper une place cruciale dans la réflexion littéraire de
Khatibi. Selon ce dernier, l’usage de la langue du colonisateur apaise sa mémoire :

« On est toujours l’adolescent de quelque obscure mémoire. Ce


fut le bonheur de l’écriture qui me sauva. Je devais mon salut à
l’amitié des livres, et à cet adolescent à la chevelure
nonchalante, qui jetait sur tout un coup d’œil ironique. Duo
inséparable, une amitié toujours renouvelée. »72

Après les indépendances, la langue française reste le seul véritable outil pour tenter
d’effacer les traces de lien établies par la colonisation. Celle-ci a provoqué chez les colonisés
un complexe d’infériorité. Sur ce, les oppressions imposées aux dominés peuvent être
contournées à partir de l’écriture. C’est pourquoi l’auteur du texte précédemment cité insiste
sur l’éloge de l’écriture comme moyen d’apaisement moral. Dans ce sens, il convient
d’affirmer que le pouvoir de l’expression reflète par la suite la liberté d’expression.

En effet, la littérature maghrébine postcoloniale d’expression française est


d’importance capitale. Elle permet aux écrivains de se débarrasser d’abord des règles
traditionnelles du roman français. Dans ce cas, les intellectuels en profitent pour s’approprier
de la langue du colonisateur et de se forger leurs propres règles romanesques. C’est le cas de
Khatibi qui se défait de la tradition romanesque française dans La Mémoire tatouée. La
preuve est la diversité des genres: poésie, roman, autobiographie et théâtre cohabitent
ensemble.

Dans ce cas bien précis, il est clair que la liberté d’expression se manifeste non
seulement au niveau social mais aussi sur le plan de l’écriture. Elle leur permet d’exprimer
leurs revanches face à l’occident :

« Sur ton ventre, Occident, je retarde la fin des fins, la revanche


de tout écraser, source et fœtus, tirer et mourir, différence
barbare, et je m’en irai au point nodal, défaire ta résistance, ton
sommeil. J’ai choisi, c’est évident, mais pas clair, la séduction
et le vouloir lointain. Qu’ai-je à craindre de ton rapt,
Occident ? »73

72
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.53.
73
Idem, p.104.

70
Dans ce passage, il est important d’évoquer la violence du texte. Cette violence est
engendrée par un esprit de revanche vis-à-vis de la colonisation. Car le départ du colonisateur
rend de plus en plus violent l’écriture des écrivains. Ceux-ci profitent de la liberté
d’expression pour subvertir les règles du roman français. Cette subversion a aussi été
appliquée dans le renouvellement de quelques valeurs culturelles marocaines. Ce qui fait que
certains écrivains marocains ont été menacés d’incarcération. L’idée de revanche apparaît
dans un paragraphe à l’autre. Abdelkébir Khatibi est parmi les auteurs marocains qui
manifestent leur colère à travers l’écriture :

« Rêvé-je d’irréversibilité, au- delà de la soie qui blesse, car je


redescends sur ton ventre dans la vengeance; qui veut saisir le
savoir ou l’orifice doit provoquer – face à face – le voile
multiple, rapt, un pas en arrière, deux pas dans le vide, rien,
néant de rien, rien. »74

Dans ce passage, l’auteur semble habité par le désir de se venger du colon. Celui-ci
prend figure d’oppresseur contre un peuple colonisé et faible. C’est ce qui a poussé les
écrivains à recourir à l’écriture pour se venger. Pour cela, l’expression sert d’outil de soulager
la mémoire. Dans ce sens, la liberté d’expression contribue à apaiser l’esprit agressé pendant
des années. Khatibi présente le Maghreb comme un horizon emprisonné par le processus de la
colonisation. Cet emprisonnement renvoie à l’emploi du mot « rapt » synonyme d’otage. Et
la liberté d’expression est le facteur qui a déjoué le « rapt » du colonisateur. De ce fait,
l’ambition première des écrivains maghrébins est de se défaire du complexe d’infériorité.
C’est pourquoi les intellectuels fournissent leurs efforts en vue de rayer tout rapport
problématique entre colonisateur et colonisé.

En effet, dans Un Eté à Stockholm, Abdelkébir Khatibi fait l’éloge d’un voyage en
Europe. Il y décrit les plaisirs des découvertes de la langue et de la culture suédoises. Cet
enrichissement culturel a fait de Khatibi un homme guéri de la blessure de la mémoire. C’est
pourquoi il donne ce témoignage dans son texte suivant :

« Le chauffeur me guidait tranquillement vers l’hôtel. Je lui


parlais en suédois, langue que je connais par bribes ainsi qu’un
code secret qui me servirait à meubler mes oublis et mes trous
de mémoire. Bribes solitaires, isolées dans le passé, presque

74
Abdelkébir Khatibi, La Mémoire tatouée, op.cit., p.104.

71
dérobées à ma rapidité de traduire, à ma mémoire surchargée.
C’est une langue que je capte par chuchotements »75

En précisant l’importance de savoir parler une langue étrangère, le narrateur évoque


l’avantage de ses voyages multiples en Europe. A l’aide de la langue, Khatibi comble ses
vides, ses « oublis » ainsi que ses « trous de mémoire ».

Dans Un Eté à Stockholm, l’auteur affiche sa création originale. Il s’agit de sa


fascination pour le Nord. Dans ce roman, Abdelkébir Khatibi se montre ouvert aux horizons
européens. D’où, la volonté d’assurer sa propre culture, c'est-à-dire s’enrichir de ce qui
appartient aux autres.

Enfin, la liberté d’expression chez Khatibi se manifeste à travers l’éclatement du moi


et l’éclatement de l’écriture. Elle a facilité la libération de l’auteur et de son esprit.
L’expression par la parole est le premier degré de liberté revendiqué depuis toujours par les
Marocains. Dire ce qu’on pense est primordial. En fait, le recours à la langue reste alors
l’option principale pour apaiser l’esprit des malheurs de la colonisation. Car même la
décolonisation n’a pas atteint son objectif libérateur tant attendu.

75
Abdelkébir Khatibi, Un Eté à Stockholm, op.cit., p.298.

72
CONCLUSION

En guise de conclusion, il est à noter que la question sur la blessure de la mémoire


apparaît ambiguë. D’une part, il s’agit de montrer la manière dont les valeurs culturelles
marocaines ont été dévalorisées. D’autre part, il convient d’évoquer les souvenirs
traumatisants gravés dans les esprits des colonisés après le passage de la colonisation.

De ce fait, la blessure de la mémoire devient alors un thème à double sens, du moment


où il est étudié sous deux aspects : moral et culturel. Sous cet angle, c’est d’abord la mémoire
du narrateur qui est la première victime. Car tout au long de son roman, Khatibi n’a pas
manqué d’insister sur le traumatisme moral.

Enfin, bien que Khatibi figure parmi les colonisés qui ont été malmenés par la
colonisation, il a choisi l’option de l’écriture. Cette dernière est le seul recours permettant
d’échapper au chaos et au désordre moral. D’où, l’appropriation de la langue du colon pour
combler ses lacunes et vides.

73
CONCLUSION GENERALE

En définitive, il convient de souligner que la problématique du biculturalisme et du


bilinguisme reste le point focal autour duquel gravitent tous les thèmes d’Abdelkébir Khatibi.
Son roman de La Mémoire tatouée qui a fait l’objet de notre étude demeure son chef-d’œuvre
à partir duquel naît toute une série d’ouvrages. Dans le contexte colonial, le problème de la
double culture a fasciné bon nombre d’écrivains qui ont vu depuis leur enfance une culture
toujours humiliée par la présence de la colonisation. Cette question de la culture affecte le
dualisme linguistique que vit l’être Maghrébin.

Le choix d’écrire en langue française a plongé les écrivains maghrébins dans le


déchirement culturel. Car écrire dans une langue étrangère c’est être pris par une culture
étrangère. C’est pourquoi tous les écrivains maghrébins écrivant en français ont été taxés de
traitres. Le mélange de personnes de différentes cultures représente le mélange purement
culturel. En plus, pour le cas du colon et du colonisé, le premier impose sa manière de vivre
au dernier. D’où l’aliénation culturelle qui aboutit au conflit de culture et au conflit de langue.

Ce sont surtout les nationalistes qui ont reproché aux écrivains francophones, au temps
du régime colonial et au moment des indépendances, qui s’amusent à écrire dans la langue de
l’Autre. Le choix de la langue française par les écrivains maghrébins reste une question de
fascination. C’est-à-dire que ces écrivains sont attirés par un goût particulier d’utiliser le
français en tant que langue dominante afin d’être compris par les colons.

D’une part, les écrivains maghrébins emploient le français comme un outil de travail.
D’autre part, ils l’utilisent comme un instrument de jouissance personnelle. Par ailleurs, les
points de vue sur l’emploi de la langue française divergent. Car l’imposition du français par le
régime colonial constitue une agression morale qui provoque un dualisme linguistique
problématique et un bouleversement des valeurs culturelles du Maghreb.

Le problème de la culture et de la langue demeure un sujet douloureux du fait que


l’histoire coloniale a laissé derrière elle des souvenirs traumatisants auprès des autochtones.
Donc, pour remédier à cette blessure morale qui touche les esprits des Maghrébins, les
écrivains se penchent sur l’écriture. C’est le cas d’Abdelkébir Khatibi qui a choisi l’écriture
comme le seul moyen capable de guérir la blessure de la mémoire. Ce concept de mémoire est
le thème présenté comme fragile par Khatibi dans La Mémoire tatouée. Il s’agit d’une
mémoire agressée par les souvenirs traumatisants de la colonisation.

74
Pour cela, Khatibi présente la notion de l’acculturation dans deux mondes différents.
L’auteur parle du moment de son enfance au Maroc. Il évoque aussi le temps qu’il a passé à
l’Occident. C’est un personnage qui a vécu donc deux cultures et deux langues différentes.
D’où, le brassage culturel qui s’effectue à l’aide d’un passage de la culture marocaine à la
culture française.

Il reste à savoir le statut de chaque culture et de chaque langue. Pendant


l’administration coloniale, le français a été imposé comme langue de l’enseignement et de
l’institution. Ceci montre alors le statut supérieur de la langue française et de la culture
française durant l’époque coloniale.

Abdelkébir Khatibi est parmi les décolonisés du Maroc qui ont vécu les douleurs du
bilinguisme imposé et du biculturalisme. Or Khatibi voit en même temps de l’enrichissement
occasionné par le bilinguisme. Il considère l’utilisation du français comme un moyen efficace
pour montrer au colon une nouvelle maîtrise de la langue. Il montre aussi que l’usage de la
langue de l’Autre est une victoire aux souffrances et douleurs provoquées par le déracinement
culturel de l’action coloniale.

Le biculturalisme et le bilinguisme semblent avantageux pour les utilisateurs de la


langue. Khatibi dévoile la crise de son identité mise en cause par l’intrusion du bilinguisme et
de la double culture. C’est une identité marocaine qui est loin d’être acquise en intégralité.
Car la différence déstabilise la situation culturelle et linguistique.

En fait, la mémoire de l’auteur est marquée par les cicatrices morales laissées par la
colonisation. C’est dans cette situation que la mémoire reste agressée.

En effet, La Mémoire tatouée a permis à Khatibi de montrer au public sa manière de


penser le monde maghrébin ainsi que sa façon d’écrire. Le statut de deux langues en présence
est conflictuel chez le colonisé. Car celui-ci ne peut pas utiliser ces deux langues dans un
statut égal ou équilibré. C’est ce qui a poussé les écrivains maghrébins d’opter pour la langue
de la colonisation afin de s’approprier de cette langue et en faire un instrument de riposte.

Bref, Abdelkébir Khatibi traite à travers La Mémoire tatouée du thème de


l’acculturation d’une manière ambivalente. Cette ambivalence se manifeste dans l’expérience
de vivre deux cultures différentes notamment la culture marocaine et la culture française.

Ces deux cultures se sont assimilées et finissent par connaître chacune un statut différent.
D’où, le conflit culturel qui oppose ces deux cultures.

75
En outre, ce problème du statut culturel a affecté celui de la langue. Celle-ci est la
source de l’acculturation car elle a été imposée. Cette imposition dévalorise la langue de
l’auteur notamment l’arabe et favorise celle de l’Autre. Dans ce cas, le décolonisé se trouve
donc dans une situation embarrassée parce que vivre deux langues dont l’une est choisie et
l’autre est imposée, c’est être agressé moralement. Et cette agression touche la mémoire.

Ainsi, l’Autre emploie sa langue comme moyen d’élargir son champ d’occupation et
de domination. Mais Khatibi trouve dans la domination linguistique une sorte de richesse
intellectuelle qui lui permet de lutter contre toutes formes d’acculturation.

Dans La Mémoire tatouée, Khatibi raconte sa vie depuis son enfance au Maroc jusqu’à
son passage en France où il a passé ses années d’études supérieures. C’est cette expérience
vécue chez soi et chez l’Autre qui lui a causé le mal de la double culture et un drame
linguistique. Son autobiographie semble se faire de telle sorte qu’il est parvenu à dévoiler son
intériorité et à montrer son caractère d’écrivain acculturé.

En d’autres termes, lorsque Khatibi parle de conflit linguistique, il veut seulement


insister sur l’imposition de la langue française au détriment de la langue marocaine. Le
français a été imposé par l’Occident dans l’enseignement tout en négligeant le berbère et
l’arabe dialectal. Ces deux parlers sont porteurs des valeurs culturelles marocaines et méritent
d’être enseignés malgré la domination de la langue française.

Cependant, Khatibi voit le français comme un refuge contre la souffrance du


bilinguisme. Il tire du profit moral qui lui sert d’apaisement à la douleur de la double langue.

Enfin, il convient de souligner qu’Abdelkébir Khatibi est en train de dénoncer


l’acculturation provoquée par le bilinguisme et le biculturalisme. L’auteur se montre à travers
le roman qu’il est un écrivain engagé et attaché à sa culture allant de manière lucide à la
rencontre de l’autre.

76
BIBLIOGRAPHIE

I-OUVRAGE ETUDIE

1. KHATIBI, Abdelkébir, La Mémoire tatouée, Paris, Denoël, Lettres Nouvelles, Tome I,


1971.

II-OUVRAGES CITES D’ABDELKEBIR KHATIBI

2. KHATIBI, Abdelkébir, Le Livre du sang, Paris, Gallimard, Tome I, 1979.

3. Amour bilingue, Montpellier, Fata Morgana, Tome I, 1983.

4. Maghreb pluriel, Paris, Denoël, 1983.

5. Un Eté à Stockholm, Paris, Flammarion, Tome I, 1990.

II- OUVRAGES CITES

6. MEMMI, Albert, Portrait du décolonisé, Paris, Buchet- Chastel, 1957.

7 .DJEBAR, Assia, L’Amour, la fantasia, Paris, Editions Jean-Claude Lattès, 1985.

8. YACINE, Kateb, Le Polygone étoilé, Paris, Editions du Seuil, 1966.

9. FANON, Frantz, Les Damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961.

III-OUVRAGES GENERAUX

10. DEJEUX, Jean, Dictionnaire des auteurs maghrébins de langue française, Paris, Karthala,
1984.

11. Littérature maghrébine de langue française, Sherbrooke, Naaman, 1973.

12. DUGAS, Guy, Bibliographie de la littérature marocaine des français (1875-1983), Paris,
CNRS, 1986.

VI-OUVRAGES CRITIQUES

13. AHNOUCH, Fatima, Image not available, Abdelkébir Khatibi, la langue, la mémoire et le
corps, 2004, 287 pages.

14. AΪT YOUSSEF, Abdelaziz, La littérarité de Abdelkébir Khatibi, autour du livre sang et
l’ensemble de l’œuvre, 2000, 385 pages.

15. BUCI-GLUCKSMANN, Christine, Imaginaires de l’autre ; Khatibi et la mémoire


littéraire, Université des sciences sociales de Grenoble, 1981, 186 pages.

77
16. MEMMES, Abdallah, Abdelkébir Khatibi, L’Ecriture de la dualité, Paris,
L’Harmattan, 1994.

17. Littérature maghrébine de langue française. Signifiance et


intertextualité. Textes de Khatibi, Meddeb et Ben Jelloun, Rabat, OKAD, 1992.

18. SAIGH-BOUSTA, Rachida, Lecture des récits de Abdelkébir Khatibi ; écriture,


mémoire et imaginaire, Afrique-Orient, 1996, 159 pages.

V- ARTICLES

19. KHATIBI, Abdelkébir,’’ Avant- propos’’, Souffles, no 1011.

20. ‘’Entretien’’, Pro- culture, (Spécial Khatibi), n012, 1979.

21. ‘’Entretien réalisé’’ par Moulin El Aroussi, Lamatif, n0


19,1980.

22. ‘’Francophonie et idiomes littéraires’’, L’Opinion, 25


décembre, 1989.

23. ‘’La double critique’’, Libération, Rabat, n0 91,1977.

24. ‘’Lettre à T.ahar Ben Jelloun’’, La Mémoire Future,


Maspero, 1976.

25. ‘’Penser le Maghreb’’, les temps modernes, (Spécial : ‘’Du


Maghreb’’), n0375, 1977.

26. ‘’Repères’’, Pro- culture, (Spécial Khatibi), n012, 1979.

27. ‘’Pour une véritable pensée de la différence’’, Lamatif, n0 85,


1977.

78
TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION GENERALE.......................................................................................................... 6

PREMIERE PARTIE : LES EFFETS PERVERS DE L’USAGE DE LA LANGUE


FRANCAISE POUR LA CULTURE DU DECOLONISE .............................................................. 10

INTRODUCTION ............................................................................................................................. 11

CHAPITRE I : LE MÉCANISME DE L’ACCULTURATION. ...................................................... 12

I.1. La minorisation de la langue maternelle ................................................................................. 12

I.2. La politique coloniale d’assimilation. ..................................................................................... 13

CHAPITRE II : L’ ABÂTARDISATION CULTURELLE .............................................................. 15

II.1. La perte des valeurs culturelles .............................................................................................. 15

II.2. La déconstruction culturelle par la laïcisation. ..................................................................... 16

CHAPITRE III :L’ALIENATION CULTURELLE ........................................................................ 18

III-1. La perte de l’identité ............................................................................................................ 18

III.2. L’acquisition d’une culture hybride ..................................................................................... 20

CONCLUSION ................................................................................................................................. 23

DEUXIEME PARTIE : LE BILINGUISME CONFLICTUEL COMME FACTEUR


D’ACCULTURATION ....................................................................................................................... 24

INTRODUCTION ............................................................................................................................. 25

CHAPITRE I: LA NOTION DE TRANSCULTURATION DANS LA MÉMOIRE TATOUÉE ... 26

I.1. L’adoption de la culture étrangère .......................................................................................... 26

I.2. L’attachement à la tradition ancestrale.................................................................................... 29

CHAPITRE II : L’ÉCHEC DE L’ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE FRANÇAISE ................. 34

II.1. Le désordre diglossique : ....................................................................................................... 34

II.2. Interférence culturelle ............................................................................................................ 39

CHAPITRE III : LES AVANTAGES DU BILINGUISME ............................................................. 45

III.1. Victoire sur le désordre et la souffrance ............................................................................... 45

III.2. Le pouvoir sur les autres et sur le monde. ............................................................................ 48

CONCLUSION ................................................................................................................................. 52

79
TROISIEME PARTIE : BLESSURE DE LA MEMOIRE ............................................................ 53

INTRODUCTION ............................................................................................................................. 54

CHAPITRE I : LE TRAUMATISME LAISSÉ PAR LA COLONISATION................................... 55

I.1. Les séquelles de la colonisation. ............................................................................................. 55

I.2. Le désordre de la conscience................................................................................................... 57

CHAPITRE II : LA DECHIRURE DE LA MEMOIRE ................................................................... 61

II.1. La souillure de la mémoire .................................................................................................... 61

II.2. La perte de la mémoire. ......................................................................................................... 64

CHAPITRE III : LA MEMOIRE APAISEE ..................................................................................... 67

III.1. L’acquisition de l’indépendance........................................................................................... 67

III.2. La liberté d’expression ......................................................................................................... 69

CONCLUSION ................................................................................................................................. 73

CONCLUSION GENERALE............................................................................................................. 74

BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................. 77

80
RAPPORT D’ERREURS

Nous tenons à apporter des précisions supplémentaires sur les concepts clés utilisés dans ce
mémoire pour en accroître la lisibilité.

1- Acculturation : Adaptation d’un individu à une culture étrangère avec laquelle il est en
contact, ou à un nouveau milieu socio-culturel dans lequel il s’est trouvé transplanté.
2- Aliénation : Tout processus par lequel l’être humain est rendu comme étranger à lui-même,
et perd la conscience claire des ses rapports avec l’Autre.
3-Biculturalisme : Coexistence de deux cultures nationales dans un même pays.
4-Bilinguisme : Usage simultané de deux langues ; caractère d’une personne, d’une région
bilingue.
5- Culturalisme : Doctrine sociologique qui met en évidence l’action du milieu « culturel »
(des formes acquises de comportement) sur l’individu.
6- Culture : Ensemble de formes acquises de comportement, dans les sociétés humaines.
7- Diglossie : Situation linguistique d’un groupe humain qui pratique au moins deux langues
en leur accordant des statuts hiérarchiquement différents, notamment lorsque ces langues ou
variétés linguistiques sont apparentées et particulièrement intercompréhensibles.
8- Interférence : Phénomène résultant du contact entre deux usages sociaux.
9- Mécanisme : Se dit de certains processus psychologiques, notamment en psychanalyse.
10- Mémoire : Ensemble des fonctions psychiques grâce auxquelles nous pouvons nous
représenter le passé et le reconnaître comme tel (fixation, conservation, rappel et
reconnaissance des souvenirs).
11- Transculturation : Processus de transition d’une culture à une autre, de la disparition de
la culture traditionnelle jusqu’à l’acquisition de la culture nouvelle.
Le grand Robert de la Langue française. Le Robert/SEJER, 2005.

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