Dandrey 'Louis Xiv A Dit'

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DU MÊME AUTEUR

AUX ÉDITIONS LES BELLES LETTRES


Quand Versailles était conté.
La cour de Louis XIV par les écrivains de son temps, 2009

AUX ÉDITIONS KLINCKSIECK


La fabrique des Fables. Essai sur la poétique de La Fontaine, 1991 (2010)
Molière ou l’esthétique du ridicule, 1992 (2002)
Le « cas » Argan. Molière et la maladie imaginaire, 1993
La médecine et la maladie dans le théâtre de Molière, 1998, 2 vol.
Le premier Francion de Charles Sorel ou le « jeu du roman », 2001
Les tréteaux de Saturne. Scènes de la mélancolie à l’époque baroque, 2003 (ouvrage couronné par
l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres)

CHEZ D’AUTRES ÉDITEURS.


Dom Juan ou la critique de la raison comique.
Champion, 1993 (2011)
La Fontaine ou les métamorphoses d’Orphée.
Gallimard-Découvertes, 1995 (2008)
L’éloge paradoxal de Gorgias à Molière.
Presses Universitaires de France, 1997
« Phèdre » de Jean Racine. Genèse et tissure d’un rets admirable. Champion, 1999
Anthologie de l’humeur noire.
Écrits sur la mélancolie d’Hippocrate à l’Encyclopédie.
Gallimard-Le Promeneur, 2005
La guerre comique. Molière et la querelle de L’École des femmes. Hermann, 2014
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© 2015, Société d’édition Les Belles Lettres


95 bd Raspail 75006 Paris.
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ISBN : 978-2-251-90067-4
Réalisation de l’ePub : Desk
Introduction

Paroles vives et mortes


« Je rapporterai […] jusqu’à ses moindres paroles, parce qu’elles ont toujours eu un certain sel
qui leur donne la force et l’agrément. »
Choisy, Mémoires.
Dans son Quart livre, Rabelais imagine le mythe des « paroles gelées » :
conservées dans la glace, elles libèrent sous l’effet de la chaleur les propos
tenus par ceux qui ne sont plus. Rabelais donnait ainsi forme et solution à
une frustration de toujours : la disparition de la vive voix qui, éphémère, ne
laisse pas de trace physique de son émission. L’écriture avait déjà en partie,
en petite partie, porté remède à cette perte, dans la très longue période qui
alla de l’invention des premières graphies jusqu’à la propagation de
l’imprimé. Et la technique moderne d’enregistrement des sons et des images
a depuis peu compensé la douleur de perdre à jamais « les voix chères qui
se sont tues » (Verlaine). Reste que cette méthode, qui date d’un siècle à
peine, n’est pas rétroactive ; et que l’autre, qui va des scribes sumériens aux
héritiers de Gutenberg, était bien lacunaire. Ainsi, tant que l’homme n’aura
pas su retourner la flèche du temps — et ce possible-là n’est vraiment pas
d’actualité — l’accès aux voix des humbles ou des grands disparus qui ont
vécu avant l’invention du phonographe nous demeurera à jamais fermé. La
loi d’airain qui interdit au temps physique la rétroactivité dont dispose la
mémoire nous contraint à cette contradiction pénible : nous n’entendrons
jamais ce que « Louis XIV a dit », tout en sachant qu’il a vécu, qu’il a parlé
et que ce qu’il a dit devait présenter de l’intérêt, si l’on en juge par ce qu’on
en lit.
Tout ce qui nous est parvenu de ses propos, historiques ou prosaïques,
solennels ou familiers, est donc passé, nécessairement, par la médiation de
l’écriture. La sienne propre, d’abord, qui substitue à ses paroles vives, aux
verba, leur graphie, les scripta, quand il rédigeait de sa plume ou dictait ses
ordres, ses considérations, sa correspondance. Scripta manent, dit l’adage :
nos propos demeurent quand on les fixe en les rédigeant. Certes, ils y
perdent la spontanéité de l’oral, la forme et le tour inimitables que leur
confère la profération dans l’instant. On n’écrit pas comme on parlerait : la
rédaction fige, assagit, corrige et met en forme la libre spontanéité de l’oral.
Ce que Louis XIV a écrit peut bien procéder de ce qu’il a dit ou aurait dit,
mais ne s’y substitue que par compensation. Pour conjurer ce brouillage,
une autre médiation s’offre à faire lien entre la voix lointaine du roi et notre
oreille tendue. C’est celle, tout à la fois plus immédiate et plus médiate, du
témoignage historique, qui a cueilli ses paroles au sortir de sa bouche, dans
son improvisation informe ou, si formalisée, du moins portée dans l’air par
le son de la voix. Certes, même dans le cas (et ce n’est pas le plus fréquent)
d’une transcription exacte de l’énoncé oral dans sa spontanéité brute, on
devra déplorer ici aussi bien des pertes  : le grain de la voix, qui ne se
transpose pas  ; la prononciation ancienne, que nous ne savons plus  ;
l’accent et le ton, souvent omis ; le rythme de l’émission, ses haltes et ses
précipités, que la ponctuation trahit plus qu’elle ne les traduit ; et puis trop
souvent, ici encore, la lettre du propos, que le témoin tend presque toujours
à remanier, soit par défaut de mémoire exacte, soit par intention de
reconstitution expressive ou ennoblie. Mais il faut s’y résigner : ces deux
formes d’archive sont et seront à jamais le seul matériau que nous
possédions. À nous de « faire avec », comme l’on dit.
C’est en tout cas de cette double origine que procède le recueil des propos
de Louis XIV que nous proposons ici. D’un côté, on a exploité l’archive
innombrable des scripta, des écrits du roi qui n’ont jamais connu de forme
oralisée (sinon la dictée, qui est une pré-écriture à haute voix)  : on a
sollicité la correspondance, les traités, les proclamations et les mémoires
laissés par la plume infatigable d’un monarque qui régna pendant plus de
six décennies et qui prétendait s’occuper de tout, de l’essentiel à l’infime,
dans tous les domaines, du plus considérable au plus futile. Pour donner une
idée de l’ampleur de cette documentation, il suffira de rappeler que
l’édition, établie par Grouvelle au début du XIXe  siècle, de l’anthologie
préparée par le comte de Grimoard avant la Révolution, occupe déjà trois
mille et quelques centaines de pages réparties en six volumes. Et cette
édition ne constitue elle-même qu’un aperçu de pièces conservées en un
nombre infiniment plus grand dans les archives nationales et
internationales, locales ou privées. Et pourtant les pièces collationnées par
Grimoard et Grouvelle ne représentent que la partie sauvée par le duc
de Noailles d’un autodafé privé que Louis XIV avait entrepris un soir de
1714, pour détruire au crépuscule de sa vie les documents de son cabinet
qu’il ne voulait pas voir lui survivre. Ce qu’a sauvé le duc de  Noailles,
déposé en 1749 à la Bibliothèque du roi, avait été remis en mains propres
par Louis  XVI au comte de Grimoard. Ces pièces échappées au lot plus
abondant dont une partie avait été brûlée forment un ensemble composite,
d’intérêt inégal. Il y entre des textes autographes et olographes, des propos
enregistrés sous la dictée du roi, d’autres imités de sa main, d’autres encore
remaniés et modelés à partir de ses instructions ou de ses suggestions,
certains d’attribution contestable et beaucoup d’un intérêt seulement
circonstanciel. À chaque historien de choisir son bien parmi ces scripta…
Quant aux verba, aux paroles vives que des témoins attentifs jugèrent
dignes d’êtres retranscrites, elles constituent la cohorte incertaine,
désordonnée et profuse des « mots », au sens particulier que prend le terme
quand le qualificatif de « bons » ou d’« historiques » le spécifie. Oraux et
pris sur le vif, certes, mais restitués eux aussi à travers une double
médiation : celle de l’oreille du recenseur et celle du papier de l’épistolier,
du mémorialiste ou de l’historien du règne. Plus vivants d’être vifs, ces
mots-là sont plus douteux de s’être éloignés de cette vivacité par
l’interposition de la mémoire et de la rédaction. Sans compter la médiation
du temps. Car on voit surgir des mots dits du roi parfois un siècle après sa
mort. Et paradoxalement, ce ne sont pas ceux-là que la postérité dédaignera
le plus : ainsi de « L’État, c’est moi », qui attendit, coïncidence troublante,
l’époque de Napoléon pour sortir de la bouche de Louis  XIV. Avec les
incertitudes qu’on peut dès lors concevoir sur la valeur de ce genre de
propos : trop beaux pour être vrais, bien souvent.
Bref, la nature, la double nature de cette archive, pose les deux questions
majeures auxquelles le présent travail a dû répondre : celle des critères de
sélection, celle de l’authenticité des matériaux sélectionnés. On peut
évidemment résoudre l’une par l’autre : sélectionner exclusivement ce qui
est authentique. Mais encore faut-il pouvoir démêler le vrai du faux. Rien
n’est moins aisé pour les mots, historiques ou spirituels : nombre d’entre
eux sont suspects, presque par définition. Quant à ceux qui semblent
vraisemblables, ils sont difficilement vérifiables, surtout s’ils sont rapportés
par un seul témoin. Et lorsqu’il y en eut deux ou davantage, ils varient
souvent dans leur leçon. Faut-il dès lors privilégier les écrits de la main du
roi ou avalisés par lui, lesquels en effet ne peuvent mentir ? Faut-il même
s’y limiter  ? Mais d’une part, ce serait se priver des propos les plus
piquants, les plus célèbres, à juste titre ou non, et les plus vivants. Le
lecteur nous pardonnerait-il un tel sacrifice ? D’autre part, même les écrits
revendiqués pour siens par Louis XIV n’échappent pas à toute suspicion.
Quel fond faire sur la plume d’un roi dont même le paraphe était reproduit à
la perfection par son secrétaire Toussaint Rose (quoique à une échelle
légèrement inférieure à celui de son maître, respect oblige)  ? Et puis la
médiation du cabinet ne s’introduit-elle pas en tout ce qui touche aux
affaires de l’État ? Ainsi en va-t-il de ses Mémoires destinés au Dauphin,
que mirent en forme des rédacteurs successifs, dépositaires de sa confiance
intellectuelle : or la forme n’est jamais séparable tout à fait du fond. Ainsi
en va-t-il, également, de ses harangues, aux parlements ou aux armées, à la
confection desquelles purent œuvrer ses ministres et ses conseillers ; ainsi
de ses paroles destinées à la postérité, qu’interprétaient ou forgeaient ses
historiographes ; ou encore des maximes de son action, que ciselaient les
académiciens, les savants et les écrivains chargés de couler dans le bronze
un souvenir éternel de son règne.
Pour les écrits privés, voire personnels, qui résistent mieux à la suspicion,
ce sont malheureusement ceux parmi lesquels le feu de 1714 et les
destructions opérées par le temps et par les destinataires ont fait le plus de
ravages : ainsi de la correspondance avec Mme de Maintenon dont nous ne
possédons pour ainsi dire rien  ; et plus généralement des courriers de
Louis XIV à ses maîtresses, qui furent plus nombreux que ne le laisseraient
supposer les rares manifestations épistolaires de ces liaisons parvenues
jusqu’à nous. Or le roi n’emmenait pas toujours sa dame du moment ni ses
conquêtes d’un jour à la guerre quand il faisait campagne sur le front des
hostilités ; et les changements de résidence qu’il pratiquait régulièrement
jusqu’à l’installation de sa cour à Versailles sollicitaient souvent le recours
aux courriers privés. Le temps et la discrétion ont fait leur office pour
occulter ces paroles d’alcôve.
Restent donc celles qui ont survécu à cause de leur caractère politique,
diplomatique, circonstanciel ou mémoriel, et puis également familial ou
familier (on n’ose dire amical, les rois n’ont guère d’amis). Suspectes sans
doute, on vient de le dire — n’empêche que deux indices invitent tout de
même à modérer cette suspicion. D’abord, on est frappé qu’à diverses
reprises il arrive au roi de signaler à son destinataire qu’il lui écrit de sa
main : ce qui allait de soi pour ses pairs ou ses proches, mais qu’il pratique
aussi périodiquement, lorsqu’il veut soit honorer son interlocuteur soit
souligner l’importance particulière de ce que contient la missive, ou
lorsqu’au contraire il répond en quelques mots hâtés, à même la lettre reçue,
par exemple à ses ministres de confiance, Colbert ou Louvois. Non
seulement les lettres autographes et comme authentifiées par l’épistolier ne
sont pas rares ; mais le souci très vigilant de tout régir et tout ordonner qui
anime Louis XIV laisse supposer que pour lui les courriers dictés dans le
cadre de son métier de roi et dans le cadre de sa correspondance privée avec
les membres de sa famille, les préférés de sa cour, les généraux de ses
armées, les rois et princes étrangers et en général les dames ne devaient
guère différer dans leur lettre de ce qu’il avait dicté de vive voix : dans le
premier cas par nécessité ; dans le second par courtoisie.
Une preuve indirecte nous en est donnée par les reproches qu’il adresse en
septembre 1702 à son petit-fils Philippe V d’Espagne, dont il guide le jeune
règne de ses conseils à travers une correspondance abondante, régulière et
détaillée. L’aïeul reconnaît au jeune homme son courage au combat,
indispensable à sa gloire ; mais il lui reproche sa paresse, fatale à l’exercice
de son pouvoir complet :
J’ai peine à vous le dire ; mais on m’assure que les lettres que je reçois de vous, et même celles
que vous écrivez à la reine, sont dictées par Louville [qui a élevé le jeune homme et dirige sa
maison française à la cour de Madrid]. Pendant qu’il était auprès de moi, j’en ai reçu de Votre
Majesté, ainsi je sais qu’elle n’a pas besoin de secours pour bien écrire ; mais le public pensera
différemment. Il ne faut pas croire qu’il ignore de telles particularités : elles lui sont connues
avant même qu’elles parviennent jusqu’à moi, car on ne s’empresse pas de me donner de pareils
avis. Jugez de l’effet que ce bruit doit faire pour votre réputation ; songez aussi au chagrin de la
reine, si elle en est informée, et considérez si elle n’aura pas sujet de croire que vous manquez
pour elle de confiance et d’amitié. Vous n’avez pas de plus grand ennemi que la paresse : si elle
vous surmonte, vos affaires achèveront de périr, et leur décadence vous fera perdre la réputation
que votre courage a commencé de vous acquérir.
Après cela, on n’a plus à mettre en doute que la part de son courrier qui
intéresse les principales affaires de l’État et qui s’adresse à ses proches les
plus éminents sort directement de la plume ou de la dictée de Louis XIV.
Ces courriers-là, auxquels nous avons consenti une place peut-être
inaccoutumée dans un ouvrage recensant les paroles de Louis  XIV,
découvrent des aspects fondamentaux de son personnage et de sa
personnalité qui ne sont pas tous connus ou suffisamment soulignés. Ces
citations qui n’ont certes pas toujours le piquant ou le délié des « mots » du
roi, mais dont l’expression recèle bien des perles aussi, montrent une
sensibilité et une affectivité vives, plus canalisées que réprimées  ; un
tempérament (à peu près) maîtrisé dont la pente le portait au plaisir et aux
plaisirs dont il organise aussi par courrier l’ajustement détaillé  ; une
patience parfois plaisante à souffrir et à arbitrer les tensions, les prétentions
et les récriminations de ses proches, de ses dames de cœur et de ses enfants
de divers lits, de ses favoris et de ses maréchaux, de ses courtisans et de ses
ministres ; une esthétique de soi et une délicatesse de manières et de paroles
hautement civilisées et minutieusement appropriées aux gens et aux
situations ; une modestie, une écoute des conseils d’où qu’ils vinssent et un
souci de (re)connaître ses limites et ses défauts sans céder un pouce de sa
supériorité absolue de principe et de rôle ; et encore une philosophie et une
pratique du pouvoir personnel attentivement confrontées entre elles et aux
réalités, dont l’expérience mériterait une étude dans les écoles de sciences
politiques pour parallèle avec la lettre et la pratique des institutions, par
exemple, de notre Ve République.
Par-dessus tout, la découverte la plus fragile peut-être, mais la plus
passionnante sans doute, c’est celle d’un artiste du style. Comme César,
Napoléon ou de  Gaulle, Louis  XIV aurait-il donc eu en lui l’étoffe d’un
véritable écrivain ? La déduction peut sembler fragile eu égard au matériau
composite sur lequel nous l’appuyons. Mais elle est confortée par la
corroboration de nombreux écrits d’origine et de destination variées, et par
des audaces ou des écarts de syntaxe et de style que ne se fût pas permis un
scribe accroupi faisant office de secrétaire. Il apparaît, avec de fortes
chances de certitude sur l’authenticité des preuves accumulées, que le roi
écrit de manière marquée et vigoureuse, personnelle sinon originale,
expressive mais préservée de la surcharge, colorée d’images, fermement
élégante et naturellement élevée tout en sachant se garder du pompeux. Son
écriture allie avec aisance deux qualités dont l’assortiment n’est pas aisé : la
grandeur, jamais absente, rarement pesante, souvent imposante, et la
convenance, autrement dit l’exacte appropriation du tour, du ton, du registre
et de la forme à la situation, à l’objet du propos et à la personne à laquelle il
s’adresse. La combinaison des deux produit un style majestueux sans être
affecté, exact sans être froid, ménageant même dans le détail la promesse de
l’ampleur et des larges perspectives. Peu de généraux dans l’Histoire auront
reçu du chef suprême des armées et de l’État un ordre ainsi conclu :
Mais conduisez-vous de manière que l’envie que vous aurez eue de faire une entreprise ne vous
porte pas à rien faire qui n’ait quelque vraisemblance de succès, pour ne commettre pas la
réputation de mon armée.
Il est vrai que l’ordre du futur Roi-Soleil s’adressait alors au futur
maréchal de Luxembourg. Mais quand c’est à une dame qu’il écrit, le tour
majestueux sait le céder au galant, en se conformant sans se renier. La
marquise de La Fayette avait assorti d’un compliment sur les victoires de
Louis XIV une pieuse requête en faveur d’une abbaye : « Et comme vous
vous en êtes fait un ingénieux prétexte pour me pouvoir féliciter du bonheur
de cette campagne, lui répond Louis XIV, je souhaite aussi qu’il y ait lieu de
m’en faire une occasion de vous témoigner que ce compliment ne m’a pas
été désagréable. » Le parallèle est élégant, à la frontière d’une afféterie que
retient prudemment la litote.
On peut évidemment supposer à l’artiste en ces sortes d’écrit un art de la
parole vive sinon aussi puissant, du moins tout à fait aisé. Bref, que les mots
du roi étaient à la hauteur de ses écrits. Mais pour en juger, voici que revient
en force le soupçon sur l’authenticité : que faire des paroles saisies au vol
de l’improvisation et rapportées dans des conditions souvent suspectes, et
comment les laver de cette suspicion qui entache beaucoup d’entre elles ?
Pour éclairer la question, que l’on nous permette le détour par une anecdote
elle-même enroulée autour d’une saillie d’esprit. On demandait un jour à
Maurice Levaillant, spécialiste de Chateaubriand, son sentiment sur
l’authenticité de la fameuse lettre, recueillie dans la collection Feuillet de
Conches, où l’auteur des Mémoires d’outre-tombe (si c’est bien lui)
exprime son admiration pour La Fontaine et Molière. On sait que nombre
des documents «  retrouvés  » par Feuillet  de  Conches sont suspects.
M. Levaillant attesta la validité de la lettre : il y a si longtemps qu’on la
croit authentique, aurait-il dit, qu’elle doit l’être devenue. C’est un mot
(d’esprit) ; il remplit les trois exigences pour en être un : il est court, brillant
et suggestif. Aigu comme une pointe, serré comme une maxime, il dit de
manière détournée et condensée une vérité sous ses dehors de boutade. Et la
vérité de ce mot, profond sous sa surface de paradoxe, vaut justement pour
tous ces bons ou ces grands mots que l’on prête aux personnages célèbres :
rarement authentiques, ils le deviennent dès lors qu’on les leur attribue.
Entendons par là qu’un trait d’esprit ou de langue, une parole profonde ou
brillante, une maxime qui frappe, un tour ramassé qui tombe juste, attribués
à un grand homme du passé proche ou lointain, sont en fin de compte plus
«  vrais  » souvent de convenir à sa légende que d’avoir été réellement
prononcés par lui. Il faut s’y faire : les mots célèbres, d’autant plus au fur et
à mesure que l’on remonte loin dans l’histoire, sont pour la plupart
posthumes. La tombe des grands hommes est bavarde.
Si on rappelle ici cette (triste  ?) évidence, ce n’est pas pour mettre du
doute au début d’un livre consacré pour bonne part aussi aux « mots » que
Louis  XIV a ou aurait dits. Mais pour suggérer en l’affaire une petite
révolution copernicienne. Car les propos remarquables et devenus
« historiques » que l’on prête au monarque, fugaces et légers comme le sont
les paroles, a fortiori en un temps où rien ne permettait de les enregistrer
dans l’immédiateté de leur profération, nous intéressent moins pour le
connaître et le comprendre — vain espoir, tant il sont tous douteux — que
pour connaître et comprendre comment sa légende s’est cristallisée,
comment elle a pris, à la façon dont prend le ciment. Un ciment dont on a
joint, et solidement, les pierres taillées pour le piédestal de sa statue.
Demande-t-on à celui qu’elle représente d’avoir lui-même sculpté son
image et d’avoir lié de mortier les pierres qui le haussent  ? Un grand
homme ne peut tout faire, en tout cas pas tout ce que lui prête l’histoire.
Suffit à sa peine qu’il ait vécu de manière à susciter et à rendre plausibles
les traits qu’on lui prête, les mots qu’on lui souffle, l’esprit qu’on lui
attribue. Le temps finira par rendre personnelles et par marquer du cachet
de l’authenticité les paroles forgées par d’autres, mais en tout point dignes
de lui.
Certes, rassurons le lecteur épris d’indiscrétion. Bien des idées et même
des expressions de Louis  XIV ont été rapportées de son vivant en des
termes semblables ou similaires par plusieurs sources sans filiation ou
connexion entre elles. Ces mots-là, à ces conditions-là (qui sont
rigoureuses), on peut accepter de les lui restituer sans réserve. Mais ils
tiennent en peu de pages, et ils nous éclaireraient moins que d’autres, plus
douteux, sur l’idée que l’on s’est faite dès alors du roi, sur l’idée qu’il
voulait apparemment que l’on se fît de lui, mieux, sur l’idée que son
personnage, sa réputation, la manière de remplir son rôle firent concevoir de
lui à ces voix anonymes ou à ces plumes signalées qui lui mirent en bouche
les mots que recensent ordinairement les livres consacrés au Roi-Soleil.
Pour être «  d’après  » (d’après sa mort ou d’après son personnage), ces
mots-là, ces mots nombreux, ces mots apocryphes n’en sont pas moins
estimables que les autres, les rarissimes, ceux d’origine contrôlée : disons
de ces paroles douteuses que son personnage les aura méritées, si sa
personne ne les a prononcées. Autre manière de tourner la chose  : on
considérera que Louis XIV les a proférées en quelque sorte médiatement,
par la médiation de ce murmure collectif qui fait réseau autour des
personnages historiques à l’image forte et caractérisée. Il faut plus d’un
homme pour faire un grand prince, plus d’une tête pour forger ses propos et
plus d’une plume pour les recueillir. Paradoxe mis à part, peut-être sont-ils
d’autant plus authentiquement siens d’être allés de son personnage
historique à sa personne réelle, plutôt que le contraire, auquel on
s’attendrait logiquement sinon naïvement : ce sera notre variation en mineur
sur la fameuse théorie des deux corps du roi.
Au demeurant, il serait inexact de réduire les mots suspects, les mots
« d’après », à la postérité immédiate ou tardive du prince. Non seulement
bon nombre des mots forgés « d’après » lui coururent déjà de son vivant et,
faute d’être sortis d’abord de sa bouche, entrèrent dès alors dans celle de
son personnage avec tant de facilité, de bonheur et d’appropriation qu’ils
devinrent siens avant même sa disparition. Après tout, on sait des peintres
de bonne foi qui ont authentifié pour leurs des dessins ou des tableaux de
faussaires qui avaient trop bien imité leur manière et pénétré leur talent
pour que le subterfuge leur fût perceptible. Non seulement donc certaines
paroles forgées du vivant de Louis XIV ont été reçues de bonne foi par le
public dès alors pour paroles royales ; mais il apparaît même que quelques-
uns des mots historiques qu’on lui accorde généreusement avaient été prêtés
à d’autres avant lui. À commencer par son père et son grand-père.
Un recueil d’anecdotes attribuées au grammairien Gilles Ménage, les
Menagiana, prétend que le Roi-Soleil aurait dit à un de ses courtisans
victime d’une offense  : «  Comme ami, je vous offre mon bras, comme
maître, je vous promets justice.  » Mais Duplessis-Mornay avait bien
auparavant rapporté dans ses Mémoires ce mot qu’Henri  IV lui aurait
adressé  : l’offenseur s’appelait Saint-Phal et avait tenté d’assassiner le
mémorialiste. Il est notable, d’ailleurs, que d’autres mots dits «  de
Louis XIV » soient structurés sur le même balancement de termes croisés
deux à deux : « Je me réjouis comme votre ami du présent que je vous ai
fait comme votre maître », aurait-il dit au duc de la Rochefoucauld, après
l’avoir fait maître de la garde-robe ; et « Marquis, vous avez défendu la
place en homme de cœur, et vous avez capitulé en homme d’esprit », au
marquis d’Huxelles qui avait dû livrer Mayence après un long siège. Que
l’histoire ait fixé sur le petit-fils du premier roi Bourbon la paternité
estampillée de cette tournure vagabonde et prolixe qu’on nomme un
chiasme dit bien des choses sur la voracité de sa fable personnelle par
rapport à celle des six autres Bourbons couronnés (pour mémoire, outre
Henri IV et Louis XIII, puis les autres Louis — XV, XVI et XVIII — et
enfin Charles X : tous moins bien dotés que lui en paroles historiques et
formules définitives). Que d’autres mots soient partagés entre lui et des
monarques plus anciens, voire des héros antiques, fait indice du palmarès
entre ces célébrités de jadis et coïncide avec d’autres traits de confusion
voulue ou fortuite entre ces personnages nimbés de légende et le Roi-Soleil.
Ainsi les Hollandais se gaussèrent-ils déjà de son vivant qu’il eût faite
sienne une devise qui, associée à l’astre solaire, avait été utilisée d’abord et
à plus juste raison par Philippe II d’Espagne : « Nec pluribus impar (pas
indigne d’[éclairer] davantage [de possessions]) ». Cette formule impériale,
justifiée pour le monarque Habsbourg sur les possessions duquel le soleil ne
se couchait jamais, sonnait comme une promesse et un programme bien
arrogants pour un roi de France. Elle fait royalement la preuve que les
inventeurs de sa gloire ont pris bonne part de leur inspiration la plus haute
chez les prédécesseurs de Louis XIV, couronnés ou non : les mots célèbres
pouvaient bien suivre la même voie.
Il faut donc se montrer aussi vigilant à accréditer que débonnaire à
accepter les mots qu’on prête à un roi qui était ménager des siens, grands et
petits, spirituels et ordinaires : ses soupers, à la fin du règne, se passaient
dans un silence conventuel, déplore sa belle-sœur la princesse Palatine.
Taciturne, non certes, mais si attentif à la maîtrise de soi en toute chose que
son moindre signe faisait sens et que son moindre geste était parlant. On
comprend que les témoins, les épistoliers et les chroniqueurs aient déchiffré
en mots à peine apocryphes cette éloquence muette. Bref, il ressort de tout
cela que les mots de Louis XIV sont feuilletés de diverses couches de sens
et couverts de repeints plus ou moins nombreux. Chacune de ces paroles
«  historiques  » porte son poids de (petite) histoire, dérive de modèles,
œuvre dans des contextes, assume des aspects de son personnage, découvre
des angles et court-circuite des moments, des périodes, des époques de sa
vie variables et pas toujours identifiables de prime abord : chaque mot du
roi nécessiterait un décryptage singulier de toutes ces composantes qui
déterminent son relief et compliquent sa charge de sens.
Soit, pour y revenir, le plus célèbre peut-être de tous  : «  L’État, c’est
moi ». Tout invite à penser que Louis XIV ne l’a jamais prononcé. Il n’en
demeure pas moins hautement significatif du rapport complexe et profond à
son personnage et à son image qui est révélé (ou même créé ?) par cette
parole qu’on lui attribue. De surcroît, c’est à un jeune homme de seize ans
qu’on prête ces mots impérieux  : en 1655, lors d’une intervention à la
cavalière devant le Parlement réticent à enregistrer la création de nouveaux
impôts pour fournir aux frais de la guerre avec l’Espagne. Un premier lit de
justice n’ayant pas suffi pour faire passer la pilule, une nouvelle réunion de
la Grande-Chambre avait été provoquée le 13 avril. Mazarin qui dirigeait
alors la France au nom de son filleul instruisit certainement sur la conduite
à tenir l’adolescent auquel il enseignait son métier de roi. Louis XIV parut
devant les parlementaires en un costume «  inusité  », dit le mémorialiste
Montglat  : «  justaucorps rouge et chapeau gris, accompagné de toute sa
cour en même équipage  ». Il chassait à Vincennes et ne souhaita
apparemment pas revêtir un costume de cérémonie pour faire honneur à son
Parlement récalcitrant. Autre entorse à l’usage, il ne laissa pas s’exprimer
en son nom le chancelier, mais fit une harangue sèche, brève et forte dont le
propos nous est rapporté sur le vif par le Journal d’un bourgeois de Paris
pendant la Fronde. En substance, on apprend qu’il défendit (ce fut son mot)
aux parlementaires, sous prétexte d’en délibérer, de contester des édits lus et
publiés en sa présence, alors que « chacun sait combien vos assemblées ont
excité de troubles dans mon État ». La Fronde avait laissé des cicatrices
dans l’esprit du monarque et de son Premier ministre. Sur quoi et sans
attendre de réplique, il sortit. Autre version, plus succincte mais
concordante, par Montglat : « Après avoir dit quatre mots, il se leva et sorti
sans ouïr aucune harangue.  » Et puis, comme de juste, comme toujours,
Mazarin négocia, acheta les indécis, gratifia les plus dociles, menaça d’exil
des récalcitrants — et la pilule fut avalée.
La scène du lit de justice est donc rapportée en termes similaires par les
deux sources citées, qui sont contemporaines et s’accordent sans se
connaître. Une tradition sans doute ancienne mais progressivement
cristallisée (on la trouve chez Voltaire) en aura bientôt tiré l’image d’un roi
en costume de chasse, fouet en main et grosses bottes aux pieds, auquel
l’adage devenu célèbre sera ensuite attribué comme une réplique à la
remontrance que le Parlement n’eut pas le loisir, en réalité, de lui adresser.
Quand la formule fut-elle inventée, on ne le sait : on la trouve citée comme
une évidence historiographique au début du XIXe siècle, dans des textes dont
les auteurs ne songent pas même à remettre en question la tradition orale
dont apparemment elle procède encore alors. Tout ce qu’on peut en dire,
c’est qu’elle condense de manière frappante des idées qui étaient dans l’air
du temps, du moins celui des proches du pouvoir, au zénith et au couchant
du règne. Dans les années 1670, par exemple, on lit chez Bossuet théorisant
les droits et l’autorité du prince, que « tout l’État est en lui » : il l’écrit dans
sa Politique tirée de l’Écriture sainte destinée au Grand Dauphin, fils de
Louis XIV. À la fin du siècle, on trouve dans un manuscrit rédigé par Torcy
pour l’instruction du duc de Bourgogne, petit-fils du monarque, que « la
nation ne fait pas corps en France. Elle réside tout entière dans la personne
du roi ».
Le mot forgé pour Louis XIV sinon par lui exprime donc la pensée de ses
thuriféraires les plus inconditionnels, mais trop tôt et en des termes trop
nets : il ne l’eût formulée ainsi ni en 1655, assurément, ni peut-être même
plus tard. D’ailleurs, il ne peut guère s’agir, sous cette forme, que d’une
réplique : sans doute est-ce pourquoi on a imaginé de la greffer sur le lit de
justice de 1655. Or ce roi-là ne répliquait pas : il parlait, et on lui répondait.
Et puis l’abruption même de la formule n’est pas son genre. Ce sont les rois
faibles ou affaiblis qui, sur la défensive, tiennent des propos aussi
péremptoires. Ainsi Louis XVI rétorquant à son cousin Philippe d’Orléans
qui, dans les mêmes circonstances, avait contesté la légalité d’un
enregistrement : « Si, c’est légal, parce que je le veux. »
En somme, tout porte à conclure que Louis XIV n’a pas dit et n’aurait pas
dit que l’État, c’était lui. Mais sans doute n’aurait-il pas été chagriné qu’on
le pensât. Il arrive ainsi que les mots qu’on lui prête soient ceux qu’il ne
pouvait prononcer mais qui expriment au mieux la certaine idée qu’il avait
de son personnage et sa fonction. Comme les paroles du Christ dans les
Évangiles, comme la litanie des formules du sermon sur la montagne
condensées et réunies dans l’Évangile de Matthieu, ce sont là des formules
synthétiques qui cristallisent sous forme d’adages une doctrine dispersée ou
une pensée latente. Plus vraies qu’authentiques, pour tout dire. Authentique,
le mot de l’ambassadeur d’Espagne rapporté par le marquis de Dangeau au
moment où le second petit-fils de Louis XIV devenu Philippe V quitte la
cour pour aller occuper son trône à Madrid : « L’ambassadeur d’Espagne dit
fort à propos que ce voyage devenait aisé, et que présentement les Pyrénées
étaient fondues. » Vrai, le tour simplifié et dénudé du mot transféré au roi :
«  Il n’y a plus de Pyrénées.  » Voltaire, qui a tant puisé chez Dangeau,
préfère forger ou rapporter la version qui est devenue vraie, plutôt que celle
dont il connaît l’authenticité. C’est un choix d’écrivain, de poète de
l’histoire.
Or la poétique classique avait un mot pour désigner cette vérité supérieure
à l’authenticité : elle nommait cela vraisemblance. Comme « le vrai peut
quelquefois n’être pas vraisemblable » (Boileau), l’écrivain de l’époque de
Louis XIV doit apprendre à se garder des faux-semblants de la réalité, qui
trop souvent outrepasse le crédible ou l’admissible, et lui préférer la
vraisemblance, qui équivaut à peu près à ce que les Grecs nommaient dans
leur langue la mimesis : concept complexe et biface, plus complexe que
l’adjectif mimétique greffé par le français sur cet étymon antique, et moins
univoque aussi, car la mimesis des Grecs s’entendait à la fois au sens
d’imitation, à l’avers, et de représentation, au revers. Comme l’imitation, la
mimesis désignait le détour par la facticité bien œuvrée, utile à faire
reconnaître et à identifier le réel à travers sa copie la plus exacte possible :
artifice de bon faussaire, les mots de Louis XIV ont tous l’air d’avoir été
prononcés par lui, d’être plus authentiques qu’aucune peut-être de ses
paroles authentiques ne nous le semblerait. C’est le génie de l’imitation
vraisemblable. Mais, comme la représentation, la mimesis supposait aussi le
détour par la décantation bien pensée, qui supprime les scories de
l’apparence, du transitoire, de l’éphémère, pour dégager de la réalité,
toujours mêlée, la part de pure vérité qu’elle recèle et qu’occultent les faux-
jours de la contingence. De même les mots du roi frappés en maximes
dégagent-ils de sa gangue de contingence la pure splendeur de sa personne,
de sa pensée et de son action, comme hors du temps  : non sa personne
singulière, non sa pensée réelle, non son action concrète  ; mais l’idée
épurée de sa personne magnifiée par son personnage, celle de sa pensée
élaborée en modèle, de son action ramenée à ses principes, le tout formulé
dans l’éclat du trait qui frappe comme l’éclair et s’inscrit dans le marbre.
C’est le génie de correction de la réalité en vérité par le détour de la
vraisemblance. Ainsi les mots historiques prêtés à Louis XIV prennent-ils
leur plein sens sous le signe du vraisemblable qui corrige la nature et révèle
l’essence sous le phénomène, le personnage sous la personne.
De quoi les conséquences ne sont pas minces. Car, entendus de la sorte,
les mots qu’on prête à un personnage historique se révèlent être à double
tranchant, acérés comme un scalpel. Ils font résonner la vraie grandeur
quand la réalité qu’ils désignent s’y est haussée, mais ils peuvent aussi faire
sonner creux la vaine gloire quand ils ne font que parer la carence ou
l’inconsistance. Ils cisèlent la pensée forte ou promeuvent le bel acte ; mais
tout autant ils sanctionnent les faux-semblants et accusent toutes les
insuffisances par le relief de grandeur, de vérité et de vertu dont ils leur
imposent la dénivellation humiliante. Révélateur, impératif, impitoyable, le
mot historique situe celui qu’il se choisit pour être proféré : peu de grands
hommes sont à la hauteur permanente de toutes les grandes paroles qu’on
dit être leurs. Tant il est vrai que ces mots qu’on leur prête les obligent et les
jaugent.
Ainsi en va-t-il, en particulier, des dernières paroles, celles que les
témoins avides croient avoir entendu le mourant murmurer et dont l’écho se
répercute rétrospectivement sur toute la vie du défunt. Rarement
authentiques, toujours arrangés et apprêtés, ils partagent avec le cadavre
momifié, maquillé, travesti, empesé, ce clair-obscur d’une réalité apprêtée
au seuil de l’ultime vérité, celle qui ne ment pas. C’est pourquoi les agonies
sont si fertiles en mots définitifs quoique douteux : fulgurants quand elles
sont brèves, compassés et pourpensés quand elles durent, comme celle de
Louis  XIV qui, ayant eu la malchance, à titre personnel, d’agoniser
lentement, y gagna, comme personnage historique, le bonheur d’une mort
bien composée, convenablement entourée et chorégraphiée, riche en paroles
nobles, touchantes et appropriées aux circonstances, que chroniqueurs,
épistoliers et mémorialistes tirèrent de sa bouche ou y mirent avec l’ardeur
et la profusion qu’on met dans la dernière salve. En ce sens, il réussit sa
mort, qui fut à la hauteur des mots que la tradition lui prêta en cette
occasion : il sut tirer le meilleur parti du dernier tableau de ce perpétuel
spectacle que, toute son existence durant, il offrit à sa cour.
Et de fait, qu’est-ce qu’une parole historique, un bon ou un grand mot,
sinon le produit de circonstances opportunes, l’effet d’une industrie
éphémère, le reste d’une saynète fugitive où le proférateur, bien qu’essentiel
au jeu, n’est jamais seul à le jouer ? Car il faut au minimum, pour faire un
mot, pour produire une parole qui franchisse le mur de l’oubli, un
comparse : celui qui écoute et rapporte le propos prononcé. Sans témoins,
pas de belles paroles. De même pour celles qui s’écrivent faut-il un lecteur :
sans public, pas de spectacle. Or n’allons pas prendre le témoin pour un
figurant. Souvent il contribue à ménager les circonstances de la réplique ou
de la profération en même temps qu’il la recueille, la grave, la modifie,
voire l’invente. Ceci, jamais ex nihilo ; cela, rarement verbatim. La bouche
et l’oreille font couple et charade : on entend, ou l’on dit que l’on a entendu
à quelqu’un qui ensuite répétera le propos à qui voudra bien l’écouter pour
avoir le plaisir de le répéter à son tour, et ainsi de suite…
Pour cela, il faut que le mot historique soit bref  : son entrée dans la
mémoire, celle des rapporteurs d’abord, celle des siècles ensuite, suppose la
concision. Éventuellement, on la lui impose au cours de la transmission qui
le cristallise et le fige, en le rabotant et en le normant : court et frappé, il
entre dans l’esthétique de la devise, de la maxime, de l’adage, formes
répandues aux temps anciens. N’oublions pas que c’est sous Louis XIV, en
1683, que fut instituée une Académie des inscriptions et médailles, chargée
de collectionner ou d’imaginer les devises latines et françaises qui
orneraient les édifices, les médailles et les monnaies du roi. Bien des
paroles historiques de celui-ci ont trouvé presque naturellement à se couler
dans ce moule intellectuel et rhétorique : son génie personnel y inclinait,
épris qu’il était de secret, de retenue et de concision, fruits d’une réserve
sinon d’une timidité native, avouera-t-il, qu’il avait su dominer et
métamorphoser en une maîtrise de soi qui colorait d’affabilité mesurée une
conscience démesurée de son rang.
À l’origine du mot, singulièrement du mot d’esprit, une question souvent
vient incarner cette présence du comparse utile à la réplique. On se souvient
que Michel Jobert obtint jadis le prix de l’humour politique en répondant à
un journaliste qui lui demandait : « Que reste-t-il de la politique arabe de la
France ? — Barbès-Rochechouart. » Un mot, un seul, quoique double, fait
le sel de cette réplique : c’est le degré minimal de l’esprit, qui se manifeste
par un mélange inextricable d’incongru, qui décontenance, et d’adéquation,
qui frappe. Il faut à ce dosage subtil un contexte auquel s’ajuster dans
l’insolite d’un décalage : le questionneur est le complice, involontaire mais
indispensable, de la boutade. Reconnaissons-le, par comparaison : peu des
mots prêtés à Louis  XIV sont d’esprit. Le genre ne cadrait pas avec
Sa Majesté. Et puis, nous l’avons dit, il ne répliquait pas, ne répondait pas,
— sinon aux circonstances et aux événements qui, eux, n’ont pas la
politesse d’attendre qu’un roi leur donne la parole. Et c’est donc dans le vif
de l’action, en réplique à l’inattendu, que le roi parfois — rarement — nous
surprend par un trait d’esprit modéré et ajusté, qui correspond à ce que l’on
qualifiait alors de « galant » : par cet adjectif, on désignait une élégance qui
ne se pique de rien et glisse une pensée délicate dans une enveloppe
finement enjouée. Ainsi lorsqu’il fit tenir cinquante mille écus au
duc de la Rochefoucauld endetté, en lui glissant : « Est-ce ma faute ? que
n’en parlez-vous à vos amis. » Le mot est fin et sensible, sans être tout à fait
spirituel.
La meilleure analogie avec le « Barbès-Rochechouart » de Michel Jobert,
ce serait peut-être, en fin de compte, la réplique du roi à une des plus
insolites parmi les situations dans lesquelles le hasard l’aura placé. C’était à
Versailles, au début des années 1690. Déjouant la surveillance des valets,
notamment du premier d’entre eux, le fidèle Bontemps, un inconnu qui le
resta avait réussi à dérober les crépines et les franges d’or qui bordaient le
velours cramoisi ornant une partie des parois du grand appartement les soirs
de réception. Le voleur, qui était en réalité un mauvais plaisant, en fit un
gros paquet qu’il parvint sans se découvrir à projeter depuis l’antichambre
pour le faire atterrir dans un fracas de tonnerre sur la table du monarque
pendant son souper. Les plats valsèrent, la perruque du roi fut atteinte par
un frangeon. Or, dans l’épouvante générale suscitée par cet attentat,
Louis XIV impavide, « sans s’émouvoir en aucune sorte » (Saint-Simon), se
contenta de laisser tomber de ses lèvres flegmatiques : « Je pense que ce
sont mes franges.  » Par rapport au jeu entre la question attendue et la
réponse insolite qui donnait son éclat au (bon) mot de Michel Jobert,
l’incongruité est passée ici de la réponse à la question, ou plutôt, en
l’occurrence, à la situation : c’est la placidité du propos, c’est sa simplicité
presque familière qui impriment au commentaire on ne sait quoi de farfelu
par excès de réserve et de platitude, d’une manière qui à la fois et
simultanément détonne et s’accorde avec le contexte extraordinaire qui
sertit ce mot. C’est, par opposition à l’esprit en pointe, de l’esprit en creux,
mais de l’esprit tout de même.
Avec moins d’effet peut-être, mais pas moins de doigté, bonne part des
paroles de Louis XIV que l’histoire nous a transmises procèdent de cette
manière d’habiller de retenue maîtrisée, de hauteur sereine, de grandeur
cérémonieuse, des situations que nous dirions privées si les rois avaient une
vie privée et si le XVIIe siècle avait mieux marqué la distinction du public et
du privé  ; de ces situations, en tout cas, où la personne qui semble se
découvrir en son particulier emprunte à son personnage public son appareil
et son apparat, cet attirail de pose et de composition qui assigne au caractère
de l’homme la majesté du prince. Ainsi de ces mots plus ou moins concis et
frappés, portant au galant et à l’honnête homme, qui touchent à la vie que
chez un particulier on nommerait matrimoniale, familiale, amicale ou
amoureuse  : ils nous montrent Louis  XIV se comportant en parfait
gentilhomme, primus inter pares, avec cet «  air d’être chez lui qui lui
donnait une douceur trop aimable » (Mme de Sévigné) dans les lieux et les
moments où le masque du souverain le cède à celui, non moins composé
mais un peu moins compassé, du particulier. Roi en tout et jusque sur sa
chaise percée, semblent vouloir faire entendre les mots ciselés dans ce
contexte-là.
L’autre partie des paroles mémorables du monarque est formée de celles
qui, en sens inverse, vont de son personnage à sa personne et s’exercent à
nous persuader que le rôle lui allait si bien au caractère que son caractère,
en son particulier, ne se découvrait, ne s’exprimait, ne s’accomplissait nulle
part aussi complètement, profondément et authentiquement que dans
l’accomplissement de son rôle, c’est-à-dire dans l’exercice du pouvoir. Ces
paroles-là sont taillées dans une autre matière, marmoréenne. Elles prennent
une autre forme  : celle, définitive et pérenne, de la sentence. Elles
s’imposent avec la carrure massive de l’évidence, de la leçon, de la loi.
Elles ne craignent pas d’être démonstratives, académiques et canoniques.
Leur champ de prédilection est double : à l’intérieur du royaume celui de la
paix, à l’extérieur celui de la guerre, et à leur articulation celui de la
diplomatie. Les domaines que l’on a dits plus haut y déclinent sous un autre
jour leurs mêmes registres : celui du mariage et de la famille s’y retrouve,
sous les formes supérieures des droits de la reine et de la formation du
Dauphin ; celui de l’amitié sous les formes du compagnonnage héroïque et
de l’allégeance courtisane ; celui de l’amour, enfin, sous la forme sublimée
de la religion et de l’affection (supposée) des peuples pour leur prince
soucieux de les protéger et de les récompenser pour leur aveugle fidélité.
Comme plus haut l’analogie avec la poétique du vraisemblable, cette
division correspond analogiquement à une autre distribution esthétique  :
celle qui a écartelé l’esprit et l’invention du classicisme français entre les
deux pôles du relatif et de l’absolu. Car il y a, sans conteste, dans la
doctrine et la création classiques une tendance à l’absolu, sinon même à
l’absolutisme  : d’origine plutôt savante, ce classicisme-là se définit en
termes de dominance. Mais il est une autre inspiration, qui tend à la
proportion et au relativisme  : d’origine plutôt mondaine, forgé dans la
conversation galante du salon et de la cour, ce classicisme relatif a pour
principe la pertinence. Ici l’on s’adapte, là on s’impose : c’est l’aptum (la
convenance) de la parole élégante opposé à la vis persuasitrix (la force
persuasive) du discours éloquent. Séduire en s’insinuant ou en éblouissant,
stratégie de délectation ou de domination, tel est le choix qui s’offre au
créateur classique  : c’est la confrontation entre l’absolutisme doctrinaire,
avec ses normes canoniques et ses institutions académiques, et la relativité
tempérée, dont la règle est d’or et la manière galante. Comme l’écriture
classique, entre la rigidité de la doctrine et l’assouplissement qu’y apporte
le goût, le roi aussi, en véritable inventeur, sculpteur et peintre de lui-même,
situe son image esthétique et morale entre ces deux pôles : absolu, celui de
la majesté  ; relatif, celui de l’honnêteté au sens ancien du terme —
souverain absolu et honnête homme accompli, Jupiter foudroyant et
Apollon radieux.
Or il se trouve, et c’est peut-être la clef de son mythe personnel, que le
répertoire des paroles prêtées à Louis XIV par l’histoire combine en une
parfaite et surprenante harmonie ces deux aspects, par un principe
d’association qui aura consisté tout simplement, comme on vient de le voir,
à traiter l’un dans le registre de l’autre : habillant la majesté absolue de son
personnage par l’élégance justement proportionnée et toujours appropriée
de sa personne ; et environnant sa personne singulière de l’aura éblouissante
qui distingue un monarque absolu. C’est un suprême raffinement dans
l’économie de ce que l’on nommait alors le tempérament des contraires. Le
cardinal de  Retz, dans le célèbre portrait qu’il fit de Gaston d’Orléans,
l’oncle de Louis XIV, écrit que, le courage mis à part, ce prince aimable et
inconstant possédait « tout ce qui était nécessaire à un honnête homme ;
mais [qu’]il n’avait rien, sans exception, de tout ce qui peut distinguer un
grand homme  ». Le Roi-Soleil nous a laissé au contraire l’image d’un
souverain qui, le courage inclus, avait tout ce qui est nécessaire à un parfait
gentilhomme en même temps que tout ce qui distingue un homme d’État.
Le cardinal Mazarin avait vu juste en disant du jeune roi — s’il l’a vraiment
dit  : «  Il y a en lui de quoi faire quatre rois et un honnête homme  »
(Choisy). Quatre rois, c’est peut-être beaucoup dire ; un honnête homme,
c’est presque trop peu. En tout cas, le secret de sa pérennité historique et de
son aura légendaire, ce fut, partie de son fait, partie par le hasard du
moment où il régna, partie grâce à l’efficacité de ses thuriféraires
contemporains et posthumes, d’être parvenu à réaliser l’alliage rare entre
ces deux qualités, pour en faire le métal nécessaire à fondre sa statue : la
grandeur de son personnage n’offusque pas, dans l’image qu’il a laissée et
que relaient ses mots et ses propos historiques, la séduction de sa personne.
Au contraire, l’une confère à l’autre son relief et son piquant. Réciproques
et complémentaires, elles constituent l’avers et le revers inséparables de sa
médaille, ornée des mots, des devises et des paroles que lui attribue
l’histoire et dont on va lire ci-après une moisson sinon complète, en tout cas
représentative et variée autant qu’on l’aura pu.
Première partie
LOUIS XIV TEL QU’EN LUI-MÊME
Louis Dieudonné par lui-même
Est-il bien raisonnable, comme on va tenter de le faire ici pour
commencer, de traquer l’homme en transparence du monarque ? Trop de
masques, de déformations et de légendes s’interposent entre ce que fut la
personne de Louis Dieudonné et ce qui en transparaît à travers le
personnage de Louis XIV ; un personnage qui collait si bien à sa personne
qu’il peut paraître vain de tenter un départage de composantes pétries et
fusionnées par la destinée, l’éducation et l’expérience, et cristallisées dans
des phrases où de toute manière le travail de mise en forme mémorable a
procédé de l’influence réciproque de l’une sur l’autre, la personne et la
personnalité interchangeant ou plutôt fusionnant leurs effets en un mélange
inséparable. On tentera malgré tout de sonder à travers quelques
expressions significatives le tuf de la statue, le fond des choses, les ressorts
élémentaires du caractère, en sachant qu’il s’agit tout au plus de définir
une intimité d’apparence et de composition, transmise à nous sous le nom
presque commun de «  louis-dieudonné-quatorze  » —  sans majuscule —,
sorte de précipité ou de composé chimique auquel auront collaboré le
chorus des prête-nom, des porte-parole, des conseillers et des nègres du roi,
le brouhaha des témoins de plume, diaristes, épistoliers, mémorialistes et
historiens, et le patchwork, dans sa personnalité même, de l’enfant, du
mari, de l’amant, du père et du grand-père, du monarque, du guerrier, du
politique, du chrétien, et toutes autres matières dont on fabrique un homme
même quand il est roi, mais tout autrement que pour les autres hommes dès
lors que celui-ci est roi.
UN SENS INNÉ DE L’AUTORITÉ ?
J’ai failli attendre.
On commencera, clin d’œil à la légende, par un trait de caractère ou du
moins de conduite assurément caractéristique d’un personnage de roi,
puisqu’il exprime l’autorité par un mot que Louis  XIV n’a certainement
jamais prononcé, que les témoins démentent, mais qui en dépit de tout le
définit et le définira longtemps encore aux yeux de la postérité. Un jour
qu’on avait un peu manqué d’exactitude avec lui, Louis  XIV a-t-il dit  :
«  J’ai failli attendre  »  ? C’est peu probable. En pareil cas, on le vit très
souvent d’une patience toute bourgeoise : « Ce matin, dit Dangeau, sous la
date du 17 juillet 1690, Sa Majesté a donné audience à l’ambassadeur de
Portugal, qui l’a fait attendre plus d’une heure sans que le roi témoignât la
moindre impatience. » (Fournier, Recherches et Curiosités1?)
►  L’enfance d’un chef
Quand je serai le maître, j’irai où je voudrai, et je le serai bientôt.
Il n’empêche que l’autorité caractérise bel et bien la personnalité du roi
comme son trait peut-être majeur : le rôle aura déteint sur l’homme. Jeune,
il supportait déjà mal la contrainte de l’éducation, témoin ce mot
d’adolescence rapporté par Mlle  de  Montpensier, qu’elle situe quelques
jours avant que la majorité du roi ne fût proclamée le 7 septembre 1651, de
manière anticipée eu égard aux incertitudes politiques du moment. Avant la
majorité, l’on fut se promener sept ou huit fois, et j’allais à cheval avec le
roi ; Mme de Frontenac m’y suivait : le roi paraissait prendre grand plaisir à
être avec nous, et tel que la reine crut qu’il était amoureux de
Mme de Frontenac, et là-dessus rompit les parties qui étaient faites ; ce qui
fâcha le roi au dernier point. Comme l’on ne lui en disait pas la cause, il
offrait à la reine cent pistoles pour les pauvres toutes les fois qu’il irait
promener, croyant que ce motif de charité surmonterait sa paresse, ce qu’il
croyait qui la faisait agir. Quand il vit qu’elle refusait cette offre, il dit :
« Quand je serai le maître, j’irai où je voudrai, et je le serai bientôt. » Il s’en
alla. La reine pleura fort et lui aussi ; l’on les raccommoda. (Montpensier,
Mémoires, année 1651)
Ils verront dans deux mois et quelques jours de quelle façon je m’y
prendrai.
Par-delà ce mot d’encore enfant dépité, l’autorité de Louis XIV se fonde
plus sérieusement sur une confiance raisonnée dans sa capacité à anticiper
les situations, à les affronter et les analyser avec lucidité pour prendre la
meilleure décision possible. Avant même la proclamation de sa majorité, il
aurait fait montre de cette domination sur soi et sur l’avenir, avec
l’assurance qu’il maîtriserait toujours l’un et l’autre. Le 1er juillet [l651] le
roi étant à l’étude, Monsieur de Rodez [Hardouin de Péréfixe, évêque de
Rodez et précepteur du roi] lui faisant voir que les siens ne le servaient pas
par intérêt et que c’était par amour et pure affection et qu’ils avaient
beaucoup d’espérances en sa personne, le roi dit : « Ils verront dans deux
mois et quelques jours de quelle façon je m’y prendrai.  » (Du Bois,
Mémoires)
Dès qu’on s’est fixé l’esprit à quelque chose, et qu’on croit voir le
meilleur parti, il le faut prendre.
Car il n’est pas d’autorité respectée et efficace sans esprit de suite dans la
décision que l’on aura prise après la plus juste analyse de la situation, dont
la complexité peut toujours être vaincue par l’opiniâtreté à en venir à bout.
Souvent il y a des endroits qui font peine ; il y en a de délicats qui sont
difficiles à démêler ; on a des idées confuses ; tant que cela est, on peut
demeurer sans se déterminer ; mais dès qu’on s’est fixé l’esprit à quelque
chose, et qu’on croit voir le meilleur parti, il le faut prendre : c’est ce qui
m’a fait réussir souvent dans ce que j’ai entrepris. (Louis XIV, Réflexions
sur le métier de roi)
Est-ce que nous ne ferons pas rendre gorge à tous ces gens-là ?
Cette autorité tournera à la hantise et à la fureur despotiques lorsque le
roi se sentira perdre la main. Véritable ou apocryphe, ce mot en dit long, à
propos des fastes de la fête donnée par Fouquet à Vaux en l’honneur du
jeune monarque : selon Gourville qui l’aurait rapporté à Fouquet, le roi
piqué de la magnificence de Vaux, qui effaçait de bien loin Fontainebleau,
et toutes les autres maisons royales, n’avait pas pu s’empêcher de dire à la
reine-mère : « Ah ! Madame ! est-ce que nous ne ferons pas rendre gorge à
tous ces gens-là ? » (Choisy, Mémoires)
S’il eût été condamné à mort, je l’aurais laissé mourir.
Ce sentiment de dépit allait trouver son aboutissement dans ce que
rapporte Racine sur l’issue du procès Fouquet — il est vrai bien après les
faits et sans doute de seconde main. Le roi, peu avant le jugement de
M. Fouquet, dit à la reine, dans son oratoire, qu’il voulait qu’elle lui promît
une chose qu’il lui demandait : c’était, si Fouquet était condamné, de ne
point lui demander sa grâce. Le jour de l’arrêt, il dit chez Mlle  de  La
Vallière  : «  S’il eût été condamné à mort, je l’aurais laissé mourir.  »
(Racine, Fragments historiques, 31, dans Picard éd., Œuvres diverses)
Parce que d’Ormesson ne veut pas pendre Fouquet, est-ce qu’il faut
que je le fasse pendre !
Il est vrai que Colbert jetait de l’huile sur le feu, s’emportant sans mesure
contre le laxisme supposé des juges, notamment le président d’Ormesson
qui entendait juger en toute impartialité. Selon le Journal de ce dernier, le
roi pourtant enragé contre Fouquet aurait même répondu un jour à son
ministre : Colbert, ne me rompez plus la tête de cela. Quoi  ? parce que
d’Ormesson ne veut pas pendre Fouquet, est-ce qu’il faut que je le
[Lefèvre d’Ormesson] fasse pendre ? (Ormesson, Journal, décembre 1664)
Il y a longtemps que je l’avais sur le cœur.
Encore ne peut-on pas toujours tout ce que l’on veut  : l’apprendre est
l’objet de l’éducation qui transforme l’enfant en adulte. La dissimulation et
la patience sont deux qualités peut-être naturelles, plus vraisemblablement
acquises, en tout cas travaillées jusqu’à lui modeler une seconde nature,
que Louis XIV met en œuvre pour renverser sûrement les obstacles opposés
à ses desseins. Il les a éprouvées pour la première fois lors de ce qui fut la
première grande affaire de son règne personnel : l’arrestation de Fouquet.
Il s’en explique dans une lettre à sa mère lui relatant à chaud l’événement.
Vous savez qu’il y a longtemps que je l’avais sur le cœur, mais il a été
impossible de la faire plus tôt, parce que je voulais qu’il fît payer
auparavant trente mille écus pour la marine, et que d’ailleurs il fallait
ajuster diverses choses qui ne se pouvaient faire en un jour  ; et vous ne
sauriez vous imaginer la peine que j’ai eue seulement à trouver moyen de
parler en particulier à Artagnan ; car je suis accablé tout le jour par une
infinité de gens fort alertes, et qui, à la moindre apparence, auraient pu
pénétrer bien avant  : néanmoins il y avait deux jours que je lui avais
commandé de se tenir prêt, et de se servir de du Claveau et de Maupertuis
au défaut des maréchaux des logis et brigadiers de mes mousquetaires, dont
la plupart sont malades ; j’avais la plus grande impatience du monde que
cela fût achevé, n’y ayant plus autre chose qui me retînt en ce pays.
(Louis  XIV, À  Anne  d’Autriche. Nantes, 5 septembre 1661. Grimoard et
Grouvelle, V)
Je l’ai entretenu tantôt d’une matière, tantôt d’une autre, et fait
semblant de chercher des papiers, jusqu’à ce que j’aie aperçu par la
fenêtre de mon cabinet Artagnan.
La dissimulation pousse jusqu’au jeu de comédien quand le roi retarde
Fouquet avec lui en attendant le moment propice à le faire arrêter. Enfin ce
matin le surintendant [Fouquet] étant venu travailler avec moi à
l’accoutumée, je l’ai entretenu tantôt d’une matière, tantôt d’une autre, et
fait semblant de chercher des papiers, jusqu’à ce que j’aie aperçu par la
fenêtre de mon cabinet Artagnan dans la cour du château, et alors j’ai laissé
aller le Surintendant qui, après avoir causé un peu au bas du degré avec La
Feuillade, a disparu dans le temps qu’Artagnan saluait le sieur Le Tellier, de
sorte que le pauvre Artagnan croyait l’avoir manqué, et m’a envoyé dire par
Maupertuis qu’il soupçonnait que quelqu’un lui avait dit de se sauver ; mais
il l’a rattrapé dans la place de la grande église, et l’a arrêté de ma part,
environ sur le midi. (Louis XIV, À Anne  d’Autriche. Nantes, 5 septembre
1661. Grimoard et Grouvelle, V)
Le travail n’épouvante que les âmes faibles.
Patience et dissimulation signalent chez Louis XIV un acharnement qui
suppose pour ressort de son autorité une exceptionnelle volonté. Laquelle
se manifeste par l’ardeur au travail que, dans ses Mémoires, rédigés durant
la première décennie de son règne personnel pour son fils le Grand
Dauphin, il présente comme une haute vertu morale, indispensable à un
prince, au même titre que le souci de la gloire qui doit constituer pour lui
une valeur suprême. Le travail n’épouvante que les âmes faibles ; et dès
lors qu’un dessein est avantageux et juste, ne le pas exécuter est une
faiblesse. La paresse chez ceux de notre rang est opposée à la grandeur de
courage, aussi bien que la timidité ; et il est sans doute qu’un monarque
obligé de veiller à l’intérêt public mérite plus de blâme en fuyant une peine
utile qu’en s’arrêtant à la vue d’un danger pressant : car enfin la crainte du
danger peut être presque toujours colorée par un sentiment de prudence ; au
lieu que l’appréhension du travail ne peut jamais être considérée que
comme une mollesse inexcusable. (Louis  XIV, Mémoires pour l’année
1661)
[Ils] ne me connaissent pas encore bien, quand ils prennent avec moi
des voies de hauteur et d’une certaine fermeté qui sent la menace.
Un an après la chute de Fouquet, les mêmes traits qu’elle a révélés chez
Louis XIV — réflexe de dépit courroucé et d’obstination farouche dès qu’il
se sent traité de haut et contesté dans son autorité et sa gloire — animent la
réponse du roi au comte d’Estrades, ambassadeur de France à Londres, qui
a subi une pression un peu vive de la part du chancelier Hyde sur l’affaire
du « salut au pavillon  » auquel prétendaient les vaisseaux anglais de la
part des Français. Ce que j’ai remarqué dans toute la teneur de votre
dépêche, c’est que le roi mon frère [Charles II, ainsi nommé dans le cadre
d’une fraternité de monarque à monarque jadis conventionnelle], ni ceux
dont il prend conseil, ne me connaissent pas encore bien, quand ils prennent
avec moi des voies de hauteur et d’une certaine fermeté qui sent la menace.
Je ne connais puissance sous le ciel qui soit capable de me faire avancer un
pas par un chemin de cette sorte ; et il me peut bien arriver du mal, mais
non pas une impression de crainte. […] Le roi d’Angleterre et son
chancelier peuvent bien voir à peu près quelles sont mes forces, mais ils ne
voient pas mon cœur. (Louis XIV, Au comte d’Estrades. Paris, 25 janvier
1662. Grimoard et Grouvelle, V)
►  Vestiges d’enfance
Cette première timidité […] que le jugement donne toujours, et qui
me faisait peine, surtout quand il fallait parler un peu longtemps et en
public.
Peut-être le jeune homme devenu trop tôt roi et entré trop tard dans son
rôle trouvait-il dans ces actes de rupture de quoi vaincre ce que lui-même
nomme, à propos de la période de sa vie antérieure à sa prise du pouvoir,
cette première timidité que le jugement donne toujours, et qui me faisait
peine, surtout quand il fallait parler un peu longtemps et en public
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661). La timidité du futur roi, dès lors
qu’elle est avouée par lui, fût-ce du bout des lèvres, n’est donc peut-être pas
aussi légendaire que les actuels pourfendeurs de légende veulent bien
l’affirmer. Et l’expression parfois outrée de l’autorité qu’on lui reconnaît
pour naturelle pourrait bien avoir constitué la compensation à ce défaut
contraire à l’idée qu’il se faisait de son rang.
Je nomme en vous facilité, ce que je regarderais comme présomption
dans un autre.
Pour preuve, il est notable que la réaction manifestée par le jeune
Louis XIV lors de la mince affaire du « salut au pavillon » persiste jusqu’au
crépuscule de son règne et de son âge  : son petit-fils devenu en 1700
Philippe V d’Espagne, que le vieux roi régente de ses conseils sincèrement
affectueux dans les débuts difficiles de son règne soutenu par la France
seule contre l’Europe coalisée, est sans cesse pressé par son grand-père
d’agir en maître et de prendre dans sa seule main les rênes de son État. Il
s’y décide enfin, et tient un conseil (un despacho) dont il exclut les délégués
tout-puissants du roi de France qui à travers eux gouverne de fait
l’Espagne. Or voici la réaction démesurée de Louis XIV dessaisi, dans un
courrier violent où le mépris le dispute à la menace sous l’effet de ce qu’on
appellerait un dépit affectueux. Il y a deux ans que vous régnez, vous
n’avez pas encore parlé en maître par trop de défiance de vous-même ; vous
n’avez pu vous défaire de cette timidité pendant que vous méprisiez les
périls des conjurations et des actions les plus vives de la guerre. À peine
cependant vous arrivez à Madrid, qu’on réussit à vous persuader que vous
êtes capable de gouverner seul une monarchie, dont vous n’avez senti
jusqu’à présent que le poids excessif. Vous oubliez l’embarras de vos
affaires, et vous vous applaudissez de tenir seul vos conseils. J’étais bien
éloigné de croire qu’on vous tendît un pareil piège, et qu’il fût possible de
vous y faire tomber. Considérez si c’est bien répondre à toute l’amitié que
j’ai pour vous  ; que puis-je, que de souhaiter que quelqu’un de ma part
assiste à vos conseils ? Vous avez eu vous-même assez bon esprit pour le
désirer. Je choisis le cardinal d’Estrées comme l’homme le plus consommé
dans les affaires, le plus éclairé que je puisse mettre auprès de vous, dont
l’expérience et les lumières vous seront les plus utiles ; il me sacrifie son
repos, sa santé, peut-être sa vie, sans aucun dessein que celui de marquer sa
reconnaissance et son zèle. Et quand vous avez le plus besoin de ses
talents ; quand il est le plus nécessaire de prendre de promptes résolutions
pour votre sûreté et celle de votre royaume, vous faites voir en vous une
malheureuse facilité à croire que tout d’un coup vous pouvez gouverner
seul une monarchie, que le plus habile de vos prédécesseurs aurait eu peine
à conduire dans l’état où elle est présentement. Je nomme en vous facilité
ce que je regarderais comme présomption dans un autre. Je sais que vous
êtes très éloigné de ce défaut  ; mais les effets du premier ne sont guère
moins dangereux, et c’est ce qui m’alarme pour vous. Je vous aime trop
tendrement pour me résoudre à vous abandonner. Vous me réduirez
cependant à cette fâcheuse extrémité, si je cesse d’être informé de ce qui se
passe dans vos conseils. […] Choisissez donc ce que vous aimez le mieux,
ou la continuité de mes assistances, ou de vous laisser aller aux conseils
intéressés de ceux qui veulent vous perdre. […] Si vous prenez le second
parti, je serai vivement touché de votre perte que je regarderai comme
prochaine, mais au moins avertissez-moi : c’est une faible reconnaissance
de mes secours ; elle sera cependant considérable par la facilité qu’elle me
donnera de procurer la paix à mes peuples. L’ironie de la chose tient dans
ce que nous révèle le post-scriptum de cette volée de bois vert (et qui n’a
pas empêché qu’elle ne fût envoyée)  : PS. Je vous avais écrit quand le
chevalier d’Epennes est arrivé. Votre lettre du 11 m’explique les raisons que
vous avez eues de tenir seul votre despacho. J’aurais souhaité que vous les
eussiez communiquées au cardinal d’Estrées. Il n’a d’autre intérêt que de
vous donner de bons conseils. Si vous avez autant d’amitié pour moi que
j’en ai pour vous, suivez l’avis que je vous donne de suivre désormais les
siens préférablement à tout autre. (Louis XIV, À Philippe V. 4 février 1703.
Grimoard et Grouvelle, VI)
Mais aussi, monsieur, c’est que vous parlez et que vous blâmez.
Cette susceptibilité sourcilleuse dès qu’il est question de son pouvoir
trouve un écho, quoique déformé, dans un autre trait, peut-être moins
visible, de la personnalité du roi  : sa détestation des conflits entre ses
proches — sa famille, sa parenté, ses courtisans, ses ministres, ses
généraux. Curieusement, il semble manifester une double attitude à ce
sujet : attisant les rivalités pour susciter l’émulation à le servir et à bien
servir  ; mais passant aussi son temps et employant tous ses efforts à
désamorcer les tensions entre les siens. Un fond naturel de timidité corrigée
par l’idée qu’il se fait de son rang et de son pouvoir explique peut-être la
contradiction entre son autoritarisme impérieux, voire belliqueux, et cette
presque pusillanimité devant l’affrontement et ses conséquences
destructrices — son horreur du conflit étant accrue par son penchant
personnel à l’émotion et à la vivacité de réaction, qu’il s’est employé à
corriger par une réserve et une dissimulation dont il aura fait sa seconde
nature. L’audience qu’il a accordée à l’impétueux et impossible duc
de  Saint-Simon lui donne l’occasion de formuler sa désapprobation
compréhensive envers la susceptibilité que manifeste sur bien des sujets son
interlocuteur qui sans le savoir tend au roi un miroir de ce que sans doute
celui-ci reconnaît et désapprouve en lui-même. En cet endroit le roi, qui
avait déjà commencé à se rasséréner, prenant un visage encore plus ouvert,
et montrant une sorte de bonté et presque de satisfaction à m’entendre, me
coupa la parole comme je commençais un autre discours par ces mots : « Il
y a encore un autre homme… » et me dit : « Mais aussi, monsieur, c’est que
vous parlez et que vous blâmez, voilà ce qui fait qu’on parle contre vous. »
Je répondis que j’avais grand soin de ne parler mal de personne ; que pour
de Sa Majesté, j’aimerais mieux être mort, en le regardant avec feu entre
deux yeux ; qu’à l’égard des autres, encore que je me mesurasse beaucoup,
il était difficile que des occasions ne donnassent pas lieu à parler
quelquefois un peu naturellement. «  Mais, me dit le roi, vous parlez sur
tout, sur les affaires, je dis sur ces méchantes affaires, avec aigreur…  »
(Saint-Simon, Mémoires, année 1710)
Mais votre ami, je le connais, il est quelquefois extraordinaire, ne me
refusera-t-il point ?
Lorsque Louis XIV, quelques mois plus tard, veut nommer Mme de Saint-
Simon dame d’honneur de sa petite-fille, la toute nouvelle duchesse de
Berry, il est piquant de voir le roi hésiter devant le risque d’éclat que
pourrait faire le futur mémorialiste indigné par cette fonction imposée,
qu’il juge inférieure à son rang. Louis XIV sonde à ce propos le père de la
mariée, Philippe d ’Orléans, futur régent, qui rapporte ensuite la scène à
Saint-Simon auquel il est lié d’amitié. Il me conta qu’avant la messe, étant
avec le roi et Monseigneur dans les cabinets à parler de cela, le roi lui avait
encore demandé avec un reste d’inquiétude  : «  Mais votre ami, je le
connais, il est quelquefois extraordinaire, ne me refusera-t-il point ? » que,
rassuré sur ce qu’il lui avait dit de ma comparaison du cardinal de Bouillon
[disgracié pour avoir désobéi gravement au roi], le roi avait parlé de ma
vivacité sur diverses choses vaguement, mais avec estime, néanmoins
comme embarrassé à cet égard et désirant que j’y prisse garde, ce qu’il ne
dit à son neveu sûrement que pour cela me revînt. (Saint-Simon, Mémoires,
année 1710)
UN SENS ACQUIS DE LA MAÎTRISE
Reste que, ces premiers apprentissages et ces rares flottements une fois
évoqués, la fermeté de son caractère et son contrôle de soi ont été mis à
profit par le roi avec plus ou moins de bonheur pour éclairer et dominer
son goût de l’autorité et éviter l’arrogance et l’aveuglement qui peuvent
s’ensuivre de l’excès de pouvoir. Pour faire contrepoids à ce souci
impérieux de se montrer en tout et toujours le maître, on sent que Louis XIV
s’exerçait à garder toujours distance et conscience : distance à l’égard de
soi-même, en maîtrisant son caractère, ses passions, ses réactions  ;
conscience de soi-même, en mesurant ses manques et ses défauts, ses
manquements et ses erreurs, en se laissant enseigner par plus compétent
que lui et instruire par l’événement. Du moins est-ce l’idéal de conduite
qu’il aura tenté de mettre en pratique, avec plus ou moins de constance et
de réussite, et qu’il expose à son fils le Dauphin dans le récit des premières
années de son règne que l’on connaît sous le titre de Mémoires —
mémoires écrits sous sa dictée ou du moins sous son contrôle à quelques
années à peine des événements qu’ils évoquent.
►  Maître de soi comme de l’univers
Il est d’un petit esprit, et qui se trompe ordinairement, de vouloir ne
s’être jamais trompé.
Je vous expliquerai [mes projets et leurs motifs] sans déguisement, aux
endroits même où mes bonnes intentions n’auront pas été heureuses  :
persuadé qu’il est d’un petit esprit, et qui se trompe ordinairement, de
vouloir ne s’être jamais trompé, et que ceux qui ont assez de mérite pour
réussir le plus souvent, trouvent quelque magnanimité à reconnaître leurs
fautes. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Il n’est que trop naturel aux hommes de se promettre avec facilité ce
qu’ils désirent avec ardeur.
La défiance, y compris vis-à-vis de soi-même et à commencer par là, fait
partie des maximes de conduite de Louis XIV. Il n’est que trop naturel aux
hommes de se promettre avec facilité ce qu’ils désirent avec ardeur, et nous
ne saurions nous garantir d’un défaut si commun qu’en nous défiant de nos
propres pensées dans toutes les choses où nous avons trop de penchant.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
C’est toujours l’espérance de gagner qui nous fait perdre.
De sorte que, révérence faite au fameux et fallacieux «  J’ai failli
attendre », la prudence et la patience sont bien plutôt, d’après Louis XIV,
les meilleures conseillères des rois même les plus ardents et les plus
impatients de leur gloire, comme l’exprime cette belle suite de maximes
jetées dans le feu des notes préparatoires au Mémoires destinés au
Dauphin. Ne rien exposer au hasard de ce qui peut être assuré par le temps
ou par la prudence. C’est toujours l’espérance de gagner qui nous fait
perdre. Espérance trompeuse fait mal parler et mal agir. Se garder de
l’espérance, mauvaise guide. (Louis  XIV/Périgny, Journal de juin  1666,
notes préparatoires du roi)
Je crois encore que tout ceci est un songe.
La nécessité de la prudence louée dans les maximes précédentes est
illustrée a contrario par la bouffée de joie qui submerge le vieux roi lorsque
son petit-fils monte sur le trône d’Espagne, avant que cette liesse fugace ne
soit payée par une guerre de treize années, épuisante et désastreuse. Quand
on criait : « À boire pour le roi d’Espagne », c’était une grande joie pour les
spectateurs. Le roi, se penchant du côté de l’ambassadeur d’Espagne, qui y
était, lui dit  : «  Je crois encore que tout ceci est un songe.  » (Dangeau,
Journal, 23 novembre 1700)
Comme vous avez tous plus d’expérience que moi, je cède, mais à
regret.
L’attention à se mesurer et bien connaître ses limites, en dépit de la
flatterie ambiante, aura fait partie des soucis du roi beaucoup plus que
l’historiographie du «  Roi-Soleil  » ne le laisserait supposer. Dans la
conduite des opérations militaires, au zénith de son règne, en 1676, on le
verra (plus bas) plein de déférence envers Condé et de gratitude pour les
compliments que lui adresse celui-ci après la prise de Condé-sur-l’Escaut
par une armée que commandait le roi. Cela accrédite cette autre parole
datant de la même période, rapportée et mise en contexte par un récit du
général de Grimoard. La nuit du 9 au 10 [mai 1676] on apprend à Denain
que les ennemis passent l’Escaut au-dessous de Condé, vers le vieux Condé,
et marchent vers Valenciennes. […] Jamais il n’y eut une plus belle
occasion de battre une armée en détail et à mesure qu’elle arrive en
désordre. Cette évidence frappe le roi  ; il ne dissimule pas à ceux qui
l’entourent que ses forces le joignant sans cesse, si on engage sans délai une
action, la victoire ne peut être douteuse. Quelques-uns en tombent d’accord,
mais les courtisans de profession lui exagèrent les dangers qu’il peut courir.
Le maréchal de  La  Feuillade renchérit encore sur les autres, se jette aux
pieds du Monarque, et lui représente l’inconvénient de hasarder sa
personne. Ce zèle fallacieux ébranle Louis  ; il consulte le maréchal
de Schomberg, dont les talents et la valeur ne peuvent être contestés ; et
celui-ci, effrayé de la responsabilité dont son opinion peut être suivie,
balbutie. Louis a la faiblesse de se laisser persuader, et d’ajouter : « Comme
vous avez tous plus d’expérience que moi, je cède, mais à regret. » Il va
ensuite entendre la messe dans la cense d’Urtubise où il prend son quartier.
On assure qu’il regretta toute sa vie d’avoir laissé échapper cette occasion
qui porta à sa gloire une atteinte d’autant plus cruelle qu’elle servit de base
à ceux qui l’accusèrent de manquer de bravoure, d’éviter toujours les
batailles, et de rechercher les sièges, où un roi n’est obligé de payer de sa
personne qu’autant qu’il le veut bien. (Campagne de Louis  XIV en 1676
dans les Œuvres de Louis XIV, Grimoard et Grouvelle, IV)
Sur quoi vous trouverez bon que je ne fasse que recevoir vos avis,
sans raisonner présentement avec vous.
Inversement, toute tentative intempestive de se hausser au-dessus de ses
compétences ou de son rang renvoie l’étourdi, fût-il très proche et très aimé
comme l’est le duc du Maine, à son néant. J’ai reçu votre lettre du 24, par
laquelle vous me mandez les nouvelles, et faites quelques raisonnements sur
l’inaction du prince d’Orange, et sur l’arrivée du général Flemming ; sur
quoi vous trouverez bon que je ne fasse que recevoir vos avis, sans
raisonner présentement avec vous sur ce qui peut arriver dans les suites.
(Louis  XIV, Au duc du Maine. Trianon, 29  juin 1694. Grimoard et
Grouvelle, IV)
Il n’y eut personne, même sur ma frontière, qui n’y fût trompé.
Maxime de conduite ou trait de caractère, le secret est une constante de la
personnalité de Louis XIV, en politique intérieure comme à l’extérieur. Voici
les précautions que prend le roi pour éviter que l’ennemi n’ait vent de ses
intentions d’assiéger Gand. Je résolus pour l’éviter, de partir au mois de
février avec la reine et toute la cour et d’aller à Nancy, pour mieux
persuader que mes desseins tournaient de ce côté-là. […] Je fis assembler,
en même temps que j’allai à Metz, des troupes qui marchèrent vers
Luxembourg, pour obliger les ennemis à jeter de ce côté-là, celles qu’ils
avaient sur la Meuse et dans tout le pays. Après que j’eus fait partir ce
corps-là, je retournai à Verdun et à Stenay. J’avais ordonné au marquis de
Louvois de feindre une maladie, et de rester à Louvois, pour être plus à
portée d’envoyer tous les ordres dont il était chargé, pour faire marcher les
troupes qui étaient vers la Meuse à Namur et à Charlemont. [suivent
d’autres mesures de camouflage] Tout cela, joint à mon retour de Metz, ne
laissa pas douter que je n’en voulusse à quelque place de ce côté-là, et il n’y
eut personne, même sur ma frontière, qui n’y fût trompé. (Louis  XIV,
Relation de la campagne de 1678 et résultat de la paix de Nimègue.
Grimoard et Grouvelle, IV)
À qui se peut vaincre soi-même, il est peu de chose qui puisse résister.
Une mauvaise façon de l’électeur de Brandebourg envers l’ambassadeur
du roi en 1666, sur laquelle Louis XIV doit passer pour conserver l’appui
de l’électeur à la cause des Provinces-Unies alors alliées de la France,
nous vaut cette maxime d’un Louis XIV très cornélien. Quoique la fierté de
cet électeur m’eût été fort désagréable, je ne voulus pas qu’elle rompît un
traité qui m’était avantageux et qui d’ailleurs était rempli d’assez d’autres
difficultés, car j’avais à combattre dans cette cour et les persuasions de la
douairière et la considération du prince d’Orange. Mais à qui se peut
vaincre soi-même, il est peu de chose qui puisse résister. Je dépêchai pour
cette négociation Colbert, maître des requêtes, et je vins à bout de ce que je
désirais. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
La gloire de me vaincre moi-même.
Autre occasion de se vaincre  : la négociation de la paix. Louis  XIV
enjolive peut-être un peu la manière dont il accepta de réduire ses
exigences pour parvenir au traité de Nimègue qui mit fin à la longue guerre
de Hollande. J’appris que le roi d’Angleterre s’obligeait de se joindre à moi
pour forcer mes ennemis à la paix, si je voulais ajouter quelque chose aux
conditions qu’il avait déjà proposées. Je fus combattu sur cette proposition ;
mais le bien public se joignant à la gloire de me vaincre moi-même,
l’emporta sur l’avantage que je pouvais espérer par la guerre. (Louis XIV,
Relation de la campagne de 1678 et résultat de paix de Nimègue. Grimoard
et Grouvelle, IV)
Je me suis fait une violence extrême pour procurer promptement le
repos à mes sujets aux dépens de ma réputation.
Cette règle sera appliquée volens nolens par Louis  XIV au pire de la
guerre de Succession d’Espagne dans la demande de pourparlers de paix
qu’il adressa aux alliés en 1710. Le projet de harangue à la nation rédigé
cette même année pour expliquer la rupture des pourparlers engagés à cet
effet à Gertruydenberg en fait état pour justifier la bonne foi du roi
contraint par les exigences excessives de ses ennemis à continuer malgré
qu’il en ait une guerre calamiteuse. J’ai écouté les propositions de paix qui
m’ont été faites, et j’ai peut-être passé en cette rencontre les bornes de la
sagesse, pour parvenir à un aussi grand ouvrage. Je puis dire que je suis
sorti de mon caractère, et que je me suis fait une violence extrême pour
procurer promptement le repos à mes sujets aux dépens de ma réputation,
ou du moins de ma satisfaction particulière, et peut-être de ma gloire, que
j’ai bien voulu hasarder pour l’avantage de ceux qui me l’ont fait acquérir.
J’ai cru leur devoir cette reconnaissance. (Louis XIV, Projet de harangue à
la nation française)
►  Débordements, failles et garde-fous
Quoique […] un prince doi[ve] sacrifier au bien de son empire tous
ses mouvements particuliers, il est des rencontres où cette maxime ne se
peut pratiquer au premier abord.
La maxime qui veut qu’un roi sache en toute occasion se vaincre soi-
même souffre des exceptions, comme en 1666 lors de la mort d’Anne
d’Autriche des suites d’un cancer du sein, qui toucha si vivement Louis XIV
qu’il ne put durant quelque temps accomplir ses fonctions. Cet accident,
quoique préparé par un mal de longue durée, ne laissa pas de me toucher si
sensiblement qu’il me rendit plusieurs jours incapable de m’entretenir
d’aucune autre considération que de la perte que je faisais. Quoique je vous
aie dit incontinent qu’un prince doit sacrifier au bien de son empire tous ses
mouvements particuliers, il est des rencontres où cette maxime ne se peut
pratiquer au premier abord. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Les lettres qu’il fallut écrire sur cet accident à tous les princes de
l’Europe me coûtèrent plus qu’on ne saurait penser.
La force de son affliction en cette pénible occasion révèle à travers de
petits traits vrais et sincères la vive sensibilité de l’homme cachée sous le
masque du roi. Les lettres qu’il fallut écrire sur cet accident à tous les
princes de l’Europe me coûtèrent plus qu’on ne saurait penser et
principalement celles à l’empereur, aux rois d’Espagne et d’Angleterre, que
la bienséance et la parenté m’obligeaient de faire de ma main. (Louis XIV,
Mémoires pour l’année 1666)
Je vois bien que c’est moi qui vous cause tous ces pleurs.
Les pleurs n’épouvantent donc pas Louis XIV : il les autorise, peut-être
parce que cela les lui permet. Ainsi lorsqu’il a dû reprendre la parole qu’il
avait donnée à sa cousine, la Grande Mademoiselle, de lui permettre
d’épouser son bien-aimé, le comte de Lauzun, en dépit de la mésalliance
qui finalement rompit ce rocambolesque projet. Le roi, après avoir fait son
tour, revint tout seul et me dit : « Je suis plus fâché que vous de vous voir
en l’état où vous êtes. Je vois bien que c’est moi qui vous cause tous ces
pleurs, et ils sont si raisonnables que je ne sais que vous dire. » Il s’en alla.
Je vis bien que c’est qu’il avait aussi envie de pleurer que moi.
(Montpensier, Mémoires, décembre 1670)
Sortez d’ici ! 
Si bien qu’en d’autres rencontres c’est à sa colère que le roi, tel Jupiter,
ne sait (ou ne veut) pas toujours résister. Le fils de Louvois, le marquis
de  Courtenvaux, en fait la rude épreuve pour avoir involontairement
contrecarré un ordre royal concernant les gardes suisses. Dès qu’il parut
dans ce cabinet, le roi lui parla d’un bout à l’autre sans lui donner loisir
d’approcher, mais dans une colère si terrible, et pour lui si nouvelle et si
extraordinaire, qu’il fit trembler non seulement Courtenvaux, mais princes,
princesses, dames et tout ce qui était dans le cabinet. On l’entendait de sa
chambre. Les menaces de lui ôter sa charge, les termes les plus durs et les
plus inusités dans sa bouche plurent sur Courtenvaux, qui, pâmé d’effroi et
prêt à tomber par terre, n’eut ni le temps ni le moyen de proférer un mot. La
réprimande finit par lui dire avec impétuosité : « Sortez d’ici ! » À peine en
eut-il la force, et de se traîner chez lui. (Saint-Simon, Mémoires, année
1705)
Dieu merci ! elle est blessée, puisqu’elle avait à l’être, et je ne serai
plus contrarié dans mes voyages et dans tout ce que j’ai envie de faire.
Saint-Simon nous a également conservé l’exemple mémorable d’une scène
où le roi, submergé par la fureur d’être contredit par l’événement, se serait
laissé aller à une attitude indigne. C’est lors d’une grossesse de sa petite-
fille par alliance, la duchesse de Bourgogne, qu’en dépit de son affection
pour elle Louis XIV aveuglé par un égoïsme de vieillard et une ardeur de
santé jamais démentie a contrainte de le suivre dans ses déplacements, à
Fontainebleau ou à Marly, parce que sans elle il s’ennuie. Au cours d’une
promenade dans les jardins de Marly, le 23 avril 1708, le roi arrêté devant
le bassin des carpes avec quelques ducs voit venir à lui la duchesse de Lude
éperdue et s’écarte pour apprendre d’elle que sa petite-fille a fait une
fausse couche. Il revient alors vers ses courtisans. À la fin, le roi, arrivant
tout auprès du bassin, regarda ce qui était là de plus principal, et, sans
adresser la parole à personne, dit d’un air de dépit ces seules paroles : « La
duchesse  de  Bourgogne est blessée.  » Voilà M.  de  La  Rochefoucauld à
s’exclamer, M. de Bouillon, le duc de Tresmes et le maréchal de Boufflers à
répéter à basse note, puis M. de La Rochefoucauld à se récrier plus fort que
c’était le plus grand malheur du monde, et que, s’étant déjà blessée d’autres
fois, elle n’en aurait peut-être plus. « Eh, quand cela serait, interrompit le
roi tout d’un coup avec colère, qui jusque-là n’avait dit mot, qu’est-ce que
cela me ferait ? Est-ce qu’elle n’a pas déjà un fils ? Et, quand il mourrait,
est-ce que le duc de Berry n’est pas en âge de se marier et d’en avoir ? Et
que m’importe qui me succède des uns ou des autres  ! Ne sont-ce pas
également mes petits-fils  ?  » Et tout de suite avec impétuosité  : «  Dieu
merci ! elle est blessée, puisqu’elle avait à l’être, et je ne serai plus contrarié
dans mes voyages et dans tout ce que j’ai envie de faire par les
représentations des médecins et les raisonnements des matrones. J’irai et
viendrai à ma fantaisie et on me laissera en repos. » Un silence à entendre
une fourmi marcher succéda à cette espèce de sortie. (Saint-Simon,
Mémoires, année 1708)
Il avait été…
Peut-être au fond le souci de rester maître de soi comme de l’univers
procédait-il donc chez Louis XIV d’une tendance à la spontanéité que même
le parfait contrôle exercé sur ses paroles ne suffisait pas toujours à
endiguer : il lui arrive de se mordre les lèvres. Ainsi en avril 1672, quelques
mois après la disgrâce et l’emprisonnement de Lauzun, et devant
Mademoiselle à qui cette défaveur est plus sensible qu’à personne, le nom
du proscrit manque lui sortir de la bouche. Depuis que M. de Lauzun était
arrêté, le roi n’avait pas nommé son nom devant moi. Un jour en soupant,
on parla de cheval, il dit : « Il avait été… » et demeura tout court, et rougit,
me regarda, puis baissa les yeux. Tout le monde le remarqua, et on jugea
qu’il n’avait osé nommer ce nom de M. de Lauzun, de peur de me faire
peine. (Montpensier, Mémoires, année 1672)
Faire à la fois à mon frère un honneur dont il m’était obligé, et […]
prendre pour sûreté de sa conduite le plus précieux gage qu’il m’en pût
donner.
Mais de même que dans la politique du roi, on le verra, providentialisme
et machiavélisme pourront coexister sans qu’il en soit troublé, de même
sans doute dans son caractère l’émotion n’excluait-elle pas le calcul, fût-il
a posteriori. Entre les occupations que me produisit la mort de la reine ma
mère, je ne vous ai point parlé du partage de ses biens, parce que ni moi ni
mon frère n’y donnâmes une grande application. Mais j’aurais peut-être dû
vous faire le récit d’une conversation que j’eus avec lui dans le plus violent
accès de notre commune douleur  : en laquelle après de pressants
témoignages de tendresse que nous nous donnâmes l’un à l’autre, je lui
promis de faire passer la mienne jusqu’à ses enfants et de faire élever son
fils auprès de vous [Louis XIV s’adresse à son fils le Grand Dauphin]. Car,
quoique le temps où je lui disais ces choses et l’état où j’étais en le lui
disant ne laissassent aucun lieu de douter qu’elles ne me fussent suggérées
que par un pur mouvement d’amitié, il est pourtant certain que, quand
j’aurais médité ce discours dans une pleine liberté d’esprit, je n’eusse pu
rien penser de plus délicat que de faire à la fois à mon frère un honneur dont
il m’était obligé, et de prendre pour sûreté de sa conduite le plus précieux
gage qu’il m’en pût donner. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Que personne ne le sache.
Peut-être de même son naturel émotif explique-t-il à la fois la contrainte
dans laquelle le roi a tenu autant que faire se pouvait ses actions et ses
réactions toute sa vie durant et le secret aussi dont il a enveloppé les unes
et les autres. Il avait conseillé en ce sens la Grande Mademoiselle, au
moment où elle lui avait arraché son consentement au mariage inégal qui
devait l’unir au comte de Lauzun. Laquelle eut tort de croire que la parole
d’un roi suffit à l’emporter sur la catastrophe d’un secret trop tôt révélé.
L’avis que j’ai à vous donner est que personne ne le sache ; beaucoup de
gens s’en doutent ; les ministres m’en ont parlé. Bien des gens n’aiment pas
M. de Lauzun. Prenez là-dessus vos mesures. — Sire, si Votre Majesté est
pour nous, personne ne nous saurait nuire. (Montpensier, Mémoires,
décembre 1670)
Je vous ai vu ce matin si fâché de ce que je vous refusais de me suivre,
que je vous le permets.
La sympathie que Louis XIV montre pour ce couple rocambolesque paraît
procéder d’une face de son caractère souvent occultée par le drapé, mais
sous-jacente à plusieurs scènes rapportées  : son attention facilement
sensible à la peine d’autrui, du moins dans l’instant et fût-ce
superficiellement. Le marquis de Gesvres, au lever du roi, lui demanda la
permission de le suivre à Maintenon, où le roi veut être fort seul ; le roi le
refusa, et le soir il lui dit : « Marquis de Gesvres, je vous ai vu ce matin si
fâché de ce que je vous refusais de me suivre, que je vous le permets. »
(Dangeau, Journal, 11 juillet 1686)
Faites bien à l’avenir, et comptez que j’ai entièrement oublié le passé.
C’est ce qui, en dépit d’un penchant aux rancunes tenaces, lui rend le
pardon facile quand le temps a longuement passé. Les retours en cour de
Lauzun et de Vardes, tous deux longuement éloignés et éprouvés, seront de
cette tonalité. En voici un moins connu. Le marquis d’Alincourt revint à la
cour ; M. Le Grand [Écuyer de France] le présenta à Sa Majesté, qui lui
dit : « L’absence a été un peu longue ; je souhaite que vous en profitiez, et
je l’espère ; faites bien à l’avenir, et comptez que j’ai entièrement oublié le
passé. » (Dangeau, Journal, 28 mai 1689)
Oublions tout le passé.
Voici un autre retour qui semble calqué sur le précédent : celui de l’abbé
de Polignac, exilé dans son abbaye d’Anchin après l’élection avortée du
prince de  Conti sur le trône de Pologne, dont il n’avait pu empêcher le
piteux retour en France. L’abbé de  Polignac eut ces jours passés une
audience du roi très favorable, et le roi lui dit : « Oublions tout le passé ; je
suis très aise que vous soyez content de moi et je suis persuadé qu’un
homme de votre esprit et de votre mérite me servira dignement. Je connais
tous vos talents.  » L’abbé partira pour Rome la semaine qui vient.
(Dangeau, Journal, 21 octobre 1706)
Je verrai.
Mais ceux qui ont déplu ont tort de tenter, par leurs inutiles suppliques,
d’obtenir le bon vouloir du roi qu’ils lassent plutôt qu’ils ne le fléchissent.
Le cardinal de Bouillon, par exemple, qui deviendra la bête noire de
Louis XIV, le supplie en vain de lui accorder la provisorerie de la Sorbonne.
Il proteste même avec des larmes aux yeux qui lui échappèrent, que c’était
le déshonneur que de le croire moins attaché au service de Sa Majesté que
M. de Chanvallon, et qu’enfin c’était le traiter comme le cardinal de Retz
qui n’avait pas été proviseur de Sorbonne, parce qu’il avait fait la guerre au
roi, et qu’il était alors dans les pays étrangers. Le roi lui répondit assez
froidement  : «  Je verrai  ; et je vous ferai savoir demain ma volonté.  »
(Choisy, Mémoires)
Je verrai (bis).
À propos de ce «  je veray  », écrit la seconde Madame, née princesse
Palatine, il faut que je vous raconte ce que fit un Gascon il y a quelques
mois. C’était un officier réformé qui dans la dernière guerre avait bien fait
son devoir et de plus avait perdu un bras. Il vint prier le roi de lui accorder
une pension. À son ordinaire, le roi lui répondit « je veray ». L’officier lui
dit  : «  Mais Sire si j’avois dit à mon général «  je veray  » lorsqu’il m’a
envoyé à l’occasion ou j’ay perdu mon bras, je l’orois encore, et ne vous
demanderes rien [les paroles du roi sont en français dans le texte
allemand ; nous conservons l’orthographe pour son pittoresque]. » Cela a
tellement touché le roi, qu’incontinent il lui a accordé une pension.
(Madame Palatine, Correspondance, mars 1698).
Je verrai (ter).
Le roi d’Espagne sur son lit de mort ayant désigné Philippe, duc d’Anjou,
pour successeur, son ambassadeur le marquis de Castel dos Rios est chargé
de porter à Louis XIV la nouvelle de cette désignation qui déclenche une
avalanche de possessions en Europe et en Amérique sur son petit-fils. Le
marquis de  Castel dos Rios, ambassadeur d’Espagne, eut une audience
particulière du roi, qui ne lui répondit que ces mots  : «  Monsieur
l’ambassadeur, je verrai. —Je n’aurais jamais cru, dit ce ministre en sortant
du cabinet, qu’en offrant vingt-deux royaumes, je pusse avoir pour toute
réponse : je verrai. » (La Beaumelle, Mémoires pour servir à l’histoire de
Madame  de  Maintenon, V). Ce que Voltaire corrige avec raison.
Certainement le roi ne fit point une réponse si étrange, puisque, de l’aveu
du marquis  de  Torcy, l’ambassadeur d’Espagne n’eut audience de
Louis  XIV qu’après le Conseil dans lequel le testament fut accepté.
(Voltaire, Siècle de Louis XIV).
Je verrai (quater).
Si on veut quelque chose, il faut s’adresser directement à lui et non à
d’autres. Il écoute tout le monde, reçoit les mémoires et répond toujours
avec grâce et majesté «  Je verrai  !  » et chacun se retire satisfait. (Primi
Visconti, Mémoires sur la cour de Louis XIV, année 1673)
Je verrai (suite et fin).
Ce que confirme Saint-Simon en expliquant le sens de la formule. Tout
homme pouvait lui parler en cinq ou six temps différents de la journée,
excepté à Marly : il écoutait, répondait presque toujours : « Je verrai » pour
se donner le temps de ne rien accorder ou décider à la légère. (Saint-Simon,
Parallèle des trois premiers rois bourbons)
J’y travaillerai et je vous en rendrai compte.
Et donc, pour qui interpréterait cette temporisation comme un signe
d’indécision ou de flottement de l’autorité, alors qu’elle est l’expression
d’une diplomatie de la décision s’assurant le contrôle de son tempo, en
voici une variante qui permet de mesurer la toute-puissance parfaitement
dominée qu’elle recèle. En 1670, la mort d’Henriette  d’Angleterre,
première Madame, laisse, comme dit Louis XIV, « une place vacante » (dans
le lit de son frère) qu’il propose à Mademoiselle. Laquelle redoute plus que
tout ce mariage glorieux qui lui interdirait de s’unir à son cher Lauzun. Je
devins pâle comme la mort, et je lui dis : « Vous êtes le maître, je n’aurai
jamais de volonté que la vôtre. » Il me pressa ; je lui dis : « Je n’ai rien à
dire que cela. — Mais y avez [sic] de l’aversion ? » Je ne dis rien. Il me dit :
« J’y travaillerai et je vous en rendrai compte. » [variante : J’y songerai et
je vous en parlerai »] (Montpensier, Mémoires, juin 1670). Tant il est vrai
que la toute-puissance, quand elle est parfaitement assise, n’a plus même
besoin de la tyrannie pour se conforter.
1. On trouvera en fin de volume, à partir de leur nom d’auteur, la liste des ouvrages cités avec leur
titre complet et leurs lieu et date de publication.
Le roi s’amuse
À l’opposé de l’image figée et guindée que nous ont laissée de Louis XIV
en majesté la peinture et la sculpture, corroborée par nombre de
témoignages des mémorialistes et des historiens de la fin du règne, une
autre face du personnage est offerte par d’autres récits, souvent antérieurs,
ceux qui évoquent, depuis sa jeunesse jusqu’à sa maturité, un monarque
aimant l’esprit, les amusements, la raillerie — et les pratiquant. Il ne
semble d’ailleurs s’être jamais départi tout à fait d’un penchant au sourire
au moins, sinon au rire franc, comme en atteste une suite d’anecdotes
ponctuées toutes par la formule répétée : le roi dit en riant…
LE ROI (SOU)RIT

►  « Dit-il en riant »
On verse !
Le roi aime parfois s’amuser comme un collégien, particulièrement
lorsque l’amour pour une femme d’esprit, comme l’était
Mme  de  Montespan, le met en verve. En 1667, durant la guerre de
Dévolution, il emmène avec lui dans ses carrosses la reine et les dames
envahir la Flandre et jouir des plaisirs de la guerre : on campe dans des
granges, on fait halte au carnaval de Douai, on joue gros jeu à longueur de
soirée. Le lendemain d’une nuit où la Grande Mademoiselle a dormi à
peine, la tête appuyée contre un poteau de la grange sur une chaise, elle
récupère ses forces dans le carrosse de son royal cousin. On partit à petit
jour, qui fut plus tard qu’à l’ordinaire, parce que le temps était fort couvert.
Je dormis dans le carrosse, et les tambours qui étaient avec les troupes
détachées, qui étaient dans les bois pour la sûreté de la marche, ni les
trompettes qui étaient aussi sur notre chemin, tout cela ne m’éveillait pas.
Le roi et Mme de Montespan s’avisèrent, comme nous passions sur le pont
d’Orchies, de crier : « On verse ! » Je m’éveillai en sursaut. (Montpensier,
Mémoires, année 1667)
Je lisais des dépêches et j’y faisais réponse.
C’est en effet l’époque où commence la liaison de Louis  XIV avec
Mme de Montespan. Il voyait souvent Mme de Montespan, à ce que l’on
disait, à sa chambre. Pendant ce voyage elle logeait au-dessus de lui. Un
jour en dînant, la reine se plaignit de quoi on se couchait trop tard, et se
tourna de mon côté et me dit : « Le roi ne s’est couché qu’à quatre heures ;
il était grand jour. Je ne sais pas à quoi il peut s’amuser. » Il lui dit : « Je
lisais des dépêches et j’y faisais réponse.  » Elle lui dit  : «  Mais vous
pourriez prendre une autre heure. » Il sourit, et pour qu’elle ne le vît pas,
tournait la tête de mon côté. J’avais bien envie d’en faire autant ; mais je ne
levai pas les yeux de dessus mon assiette. (Montpensier, Mémoires, année
1667)
Rosen n’aime point à faire le personnage de battu.
Durant les grandes manœuvres du camp de Compiègne, en 1698, le
lieutenant général Rosen affronte les troupes du jeune duc de Bourgogne,
petit-fils du roi, conseillé par le maréchal de  Boufflers. L’exécution en fut
parfaite en toutes ses parties et dura longtemps ; mais, quand ce fut à la
seconde ligne à ployer et à faire retraite, Rosen ne s’y pouvait résoudre, et
c’est ce qui allongea fort l’action. M. de Boufflers lui manda plusieurs fois
de la part de Mgr le duc de Bourgogne, qu’il était temps : Rosen entrait en
colère, et n’obéissait point. Le roi en rit fort, qui avait tout réglé, et qui
voyait aller et venir les aides de camp et la longueur de tout ce manège, et
dit : « Rosen n’aime point à faire le personnage de battu. » À la fin, il lui
manda lui-même de finir et de se retirer. Rosen obéit, mais fort mal
volontiers, et brusqua un peu le porteur d’ordre. Ce fut la conversation du
retour et de tout le soir. (Saint-Simon, Mémoires, année 1698)
On ne peut pas plaire à tout le monde.
Le duc de  Vendôme avait auprès de lui Villiers, un de ces hommes de
plaisirs qui se font un mérite d’une liberté cynique ; il le logeait à Versailles
dans son appartement : on l’appelait communément Villiers-Vendôme. Cet
homme condamnait hautement tous les goûts de Louis XIV, en musique, en
peinture, en architecture, en jardins. Le roi plantait-il un bosquet, meublait-
il un appartement, construisait-il une fontaine, Villiers trouvait tout mal
entendu, et s’exprimait en termes peu mesurés : « Il est étrange, disait le roi,
que Villiers ait choisi ma maison pour venir s’y moquer de tout ce que je
fais. » L’ayant rencontré un jour dans les jardins : « Hé bien ! lui dit-il en lui
montrant un de ses nouveaux ouvrages, cela n’a donc pas le bonheur de
vous plaire ? — Non, répondit Villiers. — Cependant, reprit le roi, il y a
bien des gens qui n’en sont pas si mécontents. — Cela peut être, repartit
Villiers, chacun a son avis. Le roi en riant répondit : — On ne peut pas
plaire à tout le monde. » (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Qu’il [est] plus aisé de donner la paix à l’Europe que de la donner à
deux femmes.
Dans la correspondance dite de Mme de Maintenon publiée au XVIIIe siècle
par La Beaumelle, dont une partie est apocryphe, une partie remaniée,
l’épistolière est supposée avoir adressé en 1680 à une Mme de F*** (i.e.
de Frontenac) un récit de ses chamailleries avec Mme de Montespan que le
roi les aurait contraintes un jour à conclure par le mot suivant. Il nous
ordonna de nous embrasser et de nous aimer : vous savez que ce dernier
article ne se commande pas : il ajouta en riant, qu’il lui était plus aisé de
donner la paix à l’Europe que de la donner à deux femmes, et que nous
prenions feu pour des bagatelles. (Maintenon, À  Mme  de  Frontenac, s.d.
[été/automne 1680], Correspondance générale, éd. Lavallée, II)
Voilà un loup qui ne me mangera point.
J’avais une fille d’honneur nommée Beauvais ; c’était une fort honnête
créature : le roi en devint amoureux ; mais elle tint bon ; alors il se tourna
vers sa compagne, la Fontange, qui était aussi fort belle, mais elle n’avait
pas du tout d’esprit. D’abord il dit en riant  : «  Voilà un loup qui ne me
mangera point  », et il en devint ensuite amoureux. (Madame Palatine,
Mémoires, fragments historiques et correspondance, 19 février 1720)
Et qui croyez-vous qui en soit le père ?
On sait que Mme  de  Maintenon (encore Mme Scarron à cette époque)
élevait en secret les enfants adultérins du roi et de Mme  de  Montespan.
Dans une lettre de fin 1672, la gouvernante secrète raconte les détails
supposés d’une visite qu’ils font à la cour sous l’anonymat. Les enfants
furent avant-hier à Saint-Germain  : la nourrice entra, et je restai dans
l’antichambre. « À qui sont ces enfants ? lui dit le roi. — Ils sont sûrement,
répondit-elle, à la dame qui demeure avec nous [Mme Scarron] ; j’en juge
par les agitations où je la vois au moindre mal qu’ils ont. — Et qui croyez-
vous, reprit le roi, qui en soit le père  ? —  Je n’en sais rien, repartit la
nourrice, mais je m’imagine que c’est quelque duc ou quelque président au
Parlement.  » La belle dame [Mme de Montespan] est enchantée de cette
réponse, et le roi en a ri aux larmes. (Maintenon, À  Mme  d’Heudicourt,
24  décembre 1670 ou 1672, Correspondance générale, éd. Lavallée, I.
Lettre apocryphe de La Beaumelle.)
D’Antin, il n’y a que vous et moi dans le royaume qui le croirons.
Ce prince [Louis XIV] ayant permis à M. le duc d’Antin, surintendant des
bâtiments, de placer dans la galerie quelques tableaux de Sa Majesté, le duc
leur fit faire des bordures magnifiques. Un jour qu’il répétait au roi que ces
bordures ne coûteraient rien à Sa Majesté, et que c’était lui qui en avait fait
toute la dépense : « D’Antin, lui répondit Louis, en souriant, il n’y a que
vous et moi dans le royaume qui le croirons. » (Lacombe, Encyclopediana)
Et Bechameil son favori.
Il [Louis XIV] se vit au comble de la gloire humaine lorsqu’il alla dîner à
l’Hôtel de Ville après sa maladie [le 30 janvier 1687, après l’opération de
sa fistule anale] ; il se vit aimé de son peuple ; jamais on ne témoigna tant
de joie, les acclamations ne finissaient point. Il était dans son carrosse avec
Monseigneur et la famille royale. Cent mille voix criaient : « Vive le roi ! »
J’ai grand-peur, dit-il en riant, que quelque mauvais plaisant ne crie aussi :
« Et Bechameil son favori. » Il faut se souvenir que le peuple était alors
acharné à faire des couplets sur Bechameil qu’on qualifiait toujours de
favori du roi. (Choisy, Mémoires) Un passage des Mémoires de Saint-
Simon explique l’allusion que Choisy ne comprend plus très bien.
Bechameil avait été fort dans les affaires, mais avec bonne réputation,
autant qu’en peuvent conserver des financiers qui s’enrichissent. […] Le
roi, qui le traitait bien, le consultait souvent sur ses bâtiments et sur ses
jardins, et le menait quelquefois à Marly. Sans Mansart qui en prit beaucoup
d’inquiétude, le roi lui aurait marqué plus de confiance et de bonté. Son fils,
qui portait le nom de Nointel, fut intendant en Bretagne et fort honnête
homme, que Monsieur fit faire conseiller d’État. Bechameil fit de
prodigieuses dépenses à faire des beautés en cette terre [Nointel] en
Beauvaisis. Le comte de  Fiesque fit sur son entrée en ce lieu la plus
plaisante chanson du monde, dont le refrain est : « Vive le roi et Bechameil
son favori, son favori  !  » dont le roi pensa mourir de rire, et le pauvre
Bechameil de dépit. (Saint-Simon, Mémoires, année 1703)
On dit tous les ans que ce sera pour la dernière fois.
Autre source d’hilarité suscitée par la politique des faveurs : en 1670, les
appointements de gouverneur de Provence versés au comte de Grignan
étant insuffisants, celui-ci avait demandé à l’assemblée provinciale une
rallonge de 5 000 livres pour entretenir ses gardes. Elle le lui avait accordé
à titre exceptionnel, mais il renouvela sa requête d’année en année, jusqu’à
ce qu’en 1674 l’assemblée, arguant de la jurisprudence qui s’opposait à la
pérennisation de ces pratiques, s’y oppose, sauf autorisation expresse du
roi. Autorisation que Grignan obtint. Il renouvela sa requête l’année
suivante. En 1676, M. de Pomponne, ami de la famille et bien auprès du
monarque, se charge de la tractation annuelle avec Louis  XIV, qui s’en
amuse  : Mme  de  Sévigné transmet à sa fille la bonne nouvelle du
renouvellement (souriant) de l’accord. M.  de  Pomponne a glissé fort à
propos nos cinq mille francs. Le roi dit en riant : « On dit tous les ans que
ce sera pour la dernière fois. » M. de Pomponne en riant répliqua : « Sire,
ils sont employés à vous bien servir.  » (Sévigné, À  Mme  de  Grignan,
9 décembre 1676)
N’avez-vous point entendu dire, aussi bien que les autres, que je fais
faire une livrée, et que c’est une marque certaine que je me remarie ?
Mais il est aussi des matières à rire et des manières de rire qui constituent
soit des coups de sonde habiles, soit des contre-feux opportuns, soit des
demi-aveux contrôlés. Ainsi à propos du grand secret de la seconde moitié
du règne : le remariage du roi avec Mme de Maintenon, qui avait eu lieu
sans doute le 10 octobre 1683, un peu plus de deux mois après la mort de
Marie-Thérèse. Au début de 1685, Louis XIV plaisante étrangement sur ce
thème. Ce fut à peu près dans ce temps-là [à la mort de Charles  II
d’Angleterre, le 6 février] que le roi, entrant à la messe, dit à M. le Grand
[le comte d’Armagnac, grand écuyer de France]  : «  N’avez-vous point
entendu dire, aussi bien que les autres, que je fais faire une livrée, et que
c’est une marque certaine que je me remarie ? » Ce discours tenu en public
parut affecté à ceux qui y firent réflexion ; et les courtisans éclairés, au lieu
de croire que ce fût une exclusion pour le mariage du roi, se persuadèrent
plutôt qu’il avait envie de se remarier, ayant remarqué plusieurs fois qu’il
avait mis la même finesse en usage, quand il avait voulu faire croire qu’il ne
pensait pas à des choses qu’il avait néanmoins résolues. (Sourches,
Mémoires, année 1685)
Louis si agréablement flatté ne fit que sourire à sa réponse, lui disant
qu’il n’était point basilic et que sa vue n’avait encore tué personne.
C’est une fable amplement répandue et glosée que Michel Chamillart
parvint à la faveur et devint contrôleur général des finances en 1699 pour
ses dons au billard que Louis XIV prisait par-dessus tous les autres jeux.
On sait la chanson qui accompagna sa mort  : Ci-gît le fameux
Chamillart/De son roi le protonotaire,/ Qui fut un héros au billard,/ Un zéro
dans le ministère. Voici comment Robert Challe présente, quelques années
après les événements, cette conquête du pouvoir par le détour du
divertissement. Celui qui faisait office de second du roi au billard étant
mort, le chevalier de Gramont lui proposa Chamillart pour le remplacer,
sur sa réputation d’excellence à ce jeu. Mais Chamillart ce soir-là
commence par mal jouer. Le roi lui dit en riant que son jeu ne répondait
point à sa réputation d’être le plus fort joueur du royaume. Soit que
M.  Chamillart eût feint de se troubler, pour s’attirer un reproche qui lui
permît de flatter Louis, ou soit qu’il fût en effet troublé et qu’il se fût remis,
il est certain qu’il répondit que le désordre de son jeu provenait de
Sa Majesté elle-même, dont l’auguste présence inspirait tant de respect, de
crainte et d’amour, que l’esprit le plus ferme en serait facilement  et
immanquablement démonté, n’y ayant une longue habitude qui pût faire
soutenir ses regards sans trembler. Louis si agréablement flatté ne fit que
sourire à sa réponse, lui disant qu’il n’était point basilic et que sa vue
n’avait encore tué personne, et le pria de se remettre parce qu’il aurait été
fort aise de ne pas perdre une partie qu’il avait liée sur la seule relation que
M. le chevalier de Gramont lui avait faite de son jeu. (Challe, Mémoires)
Il leur dit en riant : « Il ne faut point crier comme cela ! »
Le roi conserve son sens du comique jusque sur son lit de mort.
À quelques jours de sa disparition, il fait ses adieux aux siens, groupe par
groupe. Le roi fit entrer après Madame et les princesses qui furent suivies
de leurs dames d’honneur : et comme elles pleuraient et faisaient beaucoup
de bruit, il leur dit en riant : « Il ne faut point crier comme cela ! » Les cris
qu’elles contraignirent donc durant l’entrevue éclatèrent si fort au sortir de
la chambre qu’on crut le roi mort et que la nouvelle s’en répandit jusqu’à
Paris ! (Quincy, Histoire militaire du règne de Louis le Grand, VII) Dans
les mêmes circonstances, sur lesquelles on reviendra dans le dernier
chapitre, Madame Palatine nous apprend qu’il a dit de même en riant à
Mme de Maintenon : « Je m’imaginais qu’il était plus difficile de mourir
que cela ; je vous assure que ce n’est pas une grosse affaire : cela ne me
paraît pas malaisé du tout… »
►  Le roi raille
Voilà le Grand Turc qui passe.
En 1649, Louis XIV a onze ans, il dit des mots d’enfant que l’on reçoit
comme des mots de roi. Un jour à Compiègne le roi voyant passer Son
Éminence avec beaucoup de bruit sur la terrasse du château, il ne put
s’empêcher de dire assez haut pour que Le  Plessis, gentilhomme de la
manche, l’entendît  : «  Voilà le Grand Turc qui passe.  » (La  Porte,
Mémoires) Il fut impossible à la reine de savoir qui lui avait soufflé ce
surnom pour en affubler Mazarin. La  Porte suppose que Louis l’inventa
seul. Mais La Porte n’aime pas Mazarin.
Si vous eussiez été roi…
Durant leur enfance, les traits et les tours de gaminerie entre Louis et son
cadet Philippe sont connus et volontiers rapportés par les mémorialistes
amusés ou attendris. Lorsque l’aîné a été couronné, les niches continuent
sur un ton différent. Un an après la scarlatine qui a failli l’emporter mais
dont il a triomphé, Louis XIV moque son puîné sur l’empressement de ses
favoris et favorites à enterrer l’aîné avant l’heure et à intriguer pour le
règne prévu du (futur et chimérique) Philippe VII. Le roi rétabli se repaît de
la gêne de son frère. Fragment de conversation familiale entre deux jeunes
gens, presque des adolescents, et leur mère, rapportée par la Grande
Mademoiselle. Le roi fait toujours la guerre à Monsieur  ; un jour il lui
demandait : « Si vous eussiez été roi, vous auriez été bien embarrassé ; car
Mme  de  Choisy et Mme  de  Fienne [deux intrigantes, favorites de
Monsieur] ne se seraient pas accordées, et vous n’auriez su laquelle vous
auriez dû garder ; toutefois ç’aurait été Mme de Choisy ; car c’était elle qui
vous donnait Mme d’Olonne pour votre maîtresse. Elle aurait été la sultane-
reine, et lorsque je me mourais, Mme  de  Choisy ne l’appelait pas
autrement. » Monsieur était fort embarrassé sur tout cela et disait au roi,
d’un ton qui paraissait assez sincère, qu’il n’avait jamais souhaité sa mort,
et qu’il avait trop d’amitié pour lui pour se résoudre à le perdre. Le roi lui
répondait : « Je le crois tout de bon. » (Montpensier, Mémoires, année 1659)
C’est pourquoi vous l’aurez ; car personne n’en veut.
Une fréquente raillerie de jeunesse consistait pour le roi à moquer
Monsieur sur ses espoirs de mariage. Ainsi en 1660, durant le voyage de la
cour occasionné par le mariage de Louis  XIV avec Marie-Thérèse. En
causant dans le carrosse où l’on parlait de toutes choses, le roi faisait
toujours la guerre à Monsieur sur l’envie qu’il avait de se marier, et il lui dit
un jour : « Vous épouserez la princesse d’Angleterre ; car personne n’en
veut. M. de Savoie l’a refusée, et j’en ai fait parler à M. de Florence ; l’on
n’en veut point. C’est pourquoi vous l’aurez  ; car personne n’en veut.  »
(Montpensier, Mémoires, année 1660)
Mon frère, vous ne savez retenir ni vos doigts ni votre langue.
Et cela se poursuit durant leur vie d’adultes, par exemple quand il
apparaît que l’étoile de Mme  de  Maintenon monte irrésistiblement.
Monsieur a voulu prévenir [dresser] la Dauphine contre elle ; le roi l’ayant
su, et remarquant à table que Monsieur mettait les doigts à un plat avant lui,
il lui a dit devant la Dauphine : « Mon frère, vous ne savez retenir ni vos
doigts ni votre langue.  » (Primi Visconti, Mémoires sur la cour de
Louis XIV, année 1680)
Diable, mon frère, je vous conseille de vous faire sac à terre.
Sur le conseil de son ancien aumônier, l’évêque de Valence Daniel
de Cosnac, Monsieur, las d’être écarté du pouvoir, décide durant la guerre
de Dévolution de s’illustrer par les armes. Il part un matin inspecter la
tranchée que creusent les gardes au cours d’un siège en Flandre. À  son
retour, au soir, il informe le roi que puisqu’il n’est pas assez heureux pour
pouvoir le servir dans ses conseils, il était résolu de se rendre digne de le
servir de sa personne et de son bras. Le roi, sans paraître ému, lui répliqua
avec un ton assez ironique : « Diable, mon frère, je vous conseille de vous
faire sac à terre  ; oh bien  ! allez vous reposer, car vous en avez grand
besoin.  » L’évêque de Valence, qui entendit ce discours, n’en fut guère
moins frappé que Monsieur, qui continua depuis son premier train de vie,
c’est-à-dire de suivre et de voir le roi, sans se mêler de rien. Et, apprenant
plus tard le rôle de l’évêque de Valence dans la décision de son frère  :
« Mon frère, dit le roi, son conseil n’était pas trop obligeant pour moi, mais
il ne vous conseillait pas trop mal pour vous. » (Choisy, Mémoires)
Je me suis fait tout le plus vilain que j’ai pu pour les dégoûter de moi. 
Sur la route du mariage espagnol avec Marie-Thérèse, Louis XIV s’arrête
chez son oncle Gaston d’Orléans à Chambord. Halte un peu étrange,
puisque la seconde fille du prince exilé, la petite Marguerite-Louise, avait
espéré longtemps la main de son royal cousin. La Grande Mademoiselle,
sœur aînée (d’un premier lit) de la prétendante éconduite, raconte une
plaisanterie du roi à ce propos. Le jour que l’on y arriva, le roi disait dans
le carrosse  : «  Je n’ai pas voulu mettre un autre habit, ni décordonner
[démêler] mes cheveux ; car si je m’étais paré, j’aurais donné trop de regret
à votre père, à votre belle-mère et à votre sœur de ne pas m’avoir ; je me
suis fait tout le plus vilain que j’ai pu pour les dégoûter de moi. » Il faisait
ces plaisanteries avec une grande gaieté. (Montpensier, Mémoires, année
1659)
Elle voudrait bien que je l’aimasse.
Le chapitre des dames est en effet une inépuisable source de railleries,
parfois mordantes sinon cruelles, mais que les bizarreries du cœur peuvent
faire se retourner sur le railleur. Le roi est sujet à changer d’avis et de goût.
Dans le temps qu’il aimait passionnément Mlle de La Vallière, il se moquait
avec elle des minauderies que lui faisait Mme  de  Montespan. «  Elle
voudrait bien que je l’aimasse », disait-il en riant. (Choisy, Mémoires)
Ne trouvez-vous pas que j’ai fait là une grande perte ?
Autre retour de satire, de bien autre conséquence pour la France. Eugène
de Savoie qu’on appelait encore dans sa jeunesse l’abbé de Savoie, parce
qu’il avait pris le petit collet, allait dans sa maturité révéler son génie
militaire sous le nom du prince Eugène et donner bien du fil à retordre aux
armées de Louis XIV. Le jeune homme, qui hantait vainement la cour de
France sans recevoir de commandement, partit finalement servir
l’empereur contre les Turcs en 1683 et refusa d’obéir à l’ordre de rentrer à
Versailles. Le roi, quand il l’apprit, dit à ses courtisans : « Ne trouvez-vous
pas que j’ai fait là une grande perte  ?  » et les courtisans assurèrent que
l’abbé de Savoie serait toujours un esprit dérangé, un homme incapable de
tout. (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Ne trouvez-vous pas bien extraordinaire que M. de Schom-berg, qui
est né Allemand, se soit fait naturaliser Hollandais, Anglais, Français et
Portugais ?
Même raillerie acide envers un autre ami passé à l’ennemi : le maréchal
de  Schomberg, qui a cherché diversement sa voie entre les cours
européennes. Il entre ici un peu de dépit dans la moquerie. Le roi a dit
aujourd’hui au duc de Villeroy : « Ne trouvez-vous pas bien extraordinaire
que M.  de  Schomberg, qui est né Allemand, se soit fait naturaliser
Hollandais, Anglais, Français et Portugais  ?  » (Dangeau, Journal,
17 octobre 1688)
Villarceaux, nous sommes trop vieux, vous et moi, pour attaquer des
demoiselles de quinze ans.
Revenons aux moqueries d’alcôve. En 1671, à trente-trois ans, le roi se
moque d’un oncle qui veut lui proposer sa nièce de quinze ans : la raillerie
propagée sera la punition de l’entremetteur. Je ne sais si vous aurez su que
Villarceaux, parlant au roi d’une charge pour son fils, prit habilement
l’occasion de lui dire qu’il y avait des gens qui se mêlaient de dire à sa
nièce que Sa Majesté avait quelque dessein pour elle ; que si cela était, il le
suppliait de se servir de lui ; que l’affaire serait mieux entre ses mains que
dans celles des autres, et qu’il s’y emploierait avec succès. Le roi se mit à
rire, et dit  : «  Villarceaux, nous sommes trop vieux, vous et moi, pour
attaquer des demoiselles de quinze ans », et comme un galant homme, se
moqua de lui, et conta ce discours chez les dames. (Sévigné,
À Mme de Grignan, 23 décembre 1671)
Voilà monsieur de Reims qui y a plus de pouvoir que moi.
Les mésaventures du quotidien de la cour sont en effet, de temps à autre,
source de quelques traits enjoués sinon moqueurs. Il y eut l’autre jour une
vieille décrépite qui se présenta au dîner du roi  ; elle faisait frayeur.
Monsieur la repoussa, en lui demandant ce qu’elle voulait  : «  Hélas  !
Monsieur, lui dit-elle, c’est que je voudrais bien prier le roi de me faire
parler à M. de Louvois. » Le roi lui dit : « Tenez, voilà monsieur de Reims
[Mgr Le Tellier, évêque de Reims et frère du marquis de Louvois] qui y a
plus de pouvoir que moi.  » Cela réjouit fort tout le monde. (Sévigné,
À Mme de Grignan, 11 septembre 1676)
Oh ! la poire délicieuse !
Autre trait (peut-être apocryphe) visant cette fois la flatterie courtisane.
Le maréchal de Gramont […] était un parfait courtisan, grand seigneur en
toutes choses, fort bien considéré, mais flatteur incorrigible. Le roi, qui le
connaissait bien, goûtait un jour, à table, une mauvaise poire : il en tendit au
maréchal un morceau en disant : « Oh ! la poire délicieuse ! Goûtez-en,
monsieur le maréchal ! » Et le maréchal aussitôt : « C’est un fruit exquis ! »
Le roi se mit à rire et, donnant à d’autres ce fruit à goûter, il fit trouver la
poire détestable et juger le maréchal un flatteur. (Primi Visconti, Mémoires
sur la cour de Louis XIV, année 1674)
C’est moi qui l’ai fait.
Ce qui rend suspecte l’anecdote précédente, c’est qu’on la retrouve
ailleurs entre les mêmes personnages, mais autrement appliquée. C’est
Mme de Sévigné qui la conte, et la donne pour « très vraie » — en insistant
d’autant plus sur cette authenticité qu’elle n’en fut pas témoin et qu’il
s’agit d’une « historiette » divertissante, c’est-à-dire une de ces forgeries
plaisantes qui courent les salons et qu’on s’échange comme monnaie
d’esprit et matière à connivence sans trop regarder à sa valeur. Diffusée au
moment crucial du procès du surintendant Fouquet, elle vaut par la
conclusion qu’en tire l’épistolière, favorable à l’accusé et persuadée que le
roi est trompé par Colbert. Il faut que je vous conte une petite historiette,
qui est très vraie et qui vous divertira. Le roi se mêle depuis peu de faire des
vers ; MM. de Saint-Aignan et Dangeau lui apprennent comme il s’y faut
prendre. Il fit l’autre jour un petit madrigal, que lui-même ne trouva pas
trop joli. Un matin, il dit au maréchal de Gramont : « Monsieur le maréchal,
je vous prie, lisez ce petit madrigal, et voyez si vous en avez jamais vu un si
impertinent [i.e. maladroit]. Parce qu’on sait que depuis peu j’aime les vers,
on m’en apporte de toutes les façons. » Le maréchal, après avoir lu, dit au
roi : « Sire, Votre Majesté juge divinement bien de toutes choses : il est vrai
que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j’aie jamais lu. » Le roi
se mit à rire, et lui dit : « N’est-il pas vrai que celui qui l’a fait est bien fat
[i.e. sot et lourd] ? — Sire, il n’y a pas moyen de lui donner un autre nom.
— Oh bien ! dit le roi, je suis ravi que vous m’en ayez parlé si bonnement ;
c’est moi qui l’ai fait. — Ah ! Sire, quelle trahison ! Que Votre Majesté me
le rende  ; je l’ai lu brusquement. —  Non, monsieur le maréchal  : les
premiers sentiments sont toujours les plus naturels. » Le roi a fort ri de cette
folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l’on
puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des
réflexions, je voudrais que le roi en fît là-dessus, et qu’il jugeât par là
combien il est loin de connaître jamais la vérité. (Sévigné,
À M. de Pomponne, 1er décembre 1664)
Il est bien difficile que vous n’ayez pas eu une grande complaisance
pour vous-même, de vous voir encore à cet âge capable d’un ouvrage si
beau et si estimé.
Tout autre ton ici, plein de familiarité et de bienveillante bonhomie, dans
ce trait de fine raillerie qui s’adresse à Robert Arnauld d’Andilly, père du
ministre Pomponne, venu remercier le roi pour la promotion de son fils au
secrétariat d’État des Affaires étrangères. Selon Mme  de  Sévigné,
Louis  XIV converse avec lui une demi-heure «  aussi plaisamment, aussi
bonnement, aussi agréablement qu’il est possible », avant de lui reprocher,
en des termes que les Mémoires de son fils Antoine Arnauld nous ont
conservés au style direct, un péché que le vieil homme (il est né en 1589),
vivant dans la plus grande dévotion, devrait avoir sur la conscience  :
«  C’est, lui dit le roi, d’avoir mis dans votre belle préface sur Josèphe
[Robert Arnauld d’Andilly avait traduit en 1667 l’Histoire des Juifs de
Flavius Josèphe] que vous aviez fait cet ouvrage à quatre-vingts ans, car il
est bien difficile que vous n’ayez pas eu une grande complaisance pour
vous-même, de vous voir encore à cet âge capable d’un ouvrage si beau et
si estimé.  » Une raillerie si fine et si obligeante fut reçue avec tous les
respects qu’elle méritait. (Antoine Arnauld, Mémoires, année 1671)
Quand on sert bien Dieu, on sert bien son roi.
Ce que Mme de Sévigné, pour sa part, commente ainsi : Enfin, on riait, on
avait de l’esprit, le roi disant qu’il ne crût pas qu’il le laissât en repos dans
son désert [Port-Royal, où est retiré le pieux « solitaire »], qu’il l’enverrait
quérir, qu’il voulait le voir comme un homme illustre par toutes sortes de
raisons. Comme le bonhomme l’assurait de sa fidélité, le roi dit qu’il n’en
doutait point, et que quand on servait bien Dieu, on servait bien son roi.
Enfin, ce furent des merveilles. (Sévigné, À Mme de Grignan, 23 septembre
1671)
À moins que vous n’aimiez mieux aller à vêpres.
Mais la raillerie peut se faire grinçante quand il est question de sujets
graves, comme la guerre, la gloire et la survie du royaume, et qu’elle vise
un prince réputé dévot, peu enclin et guère habile au combat. Au printemps
1709, raconte Saint-Simon, le roi fit une chose fort extraordinaire pour lui,
et qui fit fort parler le monde. Il entretint dans son cabinet les maréchaux
de  Boufflers et de  Villars ensemble en présence de Chamillart. Ce fut
l’après-dînée du vendredi 7 mai, à Marly. Au sortir de là, Villars s’en alla à
Paris avec ordre d’être de retour à Marly pour le dimanche suivant au
matin. Il revint dès le lendemain samedi, au soir. Si on avait été surpris de
cette manière de petit conseil de guerre de la veille, on le fut bien plus le
lendemain après midi. Le roi tint pour la première fois de sa vie dans sa
cour un vrai conseil de guerre. Il en avertit Mgr le duc de Bourgogne en lui
disant un peu aigrement  : «  À moins que vous n’aimiez mieux aller à
vêpres. » (Saint-Simon, Mémoires, année 1709)
C’est une bagatelle pour mon fils.
Mais la bravade n’est pas non plus du goût du monarque, si toutefois
nous entendons bien le mot qui suit et que certains récits hagiographiques
prennent au contraire au premier degré. Voire… Le comte de  Toulouse
[cadet des fils adultérins du roi et de Mme  de  Montespan, alors âgé de
quatorze ans], qu’il avait mené à un de ces sièges [celui de Namur, en
1692], reçut à côté de lui une contusion au bras d’une balle de mousquet. Le
roi entendant le sifflement de la balle, demanda si quelqu’un était blessé :
« Il me semble, répondit le jeune prince, que quelque chose m’a touché. »
Depuis, le secrétaire d’État ayant mis dans les provisions du gouvernement
de Bretagne que M.  de  Toulouse avait été blessé à côté de son père  :
«  Rayez cela, dit le roi, c’est une bagatelle pour mon fils.  » (Lacombe,
Encyclopediana)
Vous voulez à quinze ans gouverner une grande monarchie peu
affermie, sans conseil.
C’est que les conseils de l’expérience peuvent se faire railleurs. Ainsi
quand la toute jeune reine d’Espagne, épouse de Philippe V dont que la
France porte à bout de bras le trône vacillant, veut s’opposer à la décision
prise par Louis  XIV de rappeler en France la princesse des  Ursins,
camarera mayor de la jeune femme, coupable d’intriguer pour son seul
compte. Les suites que je prévois deviennent trop sérieuses pour ne pas
m’expliquer avec V.  M., avec la sincérité qui m’est naturelle, et avec la
liberté d’un grand-père qui parle à sa petite-fille. […] Je juge des conseils
qu’elle vous donne par l’événement ; vous vous êtes souvent opposée à ce
que j’ai proposé, vous n’avez pris nulle confiance dans mes ambassadeurs ;
vous aimez et vous haïssez ce que la princesse des Ursins vous inspire, vous
voulez à quinze ans gouverner une grande monarchie peu affermie, sans
conseil. Pouvez-vous en prendre de meilleurs et de plus désintéressés que
les miens  ? (Louis  XIV, À  la reine d’Espagne. 20  septembre 1704.
Grimoard et Grouvelle, VI)
J’ai été sur le point de vous envoyer chercher pour guérir une
princesse qui voulait mourir sans savoir comment.
Et pour finir, le sujet de raillerie le plus attendu et conventionnel qui soit :
comme chacun en son temps, le roi se moque (si le trait n’est pas
apocryphe, et l’on ne parierait pas pour son authenticité) de la médecine et
de son pouvoir ambigu. Louis XIV, après une représentation de Bérénice de
Racine, dit à Dodart son premier médecin [Denis Dodart, conseiller-
médecin de Louis XIV à partir de 1672, mort en 1707] : « J’ai été sur le
point de vous envoyer chercher pour guérir une princesse qui voulait mourir
sans savoir comment. » (Lacombe, Encyclopediana)
Je ne peux cracher sans trouver Élian devant moi.
De même farine suspecte, cet à peine trait, fort peu royal, visant Ellian,
chirurgien par quartier du Dauphin : Je ne peux cracher sans trouver Élian
[sic] devant moi. (Primi Visconti, Mémoires sur la cour de Louis  XIV,
année 1681)
►  Le roi aime l’esprit et en fait
J’avoue que j’aime les gens d’esprit.
La duchesse de  Hanovre espérait faire épouser sa fille par le duc du
Maine, fils légitimé de Louis XIV et Mme de Montespan. En présence du roi
dans sa splendeur (la scène se passe en octobre  1679), elle manque
d’aisance et d’usage. La pauvre duchesse était si embarrassée qu’elle me
faisait vraiment peine, écrit sa cousine, Madame Palatine ; elle ne savait
pas ce qu’elle disait et appelait toujours le roi Monsieur. Il m’a regardée et a
ri, et quand nous partîmes il me dit : « Il s’en faut bien que vostre coussine
ait de l’esprit comme vostre tante, il y a plaisir à entretenir celle-là, mais
pour celle-cy j’ay dit à mon frère allons nous en mon frère, j’advoue que
j’aime les gens d’esprit [en français dans le texte allemand  ; nous
conservons l’orthographe].  » (Madame Palatine, Correspondance,
28 octobre 1679)
Si elle a de l’esprit, je la plaisanterai sur sa laideur.
À l’automne 1679, le roi semble décidé à marier le Dauphin avec la fille
de l’électeur de Bavière. Il envoie Colbert de Croissy négocier la demande.
Personne ici ne doute qu’au printemps prochain nous n’ayons ici la
princesse de  Bavière. Le roi en parle souvent, et dernièrement encore il
disait : « Si elle a de l’esprit, je la plaisanterai sur sa laideur. [par exception
le propos du roi est en allemand dans le texte] » Du moment qu’il a pris son
parti de cette laideur, on tient le mariage pour certain. Il a demandé à M. le
Dauphin s’il pouvait se résoudre à épouser une femme laide, à quoi celui-ci
a répondu que cela lui importait fort peu  ; pourvu que sa femme eût de
l’esprit et fût vertueuse, il en serait satisfait, quelque laide qu’elle pût être.
C’est ce qui a décidé le roi pour la Bavière. (Madame Palatine,
Correspondance, 28 octobre 1679)
Au moins je puis dire avec vérité que je n’ai pas pris Condé pour
Anvers.
Quand une armée que commandait Louis XIV en personne prit en 1676 la
place de Condé-sur-l’Escaut dont le siège par Vauban et l’encerclement par
les maréchaux d’Humières et de Créquy avait à dire vrai facilité la chute, le
roi reçut du marquis  de  Berihngen une lettre de congratulations
spirituellement tournée en parallèle entre Anvers et Condé-sur-l’Escaut.
Louis  XIV apprécia et répondit sur le même ton à peu près. Si ce n’est
Anvers que j’ai pris, comme vous dites fort agréablement, au moins je puis
dire avec vérité que je n’ai pas pris Condé pour Anvers. Je sais trop bien la
différence de cette grande et fameuse place et de ma nouvelle conquête ;
mais vous me servez ce parallèle d’une manière si avantageuse pour le peu
que j’ai fait, que les louanges les plus déclarées n’ont pas été mieux reçues
que votre compliment, et j’ai bien voulu vous en assurer moi-même par ce
billet. (Louis XIV, Au marquis de Beringhen. Au camp de Sebourg, 8 mai
1676. Grimoard et Grouvelle, IV)
Je crois que la date de cette lettre ne vous déplaira pas.
Autre manière enlevée de traiter une victoire : le 18 mai 1677, Cambrai
réputée imprenable vient de tomber après un siège orchestré et dirigé par le
roi en personne. À M. Colbert. De Cambrai, 18 mai 1677. Je crois que la
date de cette lettre ne vous déplaira pas. Pour moi, je la trouve très agréable
pour un roi de France, et particulièrement pour moi. (Louis  XIV, À  M.
Colbert. Cambrai, 18 mai 1677. Grimoard et Grouvelle, IV)
Je vous exhorte à suivre plutôt les maximes de vos ancêtres que les
exemples de vos prédécesseurs. 
Les lieutenants-criminels, chargés de la police, n’avaient pas bonne
presse. Le roi en joue. En donnant l’agrément et la dispense d’âge à
M. Chopin pour la charge de lieutenant-criminel, le roi lui dit : « Je vous
exhorte à suivre plutôt les maximes de vos ancêtres que les exemples de vos
prédécesseurs.  » (Racine, Fragments historiques, 20, dans Picard éd.,
Œuvres diverses)
Oh ! si ce n’est que cela, vous pouvez le prendre.
Voici ce que raconte Saint-Simon à propos d’un échange un peu osé (un
peu inventé, peut-être aussi ?) que prétendait avoir eu, au début de 1708,
Philippe d’Orléans, futur régent, avec son oncle Louis XIV, devenu alors
dévot. Le premier, qui commande les armées françaises en Espagne,
explique au second qu’il compte y emmener à sa suite le vicomte de
Fontpertuis À ce nom, voilà le roi qui prend un air austère : « Comment,
mon neveu, lui dit le roi, Fontpertuis, le fils de cette janséniste, de cette
folle qui a couru M. Arnauld partout ! Je ne veux point de cet homme-là
avec vous. — Ma foi, Sire, lui répondit M. le duc d’Orléans, je ne sais pas
ce qu’a fait la mère ; mais, pour le fils, il n’a garde d’être janséniste et je
vous en réponds, car il ne croit pas en Dieu. — Est-il possible, mon neveu ?
répliqua le roi en se radoucissant. —  Rien de plus certain, Sire, reprit
M. d’Orléans ; je puis vous en assurer. — Puisque cela est, dit le roi, il n’y a
point de mal : vous pouvez le mener. » Cette scène, continue Saint-Simon,
se passa le matin, et l’après-dîner même M. le duc d’Orléans me la rendit,
pâmant de rire, mot pour mot telle que je l’écris. (Saint-Simon, Mémoires,
année 1708)
Mon grand-père aimait les huguenots, et ne les craignait pas ; mon
père ne les aimait point, et les craignait ; moi, je ne les aime ni ne les
crains.
Dans ce registre, Voltaire ne pouvait être en reste. Voici un mot d’esprit
qu’il prête au roi en la matière. Mot certainement apocryphe, mais plus
beau que s’il était vrai, puisqu’il est de Voltaire. On prétend que quand il
résolut d’abolir en France le calvinisme, il dit : « Mon grand-père aimait les
huguenots, et ne les craignait pas  ; mon père ne les aimait point, et les
craignait  ; moi, je ne les aime ni ne les crains.  » (Voltaire, Siècle de
Louis XIV)
J’aime bien à prendre ma part d’un sermon  ; mais je n’aime pas
qu’on me la fasse.
Autre trait de même origine et d’égale incertitude. On prétend qu’un
prédicateur indiscret le désigna un jour à Versailles ; témérité qui n’est pas
permise envers un particulier, encore moins envers un roi. On assure que
Louis XIV se contenta de lui dire : « Mon père, j’aime bien à prendre ma
part d’un sermon ; mais je n’aime pas qu’on me la fasse. » Que ce mot ait
été dit ou non, il peut servir de leçon. (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Il chante bien, mais il parle mal.
Toujours à propos de gens d’Église, voici un autre mot issu d’un récit
d’esprit trop potache et de tour trop invraisemblable pour n’être pas
soupçonnable. Un musicien, que plus tard Choisy nommera Gaye, aurait un
jour médit de Mgr Le Tellier, frère de Louvois, en disant de lui à un de ses
compagnons : Regarde le beau porc qu’est l’archevêque de Reims. Hasard
ou clef, c’est cet archevêque qu’un pamphlet célèbre nommera plus tard
« le cochon mitré ». Louvois, qui était tout près, rapporta le discours du
musicien à son frère, et le musicien, qui s’en aperçut, alla trouver le roi et
lui demander pardon. Le roi reprit gravement le musicien, puis se détourna,
car il ne pouvait s’empêcher de rire. Cependant l’archevêque, qui avait la
charge de maître de chapelle, fit chanter à la messe du roi un motet dans
lequel le musicien avait sa partie, et, pour le faire renvoyer, il disait
incessamment au roi : « Il chante mal, il chante mal. » Le roi, après avoir
patienté un peu, lui répondit : « Monsieur l’archevêque, il chante bien, mais
il parle mal. »(Primi Visconti, Mémoires sur la cour de Louis XIV, année
1676)
Cavoye croit devenir bel esprit, et Racine se croira bientôt un fin
courtisan.
Le marquis de Cavoye, qui avait partagé l’enfance de Louis XIV, garda
toujours la faveur de celui-ci et jouissait d’une place éminente à la cour,
bien qu’il fût, selon Saint-Simon, « sans esprit, sans naissance distinguée, et
sans entours ni services » (Mémoires, 1696). Racine, devenu historiographe
du roi, s’exerçait, lui, au métier de courtisan avec l’appui et la
considération du prince. Il avait remarqué que Cavoye et Racine se
promenaient toujours ensemble. Il les voyait un jour passer sur la terrasse :
«  Cavoye, dit-il à ceux qui étaient alors auprès de lui, croit devenir bel
esprit, et Racine se croira bientôt un fin courtisan. » (Choisy, Mémoires)
Une arme dont le duc de Mazarin se sert fort bien.
Armand-Charles de La Porte de La Meilleraye, neveu de Richelieu, avait
épousé Hortense Mancini et pris le nom de duc de Mazarin. Il était grand-
maître de l’artillerie de France et un peu dérangé d’esprit. Une dévotion
mal entendue le saisit et gâta tout. La tête lui tourna bientôt. Il alla lui-
même un matin dans sa galerie casser à coups de marteau des statues
antiques d’un prix inestimable, croyant faire une action héroïque. […] Le
roi le plaignit et le laissa faire ; mais il n’oublia pas ce fait héroïque, et plus
de quatre ans après en visitant les bâtiments du Louvre, il se tourna vers
Perrault, contrôleur des bâtiments, et dit  : «  Voilà une arme dont le duc
de  Mazarin se sert fort bien  ». (Choisy, Mémoires) Plus sûrement
authentique, voici le billet qu’écrivit le roi à Colbert sur cette affaire
pitoyable. Je viens de recevoir la lettre que vous m’avez écrite sur les faits
et gestes du duc de Mazarin. L’envoi d’un exempt [officier de police] me
paraît trop violent et pourrait faire du bruit ; mais le parti que je prends est
de vous ordonner de lui parler de ma part, et de me faire savoir aussitôt ce
qui se sera passé, afin que je fasse plus s’il est nécessaire. (Louis XIV, À M.
Colbert. Toury, 24 octobre 1670. Grimoard et Grouvelle, V).
Je n’avais pas encore ouï parler d’une coadjuterie d’ambassade.
L’abbé de Choisy plaide pour être de l’ambassade qui va être envoyée au
Siam en 1685. Arguant de la nécessité d’avoir un bon théologien pour la
conversion du roi de Siam, ce que n’est pas le chevalier de Chaumont prévu
pour ce rôle, Choisy prie le cardinal de Bouillon, son ami et son appui en
l’affaire, de demander pour moi, écrit-il, la coadjuterie du chevalier et
l’ambassade ordinaire, en cas que le roi se fît instruire dans la religion
chrétienne. Il parla au roi, qui m’accorda ma demande, en disant  : «  Je
n’avais pas encore ouï parler d’une coadjuterie d’ambassade, mais il y a
raison à cause de la longueur et du péril d’un pareil voyage.  » (Choisy,
Mémoires)
Au moins, il s’en tire avec esprit.
Au retour de l’ambassade du Siam, Choisy rend compte au roi de son
voyage. Le roi me fit beaucoup de questions, il m’en fit une autre dont on
parla fort, il me demanda comment on disait manger en siamois : je lui dis
qu’on disait kin. Un quart d’heure après il me demanda comment on disait
boire : je lui répondis kin. « Je vous y prends, dit-il, vous m’avez dit tantôt
que kin signifiait manger. —  Il est vrai, Sire, lui repartis-je sans hésiter,
mais c’est qu’en siamois kin signifie manger, et pour dire boire, on dit kin
kaou, avaler du vin, et kin nam, avaler de l’eau. — Au moins, dit le roi en
riant, il s’en tire avec esprit. » Je disais vrai, et l’esprit n’a point aidé en
cette occasion. (Choisy, Mémoires)
La facilité que j’ai eue à lire votre billet.
Le roi plaisante avec humour sa cousine la Grande Mademoiselle sur son
écriture ordinairement illisible et exceptionnellement déchiffrable. Ma
Cousine, j’ai trouvé deux sortes d’agréments dans le compliment que vous
m’avez écrit sur la prospérité de mes armes : l’un, dans la facilité que j’ai
eue à lire votre billet, l’autre, d’y voir tant d’amitié dans la manière dont
vous vous montrez touchée de mon bonheur. (Louis  XIV,
À Mlle de Montpensier. Au camp devant Dôle, 27 mai 1674. Grimoard et
Grouvelle, V)
Je sens comme je dois l’amitié que vous avez pour moi, n’ayant pas de
peine à la reconnaître dans toutes les différentes agitations de votre
esprit.
Décidément porté à l’humour (piquant) avec sa cousine, Louis XIV glisse
à la fin d’un billet anodin une pointe connivente sur les émotions diverses
de Mademoiselle qui, tremblant certes pour la vie de son royal cousin, il
n’en doute pas, s’émeut peut-être davantage de la prison de son cher
amant, l’incorrigible Lauzun. Je suis fâché de l’inquiétude que vous avez
eue de me savoir si proche des ennemis, mais je ne doute pas qu’elle n’ait
cédé à la joie de la prise de Bouchain, lorsque vous aurez été mieux
informée de la disposition des choses. Cependant, je sens comme je dois
l’amitié que vous avez pour moi, n’ayant pas de peine à la reconnaître dans
toutes les différentes agitations de votre esprit (Louis  XIV,
À Mlle de Montpensier. Au camp de Hurtebise, 19 mai 1676. Grimoard et
Grouvelle, V)
Reste à vingt-neuf !
Dans l’émoi de son retour à la cour après trente ans d’exil, le marquis
de Vardes commet l’erreur de saluer le Dauphin en présence du roi, devant
qui on ne devait saluer personne : «  Sire, je ne sais plus rien  ; j’ai tout
oublié. Il faut que Votre Majesté me pardonne jusqu’à trente sottises. — Eh
bien  ! je le veux, dit le roi, reste à vingt-neuf.  » (Sévigné,
À Mme de Grignan, 26 mai 1683).
On ne saurait marcher bien vite, quand on est aussi chargé de
lauriers.
Il y a des mots moqueurs, il y a des mots flatteurs. En voici un destiné au
Grand Condé. Le prince de Condé l’étant venu saluer, après le gain d’une
bataille contre Guillaume III, le roi se trouva sur le grand escalier, lorsque le
prince, qui avait de la peine à monter à cause de sa goutte, s’écria : « Sire,
je demande pardon à Votre Majesté, si je la fais attendre. — Mon Cousin,
lui répondit le roi, ne vous pressez pas ; on ne saurait marcher bien vite,
quand on est aussi chargé de lauriers que vous l’êtes…  » (Chaudon,
Nouveau Dictionnaire historique)
Voilà donc, monsieur le maréchal, le rameau d’olivier que vous
m’apportez : il couronne tous vos lauriers.
Le maréchal de  Villars, après sa victoire de Denain, est envoyé par le roi
négocier le traité de Rastadt. Voici les paroles pleines d’esprit avec
lesquelles, selon l’abbé de La Pause de Margon, premier éditeur d’une
version assez librement interprétée des Mémoires manuscrits du maréchal,
Louis XIV l’accueillit. Le roi lui dit, en le voyant : « Voilà donc, monsieur le
maréchal, le rameau d’olivier que vous m’apportez : il couronne tous vos
lauriers. » Il est vrai que, selon cette même version des Mémoires du duc de
Villars, le maréchal aurait quitté le roi en lui disant : Je pars, Sire, […]
avec la résolution d’apporter à Votre Majesté bien des lauriers, si je ne puis
bientôt lui apporter le rameau d’olivier. Le trait d’esprit supposé serait ainsi
passé d’une bouche à l’autre. (La Pause de Margon, Mémoires de Villars,
III)
Au moins, M. Le Brun, ne vous laissez pas mourir pour faire valoir
[vos tableaux] : je les estime assez dès à présent sans cela.
De même nature, ce trait d’esprit flatteur pour Le Brun. Le 4 avril 1686,
M. Le Brun porta à Versailles le tableau qu’il avait fait en moins de deux
mois de temps, sur le sujet des Filles de Jethro, que Moïse défendit contre
l’insulte des bergers qui avaient abreuvé leur bétail de l’eau que ces filles
avaient tirée. […] Le roi reçut ce tableau avec beaucoup de joie, envoya
quérir M. le Dauphin et Mme la Dauphine, pour le voir, et tout ce qu’il y
avait de plus considérable à la cour, et parce que la Grande Mademoiselle
de Montpensier passait un peu vite, le roi lui dit : « Ma cousine a la maladie
de notre famille qui veut voir ces choses promptement.  » […] Le roi
s’adressant à Mme la Dauphine, lui dit : « Après la mort de M. Le Brun,
voilà des tableaux qui seront sans prix.  » Continuant à parler de cette
catastrophe qui arrive aux peintres dont la mort augmente leurs ouvrages de
prix et puis se tournant vers M. Le Brun, il lui dit : « Au moins, M. Le
Brun, ne vous laissez pas mourir pour faire valoir les vôtres : je les estime
assez dès à présent sans cela. » (Guillet de Saint-Georges, Conférences de
l’Académie, II).
Je vous fais mes excuses de la mauvaise nuit que je vous ai fait passer.
De même, ce mot qui accompagne d’une pointe de remords un sourire à la
fois bienveillant et amusé, lorsque Villacerf quittant la surintendance des
bâtiments, Louis  XIV ne donne pas tout de suite le poste à Hardouin-
Mansart qui l’attend et s’y attend, mais le fait languir jusqu’au lendemain.
Cet emploi vaut plus de 50  000  fr. de rente, et l’entière disposition de
plusieurs petits emplois. Il donne un fort grand commerce avec le roi et
beaucoup d’occasions de faire plaisir aux courtisans dans toutes les maisons
royales. Mansart en avait parlé hier au roi, qui ne lui avait point rendu de
réponse positive, et S. M. en le lui donnant aujourd’hui lui a dit : « Je vous
fais mes excuses de la mauvaise nuit que je vous ai fait passer. » Le roi a eu
même la bonté de dire aux courtisans qu’il espérait que tous ceux qui
connaissent Mansart seraient bien aises de la grande grâce qu’il vient de lui
accorder. (Dangeau, Journal, 8 janvier 1699)
Je suis bien fâché de vous voir ici. 
Autre trait d’esprit porteur de bienveillance, ces mots adressés au fils de
Jacques II d’Angleterre qu’à la mort de son père exilé la France vient de
reconnaître comme « le Prétendant ». Il entre, dans les termes avec lesquels
Louis XIV accueille à Marly ce roi qui n’en est pas un, une grandeur qui se
vêt de bonhomie et une attention délicate envers un destin malheureux. En
joignant le roi d’Angleterre, il lui dit : « Monsieur, il faut bien aller au-
devant de vous pour vous embrasser  »  ; et en même temps, l’ayant
embrassé des deux côtés, il continua en disant : « Je suis ravi de vous voir
en bonne santé, mais je vous avoue que je suis bien fâché de vous voir ici. »
(Sourches, Mémoires, 22 avril 1708)
Mais celui qui sait plaire/Est le sage Boisfranc.
Voltaire prête deux pièces de vers de circonstance (et de mirliton) à
Louis  XIV. Grouvelle disposait d’un manuscrit qui en comportait trois,
attribuées au roi, dont une, composée avec Mme de Montespan, doit sans
doute peu à son royal amant. Les deux autres sont celles mêmes que
Voltaire cite, mais dans le manuscrit utilisé par Grouvelle, la première des
deux est améliorée (?) d’un jeu de mots sur le chancelier Ferrand rimant
avec « maréchal-ferrant », qui invite à préférer cette version — avec toute
réserve sur l’authenticité de ces vers. Il s’agirait du pastiche d’une
chansonnette à la mode.
Chez mon cadet de frère
Le chancelier Ferrand,
Est bien moins nécessaire
Qu’un maréchal-ferrant.
Mais celui qui sait plaire
Est le sage Boisfranc.
Il y eut un Macé ou Mathieu Ferrand chancelier de France au XIVe siècle
sous Philippe VI de Valois. On ne voit pas ce qu’il viendrait faire ici, sinon
par référence à une chanson disparue que ces vers parodieraient et où
auraient pu intervenir le nom de Ferrand et le prénom de son roi (Monsieur
se prénomme aussi Philippe). En revanche, Joachim Adolphe de Seiglière
de Boisfranc est bien connu comme surintendant général de la maison de
Monsieur, frère du roi, puis chancelier du même. (Louis XIV, Amusements
poétiques. Grimoard et Grouvelle, VI)
Rien ne peut l’arrêter quand la chasse l’appelle.
Voici un Impromptu fait en congédiant le Conseil dont l’authenticité et
l’origine sont moins discutables  : la composition par Louis  XIV en est
attestée par Dangeau. Il s’agit de la parodie de trois vers du prologue
composé par Quinault pour l’opéra de Lully Atys  : «  Les Plaisirs à ses
yeux ont beau se présenter/Sitôt qu’il voit Bellone, il quitte tout pour
elle/Rien ne peut l’arrêter quand la gloire l’appelle.  » Pasticher ou
parodier l’opéra était de grande mode.
Le Conseil à ses yeux a beau se présenter,
Sitôt qu’il voit sa chienne, il quitte tout pour elle :
Rien ne peut l’arrêter quand la chasse l’appelle.
(Louis XIV, Amusements poétiques. Grimoard et Grouvelle, VI)
Atys est trop heureux.
L’allusion à Atys trouve prolongement et répercussion dans une anecdote
rapportée par Clément. Louis  XIV ayant demandé à Mme  de  Maintenon
lequel des opéras elle aimait le mieux, elle se déclara pour Atys ; sur quoi
le roi lui répondit : « Atys est trop heureux. » On sait que ce sont les mots
mêmes que chante Sangaride au début de l’opéra. (Clément et La Porte,
Anecdotes dramatiques)
LE ROI SE DIVERTIT
La vie du monarque partagée entre le gouvernement intérieur de l’État et
la guerre sur le théâtre extérieur est entrecoupée de mille obligations de
parade auxquelles il sacrifie en trouvant dans certaines l’occasion de
satisfaire son goût pour des divertissements qu’il prisait plus que d’autres :
la chasse, la danse et les spectacles (de musique en particulier). Ces
activités n’ont pas nécessairement suscité des mots, des conversations, des
anecdotes conservées, enjolivées ou forgées en nombre proportionné à la
pratique plus que fréquente qu’en eut le roi. Mais du moins peut-on en
réunir quelques illustrations verbales en écho à cette part non négligeable
de sa vie qu’il sacrifiait à ses menus plaisirs.
►  Chasses, fêtes et spectacles
Que je serais aise qu’il se voulût battre contre moi pour terminer la
guerre tête à tête !
Le goût pour les parades et les divertissements « sportifs » où l’on montre
sa force et son adresse en compétition remonte chez Louis  XIV à un
imaginaire de la compétition physique enraciné dans le passé. Un jour de
sa jeunesse, ferraillant avec sa mère née Habsbourg d’Espagne sur
l’ancienneté de leurs races, il imagine par plaisanterie ce pittoresque
retour aux façons du Camp du drap d’or. « Si nous étions à nous disputer, le
roi d’Espagne et moi, je lui ferais bien céder. Que je serais aise qu’il se
voulût battre contre moi pour terminer la guerre tête à tête! Mais il n’aurait
garde : de cette race-là ils ne se battent jamais. Charles-Quint ne le voulut
jamais contre François 1er, qui l’en pressa instamment. » Le roi faisait mille
contes de cette force le plus agréablement du monde. Mais la reine sa mère
dit : « Quoiqu’on ne fasse que railler, et que ce ne soit pas tout de bon que
vous voulussiez vous battre contre mon frère, ces discours-là ne me plaisent
point. Parlons d’autre chose. » (Montpensier, Mémoires, année 1658)
Nous avons fait aujourd’hui la plus belle chasse du monde.
On sait Louis  XIV grand chasseur, et ses contemporains le disent
volontiers. Mais il est plus rare de l’entendre évoquer ce divertissement.
Nous avons fait aujourd’hui la plus belle chasse du monde ; le cerf a duré
trois heures, et s’est fait voir plusieurs fois. Voilà tout ce que je vous dirai
pour aujourd’hui. Et un mois plus tard. Il fait à l’heure qu’il est une tempête
effroyable : il a plu tout le jour à plusieurs reprises. J’étais à la chasse, et
j’ai été obligé d’en revenir sur les quatre heures : cela vous peut faire juger
que le temps était bien mauvais, car je ne reviens pas d’ordinaire pour une
petite pluie. (Louis  XIV, Au Dauphin. Marly, 19  juillet 1694/Versailles,
13 août 1694. Grimoard et Grouvelle, IV)
Les plaisirs honnêtes ne nous ont pas été donnés sans raison par la
nature.
Évoquant le carrousel de 1662, Louis XIV légitime aux yeux du Dauphin
l’usage des divertissements par les rois pour des raisons d’abord générales,
puis spécifiques à la politique de l’image qui régit son propre règne. Voici
les premières. Les plaisirs honnêtes ne nous ont pas été donnés sans raison
par la nature ; […] ils délassent du travail, fournissant de nouvelles forces
pour s’y appliquer, servent à la santé, calment les troubles de l’âme et
l’inquiétude des passions, inspirent l’humanité, polissent l’esprit,
adoucissent les mœurs, et ôtent à la vertu je ne sais quelle trempe trop aigre,
qui la rend quelquefois moins sociable et par conséquent moins utile.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1662)
Je voudrais faire une loterie.
En application de la règle ci-dessous, voici une mission de confiance et
d’importance pour Colbert. Depuis que je ne vous ai vu, il m’est venu une
pensée qui me coûtera un peu cher ; mais elle fera plaisir à bien des gens
qui sont ici, dont les reines sont les premières. Je voudrais faire une loterie,
comme celle que M.  le cardinal fit  ; c’est-à-dire, qu’il n’en coûte rien à
personne qu’à moi. Je serai bien aise de surprendre le monde, et pour cela je
n’en ai parlé qu’aux reines. Je ne veux pas qu’elle soit de plus de trois mille
pistoles [c’est, selon Furetière, la dot nécessaire pour prétendre à épouser
un avocat ou un auditeur des comptes], lesquelles étant bien employées, me
feront avoir bien des bijoux ; car des hardes je n’en veux point. Songez-y
aussitôt que vous recevrez ce billet, et essayez de trouver dans peu de temps
tout ce qu’il y aura de joli et d’agréable dans Paris. Comme personne n’en
saura rien, vous aurez plus de facilité et meilleur marché. Je veux le gros lot
de cinq cents pistoles ; pour les autres je ne m’arrête pas à un prix fixe, et ce
qu’il y aura de plus beau, d’un prix médiocre, est ce que j’aimerai le mieux.
On pourra avoir des bagues, des bracelets, des montres, des crochets, des
étuis, etc. Il faut une cassette jolie pour enfermer tout, qui fera un lot en son
particulier. La lettre suivante énumère les noms de celles que je crois qui en
pourraient être, afin que les ayant vues, vous puissiez faire une espèce de
projet de ce qu’il y aura. Puis, sans transition, pour la chambre de justice, il
faut soutenir ce qu’on a fait, en continuant la conduite que j’ai prise, avec
autant de force ou plus si c’est nécessaire [il s’agit du tribunal chargé de
condamner Fouquet. On appréciera le lien avec un projet de loterie]
(Louis XIV, À M. Colbert. Saint-Cloud, 2 mai 1664/Au même, mai 1664.
Grimoard et Grouvelle, V)
Faites-vous une sorte de règle qui vous donne des temps de liberté et
de divertissement.
Ce qu’il faisait lui-même en ce domaine, Louis XIV propose à son petit-
fils devenu roi d’Espagne de le faire aussi. Sauf peut-être en matière de
dépenses  : l’on est en 1700, et les finances s’épuisent après la longue
guerre que conclut le traité de Ryswick, avant l’ouverture de la terrible
guerre de Succession d’Espagne. Ne quittez jamais vos affaires pour votre
plaisir ; mais faites-vous une sorte de règle qui vous donne des temps de
liberté et de divertissement. Il n’y en a guère de plus innocents que la
chasse et le goût de quelque maison de campagne, pourvu que vous n’y
fassiez pas trop de dépense. (Louis XIV, Instructions au duc d’Anjou)
Sa beauté m’a surpris, et le prix m’a étonné ; elle paraît d’une bien
plus grande valeur.
Mais le roi de France savait lui-même s’appliquer cette règle : les affaires
sont les affaires. Je vous renvoie la boîte que vous m’avez envoyée pour le
milord Duras, afin que vous la lui donniez de ma part. Il est à Paris et y doit
demeurer quelques jours ; elle est fort belle, et le présent est très beau. J’ai
reçu aussi la table de bracelets pour le milord Sunderland : je l’envoie à
Courtin pour la lui donner. Sa beauté m’a surpris, et le prix m’a étonné ; elle
paraît d’une bien plus grande valeur. Je suis bien aise que vous ayez donné
ordre au paiement comme vous avez fait ; cela ne me surprend pas, sachant
l’envie que vous avez de me plaire. (Louis XIV, À Colbert. Lille, 5 mars
1677. Grimoard et Grouvelle, V)
Comme il y manque la partie que représente Arlequin, je vous prie
très instamment de me l’envoyer sans délai.
Parallèlement aux troupes de l’Hôtel de Bourgogne et à celle de Molière,
et bien avant la création de la Comédie-Française, le roi protégeait les
comédiens italiens de Paris, jusqu’à prendre la plume pour s’assurer le
transfert d’un acteur de prestige indispensable à leur répertoire (peut-être
Domenico Biancolelli, qui semble être arrivé en effet à Paris à cette date à
peu près). Mon Cousin, je voudrais bien rendre la plus complète qu’il sera
possible la troupe de comédiens italiens que j’ai fait venir exprès ici pour
me délasser quelquefois à les entendre ; et comme il y manque la partie que
représente Arlequin, je vous prie très instamment de me l’envoyer sans
délai, l’assurant qu’il sera traité aussi favorablement qu’aucun autre de la
compagnie. (Louis XIV, Au duc de Parme. À Fontainebleau, 5 juillet 1661.
Grimoard et Grouvelle, V).
Une personne qui contribue quelquefois à mon divertissement.
Même souci pour Scaramouche que pour Arlequin, mais en sens inverse :
en mai  1662 Fiorelli-Scaramouche rentrait en Toscane pour régler ses
affaires de famille. Louis  XIV tint à s’assurer que cette absence serait
provisoire, car depuis son enfance il s’enchantait du jeu de ce comédien.
Mon Cousin, j’ai permis à Tiberio Fiorelli d’aller chez lui, à condition de se
rendre à ma suite dans la Toussaint  ; et comme je désire qu’il revienne
précisément dans ce temps-là, je n’ai pas voulu le laisser partir sans vous
convier par ces lignes à favoriser son retour, en facilitant par votre autorité
l’ajustement de ses affaires, suivant le besoin qu’il en aura, et prenant au
surplus sa famille en votre protection. Je m’assure que, s’agissant d’une
personne qui contribue quelquefois à mon divertissement, vous n’aurez pas
de peine à m’obliger en cette occasion, puisqu’en de plus importantes je
vous témoignerai de bon cœur l’affection que j’ai pour vous. (Louis XIV,
Au grand-duc de Toscane. Paris, 28 mai 1662. Grimoard et Grouvelle, V).
La reine ma mère qui avait de la piété et la reine qui communiait trois
fois la semaine ont vu tout cela comme moi. 
Durant la fin du règne engluée dans la dévotion, le roi continue de
défendre l’opéra contre Mme  de  Maintenon, par amour pour la musique
qu’il fredonne volontiers. Elle s’en plaint. Cette musique par exemple qui
fait le seul plaisir du roi, et où l’on n’entend que des maximes absolument
contraires aux mœurs serait, ce me semble, bien convenable à retoucher ou
à proscrire. Si l’on en dit un mot, le roi répond aussitôt  : «  Mais cela a
toujours été. La reine ma mère qui avait de la piété et la reine qui
communiait trois fois la semaine ont vu tout cela comme moi. » Il est vrai
que pour lui personnellement, cela ne lui fait aucune impression, qu’il n’est
occupé que de la beauté de la musique, des sons, des accords et qu’il chante
même ses propres louanges, comme si c’étaient les louanges d’un autre ; et
seulement par goût pour les airs. Mais il n’en est pas de même de tout le
reste des spectateurs ; et il est impossible que, parmi tant de jeunes cœurs, il
n’y en ait de sensibles à ces paroles pleines d’une morale qui fait consister
le bonheur dans le plaisir. (La Beaumelle, «  Entretiens de
Mme  de  Maintenon  », VII, dans Mémoires pour servir à l’histoire de
Mme de Maintenon, VI)
►  Bâtir, planter, collectionner
Je vous ferai tenir de l’argent, pour m’acheter des animaux rares
dans les pays où vous irez.
Louis  XIV écrit au duc de Beaufort s’embarquant pour la malheureuse
expédition de Gigeri (Djidjelli, en Kabylie), base navale des pirates
barbaresques. Dans l’urgence, Louis XIV ne peut aller qu’à l’essentiel : le
bouturage et la ménagerie pour ses jardins. Mon Cousin, j’ai peu de chose
à répondre à votre lettre, et encore moins de temps pour le faire, l’ordinaire
étant prêt à partir. Vous saurez par les dépêches du sieur de Lionne, mes
intentions sur tout ce qui est de la marine. Je vous ferai tenir de l’argent
pour m’acheter des animaux rares dans les pays où vous irez ; et pour ce qui
est des oiseaux, je serai bien aise d’en avoir le plus qu’il se pourra. J’attends
aussi les orangers par la voie qui sera la meilleure ; mais je ne tiens pas
praticable le berceau que vous proposez, pour la difficulté qu’il y aurait à si
bien ajuster la charpente, qu’ils la pussent conserver l’hiver, ayant le pied
en pleine terre. Je vous recommande seulement d’avoir soin de m’en choisir
qui aient la tige fort haute. (Louis  XIV, Au duc de Beaufort. Paris,
23 février 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
Je ne m’y connais pas assez pour en découvrir toutes les beautés.
En littérature ou dans les arts, le roi manifeste la même humilité devant
les connaisseurs qu’en matière militaire ou religieuse, où il manquait
d’instruction et le savait. En 1700, le surintendant des bâtiments du roi de
Suède, Nicodème Tessin, offre à Louis  XIV un saint Jérôme peint par
Corrège. Faut-il faire place dans les petits appartements à cette toile
supposée par certains n’être qu’une esquisse d’un original de taille
supérieure accroché dans l’église Saint-Antoine à Parme ? Torcy raconte
comment il introduit le correspondant de Tessin à Paris, Daniel Cronström,
auprès du roi qui demande des explications et tâche de former son
jugement. Je trouve Sa Majesté occupée à regarder attentivement le tableau.
Elle m’apostrophe d’abord [d’emblée] sans me laisser parler, disant : « Les
connaisseurs le trouvent fort beau. » Puis, informé que Hardouin-Mansart
est aussi de cet avis  : «  Je vois bien qu’il est fort beau, mais je ne m’y
connais pas assez pour en découvrir toutes les beautés. […] L’on trouve les
draperies d’un autre goût que celles des autres tableaux du Corrège, mais,
comme c’est l’esquisse du grand à ce qu’on prétend qui est à Parme, il ne
faut pas s’en étonner.  » On persuade le roi du contraire et il remercie
obligeamment pour le cadeau. (L’Épinois, Gazette des Beaux-Arts, 1965)
Il y a trop longtemps que vous me servez utilement et avec succès
pour vous oublier.
Le 18 avril 1687, M. Le Brun ayant su que le roi lui avait ordonné une
gratification de 13 000 livres, fut à Versailles en remercier Sa Majesté, qui
lui dit d’abord [d’emblée] : « Y a-t-il quelque chose, M. Le Brun ? » Et
après qu’il eut dit qu’il venait pour remercier Sa Majesté, elle lui répondit :
« Il y a trop longtemps que vous me servez utilement et avec succès pour
vous oublier. » [Guillet de Saint-Georges, Conférences de l’Académie, II]
La beauté du dessein de mon bâtiment du Louvre.
Avant que Versailles n’absorbe toute son attention et tous les crédits des
bâtiments du roi, le Louvre intéressait Louis  XIV. Il apparaît dans cette
réponse à la reine Christine au tout début de 1666 presque naïvement fier
du projet de la colonnade dont Le Vau vient de lui donner le dess[e]in et
que Claude Perrault mettra en œuvre. Madame ma Sœur, j’étais déjà très
satisfait de la beauté du dessein de mon bâtiment du Louvre  ; mais
l’approbation de Votre Majesté y ajoute un nouveau lustre qui me donne
plus d’impatience de le voir exécuter, et plus d’affection et d’estime pour
celui qui en est l’auteur. (Louis XIV, À la reine Christine. Paris, 15 janvier
1666. Grimoard et Grouvelle, V)
Comme il faut avoir égard au public, je suis d’avis de partager le
différend par la moitié.
Les monuments publics doivent aussi se conformer au désir du public, et
singulièrement le palais où demeure le roi dans sa capitale. Louis  XIV
recevant les plans de la future colonnade du Louvre arbitre, en ce domaine
comme en bien d’autres, les conflits — les « différends » — en choisissant
la voie moyenne. Quand le roi alla voir ce modèle, il en parut tout à fait
content  ; mais presque tout le public trouva que les arcades, et
particulièrement celle du milieu, n’était [sic] pas assez large pour sa
hauteur. […] Le roi ordonna là-dessus à M. Colbert de lui faire deux petits
dessins, l’un du modèle tel qu’il était, et l’autre de la proportion qu’on
souhaitait qu’il eût. Mon frère fit ces deux dessins, qui ont été deux ou trois
mois dans la chambre du roi, et que Sa Majesté rendit ensuite à M. Colbert
en lui disant : « Je persiste toujours à trouver le dessin du modèle tel qu’il
est plus beau que l’autre ; cependant, comme il faut avoir égard au public,
je suis d’avis de partager le différend par la moitié, et d’augmenter la
largeur des arcades de la moitié de ce que l’on demande. » Cette résolution
fut suivie dans l’ouvrage effectif, qui est d’une proportion moyenne entre
celle des deux petits dessins. (Perrault, Mémoires, liv. III)
Examiner, entre les meubles du sieur Fouquet, ceux qui seront
propres pour mon service.
Du bon usage des dépouilles  : Louis  XIV racheta une partie des biens
somptueux de Fouquet que vendait sa femme après l’emprisonnement du
condamné qui la laissait sans les revenus considérables qui avaient été
ceux d’un surintendant des finances. Du Met, intendant des meubles de la
couronne, se transportera incessamment à Paris dans la maison de Catelan
[François Catelan, financier, secrétaire au Conseil des finances, ancien
proche et homme de confiance de Fouquet], pour examiner, entre les
meubles du sieur Fouquet, ceux qui seront propres pour mon service, savoir
leur estimation, et m’en venir rendre compte sans délai. (Ordre du roi.
7 août 1668. Grimoard et Grouvelle, V)
Le travail qu’on fait à Saint-Germain, sur les terrasses de
l’appartement de Mme de Montespan.
Exemple de préoccupation du roi écrivant à Colbert depuis Nancy où,
durant la guerre de Hollande, il s’apprête à entrer en Alsace pour en
découdre avec les Allemands. Vous ne m’avez rien mandé dans toutes les
lettres que vous m’ayez écrites, touchant le travail qu’on fait à Saint-
Germain, sur les terrasses de l’appartement de Mme de Montespan. Il faut
achever celles qui sont commencées, et accommoder les autres ; l’une en
volière pour y mettre des oiseaux, et pour cela il ne faut que peindre la
voûte et les côtés, et mettre un fil de fer à petites mailles, qui ferme du côté
de la cour, avec une fontaine en bas, pour que les oiseaux puissent boire ; à
l’autre, il faudra la peindre, et ne mettre qu’une fontaine en bas,
Mme de Montespan la destinant pour y mettre de la terre, et en faire un petit
jardin. Mandez-moi ce que vous avez fait là-dessus jusqu’à cette heure.
(Louis XIV, À Colbert. Nancy, 26 septembre 1673. Grimoard et Grouvelle,
V)
Si vous l’abattez, je le ferai rebâtir tel qu’il est et sans y rien changer.
Mais évidemment le grand dessein du règne, c’est Versailles. Piété filiale
ou dilection particulière pour ce que Saint-Simon appelait un « château de
cartes » ? Le goût de Louis XIV est plus mêlé qu’on ne le dit parfois. Dans
ce temps-là, M. Colbert et presque toute la cour, ayant considéré que ce qui
restait du petit et ancien château de Versailles n’avait aucune proportion ni
aucun rapport avec les bâtiments neufs qu’on y a ajoutés, tâchèrent à porter
le roi à faire abattre ce petit château pour faire achever tout le palais du
même ordre et de la même construction que ce qui est bâti de nouveau.
Mais le roi voulut toujours conserver le petit château. On eut beau lui dire
qu’il menaçait ruine et qu’il bouclait en plusieurs endroits, il se douta du
dessein, et dit d’un ton fort et qui paraissait ému de colère : « Faites ce qu’il
vous plaira, mais, si vous l’abattez, je le ferai rebâtir tel qu’il est et sans y
rien changer.  » Ces paroles raffermirent tout le château et rendirent ses
fondements inébranlables. (Perrault, Mémoires, liv. IV)
D’où vient qu’à Versailles nous faisons des dépenses effroyables et
nous ne voyons presque rien d’achevé ?
Versailles, c’est le gouffre financier du règne, qui va absorber les crédits
de bien d’autres travaux, à commencer par ceux du Louvre. En l’année
1679, le roi alla visiter les fortifications que M. de Louvois avait fait faire à
diverses places du royaume. Sa  Majesté en revint très satisfaite, mais
surtout du peu qu’elles avaient coûté par rapport à la grandeur et à l’étendue
des ouvrages que M. de Louvois n’avait pas manqué d’exagérer. Au retour
il dit à M. Colbert : « Je viens de voir les plus belles fortifications du monde
et les mieux entendues ; mais ce qui m’a le plus étonné, c’est le peu de
dépense qu’on y a faite  : d’où vient qu’à Versailles nous faisons des
dépenses effroyables et nous ne voyons presque rien d’achevé  ? Il y a
quelque chose à cela que je ne comprends point. » M. Colbert fut vivement
blessé de ce reproche, et quoiqu’il rendît au roi de très bonnes raisons de la
différence qui se trouvait entre les ateliers d’armée, où les soldats ne
reçoivent qu’une très petite paye, et les ateliers de Versailles où l’on paye
de fortes journées aux paysans qui y travaillent  ; que les ouvrages des
fortifications se voient d’un coup d’œil et sont tous d’une même espèce ;
que ceux de Versailles sont répandus en mille endroits, et presque tous
d’espèces différentes, il crut [fut convaincu] que ce monarque avait été
prévenu [qu’on lui avait donné des préventions] sur cet article, et
qu’assurément on lui avait fait entendre qu’on payait trop cher tout ce qui se
faisait à Versailles. (Perrault, Mémoires, liv. IV).
Je ne veux plus songer à bâtir.
Si on prête à Louis XIV sur son lit de mort le regret d’avoir trop aimé
bâtir, l’idée se répercute ensuite sur le passé de la vie du roi, au point qu’on
a voulu en trouver une expression (plus que douteuse) dans une phrase
qu’on prétend au XVIIIe siècle recueillie par Jean Racine dans les notes qu’il
destinait à l’histoire du règne. Le propos remonterait aux années où Jules
Hardouin-Mansart venait d’être nommé intendant général des bâtiments du
roi (ce fut en 1685). On prétend que les remontrances que lui faisait Colbert
au sujet des bâtiments l’avaient chagriné jusque-là qu’il dit une fois à
Mansart : « On me donne trop de dégoûts, je ne veux plus songer à bâtir. »
(Racine, « Fragments historiques » dans Louis Racine, Vie de Jean Racine,
II. Absent dans l’éd. Picard — parce que suspect)
►  Les arts et lettres
Ôtez-moi ces magots-là.
Les goûts artistiques du roi, dont témoignent le décor de ses palais et plus
vaguement le contenu de ses collections, sont arrêtés sur le grand, le
sensible et le pompeux. Les peintres dans le goût flamand ne trouvaient
point de grâce devant ses yeux : « Ôtez-moi ces magots-là », dit-il un jour
qu’on avait mis un Téniers dans un de ses appartements. (Voltaire,
Anecdotes sur Louis XIV)
Le Brun et Le Nôtre sont venus ici. Je suis très aise que Le Brun ait
vu cette attaque.
Emblème du lien entre la guerre, la gloire et les arts, en 1677, quand
Louis  XIV assiège Cambrai. Je suis bien aise que Le Brun voie la
disposition de ce siège, car elle est fort belle. Et le surlendemain : Le Brun
et Le Nôtre sont venus ici. Je suis très aise que Le Brun ait vu cette attaque
[celle de Cambrai]  ; il a été aussi à Valenciennes. Faites-leur donner à
chacun quinze cents livres pour leur voyage. (Louis  XIV, À  Colbert. Du
camp près de Cambrai, 17 et 19 avril 1677. Grimoard et Grouvelle, V)
C’est du gaulois !
Si l’on en croit Louis Racine, fils de Jean, Louis XIV aurait eu des idées
arrêtées et étroites sur le style du siècle qui précéda le sien. Mais
l’anecdote tourne trop à l’apologie de Racine par son fils pour ne pas être
suspecte. Il [Louis XIV] aimait à l’entendre lire, et lui trouvait un talent
singulier pour faire sentir la beauté des ouvrages qu’il lisait. Dans une
indisposition qu’il eut, il lui demanda de lui chercher quelque chose propre
à l’amuser  : mon père proposa une des Vies de Plutarque  : «  C’est du
gaulois ! », répondit le roi. Mon père répliqua qu’il tâcherait en lisant de
changer les tours de phrase trop anciens, et de substituer les mots en usage
aux mots vieillis depuis Amyot [auteur de la célèbre traduction des Vies
des hommes illustres de Plutarque, 1569]. Le roi consentit à cette lecture, et
celui qui eut l’honneur de la faire devant lui sut si bien changer en lisant
tout ce qui pouvait, à cause du vieux langage, choquer l’oreille de son
auditeur, que le roi écouta avec plaisir et parut goûter toutes les beautés de
Plutarque : mais l’honneur que recevait ce lecteur sans titre fit murmurer
contre lui les lecteurs en charge. (Louis Racine, Vie de Jean Racine). Reste
cette confirmation incontestable du fait sinon du mot par Dangeau : Il [le
roi] fait veiller, la nuit, dans sa chambre Racine pour lui lire les Vies de
Plutarque pendant qu’il ne dort pas. (Dangeau, Journal, 3 septembre 1696)
Mais à quoi sert de lire ?
Un mot suspect rapporté par Voltaire a définitivement accrédité la
distance du roi envers les livres. Primi Visconti, certes, écrivait déjà que la
seule vue d’un livre le fatigue, quoiqu’il soit bien aise de les recevoir. Sans
doute Louis  XIV aimait-il, plus que les lire, se les faire lire ou résumer,
voire en parler avec de meilleurs connaisseurs que lui. L’écoute d’un livre
lu oralement est un usage ancien. Athénaïs de Mortemart, femme du
marquis de Montespan, sa sœur aînée, la marquise de  Thianges, et sa
cadette, pour qui elle obtint l’abbaye de Fontevrault, étaient les plus belles
femmes de leur temps  ; et toutes trois joignaient à cet avantage des
agréments singuliers dans l’esprit. Le duc de Vivonne, leur frère, maréchal
de France, était aussi un des hommes de la cour qui avaient le plus de goût
et de lecture. C’était lui à qui le roi disait un jour : « Mais à quoi sert de
lire ? » Le duc de Vivonne, qui avait de l’embonpoint et de belles couleurs,
répondit : « La lecture fait à l’esprit ce que vos perdrix font à mes joues. »
(Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Gazettes, gazettes.
Prévenu contre les deux inséparables historiographes du roi, Racine et
Boileau, par le maréchal d’Estrades qui méprise les rimailleurs et les croit
incapables de pénétrer les sentiments élevés et les actes d’un roi hors de
leur portée, Primi Visconti ne sera pas cru sur parole dans la relation de la
scène suivante qu’il rapporte à travers le récit de son informateur partial et
malintentionné. Le maréchal d’Estrades m’aborda un autre jour en souriant
et me dit : « Je vous avais bien dit que nos historiographes feraient mieux
de s’en retourner à leurs rimes. Ces messieurs ont lu hier chez
Mme de Montespan quelques parties de leur histoire ; le roi secouait la tête
et de temps en temps il disait tout bas à Mme de Montespan : “Gazettes,
gazettes”. » La comtesse de Gramont me confirma la même chose. (Primi
Visconti, Mémoires sur la cour de Louis XIV, année 1679)
Il faut faire assembler l’Académie au Louvre ; cela me paraît mieux,
quoiqu’un peu incommode.
En 1672, Colbert fait au roi des propositions sur le lieu le plus propre à
accueillir les réunions de l’Académie française qui a sollicité le patronage
de Sa  Majesté. Il n’y a que le Louvre ou la Bibliothèque de V.  M. Le
Louvre est plus digne et plus embarrassant ; la Bibliothèque serait moins
digne jusqu’à ce qu’elle fût attachée au Louvre, et plus commode. Réponse
du roi sur la lettre même. Il faut faire assembler l’Académie au Louvre ;
cela me paraît mieux, quoiqu’un peu incommode. (Louis  XIV, Lettre de
Colbert/réponse du roi. Saint-Germain-en-Laye, 10 mai 1672. Grimoard et
Grouvelle, V)
Il faut […] qu’à l’avenir l’Académie française vienne me haranguer.
De même Louis  XIV ordonnera-t-il qu’à l’instar des autres corps
constitués l’Académie vînt le haranguer pour saluer les hauts faits du
règne. C’était conférer à une institution chargée de la régulation de la
langue et des ouvrages de langage un statut social similaire à celui des
institutions régaliennes. Voici une mise en scène pittoresque de cette
décision. C’est à M.  Rose, secrétaire du cabinet, et qui depuis a été de
l’Académie, à qui on en a l’obligation. Voici comment la chose se passa. Le
roi jouait à la paume à Versailles, et, après avoir fini sa partie, se faisait
frotter au milieu de ses officiers et de ses courtisans, lorsque M. Rose, qui le
vit en bonne humeur et disposé à entendre raillerie, lui dit ces paroles  :
« Sire, on ne peut pas disconvenir que Votre Majesté ne soit un très grand
prince, très bon, très puissant et très sage, et que toutes choses ne soient très
bien réglées dans tout son royaume ; cependant j’y vois régner un désordre
horrible, dont je ne puis m’empêcher d’avertir Votre Majesté. — Quel est
donc, Rose, dit le roi, cet horrible désordre ? — C’est, Sire, reprit M. Rose,
que je vois des conseillers, des présidents et autres gens de longue robe dont
la véritable profession n’est point de haranguer, mais bien de rendre justice
au tiers et au quart, venir vous faire des harangues sur vos conquêtes,
pendant qu’on laisse en repos là-dessus ceux qui font une profession
particulière de l’éloquence. Le bon ordre ne voudrait-il pas que chacun fît
son métier, et que MM. de l’Académie française, chargés par leur institution
de cultiver le précieux don de la parole, vinssent vous rendre leurs devoirs
en ces jours de cérémonie où Votre Majesté veut bien écouter les
applaudissements et les cantiques de joie de ses peuples sur les heureux
succès qu’il plaît à Dieu de donner à ses armes ? — Je trouve, Rose, dit le
roi, que vous avez raison : il faut faire cesser un si grand désordre, et qu’à
l’avenir l’Académie française vienne me haranguer comme le Parlement et
les autres compagnies supérieures. Avertissez-en l’Académie, et je donnerai
ordre qu’elle soit reçue comme elle le mérite. » (Perrault, Mémoires, liv. III)
Souvenez-vous […] que j’ai toujours une heure par semaine à vous
donner, quand vous voudrez venir.
L’image gravée par le XVIIIe siècle d’un règne de Louis XIV cultivant les
arts et lettres avec une attention privilégiée s’appuie sur un répertoire
d’anecdotes touchantes sur les relations privées du roi avec les grands
écrivains de son temps. Sans être assurément authentiques, ces historiettes
témoignent du rôle effectivement joué en France par le goût littéraire dans
la formation et la stature de l’homme d’État, qui constituera une originalité
nationale jusqu’à la presque fin du XXe  siècle. Quelques jours après la mort
de mon père, écrit Louis Racine, Boileau, qui depuis longtemps ne
paraissait plus à la cour, y retourna pour recevoir les ordres de Sa Majesté
par rapport à son Histoire, dont il se trouvait seul chargé […]. Lui ayant fait
ensuite regarder sa montre, qu’il tenait par hasard  : «  Souvenez-vous,
ajouta-t-il, que j’ai toujours une heure par semaine à vous donner, quand
vous voudrez venir.  » Ce fut pourtant la dernière fois que Boileau parut
devant un prince qui recevait si favorablement les grands poètes. (Louis
Racine, Vie de Jean Racine)
Le Nôtre m’embrasse ; il a pu embrasser le pape.
Les rapports de familiarité entre Le Nôtre et Louis XIV sont illustrés par
plusieurs anecdotes plus ou moins crédibles. En voici une, plaisante sinon
convaincante. Charmé lors de son passage à Rome par la bonté et la
bonhomie du pape, et par l’estime que le Souverain Pontife montre pour
Louis XIV, Le Nôtre ne consulta plus que ses entrailles : il était si fort dans
l’habitude d’embrasser ceux qui publiaient les louanges de son maître qu’il
embrassa le pape. De retour chez lui, il écrivit à son ami Bontemps, premier
valet de chambre du roi, et lui fit un détail exact de cette conversation. La
lettre fut lue au roi à son lever. Le duc de Créqui qui était présent dit qu’il
gagerait mille louis contre un que la vivacité de Le Nôtre n’avait pu aller
jusqu’aux embrassements. « Ne pariez pas, lui répondit le roi ; quand je
reviens de la campagne, Le Nôtre m’embrasse ; il a pu embrasser le pape. »
(Lacombe de Prezel, Abrégé de la vie de Le Nôtre, dans le Dictionnaire des
portraits historiques, III)
Voilà un grand original que tu n’as pas encore copié.
Autre artiste qui eut la faveur du roi et sa constante bienveillance  :
Molière, qui l’amusait et à qui sa charge de valet de chambre par quartiers
donnait accès facile au souverain lors du petit lever. Racine écrit à l’abbé
le Vasseur dans un courrier de novembre 1663 qu’assistant au lever du roi
il y a trouvé Molière, à qui le roi a donné assez de louanges, et j’en ai été
bien aise pour lui : il a été bien aise aussi que j’y fusse présent. Mais on ne
sait le détail de ces louanges. En 1661, lors de la fête de Vaux chez Fouquet
où Molière créa sa comédie Les Fâcheux, le poète raconte dans l’édition de
sa pièce que Sa Majesté lui suggéra d’y ajouter un caractère de fâcheux,
dont elle eut la bonté de m’ouvrir les idées Elle-même, et qui a été trouvé
partout le plus beau morceau de l’ouvrage. Il s’agissait du portrait d’un
chasseur assommant ses interlocuteurs de ses récits interminables. Un
recueil tardif d’anecdotes reconstitua la scène à la fin du XVIIe siècle en
imaginant les paroles vives du roi. Au sortir de la première représentation
de cette comédie qui se fit chez M. Fouquet, le roi dit à Molière, en lui
montrant M. de Soyecourt : « Voilà un grand original que tu n’as pas encore
copié. » C’en fut assez de dit, et cette scène où Molière l’introduit sous la
figure d’un chasseur fut faite et apprise par les comédiens en moins de
vingt-quatre heures, et le roi eut le plaisir de la voir en sa place à la
représentation suivante de cette pièce. (Galland, Menagiana, II)
En vérité, Molière, vous n’avez encore rien fait qui m’ait plus diverti,
et votre pièce est excellente.
Le premier biographe de Molière, Jean-Léonor de Grimarest, souvent
bien informé mais parfois imaginatif, conte que Le Bourgeois gentilhomme
créé à Chambord en octobre 1670 aurait d’abord laissé le roi de marbre. Et
courtisans de renchérir sur l’échec. Cependant on joua cette pièce pour la
seconde fois. Après la représentation, le roi, qui n’avait point encore porté
son jugement, eut la bonté de dire à Molière : « Je ne vous ai point parlé de
votre pièce à la première représentation, parce que j’ai appréhendé d’être
séduit par la manière dont elle avait été représentée  : mais en vérité,
Molière, vous n’avez encore rien fait qui m’ait plus diverti, et votre pièce
est excellente.  » Molière reprit haleine au jugement de Sa  Majesté  ; et
aussitôt il fut accablé de louanges par les courtisans. (Grimarest, Vie de
Molière) Grimarest conte plus loin la même anecdote exactement à propos
de l’accueil fait aux Femmes savantes…
Si bien donc que Despréaux n’estime que le seul Molière.
La légende a brodé à plusieurs reprises sur la préférence que devant
Louis XIV Boileau aurait manifestée en faveur de Molière par rapport à
tous les autres écrivains du règne. En voici une version combinée à une
autre fable récurrente : la gaffe de citer en présence du roi le nom du poète
Paul Scarron, premier mari de Mme de Maintenon. Le roi, se bottant pour
aller à la chasse, demandait à M.  Despréaux [Boileau], en présence de
plusieurs seigneurs, quels auteurs avaient le mieux réussi pour la comédie.
« Je n’en connais qu’un, reprit le satirique, et c’est Molière ; tous les autres
n’ont fait que des farces proprement, comme ces vilaines pièces de
Scarron. » Le roi demeura pensif, et M. Despréaux, s’apercevant qu’il avait
fait une faute, se mit à baisser les yeux aussi bien que tous les autres
courtisans. « Si bien donc, reprit le roi, que Despréaux n’estime que le seul
Molière. — Il n’y a, Sire, aussi que lui qui soit estimable dans son genre
d’écrire. » Je n’eus garde, disait M. Despréaux, de vouloir rhabiller mon
incartade ; c’eût été faire sentir que j’avais été capable de la faire. M. le duc
de  Chevreuse le tira à quartier en lui disant : « Oh, pour le coup, votre
prudence était endormie ! — Et où est l’homme, répondait Boileau, à qui il
n’échappe jamais une sottise ? » (Monchesnay, Bolœana)
Le roi de la langue
Évaluer le talent stylistique du roi relève un peu de la gageure. Rien ne
permet de garantir au mot près la leçon de ses paroles qu’ont retranscrites
les témoins, de celles qu’ont enregistrées les scribes ou même de celles qui
semblent tracées de sa main : les témoins peuvent les avoir remaniées, les
scribes les avoir mises en forme et la main du roi avoir été imitée. Son
secrétaire, le fameux Toussaint Rose, s’y employait avec talent.
Évidemment, quand dans une lettre Louis XIV souligne qu’il prend soin de
l’écrire lui-même, on peut se fier davantage à l’authenticité de son style ;
mais ce style lui-même est soumis à des formes apprises, des formules
convenues, des tours de circonstance. Tout cela pris en compte, reste ceci :
la qualité singulière et l’empreinte marquée, quoi qu’on en dise, des
tournures, des formulations, des expressions de bien des lettres ou des
paroles de ce personnage que constitue le roi, traversé de toutes les
influences, masqué par tous les substituts, appuyé sur toutes les
conventions, guidé par toutes les suggestions que l’on voudra. Un plaisir de
langue, un parfum de style se dégagent de certains de ses propos, qui font
regretter que les hommes d’État n’écrivent pas tous et même n’écrivent plus
aucun à cette hauteur de langue où il entre, sous la convention, des
insolences de gentilhomme envers les formes communes ou courantes, voire
envers la syntaxe et le lexique. Effet du langage de son temps, peut-être,
effet de son art de s’être bien entouré, sans doute, effet de la haute et pleine
image de lui-même qui se projette dans sa parole écrite et plus encore dans
sa parole vive.
Il est véritablement roi de la langue.
On souscrira donc pour grande part à cet éloge que lui décerne un
praticien de l’écriture qui fut son contemporain. Je rapporterai, par
exemple, jusqu’à ses moindres paroles, parce qu’elles ont toujours eu un
certain sel qui leur donne la force et l’agrément. Il est véritablement roi de
la langue, et peut servir de modèle à l’éloquence française. Les réponses
qu’il fait sur-le-champ effacent les harangues étudiées. (Choisy, Mémoires.)
On remarque presque toujours quelque différence, entre les lettres
particulières, que nous nous donnons la peine d’écrire nous-mêmes, et
celles que nos secrétaires les plus habiles écrivent pour nous.
On confortera l’intuition de la part personnelle prise dans ses lettres et
ses paroles par l’inflexion propre qu’il y mettait en citant la confirmation
d’expérience qu’il en a lui-même donnée lorsqu’il dicta ses Mémoires
destinés au Dauphin. Que si l’on remarque presque toujours quelque
différence entre les lettres particulières, que nous nous donnons la peine
d’écrire nous-mêmes, et celles que nos secrétaires les plus habiles écrivent
pour nous, découvrant en ces dernières je ne sais quoi de moins naturel, et
l’inquiétude d’une plume qui craint éternellement d’en faire trop ou trop
peu, ne doutez pas qu’aux affaires de plus grande conséquence, la
différence ne soit encore plus grande entre nos propres résolutions, et celles
que nous laisserons prendre à nos ministres sans nous, où plus ils seront
habiles, plus ils hésiteront par la crainte des événements, et, d’en être
chargés, s’embarrassent quelquefois fort longtemps de difficultés qui ne
nous arrêteraient pas un moment. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
L’ART DE LA FORMULATION
►  Le sens de la formule
Il n’y a plus de Pyrénées.
Il s’exprimait toujours noblement et avec précision, s’étudiant en public à
parler comme à agir en souverain. Lorsque le duc d’Anjou partit pour aller
régner en Espagne, il lui dit, pour marquer l’union qui allait désormais
joindre les deux nations : « Il n’y a plus de Pyrénées. » (Voltaire, Siècle de
Louis XIV.) Ce qu’Édouard Fournier commente et contredit ainsi. Voltaire
alors avait pourtant déjà dû lire le Journal de Dangeau, dont, sans qu’il l’ait
avoué, le manuscrit lui fut si utile pour son histoire  ; Dangeau écrit
16 novembre 1700 : « L’ambassadeur d’Espagne dit fort à propos que ce
voyage devenait aisé, et que présentement les Pyrénées étaient fondues. »
(Fournier, Recherches et Curiosités) Il est piquant que l’éloge de
l’expression du roi par Voltaire porte sur un mot forgé pour et non par lui.
Monsieur, cela ne convient ni à vous ni à moi.
Le roi d’Angleterre Jacques II exilé en France meurt le 16  septembre
1701. Le 19 lui sont rendus les derniers devoirs avant la mise au tombeau
de son corps. Ce jour-là, les princes et les princesses allèrent donner de
l’eau bénite au corps du roi d’Angleterre, et, le soir, on l’emporta à Paris à
l’église des Bénédictins anglais du faubourg Saint-Jacques, où il devait
rester en dépôt jusqu’à ce qu’on pût le porter au tombeau de ses ancêtres, le
roi n’ayant pas jugé à propos qu’on l’enterrât dans l’église paroissiale de
Saint-Germain-en-Laye, comme il l’avait souhaité par humilité et même
proposé au roi peu de jours avant sa mort. Note de Sourches : Le roi lui
répondit, lorsqu’il lui fit cette proposition : « Monsieur, cela ne convient ni
à vous ni à moi. » (Sourches, Mémoires, 19-20 septembre 1701)
C’est beaucoup dire, en peu de mots.
Orateur efficace et concis, le roi apprécie en connaisseur ceux qui comme
lui possèdent l’art de la formule. C’est le cas du chevalier de Forbin, retour
du Siam, qui obtient par l’entremise de Bontemps, premier valet de chambre
ordinaire, une audience pour conter son voyage. Charmé de la manière dont
j’avais été accueilli, je fus me présenter au dîner du roi ; Sa Majesté me fit
l’honneur de me questionner beaucoup sur le royaume de Siam ; elle me
demanda d’abord si le pays était riche : « Sire, lui répondis-je, le royaume
de Siam ne produit rien et ne consomme rien. — C’est beaucoup dire, en
peu de mots », répliqua le roi. (Forbin, Voyage à Siam)
Il serait d’éclat d’agir pendant l’hiver.
L’un des chemins de la gloire, c’est la stupeur produite par les actions
d’éclat. On en fit une du passage du Rhin à l’été 1672, qui ne valait peut-
être pas tant. Aussi, à la fin de l’année, Louis XIV ébranlé par la contre-
attaque de Guillaume d’Orange caresse-t-il l’espoir d’une nouvelle
prouesse dans ses instructions à Louvois. Il additionne ses considérations et
ses ordres avec une énergie ramassée, comme à la hussarde, et conclut sur
une formule particulièrement heureuse. Essayer d’emporter Bruxelles ou
quelque place considérable. Cet article est impossible présentement.
Répondre à la ruine des troupes, qu’en Flandre je puis faire commodément
la guerre, sans fatiguer, même en hiver, [à] celles qui agiraient. […]. La
Flandre doit être ma principale application, la guerre étant déclarée avec les
Espagnols. Il serait d’éclat d’agir pendant l’hiver. (Louis XIV, Mémoire du
roi à M.  de  Louvois. Saint-Germain-en-Laye, 19 ou 20  décembre 1672.
Grimoard et Grouvelle, III)
L’action étant d’éclat par la vigueur et par le succès.
Variation sur la formule  : en 1665, le duc de  Beaufort remporte une
victoire sur les Barbaresques. Ce n’a pas été sans beaucoup de joie et de
satisfaction, que j’ai vu ce qui s’est passé dans l’attaque des vaisseaux
corsaires, que vous avez fait brûler sous le fort de la Goulette, l’action étant
d’éclat par la vigueur et par le succès. (Louis  XIV, À  M. le duc de 
Beaufort. Paris, 14 avril 1665. Grimoard et Grouvelle, III)
C’est un fanfaron de crimes.
Enfin le roi se montre orfèvre en l’art de silhouetter par une formule
narquoise, admirée de Saint-Simon, le caractère de son neveu, qui attendra
la régence pour accomplir les frasques que sous le règne de son oncle il se
contente de promettre. C’est un jour où Maréchal, chirurgien de Louis XIV,
tente de sonder celui-ci sur ses sentiments envers le jeune duc d’Orléans. Il
se mit à le louer sur son esprit, sur ses diverses sciences, sur les arts qu’il
possédait, et à dire plaisamment que, s’il était un homme qui eût besoin de
gagner sa vie, il aurait cinq ou six moyens différents de la gagner
grassement. Le roi le laissa causer un peu ; puis, après avoir souri de cette
idée par laquelle Maréchal avait comme terminé son discours, il reprit un
air sérieux, regarda Maréchal  : «  Savez–vous, lui dit-[il], ce qu’est mon
neveu ? Il a tout ce que vous venez de dire : c’est un fanfaron de crimes. »
À  ce récit de Maréchal, je fus dans le dernier étonnement d’un si grand
coup de pinceau  ; c’était peindre en effet M.  le duc  d’Orléans d’un seul
trait, et dans la ressemblance la plus juste et la plus parfaite. Il faut que
j’avoue que je n’aurais jamais cru le roi un si grand maître. (Saint-Simon,
Mémoires, 1714)
►  Saveurs de langue et bonheurs d’image
L’assurance de sa bonne santé, que je passionne sur toutes choses.
Lors de l’agonie de Mazarin, un incendie ravagea la galerie des portraits
du Louvre avant qu’à l’arrivée du Saint-Sacrement le vent ne tournât,
protégeant le reste du palais — on y vit un miracle. Le roi d’Espagne
informé exprima ses sentiments sur l’incendie, dont le remercie Louis XIV
en usant du verbe passionner d’une manière archaïque et insolite qui a son
élégance. Je suis ravi que la nouvelle que la reine en a écrite à V. M., m’ait
attiré une marque si obligeante de son souvenir, accompagnée même de
l’assurance de sa bonne santé, que je passionne sur toutes choses.
(Louis XIV, Au roi d’Espagne. Paris, 13 mars 1661. Grimoard et Grouvelle,
V)
Elle s’intéressera en leur satisfaction commune.
À la même époque, Louis XIV informe le roi d’Espagne du mariage de son
frère, Monsieur, avec Henriette d’Angleterre. C’est ici le verbe s’intéresser
qui bénéficie d’une construction libre. Mon frère appartient de si près à
V.  M., que non seulement il se promet son entier agrément en cette
occasion, mais qu’elle recevra beaucoup de joie d’apprendre, qu’il s’allie
avec une princesse qui touche aussi d’une parenté fort proche à V. M., et
que, par cette double raison, elle s’intéressera en leur satisfaction commune.
(Louis XIV, Au roi d’Espagne. Paris, 26 mars 1661. Grimoard et Grouvelle,
V)
Compatissez-moi donc, s’il me pique d’un peu d’émulation.
Un usage hardi du verbe compatir donne l’occasion de citer une lettre de
grande élégance à l’abbesse de Fontevrault, fille d’Henri IV, qui avait
comparé le jeune roi partant pour la guerre de Dévolution à son royal
grand-père. Ma Tante, je vous remercie de la tendresse avec laquelle vous
m’excitez à ménager ma personne dans les occasions de la guerre ; mais
puisque vous me mettez en même temps Henri IV devant les yeux, vous
voulez bien que je les ouvre sur un si digne modèle ; compatissez-moi donc,
s’il me pique d’un peu d’émulation, et bien que j’estime autant qu’il se doit
vos sages raisonnements, touchant ma conservation dans la campagne
prochaine, espérez-la encore plus du Ciel, par le secours de vos vœux et de
vos saintes prières. (Louis XIV, À l’abbesse de Fontevrault, Saint-Germain-
en-Laye, 20 septembre 1667. Grimoard et Grouvelle, V)
Quoique je ne doute pas que vous n’y *pourvoyassiez sans cela.
Est-ce la perspective de voir sa flotte naviguer de conserve avec celle des
Hollandais pour affronter celle des Anglais, c’est-à-dire les deux meilleures
marines d’Europe, qui fait déraper le roi dans un usage singulier et à coup
sûr héroïque du subjonctif imparfait du verbe pourvoir  ? Que le lecteur
capable d’y mieux pourvoir jette au roi la première pierre… Vivonne, je
suis très aise du bon état où sont mes galères. Comme ce serait un grand
embarras, si dans la navigation et même en vue des ennemis, elles
demeuraient derrière les autres pour être moins bien servies ou moins
renforcées de chiourme, il faut les mettre en égalité le plus qu’il sera
possible, tant pour la vogue que pour le combat, afin qu’en toutes occasions
elles puissent marcher ensemble, et agir de la même vigueur ; vous prendrez
donc garde à ce point, qui m’a paru assez important pour vous le
recommander, quoique je ne doute pas que vous n’y *pourvoyassiez sans
cela. (Louis XIV, Au comte de Vivonne. Saint-Germain-en-Laye, 10 mars
1666. Grimoard et Grouvelle, V)
Vous faites très bien de […] manger autant que vous le pourrez le
pays.
À la guerre, le principe est de pressurer le pays occupé pour décharger
autant que possible la France du poids toujours plus lourd de l’entretien de
l’armée et de son approvisionnement. Cela nous vaut un usage stylistique
hardi du verbe manger par Louis XIV. Je suis très aise que le fourrage que
l’aile gauche a fait se soit passé tranquillement, et que l’on en ait remporté
beaucoup. Vous faites très bien de ne pas partir du lieu où vous êtes, et de
manger autant que vous le pourrez le pays, pour ôter aux ennemis la
subsistance qu’ils trouveraient, s’ils s’y avançaient. Il sera bon de manger
celui que Cheladet a trouvé, et celui que le sieur Roze est allé reconnaître
du côté de la droite. (Louis XIV, Au comte de Toulouse. Trianon, 29 juin
1694. Grimoard et Grouvelle, IV)
Comme des malades qui recherchent des remèdes nuisibles, parce
qu’ils leur paraissent agréables, et ne connaissent pas ce qui leur est le
plus utile pour le recouvrement de leur santé.
Après les hardiesses de syntaxe, voici celles du style, qui se manifestent
dans l’usage de l’image, pittoresque ou hardie. Les Provinces-Unies en
conflit avec l’Angleterre aimeraient que Louis XIV qui est encore leur allié
(mais qui hésite à renverser son alliance) marquât plus ostensiblement la
légitimité de leur cause dans le cadre de la médiation qu’il est chargé
d’opérer entre les belligérants. Je ne laisserai pas d’aller mon chemin ; la
fin de tout éclaircira de ce que j’ai eu dès le commencement dans le cœur, et
je vois bien qu’il faut traiter ces peuples comme des malades qui
recherchent des remèdes nuisibles, parce qu’ils leur paraissent agréables, et
ne connaissent pas ce qui leur est le plus utile pour le recouvrement de leur
santé. Serait-il bon pour eux-mêmes que, par une déclaration précipitée et
sans aucun fruit apparent, je me misse hors de tout état de procurer leur
raccommodement, et donnasse sujet au roi d’Angleterre de repartir, aux
ouvertures de mes ambassadeurs pour la paix, qu’il ne peut plus les écouter,
venant d’un prince qui a déjà pris parti contre lui ? (Louis XIV, Au comte
d’Estrades. Paris, 6 mars 1665. Grimoard et Grouvelle, V)
Un dangereux serpent qu’ils couvent dans leur sein, en la personne de
Downing.
Dans le cadre de la médiation française entre l’Angleterre de Charles II
et la Hollande du grand pensionnaire Jean De Witt, entrées en conflit en
mars  1665, Louis  XIV, allié des Hollandais, adresse à l’ambassadeur de
France à La Haye, le comte d’Estrades, ses directives sur la politique à
adopter pour contrecarrer les menées anglaises auprès des États (le
Parlement de l’oligarchie néerlandaise), qui viseraient à retourner ceux-ci
en faveur de la Grande-Bretagne en renversant De Witt : l’ambassadeur de
Londres à La Haye, George Downing, tenterait ce travail de sape qui
inquiète Louis XIV. Ce qui lui vaut d’être enveloppé par le roi dans une
périphrase imagée très répandue (deux ans et demi plus tôt, Molière l’avait
insérée dans L’École des femmes). Le plus tôt qu’ils pourront rappeler
l’ambassadeur Van Goch, lequel d’ailleurs est un instrument peu propre à
traiter aucune affaire, pour avoir sujet de se défaire d’un dangereux serpent
qu’ils couvent dans leur sein, en la personne de Downing, sera le meilleur.
(Louis  XIV, Au comte d’Estrades. Paris, 17  août 1665. Grimoard et
Grouvelle, V)
Me délivrer de la peine que ces chenilles me peuvent faire.
Depuis le XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe, les images désobligeantes ont
fleuri en France envers les Allemands (et réciproquement). Louis  XIV
anticipe ces inventions au moment de partir combattre les troupes
impériales en Alsace. Je pars jeudi pour aller en Alsace, et me délivrer de la
peine que ces chenilles me peuvent faire. J’espère que mon voyage sera
court, mais il fera du train en Allemagne. Le dictionnaire de Furetière
(1690) définit ainsi l’emploi figuré de chenille : Une personne maligne qui
fait du mal sans y être excitée. (Louis XIV, À Colbert. Nancy, 22 août 1673.
Grimoard et Grouvelle, V)
La gloire […] n’est pas une maîtresse qu’on puisse négliger.
Pour lutter contre les illusions et les molles assurances où la flatterie
induit les rois, Louis XIV exhorte son fils d’une manière imagée, empruntée
à un registre qu’il connaît bien, à se persuader que la gloire […] n’est pas
une maîtresse qu’on puisse négliger, ni être digne de ses premières faveurs,
si on n’en souhaite à tout moment de nouvelles. (Louis XIV, Mémoires pour
l’année 1661)
►  Modèles de lettres de circonstance
Les propos ou les lettres de convenance et de circonstance sont les plus
aisément insipides : on y est menacé sans cesse de la banalité qu’inflige la
convention ou de l’incongruité par souci de se singulariser. Tourner dans le
ton juste ces discours ou ces missives qui jalonnent de leurs propos obligés
la longue vie d’un monarque pourvu de tant de parents et d’alliés suppose
un sens inné ou travaillé du bon et du grand goût. À  plusieurs reprises,
Louis XIV y parvient avec une élégance personnelle sinon même singulière.
Je n’ai pas voulu écrire plus tôt à V. M. la grossesse de la reine, parce
que je n’en étais pas entièrement assuré. 
Modèle de lettre pour l’annonce d’une grossesse, d’un gendre à son beau-
père. Monsieur mon frère, oncle et beau-père, je n’ai pas voulu écrire plus
tôt à V. M. la grossesse de la reine, parce que je n’en étais pas entièrement
assuré ; et maintenant qu’il ne reste plus aucun lieu d’en douter, j’en donne
part à V. M. avec d’autant plus de plaisir, que je m’imagine aisément la joie
qu’un aussi bon père qu’elle en recevra de cette nouvelle. J’ajouterai, pour
surcroît de bonheur, que la santé de la reine est telle qu’il n’y a rien à
désirer, ni pour ce point-là, ni même pour la mienne, si ce n’est qu’il plaise
à Dieu de conserver celle de V. M. comme je le supplie de tout mon cœur, et
de la combler d’ailleurs de ses saintes bénédictions. (Louis  XIV, Au roi
d’Espagne. Paris, 18 avril 1661. Grimoard et Grouvelle, V)
Votre respect m’offenserait, si dans les occasions vous ne recouriez à
moi avec la confiance que mérite l’estime que j’ai pour vous.
Réponse à une demande d’intervention dans un procès, en faveur de la
plaignante. Mme de Brégy, qui plaidait contre son mari, était de la maison
de la reine-mère. Cette attache et sa fameuse beauté plaidaient pour elle.
Quand on sait demander les choses d’aussi bonne grâce que vous faites, et
même [qui plus est] des choses raisonnables, on n’importune jamais. Il ne
tiendra pas à moi que votre procès ne finisse ; je m’en expliquerai dans les
termes que vous pouvez souhaiter  ; mais souvenez-vous une fois pour
toutes que votre respect m’offenserait, si dans les occasions vous ne
recouriez à moi avec la confiance que mérite l’estime que j’ai pour vous.
(Louis XIV, À la comtesse de Brégy. Fontainebleau, 4 juin 1661. Grimoard
et Grouvelle, V).
Vous rendre toutes les preuves que je pourrai de ma royale
bienveillance.
Lettre de réconciliation avec la princesse douairière d’Orange, mère du
futur Guillaume III d’Angleterre et prochain ennemi majeur de Louis XIV
qui fera occuper la ville d’Orange et en fera raser les murailles de la
citadelle en 1673. Ma Cousine, les assurances que vous me donnez du
renouvellement sincère de votre affection envers moi me sont si agréables
et si chères, que je veux oublier de bon cœur l’interruption qu’il y a eue, et
ne plus songer désormais qu’à vous rendre toutes les preuves que je pourrai
de ma royale bienveillance. Je vous dirai aussi avec vérité qu’on ne peut
avoir de meilleurs sentiments que j’en ai pour la personne de mon cousin le
prince d’Orange ; et comme je ne doute point que vous ne l’éleviez dans les
maximes qui ont acquis tant d’avantages et de gloire à ses ancêtres, aussi je
travaille de mon côté à mettre les choses en état que, sans me préjudicier, je
vous puisse donner à tous deux une entière satisfaction sur les affaires
d’Orange (Louis XIV, À la princesse douairière d’Orange. Paris, 10 mars
1662. Grimoard et Grouvelle, V)
Je serai bien aise de vous témoigner aux occasions qui s’offriront la
satisfaction que j’en ai.
Tout autre ton dans cette lettre de réconciliation, ou du moins de pardon,
exactement contemporaine de la précédente. Sa sécheresse indique que rien
n’était pardonné, si quoi que ce soit eût été pardonnable : le cardinal de
Retz s’était conduit en terrible frondeur. Mon Cousin, j’ai reçu avec
beaucoup de contentement la lettre que vous m’avez écrite, et les marques
de soumission et de respect dont elle était accompagnée ; je serai bien aise
de vous témoigner aux occasions qui s’offriront la satisfaction que j’en ai,
ne doutant point que votre conduite ne réponde pleinement à vos
protestations. (Louis  XIV, Au cardinal de Retz. Paris, 17  mars 1662.
Grimoard et Grouvelle, V)
Quand vous pourrez m’en donner des preuves plus solides…
Le même n’a guère plus de chance avec une lettre de vœux de bonne
convalescence qui ne lui aura coûté que la peine de l’écrire, semble lui dire
la réponse du roi. Mon Cousin, j’ai remarqué avec plaisir l’affection que
vous avez pour moi, dans les sentiments et les vœux de la lettre que vous
m’avez écrite en dernier lieu sur ma guérison. Je m’assure que, quand vous
pourrez m’en donner des preuves plus solides, vous le ferez de bon cœur.
(Louis  XIV, Au cardinal de Retz. Paris, 18  juin l663. Grimoard et
Grouvelle, V)
L’entorse que j’eus l’autre jour au pied.
Lettre de remerciement à une parente qui s’est souciée d’un de vos
accidents de santé. Ma Tante, il ne fallait pas moins de tendresse que vous
en avez pour moi, pour s’inquiéter de l’entorse que j’eus l’autre jour au pied
puisqu’il [le genre du mot est alors indécis] a passé si légèrement, qu’il n’y
a presque pas eu d’intervalle entre le mal et la guérison ; mais je ne suis pas
surpris de la facilité qu’on a de s’alarmer pour la santé des personnes que
l’on aime bien ; je l’éprouve assez par l’intérêt que je prends à la vôtre, qui
ne m’a donné que trop de mauvaises heures depuis quelque temps. Je vous
conjure de ne songer qu’à la rétablir parfaitement, si la mienne vous est
chère, et de considérer qu’il n’y a rien de plus important à mon repos que
cette application, laquelle je prie Dieu de bénir de tout le succès que je
souhaite. (Louis XIV, À la duchesse de Toscane. Saint-Germain-en-Laye,
28 juin 1662. Grimoard et Grouvelle, V)
Le péril où vous avez été en pensant prendre du café.
Lettre de congratulation pour un monarque (Jean III Sobieski, roi de
Pologne) qui a failli boire du café sucré au poison. Monsieur mon frère, la
véritable amitié avec laquelle je m’intéresse à tout ce qui vous regarde ne
me permet pas de savoir le péril où vous avez été en pensant prendre du
café sans me réjouir avec vous du bonheur extraordinaire qui vous en a
garanti. C’est une suite visible du soin que le Ciel a toujours pris d’une vie
si glorieuse et si nécessaire à la chrétienté. Dieu vous la conserve longues
années [sic], et l’accompagne de tous les biens que vous souhaite, etc.
(Louis XIV, Au roi de Pologne. Saint-Germain-en-Laye, 2 décembre 1677.
Grimoard et Grouvelle, V)
Il est si bien fait qu’il ne faut simplement que le voir pour le juger
digne d’une couronne.
Lettre de compliment pour un roi venu visiter sous l’incognito la cour de
France. Monsieur mon frère, je ne saurais vous exprimer la satisfaction que
j’ai eue de la visite de l’inconnu, dont votre ambassadeur m’avait parlé. Il
est si bien fait qu’il ne faut simplement que le voir pour le juger digne d’une
couronne. J’estime ma cour heureuse de la curiosité qui l’a obligé d’y
passer ; j’espère qu’il n’en partira pas sans être persuadé qu’il n’y en a pas
une au monde où il puisse être mieux venu. Dieu vous le conserve, et me
donne autant d’occasions que j’en souhaite, de vous témoigner et à lui
aussi, l’amitié avec laquelle je suis, etc. (Louis XIV, Au roi de Danemark.
Paris, 20 janvier 1663. Grimoard et Grouvelle, V)
Votre lettre est arrivée bien à propos, car je ne pouvais plus tenir ma
morgue.
Lettre de familiarité complimenteuse pour un cousin : le duc d’Enghien,
fils du grand Condé. La phrase d’ouverture est colorée d’une connivence
souriante et allègre qui n’est pas si fréquente dans la correspondance
conservée de Louis  XIV. Votre lettre est arrivée bien à propos, car je ne
pouvais plus tenir ma morgue [i.e. soutenir ce qu’exige ma fierté] ; et si
vous eussiez différé davantage à m’écrire, je tombais dans l’inconvénient de
vous écrire le premier. Sérieusement, j’avais beaucoup d’impatience de
rentrer en commerce  ; et pour satisfaire de ma part à cette agréable
correspondance, je vous dirai, sur vos remerciements des marques de mon
souvenir, qu’on n’oublie pas les personnes pour qui l’on a des sentiments
d’amitié aussi particuliers que j’en ai pour vous, et même [i.e. en
particulier] quand ils sont soutenus par une estime que le mérite propre et
l’application à mon service augmentent tous les jours. (Louis XIV, Au duc
d’Enghien. Saint-Germain-en-Laye, 5 octobre 1670. Grimoard et Grouvelle,
V).
Je ne vous dirai point que le roi mon père conféra une semblable
grâce, dans l’ordre du Saint-Esprit, au maréchal d’Effiat.
Lettre de sollicitation argumentée par une prétérition (je ne vous dirai
point que… mais je le dis tout de même) au roi Charles  II d’Angleterre
pour qu’il accorde l’ordre de la Jarretière à son ambassadeur à Paris, lord
Montaigu, qui vient de négocier le traité d’alliance avec la France. C’est
par là que je vous devrai d’autant plus de remerciements, si vous voulez
bien l’honorer d’une place dans l’ordre des Chevaliers de la Jarretière, et
me l’envoyer pour la lui donner. Je ne vous dirai point que le roi mon père
conféra une semblable grâce, dans l’ordre du Saint-Esprit, au maréchal
d’Effiat, à l’instance du feu roi d’Angleterre, lorsqu’il était ambassadeur
auprès de lui. Votre amitié pour moi n’a pas besoin d’être excitée par des
exemples, et j’ai lieu de me promettre qu’elle vous fournira seule toutes les
occasions qui peuvent rendre ma recommandation plus utile audit sieur de
Montaigu auprès de vous. (Louis  XIV, Au roi d’Angleterre. Versailles,
31 mars 1672. Grimoard et Grouvelle, V).
Je ne puis m’empêcher de lui témoigner par cette lettre qu’elle me
donnerait une grande preuve de la considération qu’elle veut bien avoir
pour moi, si elle agréait de lui épargner le voyage de Madère.
Lettre de sollicitation de grâce adressée à l’ancienne reine du Portugal,
née Savoie-Nemours (elle avait épousé le frère de son mari, l’infant Pedro),
pour le comte de Castelmelhor, ancien favori d’Alphonse VI, qui mena une
vie d’aventurier européen entre Turin et Londres après la chute de ce roi
dont il avait gouverné l’esprit diminué. C’est sous le gouvernement effectif
de Castelmelhor que Louis XIV avait soutenu l’indépendance du Portugal
au détriment de l’Espagne. Le style de la lettre offre un exemple de brièveté
élégante appropriée au sujet. Madame ma sœur, à moins d’une confiance
extrême en l’amitié de V. M., je n’entreprendrais pas de lui demander une
nouvelle grâce pour le comte de Castelmelhor ; mais je ne puis m’empêcher
de lui témoigner par cette lettre qu’elle me donnerait une grande preuve de
la considération qu’elle veut bien avoir pour moi, si elle agréait de lui
épargner le voyage de Madère, et d’obtenir qu’on le laissât mener une vie
privée en tel lieu de Portugal qu’on lui prescrirait pour retraite. V.  M.
excusera s’il lui plaît cet office, comme venant d’une personne qui est avec
des sentiments fort peu communs, etc. (Louis XIV, À la reine de Portugal.
Au camp de Kievrain, 3 juillet 1676. Grimoard et Grouvelle, V)
N’ayant pas accoutumé de contester avec les dames, si ce n’est de
civilité.
Lettre de réconciliation avec une reine  : Christine de Suède, établie à
Rome après son abdication et qui avait indisposé le roi durant l’affaire des
gardes corses. Madame ma sœur, n’ayant pas accoutumé de contester avec
les dames, si ce n’est de civilité, aussitôt que j’ai vu, dans une lettre que le
secrétaire de vos commandements a écrite ici, les sentiments obligeants que
V. M. a pour moi, et à quel point elle souhaite le rétablissement de notre
amitié, je me suis disposé avec joie à lui témoigner par ces lignes que je ne
le désire pas moins qu’elle, et même que, sans façon et sans autre formalité,
cette amitié est déjà toute rétablie de ma part. (Louis  XIV, À  la reine
Christine. Paris, 2 octobre 1665. Grimoard et Grouvelle, V)
Je ne puis pas douter de la considération, de la douceur et de l’amitié
que vous pouvez attendre de lui.
Lettre de bons offices pour contribuer à la survie d’un couple princier qui
bat de l’aile : celui du grand-duc de Toscane Cosme III et de sa femme, née
Marguerite Louise d’Orléans. Ma Cousine, votre seule considération
pouvait m’obliger à faire à mon cousin le prince de  Toscane tout le
favorable traitement qu’il a reçu de moi. Mais à ce qu’il m’a paru de ses
qualités personnelles, je n’aurais pu le refuser à son propre mérite : surtout
il m’a plu, quand lui témoignant les tendresses que j’ai pour vous, il s’est
expliqué d’une manière qui entrait si bien dans mes sentiments, que je ne
puis pas douter de la considération, de la douceur et de l’amitié que vous
pouvez attendre de lui. Je vous conjure, de votre côté, d’y répondre comme
vous devez, pour bien vivre avec lui, et pour m’engager à vous aimer de
plus en plus. Elle le quittera six ans plus tard. (Louis XIV, À la princesse
de  Toscane. Saint-Germain-en-Laye, 29  octobre 1669. Grimoard et
Grouvelle, V)
La simplicité du présent doit vous prouver que je n’ai pas voulu qu’il
ait rien au-delà de ce qu’il contient en lui, et ainsi rien au-dessus du
prix que vous y mettrez.
Lettre pour accompagner l’envoi d’un portrait du roi au prince
de  Vaudémont  : le prince Charles-Henri, fils légitimé de Charles  IV de
Lorraine, gouverneur du Milanais au nom du roi d’Espagne défunt,
reconnut la souveraineté de Philippe V et le reçut magnifiquement lors de
son passage à Milan en juin 1702. Ce ralliement valait bien un geste du roi
de France. Louis  XIV a la délicatesse de ne pas envoyer un présent
somptueux qui aurait semblé vouloir enchaîner la reconnaissance du
récipiendaire envers la France et sa cause : Vaudémont avait jusqu’alors
servi l’Empire. Si les occasions de récompenser vos services sont plus rares
que je ne souhaiterais, je vais au moins, en attendant qu’elles se présentent,
vous donner quelques marques de l’estime et de l’affection particulière que
j’ai pour vous. Conservez le portrait que je vous envoie comme une
assurance de mes sentiments. La simplicité du présent doit vous prouver
que je n’ai pas voulu qu’il ait rien au-delà de ce qu’il contient en lui, et ainsi
rien au-dessus du prix que vous y mettrez. (Louis  XIV, Au prince
de Vaudémont en lui envoyant son portrait. 1702. Grimoard et Grouvelle,
VI)
Nous acceptons, en faveur de notre petit-fils le duc d’Anjou, le
testament du feu roi Catholique.
Voici, pour finir cette rubrique, la lettre qui eut sans doute la plus grande
répercussion sur le destin du roi et du royaume, qui engagea l’Europe dans
treize ans de guerre, faillit entraîner l’invasion de la France et détermina le
destin du trône ibérique jusqu’aujourd’hui encore. Elle fut peut-être écrite à
plusieurs mains, mais celle du roi dut y être majeure. Elle fut assurément
méditée, scrutée, remaniée et éprouvée, mais au total elle coule avec
naturel et une manière de simplicité dans la grandeur qui résume bien
l’ensemble de celles que Louis XIV écrivit ou dicta si nombreuses toute sa
vie durant. Le marquis de  Castel dos Rios nous a remis les clauses du
testament, contenant l’ordre et le rang des héritiers appelés à la succession,
et les sages dispositions pour le gouvernement du royaume jusqu’à l’arrivée
ou la majorité du successeur. La sensible douleur que nous avons de la perte
d’un prince dont les qualités et les liaisons du sang nous rendaient l’amitié
si chère est infiniment augmentée par les marques touchantes qu’il nous
donne à sa mort, de sa justice, de son amour pour des sujets fidèles, et de
son attention à maintenir, même au-delà de la vie, le repos général de la
chrétienté. Pour répondre à l’entière confiance qu’il nous a témoignée, nous
nous conformons entièrement à ses dernières volontés, et tous nos soins
tendront désormais à rétablir, par une paix inviolable, la monarchie
d’Espagne dans son ancienne splendeur. Nous acceptons, en faveur de notre
petit-fils le duc d’Anjou, le testament du feu roi catholique. Notre fils
unique le Dauphin l’accepte aussi ; il abandonne sans regret les justes droits
de la feue reine sa mère, reconnus incontestables par les différents ministres
d’État et de justice consultés par le testateur. Loin de se réserver aucune
partie de la monarchie, il sacrifie ses propres intérêts au duc d’Anjou, que la
volonté du feu roi et la voix de ses peuples appellent. Nous le ferons partir
incessamment, pour donner au plus tôt à des sujets fidèles la consolation de
recevoir un roi, bien persuadé que son premier devoir doit être de faire
régner avec lui la justice et la religion, de s’appliquer uniquement du [sic]
bonheur de son État, de connaître et de récompenser le mérite, et de s’en
servir dans ses conseils, dans ses armées, et dans les différents emplois de
l’Église et de l’État. Nous l’instruirons de ce qu’il doit à sa gloire, et encore
plus de ce qu’il doit à une nation également brave et éclairée, toujours
fidèle à ses maîtres. Nous l’exhorterons à se souvenir de sa naissance et de
qui il est fils, mais encore plus de qui il est roi. Il aimera son pays, mais
seulement pour maintenir la bonne intelligence, si nécessaire au repos
commun de nos sujets et des siens. Cette paix a toujours été le principal
objet de nos vœux ; et si les malheurs des temps ne nous ont pas permis de
nous livrer à ces sentiments, nous sommes persuadés que ce grand
événement va changer l’état des choses  ; en sorte que chaque jour nous
offrira de nouvelles occasions de montrer à tout l’univers, notre estime et
notre bienveillance pour toute la nation espagnole. (Louis XIV, À la régence
d’Espagne. Versailles, 12 novembre 1700. Grimoard et Grouvelle, VI).
LE GÉNIE DE L’APPROPRIATION

►  Les élégances de la bienséance


Ils feront tout ce que des gens de bien comme eux doivent faire pour
déconcerter tous ceux, de quelque qualité qu’ils soient, qui sont mêlés
dans un si vilain commerce.
L’affaire des poisons manqua salir à jamais la cour. Elle en renvoya une
image si sombre que son développement qui paraissait sans bornes pensa
renverser la constance de Louis XIV, en balayant le principe du secret, le
respect des hiérarchies, le gouvernement des apparences. Elle éclata
pendant la campagne de 1676, le roi étant éloigné de Paris, ce qui
l’empêcha d’en orienter le flux naissant, quelque soin qu’il en prît. On
croirait volontiers que, dans ces conditions, l’élégance de l’écriture
compense l’impossibilité de canaliser tout ce que Mme  de  Brinvilliers
révélait de son « vilain commerce ». Sur l’affaire de Mme de Brinvilliers, je
crois qu’il est important que vous disiez au premier président et au
procureur général, de ma part, que je m’attends qu’ils feront tout ce que des
gens de bien comme eux doivent faire pour déconcerter tous ceux, de
quelque qualité qu’ils soient, qui sont mêlés dans un si vilain commerce.
Mandez-moi tout ce que vous pourrez en apprendre. On prétend qu’il y a de
fortes sollicitations et beaucoup d’argent répandu. (Louis XIV, À Colbert.
Au camp de Kievrain, 28 juin 1676. Grimoard et Grouvelle, V)
J’ai cru qu’il était de mon affection pour vous et de la sincérité si
exacte que je garde dans toutes mes actions et dans mes paroles, de
faire connaître particulièrement mes sentiments à V.  M. dans la
conjoncture présente.
Pour mesure de la situation de constante représentation que requiert la
fonction royale, voici deux versions d’un même fait sous la plume
autographe du roi : prenant ombrage et concevant de l’inquiétude devant la
politique conquérante de Louis  XIV durant la guerre de Hollande,
l’empereur Léopold Ier associé à l’électeur de Brandebourg projette
d’opérer une diversion pour soulager les Hollandais assaillis. Louis  XIV
écrit à ce sujet deux courriers simultanés, l’un à l’empereur qu’il charge
son ambassadeur de lui remettre, pour feindre qu’il tâche de négocier et de
le circonvenir, et l’autre à Turenne, généralissime effectif sinon officiel de
ses armées, où il prend les dispositions appelées par le projet de Léopold
qu’il sait engagé. Monsieur mon frère et très aimé cousin, bien que l’amitié
si étroite qui est entre nous, et la juste confiance que je dois prendre dans
les liaisons réciproques, sur lesquelles nous avons pris soin de l’affermir,
me dussent faire ajouter peu de foi aux bruits qui mêlent le nom de V. M.
dans les mesures que l’on suppose se former dans l’Empire contre mes
intérêts ou contre ceux de mes alliés, j’ai cru qu’il était de mon affection
pour vous et de la sincérité si exacte que je garde dans toutes mes actions et
dans mes paroles, de faire connaître particulièrement mes sentiments à
V.  M. dans la conjoncture présente  ; c’est ce dont je charge le chevalier
de  Grémonville  ; et je ne doute point que, lorsqu’il aura encore fait
connaître à V. M. combien je continue à observer religieusement les traités
d’Aix-la-Chapelle et ceux de Westphalie, quelle est toujours mon intention
de maintenir le repos de l’Empire, même d’en procurer les avantages dans
la guerre que j’ai été obligé d’entreprendre sur ses frontières, surtout
lorsqu’il lui fera voir ma fidélité inviolable pour tous les concerts qu’il a
établis en mon nom avec V.  M., il ne dissipe aisément les impressions
contraires que l’on se serait efforcé de lui donner, et que V. M. ne connaisse
que ceux qui voudront altérer la bonne intelligence qui est entre nous, se
peuvent dire non seulement nos ennemis communs, mais ennemis du repos
et de la tranquillité publics. (Louis XIV, À l’empereur Léopold Ier. Saint-
Germain-en-Laye, 7 août 1672. Grimoard et Grouvelle, III)
Mon intention est que vous attendiez que l’électeur de Brandebourg,
ou les troupes de l’empereur, en aient commencé quelqu’un [un acte
d’hostilité] contre mes alliés, auparavant que d’en faire contre les pays
qui leur appartiennent.
Et voici maintenant, côté coulisses, la version, sinon sans apprêts, du
moins appropriée à la personne, au rang, au rôle de Turenne et à la
confiance du roi en lui. Mon Cousin, les nouvelles que j’ai depuis peu
reçues de Vienne et de Berlin ne me donnent aucune espérance qu’on
puisse, par voie de négociation, détourner l’empereur et l’électeur de
Brandebourg, de faire joindre leurs troupes et de les faire avancer sur le
Rhin. Je vous fais cette lettre pour vous en donner avis, et vous dire que, ne
voulant pas que les princes de l’Empire aient aucun sujet de se plaindre que
j’y ai fait le premier aucun acte d’hostilité, mon intention est que vous
attendiez que l’électeur de Brandebourg, ou les troupes de l’empereur, en
aient commencé quelqu’un contre mes alliés, auparavant que d’en faire
contre les pays qui leur appartiennent. (Louis  XIV, Au maréchal
de Turenne. Versailles, 12 septembre 1672. Grimoard et Grouvelle, III) Un
courrier au même, un mois plus tard, lui enjoindra, devant la mauvaise
qualité des troupes impériales, de faire au contraire contre ces troupes
toutes sortes d’actes d’hostilités pour les battre, de façon que le roi puisse
tirer de cette victoire un parti opportun dans la conjoncture présente.
Il pourrait arriver que j’aurais besoin des deux millions de livres.
À présent, un tout autre parallèle, mais non moins significatif : à la mi-
septembre 1661, une semaine après l’arrestation de Fouquet qui tenait les
finances de l’État à sa manière, Louis XIV a besoin de deux millions de
livres (le revenu net de la France est d’un peu moins de soixante millions
par an, sa dépense d’un peu plus : la somme n’est donc pas petite). Le roi
se tourne vers Philippe Mancini, duc de Nevers, neveu de Mazarin, qui a
beaucoup à se faire pardonner et craint même de passer pour un obligé du
surintendant foudroyé. Le ton du quémandeur est presque cassant : c’est
celui de l’ordre auquel on n’oppose pas de refus. Mon Cousin, après avoir
fait arrêter le surintendant de mes finances comme vous avez su que j’ai
fait, il pourrait arriver que j’aurais besoin des deux millions de livres que
m’avez offert de me prêter ; et comme je ne doute point que je n’en puisse
faire état, je vous dépêche ce courrier exprès, pour vous mander que vous
me ferez plaisir de donner ordre à vos gens d’affaires de fournir cette
somme, à mesure que je jugerai à propos de m’en servir, et suivant ce que je
leur ordonnerai. (Louis  XIV, Au duc de Mazarin. Fontainebleau,
13 septembre 1661. Grimoard et Grouvelle, V)
Soyez persuadé que l’estime que j’ai pour votre personne vous met à
couvert dans mon esprit de toutes ces bassesses-là.
Le « cousin » s’exécute et, un mois et demi plus tard, le remerciement lui
parvient dans un tout autre registre. Mon Cousin, j’ai vu tout ce que vous
m’avez écrit, et le sieur Colbert m’a rendu compte aussi du détail de
l’exécution des offres que vous m’aviez faites. Après m’avoir témoigné
votre zèle de si bonne grâce dans le cours de cette affaire, vous ne pouviez
pas achever avec plus de ponctualité ; je vous avoue que j’en ai une entière
satisfaction, et je vous assure derechef que j’embrasserai avec plaisir toutes
les occasions de vous en donner des marques. L’explication des vingt mille
écus que l’homme dont vous me parlez vous a fait payer [il s’agit de
Fouquet, ce qui est très embarrassant pour le duc de Nevers], et de l’argent
qu’il vous a prêté depuis, est très superflue à mon égard, vous connaissant
trop bien pour vous croire du nombre de ses pensionnaires ; soyez persuadé
que l’estime que j’ai pour votre personne vous met à couvert dans mon
esprit de toutes ces bassesses-là. (Louis  XIV, Au duc de Mazarin.
Fontainebleau, 27 octobre 1661. Grimoard et Grouvelle, V)
Dans l’excès de faveurs du Ciel, où j’aurais été ravi d’ouvrir mon
cœur à ce grand homme, je veux, pour ma satisfaction, vous
communiquer ma joie.
Et cinq jours plus tard, le duc de  Nevers reçut à l’occasion de la
naissance du Dauphin une lettre à la fois cérémonieuse et chaleureuse, qui
marquait une haute considération et une familiarité débordante de joie. Il
tint la missive des mains du messager qu’il traita avec la pompe d’un
monarque accueillant un ambassadeur. Mon Cousin, vous portez le nom
d’une personne qui a trop contribué au bonheur de mon mariage [Mazarin],
pour ne me souvenir pas de vous lorsque la bonté divine m’en fait recueillir
les fruits et commencer par un Dauphin. Dans l’excès de faveurs du Ciel, où
j’aurais été ravi d’ouvrir mon cœur à ce grand homme, je veux, pour ma
satisfaction, vous communiquer ma joie, et que vous soyez son héritier
encore en cette occasion. Je me réjouis donc avec vous de cette grâce la
plus complète que je pouvais désirer, ainsi que le sieur de Coye, secrétaire
de mon cabinet, que je vous dépêche exprès, vous dira plus en détail.
(Louis  XIV, Au duc de Mazarin. Fontainebleau, 1er  novembre 1661.
Grimoard et Grouvelle, V)
Je ne doute point que vous ne profitiez de l’avis que je vous donne, et
que vous ne reconnaissiez que vous m’êtes d’autant plus obligé de cette
marque de ma bienveillance, qu’il y a peu d’exemples de rois qui en
aient usé de la sorte.
Parfois, la dénivellation de ton est interne à une même lettre. C’est le cas
avec le duc de Beaufort, que son indiscipline, sa fougue inconséquente et
son incapacité arrogante conduisent à prendre des initiatives incongrues
pour s’affranchir de toute lisière qu’on tente de mettre à ses foucades. Sa
naissance (il est petit-fils d’Henri IV par main gauche) amène le roi à faire
précéder, en un parallélisme un peu bizarre, une avalanche de reproches
par une avalanche de compliments, anticipant le vers de Molière dans
Amphitryon  : «  Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule.  » Comme mon
intention est de vous confier toujours le commandement de mes armées de
mer, lesquelles j’ai dessein de rendre plus considérables que celles de tous
les rois mes prédécesseurs, je ne puis que je ne souhaite de vous voir de
plus en plus capable de me servir, par l’augmentation des talents que vous
possédez pour cet effet, et par la cessation des défauts qu’il peut y avoir
dans votre conduite, n’y ayant point d’homme si parfait qui ne manque en
quelque chose. Je vous dirai donc que j’ai une entière satisfaction de la
chaleur avec laquelle vous vous appliquez en toutes rencontres, à vous
mettre en état de faire quelque action qui puisse me plaire ; que j’approuve
fort la manière dont vous avez agi dans votre navigation, et même que j’ai
fort estimé et la prompte résolution que vous prîtes d’entrer dans la Manche
et les ordres que vous donnâtes dans les places maritimes et le long de la
côte ; que j’ai considéré ce qui s’est passé dans une conjoncture si délicate,
non seulement comme une suite du bonheur dont il plaît à Dieu
d’accompagner mes armes, mais aussi comme un effet de votre fermeté et
de votre zèle pour ma gloire  ; qu’enfin, sans m’arrêter à l’obligation
indispensable d’un vaisseau portant mon pavillon, de régler sa diligence sur
celle des navires qu’il conduit, à moins qu’il soit contraint par la tempête
d’en user autrement, je veux rejeter toute la faute des quatorze vaisseaux
qui vous quittèrent dans votre route sur ceux qui les commandaient et croire
que vous avez fait ce qui dépendait de vous pour leur donner lieu de tous
rejoindre ; mais après vous avoir rendu justice sur ce qui mérite approbation
ou excuse, il est bon de vous avertir de ce qui est à corriger. Et après une
liste impressionnante de griefs : Je ne doute point que vous ne profitiez de
l’avis que je vous donne, et que vous ne reconnaissiez que vous m’êtes
d’autant plus obligé de cette marque de ma bienveillance, qu’il y a peu
d’exemples de rois qui en aient usé de la sorte. (Louis  XIV, Au duc de
Beaufort. Saint-Germain-en-Laye, 30 octobre 1661. Grimoard et Grouvelle,
V)
Je ne sais si celui-ci vous serait agréable, s’il avait la commission de
l’autre.
Pour mesure de cet effet de parallèle, voici un passage, assez pittoresque,
des reproches adressés au duc de Beaufort dans la même lettre à partir
d’une anatomie minutieuse de sa conduite et de son caractère. Il semble
que vous avez peine à souffrir que les officiers qui sont sous votre autorité
fassent les fonctions de leurs charges, et principalement les intendants,
comme si votre but était de les rendre inutiles, et les frustrer de l’avantage
de mériter par leurs services. Vous savez que vous n’avez pu vous
accommoder du sieur de Laguette, et je l’ai rappelé par cette raison. Le
sieur d’Infreville que j’ai mis en sa place, tout consommé qu’il est dans les
choses de son emploi, n’a pas mieux réussi avec vous ; il est vrai qu’en
même temps que vous ne l’avez pu souffrir, pour déguiser cette
incompatibilité, vous avez fort relevé la suffisance du sieur Arnoult ; mais
je ne sais si celui-ci vous serait agréable, s’il avait la commission de l’autre.
Vous avez aussi été bien aise que Brodard ne s’embarquât pas sur mon
armée navale, pour vous délivrer encore de ce qui pouvait porter le nom ou
avoir quelque fonction ou apparence d’intendant. Et lorsque le roi lui a
ordonné de prendre à son bord l’intendant Colbert du Terron, qui est en
poste à La Rochelle, le duc a imaginé de préférer par cette seule raison
Brest à La Rochelle pour mouillage de la flotte. Par le même principe vous
avez fort exagéré la bonté du port de Brest, sans l’avoir jamais vu ; vous
avez été d’avis que ledit Terron demeurât à la Charente, sous prétexte d’y
envoyer le tiers de mes vaisseaux, pour y désarmer à votre retour, et de
fournir au port de Brest ce qui vous serait nécessaire ; […]. Quand vous êtes
arrivé à Brest, vous n’avez plus parlé d’envoyer aucun vaisseau dans la
Charente, pour les retenir tous sous votre main. Vous avez fort relevé
l’habileté du sieur de Seuil, afin de persuader qu’il était bon de laisser le
sieur du Terron à la Rochelle, et que ledit Seuil était capable de faire le
travail de Brest, dans la confiance que celui-ci ne vous empêcherait en rien.
J’ai été bien aise de m’étendre sur toutes ces particularités, pour vous faire
voir qu’il est inutile de se cacher de moi. À  renard, renard et demi.
(Louis XIV, Au duc de Beaufort. Saint-Germain-en-Laye, 30 octobre 1661.
Grimoard et Grouvelle, V)
Pour ne commettre pas la réputation de mon armée.
La recherche à tout prix de la gloire ne doit pas faire négliger cette vertu
majeure des guerres longues qu’est la patience d’attendre le moment
opportun. Ce que Louis  XIV rappelle en termes d’une noble élégance et
d’une calme grandeur au duc de Luxembourg, futur maréchal. J’attends de
votre affection pour mon service que vous profiterez de toutes les occasions
d’agir utilement qui se présenteront, et surtout dans le temps que les choses
seront disposées comme elles le sont ; mais conduisez-vous de manière que
l’envie que vous aurez eue de faire une entreprise ne vous porte pas à rien
faire qui n’ait quelque vraisemblance de succès, pour ne commettre pas la
réputation de mon armée. (Louis XIV, Au duc de Luxembourg. Verberle,
22 décembre 1672. Grimoard et Grouvelle, III)
Vous trouverez cette lettre en grand désordre.
Rhétorique de l’urgence : le style dit « coupé » reflète la précipitation de
la rédaction, « à une heure après minuit » (on est à la fin de la première
année de la guerre de Hollande, pendant un des sièges que subira
Charleroi et qui tracasse Louis XIV). Le roi déplore le désordre de sa lettre,
mais en tire un effet oratoire : à la guerre comme à la guerre, semble-t-il
dire. Vous trouverez cette lettre en grand désordre ; mais elle ne peut pas
être autrement, répondant aux articles des vôtres qui demandent réponse,
que je fais à mesure qu’elles sont déchiffrées, et qu’on me les apporte pour
ne pas perdre de temps, afin que vous soyez pleinement instruit de mes
intentions. (Louis  XIV, Au marquis de Louvois. Verberie, 23  décembre
1672, à une heure après minuit. Grimoard et Grouvelle, III)
Comme […] j’ai bien voulu préférer votre santé à mon service, je
m’assure aussi qu’aux occurrences elle ne sera pas épargnée pour me
témoigner votre zèle.
L’art de ménager un balancement élégant entre liberté obtenue et
contrainte annoncée, enveloppé dans un compliment, fait le sel de ce billet
en réponse au cardinal de Retz, qui avait été autorisé à quitter Rome pour
rentrer chez lui à Commercy se soigner. Outre l’intérêt que je prends à votre
guérison, par principe de bienveillance, vous me serviez si bien à Rome,
que j’aurai beaucoup de satisfaction de vous savoir bientôt en état d’y
retourner en cas de besoin. Comme en vous permettant d’en partir, j’ai bien
voulu préférer votre santé à mon service, je m’assure aussi qu’aux
occurrences [i.e. en cas de besoin] elle ne sera pas épargnée pour me
témoigner votre zèle. (Louis XIV, Au cardinal de Retz. Saint-Germain-en-
Laye, 12 novembre 1666. Grimoard et Grouvelle, V)
J’ai trouvé à propos, outre [la lettre] qui est de ma main, de vous en
envoyer une qui n’en fût pas, afin que vous puissiez rendre celle qu’il
conviendra.
La distinction entre la lettre autographe et la lettre simplement dictée à un
secrétaire imitant la graphie (voire la signature) du roi est à plusieurs
reprises alléguée dans la correspondance de Louis XIV comme marque de
l’importance qu’il attribue à certains courriers. En 1667, un échange de
lettres transite par la reine-mère d’Angleterre, Henriette de France, retirée
au couvent de la visitation à Chaillot, où elle sert d’intermédiaire discret
dans les négociations secrètes entre son fils Charles II et Louis XIV : à la
mi-avril, dans le cadre de cette médiation épistolaire, un scrupule prend
Louis XIV qui a rédigé un courrier autographe destiné à la reine et ordonné
à Lionne par un billet rapide de le remettre en mains propres à celle-ci.
Depuis ce billet, ayant considéré que peut-être la lettre du roi d’Angleterre à
la reine sa mère n’est pas écrite de sa main, j’ai trouvé à propos, outre celle
qui est de ma main, de vous en envoyer une qui n’en fût pas, afin que vous
puissiez rendre celle qu’il conviendra, pour en user comme ledit roi aura
fait. (Louis XIV, À M. de Lionne. Saint-Germain-en-Laye, 18 avril 1667.
Grimoard et Grouvelle, V)
►  L’art du compliment
Comme vous vous en êtes fait un ingénieux prétexte […] je souhaite
aussi qu’il y ait lieu de m’en faire une occasion.
Réciprocité de compliments entre orfèvres en élégance de pensée et de
style. Madame la marquise de La Fayette, j’entendrai volontiers ce que le
père de La Chaise me proposera de votre part sur l’abbaye dont vous me
parlez, et comme vous vous en êtes fait un ingénieux prétexte pour me
pouvoir féliciter du bonheur de cette campagne, je souhaite aussi qu’il y ait
lieu de m’en faire une occasion de vous témoigner que ce compliment ne
m’a pas été désagréable. (Louis  XIV, À  la marquise de  La  Fayette.
Dunkerque, 27  avril 1677. Grimoard et Grouvelle, V). NB. Le comté
de  La  Fayette ayant été érigé en marquisat pour René-Armand
Motier  de  La  Fayette, fils du comte François et de la comtesse née
Pioche  de  La  Vergne (auteur de La Princesse de  Clèves), la première
marquise de La Fayette fut Marie-Madeleine de Marillac que René-Armand
épousa le 12 décembre 1689. La date attribuée à la lettre par les éditeurs
semble donc douteuse.
Outre qu’une perte si considérable m’est très sensible par elle-même,
je sens encore plus que personne votre propre affliction.
En 1672, lors du passage du Rhin, le duc de Longueville perd la vie, par
son impétuosité et son désir de gloire intempestif. Louis XIV écrit, avec une
semaine de retard, un mot de condoléances à la duchesse sa mère, illustre
frondeuse devenue un modèle de piété et une protectrice efficace du
jansénisme. Ma cousine, l’extrême déplaisir que j’ai de la mort de mon
cousin le duc de Longueville, et la crainte de vous donner une si mauvaise
nouvelle, ne m’ont pas permis de vous rendre plus tôt ce que l’amitié et la
parenté désiraient de moi en cette rencontre. J’y satisfais maintenant, en
vous assurant par cette lettre, qu’outre qu’une perte si considérable m’est
très sensible par elle-même, je sens encore plus que personne votre propre
affliction, et que je voudrais de tout mon cœur pouvoir la soulager. Ma
consolation est de croire que Dieu ne vous refusera pas celle que votre piété
mérite. (Louis  XIV, À  la duchesse de  Longueville. Au camp devant
Doesbourg, 20 juin 1672. Grimoard et Grouvelle, III)
Je vous assure qu’on n’en peut pas être plus touché que je le suis.
Voici un autre témoignage de cette sympathie cérémonieuse : celui que le
roi adresse le même jour au maréchal du Plessis-Praslin dont un fils venait
d’être tué devant Arnheim après plusieurs de ses frères. Mon Cousin, je
voudrais pouvoir vous faire réponse avec la même joie que vous m’avez
écrit sur le bonheur de mes armes ; mais ce qu’il vous coûte ne le permet
pas. S’il vous est de quelque consolation de savoir la part que je prends à la
perte que vous avez faite, je vous assure qu’on n’en peut pas être plus
touché que je le suis. Je prie Dieu qu’il vous donne la même force pour
soutenir cette dernière épreuve de votre vertu, qu’il vous a donnée déjà plus
d’une fois en de pareilles occasions. (Louis XIV, Au maréchal du Plessis-
Pralin. Au camp devant Doesbourg, 20 juin 1672. Grimoard et Grouvelle,
III)
Bonjour.
Chaque lettre est dosée dans son tour, son style, ses formules, en fonction
des circonstances, du loisir du roi et du statut de son correspondant. Après
la prise de Besançon en 1674, Colbert adresse au roi une lettre d’éloge
dithyrambique, poussant jusqu’au parallèle héroïque. César prit la ville, et
s’en glorifia dans ses ouvrages. […] et V. M. prend cette citadelle en vingt-
quatre heures. Il faut, Sire, se taire, admirer, remercier Dieu tous les jours,
de nous avoir fait naître sous le règne d’un roi tel que V. M., qui n’aura
d’autres bornes de sa puissance que celles de sa volonté. J’ai expédié des
ordres pour le Te Deum, qui sera chanté aujourd’hui, et je puis assurer V. M.
que toute cette ville est en joie et en réjouissance. La réponse de Louis XIV,
en marge de la missive dithyrambique, est plus laconique et désinvolte. Je
ne doute nullement que vous n’ayez beaucoup de joie de l’heureux succès
que j’ai eu à Besançon. Je suis très aise de la joie publique. Bonjour.
(Louis XIV, réponse en marge d’une lettre de Colbert, Paris, 26 mai 1674.
Grimoard et Grouvelle, III)
Cependant vous devez toujours être assuré de mon amitié.
Voici en revanche la réponse sur le même sujet et au même moment
adressée au prince de Condé : la complaisance familière envers le proche
parent s’y mêle à l’attente du conquérant envers le plus illustre capitaine de
ses armées. Mon Cousin, je n’ai pas de peine à croire ce que vous
m’écrivez de votre joie pour la prise de Besançon, sachant combien ma
gloire vous touche. J’espère que nous ne serons plus longtemps sans avoir
de votre côté des succès qui ne contribueront pas moins à la réputation de
mes armes. J’attends avec impatience des nouvelles de l’entreprise que vous
aurez formée pour cet effet. Cependant [i.e. pendant ce temps] vous devez
toujours être assuré de mon amitié. (Louis XIV, Lettre au prince de Condé.
Au camp de Chavans, près Dôle, le 7 juin 1674. Grimoard et Grouvelle, III)
Vous ne pouviez me donner une plus agréable nouvelle que celle de la
levée du siège que les Hollandais avaient mis devant le château de
Bellîle [sic].
Une lettre de Louis XIV au duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne, à
l’occasion de la levée du siège de Belle-Île par les efforts des
gentilshommes bretons, offre un exemple de dosage parfait des
congratulations et des louanges tour à tour honorant l’informateur, qui
commande en chef dans la province, se félicitant de l’information qu’il a
transmise, et lui demandant de transmettre les félicitations royales à ceux
qui non certes agirent seuls mais contribuèrent à l’action avec le plus
d’efficacité et en la dirigeant. Bel exercice de pertinence et de pondération.
Mon Cousin, vous ne pouviez me donner une plus agréable nouvelle que
celle de la levée du siège que les Hollandais avaient mis devant le château
de Bellîle [sic]. J’en ai vu le détail dans votre lettre avec grande satisfaction,
et du succès en soi et de ce que le marquis de Coëtlogon et le sieur de la
Logerie y ont contribué. Vous leur témoignerez de ma part le gré que je leur
en sais, et continuerez à pourvoir avec la même activité et la même
vigilance à la sûreté de votre gouvernement ; à quoi étant persuadé qu’il
n’est pas besoin de vous exciter, il ne me reste qu’à prier Dieu, etc.
(Louis  XIV, Au duc de Chaulnes. Versailles, 7  juillet 1674. Grimoard et
Grouvelle, III)
Je ne puis remettre jusqu’à son départ ces marques de ma joie, pour
le mémorable avantage que vous avez remporté sur les ennemis.
Lors de la bataille de Seneffe où le prince de Condé affronta Guillaume
d’Orange pour un succès indécis (Ce ne fut qu’un carnage, écrira Voltaire),
Louis  XIV félicite directement et en termes enthousiastes son cousin (au
sens propre, celui-là) de son mémorable avantage. Et c’est en membre de
leur famille qu’il s’inquiète du danger (très réel) couru par le prince et son
fils le duc d’Enghien. Peut-être cette proximité de sang, peut-être la
réputation d’héroïsme de Condé (le héros de Rocroi  !) s’ajoutant aux
qualités de stratège hors pair qu’il partageait avec Turenne, peut-être la
taille de l’adversaire (Guillaume d’Orange à la tête d’une armée hispano-
austro-néerlandaise), peut-être la nécessité de crier victoire parce que
l’issue avait été indécise (mais Louis  XIV à peine informé de première
bouche le savait-il ?), sans doute aussi le fait que cette lettre s’adresse à
l’artisan de la victoire et non, comme la précédente, au responsable qui n’a
fait qu’en superviser l’organisation, sont-ils cause de cette exaltation
stylistique. Mon Cousin, bien que le sieur de Briord soit sur le point de s’en
retourner auprès de vous, je ne puis remettre jusqu’à son départ ces marques
de ma joie, pour le mémorable avantage que vous avez remporté sur les
ennemis, au combat de Seneff. Je ne m’en réjouis pas seulement par la
considération de la gloire de mes armes et du bien de mon service  ; le
nouvel éclat que cet important succès ajoute à votre réputation n’est pas
moins sensible à l’amitié que j’ai pour votre personne. L’unique chose qui
me fait peine est la grandeur des périls où vous et mon cousin le duc
d’Enghien avez été continuellement exposés durant une si longue et si
meurtrière occasion  ; mais je me promets qu’à l’avenir vous aurez plus
d’égard, l’un et l’autre, à un sang qui m’est cher, et qui fait partie du mien.
Cependant vous me ferez plaisir de témoigner à tous les officiers généraux
et particuliers qui vous ont si bien secondé, qu’il ne se peut rien ajouter à la
satisfaction que j’ai de leurs services, en ayant appris le détail, et par le récit
du sieur de Briord et par les relations écrites, avec une estime qui ne me
permettra jamais de les oublier, ni de perdre la moindre occasion d’en
récompenser le mérite. (Louis XIV, Au prince de Condé. À Versailles, le
16 août 1674. Grimoard et Grouvelle, III)
Je veux bien vous écrire le premier, pour me réjouir avec vous de cet
important succès, et même pour vous féliciter de la gloire que vous y
avez acquise.
Mieux, Louis XIV devance la lettre attendue du duc d’Enghien, pour le
congratuler et le féliciter en propre, non certes de la victoire, puisqu’elle a
été remportée par son père, mais de la gloire qu’il y a acquise par ses
exploits extraordinaires. Cette initiative épistolaire est un signe de rare
distinction dont le roi souligne discrètement le caractère honorifique. Mon
Cousin, je n’ai point reçu de vos lettres sur le combat de Seneff, mais je
veux bien vous écrire le premier, pour me réjouir avec vous de cet
important succès, et même pour vous féliciter de la gloire que vous y avez
acquise. Croyez qu’on ne peut pas être plus touché que je le suis, de tant de
différentes louanges que vous avez méritées, et surtout plus persuadé que
l’amitié que vous avez pour moi n’est pas le moindre motif qui vous ait
porté à faire les choses extraordinaires que vous avez faites en cette
occasion. (Louis  XIV, Au duc d’Enghien. Versailles, 16  août 1674.
Grimoard et Grouvelle, III)
J’aurais peine à vous exprimer la satisfaction que j’ai de votre
dernière victoire.
Après la bataille d’Entzheim, le 4  octobre suivant, dont le résultat fut
aussi incertain que celui de la bataille de Seneffe, Turenne à son tour reçoit
des congratulations enthousiastes pour sa victoire. À croire que Louis XIV
congratule ses généraux pour leurs faits d’armes à proportion inverse de
l’évidence de leur succès. J’aurais peine à vous exprimer la satisfaction que
j’ai de votre dernière victoire ; il suffit de vous dire que je sais tout ce qui
s’est fait à Molsheim [bourg voisin d’Entzheim dont cette «  victoire  »
préférera prendre le nom], et que je connais mieux que personne le mérite
d’une action si glorieuse à mes armes, si avantageuse à mes affaires, et de si
bon augure pour le reste de votre campagne. Au surplus, soyez assuré de la
continuation de mon amitié. (Louis  XIV, Au maréchal de  Turenne.
Versailles, 16 août 1674. Grimoard et Grouvelle, III)
Je vous rends, Madame, un triste service.
Au tout début de 1689, la reine d’Angleterre, épouse de Jacques II chassé
dans son royaume par Guillaume d’Orange allié aux anglicans, se réfugie
en France, avec le mince espoir que le secours de Louis XIV permettra au
monarque catholique de retrouver bientôt son trône (ce à quoi il ne parvint
d’ailleurs pas : il la suivit rapidement dans son exil). Le roi alla au-devant
d’elle jusqu’à Chatou  : «  Je vous rends, Madame, lui dit-il, un triste
service  ; mais j’espère vous en rendre bientôt de plus grands et de plus
heureux. » (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Je souhaite de ne vous revoir jamais  ; mais si vous revenez, soyez
persuadé que vous me retrouverez tel que vous me laissez.
En mars  1689, le roi d’Angleterre Jacques II exilé à Paris par le
soulèvement de ses sujets mené par Guillaume d’Orange repart à la
conquête de son royaume. Mme  de  Sévigné a appris par le chevalier
de Grignan les conditions de ce départ. M. le chevalier doit vous mander ce
que dit le roi au roi d’Angleterre en lui disant adieu : « Monsieur, je vous
vois partir avec douleur : cependant je souhaite de ne vous revoir jamais ;
mais si vous revenez, soyez persuadé que vous me retrouverez tel que vous
me laissez. » Peut-on mieux dire ? (Sévigné, À Mme de Grignan, 2 mars
1689)
Je ne prétends pas cependant vous refuser les lumières que
l’expérience peut m’avoir données ; mais je suis persuadé que j’aurai le
plaisir de voir que V. M. d’elle-même aura prévenu mes conseils.
Sur les conseils pressants de son grand-père qui le forme au métier de roi,
le jeune Philippe V d’Espagne a accepté que sa toute récente épouse ne
l’accompagne pas dans sa campagne en Italie. Devenant régente, la jeune
reine demande à son tour à bénéficier de la gouverne éclairée de l’aïeul.
Voici avec quelle élégance Louis  XIV accepte ce rôle en semblant s’y
refuser. Je n’ai pu douter que votre amitié tendre et vive pour le roi
d’Espagne, ne vous fît ressentir toutes les peines d’être obligée de vous
séparer de lui ; mais j’avoue que je ne pouvais croire que cette séparation
fût une nouvelle occasion pour moi de vous aimer davantage, et de
reconnaître que votre esprit, votre raison, vos sentiments surpassent
beaucoup tout ce que j’en avais appris jusqu’à présent. […] et je dois plutôt
vous donner les justes louanges que vous méritez, que les avis que vous
demandez pour votre conduite. Je suis persuadé qu’il suffit pour la bien
régler, que vous suiviez votre inclination naturelle  : elle vous porte à
remplir tous vos devoirs. Je ne prétends pas cependant vous refuser les
lumières que l’expérience peut m’avoir données ; mais je suis persuadé que
j’aurai le plaisir de voir que V. M. d’elle-même aura prévenu [i.e. devancé]
mes conseils, que je n’aurai qu’à vous louer et à vous assurer de toute ma
tendresse. (Louis XIV, À la reine d’Espagne. 22 mars 1702. Grimoard et
Grouvelle, VI).
Pour moi, je vous assure qu’en toutes occasions je reconnaîtrai les
marques que vous me donnez de votre amitié.
Mme  de  Montespan négocie entre le roi et la Grande Mademoiselle la
libération de Lauzun en suggérant un troc assez misérable : le retour du
prisonnier et le consentement à son mariage avec Mademoiselle en échange
d’immenses domaines et possessions que la richissime héritière céderait au
duc du Maine, fils aîné et préféré de la favorite et du monarque. Cela, à la
condition que le don paraisse gratuit et motivé par la générosité seule.
Louis  XIV couvre la vilaine transaction d’un joli compliment qui est
supposé en effacer la hideur. Mme de Montespan m’apprit hier au soir la
bonne volonté que vous avez pour le duc du Maine  ; j’en suis touché
comme je dois, voyant que c’est par amitié pour moi que vous le faites ; car
il n’est qu’un enfant qui ne mérite rien. J’espère qu’il sera un jour honnête
homme, et qu’il se rendra digne de l’honneur que vous lui voulez faire.
Pour moi, je vous assure qu’en toutes occasions je reconnaîtrai les marques
que vous me donnez de votre amitié. (Montpensier, Mémoires, année 1680)
Je crois que vous êtes contente, et moi aussi.
Et lorsque la chose est faite et signée, l’expression par laquelle le roi en
salue l’accomplissement prend un tour de complicité rendue noble par la
brièveté même de la formule  : grand style pour petits marchandages.
J’oubliais de dire que le jour que j’eus signé la donation, le soir il ne me dit
rien qu’en passant : « Je crois que vous êtes contente, et moi aussi » ; et à
souper il me faisait des mines et causait avec moi : cela avait fort bien air.
(Montpensier, Mémoires, année 1680)
►  L’art de la réprobation
Vous voyez bien vous-même les justes soupçons que j’aurais sujet de
concevoir d’une pareille alliance.
La maison de Savoie est traditionnellement dans l’orbite de la France. On
envisage en 1661 le mariage du duc Charles-Emmanuel  II avec une
princesse de Saxe : cela déplaît à Paris. Louis XIV s’en ouvre à la duchesse
douairière, ancienne régente, née Christine de France, favorable à
l’alliance française (finalement, en 1665 Charles-Emmanuel épousera sa
cousine Marie-Jeanne-Baptiste de Savoie-Nemours). J’apprends que mon
frère le duc de Savoie est bien avant en traité pour son mariage avec une
princesse [Erdmuthe de Saxe] dont la maison, depuis la paix de Prague, n’a
pas paru être dans mes intérêts. Je veux croire que vous aurez si bien pris
vos assurances, si cette affaire-là doit se conclure, que ce ne sera pas sans
ramener en même temps cette maison dans les maximes qu’elle avait
toujours tenues, et qui sont sans doute les meilleures pour son propre bien ;
autrement vous voyez bien vous-même les justes soupçons que j’aurais
sujet de concevoir d’une pareille alliance, et qu’elle ne produirait pas à
mon-dit frère des effets aussi avantageux, que je désire sincèrement d’avoir
occasion de lui donner de plus en plus des marques de ma bienveillance.
(Louis  XIV, À  la duchesse de  Savoie. Fontainebleau, 2  juillet 1661.
Grimoard et Grouvelle, V)
J’ai commandé à de Lionne de vous écrire sur une circonstance qui
m’a fait un peu de peine.
L’euphémisme est de mise avec un ambassadeur qui rend de bons
services, mais dont un point de conduite (nous ne saurons lequel) nécessite
un rappel à l’ordre. Continuez de m’informer aussi exactement que vous
avez commencé de faire, de tout ce que vous jugerez mériter de venir à ma
connaissance. J’ai commandé à de Lionne [secrétaire d’État aux affaires
étrangères] de vous écrire sur une circonstance qui m’a fait un peu de
peine. Cependant je ne veux pas finir sans vous témoigner que j’ai une
entière satisfaction de votre conduite, et que je m’en promets beaucoup
davantage [sic] dans la suite pour le bien de mes affaires. (Louis XIV, Au
comte d’Estrades. Fontainebleau, 5 août 1661. Grimoard et Grouvelle, V)
Nous ne demandons rien à V. S. en cette rencontre : elle a fait une si
longue habitude de nous refuser toutes choses…
En 1662, à la suite de la rixe entre des gardes corses du pape et la suite
de l’ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, qui faillit y être
molesté, Louis XIV trouva là une occasion (assez disproportionnée) de faire
montre de sa puissance et de sa rancœur envers Alexandre VII. Le ton de la
vitupération du roi est étonnamment haut. Il souhaite, notamment, savoir de
V[otre] S[ainteté], si elle veut approuver ce que cette soldatesque a fait, et si
elle a dessein ou non de nous en faire une satisfaction proportionnée à la
grandeur de l’offense, qui a non seulement violé, mais renversé
indignement le droit des gens. Nous ne demandons rien à V. S. en cette
rencontre : elle a fait une si longue habitude de nous refuser toutes choses,
et a témoigné jusqu’ici tant d’aversion pour ce qui regarde notre personne et
notre couronne, que nous croyons qu’il vaut mieux remettre à sa prudence
propre ses résolutions, sur lesquelles les nôtres se régleront  ; souhaitant
seulement que celles de V. S. soient telles qu’elles nous obligent à continuer
de prier Dieu qu’il conserve, Très Saint-Père, V. S. au régime de notre mère
Sainte-Église. (Louis  XIV, Lettre au pape. Saint-Germain-en-Laye le
30 août 1662. Grimoard et Grouvelle, V)
Aux occurrences où d’autres intérêts lui seront plus chers et plus
considérables que les miens, je ne me plaindrai que de ma mauvaise
fortune.
La reine Christine de Suède, résidant à Rome depuis son abdication et
protégée par la France, s’est montrée maladroite en n’embrassant pas
totalement la cause de la fureur française contre le pape dans l’affaire des
gardes corses. Sa tentative d’explication apportée par M.  d’Alibert est
renvoyée sèchement par le roi, en termes hautains et un peu ironiques.
Madame ma sœur, je suis fâché que V.  M. se soit mise en peine de me
dépêcher le sieur d’Alibert, pour un sujet qui ne méritait pas qu’elle prît ce
soin. Je sais qu’il est juste que les personnes de votre rang ne se
contraignent jamais en rien. Ainsi, aux occasions où elle voudra bien me
donner des marques de son affection, je les estimerai beaucoup, comme j’ai
fait en celle-ci les civilités que ledit d’Alibert m’a faites de sa part. Aux
occurrences où d’autres intérêts lui seront plus chers et plus considérables
que les miens, je ne me plaindrai que de ma mauvaise fortune, et n’en serai
pas moins véritablement, etc. (Louis  XIV, À  la reine Christine. Paris,
l2 décembre 1662. Grimoard et Grouvelle, V)
Peut-être pourrais-je avec justice prétendre quelque chose au-delà, et
qu’elle voudrait bien donner des marques de son indignation…
Lettre de réprobation déférente mais ferme envers les soupçons du roi
Philippe IV d’Espagne, qui avait envoyé un mémorandum à son gendre le
roi de France pour éclaircir des « calomnies » sur la politique européenne
de Louis  XIV au début de son règne personnel. Sont-elles tellement
invraisemblables, quatre ans avant la guerre de Dévolution qui s’ensuivra
de la mort de Philippe  IV  ? Il est vrai qu’entre-temps Charles  II, son
successeur, aura dénoncé l’alliance avec la France scellée par la paix des
Pyrénées. J’avoue franchement à V. M. que jamais rien ne m’a plus surpris
que tout le contenu en cet écrit ; et je désire si fort qu’il n’en reste aucune
impression dans l’esprit de V. M., que le mien ne sera point satisfait, que je
n’aie appris par elle-même qu’elle n’y ajoute plus aucune foi. Peut-être
pourrais-je avec justice prétendre quelque chose au-delà, et qu’elle voudrait
bien donner des marques de son indignation à ceux qui travaillent de cette
sorte, par tant d’artifices et de calomnies, à partager des cœurs que le sang
unit si étroitement. Mais je m’en remets à ce qu’elle estimera plus
convenable, et malgré eux ne cesserai jamais d’être, etc. (Louis XIV, Au roi
d’Espagne. Paris, 30 juillet 1663. Grimoard et Grouvelle, V)
La tendresse que j’ai pour vous […] ne me permet pas, sans ressentir
une très vive douleur, de vous savoir capable d’aucune action que le
monde eût sujet de condamner.
Lettre d’exhortation à la raison pour Marguerite-Louise d’Orléans, lui
enjoignant de supporter son austère mari Cosme III de Médicis, au lieu de
rentrer en France en rompant le lien diplomatique tissé entre Paris et
Florence par ce mariage (on a dit plus haut que la séparation serait
consommée en 1675). Ma Cousine, j’ai vu ici des lettres que vous avez
écrites à quelques-uns de vos amis, qui m’ont surpris et touché au point que
vous pourrez juger si vous faites réflexion, et à la nature des choses qui
vous passent par l’esprit qui ne peuvent être plus extraordinaires, et à la
tendresse que j’ai pour vous, qui ne me permet pas, sans ressentir une très
vive douleur, de vous savoir capable d’aucune action que le monde eût sujet
de condamner  ; aussi je veux espérer qu’ayant eu le temps d’y penser
mieux, et surtout vous étant souvenue de quel sang vous êtes sortie, vous
serez fâchée de vous être arrêtée […] à de pareilles imaginations qui ne
peuvent avoir d’effet  ; cependant j’ai cru vous devoir envoyer le sieur
d’Aubeville, en qui j’ai une confiance entière, afin qu’il vous explique
mieux tous mes sentiments là-dessus, et qu’il s’entremêle aussi en mon
nom, pour vous procurer tous les bons traitements et les satisfactions que
vous pourrez raisonnablement désirer. (Louis  XIV, À  la princesse
de Toscane. Paris, 28 mars 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
Il serait superflu de vouloir après cela m’étendre encore sur la
manière dont j’en recevrai le succès.
Lettre d’ultimatum courtois et de lassitude discrètement menaçante à
l’empereur qui met une mauvaise volonté évidente à reconnaître la
souveraineté du duc d’Enghien, fils du grand Condé, sur les duchés
d’Opelen et Ratibor en Silésie, qui dépendent de l’Empire. Monsieur mon
frère et très-aimé cousin, Votre Majesté avait témoigné au chevalier
de  Gremonville de si favorables dispositions pour mon cousin le duc
d’Enghien, sur le sujet des duchés d’Opelen et de Ratibor, que je n’aurais
pas cru que les effets en pussent être retardés. Maintenant que le seul
obstacle qui s’y était rencontré cesse, par la déclaration que le roi de
Pologne a faite qu’il avait été surpris par les particuliers, je m’assure que
Votre Majesté n’ayant plus rien qui s’oppose à ses bonnes volontés ne
différera pas davantage à terminer cette affaire ; c’est pour la troisième fois
que je prends la confiance de la lui recommander, et comme il serait
superflu de vouloir après cela m’étendre encore sur la manière dont j’en
recevrai le succès [dont j’accueillerai le résultat de ma requête], je finis en
souhaitant à Votre Majesté toute sorte de félicité. (Louis XIV, À l’empereur.
Paris, 31 décembre 1665. Grimoard et Grouvelle, V)
Je prendrai toutes les mesures que je croirai nécessaires, pour faire
ressentir à ce prince le grand tort qu’il a de ne vouloir pas contribuer
au bien de son peuple, de son État et de toute l’Italie.
Durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, en 1693, après la victoire de
Catinat sur le duc de  Savoie à la Marsaille, Louis  XIV veut contraindre
celui-ci à négocier une paix séparée, pour libérer le front italien.
Présentement que Dieu m’a fait la grâce, malgré tout ce qui s’est passé, de
conserver encore pour lui les sentiments que vous me connaissez, je désire
que vous lui fassiez savoir par qui vous jugerez à propos, le parti
avantageux que je veux lui faire et à toute l’Italie, et que je serai prêt encore
de lui donner des marques effectives du retour de mon amitié ; et comme il
ne dépend que de moi de réduire en pitoyable état la meilleure partie de ses
États, mon intention est que vous lui fassiez dire, que pour lui donner le
loisir de prendre le parti que je crois qui lui convient et à son pays, je vous
ai ordonné d’épargner l’incendie des villes de Saluces, de Fossano et des
autres ; et que pour donner, comme je viens de vous dire, le moyen à mon-
dit frère le duc de Savoie, de faire tranquillement les mûres réflexions qui
conviennent à l’état auquel je pourrais réduire son pays, mon intention est
que vous fassiez repasser mon armée en France, et qu’au même temps vous
fassiez entendre à mon-dit frère le duc de Savoie, que passé cette occasion,
dans laquelle je donne à lui et à toute l’Italie des marques du désir sincère
que j’ai de contribuer à son repos, je prendrai toutes les mesures que je
croirai nécessaires, pour faire ressentir à ce prince le grand tort qu’il a de ne
vouloir pas contribuer au bien de son peuple, de son État et de toute l’Italie.
(Louis  XIV, Au maréchal de  Catinat. 29  novembre 1693. Grimoard et
Grouvelle, IV)
S’il avait agi d’autre manière, ce n’aurait plus été M. de Lorraine, qui
n’a jamais rien fait de net.
Louis XIV portraitiste à charge : le duc de Lorraine vient de tenter de
l’abuser. Il est vrai qu’on peut dire, que s’il avait agi d’autre manière, ce
n’aurait plus été M. de Lorraine, qui n’a jamais rien fait de net et où il n’ait
mêlé quelques mauvaises finesses qui ont toujours accoutumé de tourner à
son dommage, et en cette occasion, où il n’a pour but que de me faire servir
moi-même à rompre un mariage que j’affectionnais et qui lui déplaisait, il
n’aura pas à la fin sujet de dire qu’il s’est moqué de moi. (Louis XIV, Au
maréchal de Catinat. 29 novembre 1693. Grimoard et Grouvelle, IV)
Je vous accorde dès à présent la permission de venir ici me rendre
compte de toutes choses, avant que d’aller à Rome, lorsque vous
désirerez de vous y retirer pour votre repos.
Modèle de lettre cinglante et ironique  : son génie de l’intrigue et son
caractère impérieux ont poussé la puissante princesse des Ursins, protégée
de Mme  de  Maintenon et «  agent  » français auprès de la couronne
d’Espagne, à exiger de Philippe V que soit rappelé à Paris l’ambassadeur
extraordinaire de Louis XIV à Madrid, le cardinal d’Estrées, avec lequel
elle est en conflit ouvert. Il faudra, on l’a vu plus haut, la pression de
Philippe V, relayant celle de la reine sa femme, pour sauver la princesse de
l’ire de Louis  XIV lassé par ses récriminations en forme d’ultimatum  :
puisqu’elle craint le pire de sa coexistence avec le cardinal d’Estrées, le roi
la prend au mot en la rappelant à Paris. Ma Cousine, je vous ai choisie
pour vous mettre auprès de la reine d’Espagne, persuadé que rien ne lui
convenait mieux, à elle et aux intérêts de mon petit-fils, que la parfaite
intelligence que vous entretiendriez avec mon ambassadeur à Madrid. Je
n’estimais pas moins cet esprit d’union dont je croyais être assuré, que les
autres qualités que je trouvais en vous. Mais votre lettre des 21 et 26 janvier
détruit l’opinion que j’avais de cette bonne correspondance. Si elle ne peut
se rétablir entre le cardinal d’Estrées et vous, je ne prétends pas vous
contraindre à essuyer tous les chagrins que vous prévoyez d’une division
très nuisible aux affaires générales ; et plutôt que de vous exposer, comme
vous le craignez, à de nouveaux embarras, je vous accorde dès à présent la
permission de venir ici me rendre compte de toutes choses, avant que
d’aller à Rome, lorsque vous désirerez de vous y retirer pour votre repos.
(Louis  XIV, À  la princesse des Ursins. 9  février 1703. Grimoard et
Grouvelle, VI).
Puisque la religion, l’honneur, l’intérêt, l’alliance et votre propre
signature ne sont rien entre nous…
Lorsque la coupe est pleine, la lettre se vide de circonlocutions  :
traditionnel allié de la France, le duc de  Savoie Victor-Amédée avait
contracté en janvier 1703, durant la guerre de Succession d’Espagne, une
alliance secrète avec l’empereur. L’ayant appris, Louis XIV le met au pied
du mur en termes vifs et nets. Monsieur, puisque la religion, l’honneur,
l’intérêt, l’alliance et votre propre signature ne sont rien entre nous, j’envoie
mon cousin le duc de Vendôme à la tête de mes armées pour vous expliquer
mes intentions. Il ne vous donnera que vingt-quatre heures pour vous
déterminer. LOUIS. (Louis  XIV, Au duc de Savoie. Septembre  1703.
Grimoard et Grouvelle, VI).
Deuxième partie
LOUIS XIV PARMI LES SIENS
Trianon ou le roi en famille

J’ai fait Versailles pour ma cour, Marly pour mes amis, et Trianon
pour moi-même.
Ce mot apocryphe, que tout le monde va répétant sans que même l’origine
en soit éclaircie, définit en termes spatiaux et même architecturaux le
cloisonnement de la vie du roi dans des sphères concentriques. Trianon,
c’est la solitude du prince à peine entouré de sa plus proche famille, tels
que figurés dans L’Assemblée des dieux, tableau de Nocret aujourd’hui
accroché dans le salon de l’œil-de-bœuf à Versailles. Marly, c’est
l’expression du choix et de la faveur, l’univers des élus — favoris et
favorites éphémères ou permanents, petit monde en perpétuelle
recomposition régie par les caprices impénétrables de la dilection  : un
planétarium où la plupart des étoiles sont filantes. Versailles, dans son
expansion démesurée, c’est la cour et son peuple de seigneurs, de serviteurs
et de visiteurs, abrégé de la nation entière, du haut en bas de la « cascade
des mépris » qui constitue la dynamique sociale de l’Ancien Régime.
Je veux que vous me voyiez dans le particulier, dans ma famille.
Signe —  en l’occurrence paradoxal  — que Trianon est le lieu
«  particulier  » du roi, en 1706 il y reçoit, entouré de la famille royale,
l’archevêque-électeur de Cologne, Joseph-Clément de Wittelsbach  :
honneur dont il fut fort touché et que le roi n’avait jamais fait à personne,
écrit le marquis de Dangeau, chroniqueur du règne au jour le jour. Certes
Louis XIV a déjà offert à son hôte un ruban rouge où pendait une croix de
diamants magnifiques ; mais c’est le ministre Torcy qui lui a fait ce présent
de la part du monarque. Le vrai cadeau, le cadeau personnel de Louis XIV
à son précieux allié en ces temps de solitude diplomatique, ce sont les
paroles qui accueillent le prince étranger dans le cabinet du roi où celui-ci
l’attend avec les siens pour une mascarade de familiarité privée. Je veux
que vous me voyiez dans le particulier, dans ma famille, où vous n’êtes
point étranger, et nous y sommes tous très contents de vous y voir.
(Dangeau, Journal, 17 octobre 1706)
À propos de la réception du chancelier Adenauer qu’il choisira de
recevoir à La Boisserie plutôt qu’à l’Élysée en septembre  1958 pour
entreprendre le processus de réconciliation franco-allemande, le général de
Gaulle écrira : Pour l’explication historique que vont avoir entre eux, au
nom de leurs deux peuples, ce vieux Français et ce très vieil Allemand, le
cadre d’une maison familiale a plus de signification que n’en aurait eu le
décor d’un palais. (de Gaulle, Mémoires d’espoir, I)
LES DEUX REINES
►  Marie-Thérèse ou la reine discrète
Le mot le plus célèbre de Louis XIV consacré à la reine Marie-Thérèse
qui soit passé à la postérité évoque la mort de celle-ci. Il s’agit d’un
réemploi, ce qui le rend plus que douteux : le paradoxe élogieux que cette
disparition fut « la seule peine qu’elle eût jamais causée » au roi a sans
doute été forgé par imitation d’un trait d’esprit déjà connu dans la première
moitié du siècle. Voilà qui exprime mieux que toute autre considération
combien ses favorites comptèrent plus pour ce monarque que son épouse.
Ce que confirme son souci de rapprocher ses enfants adultérins de sa
descendance légitime. Reste qu’en dehors de ses frasques érotiques de
mari, Louis XIV se conduisit toujours en roi attentif et déférent envers la
reine, et même avec des manifestations écrites ou parlées de tendresse
formelle ou réelle pour elle qui ne sont pas si rares qu’on pourrait le croire.
Me faire la grâce que votre cœur y réponde.
Le premier lien entre le jeune roi de France et l’infante espagnole qui
allait devenir sa femme est une lettre accompagnant celle qui s’adressait au
père de celle-ci, le roi d’Espagne, pour lui demander officiellement la main
de Marie-Thérèse. Symbole d’une union qui sera toujours plus empreinte de
cérémonie que d’affectivité, cette missive de Louis XIV à sa future épouse,
supposée plus personnelle que l’autre, toute diplomatique, a été elle aussi
rédigée par une main étrangère — curieusement, celle d’un militaire, le
vicomte de Turenne, qu’Anne d’Autriche chargea d’exprimer les sentiments
du roi son fils. Sérénissime princesse, il a été nécessaire que tant de choses
s’ajustassent, pour faire que je pusse avec bienséance vous demander
1’honneur de vos bonnes grâces, et que vous pussiez me faire celui de m’y
donner part. Il paraît que Dieu veut bénir le commencement et la fin de
cette négociation, laquelle ne pouvant pas avoir de suites heureuses, si vous
n’agréez ce que le roi votre père m’a fait l’honneur de me promettre, je
vous supplie très humblement d’y donner votre consentement, et ne
considérer pas la chose comme nécessaire seulement à nos États, mais me
regardant un peu comme une personne qui souhaite beaucoup votre amitié
et votre estime, me faire la grâce que votre cœur y réponde. (Louis XIV,
À  l’infante d’Espagne Maria-Teresa. Bordeaux, 21  septembre 1659.
Grimoard et Grouvelle, V)
Je n’ose pas encore entièrement me flatter d’un bien que je souhaite
infiniment.
La lettre par laquelle Louis XIV apprend officiellement au roi d’Espagne
la mort de Mazarin lui permet d’annoncer aussi à son beau-père la
première grossesse de la reine. Je laisse à la reine d’écrire à V.  M. une
nouvelle d’une nature bien différente du sujet de cette lettre, parce que je
n’ose pas encore entièrement me flatter d’un bien que je souhaite
infiniment. Si nos soupçons se trouvent à la fin véritables, je le reconnaîtrai
comme un bienfait signalé de la bonté divine qui, voulant m’affliger
sensiblement d’une manière, a eu soin de m’accorder dans la même
conjoncture ce que je pouvais le plus ardemment désirer. J’écrirais plus
souvent à V. M., si la reine n’y suppléait par les compliments qu’elle se
charge de temps en temps de lui faire de ma part. (Louis  XIV, Au roi
d’Espagne. 9 mars 1661. Grimoard et Grouvelle, V)
J’ai commandé aux médecins de songer préférablement à la santé de
la reine.
Lors d’une de ses grossesses, la reine tombe malade. Louis XIV conte à
son beau-père le roi d’Espagne qu’il a choisi par affection de tout faire
pour sauver la mère, fût-ce au détriment du fœtus. Mais on ne peut en tirer
des conclusions certaines sur son attachement à Marie-Thérèse sans
préciser qu’il obéit en l’occurrence à une règle qui semble avoir été
générale sous l’Ancien Régime : ménager l’espoir d’une progéniture future
au prix d’une naissance présentement compromise. Monsieur mon frère,
oncle et beau-père, je ne me suis pas pressé de faire savoir à V.  M. la
maladie de la reine, dans l’espérance que j’avais qu’elle n’aurait point de
suite ; mais comme c’est une fièvre tierce, qui a déjà eu plusieurs accès, et
qui en peut avoir d’autres, je n’ai pas voulu différer davantage à lui donner
part de cet accident qui, outre ce qu’il me fait souffrir en la partie la plus
tendre et la plus sensible de moi-même, me touche encore par le déplaisir
que je sais qu’un aussi bon père que V. M. en aura. Ce qu’il y a de plus
fâcheux est l’état de la grossesse ; mais j’ai commandé aux médecins de
songer préférablement à la santé de la reine  ; et c’est aussi à quoi ils
travaillent, sans s’arrêter à autre chose. Une lettre écrite le lendemain au
même lui apprendra que la reine vient d’accoucher d’une fille prématurée
(laquelle mourra un mois plus tard), et que, dès lors, sa fièvre a décliné.
Mais, comme il faut plus à qui aime bien, continue le roi, mon inquiétude
ne finira que par la parfaite guérison  : c’est ce que j’attends avec
l’impatience que V. M. peut juger. (Louis XIV, Au roi d’Espagne. Paris, 15
puis 16 novembre 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
Vous avez bien fait de n’écrire pas ce petit accident à la reine  ; il
l’aurait trop alarmée.
En septembre  1669, c’est le Dauphin âgé de presque huit ans qui est
malade. La nouvelle de sa santé que transmet au roi son gouverneur, le duc
de Montausier, permet à Louis XIV de manifester sa délicatesse de « bon
père de famille » envers la reine. J’ai reçu toutes vos lettres ; celle d’hier me
fait quelque peine, à cause du changement que d’Aquin [médecin du roi] a
trouvé en mon fils ; mais j’espère que ce ne sera rien : vous avez bien fait
de n’écrire pas ce petit accident à la reine ; il l’aurait trop alarmée. Il suffit
de me mander les choses de cette nature. Continuez à m’avertir
soigneusement de l’état de la santé de mon fils, et m’en marquez toutes les
circonstances, et jusques aux moindres particularités. (Louis XIV, Au duc
de Montausier, Chambord, 22 septembre 1669. Grimoard et Grouvelle, V)
Je désire que, quoique Française, vous soyez aussi bonne reine
espagnole que la reine ma femme, quoique Espagnole, est bonne reine
française.
Il faut dire qu’outre donner un Dauphin à la France, Marie-Thérèse a
rempli discrètement l’autre rôle attendu d’une reine  : oublier sa terre
natale et sa maison pour embrasser la cause du pays sur lequel règne son
mari. Ce que Louis XIV rappelle incidemment à la jeune Mademoiselle, sa
nièce, qui part épouser Charles  II d’Espagne à Madrid. Il lui aurait dit
alors : Ma nièce, je vous ai traitée comme ma fille, je vous donne pour mari
un grand roi  ; je désire que, quoique Française, vous soyez aussi bonne
reine espagnole que la reine ma femme, quoique Espagnole, est bonne reine
française ; si des guerres éclatent entre nous et votre mari, nous sommes
assez grands seigneurs pour ne pas pouvoir nous ruiner. (Primi Visconti,
Mémoires sur la cour de Louis XIV, année 1679)
Le Ciel n’a peut-être jamais assemblé […] plus de vertu, plus de
beauté, plus de naissance, plus de tendresse pour ses enfants, plus
d’amour et de respect pour son mari.
Au début des Mémoires pour l’année 1667 à destination du Dauphin et à
l’occasion de la naissance, cette année-là, de la petite Marie-Thérèse de
France, qui mourra cinq ans plus tard, on note cet hommage furtif mais
superlatif rendu par Louis  XIV à son épouse. Je puis dire ici en passant
qu’elle méritait le soin que j’en avais, et que le Ciel n’a peut-être jamais
assemblé dans une seule femme plus de vertu, plus de beauté, plus de
naissance, plus de tendresse pour ses enfants, plus d’amour et de respect
pour son mari. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
Souvenez-vous, Madame, qu’elle est votre maîtresse.
Une anecdote d’authenticité incertaine rapporte que, tout en trompant la
reine, Louis XIV savait défendre la dignité de celle-ci, y compris et surtout
des irrespects piquants et de la langue mordante de Mme de Montespan. Un
jour, on vint dire au roi que le carrosse dans lequel était la reine avait été
tout rempli d’eau, ce qui avait assez effrayé cette princesse. Sur-le-champ,
Mme de Montespan, présente à ce récit, dit avec un air moqueur : « Ah ! si
nous l’avions su, nous aurions crié : La reine boit ! » Le roi fut fort piqué de
cette raillerie, et il répéta à l’instant : « Souvenez-vous, Madame, qu’elle est
votre maîtresse.  » (Mlle  d’Aumale, ms des Souvenirs sur
Mme  de  Maintenon, dans Calyus, Souvenirs, éd. Asselineau, appendice
XII). Que la même raillerie soit attribuée à la marquise de  Verneuil,
maîtresse d’Henri IV, à propos de Marie de Médicis lors du naufrage du
bac de Neuilly (9 juin 1606), retire beaucoup de sa crédibilité à ce trait au
demeurant peu vraisemblable, en dépit de l’arrogance de
Mme de Montespan.
La reine est votre première sujette  ; en cette qualité et en celle de
votre femme, elle doit vous obéir.
De caractère tout opposé à celui de Marie-Thérèse, l’épouse que
Louis  XIV a donnée à son petit-fils Philippe  V d’Espagne doit être
fermement dissuadée de gouverner son royal époux. Louis XIV en fait la
leçon à celui-ci : une reine idéale doit se montrer soumise et muette, comme
l’avait été Marie-Thérèse. La reine est votre première sujette  ; en cette
qualité et en celle de votre femme, elle doit vous obéir. Vous la devez
aimer ; vous ne le feriez pas de la manière que vous le devez, si ses pleurs
avaient assez d’empire sur vous pour vous engager à des complaisances
contraires à votre gloire. Ayez de la fermeté dans les commencements. Je
sais que les premiers refus vous feront de la peine, qu’ils répugnent à la
douceur de votre naturel  ; mais ne craignez point de causer de légers
chagrins à la reine pour lui en épargner de réels dans la suite de sa vie. C’est
par cette conduite seule que vous pourrez prévenir des éclats que vous ne
pourriez supporter. Souffririez-vous que vos sujets et que toute l’Europe
s’entretinssent de vos divisions domestiques  ? Rendez la reine heureuse
malgré elle-même, s’il est nécessaire. Contraignez-la dans les
commencements : elle vous en sera obligée dans la suite ; et la violence que
vous vous ferez présentement sera la marque la plus solide de votre amitié
pour elle. (Louis XIV, Lettre à Philippe V. 13 novembre 1701. Grimoard et
Grouvelle, V)
►  Mme de « Maintenant » ou la reine secrète
C’est Mme  de  Sévigné qui a plaisamment rebaptisé
« Mme de Maintenant » la veuve Scarron devenue marquise de Maintenon,
quand il apparut à la cour qu’elle occupait la place de la reine Marie-
Thérèse morte le 30  juillet 1683. Née Françoise  d’Aubigné, la veuve du
poète burlesque Paul Scarron ( † 6  octobre 1660), qui s’était insinuée
gouvernante des enfants légitimés du roi et de Mme de Montespan, avait
alors fini par supplanter cette dernière dans le cœur et le lit du monarque.
Elle deviendra secrètement son épouse à une date demeurée incertaine,
probablement durant la nuit du 9 au 10 octobre 1683.
Vous avez tant d’amis, que j’ai voulu avoir seul ce mérite auprès de
vous.
Au temps de Mme Scarron : terrain fertile pour la légende prémonitoire.
Après la mort de son mari, arrivée en 1660, [Mme Scarron, future marquise
de Maintenon] fit longtemps solliciter auprès du roi une petite pension de
quinze cents livres, dont Scarron avait joui. Enfin, au bout de quelques
années, le roi lui en donna une de deux mille, en lui disant : « Madame, je
vous ai fait attendre longtemps ; mais vous avez tant d’amis, que j’ai voulu
avoir seul ce mérite auprès de vous. » Ce fait m’a été conté par le cardinal
de Fleury, qui se plaisait à le rapporter souvent, parce qu’il disait que
Louis XIV lui avait fait le même compliment en lui donnant l’évêché de
Fréjus. (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Elle sait bien aimer, il y aurait du plaisir à être aimé d’elle.
Si l’on en croit Mme de Caylus (mais peut-on l’en croire, tant elle enjoliva
le récit de la vie de sa tante ?), avant que ne fussent nouées leurs relations
privilégiées, le roi appréciait le dévouement de Mme Scarron pour les
enfants que lui avait donnés Mme de Montespan. L’aîné des enfants du roi
et de Mme  de  Montespan [fille ou garçon, on ne sait car les sources
divergent] mourut à l’âge de trois ans. Mme de Maintenon en fut touchée
comme une mère tendre, et beaucoup plus que la véritable ; sur quoi le roi
dit, en parlant de Mme de Maintenon : « Elle sait bien aimer, il y aurait du
plaisir à être aimé d’elle. » (Caylus, Souvenirs, 1770)
Je vous chéris toujours et […] vous considère à un point que je ne
puis exprimer.
Par rapport à ce que l’on attendrait, peu de traces subsistent des paroles
ou des lettres dévoilant les sentiments des époux secrètement unis, du fait
même de ce secret — ou pour mieux dire, de cette fiction de secret : ce qui
fut écrit a été en grande partie détruit, les paroles publiques étaient
comptées, et les courtisans prenaient garde à mesurer leurs propos et leurs
témoignages sur ce sujet délicat. Voici par exception une lettre privée du roi
à son épouse secrète, qui émerge de ce silence. Je profite de l’occasion du
départ de Montchevreuil pour vous assurer d’une vérité qui me plaît trop
pour me lasser de vous la dire : c’est que je vous chéris toujours, et que je
vous considère à un point que je ne puis exprimer ; et qu’enfin, quelque
amitié que vous ayez pour moi, j’en ai encore plus pour vous, y étant de
tout mon cœur tout à fait à vous. (Louis  XIV, À  Mme  de  Maintenon.
Avril 1693 (?). Grimoard et Grouvelle, VI)
Ce serait le plus grand bonheur qui me pût arriver. 
En 1711 encore, Mme  de  Maintenon évoque l’attachement du roi pour
elle, mais en des termes que sa modestie ou sa lucidité lui fait tenir pour
une galanterie mue tout au plus par la politesse. Il y a quelques jours que je
dis au roi, avec une espèce de dépit : « En vérité, Sire, j’ai peur de vivre
cent ans. » À quoi il eut la politesse de répondre : « Ce serait le plus grand
bonheur qui me pût arriver. » (Maintenon, Lettres historiques et édifiantes,
II)
Voilà ce que je crois de mieux.
Une journée du roi au temps de Mme  de  Maintenon. J’ai changé de
résolution pour ma journée ; le beau temps qu’il fait m’empêche d’aller à
Saint-Germain, je remettrai ce voyage à demain  ; et pour aujourd’hui je
dînerai au petit couvert, j’irai à la chasse, et je me rendrai à six heures et
demie à la porte de Saint-Cyr du parc, où je ferai trouver mon grand
carrosse. J’espère que vous m’y viendrez trouver, avec telle compagnie
qu’il vous plaira. Nous nous promènerons dans le parc, et nous n’irons
point à Trianon. En revenant demain de Saint-Germain, j’irai à Saint-Cyr au
salut en habit décent, et nous reviendrons ensemble. Voilà ce que je crois de
mieux. (Louis  XIV, À  Mme  de  Maintenon. Juin  1694, à neuf heures du
matin. Grimoard et Grouvelle, VI)
Je ne pourrai être chez vous qu’à trois heures ; prenez des mesures
pour éviter les importuns.
Voici un autre billet à Mme de Maintenon que son caractère pour ainsi
dire professionnel aura permis d’échapper à la destruction. On y voit au vif
le partage des bonheurs (politiques et militaires) et les contingences d’un
ménage dont le mari est très occupé par son métier (de roi). Je crois que
vous ne serez pas fâchée de la nouvelle que je viens de recevoir  :
M.  de  Vendôme, avec douze cents chevaux, a battu toute la cavalerie
ennemie, au nombre de quatre mille cinq cents ; tous les officiers-généraux
y ont fait merveille. Longueval y a été blessé. Vous en saurez tantôt
davantage. Je ne pourrai être chez vous qu’à trois heures  ; prenez des
mesures pour éviter les importuns. Je suis très fâché de ce retardement,
mais le Conseil ne finira pas plus tôt. (Louis XIV, À Mme de Maintenon.
Avril 1706. Grimoard et Grouvelle, VI)
Je ne doute pas de la paix. Je m’en réjouis avec vous : remercions
bien Dieu.
Enfin Louis  XIV ne manque pas de donner à son épouse secrète la
primeur de la paix de Rastadt qu’il avait tant souhaitée, tout en lui
recommandant le secret, chose à laquelle il est tellement attaché. La paix
n’est pas encore faite, mais elle sera bientôt signée. Le prince Eugène est
revenu à Rastadt, et Villars y allait retourner. On est d’accord de tout, et
j’ordonne au maréchal de Villars de signer. J’ai cru que vous ne seriez pas
fâchée de savoir cette bonne nouvelle quelques heures plus tôt. Il ne faut
rien dire, si ce n’est que le prince Eugène est revenu à Rastadt, que les
conférences se recommencent. Je ne doute pas de la paix. Je m’en réjouis
avec vous : remercions bien Dieu. (Louis XIV, Lettre à Mme de Maintenon.
Février 1714, à midi. Grimoard et Grouvelle, VI)
La pauvre femme ! la tête lui tourne dès qu’il s’agit de moi.
Témoignage d’une confiance et d’une sympathie affectueuses comme il
peut en exister entre deux vieux époux, Mme  de  Maintenon parvient à
arrêter de mauvaises nouvelles, à obtenir par exemple du ministre
Chamillart, qui est tout à elle, qu’on cache au roi un combat malheureux en
Flandre. Comme le fils du duc de La Trémoïlle s’y était distingué, le roi
apprend par hasard du père la nouvelle de cette escarmouche : il convoque
son ministre de la Guerre et le réprimande. Pendant ces reproches,
Chamillart, qui me l’a conté (écrit Saint-Simon), pensait à ce qu’il avait à
faire, et prit enfin son parti de confesser au roi que Mme de Maintenon lui
avait défendu de lui rien dire de ce combat. « La pauvre femme ! s’écria le
roi pour toute réplique, la tête lui tourne dès qu’il s’agit de moi  » et
congédia Chamillart d’un air content et satisfait. (Saint-Simon, Parallèle
des trois premiers rois bourbons)
La pauvre femme ! (bis)
Saint-Simon, qui dénonce l’influence (hypothétique) exercée sur les
affaires et sur le roi par Mme  de  Maintenon, s’amuse de voir la même
expression revenir sur les lèvres de Louis  XIV en des circonstances
similaires : c’est lorsque le roi apprend que les lettres du maréchal Catinat
sur ses opérations militaires malheureuses ont été interceptées par
Chamillart ici encore sur ordre de Mme  de  Maintenon. [Elle] lui avait
expressément défendu de rien apprendre au roi, pour ne le point affliger, de
tout ce que Catinat écrivait au roi et à lui, et de laisser plutôt croire au roi
que ce maréchal les laissait tout à fait dans l’ignorance. À cet aveu, le roi
embarrassé baissa les yeux, et dit : « La pauvre femme ! » et s’interrompant
aussitôt, loua Catinat de sa modération et de son silence  ; car il s’était
contenté de présenter ces lettres, sans y avoir ajouté un seul mot de
commentaire ni de plainte. (Saint-Simon, Parallèle des trois premiers rois
bourbons)
Vous ne perdez point d’occasion de me le dire.
Mais hormis ces curiosités de conduite, qui ne prêtent pas vraiment à
conséquence, le domaine où l’influence de Mme  de  Maintenon sur
Louis  XIV fut vraiment déterminante, c’est assurément celui de sa
« conversion », c’est-à-dire de son orientation marquée vers la dévotion. Il
regimba d’abord, puis se laissa faire, si l’on en croit le témoignage indirect
de Mme de Glapion. Je dis sur cela à Madame [de Maintenon] qu’il me
semblait lui avoir ouï dire que quand elle lui parlait de son salut, il la
rebutait quelquefois, et qu’un jour qu’elle lui disait un mot à propos sur le
néant de sa grandeur, il reprit d’un air chagrin  : «  Vous ne perdez point
d’occasion de me le dire. — Cela est vrai, reprit Madame. Cependant cette
persévérance n’a pas laissé à la fin de lui inspirer de la piété. Mais quel
martyre j’ai souffert ! » Elle ne se découragea pas, et sa persévérance fut
couronnée de succès. (Maintenon, Lettres historiques et édifiantes, II)
DESCENDANCE LÉGITIME ET LÉGITIMÉE

►  Le Grand Dauphin
La reine est accouchée d’un garçon.
Le 1er novembre [1661] à midi moins sept minutes, la reine accoucha à
Fontainebleau de Mgr le Dauphin. Depuis vingt-quatre heures la reine était
en travail, lorsque le roi ouvrit la fenêtre de sa chambre, et annonça lui-
même le bonheur public, en nous criant assez haut  : «  La reine est
accouchée d’un garçon. » (Choisy, Mémoires)
N’ayant que le temps de vous dire que la reine est accouchée d’un
garçon.
Lors de la naissance de son troisième fils Louis-François, duc d’Anjou, le
14 juin 1672, le roi est en campagne, assiégeant Doersbourg. Le nourrisson
ne vivra pas cinq mois. L’été précédent, le couple royal avait perdu
Philippe-Charles, lui aussi duc d’Anjou. Ne survivra, des six enfants mis au
monde par Marie-Thérèse, que le Grand Dauphin, Louis de France, lequel
s’éteindra pourtant lui aussi avant son père, le 14 avril 1711. Mon Cousin,
je me remets à ce que j’ai ordonné au marquis de Louvois de vous mander,
n’ayant que le temps de vous dire que la reine est accouchée d’un garçon. Je
crois que cette nouvelle vous fera plaisir, sachant l’amitié que vous avez
pour moi. (Louis XIV, Au maréchal de Turenne. Au camp de Doesbourg,
21 juin 1672. Grimoard et Grouvelle, III)
Je n’ai jamais cru que les rois […] fussent dispensés de l’obligation
commune et naturelle […] d’instruire leurs enfants par l’exemple et
par le conseil.
Dans les Mémoires qu’il fait écrire sous sa gouverne pour instruire le
Dauphin de son futur métier de roi, Louis XIV ne manque pas d’évoquer, à
l’intention de celui qui est au premier chef concerné, son rôle de père tel
qu’il le conçoit. Je n’ai jamais cru que les rois sentant, comme ils font, en
eux-mêmes, toutes les affections et toutes les tendresses paternelles, fussent
dispensés de l’obligation commune et naturelle aux pères, qui est d’instruire
leurs enfants par l’exemple et par le conseil. (Louis XIV, Mémoires pour
l’année 1661)
Celui-là sera un fameux gentilhomme.
En 1664, Monseigneur a trois ans. Un membre de la suite du cardinal
Chigi note ce trait de fierté, tout naturel, du roi son père. On le voit toute la
journée se promener à Fontainebleau tantôt avec une petite épée, tantôt avec
un pistolet. Un jour le roi, en présence de son confesseur, le jésuite Annat, a
dit en posant la main sur la tête de son fils  : «  Celui-là sera un fameux
gentilhomme. » (Chigi, Relation et observations sur le royaume de France,
1664)
La moindre chose qui arrivera à mon fils, dépêchez-moi aussitôt.
La santé du Dauphin est l’objet d’une préoccupation de roi et de père
pour Louis XIV tant que le nourrisson n’est pas sorti de l’âge de la plus
extrême fragilité et de la plus grande mortalité. Il n’a pas encore deux ans
lorsque Colbert annonce depuis Vincennes à Louis  XIV en résidence à
Versailles que Mgr le Dauphin fut hier un peu indisposé des dents. La
réponse du roi est écrite à même la lettre du ministre. La moindre chose qui
arrivera à mon fils, dépêchez-moi aussitôt, afin qu’étant assuré qu’il se
porte bien, n’ayant pas de nouvelles, je sois en repos. Je me fie à vous, ne
doutant pas que vous ne fassiez ce que je vous commande. (Louis  XIV,
réponse en marge d’une lettre de Colbert, Vincennes, 28  août 1663.
Grimoard et Grouvelle, V)
Je n’ai pas été peu soulagé de voir par votre lettre d’hier qu’il n’y a
rien de fâcheux à craindre de l’indisposition de mon fils.
En 1667, au cours de la guerre de Dévolution, le roi en campagne ne
manque pas de se tenir informé de la santé du Dauphin. Monsieur le
chancelier, je n’ai pas été peu soulagé de voir par votre lettre d’hier qu’il
n’y a rien de fâcheux à craindre de l’indisposition de mon fils : j’attends
avec l’impatience que vous pouvez juger la nouvelle de sa guérison, et je
suis fort persuadé que vous n’épargnerez ni vos soins ni vos souhaits les
plus zélés pour me la faire avoir bientôt. (Louis XIV, Au chancelier Séguier.
Avesnes, 12 juin 1667. Grimoard et Grouvelle, V)
Que mon fils y puisse demeurer sans hasarder sa santé.
Durant la guerre de Hollande, cette fois, le roi une fois encore éloigné de
Paris se préoccupe d’éviter au Dauphin la contagion des épidémies qui y
sévissent, à une époque où on impute leur origine et leur propagation à la
mauvaise qualité de l’air et des eaux. Je ne puis approuver le dessein de
mener mon fils à Vincennes ; car, encore que l’air y soit bon, jamais nous
n’y avons été sans beaucoup de malades en cette saison, et les gens même
du lieu n’ont pas été exceptés ; et quoique peut-être l’eau qui croupissait
alors dans les fossés contribuât à cela, et qu’à présent qu’ils sont secs il y
peut avoir moins à craindre, l’épreuve ne m’en plaît pas. Pour ce qui est de
Saint-Germain, la petite vérole y étant, il n’y faut pas penser. […]
Cependant comme je vois par votre lettre que le mal qui court à Versailles
ne vient pas de l’infection de l’air, si vous jugez qu’en prenant aux portes et
ailleurs les précautions qui se peuvent prendre en de pareilles rencontres,
mon fils y puisse demeurer sans hasarder sa santé, je m’en remets à votre
discernement et à votre affection. (Louis  XIV, Au duc de Montausier.
Beauzé, 2 octobre 1673. Grimoard et Grouvelle, V)
Il connaît assez que je travaille pour lui, quand je travaille pour moi.
Mon Cousin, je suis très content de ce que vous m’avez mandé de la santé
de mon fils, et de sa bonne conduite. Pour ce qui est de la joie
extraordinaire qu’il a fait paraître de la conquête de Besançon, je n’en suis
pas surpris ; il a trop de naturel pour être moins sensible à mes prospérités ;
et d’ailleurs il connaît assez que je travaille pour lui, quand je travaille pour
moi. (Louis  XIV, Au duc de Montausier. Au camp devant Dôle, 27  mai
1674. Grimoard et Grouvelle,V)
Combien voudriez-vous qu’il vous en eût coûté, et parler aussi bien
que M. le Coadjuteur ?
En père affectueux mais exigeant, Louis XIV sait aussi plaisanter son fils
sur ses études. Ainsi ce jour d’août 1675 (le Dauphin a treize ans) où
Mgr  de  Grignan, coadjuteur de l’archevêque d’Arles, a fait un beau
sermon. Le roi a fort loué cette action, et a dit à M. le Dauphin : « Combien
voudriez-vous qu’il vous en eût coûté, et parler aussi bien que M.  le
Coadjuteur ? » M. de Montausier [gouverneur du Dauphin] a pris la parole
et a dit : « Sire, nous n’en sommes pas là ; c’est assez que nous apprenions
à bien répondre. » (Sévigné, À Mme de Grignan, 19 août 1675)
Si ce que j’ai fait en ce pays vous a donné de la joie, vous me l’avez
bien rendue en m’assurant du progrès des études de mon fils.
Lettre du roi à Bossuet, précepteur du Dauphin, en réponse à un courrier
de félicitations pour les succès des armes françaises durant la guerre de
Hollande. Monsieur l’évêque de Condom, si ce que j’ai fait en ce pays vous
a donné de la joie, vous me l’avez bien rendue en m’assurant du progrès des
études de mon fils. Continuez à profiter de l’attention qu’il prête à vos
instructions, et que je suis sûr qu’il y prêtera toujours de plus en plus, quand
il n’y serait excité que par le désir de me plaire ; et au reste souvenez-vous
de moi dans vos prières envers Dieu. (Louis XIV, À Bossuet. Au camp de
Sébourg, 1er mai 1676. Grimoard et Grouvelle, V)
Il faut au moins y aller avec la sonde.
Leçon sur l’éducation des fils : à quel âge peut-on leur confier des secrets
regardant la conduite et l’intérêt de l’État  ? Le comte d’Estrades,
ambassadeur de France en Hollande, veut mettre à l’étrier le pied de son
fils aîné, qui deviendra gouverneur de Dunkerque. Louis XIV lui indique en
la matière ses vues qu’il appliquera à son propre fils. Vous connaissez
mieux votre fils et la portée de son esprit en l’âge où il est, que je ne puis
faire  ; je vous dirai seulement qu’il est toujours dangereux de confier le
secret aux jeunes gens, et principalement en de grandes affaires, et sans
aucune nécessité ; c’est pourquoi il faut au moins y aller avec la sonde, et
reconnaître auparavant, par les petites et médiocres, de quoi ils sont
capables. (Louis XIV, Au comte d’Estrades. 20 juillet 1663. Grimoard et
Grouvelle, V)
Pour ce qui est de l’opéra et des autres récréations honnêtes qu’il
peut désirer, j’approuve qu’il les ait toutes.
Comment distraire un Dauphin âgé de seize ans. Pour ce qui est de
l’opéra et des autres récréations honnêtes qu’il peut désirer, j’approuve qu’il
les ait toutes. Mais je me promets que cette complaisance l’engagera
d’autant plus à me tenir parole, en n’omettant rien de ce qu’il doit faire,
pour être un prince accompli et un parfaitement honnête homme.
(Louis  XIV, Au duc de Montausier. Toul, 19  février 1678. Grimoard et
Grouvelle, V)
Aimant fort à vous entendre louer, surtout quand c’est avec justice.
L’estime et l’affection paternelles ne se démentent pas alors que le
Dauphin a dépassé la trentaine : il commande les armées du roi en Flandre
durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Le duc de  Luxembourg me
mande, […] que vous avez une très grande application à tout ce qui est du
bien du service ; ce qui m’a fait plaisir, aimant fort à vous entendre louer,
surtout quand c’est avec justice. (Louis XIV, Lettre au Dauphin. À Trianon,
le 11 juillet 1694. Grimoard et Grouvelle, IV)
Je me trouverai bien seul à Fontainebleau sans vous.
Autre marque d’affection du roi pour son fils dans les mêmes
circonstances. Je ne saurais me résoudre à passer à Choisy [l’une des
demeures du Grand Dauphin], si vous n’y êtes pas ; mais pour au retour, j’y
demeurerai tant que vous le voudrez avec grand plaisir. Je me trouverai bien
seul à Fontainebleau sans vous. Quand je croirai qu’il n’y aura rien à faire
où vous êtes, je vous proposerai d’y venir, mais je ne ferai rien là-dessus
que de concert avec vous. (Louis  XIV, Au Dauphin. Versailles, 19  août
1694. Grimoard et Grouvelle, IV)
►  Sa descendance par main droite et main gauche
La reine est accouchée d’un garçon/Madame la Dauphine est
accouchée d’un prince.
Complément d’une citation donnée ci-dessus, qui mesure l’évolution du
culte royal à la manière dont est accueillie sa descendance. Le
1er  novembre [1661] à midi moins sept minutes, la reine accoucha à
Fontainebleau de Monseigneur le Dauphin. Depuis vingt-quatre heures la
reine était en travail, lorsque le roi ouvrit la fenêtre de sa chambre, et
annonça lui-même le bonheur public, en nous criant assez haut : « La reine
est accouchée d’un garçon.  » Cela me fait souvenir que quand Mme la
Dauphine accoucha à Versailles de M. le duc de Bourgogne, le roi sortit le
premier de l’antichambre et nous dit : « Madame la Dauphine est accouchée
d’un prince.  » J’y étais présent à tous deux et remarquai une différence
notable entre joie et joie. On fut bien aise de la naissance de Mgr le
Dauphin […]. Mais à la naissance de M. le duc de Bourgogne on devint
presque fou. […] Chacun se donnait la liberté d’embrasser le roi. La foule
le porta depuis la surintendance où Mme la Dauphine accoucha jusqu’à ses
appartements. (Choisy, Mémoires)
La duchesse de Bourgogne […] vient de donner un prince à la France.
Cette liesse se marquera également à la naissance du premier fils du
duc de Bourgogne, garantie de continuité de la lignée par voie d’aînesse.
Mon Cousin, je vous dépêche ce courrier pour vous faire part de l’heureux
accouchement de la duchesse de Bourgogne, qui vient de donner un prince
à la France, dans un temps que mes sujets n’avaient pas moins d’intérêt de
le désirer, que les étrangers qui prennent part à la tranquillité de l’Europe.
(Louis XIV, Au maréchal de Tallard. Versailles, 25 juin 1704. Grimoard et
Grouvelle, VI)
Quoiqu’elle n’ait eu qu’une fille…
Quant à la préférence fondée sur le sexe, elle s’affiche avec une tranquille
évidence dans ce faire-part envoyé par Louis XIV à la duchesse de Savoie.
Ma Tante, la reine accoucha fort heureusement samedi dernier, 18 de ce
mois, un peu après midi ; et quoiqu’elle n’ait eu qu’une fille, il m’a semblé
que la bonne santé de l’une et de l’autre rend cette nouvelle assez agréable
pour vous la faire savoir. (Louis  XIV, À  la duchesse de  Savoie. Paris,
21 novembre 1662. Grimoard et Grouvelle, V)
Tout cela doit se faire naturellement, et cet ordre doit demeurer entre
vous et moi…
La question du rang des enfants naturels du roi (enfants de France par
main gauche) par rapport aux princes du sang se pose dès la légitimation
en 1669 du comte de Vermandois, fils de Louis  XIV et de Mlle  de  La
Vallière : quel rang lui donner par rapport aux princes de Conti, cadets de
la maison de Bourbon-Condé, lorsqu’ils se trouvent chez le Dauphin  ?
Louis XIV, très attentif aux exigences de la naissance, marche sur des œufs.
J’ai ordonné que le comte de  Vermandois fût traité comme les princes
de  Conti. Il faut seulement éviter qu’il se trouve en des occasions trop
marquées, comme à la chemise, à la serviette. Il sera bon qu’à l’église il ne
soit pas tout à fait au même rang que les princes du sang. Tout cela doit se
faire naturellement, et cet ordre doit demeurer entre vous et moi, car quand
on ne pourra éviter ce que je vous dis, il faut qu’il fasse comme les princes
de Conti. (Louis XIV, À Colbert. Au camp de Saint-Tron, 3 juillet 1675.
Grimoard et Grouvelle, V)
Je crois que vous serez aussi bien aise de faire ce plaisir au duc du
Maine, à moins que vous ne trouviez des difficultés que je ne puis
prévoir.
Entre son fils légitime et ses fils légitimés, le roi s’efforce d’aménager les
délicates relations, par exemple quand ils se trouvent ensemble aux armées
— ou du moins en parallèle. La hiérarchie de naissance et le principe de
suggérer fermement ce qui lui paraît devoir être fait, mais sans forcer
explicitement la main à qui de droit et tout en laissant une porte (étroite) à
la désobéissance, demeure la marque de son exercice du pouvoir  : un
absolutisme qui conserve les formes. Le duc du Maine me prie de faire
passer son régiment d’infanterie dans votre armée  ; cela ne se peut faire
qu’en envoyant un autre avec le maréchal de  Boufflers, qui ait le même
nombre de bataillons. Si vous le pouvez faire, j’en serai bien aise ; et je
crois que vous serez aussi bien aise de faire ce plaisir au duc du Maine, à
moins que vous ne trouviez des difficultés que je ne puis prévoir.
(Louis  XIV, Au Dauphin. Trianon, 29  juin 1694. Grimoard et Grouvelle,
IV) Et dans une lettre parallèle à l’intéressé. J’ai écrit à mon fils ce que
vous demandez pour votre régiment d’infanterie, et je ne doute pas qu’il ne
fasse ce que vous désirez en cette rencontre, ne voyant pas qu’il y ait
aucune raison qui le puisse empêcher (Id., Au duc du Maine, même jour,
même lieu, même source)
…et suis bien aise de voir l’amitié qu’il vous porte.
De fait, la bonne entente entre ses deux descendances, légitime et
légitimée, préoccupera toujours Louis  XIV. Vous avez bien fait de saluer
mon neveu à la tête de votre régiment. J’approuve ce que lui et vous avez
fait en cette rencontre, et suis bien aise de voir l’amitié qu’il vous porte.
(Louis  XIV, Au comte de Toulouse. Trianon, 29  juin 1694. Grimoard et
Grouvelle, IV)
Évitez autant qu’il sera possible, qu’il ne s’engage mal à propos et
dans de petites affaires à pouvoir être pris.
Louis XIV n’envoie pas sans précautions le préféré de ses fils légitimés
faire ses armes à la guerre  : le maréchal  d’Humières est prié de veiller
conjointement à la gloire et sur le sang du rejeton royal. J’envoie mon fils
le duc du  Maine servir dans l’armée que vous commandez, vous savez
l’amitié que j’ai pour lui, et combien je souhaite qu’il se rende digne de
soutenir l’état où il est. Je lui ai ordonné de croire en tout ce que vous lui
direz, étant assuré que vous le porterez à faire ce qu’il doit, et même un peu
plus. Le marquis de Louvois vous a écrit mes intentions sur la manière dont
je veux qu’il soit traité. Je m’assure que vous ferez exécuter ponctuellement
ce que je désire. Laissez voir tout au duc du Maine, mais évitez autant qu’il
sera possible, qu’il ne s’engage mal à propos et dans de petites affaires à
pouvoir être pris [être fait prisonnier]. (Louis  XIV, Au maréchal
d’Humières. Marly, 21 mai 1689. Grimoard et Grouvelle, VI)
Voilà donc un de mes curieux qui viennent pour savoir des nouvelles.
Peu de textes révèlent le ton des échanges entre Louis  XIV et ses fils
légitimés. Voici pourtant une affectueuse et malicieuse raillerie envers le
duc du Maine qui, un jour de mars 1710, année difficile et décisive de la
guerre de Succession d’Espagne, vient rôder autour du Conseil pour
apprendre les dernières nouvelles sur les pourparlers de paix avec la
Hollande qui mettent la cour sur des charbons ardents. Le roi lui dit en le
voyant  : «  Voilà donc un de mes curieux qui viennent pour savoir des
nouvelles ; je n’en sais point, les nouvelles ne sont pas encore déchiffrées. »
(Sourches, Mémoires, 26 mars 1710)
Ces gens-là […] ne devraient jamais se marier.
Il est donc peu probable et même peu vraisemblable que le roi ait
prononcé à l’occasion du mariage du duc du Maine avec Mlle de Charolais
(Louise-Anne de Bourbon-Condé) cette phrase que lui prête
Mme  de  Caylus, curieusement inspirée ici, semble-t-il, par la cabale
anti-«  bâtards  », alors qu’elle est l’héritière spirituelle de
Mme de Maintenon qui toujours les protégea. La contradiction même de
son raisonnement sur le désir qu’elle prête à M. le Prince (de Condé) de
faire sa cour en donnant sa fille au duc du Maine ôte pas mal de crédibilité
à son témoignage. On le donne donc au titre surtout de la légende noire
formée autour des enfants légitimés du roi. Je me souviens, à propos du
mariage de M. le duc du Maine, que le roi, qui pensait toujours juste, aurait
désiré que les princes légitimés ne se fussent jamais mariés. « Ces gens-là,
disait-il à Mme de Maintenon, ne devraient jamais se marier. » Mais M. le
duc du Maine ayant voulu l’être, cette même sagesse du roi aurait fait du
moins qu’il aurait choisi une fille d’une des grandes maisons du royaume,
sans les persécutions de M. le Prince [de Condé], qui regardait ces sortes
d’alliances comme la fortune de la sienne. (Caylus, Souvenirs, 1770)
Voici la seule occasion où je veuille me servir de mon autorité ; dans
les autres j’y donnerai mes conseils.
Au moment où le duc d’Anjou devient Philippe V, Louis XIV a pour lui des
attentions de grand-père pour un enfant : le jeune homme qui n’a que dix-
sept ans fait avec sa suite une dernière promenade dans Marly qu’il va
quitter à jamais. Le roi fit aller toutes les eaux, et les fit promener dans tout
le jardin, malgré le vilain temps  ; en passant dans l’endroit où est
l’escarpolette, le roi d’Espagne y voulut aller, et le roi craignant que la pluie
n’eût pourri quelqu’une des cordes, il lui défendit expressément d’y aller, et
en se tournant au marquis de Bedmar [envoyé de la cour d’Espagne], il lui
dit : « Voici la seule occasion où je veuille me servir de mon autorité ; dans
les autres j’y donnerai mes conseils.  » (Dangeau, Journal, 26  novembre
1700)
Je ne puis vous exprimer plus fortement ma tendresse et mon amitié,
qui dureront toujours pour vous.
L’affection de Louis  XIV pour son petit-fils Philippe  V s’exprime, au
commencement du règne chaotique du jeune homme, par des élans de
tendresse de mentor envers son disciple, comme si le vieux roi semblait se
reconnaître en lui à ses propres débuts. Le projet de voyage en Italie de
Philippe V allant dans la gloire de sa jeunesse reconnaître ses possessions
et ses peuples arrache à son grand-père des accents d’émotion qui semblent
sincères, accompagnés de ses conseils et de ses ménagements. Je persiste
toujours dans la pensée que vous devez passer en Italie au commencement
du printemps prochain. Je suis persuadé que l’idée seule de ce voyage vous
fait plaisir. J’aurai soin, puisque vous le souhaitez, de régler dans le temps
tout ce que je croirai nécessaire pour la descente et pour la commodité de
V. M. Il conviendra peut-être de publier bientôt votre passage. La nouvelle
en sera vraisemblablement bien reçue, et produira de bons effets en Italie. Je
vous avertirai quand je croirai qu’il sera temps de déclarer cette résolution,
qui vous fait honneur. Vous pourrez l’exécuter dès le mois de mars. Je crois
vous faire plaisir en avançant le terme de deux mois. […] Je ne douterai
jamais de votre bon naturel. Je suis très sensible aux sentiments que vous
témoignez, à l’égard de ceux que vous devez aimer ; les miens pour vous
sont tels que vous les méritez, et je ne puis vous exprimer plus fortement
ma tendresse et mon amitié, qui dureront toujours pour vous. (Louis XIV,
À Philippe V. Fontainebleau, 2 octobre 1701. Grimoard et Grouvelle, VI).
Il n’y a pas un lieu dans mon royaume où V.  M. ne soit regardée
comme un fils que j’aime tendrement.
Et dix jours plus tard, dans un autre courrier sur le même sujet. Si vous
voulez passer jusqu’à Perpignan, vous en serez le maître. Il n’y a pas un
lieu dans mon royaume où V. M. ne soit regardée comme un fils [au sens
large de descendant direct] que j’aime tendrement  ; et je suis persuadé
qu’en cette qualité l’empressement de mes sujets vous fera plus de plaisir
que les traitements dus à votre rang. (Louis  XIV, À  Philippe  V.
Fontainebleau, 12 octobre 1701. Grimoard et Grouvelle, VI).
Si je vous aimais moins, ma complaisance n’aurait point de bornes.
Non seulement le vieux roi manifeste son affection délicate envers son
petit-fils, mais il lui donne à son tour une leçon d’affection fondée sur
l’attachement qu’il suppose à la reine d’Espagne pour son tout récent mari.
J’ai considéré votre seule satisfaction, lorsque j’ai approuvé le dessein que
vous avez de conduire avec vous la reine à Naples ; mais mon amitié pour
vous ne me permet pas de vous taire les inconvénients que je prévois à lui
faire entreprendre ce voyage. Si je vous aimais moins, ma complaisance
n’aurait point de bornes, je supprimerais les conseils de père, lorsqu’ils
seraient contraires à ce que vous désirez. La tendresse que vous avez pour
la reine vous fait désirer de ne vous point séparer d’elle ; mais vous devez,
par la même raison, considérer à quelles incommodités vous l’exposez, en
lui faisant entreprendre un trajet de mer aussi considérable que celui qu’il
faut faire pour passer à Naples. Si son amitié pour vous lui ferme les yeux
sur les suites fâcheuses qu’elle en doit craindre, vous êtes obligé d’y faire
encore plus d’attention et d’assurer votre commun bonheur, en songeant à la
conservation de sa santé. (Louis  XIV, À  Philippe  V. Versailles, 22  mars
1702. Grimoard et Grouvelle, VI).
Croyez enfin que ma tendresse pour vous dicte ces conseils, que
j’attendrais d’un père si j’étais à votre place.
Il est notable que lorsqu’il conseille Philippe V sur la conduite à tenir
avec sa jeune épouse impétueuse et autoritaire, Louis XIV fasse allusion au
père qui lui a manqué. Relisez, je vous prie, ce que j’avais prévu sur cet
article, dans le mémoire que je vous donnai quand vous partîtes. Croyez
enfin que ma tendresse pour vous dicte ces conseils, que j’attendrais d’un
père si j’étais à votre place, et que je recevrais comme des preuves assurées
de son amitié. (Louis XIV, À Philippe V. 13 novembre 1701. Grimoard et
Grouvelle, VI).
Comme père et comme vous aimant tendrement.
La même tendresse semble décuplée par les victoires (ou du moins
l’illusion de victoires — il s’agit de la bataille de Luzzara, demeurée
indécise) que remportent les armées françaises associées au contingent du
jeune roi d’Espagne. Celui-ci aurait donné vaillamment de sa personne sur
le champ de bataille. Après vous avoir témoigné ma joie par rapport au bien
général des affaires, je puis, comme père [c’est-à-dire grand-père] et
comme vous aimant tendrement, vous ouvrir mon cœur et vous laisser
connaître tout le plaisir que je sens de voir que vous répondiez aussi
dignement aux devoirs de votre naissance, et particulièrement à ce que j’ai
toujours espéré de votre courage et de votre intrépidité ; je sais les marques
que vous en avez données. (Louis XIV, À Philippe V. Marly, 26 août 1702,
Lettres inédites du Mémorial du Dépôt général de la guerre)
On m’a épargné l’inquiétude que cette maladie m’aurait causée, en
m’apprenant en même temps votre guérison.
Les incertitudes de santé, après avoir inquiété en Louis  XIV le père à
propos du Dauphin, inquiètent en lui le grand-père tout particulièrement à
l’égard de son petit-fils que son titre de roi d’Espagne a désormais éloigné
de lui et dont la vie garantit seule l’alliance entre les deux nations. J’espère
que votre dernière indisposition étant présentement finie, vous jouirez
désormais d’une parfaite santé. On m’a épargné l’inquiétude que cette
maladie m’aurait causée, en m’apprenant en même temps votre guérison. Je
suis également sensible à tout ce qui vous regarde, et ma tendresse
particulière pour vous se fait connaître en toutes occasions. (Louis  XIV,
À Philippe V. Versailles, 26 février 1702. Grimoard et Grouvelle, VI).
Le duc de Bourgogne et Votre Majesté [Philippe V] me donnent de
grandes satisfactions.
Déclaration d’affection d’un grand-père (presque) comblé par ses deux
petits-fils, le duc de Bourgogne, futur Dauphin et en tout cas second après
son père, le Grand Dauphin, pour la succession de France, et Philippe V
déjà roi d’Espagne. Je suis très sensible aux assurances que vous me
donnez en toutes occasions de votre tendresse, et je crois que vous ne
doutez pas que celle que j’ai pour vous ne soit aussi vive. Le
duc  de  Bourgogne et V.  M. me donnent de grandes satisfactions.
(Louis XIV, À Philippe V. 29 décembre 1702. Grimoard et Grouvelle, VI)
Il ne convient pas que le roi d’Espagne soit informé de ce que je pense
sur son sujet.
Reste que l’affection n’aveugle pas le monarque sur les défauts de son
petit-fils devenu roi qui, en dépit des objurgations de son grand-père, se
révèle faible, timide, gouverné par son impérieuse épouse. Son grand-père
enseigne au duc de Gramont, nouvel ambassadeur de France en Espagne,
comment se conduire avec ce jeune couple aux rôles inversés par rapport à
l’ordinaire de la monarchie d’Ancien Régime et aux règles de conduite de
Louis XIV lui-même. Vous connaissez la faiblesse [de mon petit-fils] : s’il
changeait de sentiment, il ne serait pas impossible qu’il dît à la reine que
vous n’avez rien oublié pour l’engager à décider en maître et à régner
indépendamment d’elle, que vous l’avez fait par mes ordres, et que je
regarde comme une honte pour lui, comme un opprobre pour son règne,
qu’elle se mêle des affaires du gouvernement. Elle regarderait comme
l’injure la plus sanglante celle que vous lui auriez voulu faire en diminuant
son pouvoir, dont elle n’est peut-être pas moins touchée que de l’amitié du
roi son mari. […] Ces contradictions ne font que trop voir, qu’il ne serait
pas sûr de se laisser conduire par les premières apparences d’une fermeté
dont on n’a pas encore vu d’effet. La reine sera toujours maîtresse de son
esprit. Il faut plutôt songer à se servir du pouvoir qu’elle conservera, que de
tâcher inutilement de le détruire. Il ne convient pas que le roi d’Espagne
soit informé de ce que je pense sur son sujet. Bien loin d’en profiter, la
connaissance qu’il en aurait contribuerait encore à le décourager, et les
reproches trop fréquents d’une timidité qu’on ne peut vaincre abattent le
cœur au lieu de l’élever. (Louis XIV, Au duc de Gramont. 6 janvier 1705.
Grimoard et Grouvelle, VI)
UNE PARENTÈLE ENCOMBRANTE

►  Monsieur, frère du roi


Envers son frère, Louis  XIV mêlait à une affection manifeste une
condescendante teintée de mépris. Il défendait bec et ongles en lui
l’honneur et le rang de sa race, mais réprimait, peut-être dans le souvenir
des trahisons répétées de Gaston d’Orléans envers Louis  XIII, toute
prétention de Monsieur et de son fils qui pût risquer d’en faire des rivaux. Il
anticipait là d’un siècle et demi la révolution qui chasserait du trône un
Bourbon de la branche aînée (Charles X) au profit d’un Orléans (Louis-
Philippe).
Une certaine conduite qui m’aurait fait craindre quelque chose de
fâcheux, si d’ailleurs je n’avais eu connaissance de la trempe de son
cœur et du mien.
Leur douleur commune à la mort d’Anne d’Autriche rapprocha les deux
frères. L’aîné suppose au cadet l’arrière-pensée d’en profiter. Je ne sais si
c’est cette marque de tendresse qui lui donna lieu peu de jours après de me
demander que sa femme eût chez la reine une chaire à dos. De ma part,
j’aurais bien désiré de ne lui refuser jamais aucune chose. Mais voyant la
conséquence de celle-ci, ce que je pus fut de lui faire entendre que pour tout
ce qui servirait à l’élever au-dessus de mes autres sujets, je le ferais toujours
avec joie, mais que je ne crois pas lui pouvoir accorder ce qui semblerait
l’approcher de moi, lui faisant voir par raison l’égard que je devais avoir à
mon rang, la nouveauté de sa prétention, et combien il lui serait inutile d’y
persister. Mais tout ce que je lui pus dire ne satisfit aucunement son esprit ni
celui de ma sœur. Ils prétendirent même qu’en mourant la reine ma mère
m’avait fait cette demande, quoique en effet elle ne m’en eût point parlé et
qu’elle ne fût pas capable de la faire, ayant assez fait voir par ses actions
combien chèrement ceux de notre rang doivent en conserver la dignité.
Mais enfin mon frère prit dès lors avec moi une certaine conduite qui
m’aurait fait craindre quelque chose de fâcheux, si d’ailleurs je n’avais eu
connaissance de la trempe de son cœur et du mien. (Louis XIV, Mémoires
pour l’année 1666)
J’y ai fait venir beaucoup de joueurs pour amuser mon frère.
Je viens d’arriver ici : j’y ai fait venir beaucoup de joueurs pour amuser
mon frère, et faire qu’il ne s’ennuie point pendant qu’il y sera. Il doit aller à
Villers-Cotterêts la semaine prochaine. (Louis XIV, Au Dauphin. À Marly,
14 juillet 1694. Grimoard et Grouvelle, IV)
On fait fortune auprès de mon frère par certains moyens qui perdent
auprès de moi celui qui les emploie. 
Le comte de  Châtillon, frère aîné d’un favori de Monsieur, élevé de la
fange des rues au rang de son capitaine des gardes, se plaignit auprès du roi
qu’étant l’aîné, il n’avait pas fait fortune auprès de Sa Majesté, alors que
son cadet avait été si fort avancé par le cadet de Sa  Majesté. Le roi lui
répondit : « On fait fortune auprès de mon frère par certains moyens qui
perdent auprès de moi celui qui les emploie. » (Primi Visconti, Mémoires
sur la cour de Louis XIV, année 1675)
S’il ne faut pas autant de force au prince pour se défendre des
prétentions différentes de ses alliés, de ses sujets ou même de sa propre
famille, que pour résister aux attaques de ses ennemis.
Une remarque amusée du roi, qui s’appliquerait parfaitement à Monsieur
— et à tant d’autres aussi, bien qu’elle ait été provoquée par les tensions
entre Danois et Suédois qu’attisaient les Hollandais, ces deux dernières
nations étant alliées du roi qui envisageait de traiter avec la première des
trois. Sur lequel propos, on pourrait assez raisonnablement mettre en
question s’il ne faut pas autant de force au prince pour se défendre des
prétentions différentes de ses alliés, de ses sujets ou même de sa propre
famille, que pour résister aux attaques de ses ennemis. (Louis  XIV,
Mémoires pour l’année 1666)
Pour l’honneur de mon frère.
Pourtant, lorsqu’en 1677 Monsieur mène durant la guerre de Hollande
une campagne très brillamment couronnée de succès, Louis XIV reconnaît
son mérite dans une réponse au prince de Condé qui en avait félicité le roi.
Mon Cousin, c’est avec justice que vous me félicitez de la bataille de
Cassel. Si je l’avais gagnée en personne, je n’en serais pas plus touché, soit
pour la grandeur de l’action, ou pour l’importance de la conjoncture, surtout
pour l’honneur de mon frère : au reste, je ne suis pas surpris de la joie que
vous avez eue en cette occasion. Il est assez naturel que vous sentiez à votre
tour ce que vous avez fait sentir aux autres par de semblables succès.
(Louis XIV, Au prince de Condé. Au camp devant la citadelle de Cambrai,
15 avril 1677. Grimoard et Grouvelle, IV)
Vous verrez demain mon frère avec un manteau qui traîne.
Fort railleur durant sa jeunesse, le roi s’amusait volontiers du goût de
son cadet pour l’apparat, le vêtement, les marques visibles de son rang, les
colifichets de la mode, le faste, les bâtiments, les objets d’art. Voici ce qu’à
la mort de leur oncle Gaston d’Orléans Louis XIV en dit à la fille de celui-
ci, la Grande Mademoiselle. Vous verrez demain mon frère avec un
manteau qui traîne. Je crois qu’il a été ravi de la mort de votre père pour
cela  ; car il n’aurait osé en porter d’un autre par dignité. Je suis bien
heureux qu’il [Gaston  ?] ait été plus vieux que moi  ; car sans cela il
[Monsieur ?] aurait espéré en porter un par ma mort. Il croit en hériter et
avoir son apanage ; il ne parle d’autre chose ; mais il ne l’a pas encore.
(Mlle de Montpensier, Mémoires, février 1660)
N’êtes-vous pas mon frère, avez-vous peur de manquer de rien ?
Grand dépensier, donc, et quoique richissime toujours en quête des flots
d’or réclamés par les favoris qu’il entretenait et le luxe de son train,
Monsieur fut une cible de la satire anti-française. Challe rapporte le
propos, évidemment apocryphe, prêté à Louis  XIV sur ce sujet par un
pamphlet anti-absolutiste contemporain, qui y trouve occasion de satiriser
la dépense exorbitante d’un roi épuisant son pays et son peuple pour lui-
même et pour ses proches. De quoi vous embarrassez-vous ? N’êtes-vous
pas mon frère, avez-vous peur de manquer de rien ? (Challe, Mémoires)
Je vous marierai avec ma cousine : elle est fort riche ; elle fera votre
fortune.
Louis XIV pensa un temps marier la Grande Mademoiselle avec son frère,
pour des raisons assez triviales : la fille de Gaston d’Orléans était le plus
riche parti de France. Mme de Brienne, qui est fort de la cour et qui ne
bouge d’avec la reine dans tous les couvents, qui la suit toujours à toutes les
dévotions, me parla de force choses, et, entre autres, qu’elle mourait d’envie
de me voir mariée avec Monsieur, frère du roi ; qu’il l’avait tout à fait dans
la tête  ; que comme il avait confiance en elle, il lui avait conté qu’à
Compiègne, en parlant au roi qu’il fallait qu’il lui donnât un apanage, il lui
avait répondu : « Je vous marierai avec ma cousine : elle est fort riche ; elle
fera votre fortune ; » et que depuis ce temps il n’avait autre chose dans la
tête. (Montpensier, Mémoires, année 1657)
En tous les démêlés que vous pourrez avoir avec mon frère, si c’est de
lui à vous, je serai pour lui.
Dans les démêlés assez ridicules entre Monsieur et ses deux épouses, qu’il
suspectait d’infidélité avec une jalousie de vanité plus que de cœur, le roi
doit plusieurs fois s’interposer. Lorsque les favoris du prince ombrageux
attisent ce feu contre la seconde Madame, née princesse Palatine, peu
soupçonnable pourtant de galanteries, ne fût-ce que par son physique
hommasse, le roi ne croit rien des soupçons absurdes nourris par son frère.
Mais il respecte les lois de la parentèle et de la hiérarchie. Je ne veux point
vous tromper, Madame, répondit le roi, en tout les dessmeles que vous
poures avoir avec mon frere, si c’est de luy a vous, je seres pour luy, mais
aussi si c’est des auttres gens a vous je seres pour vous, et si vous me
voûliez croire je vous donneres advis comme un homme qui vous aime.
(Madame Palatine, Correspondance, 19  septembre 1682. Orthographe
originale)
Mon frère, ce n’est pas ainsi que des frères se doivent embrasser.
L’ambiguïté de ces relations de frère à frère et de sujet à roi est accrue et
soulignée par le caractère ombrageux de Monsieur, ses bouderies, ses
foucades, ses fureurs. Quand en 1672 Louis  XIV rappelle le chevalier
de  Lorraine, favori de son frère, qu’il avait exilé et de surcroît le fait
maréchal de camp, Monsieur éperdu de bonheur et de gratitude tombe aux
pieds de son aîné. Le roi le releva et lui dit : « Mon frère, ce n’est pas ainsi
que des frères se doivent embrasser  » et l’embrassa fraternellement.
(Sévigné, À Mme de Grignan. 12 février 1672)
Conservez-vous pour quand vous serez obligé d’agir dans le temps
qui sera le plus nécessaire.
Un peu libertin, un peu frondeur, insouciant et inconséquent, le fils de
Monsieur, duc de Chartres, futur duc  d’Orléans et futur régent (1715-
1723), n’avait rien en lui qui pût attirer Louis XIV. Durant la guerre de la
Ligue d’Augsbourg, le roi qui a fini par l’engager dans ses armées lui a
demandé un état de celle de Flandre, sur la stratégie de laquelle le jeune
homme se montre circonspect. Mû par l’espoir d’obtenir un commandement
à la hauteur de la réputation de bravoure et de capacité qu’il s’est acquise
à Mons, Steinkerque et Neerwinden, il piaffe d’une impatience que son
oncle modère avec une bonté où transparaît aussi sa défiance ordinaire
envers les Orléans. Ayez toujours la même conduite, et m’avertissez de tout
avec la même exactitude que vous avez fait. J’attends avec quelque
impatience les détails que vous me devez envoyer du reste de la cavalerie,
pour voir le véritable état où est toute celle de mon armée de Flandre.
J’apprends que vous fatiguez [sic] beaucoup, et quelquefois sans nécessité ;
conservez-vous pour quand vous serez obligé d’agir dans le temps qui sera
le plus nécessaire, et croyez que vous ne ferez rien, puisque je vous le
conseille, que les autres n’approuvent. (Louis  XIV, Au duc de Chartres.
Trianon, 29 juin 1694. Grimoard et Grouvelle, IV)
►  Cousins, parents et alliés
Mettez tout sur mon dos, je l’ai bon.
La famille royale est pleine de tensions et de conflits. Ses membres
légitimés, rendus plus ombrageux et susceptibles par leur statut ambigu, en
suscitent volontiers avec tout un chacun à la cour. Louis XIV fait tout pour
les résoudre, fût-ce en donnant de sa personne. La duchesse de Choiseul a
reparu à la cour, mais elle ne verra point Mme la princesse de  Conti
[ancienne Mlle de Blois, troisième fille du roi et de Mme de Montespan] ; le
roi même a défendu à la princesse de Conti de lui parler en cas qu’elle la
rencontrât en son chemin, lui disant  : «  Ne vous embarrassez pas de
chercher des raisons de ce que vous ne lui parlerez point ; dites que je vous
l’ai ordonné, mettez tout sur mon dos, je l’ai bon.  » (Dangeau, Journal,
19 décembre 1687).
Je vous marierai où il sera utile pour mon service.
Impérieuse, fantasque, capricieuse et entêtée, la Grande Mademoiselle ne
compliqua pas la vie du roi seulement par ses frasques de grande
frondeuse. Sa vie est jalonnée par ses projets de mariage qui
n’aboutissaient pas parce qu’elle visait très haut —  au moins un trône,
comme petite-fille d’Henri IV —, avant de s’amouracher du petit Lauzun,
parti qui ne pouvait lui être accordé, étant trop bas. En 1663, le roi de
Portugal fait un prétendant bien triste pour l’ardente amazone. Habile, elle
feint alors de préférer le duc de Savoie et insinue que l’évêque de Béziers
partant pour Venise pourrait bien faire un crochet par Turin pour négocier
cela. Le roi qui tient à son alliance avec Lisbonne ne l’entend pas ainsi. En
prenant congé du roi pour aller à Forges, je lui dis : « Sire, si Votre Majesté
voulait songer à mon établissement, voilà M.  de  Béziers qui s’en va à
Venise, qui passera à Turin, il pourrait négocier mon mariage avec
M. de Savoie. » Il me répondit : « Qui vous a dit qu’il va à Venise et qu’il
passera à Turin pour son voyage ? —  Sire, tout le monde le dit, et il me
semble que Turin est le chemin. — Vous vous trompez ; on n’y passe pas.
Je songerai à vous quand cela me conviendra et je vous marierai où il sera
utile pour mon service », d’un ton sec, qui m’effraya fort. (Montpensier,
Mémoires, 1662)
M’assurant que votre conduite me donnera toujours sujet de vous
chérir et de vous traiter comme une personne qui m’est aussi proche
que vous êtes.
Exilée en 1663 à Saint-Fargeau pour avoir refusé d’épouser Alphonse de
Portugal, Mademoiselle obtient son retour en grâce en mai 1664 par une
lettre caractéristique de celles que Louis XIV adresse à ses proches parents
d’abord récalcitrants, mais venant à résipiscence. Ma Cousine, j’ai une
extrême consolation de vous voir dans les sentiments que vous me
témoignez par votre lettre. J’oublie de bon cœur le passé, et je vous
permets, non seulement d’aller faire un tour à Paris, mais aussi d’y
demeurer ou de choisir tel autre séjour qui vous sera plus agréable, et même
de venir ici, en cas que vous le souhaitiez ; m’assurant que votre conduite
me donnera toujours sujet de vous chérir et de vous traiter comme une
personne qui m’est aussi proche que vous êtes. Je vous remercie de
l’affection avec laquelle vous m’écrivez sur la grossesse de la reine.
(Louis XIV, À Mlle de Montpensier. Fontainebleau, 27 mai 1664. Grimoard
et Grouvelle, V)
Si vous voulez, de votre part, faciliter un peu les choses.
À peine revenue à Paris, Mademoiselle recommence à importuner le roi
en prétendant l’engager dans la zizanie avec la veuve de son père, la
duchesse douairière d’Orléans. Ma Cousine, je ne puis pas empêcher que
les gens de ma tante ne parlent ; mais je ne crois pas qu’elle dise que je lui
aie promis ma protection contre vous. Je vous aime et vous considère autant
que les plus pressants motifs qui passent dans votre esprit sont capables de
m’y convier, et assurément mon intention est de vous faire plaisir en tout ce
qui se pourra : je vous avoue seulement que vous m’en ferez beaucoup, si
vous voulez, de votre part, faciliter un peu les choses. (Louis  XIV,
À  Mlle  de  Montpensier. Fontainebleau, 12  juillet 1664. Grimoard et
Grouvelle, V)
Je vois mieux ce qui se doit faire, que ceux qui vous parlent ou qui
vous écrivent.
Le mois suivant, le grief précédent s’apaisant, voici que revient l’ancien
grief sur le mariage savoyard : Mademoiselle est persuadée que le roi met
obstacle à son alliance avec Charles-Emmanuel  II de Savoie, veuf de
Françoise-Madeleine d’Orléans. Ma Cousine, je vois clairement par votre
dernière lettre, qu’on ne vous informe pas au vrai de ce qui se passe en
Piémont ; car si j’avais à être mal satisfait de mon ambassadeur, ce serait de
ce qu’il a exécuté mes ordres avec tant de chaleur, que le duc de Savoie
s’est plaint, par ses dépêches au comte Carroccio, qu’il semblait qu’on le
voulût forcer en une chose qui a toujours été entièrement libre, même aux
plus misérables particuliers. […] Je vous ai dit que je souhaite sincèrement
votre satisfaction, et je vous le confirme encore ; la seule amitié que j’ai
pour vous me donnerait ce sentiment, et je connais de plus que c’est le bien
de mon service : vous ne devez donc pas douter que je ne fasse tout ce qui
sera effectivement plus utile pour faire réussir la chose ; et pour les moyens,
je ne tirerai pas grand avantage de dire que je vois mieux ce qui se doit
faire, que ceux qui vous parlent ou qui vous écrivent. (Louis  XIV,
À  Mlle  de  Montpensier. Vincennes, 2  septembre  1664. Grimoard et
Grouvelle, V)
En quelque condition que vous soyez, je vous aimerai, je vous
considérai toujours à mon ordinaire et ne changerai jamais pour vous.
Et quand enfin l’ardente quémandeuse est décidée et même enragée
d’épouser Lauzun, en décembre 1670, voici l’avis attentif et affectueux que
le roi ajoute à son consentement arraché. Enfin, ma Cousine, songez-y
bien ; ce n’est pas de ces choses à faire légèrement. Je ne vous donne point
de conseil : car on croirait que ce serait moi qui vous le ferais faire. Vous
êtes en âge de voir ce qui vous est bon  ; je serais fort fâché de vous
contraindre en rien. Je ne voudrais ni contribuer à la fortune de
M.  de  Lauzun, y allant de votre intérêt, ni lui nuire. Aussi en quelque
condition que vous soyez, je vous aimerai, je vous considérai toujours à
mon ordinaire et ne changerai jamais pour vous. Mais je ne vous le
conseille pas ; je ne vous le défends point ; mais je vous prie d’y songer.
(Montpensier, Mémoires, décembre 1670)
Vous avez raison de vous plaindre de moi ; battez-moi, si vous voulez.
Et lorsque la raison d’État (ou la raison tout court) l’emporte sur la
raison du cœur, le roi enveloppe ses regrets de protestations de honte
particulièrement fortes pour avoir dû reprendre sa parole et interdire ce
qu’il avait d’abord permis. Je suis au désespoir de ce que j’ai à vous dire.
On m’a dit que l’on disait dans le monde que je vous sacrifiais pour faire la
fortune de M. de Lauzun ; cela me nuirait dans les pays étrangers, et que je
ne devais point souffrir que cette affaire s’achevât. Vous avez raison de
vous plaindre de moi ; battez-moi, si vous voulez. Il n’y a emportement que
vous puissiez avoir que je ne souffre et que je ne mérite. (Montpensier,
Mémoires, décembre 1670)
Donnerez-vous tous les jours de votre vie dans les panneaux que l’on
vous tendra pour vous fâcher ?
Son grand malheur ne suffit pas à rendre Mademoiselle raisonnable : elle
n’en reste pas moins susceptible envers tout ce qu’elle croit concerté pour
porter atteinte à son rang. En 1680, Mme  de  Soubise la persuade de
considérer comme une avanie une innocente redistribution de chambres au
château de Saint-Germain destinée à mieux loger le prince de Conti et où
elle ne perd rien. Le roi prévenu par Mme  de  Montespan ne peut
s’empêcher de laisser percer sa lassitude agacée devant la naïveté
volcanique de sa cousine. Donnerez-vous tous les jours de votre vie dans
les panneaux que l’on vous tendra pour vous fâcher  ? (Montpensier,
Mémoires, année 1680)
Je ne suis que volontaire.
Autre parent agité, le prince de  Condé, cousin du roi, était entré en
rébellion contre le parti de Mazarin et de la régente durant la Fronde.
Exilé, allié un temps à l’ennemi espagnol, il retrouva en rentrant à la cour
de France la confiance et l’admiration du roi pour son génie militaire. La
légende s’est évidemment emparée de cette alliance entre la gloire,
incarnée par le premier, et la grandeur, par le second. L’armée commandée
par le Grand Condé ayant campé dans un endroit où il n’y avait qu’une
maison, le roi ordonna qu’on la gardât pour le prince. Condé voulut en vain
se défendre de l’occuper ; il y fut forcé. « Je ne suis que volontaire, dit le
monarque, et je ne souffrirai point que mon général soit sous la toile, tandis
que j’occuperai une habitation commode…  » (Chaudon, Nouveau
Dictionnaire historique)
C’est beaucoup pour des gens qui commencent à faire la guerre,
qu’une approbation comme la vôtre.
La légende semble en l’occurrence avoir puisé dans la réalité  : la
déférence de Louis XIV envers les talents militaires du prince de Condé, sa
modestie et son admiration sincères et d’autant plus méritoires que Condé
jadis avait trahi, se manifestent dans ce courrier écrit, dicté ou au moins
inspiré et visé par le roi en réponse aux compliments qu’il recevait de son
illustre cousin après la chute de Condé-sur-l’Escaut : la ville, assiégée par
Vauban, fut prise par canonnade sous le commandement personnel de
Louis  XIV supervisant les maréchaux de Créqui et d’Humières. Mon
Cousin, c’est beaucoup pour des gens qui commencent à faire la guerre,
qu’une approbation comme la vôtre  ; mais rien ne me touche davantage
dans le compliment que vous m’avez fait sur la prise de Condé, que l’amitié
que j’y remarque. Conservez-la-moi, et croyez que j’y répondrai toujours
avec l’estime qu’elle mérite. (Louis XIV, Au prince de Condé. Au camp de
Sébourg, 3 mai 1676. Grimoard et Grouvelle, IV).
J’ai bien plus de confiance en la valeur de mon-dit cousin, qu’en
plusieurs résolutions où elle pourrait le porter.
Fils d’un bâtard d’Henri IV, le duc de Beaufort, ancien « roi des halles »
durant la Fronde, hâbleur, bretteur, héroïque et imprévisible, reçut le
commandement d’une flotte chargée de lutter contre les Ottomans en
Méditerranée : il leur livrera la bataille de Cherchell le 24 août 1665. Sans
pouvoir lui refuser ce commandement comme prince du sang, Louis  XIV
s’arrange secrètement pour que de plus sages esprits tiennent en lisière son
impétueux cousin par main gauche. Cette précaution, amenant une guerre
des chefs, se retournera contre la qualité de l’expédition. Vivonne, par la
lettre ci-jointe je mande à mon cousin le duc de Beaufort de vous donner
entière créance, comme vous verrez par la copie dont elle est accompagnée.
Afin donc que vous soyez informé de mes intentions pour les lui pouvoir
expliquer, je vous dirai que j’entends que, dans les occasions importantes,
soit de descente à terre, ou d’attaques et d’entreprises où il s’agira
d’employer mes troupes, on ne résolve rien sans l’avoir examiné au conseil
de guerre, et qu’on n’y fasse beaucoup de considération des avis des sieurs
de Gadagne, de La Guillotière et chevalier de Clerville. […] car j’ai bien
plus de confiance en la valeur de mon-dit cousin, qu’en plusieurs
résolutions où elle pourrait le porter, décidant les choses lui seul ; et en cas
qu’il voulût agir au préjudice de leurs sentiments, et de toutes les raisons
que vous lui représenterez, je vous ordonne de lui déclarer en particulier,
que mon intention est que, dans les matières ci-dessus, leur avis serve de
règle […]. Comme vous ne devez pas manquer à cette déclaration en cas de
nécessité, vous jugez bien qu’hors ce cas, il faut n’en rien témoigner ; et
pour le reste, en parler avec toute la discrétion possible. (Louis XIV, Au
comte de Vivonne. Paris, 28 avril 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
Quand vous saurez bien gouverner vos affaires, je vous donnerai le
soin des miennes.
Dans les débuts de son règne, Louis  XIV regardait d’un œil au moins
circonspect son petit-cousin par main gauche, Louis-Joseph de Vendôme,
descendant d’un bâtard d’Henri IV, personnage brillant mais vantard,
cultivé mais brouillon, intrépide et dispersé, et amateur gourmand de
plaisirs de toutes sortes, y compris de ceux que le roi ne partageait ni
n’estimait. Un jour de 1676, il lui aurait dit : « Quand vous saurez bien
gouverner vos affaires, je vous donnerai le soin des miennes. » Et cela finit
tout court, et cela est vrai, conclut Mme  de  Sévigné (Sévigné,
À Mme de Grignan, 8 avril 1676).
Je souhaite qu’à votre retour nous nous puissions embrasser avec
plus de sûreté que présentement. 
Et en 1699, avant que les succès militaires de Vendôme au service de
Philippe V et de la France ne le mettent dans une faveur incroyable auprès
de Louis  XIV, celui-ci aurait quitté sur ces mots mi-figue mi-raisin son
libertin de parent qui quittait la cour pour soigner une maladie vénérienne
sans doute contractée au cours d’une des parties fines qu’il organisait avec
son frère Philippe, dit le Prieur de Vendôme. M. de Vendôme a commencé à
Paris à se mettre dans les grands remèdes, qui seuls peuvent le guérir ; il
prit congé du roi vendredi, qui lui dit : « Je souhaite qu’à votre retour nous
nous puissions embrasser avec plus de sûreté que présentement ; ne soyez
plus la dupe de votre santé ni de vos affaires. » (Dangeau, Journal, 10 mai
1699)
Je viens vous embrasser dans le même lieu où je vous dis adieu il y a
quatre ans.
Durant la guerre de Succession d’Espagne, Vendôme, qui s’y révéla
indispensable, demeura quatre ans en Italie, qu’il n’interrompit pas même
pour venir faire sa cour à Versailles. À son retour, l’accueil fut à la hauteur
de ses succès : triomphal. M. de Vendôme arriva ici sur les sept heures. Dès
qu’on sut qu’il arrivait, tous les domestiques et les porteurs de chaises
allèrent l’attendre sur son chemin, et dès qu’il fut entré dans sa chambre
tous les courtisans, à commencer par les princes du sang, allèrent le voir ; il
ne resta que les dames dans le salon. Après qu’il fut habillé, il vint au salon.
Monseigneur fit cesser la musique quelque temps pour l’embrasser ; ensuite
le roi, qui travaillait avec M. Chamillart chez Mme de Maintenon, l’envoya
quérir, le vint recevoir dans le cabinet, et lui dit : « Je viens vous embrasser
dans le même lieu où je vous dis adieu il y a quatre ans.  » Ensuite il
demeura quelque temps avec le roi et M. de Chamillart ; et jamais personne
n’a été si bien reçu à la cour. Il y avait quatre ans et trois jours qu’il était
parti d’ici, car on a compté jusques aux jours. (Dangeau, Journal, 12 février
1706)
Marly et Versailles ou le roi en compagnie
Versailles pour ma cour, Marly pour mes amis, disait le mot apocryphe
qui nous sert ici guide. En fait, ces deux lieux se font pendant et se situent
en réciprocité  : l’un gouverné par une logique de l’addition, l’autre de
l’éviction. La gloire du roi demandait que Versailles fût toujours rempli et le
plus possible, son repos lui fit souhaiter Marly où l’on n’était invité que par
choix de goût, d’estime ou de caprice. Marly devint l’écrin délicat de la
faveur et donc le lieu d’élection des favoris et des favorites. Versailles
s’enfla en palais fastueux fermé sur son cérémonial immuable mais ouvert à
tous les vents de l’adulation, de l’intrigue ou de la curiosité.
MARLY OU LE ROI ET SES FAVORI(TE)S

►  Un honneur recherché
Eh bien, qu’ils s’en retournent !
Le pli de faire de Marly un lieu d’exception et de faveur s’était pris à
l’occasion de fêtes très courues que Louis XIV y donnait à sa cour et où il
avait dû limiter le nombre des invités à cause de l’exiguïté des lieux. Un
soir qu’il donnait une de ces fêtes à Marly, MM. les ducs de Villeroy et de
Roquelaure, M. le marquis d’Antin, et des Ormes, contrôleur général de la
maison du roi, y vinrent sans lui en avoir demandé la permission, et, comme
les portes étaient fermées, ils firent prier M.  le duc de  Luxembourg,
capitaine des gardes en quartier, de dire au roi qu’ils étaient à la porte ; mais
le roi répondit sèchement  : «  Eh bien, qu’ils s’en  retournent  !  ». Et
effectivement ils n’entrèrent point. (Sourches, Mémoires, août 1685)
Et qu’il s’en aille !
Et l’anecdote se continue dans le même registre. Peu de temps après,
arriva le comte de Roucy, lequel était le jour même arrivé de Béarn, où il
était allé voir son régiment, et qui ne savait point la défense du roi ; il fit
dire à M. de La Rochefoucauld qu’il était à la porte ; et ce duc, qui était son
ami et son proche parent, ayant vu refuser les autres, crut pouvoir lui
procurer l’entrée par habileté, et dit au roi qu’il venait d’arriver de Béarn et
qu’il souhaitait d’avoir l’honneur de lui faire la révérence  ; mais le roi
répondit sur-le-champ  : «  Qu’il  vienne me la faire et qu’il s’en aille  !  »
(Ibid.)
Les autres me prient de les mener à Marly, et moi je vous prie, vous,
d’y venir.
L’habitude de sélectionner par caprice provint donc de la nécessité de
réduire le nombre des invités. Le roi a dit que tant de gens lui avaient
demandé à venir à Marly ce voyage-ci, que, quand la maison aurait été aussi
grande que Fontainebleau, ils n’y auraient pas pu être logés tous. Il a dit à
M. de Metz [l’évêque de Metz, Mgr d’Aubusson de La Feuillade, frère du
maréchal de  La  Feuillade, célèbre courtisan du roi] qui le divertit fort  :
« Les autres me prient de les mener à Marly, et moi je vous prie, vous, d’y
venir. » (Dangeau, Journal, 1er décembre 1687)
Madame, je suis assuré que vous avez été contente.
La nécessité de sélectionner, devenue principe, confère au cadre de Marly
le charme et la familiarité que Mme  de  Sévigné identifie en termes
éclairants dans un contexte différent mais similaire  : lors des rares
représentations d’Esther, tragédie de Racine créée pour et à Saint-Cyr où,
de même, l’on n’était couché sur la liste des spectateurs autorisés à venir
voir le spectacle qu’avec l’assentiment du roi et de Mme de Maintenon. Le
roi vint vers nos places, et, après avoir tourné, il s’adressa à moi et me dit :
«  Madame, je suis assuré que vous avez été contente.  » Moi, sans
m’étonner, je répondis  : «  Sire, je suis charmée  ; ce que je sens est au-
dessus des paroles. » Le roi me dit : « Racine a bien de l’esprit. » Je lui dis :
«  Sire, il en a beaucoup  ; mais en vérité ces jeunes personnes en ont
beaucoup aussi : elles entrent dans le sujet comme si elles n’avaient jamais
fait autre chose.  » Il me dit  : «  Ah  ! pour cela, il est vrai.  » Et puis
Sa Majesté s’en alla, et me laissa l’objet de l’envie : comme il n’y avait
quasi que moi de nouvelle venue, il eut quelque plaisir de voir mes sincères
admirations sans bruit et sans éclat. M. le Prince et Mme la Princesse me
vinrent dire un mot ; Mme de Maintenon, un éclair : elle s’en allait avec le
roi ; je répondis à tout, car j’étais en fortune. Nous revînmes le soir aux
flambeaux. Je soupai chez Mme de Coulanges, à qui le roi avait parlé aussi
avec un air d’être chez lui qui lui donnait une douceur trop aimable.
(Sévigné, À Mme de Grignan, 21 février 1689)
Je veux vous faire aimer Marly.
De même Marly remplit-il le monarque de générosité et suscite-t-il en lui
une sorte de reconnaissance pour ceux qui y vont, alors même que la seule
exclusion du grand nombre suffit à rendre le lieu attractif et comme
magnétique. Jeudi 1er décembre. À Marly. Le roi après sa messe alla courre
le cerf. En montant dans sa calèche, il appela Niert, son premier valet de
chambre en quartier, et lui dit : « Je veux vous faire aimer Marly, et pour
cela, je vous donne la survivance de  votre charge pour votre fils.  »
(Dangeau, Journal, 1er décembre 1701)
Vous pourrez venir à Marly tous les jours et aux heures qui vous
conviendront le plus.
Ainsi le roi y convie-t-il ceux qu’il veut honorer sans les accabler des
formes officielles de sa gratitude. En 1708, le maréchal de  Berwick, qui
l’année précédente a restauré le pouvoir de Philippe V sur le royaume de
Valence grâce à la victoire d’Almansa, fait une visite rapide à la cour entre
deux campagnes : Louis XIV lui accorde, faveur exceptionnelle, les entrées
sans condition à Marly pour la durée de son séjour. Le duc de Berwick
demanda au roi d’être du voyage de Marly qui se fera demain, et le roi lui
dit : « Vous n’avez que peu de jours à demeurer en ce pays-ci, il faut vous
laisser le plaisir d’être avec la duchesse de Berwick et dans votre famille.
Vous pourrez venir à Marly tous les jours et aux heures qui vous
conviendront le plus. Je crois que ce parti-là sera le plus agréable et le plus
commode pour vous. » (Dangeau, Journal, 17 avril 1708)
Vous êtes bien homme à n’avoir jamais vu Marly. Venez le voir à ma
promenade.
Autre hôte célèbre, autre invitation hors normes : Louis XIV a besoin des
millions du traitant Samuel Bernard pour renflouer ses finances durant la
guerre de Succession d’Espagne. Il offre donc à ce riche banquier, le plus
riche d’Europe, dit Saint-Simon, un honneur qu’il mesure aux plus grands
seigneurs de sa cour. En application d’une mise en scène organisée à
l’avance, le roi passe devant le pavillon du domaine où réside alors le
surintendant des finances Desmarets et s’y arrête. Le roi dit à Desmarets
qu’il était bien aise de le voir avec M. Bernard, puis tout de suite, dit à ce
dernier : « Vous êtes bien homme à n’avoir jamais vu Marly. Venez le voir à
ma promenade, je vous rendrai après à Desmarets.  » Bernard suivit, et,
pendant qu’elle dura, le roi ne parla qu’à Bergeyck [surintendant général et
contrôleur général des guerres de Philippe V aux Pays-Bas espagnols] et à
lui, et autant à lui qu’à l’autre, les menant partout et leur montrant tout
également avec les grâces qu’il savait si bien employer quand il avait
dessein de combler. J’admirais, et je n’étais pas le seul, cette espèce de
prostitution du roi, si avare de ses paroles, à un homme de l’espèce de
Bernard. Je ne fus pas longtemps sans en apprendre la cause et j’admirai
alors où les plus grands rois se trouvent quelquefois réduits. (Saint-Simon,
Mémoires, année 1708)
Mettez vos chapeaux, Messieurs.
À Marly, l’étiquette s’assouplit et le port du chapeau est autorisé aux
messieurs en plein air, par délicatesse royale. Il a l’honnêteté de faire
couvrir toujours les courtisans qui le suivent aux promenades de Marly, et
même quand Mme la duchesse de Bourgogne est avec lui, il dit : « Mettez
vos chapeaux, Messieurs, Mme la duchesse de Bourgogne le trouve bon. »
(Dangeau, Journal, 15 avril 1699).
Mon père, vous voilà donc enfin devenu courtisan malgré vous ?
On y rencontre même le dernier confesseur du roi, le terrible P. Le Tellier,
dont Louis XIV aurait confié au duc d’Harcourt à Marly : Voyez-vous cet
homme ? Son plus grand bonheur serait de donner son sang pour l’Église, et
je ne crois pas qu’il y en ait un seul dans tout mon royaume de plus
intrépide et de plus saint. On comprend donc la formule amusée par
laquelle le roi l’accueillit à Marly  : «  Mon père, vous voilà donc enfin
devenu courtisan malgré vous ? » (Sourches, Mémoires, 18 avril 1709)
►  Le roi et les dames
S’il arrive que nous tombions malgré nous dans quelqu’un de ces
égarements, il faut du moins […] en diminuer la conséquence.
Un passage qui finalement ne sera pas inséré dans les Mémoires pour le
Dauphin exposait une doctrine politique sinon morale à propos des écarts
de conduite du roi dans leur relation avec l’exercice de son pouvoir. Il est
sans exemple que Louis XIV ait ainsi traité de sa vie amoureuse avec tant
de clarté et un tel souci d’honnêteté, sans cacher les fautes que son
penchant au plaisir put l’amener à commettre. Comme le prince devrait
toujours être un parfait modèle de vertu, il serait bon qu’il se garantît des
faiblesses communes au reste des hommes, d’autant plus qu’il est assuré
qu’elles ne sauraient demeurer cachées. Et néanmoins, s’il arrive que nous
tombions malgré nous dans quelqu’un de ces égarements, il faut du moins,
pour en diminuer la conséquence, observer deux précautions que j’ai
toujours pratiquées, et dont je me suis bien trouvé. La première, que le
temps que nous donnons à l’amour ne soit jamais pris au préjudice de nos
affaires, parce que notre premier objet doit être la conservation de notre
gloire et de notre autorité, lesquelles ne se peuvent maintenir que par un
travail assidu. Car, quelque transportés que nous puissions être, nous
devons, par le propre intérêt de notre passion, considérer qu’en diminuant
de crédit dans le public, nous diminuerions aussi d’estime auprès de la
personne pour laquelle nous nous serions relâchés. Mais la seconde
considération, qui est la plus délicate et la plus difficile à pratiquer, est que
nous demeurions maître de notre esprit ; que nous séparions les tendresses
d’amant d’avec les résolutions de souverain  ; que la beauté qui fait nos
plaisirs n’ait jamais la liberté de nous parler de nos affaires, ni des gens qui
nous y servent (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667, appendice).
Enfin, elle me plaît et je la trouve fort à ma fantaisie. 
Avant l’infante Marie-Thérèse, c’est l’héritière de Savoie, la princesse
Marguerite, qui avait été un temps destinée à Louis  XIV. Impatient de
connaître sa promise, le jeune roi n’attend pas l’arrivée du convoi de celle-
ci à Lyon où il est venu l’accueillir : il part au-devant de sa future épouse
qu’il n’a encore jamais vue. Le roi revint au galop, mit pied à terre et
s’approcha du carrosse de la reine avec une mine la plus gaie du monde et
la plus satisfaite. La reine lui dit : « Eh bien, mon fils ? » Il répondit : « Elle
est plus petite que Mme la maréchale [de Villeroy] ; mais elle a la taille la
plus jolie du monde ; elle a le teint… » Il hésita, ne pouvant dire comme
elle l’avait. Enfin il trouva : « …olivâtre ; mais cela lui sied bien. Elle a de
beaux yeux  ; enfin, elle me plaît et je la trouve fort à ma fantaisie.  »
(Montpensier, Mémoires, année 1658)
Je la trouve à souhait et serais fâché qu’elle fût plus belle.
La princesse Marie-Adélaïde de Savoie arrive en novembre  1696 à la
cour pour y épouser, aux termes du traité de Ryswick, le duc de Bourgogne,
petit-fils aîné du roi. Elle conquiert d’emblée Louis  XIV qui aura une
dilection toute particulière pour sa grâce, son enjouement et sa vivacité, si
différentes de l’austère piété de son époux — d’où le trait final de la
citation : le roi même vieilli avait assez de connaissance des choses de sa
cour et de ceux qui la formaient pour souhaiter à son petit-fils que la
mariée ne fût pas plus belle, sinon trop. Elle a la meilleure grâce et la plus
belle taille que j’aie jamais vues, habillée à peindre, et coiffée de même ;
des yeux vifs et très beaux, des paupières noires et admirables ; le teint fort
uni, blanc et rouge, comme on le peut désirer  ; les plus beaux cheveux
blonds que l’on puisse voir, et en grande quantité. Elle est maigre, comme il
convient à son âge ; la bouche fort vermeille, les lèvres grosses, les dents
blanches, longues et très mal rangées, les mains bien faites, mais de la
couleur de son âge. Elle parle peu, au moins à ce que j’ai vu ; n’est point
embarrassée qu’on la regarde, comme une personne qui a vu le monde. Elle
fait mal la révérence et d’un air un peu italien ; elle a quelque chose d’une
Italienne dans le visage, mais elle plaît ; je l’ai vu dans les yeux de tout le
monde. Pour moi, j’en suis tout à fait content. Elle ressemble fort à son
premier portrait et point du tout à l’autre. Pour vous parler comme je fais
toujours, je la trouve à souhait et serais fâché qu’elle fût plus belle. Je le
dirai encore  : tout plaît, hormis la révérence. (Louis  XIV, Lettres à
Mme de Maintenon, 4 novembre 1696)
Et moi, j’ai rêvé que vous étiez fou !
On n’a conservé guère de paroles vives de Louis XIV à propos de Louise
de La Vallière, sa première maîtresse « officielle ». En voici deux à la suite
et qui se font pendant, l’une ici au plein de ses amours et l’autre dans la
rubrique suivante, à leur couchant. J’ai ouï conter qu’au temps où
Mlle de La Vallière était en faveur, le duc Mazarin avait dit au roi qu’il
avait su, par révélation nocturne, que Sa  Majesté devait amender sa
conduite ; à quoi le roi répondit : « Et moi, j’ai rêvé que vous étiez fou ! »
Tout le monde aussitôt, jusqu’aux laquais, montra au doigt le duc comme un
fou, si bien qu’il n’osait plus mettre le pied à la cour. (Primi Visconti,
Mémoires sur la cour de Louis XIV, année 1674)
Monsieur le premier président, n’avez-vous jamais fait de folie dans
votre jeunesse ?
Le 13 mai 1667 sont enregistrées les lettres patentes érigeant le duché de
Vaujours en faveur de Mlle de La Vallière. C’est — ou du moins ce voudrait
être  — un cadeau d’adieu. L’on dit que quand le roi envoya prendre ici
M. le premier président pour qu’il allât à Saint-Germain recevoir ses ordres
pour l’érection de ce duché, le roi, tenant la patente à la main, lui dit  :
« Monsieur le premier président, n’avez-vous jamais fait de folie dans votre
jeunesse ? » L’autre lui fit un joli discours pour lui prouver qu’à cet âge-là il
y avait peu de monde qui n’eût fait quelque légèreté. Le roi, en lui remettant
la patente, lui répliqua qu’il en avait fait une bien grande et lui dit : « La
voilà, il la faut vérifier, mais je n’y retournerai plus. » Tout le monde croit
qu’il n’aura plus affaire avec cette duchesse, mais Votre Altesse Royale sait
combien la fragilité humaine est grande et que souvent nous ne sommes pas
les maîtres de nous-mêmes ni de nos passions. (Saint-Maurice, Lettre du
3 mai 1667)
Elle fait ce qu’elle peut, mais moi je ne veux pas.
Des mots plus ou moins apocryphes ont couru qui brocardent les efforts
opérés par Mme de Montespan pour se faire aimer du roi dès l’époque où
Louise de La Vallière avait toutes ses faveurs ou presque. Primi Visconti
rapporte (au conditionnel et plusieurs années après) celui-ci, plus crédible
que croyable. Comme elle paraissait mettre de l’affectation à lui plaire, il
aurait dit : « Elle fait ce qu’elle peut, mais moi je ne veux pas. » (Primi
Visconti, Mémoires sur la cour de Louis XIV, année 1673)
Pour ce qui regarde l’affaire dont Fieubet est chargé, dites-lui de la
presser.
L’aigreur de M.  de  Montespan donna beaucoup de fil à retordre à sa
femme et au royal amant de celle-ci. Colbert, chargé des tractations avec le
mari incommode, est pressé par le roi d’en finir, en marge de la lettre même
qu’il a envoyé à Sa Majesté. Pour ce qui regarde l’affaire dont Fieubet est
chargé, dites-lui de la presser, afin de l’achever, s’il est possible, dans la fin
de ce mois. Quand vous viendrez à Fontainebleau, je désire que vous soyez
instruit de l’état auquel elle sera, afin que je prenne mon parti sur le séjour
de M. de Montespan. En attendant, vous ne lui ferez donner aucun ordre.
(Louis XIV, réponse en marge d’une lettre de Colbert, Paris, 17 juin 1674,
coll. Luynes, mss 93, carton 2, copie, dans Pierre Clément, Madame de
Montespan et Louis XIV, Paris, Didier, 2e éd., 1868, p. 221)
Vous pouvez faire dire un mot au juge, pour qu’il termine les affaires
de M. de Montespan, afin qu’il parte plus tôt.
De la manière d’écarter les gêneurs  : M. de Montespan en 1678 est à
Paris pour suivre un procès qu’on y instruit. Il rappelle à Colbert qu’on lui
a fait gagner le précédent pour se débarrasser de lui et demande la même
faveur. Colbert transmet au roi, qui répond à même la lettre. Vous pouvez
faire dire un mot au juge, pour qu’il termine les affaires de
M.  de  Montespan, afin qu’il parte plus tôt. (Louis  XIV, en marge d’une
lettre de Colbert, Sceaux, 24 mai 1678. Grimoard et Grouvelle, V)
Il me revient que Montespan se permet des propos indiscrets. C’est
un fou que vous me ferez plaisir de faire suivre de près.
Mais la mesure ne suffit pas. Il me revient que Montespan se permet des
propos indiscrets. C’est un fou que vous me ferez plaisir de faire suivre de
près ; et pour que le prétexte de rester à Paris ne dure pas, voyez Novion,
afin qu’on se hâte au Parlement. Je sais que Montespan a menacé de voir sa
femme : comme il en est capable, et que les suites seraient à craindre, je me
repose encore sur vous pour qu’il ne paraisse pas. N’oubliez pas les détails
de cette affaire, et surtout qu’il sorte de Paris au plus tôt. (Louis  XIV,
À Colbert. Saint-Germain-en-Laye, 15 juin 1678. Grimoard et Grouvelle,
V)
La personne que je vous ai recommandée en partant.
Pendant les campagnes militaires où les dames ne peuvent pas toujours
suivre l’armée et son roi, encore peut-on correspondre discrètement. Le
billet à Colbert que voici concerne sans doute Mme de Montespan. Il faut
rendre [remettre au destinataire] les lettres que je vous envoie, et
particulièrement celles où il n’y a rien dessus, et qui s’adressent à la
personne que je vous ai recommandée en partant. Vous m’entendez bien.
(Louis XIV, À Colbert. Metz, 31 août 1673. Grimoard et Grouvelle, V)
Je serai très aise qu’elle s’amuse à quelque chose, et celles-là sont très
propres à la divertir.
Tout désir d’une maîtresse en titre a force de loi, Colbert le sait bien et se
l’entend souvent rappeler depuis le théâtre des opérations où Louis  XIV
craint que Mme  de  Montespan demeurée à Paris ne s’ennuie (de lui  ?).
Mme de Montespan m’a mandé que vous vous acquittiez fort bien de ce que
je vous ai ordonné, et que vous lui demandez toujours si elle veut quelque
chose : continuez à le faire toujours. Elle me mande aussi qu’elle a été à
Sceaux, où elle a passé agréablement la soirée. Je lui ai conseillé d’aller un
jour à Dampierre, et je l’ai assurée que Mme de Chevreuse et Mme Colbert
l’y recevraient de bon cœur. Je suis assuré que vous en ferez de même. Je
serai très aise qu’elle s’amuse à quelque chose, et celles-là sont très propres
à la divertir. Confirmez ce que je désire. Je suis bien aise de vous le faire
savoir, afin que vous apportiez les facilités, en ce qui dépendra de vous, à ce
qui la pourra amuser. Et deux semaines plus tard. Je suis très aise que vous
ayez acheté des orangers pour Clagny ; continuez à en avoir de plus beaux,
si Mme  de  Montespan le désire. (Louis  XIV, À  Colbert. Au camp de
Latines, 8  juin 1675/Au camp sur la hauteur de Nay, 15  juin 1675.
Grimoard et Grouvelle, V)
Ses beaux yeux se remplissent de larmes lorsqu’on lui raconte
quelque action généreuse et touchante.
La jalousie que suscitait chez Mme de Montespan la faveur croissante de
Mme  de  Maintenon auprès du roi provoqua de furieuses querelles entre
elles deux. En 1675, après une qui avait été particulièrement vive,
Mme de Maintenon propose à Louis XIV de se justifier en tête à tête avec
lui. Quand Mme de Maintenon se vit tête à tête avec le roi, elle ne dissimula
rien  ; elle peignit l’injustice et la dureté de Mme  de  Montespan d’une
manière vive, et fit voir combien elle avait lieu d’en appréhender les effets.
Les choses qu’elle citait n’étaient pas inconnues du roi  ; mais comme il
aimait encore Mme de Montespan, il chercha à la justifier ; et pour faire
voir qu’elle n’avait pas l’âme si dure, il dit à Mme de Maintenon : « Ne
vous êtes-vous pas souvent aperçue que ses beaux yeux se remplissent de
larmes lorsqu’on lui raconte quelque action généreuse et touchante ? » Avec
cette disposition, il est à présumer, comme je l’ai dit, que si
Mme  de  Montespan eût voulu, elle aurait encore longtemps gouverné ce
prince. (Caylus, Souvenirs, 1770)
Je vous l’ai déjà dit, Madame, je ne veux pas être gêné.
Les éclats entre le roi et Mme de Montespan semblent avoir été nombreux.
Leurs échos directs sont évidemment rares : les disputes relèvent de l’ordre
et du secteur privés. En voici un, qui malheureusement a toute chance
d’être apocryphe. Mais le propos prêté au roi n’est invraisemblable ni dans
son objet ni dans sa forme. Le roi eut hier une conversation fort vive avec
Mme de Montespan. J’étais présente. Diane [peut-être Diane-Gabrielle de
Thianges, nièce de Mme  de  Montespan  ?] en fut le sujet. J’admirai la
patience du roi et l’emportement de cette glorieuse. Tout finit par ces mots
terribles  : «  Je vous l’ai déjà dit, Madame, je ne veux pas être gêné.  »
(Maintenon, À la comtesse de Saint-Géran. 4 mai 1679, II)
Il lui conseillait [à Mme de Montespan] de son côté de songer à son
salut, comme il y voulait songer au sien.
La rupture du roi avec Mme de Montespan aurait été signifiée à celle-ci
par Mme de Maintenon qui lui succédait. Elle avait […] eu le chagrin de
s’entendre prononcer l’arrêt de sa condamnation par une bouche qui lui était
devenue odieuse. Mme de Maintenon lui avait déclaré de la part du roi en
termes exprès, qu’il ne voulait plus avoir avec elle aucune liaison
particulière, et qu’il lui conseillait de son côté de songer à son salut, comme
il y voulait songer au sien. (Choisy, Mémoires)
Ne me dites rien.
Reste que cette décision n’alla pas sans atermoiements ni rechutes. En
juillet  1675, pour son retour d’une campagne en Hollande, Louis  XIV a
ordonné que Mme  de  Montespan exilée à Clagny retrouve sa place à la
cour, en assurant qu’il ne se passera plus rien entre elle et lui. On
racontera plus tard que Bossuet venu au devant de lui à Luzarches lui
remontrer le caractère périlleux de sa décision se serait attiré cette réponse
hautaine : Ne me dites rien, monsieur, ne me dites rien ; j’ai donné mes
ordres, ils devront être exécutés (d’après les notes autographes et fragments
de l’abbé Le Dieu, secrétaire de Bossuet). Variante du propos, légèrement
« historicisée » : Ne me dites rien, j’ai donné mes ordres pour qu’on prépare
au château un logement pour Mme  de  Montespan. (Bausset, Histoire de
Bossuet, VI)
►  Favoris, amis et compagnons
Dans ses Mémoires pour le Dauphin, Louis XIV se flatte d’avoir gouverné
sans Premier ministre ni favori. Il met son fils en garde contre le piège de
céder à son inclination ou à l’industrie d’un courtisan assez habile pour
réussir à apparaître aux yeux des autres pour un favori déclaré (Mémoires
pour l’année 1667). Évidemment, l’acception du terme est ici celle, toute
politique, de favoris tels qu’en avaient eus Henri III ou Louis XIII : des
conseillers tout-puissants, doublant les ministres et administrant la faveur
royale par délégation. Ce n’est pas le cas de ces préférences éphémères ou
durables que Louis XIV a manifestées, par exemple pour le duc de Lauzun,
mais sans que leur élection déborde le moins du monde sur le
gouvernement de l’État, la distribution des charges ou la conduite des
armées.
Quand les gens agissent comme lui, ils ne se doivent inquiéter de rien.
En posture de favori (au sens affectif du terme) parce qu’il amuse le roi
qui s’est entiché de lui, Lauzun est malmené par l’opinion et la rumeur. Une
chanson qui joue à dire à chacun sa contre-vérité et prête ironiquement à
Lauzun la vertu la plus pure est chantée devant le roi. Lequel se rebiffe en
défendant son courtisan préféré. Si on a voulu le fâcher, je trouve que l’on a
tort, et que quand les gens agissent comme lui, ils ne se doivent inquiéter de
rien ; mais pour les autres on les traite fort mal. (Montpensier, Mémoires,
janvier 1668)
J’aimerais mieux avoir assez d’esprit pour être méchant et ne le pas
être, que d’être un sot.
Une version désormais considérée comme suspecte des Mémoires de
Mademoiselle faisait même dire au roi cette phrase où se glisse l’aveu
d’une sorte d’admiration et de projection de lui-même dans le personnage
de Lauzun, mais dans un tour un peu trop voltairien pour nous convaincre
de son authenticité. Le roi dit tout haut d’un ton obligeant pour lui : « Parce
que M. de Lauzun a plus d’esprit et de pénétration que les autres, on veut
qu’il ait moins de sincérité ; pour moi, j’aimerais mieux avoir assez d’esprit
pour être méchant et ne le pas être, que d’être un sot parce que je n’aurais
pas l’esprit d’être méchant  » (Montpensier, Mémoires, janvier  1668, éd.
Petitot, III)
Je serais au désespoir, si j’avais frappé un gentilhomme.
En 1669, Louis XIV a promis le commandement de son artillerie à son
favori. Mais celui-ci ayant éventé la nouvelle, le roi dépité se dédit. Le futur
comte (puis duc) de Lauzun, encore marquis de Puyguilhem, s’emporte
alors vivement contre le roi et, selon la version de Saint-Simon, brise même
son épée devant le monarque en disant ne plus vouloir servir un roi qui lui
manquait de parole. Puyguillain [l’orthographe du patronyme est
mouvante], depuis Lauzun, emporté par une folle passion, lui manque de
respect, et lui dit insolemment, en lui montrant le poing fermé, qu’il ne le
servirait jamais. Le roi, qui sent venir la colère, jette brusquement par la
fenêtre une canne qu’il avait à la main : « Je serais au désespoir, dit-il à
M. Le Tellier qui était présent, si j’avais frappé un gentilhomme. » (Choisy,
Mémoires)
Si j’avais eu une épée, je crois que je me serais battu avec Peguillin.
Une autre version du même mot légendaire nous est rapportée par les
Mémoires de Fontaine. Se possédant toujours dans sa douceur ordinaire,
sans se grossir à lui-même l’outrage fait à Sa  Majesté royale, il alla
seulement dire à des personnes, qui étaient dans une autre chambre : « Si
j’avais eu une épée, je crois que je me serais battu avec Peguillin  »
(Fontaine, Mémoires pour servir à l’histoire de Port-Royal, IV)
Si je n’étais pas roi, je me mettrais en colère !
Une autre fois, le même Lauzun lui répondit fort insolemment. «  Ah,
s’écria-t-il, si je n’étais pas roi, je me mettrais en colère  !  » (Choisy,
Mémoires)
Toutes les fois que je donne une place vacante, je fais cent mécontents
et un ingrat.
Si bien que Voltaire conte la déception causée au roi par deux des
courtisans qu’il avait honorés de sa plus vive amitié : Vardes et Lauzun. Le
roi, trompé dans ses choix, dit qu’il avait cherché des amis et qu’il n’avait
trouvé que des intrigants. Cette connaissance malheureuse des hommes,
qu’on acquiert trop tard, lui faisait dire aussi : « Toutes les fois que je donne
une place vacante, je fais cent mécontents et un ingrat. » (Voltaire, Siècle de
Louis XIV)
Vous ne sauriez prendre avis d’un plus honnête homme ni plus habile.
Mais lorsqu’il doit interdire le fameux mariage de Lauzun avec
Mademoiselle qu’il avait d’abord autorisé du bout des lèvres, Louis  XIV
prend soin de ne pas nuire au gentilhomme obéissant qui accepte et
contribue à faire accepter par la belle éplorée le verdict de la raison d’État.
Le jour que le roi me vint voir, je demandai au roi de quelle manière il
voulait que je vécusse avec M. de Lauzun. […] Il me dit : « Je ne vous
défends point de le voir  ; il doit, par la reconnaissance qu’il vous a de
l’honneur que vous lui avez voulu faire, avoir un grand attachement à vos
intérêts pour vous la marquer, et assurément vous ne sauriez prendre avis
d’un plus honnête homme ni plus habile en tout ce que vous aurez à faire,
que de lui. » (Montpensier, Mémoires, décembre 1670)
Je vous ferai si grand que vous n’aurez pas sujet de regretter la
fortune que je vous ôte.
Si l’on en croit l’abbé de Choisy, le roi aurait même promis monts et
merveilles à Lauzun après lui avoir manqué de parole  ; lequel aurait
manifesté un désintéressement hautain qui pouvait valoir pour reproche
presque méprisant. Mais la leçon semble plus romanesque que
vraisemblable. Cependant le roi envoya quérir M. de Lauzun, et lui dit :
« Je vous ferai si grand que vous n’aurez pas sujet de regretter la fortune
que je vous ôte. Je vous fais, en attendant, duc et pair, et maréchal de
France. — Sire, interrompit Lauzun, vous avez fait tant de ducs qu’on n’est
plus honoré de l’être  ; et, pour le bâton de maréchal de France, Votre
Majesté pourra me le donner quand je l’aurai mérité par mes services. » La
réponse était fière ; mais, quand Mme de Montespan voulut lui parler et
s’excuser, il la traita comme la dernière des créatures, ne lui épargnant pas
les noms les plus odieux. (Choisy, Mémoires)
J’ai mes raisons pour ne le voir pas.
Après le retour de la forteresse de Pignerol où Louis  XIV avait fait
enfermer Lauzun pour une faute inconnue et qui l’est demeurée,
Mademoiselle qui a sacrifié une partie de son immense fortune pour obtenir
cette grâce fait tout pour rétablir le favori déchu. En vain : l’aiguille de
l’horloge ne marque pas encore pas l’heure du pardon royal. Louis XIV lui
dit : J’ai mes raisons pour ne le voir pas ; quand je pourrai le faire, je le
verrai pour l’amour de vous, et point pour lui. Je ne lui donnerai jamais rien
sans votre participation ; il doit tout tenir de vous ; mais il n’est pas temps.
(Montpensier, Mémoires, année 1684)
Il sera bien surpris et bien aise de voir de mon écriture ; autrefois il y
était accoutumé.
Lorsque le temps et les services rendus à la couronne anglaise par Lauzun
sur ordre du roi de France ont sonné l’heure de son retour en grâce,
Louis XIV signe son geste de (ré)conciliation par une marque discrète qu’il
sait faire valoir avec un sourire. Le roi lui a fait réponse de sa propre main,
lui a écrit une lettre très obligeante, et lui permet de revenir à la cour. Le roi
même a dit à ses ministres durant le Conseil : « Il sera bien surpris et bien
aise de voir de mon écriture ; autrefois il y était accoutumé. » (Dangeau,
Journal, 23 décembre 1688)
Entrez, monsieur de Lauzun : il n’y a ici que de vos amis.
Et lorsque l’ancien favori reparaît effectivement à la cour, Louis  XIV
salue avec d’autant plus de grâce et de bienveillance son retour à Versailles
qu’il l’aura fortement éprouvé par une captivité, un exil et un courroux
longs et sévères. M. de Seignelay vint avertir le roi qu’il était arrivé ; et, le
roi lui ayant dit de le faire venir, il l’alla prendre chez lui et l’amena à
l’appartement de Bontemps, d’où ils le conduisirent ensemble au cabinet du
roi : M. de Seignelay y entra, et le roi, voyant que M. de Lauzun demeurait
derrière lui, cria : « Entrez, monsieur de Lauzun : il n’y a ici que de vos
amis. » M. de Lauzun entra et, laissant tomber son chapeau et ses gants et
même son épée, à ce que disent quelques-uns, il se jeta aux pieds du roi,
avec de grands témoignages du regret qu’il avait de lui avoir déplu. Le roi
le releva avec bonté et lui donna beaucoup de marques de la satisfaction
qu’il avait de ses nouveaux services ; en suite de quoi il commença avec lui
une conversation qui dura près d’une heure, à la fin de laquelle il ordonna à
Bontemps de lui donner un appartement, qui fut d’abord celui de défunt
M. le maréchal de Vivonne, et ensuite celui de feu M. de Vardes. (Sourches,
Mémoires, 4 janvier 1689)
Parce qu’il est mon favori.
Le 2 février 1702, quatre cents soldats allemands conduits par le prince
Eugène entrent par les égouts dans Crémone et s’emparent de la personne
du maréchal de  Villeroy qui y dormait sans se douter de rien  : c’est la
«  surprise de Crémone  », qui venge les courtisans des hauteurs du
maréchal accoutumé à faire l’important par la faveur qu’il a auprès du roi.
Le maréchal de  Villeroy, extrêmement malheureux en cette occasion, fut
condamné à Versailles par les courtisans, avec toute la rigueur et
l’amertume qu’inspiraient sa faveur et son caractère, dont l’élévation leur
paraissait trop approcher de la vanité. Le roi, qui le plaignait sans le
condamner, irrité qu’on blâmât si hautement son choix, s’échappa à dire :
« On se déchaîne contre lui, parce qu’il est mon favori » : terme dont il ne
se servit pour personne que cette seule fois en sa vie. (Voltaire, Siècle de
Louis XIV)
En réalité, Voltaire met ici au style direct en le glosant un propos de
Dangeau dont il ne trahit d’ailleurs pas l’esprit en le rendant plus vivant.
Le roi alla l’après-dînée se promener à Marly, et durant sa promenade il
parla fort du maréchal de Villeroy et de la manière du monde la plus tendre
et la plus obligeante. Il marqua qu’il était fort étonné et indigné même
contre les gens qui insultaient au malheur du maréchal  ; il ajouta qu’il
croyait que l’amitié dont il l’honorait lui attirait une partie de la haine que
l’on a contre lui. Il se servit même du mot de favori, terme qui ne lui était
jamais sorti de la bouche pour personne ; enfin il parla longtemps comme
un homme qui veut et sait soutenir les intérêts des malheureux, et c’est une
grande consolation pour la famille du maréchal, et cela fait bien voir le bon
cœur du roi, qui n’abandonne jamais ceux qui le servent et sont attachés à
lui. (Dangeau, Journal, 14 février 1702)
Ce n’est pas l’esprit que je considère le plus dans votre compliment,
c’est le cœur.
Sans avoir jamais réussi à devenir vraiment favori de Louis XIV, le duc
de  La Feuillade développa un culte du monarque ostensible et un peu
tapageur dont certaines expressions surent toucher le roi qui s’entendait à y
répondre avec une élégance de plume et une délicatesse de sentiment qui
rehaussent la basse flatterie du courtisan en un échange apparent de
manières gracieuses. Par exemple lorsque Guillaume d’Orange dut lever le
premier siège de Charleroi, durant l’hiver 1672, qui avait vivement inquiété
les armées françaises, Louis XIV répond en ces termes aux compliments de
La Feuillade. Vous donnez un tour si agréable à la levée du siège de
Charleroi, que j’en ai senti augmenter ma joie  ; et pourtant ce n’est pas
l’esprit que je considère le plus dans votre compliment, c’est le cœur, étant
persuadé qu’il n’y en a point qui soit plus touché que le vôtre de ce qui
m’est avantageux. (Louis  XIV, Au duc de La Feuillade. Compiègne, le
30 décembre 1672. Grimoard et Grouvelle, III)
Je me réjouis comme votre ami du présent que je vous ai fait comme
votre maître.
Autre gentilhomme parvenu à une position de faveur, le duc François VII
de La Rochefoucauld, fils du mémorialiste, fut du cercle étroit du roi. Il
écrivit à M.  de  La Rochefoucauld, après l’avoir fait maître de la garde-
robe  : «  Je me réjouis comme votre ami du présent que je vous ai fait
comme votre maître. » (Choisy, Mémoires)
Je vous fais mon compliment, comme votre ami, sur la charge de
grand-maître de la garde-robe, que je vous donne comme votre roi. 
Propos dont Voltaire réfute l’authenticité, pour lui substituer une version
tout aussi discutable d’ailleurs. Il n’est pas même vrai qu’il ait écrit au
duc de la Rochefoucauld : « Je vous fais mon compliment, comme votre
ami, sur la charge de grand-maître de la garde-robe, que je vous donne
comme votre roi. » Les historiens lui font honneur de cette lettre : c’est ne
pas sentir combien il est peu délicat, combien même il est dur de dire à
celui dont on est le maître qu’on est son maître : cela serait à sa place si on
écrivait à un sujet qui aurait été rebelle ; c’est ce qu’Henri IV aurait pu dire
au duc de Mayenne avant l’entière réconciliation. Le secrétaire du cabinet,
Rose, écrivit cette lettre ; et le roi avait trop de bon goût pour l’envoyer.
(Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Que n’en parlez-vous à vos amis ?
Autre propos supposé du roi au même. M.  de  La Rochefoucauld se
plaignant, selon sa bonne coutume, de la dureté de ses créanciers : « Est-ce
ma faute ? lui dit le roi : que n’en parlez-vous à vos amis ? » Et deux heures
après lui envoya cinquante mille écus. (Choisy, Mémoires)
Qu’importe lequel de mes valets me serve ? 
La phrase citée précédemment, qu’accrédite Voltaire, lui permet d’en
réfuter une autre, qui ne cadre pas avec son projet hagiographique. J’ai
remarqué ailleurs qu’il ne prononça jamais les paroles qu’on lui fait dire,
lorsque le premier gentilhomme de la chambre et le grand-maître de la
garde-robe (La Rochefoucauld) se disputaient l’honneur de le servir  :
« Qu’importe lequel de mes valets me serve ? » Un discours si grossier ne
pouvait partir d’un homme aussi poli et aussi attentif qu’il l’était, et ne
s’accordait guère avec ce qu’il dit un jour au duc de la Rochefoucauld au
sujet de ses dettes : « Que ne parlez-vous à vos amis ? » Mot bien différent,
qui par lui-même valait beaucoup, et qui fut accompagné d’un don de
cinquante mille écus. (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Je me suis aperçu qu’il y avait un trait qui regarde de loin M.  le
Grand, et qui aurait pu l’embarrasser. 
Faut-il aller jusqu’à croire Voltaire lorsqu’il montre Louis XIV capable de
perdre la face plutôt que de blesser un de ses amis — si l’on peut ainsi
dire ? L’anecdote, assez peu vraisemblable en ce qu’elle suppose un récit
du roi annoncé comme plaisant qui serait tombé dans un silence à peine
poli, rappelle en tout cas la familiarité qui unissait le prince Louis de
Lorraine, comte d’Armagnac, Grand Écuyer de France, à Louis  XIV. Il
faisait un jour un conte à quelques-uns de ses courtisans, et même il avait
promis que le conte serait plaisant ; cependant il le fut si peu que l’on ne rit
point, quoique le conte fût du roi. M. le prince d’Armagnac, qu’on appelait
M. le Grand, sortit alors de la chambre, et le roi dit à ceux qui étaient :
«  Messieurs, vous avez trouvé mon conte fort insipide, et vous avez eu
raison : mais je me suis aperçu qu’il y avait un trait qui regarde de loin
M. le Grand, et qui aurait pu l’embarrasser ; j’ai mieux aimé le supprimer
que de hasarder de lui déplaire : à présent qu’il est sorti, voici mon conte » ;
il l’acheva, et on rit. (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Ne me regardez point comme votre bienfaiteur et votre maître, mais
comme votre ami.
La marquise de Monchevreuil meurt en 1699. Elle et le marquis étaient
des protégés de Mme  de  Maintenon. La dévotion de la disparue et son
autorité impérieuse sur les mœurs de la cour en avaient imposé à tous. Le
roi l’estimait vivement. Le roi vit après le Conseil dans son petit
appartement le bonhomme Montchevreuil, et S. M. lui parla de la manière
du monde la plus obligeante et la plus propre à adoucir sa douleur ; il finit
la conversation en lui disant  : «  Ne me regardez point comme votre
bienfaiteur et votre maître, mais comme votre ami, et parlez-moi dans cette
confiance-là de tout ce qui vous regardera vous et votre famille. » S. M.
donne à M.  et à Mme  de  Mornay le logement qu’avait
Mme  de  Montchevreuil, et à M.  et à Mme  de  Pracomtal le logement
qu’avaient M.  et Mme  de  Mornay  ; ainsi M.  de  Montchevreuil aura la
consolation d’avoir toute sa famille ici auprès de lui. (Dangeau, Journal, 31
octobre 1699)
« VERSAILLES » OU DE LA COUR
On verra en réunissant les propos tenus par Louis XIV sur son lit de mort
le souci qu’il y aurait manifesté d’associer sa cour à ses derniers instants :
J’ai vécu parmi les gens de ma cour, dira-t-il : je veux mourir parmi eux. Ils
ont suivi tout le cours de ma vie ; il est juste qu’ils me voient finir. Cette
fidélité et cet hommage du monarque à son entourage proche et lointain
n’excluaient pas un jugement lucide : la cour, comme il le sait bien, peut
être la meilleure ou la pire des choses. Ce qu’il peut en attendre oscille
entre ces extrêmes : en principe et dans l’idéal, attachement, dévouement et
fidélité  ; en pratique et trop souvent, fausseté, flatterie et intrigue. Et ce
qu’est la grande horlogerie de la cour se partage de même entre l’évidence
ostensible du cadran égrenant ses heures en parfaite cadence (avec une
montre et un almanach, on aurait pu, à trois cents lieues de la cour, dire ce
qu’on y faisait) et le monde obscur et délicat des rouages humbles et
cachés, livrés à leur incessant travail d’accordement : en pleine lumière et
sur la scène, l’éclat d’un aréopage de grands seigneurs dispendieux et
oisifs ; en coulisse et dans l’ombre, un peuple de serviteurs et d’ouvriers
laborieux.
L’endroit où je pourrais être plus en particulier…
Au demeurant, il faut se souvenir que le premier Versailles n’est pas
encore le capharnaüm splendide de la seconde moitié du règne. C’est là
qu’en 1666 Louis XIV choisit de se cacher à sa cour après la mort de sa
mère qui l’a si violemment affligé : Versailles tient alors le rôle qui sera
plus tard celui de Trianon. Ne pouvant après ce malheur souffrir la vue du
lieu où il m’était arrivé, je quittai Paris à l’heure même et je me retirai
premièrement à Versailles (comme l’endroit où je pourrais être plus en
particulier) et quelques jours après à Saint-Germain. (Louis XIV, Mémoires
pour l’année 1666)
►  L’écrin de la monarchie
Quoi, Charmel, vous ne me verrez jamais !
Versailles est non seulement la vitrine du royaume pour les étrangers à la
cour, mais aussi le théâtre où le roi donne à ses courtisans le spectacle de
sa personne. En ce sens, quand le comte du  Charmel, capitaine de la
dernière compagnie des gentilshommes au bec-de-corbin, décide de se
retirer de la cour, Louis  XIV use d’une tournure curieuse et significative
— tout bonnement renversée — pour déplorer de ne plus jamais revoir ce
courtisan estimé. Le roi le traitait bien et lui parlait souvent ; il était de tous
ses voyages et au milieu de la meilleure compagnie de la cour ; tout lui riait,
l’âge, la santé, le bien, la fortune, la cour, les amis, même les dames, et des
plus importantes, qui l’avaient trouvé à leur gré. Dieu le toucha par la
lecture d’Abbadie : De la vérité de la religion chrétienne ; il ne balança ni
ne disputa, et se retira dans une maison joignant l’institution de l’Oratoire.
Le roi eut peine à le laisser aller : « Quoi, lui dit-il, Charmel, vous ne me
verrez jamais  ! —  Non, Sire, répondit-il, je n’y pourrais résister, je
retournerais en arrière ; il faut faire le sacrifice entier et s’enfuir. » (Saint-
Simon, Mémoires, année 1698)
Celui qui gouverne un État doit se résoudre même fort souvent à
écouter des sottises.
Ne faudrait-il pas, pourtant, qu’un prince comptable de son temps devant
son royaume et devant l’histoire évitât de consommer inutilement son rare
loisir à écouter les bavardages insignifiants qui font l’ordinaire des
conversations de sa cour ? Peut-être pas, conseille le roi au Dauphin, en
l’incitant à s’entretenir à temps perdu avec ses courtisans. L’un des plus
grands hommes de l’Antiquité [i.e. Cicéron], prévenu de cette pensée, disait
que celui qui gouverne un État doit se résoudre même fort souvent à écouter
des sottises. Et sa raison, à mon avis, était que ce même homme qui nous dit
une chose inutile aujourd’hui peut en dire demain une très importante, et
que ceux encore qui ne disent rien de sérieux ne laissent pas de faire que les
autres qui traitent les plus grandes affaires auront plus de retenue à mentir,
sachant par combien de voies différentes nous pouvons apprendre la vérité.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
Nous sommes un peu trop gros [i.e. nous occupons trop de place] tous
deux pour être ensemble dans la même calèche. 
Si l’étiquette est la morale de la cour, le savoir-vivre est son esthétique. Et
Louis XIV s’entend habilement à combiner l’une à l’autre, en assortissant
de délicatesse les exigences de la naissance ou les caprices de la sympathie
— par exemple lorsqu’il ne veut pas prendre dans sa calèche la duchesse
de  Berry, récente épouse de son troisième petit-fils. En montant dans la
sienne, il fit une manière d’excuse à Mme la duchesse de Berry de ce qu’il
ne la prenait pas dans sa calèche, en lui disant : « Nous sommes un peu trop
gros [i.e. nous occupons trop de place] tous deux pour être ensemble dans
la même calèche. » (Dangeau, Journal, année 1712)
Je vous l’aurais encore donné de meilleur cœur si vous ne me l’aviez
point demandé.
Cette élégance, Louis XIV l’affecte et l’affectionne particulièrement dans
cet échange conventionnel que constitue la cour qu’on lui fait pour obtenir
les charges qu’il offre en échange. Il aime n’être ni forcé ni pressé. Le frère
de Tilladet, colonel de dragons, vint ces jours passés demander au roi le
régiment de Tilladet, qui vient de mourir. Le roi lui dit : « Je vous le donne,
mais je vous l’aurais encore donné de meilleur cœur si vous ne me l’aviez
point demandé, car je vous l’avais destiné.  » (Dangeau, Journal,
29 septembre 1708).
Je ne vous dois rien, mais je suis bien aise de vous distinguer par la
grâce que je vous fais.
Et il donne avec meilleure grâce quand il sent n’y être pas contraint par
l’appétit d’autrui ou les usages établis. Le geste vaut alors plus que ce qu’il
accompagne. Le roi a donné à Gassion 2 000 écus de pension ; à la dernière
revue des gardes du corps, dont il était lieutenant, il rendit au roi sa brigade,
qu’il avait remise en très bon état, et le roi fut très content de son procédé.
S. M. lui a dit en lui donnant sa pension : « Je ne vous dois rien, mais je suis
bien aise de vous distinguer par la grâce que je vous fais, étant très satisfait
des services que vous m’avez rendus et persuadé que vous m’en rendrez
encore de bons à l’avenir. » Le roi donne toujours 2 000 écus de pension
aux lieutenants de ses gardes du corps quand ils quittent pour de bonnes
raisons, mais c’est quand ils n’ont point de gouvernement, et Gassion a
celui de Mézières ; ainsi le roi avait raison de lui dire : « Je ne vous dois
rien. » (Dangeau, Journal, 23 mars 1703)
Vous m’avez si bien servi par le passé que je ne doute pas que vous ne
me serviez encore mieux à l’avenir, s’il est possible.
Il est notable, au passage, que la formule qu’il emploie alors lui sert pour
d’autres. Ainsi pour Nicolas Mesnager, agent diplomatique que lui présente
le marquis de Torcy, et que Louis XIV complimente en ces termes : Vous
m’avez si bien servi par le passé que je ne doute pas que vous ne me serviez
encore mieux à l’avenir, s’il est possible. (Dangeau, Journal, 22 octobre
1711)
Si M. de Gadagne avait eu patience, il serait du nombre.
D’autres ont moins de chance avec la patience royale  : leur propre
impatience les condamne. Le roi disait hier en parlant des huit nouveaux
maréchaux de France : « Si M. de Gadagne avait eu patience, il serait du
nombre.  » Mais il s’est retiré, il s’est impatienté, c’est bien fait [nous
corrigeons la ponctuation]. (Sévigné, À Mme de Grignan, 2 août 1675)
Ce présent-là, monsieur, est indigne de vous et de moi.
En revanche, on l’a vu plus haut, même des courtisans que n’aime pas
Louis  XIV, comme le chevalier de  Lorraine, favori et âme damnée de
Monsieur, peuvent après avoir été tancés, frappés et exilés, recevoir avec le
temps absolution et faveurs (en l’occurrence à la prière de son puissant
protecteur). En donnant, le roi fait d’autant plus assaut d’élégance, de
simplicité et d’attention qu’il oblige un ancien proscrit de sa cour. Le roi, à
la prière de Monsieur, donna ces jours passés 20 000 écus à M. le chevalier
de Lorraine pour lui aider à payer ses dettes. Ces 20 000 écus ne seront
payés qu’au bout de trois ans, savoir 20  000  livres par an, mais ses
créanciers s’en accommodent ; et quand M. le chevalier de Lorraine vint en
remercier S. M., le roi lui dit : « Ce présent-là, monsieur, est indigne de
vous et de moi, mais l’état de mes affaires ne me permet pas présentement
d’en faire davantage. » (Dangeau, Journal, 12 juillet 1698)
Je ferais crier trop de gens, si je lui accordais ce qu’il demande.
C’est qu’en ces domaines, l’on est toujours trois : le roi qui gratifie, le
gratifié qui se confond en remerciements, mais aussi, mais surtout le public,
la cour, qui évalue, juge, compare. Le temps, dont Louis XIV s’est toujours
fait un grand allié, apaise en cette matière aussi les émois de ce public
impitoyable et autorise ce que tout de go l’opinion générale n’aurait pas
laissé passer. Ainsi Louis  XIV conseille-t-il la patience au chevalier
de Forbin pour lequel son cousin le cardinal de Janson demande la charge
de lieutenant général des armées navales tout juste devenue vacante par la
disparition de son titulaire, le marquis de  Villette-Mursay. À  tout cela,
conte à Forbin le cardinal de Janson, le roi m’a répondu en propres
termes : « Oui, monsieur le cardinal, votre parent m’a toujours bien servi ;
et je suis content de lui ; mais je ferais crier trop de gens, si je lui accordais
ce qu’il demande. Ce n’est pas qu’il ne mérite d’être récompensé, et mieux
qu’eux tous : mais qu’il me laisse faire ; qu’il continue à me bien servir
comme il a fait par le passé, j’aurai soin de lui, et je me charge de sa
fortune. » […] Le cardinal, s’apercevant de l’indignation où j’étais : « Mon
cousin, me dit-il, je vois que j’ai fait une sottise en vous donnant tant de
lumières, et que je ne devais pas m’expliquer si ouvertement sur ce que le
roi m’a dit en votre faveur. Mais vous ne connaissez pas encore bien ce
pays  : il faut y avoir patience, demander dans l’occasion, et ne pas se
rebuter, quoiqu’on n’obtienne pas d’abord tout ce qu’on demande.
Continuez à faire votre devoir, comme vous avez fait jusqu’à présent, et
soyez sûr que vous obtiendrez dans la suite tout ce que vous pouvez
souhaiter. » (Forbin, Mémoires, année 1707)
Voyez, monsieur, par les remerciements qu’on me fait, si je n’aurais
pas été bien blâmé de vous permettre de partir.
Louis  XIV évoque d’une manière plaisante et délicate cette sourde
pression du « public » lorsque ses courtisans le louent d’avoir refusé au fils
de Dangeau, le marquis de  Courcillon, amputé d’une jambe après la
bataille Malplaquet, le droit de reprendre du service en Flandre trois ans
plus tard. Les courtisans qui suivaient le roi le remercièrent de la charité
qu’il avait d’empêcher un homme avec une cuisse coupée d’aller à la
guerre, et le roi se tourna vers mon fils et lui dit : « Voyez, monsieur, par les
remerciements qu’on me fait, si je n’aurais pas été bien blâmé de vous
permettre de partir. » (Dangeau, Mémoires, 19 avril 1712)
Il était si bon […] que je le lui reprochais quelquefois, et il me
répondait : Ce n’est pas moi qui suis bon, mais vous qui êtes dur.
L’une des puissances occultes de la cour, c’est le confesseur du roi. Le
tournant dévot du règne accorda une place considérable à cette fonction
que détenaient les jésuites. François d’Aix de La Chaise, qui donnera son
nom à un célèbre cimetière de Paris, occupa le poste pendant trente-quatre
ans. En 1709, à la mort de ce sage personnage qui avait demandé plusieurs
fois la permission de se retirer de la cour, Louis XIV rendit hommage à sa
modération et à sa bonté devant les supérieurs de la Société. Ce que Saint-
Simon, racontant la scène, corrobore dans ses commentaires en comparant
le défunt à son sinistre successeur, le P. Le Tellier. Le roi les reçut devant
tout le monde, en prince accoutumé aux pertes, loua le P.  de  La  Chaise
surtout de sa bonté, puis souriant aux pères : « Il était si bon, ajouta-t-il tout
haut devant tous les courtisans, que je le lui reprochais quelquefois, et il me
répondait  : Ce n’est pas moi qui suis bon, mais vous qui êtes dur.  »
Véritablement les pères et tous les auditeurs furent surpris du récit jusqu’à
baisser la vue. Ce propos se répandit promptement, et personne n’en put
blâmer le P. de La Chaise. Il para bien des coups en sa vie, supprima bien
des friponneries et des avis anonymes contre beaucoup de gens, en servit
quantité, et ne fit jamais de mal qu’à son corps défendant. Aussi fut-il
généralement regretté. On avait toujours compris que ce serait une perte ;
mais on n’imagina jamais que sa mort serait une plaie universelle et
profonde comme elle la devint, et comme elle ne tarda pas à se faire sentir
par le terrible successeur du P. de La Chaise, à qui les ennemis mêmes des
jésuites furent forcés de rendre justice après, et d’avouer que c’était un
homme bien et honnêtement né, et tout fait pour remplir une telle place.
(Saint-Simon, Mémoires, année 1709)
►  Les courtisans, peuple singe du maître
Combien de fois éprouvant leur génie, je les ai engagés à me louer des
choses même que je croyais avoir mal faites, pour […] les accoutumer à
ne me point flatter !
La flatterie est le grand écueil de la vie de cour, le roi le sait, s’en défie et
s’en joue. Il invite son fils à s’en défier à son tour quand il régnera. J’avais,
dès les premières années [de son règne personnel], apparemment assez de
sujet d’être content de ma conduite ; mais les applaudissements que cette
nouveauté m’attirait, ne laissaient pas de me donner une continuelle
inquiétude, par la crainte que j’avais, et dont je ne suis pas encore tout à fait
exempt, de ne les pas assez bien mériter. On vous dira dans quelle défiance
j’ai vécu là-dessus avec mes courtisans, et combien de fois éprouvant leur
génie, je les ai engagés à me louer des choses même que je croyais avoir
mal faites, pour le leur reprocher aussitôt après, et les accoutumer à ne me
point flatter. Mais quelque obscures que puissent être leurs intentions, je
vous enseignerai, mon fils, un moyen aisé de profiter de tout ce qu’ils diront
à votre avantage ; c’est de vous examiner secrètement vous-même, et d’en
croire votre propre cœur plus que leurs louanges. (Louis  XIV, Mémoires
pour l’année 1661)
Ceux qui distribuent les louanges aux princes ne prisent entre les
vertus que celles qui leur sont utiles.
Est-il de louange qui ne soit intéressée ? Car enfin la plupart de ceux qui
distribuent les louanges aux princes ne prisent entre les vertus que celles qui
leur sont utiles. Les beaux esprits de profession n’ont pas toujours de fort
belles âmes et parmi les [belles choses mots raturés] qu’ils débitent dans le
public, ils se dépouillent rarement du soin de leurs intérêts particuliers.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Je vous louerais davantage, si vous ne me louiez pas tant.
On croirait que c’est par référence à cette défiance envers les « beaux
esprits » laudateurs que fut forgé un mot célèbre mais parfois mis en doute :
le garant en est pourtant Racine, qui donnait un jour au roi lecture de sa
réponse au discours de réception de Thomas Corneille et Jean-Louis
Bergeret à l’Académie française. Quand je lui eus récité mon discours, il
me dit devant tout le monde : « Je vous louerais davantage, si vous ne me
louiez pas tant.  » (Racine, Fragments historiques, 20, dans Picard éd.,
Œuvres diverses). Le mot, qui a fait fortune, préexiste en réalité au règne
de Louis XIV. Et durant ce règne, on le trouve appliqué à d’autres et en
d’autres occasions. Édouard Fournier, qui le cite dans son application à
Boileau, le considère pour ces motifs comme une forgerie ; mais il aurait pu
tout aussi bien le considérer comme un réemploi — ce qu’on appelle
justement au XVIIe  siècle une application. Ne croyez pas, de grâce, à ce
compliment que Louis XIV aurait adressé à Boileau quand il lui présenta
son épître sur le passage du Rhin  : «  Cela est beau, et je vous louerais
davantage si vous m’aviez loué moins. » Celui qui s’avisa le premier de
cette belle phrase, dont Boileau ne parle pas (et eût-il manqué de le faire si
elle lui eût été dite  ?), l’avait pillée mot pour mot dans la préface des
Mémoires de la reine Marguerite. On sait que c’est une sorte de dédicace
que la reine fait à Brantôme pour le remercier du chapitre élogieux qu’il lui
avait consacré dans ses Dames Illustres, oubliant que la reine Margot ne
devait avoir place que parmi ses Dames galantes : « Je louerais davantage
votre œuvre, lui dit-elle se rendant justice, si elle me louait moins.  »
(Fournier, Recherches et Curiosités)
Les fausses complaisances que l’on a pour nous […] nous peuvent
nuire beaucoup plus que les contradictions les plus opiniâtres.
La louange intéressée, c’est la flatterie. Vraie peste de cour, elle doit être
par-dessus tout redoutée par les rois que leurs courtisans encensent par
intérêt au mépris de l’intérêt du maître qu’ils encensent. Tandis que nous
sommes dans la puissance, nous ne manquons jamais de gens qui s’étudient
à suivre nos pensées et à paraître en tout de notre avis. Mais nous devons
craindre de manquer, au besoin, de gens qui sachent nous contredire, parce
que notre inclination paraît quelquefois si à découvert, que les plus hardis
craignent de la choquer, et cependant il est bon qu’il y en ait qui puissent
prendre cette liberté. Les fausses complaisances que l’on a pour nous en ces
occasions nous peuvent nuire beaucoup plus que les contradictions les plus
opiniâtres. Si nous nous trompons en notre avis, celui qui nous adhère
achève de nous précipiter dans l’erreur, au lieu que, lors même que nous
avons raison, celui qui nous contredit ne laisse pas que de nous être utile,
quand ce ne serait qu’à nous faire rechercher des remèdes aux
inconvénients qu’il a proposés, et à nous laisser, en agissant, la satisfaction
d’avoir auparavant examiné toutes les raisons de part et d’autre.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
Estimez ceux qui, pour le bien, hasarderont de vous déplaire : ce sont
là vos véritables amis.
Se méfier de la flatterie est un leitmotiv de la pensée du roi, jusque dans
les recommandations qu’il rédige en 1700 à l’intention de son petit-fils
devenu roi d’Espagne. Aimez les Espagnols et tous vos sujets attachés à vos
couronnes et à votre personne. Ne préférez pas ceux qui vous flatteront le
plus ; estimez ceux qui, pour le bien, hasarderont de vous déplaire : ce sont
là vos véritables amis. (Louis XIV, Instructions au duc d’Anjou)
Je sais quel cœur vous avez pour moi.
Il est en effet des exceptions à la loi qui voudrait que tout courtisan fût un
flatteur. Voici une petite histoire que vous pouvez croire comme si vous
l’aviez entendue. Le roi disait un de ces matins : « En vérité, je crois que
nous ne pourrons pas secourir Philisbourg ; mais enfin, je n’en serai pas
moins roi de France. » M. de Montausier,
Qui pour le pape ne dirait
Une chose qu’il ne croirait,
lui dit : « Il est vrai, Sire, que vous seriez encore fort bien roi de France,
quand on vous aurait repris Metz, Toul et Verdun, et la Comté, et plusieurs
autres provinces dont vos prédécesseurs se sont bien passés. » Chacun se
mit à serrer les lèvres ; et le roi dit de très bonne grâce : « Je vous entends
bien, monsieur  de  Montausier  ; c’est-à-dire que vous croyez que mes
affaires vont mal, mais je trouve très bon ce que vous dites, car je sais quel
cœur vous avez pour moi. » Cela est vrai, et je trouve que tous les deux
firent parfaitement bien leur personnage. (Sévigné, À  Mme  de  Grignan,
5 août 1676)
Je veux qu’on me mande toutes les vérités, quelque fâcheuses qu’elles
puissent être.
Le roi sait dire et faire savoir qu’il aime avoir une connaissance exacte
des choses, même fâcheuses à entendre. Voici en quels termes il s’adresse à
ce sujet, un matin de janvier  1711, à l’intendant de Flandre,
M.  de  Bernières, chargé notamment de loger et d’entretenir les troupes
stationnant dans sa province durant une période particulièrement difficile
de la guerre de Succession d’Espagne, à une époque où de surcroît les
hivers étaient particulièrement rigoureux. Vous m’avez mandé souvent,
l’année passée, des choses tristes et dures ; mais je vous en sais bon gré, car
je veux qu’on me mande toutes les vérités, quelque fâcheuses qu’elles
puissent être ; mais j’espère que cette année vous ne me manderez rien que
de bon. (Dangeau, Journal, année 1711)
L’on fâche toujours ceux à qui l’on refuse.
Arbitrer la faveur fait beaucoup de mécontents pour un heureux, c’est la
loi de la cour où l’activité majeure consiste à quémander. Je sais que l’on
fâche toujours ceux à qui l’on refuse, et que plusieurs imputent à la
mauvaise humeur ou au mauvais goût du souverain tout ce qui se trouve de
difficulté dans leur demande. Il est même certain que l’on se fait toujours
peine à soi-même en rejetant la prière des autres, et qu’il est naturellement
plus doux de s’attirer des remerciements que des plaintes. Mais en cet
endroit, mon fils, nous sommes obligés de nous sacrifier au bien général, et
ce qu’il y a de plus fâcheux en ce sacrifice, c’est qu’encore qu’il nous coûte
beaucoup, il est d’ordinaire fort peu prisé. (Louis  XIV, Mémoires pour
l’année 1666)
L’on ne pardonne rien à ceux de notre rang.
Être attentif à tout, y compris dans ses paroles, c’est un des fondements
du rôle des princes. Car enfin vous devez poser pour fondement de toute
chose que l’on ne pardonne rien à ceux de notre rang. Au contraire, il se
trouve souvent des paroles très indifférentes et dites par nous sans aucun
dessein, qui sont appliquées par ceux qui les entendent ou à eux-mêmes ou
à d’autres auxquels souvent nous ne pensons pas. Et quoique à dire vrai,
nous ne soyons pas obligé d’avoir égard en particulier à toutes les
conjectures impertinentes, cela nous doit pourtant obliger en général à nous
précautionner davantage dans nos paroles, pour ne pas donner du moins de
raisonnable fondement aux pensées que l’on en pourrait former au
désavantage de notre service. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Celui de qui le prince a [mal] parlé sent d’autant plus vivement son
mal qu’il n’y voit aucun de [c]es remèdes.
Un prince doit retenir sa verve, parce que sa fonction décuple le pouvoir
de sa parole. Deux choses peuvent consoler un homme d’une raillerie
piquante ou d’une parole de mépris que son semblable a dite de lui  : la
première quand il se promet de trouver bientôt occasion de lui rendre la
pareille ; et la seconde quand il peut se persuader que ce qu’on a dit à son
désavantage ne fera pas d’impression sur ceux qui l’ont entendu. Mais celui
de qui le prince a parlé sent d’autant plus vivement son mal qu’il n’y voit
aucun de [c]es remèdes. Car enfin s’il ose parler mal de son maître, ce n’est
au plus qu’en particulier et sans pouvoir lui faire savoir ce qu’il en dit, qui
est la seule douceur de la vengeance. Et il ne peut non plus se persuader que
ce qui a été dit de lui n’a pas été écouté, parce qu’il sait avec quel agrément
sont tous les jours reçues les paroles de ceux qui sont en autorité.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Le seul méchant office qu’on vous ait rendu depuis votre départ
d’auprès de moi consiste dans la défiance que vous avez eue qu’on soit
capable de vous en rendre.
Les bonnes grâces du roi font le souci primordial des courtisans, surtout
ceux qui y sont bien avancés. Le roi rassure ici d’une formule
particulièrement heureuse le duc de La Feuillade, qu’on a vu lui vouer un
culte assidu, mais en l’occurrence inquiet. Le seul méchant office qu’on
vous ait rendu depuis votre départ d’auprès de moi consiste dans la défiance
que vous avez eue qu’on soit capable de vous en rendre. Ayez l’esprit en
repos, et faites votre devoir comme vous avez accoutumé. (Louis XIV, Au
duc de La Feuillade. Versailles, 5 décembre 1672. Grimoard et Grouvelle,
V)
Vous êtes hardi de mettre Lauzun dans votre famille.
Louis XIV est le premier conscient du climat de brigue et d’intrigues qui
emplit sa cour et le premier à mettre en garde ses courtisans contre les
menées de certains d’entre eux. L’un des plus extravagants parmi ces
intrigants, c’est l’inénarrable Lauzun. Il est assez connu du roi en ce
domaine pour que Louis XIV mette en garde le maréchal de Lorge qui veut
lui donner sa fille. Lorsque M. le maréchal de Lorge en parla au roi : « Vous
êtes hardi, lui dit-il, de mettre Lauzun dans votre famille ; je souhaite que
vous ne vous en repentiez pas. De vos affaires, vous en êtes le maître ; mais
pour des miennes, je ne vous permets de faire ce mariage qu’à condition
que vous ne lui en direz jamais le moindre mot. » (Saint-Simon, Mémoires,
année 1695)
Il ne veut votre fille que pour vous tourmenter pour que vous me
tourmentiez pour lui.
Ici, c’est le ministre Chamillart qui est dissuadé de contracter alliance
avec Louis d’Aubusson, duc de La Feuillade et fils du La Feuillade déjà
rencontré plus haut : le roi qui acceptait les adorations du père tient le fils
en défaveur. Ne sachant où se reprendre dans un accès d’ambition, il
imagina que Chamillart serait en état de tout faire pour lui en épousant sa
seconde fille, Dreux, mari de l’aînée, ne pouvant par le peu qu’il était lui
faire ombrage. Il le fit proposer à ce ministre, qui s’en trouva d’autant plus
flatté que sa fille était cruellement vilaine. Chamillart en parla au roi, qui
l’arrêta tout court. « Vous ne connaissez pas La Feuillade, lui dit-il ; il ne
veut votre fille que pour vous tourmenter pour que vous me tourmentiez
pour lui ; or, je vous déclare que jamais je ne ferai rien pour lui, et vous me
ferez plaisir de n’y plus penser. » (Saint-Simon, Mémoires, année 1701)
►  Serviteurs, valets et utilités
Hé ! laissez-le en paix, il est assez fâché ! 
Les anecdotes posthumes se sont enchantées à rapporter les délicatesses
(réelles ou imaginées) du roi envers les humbles  : ce thème est depuis
toujours varié par la fable des grands supposés s’être grandis par leur
attention aux plus petits. Un jour qu’il s’habillait, après avoir mis lui-même
ses bas il ne trouva point ses souliers. Celui qui en était chargé courut les
chercher, et fut une demi-heure à revenir. Les courtisans s’impatientaient ;
le roi seul paraissait tranquille. M. le duc de Montausier en colère voulut
gronder le valet de garde-robe : « Hé ! laissez-le en paix, dit le roi, il est
assez fâché ! » (Choisy, Mémoires)
Pourquoi le grondez-vous ? Croyez-vous qu’il ne soit pas affligé de
m’avoir fait attendre ?
L’historiette précédente est adaptée à diverses situations. Cela ne
contribue pas à accréditer son authenticité. Un portier du parc, qui avait été
averti que le roi devait sortir par la porte où il était, ne s’y trouva pas, et se
fit longtemps chercher. Comme il venait tout en courant, c’était à qui le
gronderait et lui dirait les injures ; le roi dit : « Pourquoi le grondez-vous ?
Croyez-vous qu’il ne soit pas affligé de m’avoir fait attendre ? » (Racine,
Fragments historiques, 20, dans Picard éd., Œuvres diverses)
Au moins, donnez-moi de l’eau de la reine de Hongrie !
Une autre fois, un de ses valets de chambre lui renversa sur la jambe toute
nue la cire brûlante d’une grosse bougie : « Au moins, lui dit-il, donnez-moi
de l’eau de la reine de Hongrie ! » (Choisy, Mémoires)
Tu aurais aussi bien fait de la laisser tomber. 
Autre version de l’anecdote, sous la plume de Racine également. Comme
il se nettoyait les pieds, un valet de chambre qui tenait la bougie lui laissa
tomber sur le pied de la cire toute brûlante ; le roi répondit froidement :
« Tu aurais aussi bien fait de la laisser tomber. » À un autre valet qui, en
hiver, apporta la chemise toute froide, il dit encore, sans gronder : « Tu me
la donneras brûlante à la canicule. » (Racine, Fragments historiques, 20,
dans Picard éd., Œuvres diverses)
Si tu étais à la place de ton beau-père, serais-tu bien aise que je la
disse, cette parole ?
Un de ses valets de chambre le priait un soir de faire recommander à M. le
premier président un procès qu’il avait contre son beau-père, et lui disait en
le pressant : « Hélas ! sire, vous n’avez qu’à dire une parole. — Hé, lui dit
le roi, ce n’est pas de quoi je suis en peine : mais, dis-moi, si tu étais à la
place de ton beau-père, serais-tu bien aise que je la disse, cette parole ? »
(Choisy, Mémoires)
Hé ! Bontemps, demanderez-vous toujours pour les autres ?
Le trait devient encore plus suspect quand on met en scène Bontemps,
premier valet de la chambre, personnage important, de naissance
honorable et de fonction primordiale, doté de notables pouvoirs, traité de
« bonhomme » d’une manière familière qui sent son conte de bonne femme.
Le bonhomme Bontemps, toujours obligeant et désintéressé, lui demandait
une charge de gentilhomme ordinaire pour la famille [d’un] mort : « Hé !
Bontemps, lui dit le roi, demanderez-vous toujours pour les autres  ? Je
donne la charge à votre fils. » (Choisy, Mémoires)
Troisième partie
LE DUR MÉTIER DE ROI
Régner sans partage
Louis  XIV accéda au pouvoir dans des conditions et d’une manière
paradoxales : longtemps resté sous la coupe de Mazarin alors qu’il était
déclaré majeur depuis des années, réputé cassant et secret parce que
timide, patient disciple des leçons de son parrain et mentor, le cardinal,
dont la politique toute de ruse, de finesse et de louvoiement n’anticipait pas
la manière de celle qu’il allait mener, il ne fut pas cru, même de sa propre
mère, lorsqu’il annonça sa décision de mener sans « principal ministre »,
comme on disait, les affaires de l’État et de réunir dans sa seule main tous
les pouvoirs en un singulier —  le pouvoir  — dans l’exercice duquel il
entendait être conseillé mais non doublé. Instrument et spectateur d’un
Premier ministre qui, après avoir été chahuté par la Fronde, gouvernait
sans partage le pays sous son jeune nom, fils d’un roi qui avait conclu avec
le sien propre, le tout-puissant Richelieu, une alliance de raison profitable à
son règne, l’élève docile prétendait devenir en un jour le maître absolu.
Louis XIV manifesta ce changement par deux décisions spectaculaires :
d’abord, l’annonce qu’il gouvernerait sans premier ministre (ni favori)  ;
ensuite, l’arrestation et la condamnation aggravée par lui de celui qu’on
attendait à ce poste et qui s’en était donné les dehors fastueux, le
surintendant des finances Nicolas Fouquet. L’événement devait susciter de
la fable : les récits qui nous ont été transmis de cette fameuse « prise du
pouvoir  » par Louis  XIV sont souvent tardifs et remaniés, la force et
l’incidence de la décision confirmée et surtout amplifiée par la suite du
règne ont appelé rétrospectivement la mise en scène spectaculaire de l’acte
fondateur. Il n’en a pas moins existé, même si certains mots qu’on prête au
roi en ces semaines décisives, voire durant les années qui les ont précédées,
tiennent autant de sa légende que de la réalité advenue.
ENFIN ROI, ET NÉ POUR L’ÊTRE…
Je me sentis comme élever l’esprit et le courage, je me trouvai tout
autre […]. Il me sembla seulement alors que j’étais roi, et né pour
l’être.
Premier artisan de sa légende, premier metteur en scène de l’acte
fondateur de son règne, Louis  XIV prenant la pleine responsabilité du
pouvoir en 1661 décrit l’effet de métamorphose produit en lui par cette
découverte du métier de roi. Je me sentis comme élever l’esprit et le
courage, je me trouvai tout autre, je découvris en moi ce que je n’y
connaissais pas, et je me reprochai avec joie de l’avoir si longtemps ignoré.
Cette première timidité que le jugement donne toujours, et qui me faisait
peine, surtout quand il fallait parler un peu longtemps et en public, se
dissipa en moins de rien. Il me sembla seulement alors que j’étais roi, et né
pour l’être. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
►  Mazarin et après…
Il y en a donc d’enjambées en enjambées.
Un jour de 1649 à Compiègne. Il nous dit, à M. Nyert, premier valet de
chambre, et à moi : « M. le cardinal est encore chez maman, car j’ai vu
Boisfermé [gentilhomme du cardinal Mazarin] dans le passage ; l’attend-il
toujours comme cela ? » Nyert lui dit que oui ; qu’il y en avait encore un
dans le degré, et deux dans le corridor. « Il y en a donc d’enjambées en
enjambées  », répondit-il avec une mine qui marquait son aversion.
(La Porte, Mémoires)
Je ne serai pas toujours enfant.
Pendant le siège de Bordeaux durant la Fronde, Loménie de Brienne le
voit pleurer et s’enquiert de la raison de ses larmes. Je lui pris la main et en
la baisant je lui dis : « Qu’avez-vous, mon cher maître, vous pleurez ? » Il
me répondit : « Je ne serai pas toujours enfant, mais taisez-vous. Je ne veux
pas que personne s’aperçoive de mes larmes. Ces coquins de Bordelais ne
me feront pas longtemps la loi. Je les châtierai comme ils le méritent.
Taisez-vous, vous dis-je, et n’abusez pas de la confiance que j’ai en vous »
(Brienne, Mémoires, III)
Le Parlement sera bien fâché.
Pendant que ces troubles [la Fronde] commençaient, le prince de Condé
remporta la célèbre victoire de Lens, qui mettait le comble à sa gloire. Le
roi, qui n’avait alors que dix ans, s’écria : « Le Parlement sera bien fâché. »
Ces paroles faisaient voir assez que la cour ne regardait alors le Parlement
de Paris que comme une assemblée de rebelles. (Voltaire, Siècle de
Louis XIV)
Dès l’enfance même, le seul nom des rois fainéants et de maires du
palais me faisait peine.
Je ne sais si je dois mettre au nombre des miennes [mes fautes] de n’avoir
pas pris d’abord [i.e. d’emblée] moi-même la conduite de mon État. J’ai
tâché, si c’en est une, de la bien réparer par les suites ; et je puis hardiment
vous assurer que ce ne fut jamais un effet ni de négligence ni de mollesse.
Dès l’enfance même, le seul nom des rois fainéants et de maires du palais
me faisait peine quand on le prononçait en ma présence. (Louis  XIV,
Mémoires pour l’année 1661)
Je ne sais pas ce que j’aurais fait s’il avait vécu plus longtemps.
L’attachement seul pour Marie Mancini fut une affaire importante, parce
qu’il l’aima assez pour être tenté de l’épouser, et fut assez maître de lui-
même pour s’en séparer. Cette victoire qu’il remporta sur sa passion
commença à faire connaître qu’il était né avec une grande âme. Il en
remporta une plus forte et plus difficile, en laissant le cardinal Mazarin
maître absolu  : la reconnaissance l’empêcha de secouer le joug qui
commençait à lui peser. C’était une anecdote très connue à la cour, qu’il
avait dit après la mort du cardinal : « Je ne sais pas ce que j’aurais fait s’il
avait vécu plus longtemps. » (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Un ministre […] très habile, très adroit, qui m’aimait et que j’aimais,
[…] mais dont les pensées et les manières étaient naturellement très
différentes des miennes.
Voici le portrait de son parrain et seul Premier ministre, le cardinal
Mazarin, rédigé quelque sept ans après la mort de celui-ci par Louis XIV
lui-même ou sous sa dictée :…un ministre rétabli malgré tant de factions,
très habile, très adroit, qui m’aimait et que j’aimais, qui m’avait rendu de
grands services, mais dont les pensées et les manières étaient naturellement
très différentes des miennes, que je ne pouvais toutefois contredire ni
décréditer sans exciter peut-être de nouveau contre lui, par cette image
quoique fausse de disgrâce, les mêmes orages qu’on avait eu tant de peine à
calmer. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Une infinité de travaux et de veilles dans lesquels on peut dire qu’il a
sacrifié sa vie au repos de la chrétienté.
Mais dès 1661 Louis XIV avait eu l’occasion de faire un éloge du cardinal
où l’hommage au ministre qui avait dévoué tout son loisir et tout son talent
à la France se combinait au rappel que son pouvoir lui était délégué par le
roi. C’est dans un courrier où il assignait à Mgr Hardouin de Péréfixe,
alors évêque de Rodez et futur archevêque de Paris, la tâche de le
représenter à Saint-Denis lors d’un service pour le repos de l’âme du
cardinal. Vous assisterez donc de ma part à cette action de piété et de
reconnaissance envers un si digne ministre, lundi prochain, jour mémorable
auquel, en vertu des pouvoirs que je lui avais confiés, il conclut et signa le
traité de paix entre cette Couronne et celle d’Espagne, l’année 1659, après
une infinité de travaux et de veilles dans lesquels on peut dire qu’il a
sacrifié sa vie au repos de la chrétienté. (Louis XIV, À l’évêque de Rodez.
Fontainebleau, 5 novembre 1661. Grimoard et Grouvelle, V)
Par sa suffisance capable d’un si grand emploi, et par sa naissance
hors d’état d’aspirer à rien davantage.
Pourquoi le jeune roi a-t-il laissé régner son Premier ministre bien après
avoir atteint sa majorité ? Louis XIV répond indirectement lorsqu’il traite
dans ses Mémoires à l’intention du Dauphin la question de savoir si un roi
doit s’ouvrir de ses affaires à plusieurs conseillers ou ministres, pour
balancer leurs jugements à ce propos, ou au moins possible de gens, pour
en conserver le secret et la gouverne. Il définit alors les deux qualités
fondamentales d’un Premier ministre propre à gouverner l’État d’un roi
encore mineur : grande capacité et petite naissance. S’agissant d’un prince
qui, par la faiblesse de son âge, ne serait point capable de gouverner, on
pourrait, avec plus de raison, lui conseiller de se confier entièrement à un
seul ministre qu’à plusieurs, parce qu’en ayant plusieurs et ne pouvant ni
limiter leurs fonctions ni régler leurs contestations, il les verrait bien plus
appliqués à s’élever l’un au-dessus de l’autre, qu’à maintenir la grandeur de
son État : au lieu que, remettant tout dans les mains d’un seul, il n’aurait de
difficulté qu’à le choisir tel qu’il fût en effet par sa suffisance capable d’un
si grand emploi, et par sa naissance hors d’état d’aspirer à rien davantage.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1668)
Préférant sans doute dans mon cœur, à toutes choses et à la vie même,
une haute réputation si je pouvais l’acquérir.
Voici le portrait que Louis XIV a tracé a posteriori de son état d’esprit
durant la plus que décennie où, quoique devenu majeur, il laissa Mazarin
diriger l’État à sa place (1651-1661). Moi-même, assez jeune encore,
majeur à la vérité de la majorité des rois, que les lois de l’État ont avancée
pour éviter de plus grands maux, mais non pas de celle où les simples
particuliers commencent à gouverner librement leurs affaires  ; qui ne
connaissais entièrement que la grandeur du fardeau sans avoir pu
jusqu’alors connaître mes propres forces ; préférant sans doute [i. e. sans
aucun doute] dans mon cœur, à toutes choses et à la vie même, une haute
réputation si je pouvais l’acquérir ; mais comprenant en même temps que
mes premières démarches, ou en jetteraient les fondements, ou m’en
feraient perdre pour jamais jusqu’à l’espérance, et qui me trouvais de cette
sorte pressé et retardé presque également dans mon dessein par un seul et
même désir de gloire, je ne laissais pas cependant de m’exercer et de
m’éprouver en secret et sans confident, raisonnant seul et en moi-même sur
tous les événements qui se présentaient. (Louis  XIV, Mémoires pour
l’année 1661)
La face du théâtre change.
Au premier Conseil qui se tint après la mort du ministre [Mazarin], il
déclara qu’il voulait tout voir par lui-même : « La face du théâtre change,
ajouta-t-il, j’aurai d’autres principes dans le gouvernement de mon État,
dans la régie de mes finances, et dans les négociations au dehors que ceux
de M.  le Cardinal. Vous savez mes volontés  ; c’est à vous maintenant,
Messieurs, de les exécuter. » (Chaudon, Nouveau Dictionnaire historique)
Jusqu’à présent j’ai bien voulu laisser gouverner mes affaires par feu
M. le cardinal ; il est temps que je les gouverne moi-même.
Les phrases devenues célèbres qu’a reprises Chaudon concluaient la
seconde version (datable de 1694 au plus tôt) qu’a donnée Brienne de la
prétendue « prise du pouvoir » par Louis XIV. Il s’agit d’une reconstitution
où le souvenir se combine à la tradition rhétorique des harangues
récapitulatives recomposées par les historiens antiques. Au début du
discours, le roi se serait adressé au chancelier Le Tellier en ces termes :
Monsieur, je vous ai fait assembler avec mes ministres et secrétaires d’État
pour vous dire que jusqu’à présent j’ai bien voulu laisser gouverner mes
affaires par feu M. le cardinal ; il est temps que je les gouverne moi-même.
Vous m’aiderez de vos conseils quand je vous les demanderai. […] Et vous,
mes secrétaires d’État, je vous défends de rien signer, pas une sauvegarde ni
passeport, sans mon ordre, de me rendre compte chaque jour à moi-même et
de ne favoriser personne dans vos rôles du mois. Et vous, monsieur  le
surintendant, je vous ai expliqué mes volontés ; je vous prie de vous servir
de Colbert, que feu M.  le cardinal m’a recommandé. Pour Lionne, il est
assuré de mon affection et je suis content de ses services. (Brienne,
Mémoires, III)
J’écouterai volontiers les sages avis et les bons conseils de mes fidèles
serviteurs.
Le même Brienne avait donné sans doute une dizaine d’années plus tôt
une autre version moins enjolivée et plus concise des propos prononcés
avec beaucoup de gravité par le roi, qui le montraient moins arrogant et sûr
de lui. Messieurs, je vous ai fait assembler pour vous dire que je prétends
désormais gouverner mon État moi-même. M.  le chancelier et M.  le
surintendant ne signeront plus d’arrêt ni d’ordonnance de comptant sans
m’en avertir auparavant, et les secrétaires d’État ne délivreront pas une
seule expédition, je dis jusqu’à un passeport et une ordonnance de cent
écus, sans en avoir reçu préalablement mes ordres. Si quelqu’un de vous,
Messieurs, a quelque chose à dire, il le peut faire librement, et si on trouve
la moindre chose à redire à ma conduite, j’entends dans les formes de
justice que je n’ai pas encore eu le temps d’apprendre, j’écouterai volontiers
les sages avis et les bons conseils de mes fidèles serviteurs. (Brienne,
Mémoires, II)
Je résolus sur toutes choses de ne point prendre de Premier ministre ;
et, si vous m’en croyez, […] le nom en sera pour jamais aboli en
France.
Et quelques années plus tard, il résumera à l’intention de son fils son
coup de force par l’expression de sa décision la plus frappante, destinée à
marquer les esprits et à faire date, en même temps qu’elle enterrait avec
Mazarin la fonction occupée par lui. Quant aux personnes qui devaient
seconder mon travail, je résolus sur toutes choses de ne point prendre de
Premier ministre ; et si vous m’en croyez, mon fils, et tous vos successeurs
après vous, le nom en sera pour jamais aboli en France : rien n’étant plus
indigne que de voir d’un côté toute la fonction, et de l’autre le seul titre de
roi. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Je le veux.
Le testament du cardinal Mazarin attribuait le gouvernement de Bretagne
à son neveu, le duc de Mazarin. Il fallait en dessaisir la reine mère qui le
possédait. Louis  XIV obtient le renoncement de sa mère. On lui fait
observer que le chancelier ferait assurément difficulté sur sa démission ;
alors le roi prit cet air et ce ton de maître, qu’il a toujours eu depuis, et lui
dit : « Je le veux, dites-le à M. le chancelier, et m’apportez les provisions
scellées demain à mon lever. » (Choisy, Mémoires)
À moi, M. l’Archevêque.
Le lendemain de la mort du cardinal, l’archevêque de Rouen, qui a été
depuis archevêque de Paris [François Harlay de Champvallon], vint trouver
le roi, et lui dit : « Sire, j’ai l’honneur de présider à l’assemblée du clergé de
votre royaume. Votre Majesté m’avait ordonné de m’adresser à M.  le
cardinal pour toutes les affaires ; le voilà mort ; à qui Sa Majesté veut-elle
que je m’adresse à l’avenir ? — À moi, monsieur l’archevêque, lui répondit
le roi : je vous expédierai bientôt. » En effet, j’ai ouï dire plusieurs fois à
l’archevêque qu’il ne comprenait pas dans les commencements où le roi
avait pris toutes les connaissances qu’il avait. (Choisy, Mémoires)
Partager sa créance entre un certain nombre de gens habiles. Mais il
faudrait que ce nombre fût petit.
On sait que Louis XIV choisit alors pour le Conseil d’en-haut (un temps
nommé Conseil secret) le trio formé de Le  Tellier, Lionne et Fouquet
flanqué de Colbert, additionnés du chancelier et des trois autres secrétaires
d’État pour former le Conseil des dépêches. Voici les raisons qu’il donne
indirectement à son fils le Dauphin de ce choix d’un nombre si restreint de
collaborateurs. Certes, explique-t-il (comme on l’a vu plus haut), un roi
encore dans l’enfance, voire la prime jeunesse, et dont l’intelligence des
affaires est encore en formation, devrait s’appuyer sur un principal ministre
dont il soit absolument sûr et qui constitue le socle de son trône. Il en serait
autrement d’un roi qui, pourvu naturellement de lumières et de vigueur,
manquerait seulement d’expérience : car, en ce cas, il ferait sans doute et
plus honnêtement et plus sûrement de partager sa créance [i.e. sa confiance]
entre un certain nombre de gens habiles. Mais il faudrait que ce nombre fût
petit. Car n’étant pas encore accoutumé aux malicieux artifices des
hommes, il ne pourrait pas, entre un grand nombre de rapports différents,
distinguer toujours le vrai du vraisemblable  : d’où il naîtrait
perpétuellement de la perplexité dans ses pensées, de l’inconsistance dans
ses résolutions et de l’inquiétude dans l’esprit de ceux mêmes qui le
serviraient avec plus de fidélité, lesquels craindraient toujours que la
malignité de la cour ne ruinât le mérite de leurs services. (Louis  XIV,
Mémoires pour l’année 1668)
►  Fouquet foudroyé
Mes sujets rebelles […] m’ont donné peut-être moins d’indignation
que ceux qui […] me rendaient plus de devoirs et plus d’assiduité que
tous les autres, pendant que je fusse bien informé qu’ils me
trahissaient.
Fausseté et trahison masquée participent de la hantise d’être trompé,
obsession du roi supérieure même à son aversion pour les rébellions
ouvertes. Peut-être est-ce le ressort majeur de sa vindicte envers Fouquet.
Mes sujets rebelles, lorsqu’ils ont eu l’audace de prendre les armes contre
moi, m’ont donné peut-être moins d’indignation que ceux qui en même
temps se tenant auprès de ma personne, me rendaient plus de devoirs et plus
d’assiduité que tous les autres, pendant que je fusse bien informé qu’ils me
trahissaient, et n’avaient pour moi ni véritable respect, ni véritable affection
dans le cœur. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Les gens d’affaires […] d’un côté couvraient toutes leurs
malversations par toute sorte d’artifice, et les découvraient de l’autre
par un luxe insolent et audacieux.
Motif entre autres de la chute de Fouquet, ce contraste que Louis  XIV
constate au moment de son arrivée aux affaires entre le train de l’État et
celui de certains particuliers. Plusieurs des dépenses les plus nécessaires et
les plus privilégiées de ma maison et de ma propre personne, [étaient] ou
retardées contre toute bienséance, ou soutenues par le seul crédit, dont les
suites étaient à charge. L’abondance paraissait en même temps chez les gens
d’affaires, qui d’un côté couvraient toutes leurs malversations par toute
sorte d’artifice, et les découvraient de l’autre par un luxe insolent et
audacieux, comme s’ils eussent appréhendé de me les laisser ignorer.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
À l’âge où j’étais, il fallait que ma raison fît beaucoup d’effort sur
mes ressentiments, pour agir avec tant de retenue.
Sur la voie qui mena le roi à pratiquer systématiquement la dissimulation
qu’il détestait et craignait tant chez les autres, l’expérience de la chute de
Fouquet eut sans doute une part prépondérante. Ce qui le rendait plus
coupable envers moi, était que, bien loin de profiter de la bonté que je lui
avais témoignée en le retenant dans mes conseils, il en avait pris une
nouvelle espérance de me tromper, et bien loin d’en devenir plus sage,
tâchait seulement d’en être plus adroit. [Le roi envisage alors de le
démettre. Mais par crainte qu’il ne complotât pour s’en venger,] je pensai
qu’il était plus sûr de l’arrêter. Je différai néanmoins l’exécution de ce
dessein, et ce dessein me donna une peine incroyable. Car, non seulement je
voyais que pendant ce temps-là il pratiquait de nouvelles subtilités pour me
voler ; mais ce qui m’incommodait davantage était que, pour augmenter la
réputation de son crédit, il affectait de me demander des audiences
particulières, et que pour ne lui pas donner de défiance, j’étais contraint de
les lui accorder, et de souffrir qu’il m’entretînt de discours inutiles, pendant
que je connaissais à fond toute son infidélité. Vous pouvez juger qu’à l’âge
où j’étais, il fallait que ma raison fît beaucoup d’effort sur mes
ressentiments, pour agir avec tant de retenue. (Louis XIV, Mémoires pour
l’année 1661)
Sa disgrâce ne vous regarde point, et je suis content de vous.
Le pauvre Lionne [Hugues de Lionne, secrétaire d’État aux affaires
étrangères, était un proche de Fouquet], consterné et pâle comme la mort,
ne pouvait se remettre. Mais le roi s’en étant aperçu eut la bonté de lui dire
tout haut : « Lionne, je sais bien que le surintendant était de vos amis ; sa
disgrâce ne vous regarde point, et je suis content de vous.  » (Choisy,
Mémoires) C’est le condensé du portrait qu’on lit dans les Mémoires de
Louis XIV : Je savais que pas un de mes sujets n’avait été plus souvent
employé que lui aux négociations étrangères ni avec plus de succès. Il
connaissait les diverses cours de l’Europe, parlait et écrivait facilement
plusieurs langues, avait des belles-lettres, l’esprit aisé, souple et adroit,
propre à cette sorte de traité avec les étrangers. (Louis XIV, Mémoires pour
l’année 1661)
Le meilleur parti est de s’attacher à moi.
Dès Fouquet arrêté, le roi écrit à sa mère (lettre du 5 septembre 1661)
pour se féliciter de l’exécution parfaite du plan longuement ourdi dont elle
était la seule confidente. Puis il en tire les conséquences devant les témoins
de ce coup de force qui ont fait avec lui le voyage de Nantes. J’ai discouru
ensuite sur cet accident avec ces MM. qui sont ici avec moi ; je leur ai dit
franchement, qu’il y avait quatre mois que j’avais formé mon projet, qu’il
n’y avait que vous seule qui en eussiez connaissance, et que je ne l’avais
communiqué au sieur Le Tellier, que depuis deux jours, pour faire expédier
les ordres. Je leur ai déclaré aussi que je ne voulais plus de surintendant,
mais travailler moi-même aux finances avec des personnes fidèles qui
agiront sous moi, connaissant que c’était le vrai moyen de me mettre dans
l’abondance et de soulager mon peuple. Vous n’aurez pas de peine à croire
qu’il y en a eu de bien penauds, mais je suis bien aise qu’ils voient que je ne
suis pas si dupe qu’ils s’étaient imaginé, et que le meilleur parti est de
s’attacher à moi. (Louis  XIV, À  Anne d’Autriche. Nantes, 5  septembre
1661. Grimoard et Grouvelle, V)
J’ai déjà commencé à goûter le plaisir qu’il y a de travailler soi-même
aux finances […] et l’on ne doit pas douter que je ne continue.
La liberté retrouvée dans la gestion de ses finances par l’arrestation de
Fouquet qui dressait l’obstacle d’une opacité peut-être concertée entre le
roi et l’administration de son royaume semble exalter le jeune Louis XIV
découvrant et apprenant son nouveau métier. Au reste, j’ai déjà commencé
à goûter le plaisir qu’il y a de travailler soi-même aux finances, ayant, dans
le peu d’application que j’y ai donné cette après-dîner, remarqué des choses
importantes dans lesquelles je ne voyais goutte, et l’on ne doit pas douter
que je ne continue. J’aurai achevé dans demain tout ce qui me reste à faire
ici, et à l’instant je partirai avec une joie extrême de vous aller embrasser, et
vous assurer moi-même de la continuation de mon amitié. (À  Anne
d’Autriche. Nantes, 5 septembre 1661. Grimoard et Grouvelle, V)
J’ai toujours considéré comme le plus doux plaisir du monde la
satisfaction qu’on trouve à faire son devoir.
Et à propos de cette décision, une considération générale. Ce que je crus
avoir fait en cette occasion de plus digne d’être observé et de plus
avantageux pour mes peuples, c’est d’avoir supprimé la charge de
surintendant, ou plutôt de m’en être chargé moi-même. Peut-être qu’en
considérant la difficulté de cette entreprise, vous serez un jour étonné,
comme l’a été toute la France, de ce que je me suis engagé à cette fatigue,
dans un âge où l’on n’aime ordinairement que le plaisir. Mais je vous dirai
naïvement que j’eus à ce travail, quoique fâcheux, moins de répugnance
qu’un autre, parce que j’ai toujours considéré comme le plus doux plaisir du
monde la satisfaction qu’on trouve à faire son devoir. (Louis XIV, Mémoires
pour l’année 1661)
►  Des qualités de roi
Si d’emblée le roi se reconnut, de manière intuitive, prédisposé par nature
à exercer le gouvernement de son État, sur lesquelles de ses qualités
identifiées par lui pour indispensables à l’exercice du pouvoir absolu
fonda-t-il son intuition, avant de l’appuyer de motifs réfléchis et
raisonnés ? Dans la suite de sa vie, de ses écrits, de ses propos, peut-on
déceler ce qu’il dut trouver en lui pour signes qu’il saurait diriger seul ses
affaires en souverain éclairé  ? Le portrait du bon monarque rejoint en
l’espèce certains des traits qu’on a pu relever plus haut dans les propos où
s’exprimait sa personnalité.
Que nul ne vous égale, s’il se peut, dans l’art de gouverner.
Le roi peut se livrer aux divertissements publics, où s’expriment son
adresse, sa force, son élégance. Pourtant, il est quelquefois dangereux aux
jeunes princes de réussir au delà du commun à de certains exercices, et de
ce genre surtout ; car ce fonds inépuisable d’amour-propre qui nous est si
naturel, nous porte toujours à cultiver, estimer et aimer sans mesure, toutes
les choses où nous pensons exceller au-dessus des autres. […] Souffrez
qu’en toutes ces sortes de choses, il y ait parmi vos sujets des gens qui vous
surpassent, mais que nul ne vous égale, s’il se peut, dans l’art de gouverner,
que vous ne pouvez trop bien savoir, et qui doit être votre application
principale. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1662)
La fonction des rois consiste principalement à laisser agir le bon sens,
qui agit toujours naturellement sans peine.
La fonction des rois consiste principalement à laisser agir le bon sens, qui
agit toujours naturellement sans peine. Ce qui nous occupe est quelquefois
moins difficile que ce qui nous amuserait seulement. L’utilité suit toujours
un roi ; quelque éclairés et quelque habiles que soient ses ministres, il ne
porte point lui-même la main à l’ouvrage sans qu’il y paraisse. (Louis XIV,
Mémoires pour l’année 1661)
Tout l’art de la politique est de se servir des conjonctures
Le constat ci-dessus s’ouvre à une définition de l’art de gouverner comme
une capacité de s’adapter souplement à l’événement et d’en tirer
habilement parti et profit. En considérant combien il est vrai que tout l’art
de la politique est de se servir des conjonctures, je viens à douter
quelquefois si les discours qu’on en fait et ces propres Mémoires [rédigés
par le roi à l’intention du Dauphin], ne doivent pas être mis au rang des
choses inutiles, puisque l’abrégé de tous les préceptes consiste au bon sens
et en l’application que nous ne recevons pas d’autrui, et que nous trouvons
plutôt chacun en nous-même. Mais ce dégoût qui nous prend de nos propres
raisonnements, n’est pas raisonnable  ; car l’application nous vient
principalement de la coutume, et le bon sens ne se forme que par une
longue expérience, ou par une méditation réitérée et continuelle des choses
de même nature  ; de sorte que nous devons aux règles mêmes et aux
exemples l’avantage de nous pouvoir passer des exemples et des règles.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1662)
Les maximes trompent la plupart du temps les esprits vulgaires, les
choses sont rarement comme elles devraient être.
Encore faut-il avoir la patience d’attendre la conjoncture bienvenue et le
génie de la repérer pour en saisir et en exploiter l’opportunité. Il y a grande
différence entre les lumières générales qui ne servent ordinairement qu’à
discours, et les particulières qu’il faut presque toujours suivre dans l’action.
Les maximes trompent la plupart du temps les esprits vulgaires, les choses
sont rarement comme elles devraient être. La paresse s’arrête aux notions
communes, pour n’avoir rien à examiner et rien à faire. L’industrie est à
relever les circonstances particulières, pour en profiter ; et on ne fait jamais
rien d’extraordinaire, de grand et de beau, qu’en y pensant plus souvent et
mieux que les autres. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1662)
Il arrive souvent qu’on veut obscurcir le mérite des bonnes actions
[des rois] en s’imaginant que le monde se gouverne de lui-même.
Suite logique et décevante de la conception de la politique comme art de
se servir des conjonctures. Comme cet art de profiter de toutes choses, et de
celles que le peuple ignore, comme de celles qu’il sait, plus il est grand et
parfait, plus il se cache et se dérobe à la vue, en cela contraire à sa propre
gloire, il arrive souvent qu’on veut obscurcir le mérite des bonnes actions
en s’imaginant que le monde se gouverne de lui-même, par certaines
révolutions fortuites et naturelles qu’il était impossible de prévoir ni
d’éviter ; opinion que les esprits du commun reçoivent sans peine, parce
qu’elle flatte leur peu de lumière et leur paresse, leur permettant d’appeler
leurs fautes du nom de malheur, et l’industrie d’autrui du nom de bonne
fortune. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1662)
Rien n’est si dangereux que la faiblesse.
Loin que les choses se fassent toutes seules, l’énergie et la force de
caractère, fondées sur la plus haute idée de soi-même, de son rang et de son
rôle, sont indispensables à un monarque dont la position au sommet de la
pyramide humaine suppose qu’il affronte les obstacles premier de tous.
Rien n’est si dangereux que la faiblesse, de quelque nature qu’elle soit.
Pour commander aux autres, il faut s’élever au-dessus d’eux ; et après avoir
entendu ce qui vient de tous les endroits, on se doit déterminer par le
jugement qu’on doit faire sans préoccupation et pensant toujours à ne rien
ordonner ni exécuter qui soit indigne de soi, du caractère qu’on porte, ni de
la grandeur de l’État. (Louis XIV, Réflexions sur le métier de roi)
Je serais fort aise de savoir que vous parliez en maître.
En mai 1703, Louis XIV répond à Philippe V qui lui demandait conseil
sur la manière de vaincre l’indétermination et la faiblesse de son caractère
qui embarrassent ses premiers pas dans la fonction. Expliquez-moi
librement vos pensées et vos embarras : je vous donnerai mes avis avec la
même sincérité ; je ne sais pourquoi vous m’en demandez de nouveaux sur
la crainte que vous avez de décider. Il me semble que je vous ai plusieurs
fois conseillé de la surmonter. Je serai[s] fort aise de savoir que vous parliez
en maître, et de ne plus entendre dire qu’il faut qu’on vous détermine sur les
moindres bagatelles. Il vaut presque mieux pour vous de faire des fautes
légères en vous conduisant par vos propres mouvements, que de les éviter
en suivant trop exactement ce qu’on vous inspire. (Louis XIV, À Philippe V.
5 mai 1703. Grimoard et Grouvelle, VI)
Vous n’avez pas de plus grand ennemi que la paresse.
Le roi vieillissant met son jeune petit-fils en garde contre ce défaut
terrible pour un roi : le manque de courage non certes à la guerre, où le
prince est intrépide, mais aux affaires. Il y a même de l’ultimatum dans sa
mise en garde. Vous n’avez pas de plus grand ennemi que la paresse : si elle
vous surmonte, vos affaires achèveront de périr, et leur décadence vous fera
perdre la réputation que votre courage a commencé de vous acquérir. Je
vous dois cet avertissement, et par la tendresse que j’ai pour vous, et par la
nécessité dont il est que vous travailliez de votre côté, si vous voulez que je
continue à vous secourir. (Louis  XIV, À  Philippe  V. 10  septembre 1702.
Grimoard et Grouvelle, VI)
Il faut bien se garder de penser qu’un souverain, parce qu’il a
autorité de tout faire, ait aussi la liberté de tout dire.
La réserve et le contrôle de soi sont essentiels à un roi. Économe de ses
paroles, Louis XIV les a toujours autant que possible méditées avant de les
livrer, et pas seulement dans les négociations diplomatiques. En effet : ce
n’est pas seulement dans les négociations importantes qu’un prince doit
prendre garde à ce qu’il dit. C’est même dans les discours les plus
ordinaires qu’il est le plus souvent en danger de faillir. Car il faut bien se
garder de penser qu’un souverain, parce qu’il a autorité de tout faire, ait
aussi la liberté de tout dire. Au contraire, plus il est grand et considéré, plus
il doit considérer lui-même ce qu’il dit. Les choses qui ne seraient rien dans
la bouche d’un particulier deviennent souvent importantes par la seule
raison que c’est le prince qui les a dites. (Louis  XIV, Mémoires pour
l’année 1666)
L’imprudence attire presque toujours à sa suite le repentir et la
mauvaise foi.
Éloge de la prudence, comme indispensable adjuvant à l’art d’utiliser
habilement les conjonctures sans pour autant se parjurer et sans faire
perdre crédit à sa parole qu’on ne doit pas donner étourdiment. Tout le
monde convient, mon fils, qu’il n’y a rien de plus malhonnête que de se
dédire de ce que l’on avait avancé. Mais vous devez savoir que le seul
moyen de tenir inviolablement sa parole est de ne la jamais donner sans y
avoir mûrement pensé. L’imprudence attire presque toujours à sa suite le
repentir et la mauvaise foi ; et tout homme qui peut s’engager sans raison
devient en peu de temps capable de se rétracter sans honte. (Louis  XIV,
Mémoires pour l’année 1666)
Il est toujours en garde sur toutes les ouvertures qu’on lui fait,
quelque avantageuses qu’elles puissent être pour son maître.
La prudence, s’habillant de méfiance, rend apte à sonder celle d’autrui
pour s’adapter à sa manière d’être et de réagir : conduite bien utile dans
les tractations diplomatiques. En 1661, Louis  XIV veut faire au roi
d’Espagne une proposition avantageuse pour les deux royaumes en passant
par le tout-puissant confident de Philippe IV, Luis de Haro. À cet effet, il a
transmis à l’ambassadeur de France à Madrid un avis qui est, que sachant
par les relations qui m’ont souvent été faites de la manière d’agir de don
Louis de Haro, et qu’il est toujours en garde sur toutes les ouvertures qu’on
lui fait, quelque avantageuses qu’elles puissent être pour son maître, comme
si on avait dessein de le surprendre, il se contente de lui en faire la
proposition, sans prétendre la trop appuyer à force de raisons, le laissant
délibérer à loisir, étant là, sans doute, la meilleure voie pour faire réussir la
chose. (Louis  XIV, Au comte d’Estrades. Fontainebleau, le 5  août 1661.
Grimoard et Grouvelle, V)
Ceux dont le génie est médiocre, font et plus honnêtement et plus
sûrement de s’abstenir de cette fonction [la négociation diplomatique]
que d’y vouloir étaler leur faiblesse.
Les négociations diplomatiques ne sont pas à la portée de n’importe quel
prince : bien connaître ses capacités et ses limites est le fondement de la
sagesse, insiste Louis XIV à l’intention du Dauphin. Car enfin, quoique je
vous parle ici continuellement des entretiens que j’ai avec les ministres
étrangers, je ne prétendrais pas donner conseil indifféremment à tous ceux
qui portent des couronnes de s’exposer à cette épreuve, sans avoir
auparavant bien examiné s’ils sont capables d’en bien sortir. Et j’estime que
ceux dont le génie est médiocre, font et plus honnêtement et plus sûrement
de s’abstenir de cette fonction que d’y vouloir étaler leur faiblesse à la vue
de leurs voisins et mettre en danger les intérêts de leurs provinces.
Beaucoup de monarques seraient capables de se gouverner sagement dans
les choses où ils ont le temps de prendre conseil, qui ne seraient pas pour
cela suffisants pour soutenir eux-mêmes leurs affaires contre des hommes
habiles et consommés qui ne viennent jamais à eux sans préparation et qui
cherchent toujours à prendre les avantages de leurs maîtres. (Louis XIV,
Mémoires pour l’année 1666)
L’éloignement que j’aurai toujours de favoriser des sujets rebelles à
l’autorité légitime de leur souverain.
Le même dilemme se pose à propos d’un autre principe de morale
monarchique : toujours soutenir le pouvoir légitime contre les nations ou
les sujets rebelles. Ce principe noblement rappelé quand les circonstances
s’y prêtent, Louis XIV a su le violer quand il avait espoir de profit à s’en
affranchir. Le sujet revient ici à propos du soupçon nourri par la cour de
Vienne que la France soutiendrait les menées rebelles des Hongrois. Le roi
en écrit à son ambassadeur, le marquis de Villars. La conduite que vous
avez tenue depuis que vous avez été à Vienne doit en effet persuader que
vous n’avez nulle part aux démarches des Hongrois : elle suffirait pour en
convaincre, quand même on pourrait douter de l’éloignement que j’aurai
toujours de favoriser des sujets rebelles à l’autorité légitime de leur
souverain. J’ai lieu de croire que l’empereur ne peut douter de mes
sentiments à cet égard ; mais en même temps il y a beaucoup d’apparence
que les ministres de ce prince seraient bien aises de fortifier les soupçons du
peuple, et qu’ils croiraient rendre un service à leur maître de rejeter sur
vous, dans la conjoncture présente, la haine d’une conspiration ou véritable
ou peut-être trop légèrement crue. (Louis  XIV, Au marquis de Villars.
Versailles, 9 mai 1701. Grimoard et Grouvelle, VI)
Il est essentiel aux princes d’être maîtres de leurs ressentiments.
En 1666, Louis XIV doit, pour obtenir son alliance, passer sur une offense
qu’a faite l’électeur de Brandebourg à son ambassadeur. Duquel exemple
vous pouvez apprendre, mon fils, combien il est essentiel aux princes d’être
maîtres de leurs ressentiments. En des occasions de cette nature, que nous
pouvons, selon notre choix, ou dissimuler ou relever, il ne faut pas tant
appliquer notre esprit à considérer les circonstances du tort que nous avons
reçu qu’à peser les conjonctures du temps où nous sommes. Lorsque nous
nous aigrissons mal à propos, il arrive d’ordinaire qu’en voulant seulement
faire dépit à celui qui nous a fâchés, nous nous faisons tort à nous-mêmes.
Pour la vaine satisfaction que nous trouvons à faire éclater notre vain
courroux, nous perdons souvent l’occasion de ménager de solides
avantages. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Le ressentiment ne doit paraître que quand le bien de l’État le
demande.
En 1701, le pape tergiverse à donner à Philippe  V l’investiture du
royaume de Naples (c’est-à-dire y reconnaître sa souveraineté). Louis XIV
lui conseille la patience et de prendre sur lui-même, faute de pouvoir
l’imposer. Le refus de l’investiture a dû vous faire de la peine  ; mais le
ressentiment ne doit paraître que quand le bien de l’État le demande. Il faut
l’éteindre ou le témoigner, suivant les circonstances. Si l’effet ne suit
immédiatement les menaces, elles sont presque inutiles et ridicules.
(Louis XIV, À Philippe V. Versailles, 7 août 1701. Grimoard et Grouvelle,
VI)
Les affaires se font ou se ruinent souvent par la bonne ou mauvaise
manière de les proposer.
Leçon de diplomatie sur les mauvais effets de la manière forte  : le
chancelier Hyde a mis brutalement en demeure la France d’admettre le
« salut au pavillon » auquel prétendent les vaisseaux anglais de la part des
Français, sauf à céder sur le soutien supposé de Paris au droit de pêche
dans les eaux anglaises réclamé par les Hollandais. Louis XIV en écrit au
comte d’Estrades, son ambassadeur à Londres. Les affaires se font ou se
ruinent souvent par la bonne ou mauvaise manière de les proposer, et en
celle-ci je vous avoue que je ne sais pas moi-même ce qui serait arrivé de la
garantie de la pêche, dont les Hollandais me pressent, si au lieu de me
parler avec la hauteur qu’a fait le chancelier, il vous aurait dit bonnement
qu’il fallait en toutes façons empêcher que vos maîtres ne se brouillassent
ensemble ; qu’en même temps il eût proposé des expédients pour éviter les
ruptures que peut causer le différend du pavillon  ; et qu’ensuite il eût
témoigné que le roi son maître espérait de l’amitié dont je l’avais tant fait
assurer, que je ne voudrais pas lui donner le déplaisir de me voir engager
avec les Hollandais dans une garantie que l’Angleterre ne peut souffrir sans
préjudice. C’était presque la même chose en des termes plus civils, et je
doute que j’eusse pu m’en défendre ; mais de la hauteur qu’il l’a pris, je
crois que la première chose que je ferai sera d’entrer dans l’engagement sur
lequel je vois qu’on me menace. (Louis XIV, Au comte d’Estrades. Paris,
25 janvier 1662. Grimoard et Grouvelle, V)
Ce n’est pas répandre le sang de nos sujets, c’est plutôt le ménager et
le conserver, que d’exterminer les homicides et les malfaiteurs.
Cette maîtrise du ressentiment et cet art de doser la manière forte
s’appliquent dans l’autre fonction régalienne : la justice, qui fait pendant
de la prudence et occupe en politique intérieure la place de la diplomatie
sur le théâtre extérieur. Nous serions trop heureux, mon fils, si nous
n’avions jamais qu’à obliger et à faire des grâces. Mais Dieu même, dont la
bonté n’a point de bornes, ne trouve pas toujours à récompenser et est
quelquefois contraint de punir. […] Ce n’est pas répandre le sang de nos
sujets, c’est plutôt le ménager et le conserver, que d’exterminer les
homicides et les malfaiteurs : c’est se laisser toucher de compassion plutôt
pour un nombre infini d’innocents que pour un petit nombre de coupables.
L’indulgence pour ces malheureux particuliers serait une cruauté universelle
et publique. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1662)
L’espérance de l’impunité ne fait guère moins d’effet que l’impunité
même.
À propos de la sévère répression des révoltes du Boulonnais contre
l’impôt nouvellement levé dans cette province en 1662. Quiconque
pardonne trop souvent punit presque inutilement le reste du temps  : car,
dans cette terreur qui retient les hommes du mal, l’espérance de l’impunité
ne fait guère moins d’effet que l’impunité même. Vous n’achèverez pas la
lecture de ces mémoires, mon fils, sans trouver des endroits où j’ai su me
vaincre moi-même, et pardonner des offenses que je pouvais justement ne
jamais oublier. Mais en cette occasion où il s’agissait de l’État, des plus
pernicieux exemples, et du mal le plus contagieux du monde pour tout le
reste de mes sujets, d’une révolte à main armée qui n’attaquait pas mon
autorité en quelque partie moins importante mais dans son propre
fondement, je crus me devoir vaincre d’une autre sorte, en laissant punir ces
misérables, à qui j’aurais voulu pouvoir pardonner. (Louis XIV, Mémoires
pour l’année 1662)
Cette douceur qu’on se figure dans la vengeance n’est presque pas
faite pour nous.
Un roi doit-il se venger des offenses, se demande Louis XIV s’adressant à
son fils ? Cette douceur qu’on se figure dans la vengeance n’est presque pas
faite pour nous. Elle ne flatte que ceux dont le pouvoir est en doute : ce qui
est tellement vrai que les particuliers même, s’ils ont quelque honneur, ont
peine à l’exercer sur un ennemi tout à fait abattu et qui ne se peut jamais
relever. Pour nous, mon fils, nous ne sommes que très rarement dans cet
état du milieu, où on prend plaisir à se venger ; car nous pouvons tout sans
difficulté, ou bien nous nous trouvons au contraire en certaines conjonctures
délicates et difficiles qui ne veulent pas que nous éprouvions quel est notre
pouvoir. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Qu’il soit lent à punir.
L’accession d’un Bourbon sur le trône des Habsbourg d’Espagne
synthétise en un cas d’école les exigences de la diplomatie et de la justice à
propos de la difficile pondération que Philippe V va devoir arbitrer entre le
respect des fidélités anciennes par ses nouveaux sujets et leur allégeance à
sa personne qu’il est en droit d’attendre. Louis instruit son ambassadeur à
Madrid sur la bonne manière de procéder. Il est très nécessaire dans les
commencements de son règne, et jusqu’à ce qu’il ait pris une connaissance
exacte des affaires, qu’il soit lent à punir. Il est certain que, nonobstant les
empressements et les acclamations générales de toute la nation, il se
trouvera des particuliers attachés encore à la maison d’Autriche ; mais il
faut songer aussi que cet attachement a été jusqu’à présent un mérite pour
eux ; qu’ils changeront bientôt de sentiments ; qu’enfin, ceux qui le peuvent
conserver ne méritent pas d’être punis, à moins qu’il ne les engage en des
intrigues contraires au service du roi leur maître et à la fidélité qu’ils lui
doivent. (Louis  XIV, Au duc d’Harcourt. 8  février 1701. Grimoard et
Grouvelle, VI)
L’EXERCICE DE L’ABSOLUTISME
L’exercice du pouvoir personnel demande, outre des qualités d’esprit et
de caractère spécifiques, une vigilance aiguë à ne laisser quiconque
empiéter sur soi, ainsi qu’une expérience raisonnée des secrets et des périls
que suppose la concentration des pouvoirs en une seule main. Les bienfaits
de cette forme de gouvernement, qui garantit l’unité et la continuité de
l’action, sont en effet menacés par les périls de sa solitude : l’illusion qui se
flatte, l’égarement qui s’ignore et la préférence qui se trompe.
►  Un roi jaloux de son pouvoir
Si vous remarquez qu’une femme prenne empire sur moi et me
gouverne le moins du monde, […] je ne veux que vingt-quatre heures
pour m’en débarrasser.
Un jour il dit en présence de M.  de  Villeroy, de M.  Le  Tellier, de
M. de Lionne, de M. le maréchal de Gramont, de M. Colbert et de quelques
autres dont il ne me souvient pas : « Vous êtes tous mes amis et ceux de
mon royaume que j’affectionne le plus et en qui j’ai le plus de confiance. Je
suis jeune, et les femmes ont ordinairement bien du pouvoir sur ceux de
mon âge. Je vous ordonne à tous que, si vous remarquez qu’une femme,
quelle qu’elle puisse être, prenne empire sur moi et me gouverne le moins
du monde, vous ayez à m’en avertir. Je ne veux que vingt-quatre heures
pour m’en débarrasser et vous donner contentement là-dessus. » (Perrault,
Mémoires)
J’ai un fort penchant pour les plaisirs ; mais si vous vous apercevez
qu’ils me fassent négliger mes affaires, je vous ordonne de m’en
avertir. 
Variante plus policée du mot précédent, selon Racine. M. Colbert disait
qu’au commencement que le roi prit connaissance de ses affaires, ce prince
lui dit et aux autres ministres : « Je vous avoue franchement que j’ai un fort
penchant pour les plaisirs ; mais si vous vous apercevez qu’ils me fassent
négliger mes affaires, je vous ordonne de m’en avertir.  » (Racine,
Fragments historiques, 20, dans Picard éd., Œuvres diverses)
Tant de funestes exemples des maisons éteintes, des trônes renversés,
des provinces ruinées, des empires détruits.
Le pouvoir des femmes sur les princes au cœur trop sensible est une
source de faiblesses et de brigues. Après avoir mis en garde le Dauphin
contre ces pièges, Louis XIV conclut, fataliste : Je vous avouerai bien qu’un
prince dont le cœur est fortement touché par l’amour, étant toujours aussi
prévenu d’une forte estime pour ce qu’il aime, a peine de goûter toutes ces
précautions. Mais c’est dans les choses difficiles que nous faisons paraître
notre vertu. Et d’ailleurs il est certain qu’elles sont d’une nécessité absolue
et c’est faute de les avoir observées que nous voyons dans l’histoire tant de
funestes exemples des maisons éteintes, des trônes renversés, des provinces
ruinées, des empires détruits (Louis  XIV, Mémoires pour l’année 1667,
appendice).
Les rois, exposés à la vue du public, en sont encore plus méprisés,
quand ils souffrent que leurs femmes dominent.
Louis XIV appliquera mieux ce précepte à son petit-fils qu’il ne le fit peut-
être lui-même, encore que l’on ait beaucoup exagéré l’influence exercée sur
la conduite de l’État par Mme de Maintenon. De fait, Philippe V épousa
une jeune femme douée de plus de charisme que lui et qui allait avoir sur
lui une réelle emprise, contre quoi son grand-père le met en garde.
J’attendais avec impatience la nouvelle de votre mariage. Votre lettre et
Louville, que vous m’avez envoyé, me l’ont appris. Il m’a parlé de toutes
les bonnes qualités de la reine : elles peuvent vous rendre heureux, si elle en
fait un bon usage ; […] mais il faut, pour votre bonheur et pour le sien,
qu’elle se désabuse de toutes les vues qu’on peut lui avoir données de vous
gouverner. Je crois que V. M. ne le souffrirait pas ; elle sent trop vivement
le déshonneur qu’une pareille faiblesse attire : on ne la pardonne pas aux
particuliers  ; les rois, exposés à la vue du public, en sont encore plus
méprisés, quand ils souffrent que leurs femmes dominent. Vous avez devant
les yeux l’exemple de votre prédécesseur. (Louis  XIV, À  Philippe  V.
13 novembre 1701. Grimoard et Grouvelle, V)
Dès lors que vous donnez la liberté à une femme de vous parler des
choses importantes, il est impossible qu’elles ne nous fassent faillir.
Cette précaution s’appuie sur une théorie du pouvoir maléfique des
femmes ainsi expliqué au Dauphin. Dès lors que vous donnez la liberté à
une femme de vous parler des choses importantes, il est impossible qu’elles
ne nous fassent faillir. La tendresse que nous avons pour elles, nous faisant
goûter leurs plus mauvaises raisons, nous fait tomber insensiblement du
côté où elles penchent  ; et la faiblesse qu’elles ont naturellement, leur
faisant souvent préférer des intérêts de bagatelles aux plus solides
considérations, leur fait presque toujours prendre le mauvais parti. Elles
sont éloquentes dans leurs expressions, pressantes dans leurs prières,
opiniâtres dans leurs sentiments, et tout cela n’est souvent fondé que sur
une aversion qu’elles auront pour quelqu’un, sur le dessein d’en avancer un
autre, ou sur une promesse qu’elles auront faite légèrement. (Louis  XIV,
Mémoires pour l’année 1667, appendice).
Elles ont toujours quelque conseil particulier pour leur élévation ou
pour leur conservation…
Autres raisons de se défier des femmes. Le secret ne peut être chez elles
dans aucune sûreté : car si elles manquent de lumières, elles peuvent par
simplicité découvrir ce qu’il fallait le plus cacher ; si elles ont de l’esprit,
elles ne manquent jamais d’intrigues et de liaisons secrètes. Elles ont
toujours quelque conseil particulier pour leur élévation ou pour leur
conservation, et elles ne manquent point d’y étaler tout ce qu’elles savent,
autant de fois qu’elles en croient tirer quelque raisonnement pour leurs
intérêts. C’est dans ces conseils qu’elles concertent en chaque affaire quel
parti elles doivent prendre, de quels artifices elles se doivent servir pour
faire réussir ce qu’elles ont entrepris, comment elles se déferont de ceux qui
leur nuisent, comment elles établiront leurs amis, par quelles adresses elles
nous pourront engager davantage et nous retenir plus longtemps.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667, appendice).
Les princes du sang ne sont jamais en France ailleurs qu’à la cour.
Monsieur, frère de Louis XIV, boude parce que le roi l’a repris sur les
menées de son favori, le chevalier de Lorraine, dont s’est plainte Madame.
Sur quoi le boudeur délègue l’évêque de Valence, Daniel de Cosnac, pour
obtenir en réparation le gouvernement de Languedoc devenu libre par la
mort du prince de Conti qui l’occupait. Le gouvernement de Languedoc !
s’écria le roi, je croyais que tous les gouvernements particuliers des
provinces étaient au-dessous de mon frère ? Et, l’évêque plaidant en vain la
cause pour laquelle on l’a missionné : monsieur, lui dit le roi, je vous ferai
donner la réponse que je vais faire à mon frère dans demi-heure : dites-lui
que les princes du sang ne sont jamais en France ailleurs qu’à la cour ; et
qu’à l’égard du gouvernement de Languedoc, je le prie de se souvenir que
nous sommes convenus lui et moi qu’il n’aurait jamais de gouvernement.
(Choisy, Mémoires)
C’était manquer de prévoyance et de raison que de mettre les grands
gouvernements entre les mains des fils de France.
Cette mise en scène inventive que vient d’offrir l’abbé de Choisy procède
d’une réalité évoquée par Louis XIV dans ses Mémoires pour le Dauphin.
La scène y est rattachée non à l’épisode anecdotique et scabreux des
menées du chevalier de Lorraine auprès de Philippe d’Orléans, mais à la
mort d’Anne d’Autriche qui avait rapproché les deux frères. Un mois après,
la mort imprévue du prince de  Conti lui fournit un nouveau sujet de
prétention pour le gouvernement du Languedoc, fondé principalement sur
ce que mon oncle [Gaston d’Orléans, frère de Louis  XIII et comploteur
perpétuel] l’avait autrefois possédé. Mais je ne crus pas encore devoir lui
accorder ce point, étant persuadé qu’après les désordres que nous avons vus
si souvent dans le royaume, c’était manquer de prévoyance et de raison que
de mettre les grands gouvernements entre les mains des fils de France,
lesquels pour le bien de l’État, ne doivent jamais avoir d’autre retraite que
la cour, ni d’autre place de sûreté que dans le cœur de leur frère. L’exemple
de mon oncle, que mon frère alléguait, était une confirmation de ma pensée.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Ces monstrueuses élévations…
Une autre condition pour régner seul est de régler avec attention et
mesure la puissance des ministres, indispensables à épauler le roi, mais
toujours prêts à se hausser au-dessus de leur rôle, avec le risque qu’il ne
faille les démettre. Ce qui arrive en 1667 au comte de Clarendon qui aura
régné si longtemps sur le cabinet d’Angleterre. D’un si notable événement,
les ministres des rois peuvent apprendre à modérer leur ambition, parce que
plus ils s’élèvent au-dessus de leur sphère, plus ils sont en péril de tomber.
Mais les rois peuvent apprendre aussi à ne pas laisser trop agrandir leurs
créatures, parce qu’il arrive presque toujours qu’après les avoir élevés avec
emportement, ils sont obligés de les abandonner avec faiblesse, ou de les
soutenir avec danger : car pour l’ordinaire ce ne sont pas des princes fort
autoritaires ou fort habiles qui souffrent ces monstrueuses élévations. Je ne
dis pas que nous ne puissions, par le propre intérêt de notre grandeur,
désirer qu’il en paraisse quelque épanchement sur ceux qui ont part en nos
bonnes grâces. Mais il faut prendre soigneusement garde que cela n’aille
pas jusqu’à l’excès, et le conseil que je vous puis donner pour vous en
garantir consiste en trois observations principales. La première est que vous
sachiez vos affaires à fond, parce qu’un roi qui ne les sait pas, dépendant
toujours de ceux qui le servent, ne peut bien souvent se défendre de
consentir à ce qui leur plaît. La seconde, que vous partagiez votre confiance
entre plusieurs, d’autant que chacun de ceux auxquels vous en faites part
étant par une émulation naturelle opposé à l’élévation de ses rivaux, la
jalousie de l’un sert souvent de frein à l’ambition de l’autre. Et la troisième,
qu’encore que dans le secret de vos affaires ou dans vos entretiens de plaisir
ou de familiarité, vous ne puissiez admettre qu’un petit nombre de
personnes, vous ne souffriez pas pourtant que l’on puisse imaginer que ceux
qui auront cet avantage soient en pouvoir de vous donner en leur gré bonne
ou mauvaise impression des autres ; mais qu’au contraire vous entreteniez
exprès une espèce de commerce avec tous ceux qui tiendront quelque poste
important dans l’État, que vous leur donniez à tous la même liberté de vous
proposer ce qu’ils croiront être de votre service ; que pas un d’eux, en ses
besoins, ne se croie obligé de s’adresser à d’autres qu’à vous ; qu’ils ne
pensent avoir que vos bonnes grâces à ménager  ; et qu’enfin les plus
éloignés comme les plus familiers soient persuadés qu’ils ne dépendent en
tout que de vous seul. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
Je me suis fait une règle […] de ne mettre aucun ecclésiastique dans
mon Conseil, et des cardinaux encore moins.
Autre source de méfiance  : l’influence de l’Église qui, de Richelieu à
Mazarin, a fourni en premiers ministres le père puis la mère de Louis XIV.
Puissance à la fois nationale et étrangère, temporelle et éternelle,
matérielle et spirituelle, l’Église a déjà par elle-même trop de pouvoir pour
que ses princes puissent être admis au gouvernement du roi. Je me suis fait
une règle, dès la mort du cardinal Mazarin, dont je me suis bien trouvé
jusques à cette heure et que je ne changerai pas, de ne mettre aucun
ecclésiastique dans mon Conseil, et des cardinaux encore moins. (Saint-
Simon, Parallèle des trois premiers rois bourbons)
On le regarde incontinent comme un favori déclaré.
Outre le danger représenté par la puissance des ministres empiétant sur le
pouvoir du roi, celle des favoris ou de ceux que l’on croit tels n’est pas
moindre  : Louis  XIV donne à son fils une vraie leçon de psychologie
politique en lui montrant comment, tant en réalité que par effet de leurre et
d’illusion, le favori, tel un parasite, dévore le maître qui a eu le tort de
l’accueillir dans ce statut pernicieux. S’il est parmi les serviteurs de l’État
quelqu’un [i.e. l’un d’eux] qui, par notre inclination ou par son industrie,
vienne à se distinguer de ses pareils, on ne manque jamais de penser qu’il
est maître absolu de notre esprit, on le regarde incontinent comme un favori
déclaré, on lui attribue quelquefois des choses dont il n’a pas eu la moindre
participation, et le bruit de sa faveur est infiniment plus grand dans le
monde qu’elle ne l’est effectivement dans notre cœur. Et cependant ce n’est
pas en cela, mon fils, qu’on peut mépriser les bruits populaires  : au
contraire, il faut y remédier sagement et promptement, parce que cette
opinion, quoique de soi vaine, peut, en durant trop, nuire à notre réputation
et augmenter effectivement le crédit de celui même qui la fait naître. Car
comme chacun s’empresse à devenir de ses amis, il trouve souvent moyen
de faire par les autres ce qu’il n’eût jamais entrepris de son chef, et parce
qu’on s’imagine qu’il peut tout, on veut lui plaire par toutes voies. Ceux
même à qui nous donnons le plus de familiarité auprès de nous cherchent à
se fortifier par son appui. On prend avec lui des engagements secrets qu’on
couvre en certaines occasions d’une indifférence affectée, pendant que dans
les choses qu’il affectionne on l’informe de tout ce qu’on voit, on nous
parle toujours dans ses sentiments, on approuve ou blâme ce qu’il veut, on
éloigne ce qui lui déplaît, on facilite ce qu’il désire : en sorte que, sans qu’il
paraisse y contribuer, nous nous trouvons, comme par merveille, mais
merveille presque infaillible, portés dans tous ses sentiments. (Louis XIV,
Mémoires pour l’année 1667)
Ne vous laissez pas gouverner  ; soyez le maître  : n’ayez jamais de
favori ni de Premier ministre.
Au soir de sa vie, en 1700, envoyant en Espagne son petit-fils le duc
d’Anjou y prendre la couronne ibérique, Louis  XIV termine ainsi ses
Instructions au jeune prince. Je finis par un des plus importants avis que je
puisse vous donner. Ne vous laissez pas gouverner ; soyez le maître : n’ayez
jamais de favori ni de Premier ministre. Écoutez, consultez votre Conseil,
mais décidez. Dieu, qui vous a fait roi, vous donnera les lumières qui vous
sont nécessaires tant que vous aurez de bonnes intentions. (Louis  XIV,
Instructions au duc d’Anjou).
Faites voir […] que des particuliers qui ont abusé de votre confiance
ne sont pas les maîtres de la monarchie.
Et ces instructions ne tardent pas à trouver leur application dans la
faiblesse du jeune roi qui se laisse influencer par des personnalités fortes
ou bien appuyées. Faites voir qu’il y a un roi et un Conseil en Espagne, que
vous y commandez, et que des particuliers qui ont abusé de votre confiance
ne sont pas les maîtres de la monarchie. (Louis XIV, À Philippe V. 20 août
1704. Grimoard et Grouvelle, VI)
Vous serez insensiblement obligé de remettre à un Premier ministre le
soin de toutes vos affaires. Je ne crois pas que ce soit votre intention, et
je ne vous le conseillerai jamais.
C’est pourquoi le roi doit conserver la coutume du Conseil à l’espagnole
(le despacho) en dépit des difficultés que peuvent présenter le choix de ses
membres et le fait d’y introduire des représentants de la France. L’affaire
est importante, et vous savez que je ne songe qu’à votre intérêt véritable.
Rien n’y serait plus opposé que de supprimer ce Conseil  : tant qu’il
subsiste, Votre Majesté gouverne elle-même ; elle consulte ceux qu’elle y
admet, elle décide comme il lui plaît, et ensuite elle donne ses ordres à ceux
qui doivent être chargés de l’exécution. Si vous le supprimez, vous serez
insensiblement obligé de remettre à un Premier ministre le soin de toutes
vos affaires. Je ne crois pas que ce soit votre intention, et je ne vous le
conseillerai jamais. (Louis XIV, À Philippe V. Versailles, 30 juillet 1704.
Lettres inédites du Mémorial du Dépôt général de la guerre)
Les gens comme nous doivent s’élever au-dessus des démêlés
particuliers.
Autre manière de le dire, cette fois à la reine d’Espagne, qui ne se
remettait pas d’avoir été privée de la princesse des Ursins, rappelée à Paris
par Louis  XIV pour avoir intrigué contre le cardinal d’Estrées,
ambassadeur de France, dans l’intention de gouverner seule l’Espagne à
travers le jeune couple royal. Si elle avait eu un fidèle attachement pour
vous, elle aurait sacrifié tous ses ressentiments, bien ou mal fondés, contre
le cardinal d’Estrées, au lieu de vous y faire entrer. Les gens comme nous
doivent s’élever au-dessus des démêlés particuliers, et se conduire par
rapport à leurs propres intérêts et à ceux de leurs sujets, qui sont toujours les
mêmes. Il fallait donc rappeler mon ambassadeur, vous abandonner à la
princesse des  Ursins, et la laisser seule gouverner vos royaumes, ou la
rappeler elle-même. C’est ce que j’ai cru devoir faire, dans l’espérance que
vous déféreriez à mes sentiments, et que la princesse des Ursins s’éloignant,
vous perdriez une partie des impressions qu’elle vous a données.
(Louis  XIV, À  la reine d’Espagne. 20  septembre 1704. Grimoard et
Grouvelle, VI)
►  Bienfaits, périls et secrets du pouvoir personnel
Il est temps que je fasse moi-même mes affaires. 
Au moment de l’arrestation de Fouquet à Nantes. Sa Majesté passa dans
la chambre et dit tout haut aux courtisans qui s’y trouvèrent  : « J’ai fait
arrêter le surintendant. Il est temps que je fasse moi-même mes affaires. »
(Choisy, Mémoires)
Rien n’[est] plus dangereux […] qu’un roi qui dort ordinairement,
pour s’éveiller de temps en temps comme en sursaut, après avoir perdu
la suite des affaires.
Les ministres eux-mêmes ne peuvent qu’être satisfaits d’un roi
perpétuellement au fait et donc responsable de ses affaires. Ils n’en furent
que plus contents d’un emploi où ils trouvaient, avec mille autres avantages,
une sûreté entière en faisant leur devoir, rien n’étant plus dangereux à ceux
qui occupent de pareils postes, qu’un roi qui dort ordinairement, pour
s’éveiller de temps en temps comme en sursaut, après avoir perdu la suite
des affaires, et qui, dans cette lumière trouble et confuse, s’en prend à tout
le monde des mauvais succès, des cas fortuits ou des fautes dont il se
devrait accuser lui-même. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Me laisser aller trop nonchalamment aux avis des autres.
Les fautes que j’ai faites, et qui m’ont donné des peines infinies, ont été
par complaisance, et pour me laisser aller trop nonchalamment aux avis des
autres. (Louis XIV, Réflexions sur le métier de roi).
Nous n’avons pas affaire à des anges, mais à des hommes.
Certes il existe des ministres, des conseillers, des serviteurs intègres. Mais
s’ils ne sont pas en accord d’esprit absolu avec les vues du prince, leur
intégrité même les retournera contre les desseins de celui-ci. D’ailleurs,
mon fils, ne vous y trompez jamais, nous n’avons pas affaire à des anges,
mais à des hommes à qui le pouvoir excessif donne presque toujours à la fin
quelque tentation d’en user. […] Nul ne partage votre travail, sans avoir un
peu de part à votre puissance. N’en laissez à autrui que ce qu’il vous sera
impossible de retenir : car quelque soin que vous puissiez prendre, il vous
en échappera toujours beaucoup plus qu’il ne serait à souhaiter. (Louis XIV,
Mémoires pour l’année 1662)
Ce qu’on appelle être gouverné n’est pas toujours d’avoir un Premier
ministre en titre.
La hantise d’être gouverné habite Louis  XIV, qui avait commencé son
règne en laissant tout pouvoir à Mazarin. Mais se priver de Premier
ministre ne suffit pas pour qu’un roi soit certain de conserver sa liberté de
décision. Car enfin, ce qu’on appelle être gouverné n’est pas toujours
d’avoir un Premier ministre en titre, à qui l’on renvoie ouvertement la
décision de toutes choses ; chez les princes éclairés, c’est assez pour cela
d’avoir une ou plusieurs personnes, de quelque qualité qu’elles soient, qui,
séparées ou jointes ensemble, puissent nous mettre dans l’esprit ce qu’elles
veulent, qui sachent, selon leurs intérêts, avancer ou reculer les affaires, et
qui puissent, sans que nous y fassions réflexion, approcher de nous les gens
qu’elles favorisent, ou nous dégoûter de celles qu’elles n’aiment pas.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
Il dit publiquement, devant tous les ambassadeurs des princes
étrangers, que c’était à mon exemple qu’il ne voulait plus avoir de
Premier ministre.
Philippe IV avait exercé son pouvoir quelque temps sans Premier ministre
après la disgrâce d’Olivares en 1643 et avant de le remplacer en 1645 par
son neveu Luis de Haro qui eut beaucoup moins d’influence sur les affaires.
À la mort de ce dernier en 1661, il s’autorise de l’exemple de Louis XIV
pour ne pas lui donner de successeur. Le roi de France se félicite
légitimement de faire école. Mais la convergence de leurs projets doit plutôt
être replacée dans le cadre de la montée du modèle absolutiste en Europe.
Il me témoigna son estime d’une manière dont j’avoue que je fus
agréablement flatté, quand après la mort de don Louis de Haro, il dit
publiquement, devant tous les ambassadeurs des princes étrangers, que
c’était à mon exemple qu’il ne voulait plus avoir de Premier ministre. Car il
me semblait tout ensemble bien généreux pour lui, et bien glorieux pour
moi, qu’après une si longue expérience des affaires, il reconnût que je lui
avais servi de guide dans le chemin de la royauté ; et sans me donner trop
de vanité, j’ai lieu de croire qu’en cela même, plusieurs autres princes ont
regardé ma conduite pour régler la leur. (Louis XIV, Mémoires pour l’année
1662)
De peur que […] vous ne confondiez ensemble deux choses fort
différentes : j’entends, gouverner soi-même, et n’écouter aucun conseil,
qui serait une autre extrémité aussi dangereuse.
Louis XIV souligne à l’adresse de son fils l’importance pour un roi de se
faire conseiller, dans une conception de la bonne conduite inspirée de la
morale aristotélicienne du juste milieu : le bon comportement n’est pas le
contraire du mauvais, mais le point d’équilibre entre deux défauts opposés.
Il m’a semblé nécessaire de vous le marquer, mon fils, de peur que par un
excès de bonne intention dans votre première jeunesse, et par l’ardeur
même que ces mémoires pourront exciter en vous, vous ne confondiez
ensemble deux choses fort différentes : je veux dire gouverner soi-même, et
n’écouter aucun conseil, qui serait une autre extrémité aussi dangereuse que
celle d’être gouverné. Les particuliers les plus habiles prennent avis
d’autres personnes habiles dans leurs petits intérêts. Que sera-ce des rois
qui ont entre les mains l’intérêt public, et dont les résolutions font le mal ou
le bien de toute la terre ? Il n’en faudrait jamais former d’aussi importantes,
sans appeler, s’il était possible, tout ce qu’il y a de plus éclairé, de plus
raisonnable et de plus sage parmi nos sujets. (Louis XIV, Mémoires pour
l’année 1661)
Ceux qui, pour se montrer plus maîtres de leur propre conduite, ne
veulent prendre conseil en rien de ce qu’ils font, ne font presque jamais
rien de ce qu’ils veulent.
Délibérer à loisir sur toutes les choses importantes, et en prendre conseil
de différentes gens, n’est pas, comme les sots se l’imaginent, un témoignage
de faiblesse ou de dépendance, mais plutôt de prudence et de solidité. C’est
une maxime surprenante, mais véritable pourtant, que ceux qui, pour se
montrer plus maîtres de leur propre conduite, ne veulent prendre conseil en
rien de ce qu’ils font, ne font presque jamais rien de ce qu’ils veulent. Et la
raison en est que, dès lors qu’ils mettent au jour leurs résolutions mal
digérées, ils y trouvent de si grands obstacles, et on leur y fait remarquer
tant d’absurdités, qu’ils sont contraints de les rétracter eux-mêmes,
s’acquérant ainsi justement la réputation de faiblesse et d’incapacité, par les
mêmes voies par lesquelles ils s’étaient promis de s’en garantir. (Louis XIV,
Mémoires pour l’année 1666)
Écoutez toujours tous les avis et tous les raisonnements de votre
Conseil avant que de faire cette décision.
Ce que confirment les préceptes donnés au duc d’Anjou partant pour
l’Espagne y devenir roi  : la décision d’un roi ne peut être entièrement
personnelle qu’à condition d’avoir été parfaitement informée auparavant
par les conseils de qui de droit. Donnez une grande attention aux affaires
quand on vous en parle ; écoutez beaucoup dans le commencement, sans
rien décider. Quand vous aurez plus de connaissance, souvenez-vous que
c’est à vous à décider ; mais, quelque expérience que vous ayez, écoutez
toujours tous les avis et tous les raisonnements de votre Conseil avant que
de faire cette décision. (Louis XIV, Instructions pour le duc d’Anjou)
…apprenant [la vérité] toujours de plusieurs endroits différents,
avant de prendre un dernier parti sur de telles matières.
C’est par cette pratique que Louis XIV entend justifier auprès de la reine
d’Espagne le rappel en France de sa camarera mayor, la princesse
des Ursins, qu’elle croit victime d’une cabale ayant abusé le roi. Faites-lui
connaître que les intrigues ni les cabales des ennemis de la princesse ne
m’ont point déterminé par de fausses suppositions contre elle. Enfin,
expliquez-lui que je décide de toutes choses par moi-même, et que personne
n’oserait me supposer [faire croire] des faits contraires à la vérité,
l’apprenant toujours de plusieurs endroits différents, avant de prendre un
dernier parti sur de telles matières. (Louis  XIV, À  M.  de  Chateauneuf.
10 juillet 1704. Grimoard et Grouvelle, VI)
Notre élévation nous éloigne en quelque sorte de nos peuples, dont nos
ministres sont plus proches.
Du bon usage des intermédiaires. Notre élévation nous éloigne en quelque
sorte de nos peuples, dont nos ministres sont plus proches, capables de voir
par conséquent mille particularités que nous ignorons, sur lesquelles il faut
néanmoins se déterminer et prendre ses mesures. Ajoutez l’âge,
l’expérience, l’étude, la liberté qu’ils ont bien plus grandes que nous de
prendre les connaissances et les lumières de quelques inférieurs, qui
prennent eux-mêmes celles des autres, de degré en degré jusqu’aux
moindres. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Je veux entendre auparavant des vieux officiers, et m’informer à fond
des raisons qu’il y peut avoir de part et d’autre.
C’est pourquoi dans les choses les plus grandes comme les plus petites, la
règle de Louis XIV est de s’informer bien complètement, puis de trancher
souverainement. Ainsi d’une minuscule rivalité entre cavaliers et dragons
survenue en 1664 dans le corps d’armée que commande le marquis
de Bellefonds en Italie, dont le roi s’informe depuis Paris et dont il entend
régler lui-même le différend. Au reste j’approuve le tempérament que vous
avez pris sans conséquence, sur la contestation de la cavalerie et des
dragons : je la réglerai tout à fait ; mais je veux entendre auparavant des
vieux officiers, et m’informer à fond des raisons qu’il y peut avoir de part et
d’autre. (Louis  XIV, Au marquis de Bellefonds. Paris, 31  janvier 1664.
Grimoard et Grouvelle, V)
Quand on a passé un temps raisonnable à examiner une affaire, il
faut se déterminer.
Reste ce défaut auquel peut porter l’accumulation des informations ou des
conseils nécessairement contradictoires  : l’indécision. Il faut se garder
contre soi-même, prendre garde à son inclination, et être toujours en garde
contre son naturel. Le métier de roi est grand, noble et délicieux, quand on
se sent digne de bien s’acquitter de toutes les choses auxquelles il engage ;
mais il n’est pas exempt de peines, de fatigues et d’inquiétudes.
L’incertitude désespère quelquefois  ; et quand on a passé un temps
raisonnable à examiner une affaire, il faut se déterminer, et prendre le parti
qu’on croit le meilleur. (Louis XIV, Réflexion sur le métier de roi)
Il n’est pas aisé que le prince seul, partagé par tant d’autres pensées,
fasse toujours le parfait discernement du bon d’avec le mauvais.
Le pouvoir personnel, en politique intérieure comme extérieure, suppose
que toutes les décisions remontent vers le monarque. Cela induit de la part
des satellites intéressés à recevoir du Soleil sa lumière bénéfique une
politique de la pression, de l’intrigue, de la sollicitation et de l’objurgation,
qui appelle le prince à trancher sans cesse entre des intérêts contraires tous
fortement argumentés. Dans ses Mémoires à l’intention du Dauphin,
Louis XIV a théorisé cette conséquence du pouvoir personnel et en a tiré
une politique du bon discernement appuyée sur quatre maximes majeures
destinées à réguler et éclairer la prise de décision. Il faut de la force
assurément pour tenir toujours la balance droite, entre tant de gens qui font
leurs efforts pour la faire pencher de leur côté. De tant de voisins qui nous
environnent, de tant de sujets qui nous obéissent, de tant d’hommes qui
nous font la cour, de tant de ministres et de serviteurs qui nous servent ou
qui nous conseillent, il n’en est presque pas un qui n’ait dans l’esprit une
prétention formée, et chacun d’eux s’appliquant tout entier à donner à ce
qu’il veut l’apparence de la justice, il n’est pas aisé que le prince seul,
partagé par tant d’autres pensées, fasse toujours le parfait discernement du
bon d’avec le mauvais. Il serait difficile de vous fournir pour cela des règles
certaines dans la diversité des sujets qui se présentent tous les jours. Mais il
y a pourtant certaines maximes générales, dont il est bon que vous soyez
informé.
La première est que quand vous auriez pour tous une complaisance
universelle, vous ne pourriez pourtant satisfaire à tout, parce que la même
chose qui contente l’un en fâche toujours plusieurs autres.
La deuxième, qu’il ne faut pas juger de l’équité d’une prétention par
l’empressement avec lequel on l’appuie, parce que la passion et l’intérêt ont
naturellement plus d’impétuosité que la raison.
La troisième, que ceux qui vous touchent de plus près, ou ceux même de
qui vous prenez les avis sur les prétentions des autres, sont ceux sur les
prétentions desquels vous devez le plus vous consulter vous-même ou
prendre les conseils des gens qui ne soient pas en même degré qu’eux, de
peur que, prenant le sentiment de l’un sur l’affaire de l’autre (quoique
d’ailleurs ils ne fussent pas amis), ils ne se favorisent réciproquement, dans
la pensée que la grâce reçue par leur compagnon ferait exemple pour eux-
mêmes.
Et enfin la quatrième est qu’il faut toujours considérer les suites de la
chose prétendue, plutôt que le mérite de celui qui prétend, parce que le bien
public se doit préférer à la satisfaction des particuliers, et qu’il n’y a point
de roi si puissant au monde qui ne ruinât bientôt son État s’il était résolu de
tout accorder seulement aux gens de mérite. (Louis  XIV, Mémoires pour
l’année 1666)
J’entendrai bien mieux présentement les lettres de marine que je ne
faisais.
Une indispensable condition à cet exercice personnel du pouvoir, outre
savoir prendre conseil, c’est d’avoir appris le métier et d’accepter de s’y
former de manière continue. Ce qui se produit sur le théâtre même des
opérations durant la longue guerre de Hollande, au sujet de la marine dont
Louis XIV entend développer le tonnage et le rôle depuis son intervention
dans la seconde guerre anglo-néerlandaise (1667). J’entendrai bien mieux
présentement les lettres de marine que je ne faisais, car j’ai vu le vaisseau
de toute manière, et faire toutes ses manœuvres, tant pour le combat que
pour faire route. […] Les travaux de la marine sont surprenants, et je ne
m’imaginais pas les choses comme elles sont ; enfin je suis très satisfait.
(Louis XIV, À Colbert. Dunkerque, 29 juillet 1680. Grimoard et Grouvelle,
V)
Vous témoignerez donc une fois pour toutes à mon-dit parlement et
aux jurats de la même ville, que je veux être obéi sans autre réplique ni
délai.
Principal obstacle au pouvoir du roi : les parlements. En 1662, la crise
frumentaire oblige à répartir le blé entre provinces riches et pauvres pour
éviter la famine. Anticipation des méfaits de la décentralisation, cela ne va
pas sans obstacles locaux. J’ai su qu’il a été délibéré au parlement de
Bordeaux, de me faire des remontrances tendant à ne laisser passer que dix
mille setiers de blé, au lieu de quarante mille setiers que j’ai fait acheter en
Guyenne, pour en assister les provinces de deçà, où l’année a été plus
stérile : et parce que je dois mieux connaître que nul autre les nécessités de
mes sujets, j’ajoute ces lignes à ma précédente, pour vous confirmer que
j’entends que, nonobstant cette délibération et toute autre chose à ce
contraire, la quantité de blé ci-dessus achetée par mes ordres, sorte
incessamment de la province, pour être voiturée en ces quartiers et
distribuée au pauvre peuple ; sachant avec certitude que s’il paraît à présent
y en avoir moins dans ladite province, c’est le seul désir de me le vendre
plus cher qui en est cause, et non la crainte d’en manquer. Vous témoignerez
donc une fois pour toutes à mon-dit parlement et aux jurats de la même ville
que je veux être obéi sans autre réplique ni délai. (Louis XIV, Au marquis
de Saint-Luc. 5 mars 1662. Grimoard et Grouvelle, V)
J’attache par ce moyen le chef et le seul héritier mâle de votre maison
à celle d’un homme qui me sert dans mes plus importantes affaires.
La mésalliance de la plus haute noblesse avec les ministres bourgeois (ici
le duc de  Chevreuse avec une fille de Jean-Baptiste Colbert) que s’est
choisis Louis  XIV —  pour leur petite naissance qui lui ôte tout souci
d’usurpation de pouvoir  —, ne procède pas toujours de l’initiative
courtisane des grands seigneurs  : elle est aussi imposée, revendiquée et
proclamée explicitement par le roi comme expression de son autorité. Mon
Cousin, j’ai conclu le mariage du sieur de Chevreuse avec la fille aînée du
sieur Colbert, et comme j’attache par ce moyen le chef et le seul héritier
mâle de votre maison à celle d’un homme qui me sert dans mes plus
importantes affaires, avec le zèle et le succès que fait ledit sieur Colbert, j’ai
bien voulu vous donner moi-même avis de cette alliance, et je m’assure que
vous prendrez part à la satisfaction que les deux familles en témoignent.
(Louis XIV, Au duc de Chaulnes. Saint-Germain-en-Laye, 1er janvier 1667.
Grimoard et Grouvelle, V)
L’art de (bien) gouverner
Quelle représentation Louis XIV avait-il de son pouvoir, des principes et
de l’exercice de la monarchie  ? De cette représentation, l’Histoire a
conservé la formule excessive et apocryphe que l’on sait : L’État, c’est moi.
On a vu dans l’introduction du présent volume comment et dans quelles
circonstances ces paroles ne furent pas prononcées par Louis XIV, malgré
qu’en ait la légende, lors du lit de justice du 13 avril 1655. On a vu aussi ce
qu’en rapportent les mémoires contemporains, qui ne suffisent pas à
remplacer les propos tenus alors réellement par le roi. Voltaire en propose
une version plus développée que les trois mots imaginaires. Selon lui,
Louis  XIV aurait dit aux parlementaires  : «  On sait les malheurs qu’ont
produits vos assemblées  ; j’ordonne qu’on cesse celles qui sont
commencées sur mes édits. Monsieur le premier président, je vous défends
de souffrir des assemblées, et à pas un de vous de les demander. » Sa taille
déjà majestueuse, la noblesse de ses traits, le ton et l’air de maître dont il
parla, imposèrent plus que l’autorité de son rang, qu’on avait jusque-là peu
respectée. Note de Voltaire : L’auteur des Mémoires de Maintenon [i.e. La
Beaumelle] s’avise de dire au hasard dans sa note : « Son discours ne fut
pas tout à fait si beau, et ses yeux en dirent plus que sa bouche. » Où a-t-il
pris que le discours de Louis XIV ne fut pas tout à fait si beau, puisque ce
furent là ses propres paroles ? Il ne fut ni plus moins beau : il fut tel qu’on
le rapporte. (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Je vous défends de souffrir aucunes assemblées, et à pas un de vous de
les demander.
La leçon de Voltaire est dérivée de la lettre des registres du Parlement.
Voici le texte exact qui se rencontre dans la série dite du « conseil secret ».
Messieurs, chacun sait les malheurs qu’ont produits les assemblées du
Parlement. Je veux les prévenir et que l’on cesse celles qui sont
commencées sur les édits que j’ai apportés, lesquels je veux être exécutés.
Monsieur le premier président, je vous défends de souffrir aucunes
assemblées, et à pas un de vous de les demander. » (Archives nationales,
cote XIA8390, f° 89-90, d’après François Bluche, Louis  XIV vous parle,
Paris, Stock, 1988). La correction par Voltaire des réserves de La
Beaumelle est peut-être injuste  : l’écrit en ces domaines ne reflète pas
toujours avec exactitude la parole vive.
La nation ne fait pas corps en France ; elle réside tout entière dans la
personne du roi.
En lui déniant toute réalité, Édouard Fournier reconnaît pourtant la
vraisemblance de la formule lapidaire passée à la postérité. Dans un cours
de droit public que Louis  XIV fit composer sous l’inspiration de
M.  de  Torcy, pour l’instruction du duc  de  Bourgogne, et dont Lémontoy
retrouva le manuscrit, on lit à la première page : « La nation ne fait pas
corps en France ; elle réside tout entière dans la personne du roi. » L’État
c’est moi n’en disait pas tant. (Fournier, Recherches et curiosités)
Quand on a l’État en vue, on travaille pour soi.
À quoi l’on rajoutera ceci, d’esprit voisin et de la plume du roi (ou
presque) : Quand on a l’État en vue, on travaille pour soi. Le bien de l’un
fait la gloire de l’autre. Quand le premier est heureux, élevé et puissant,
celui qui en est cause en est glorieux, et par conséquent doit plus goûter que
ses sujets, par rapport à lui et à eux, tout ce qu’il y a de plus agréable dans
la vie. (Louis XIV, Réflexions sur le métier de roi)
PRINCIPES ET RÉALITÉS

►  L’unité de l’État : apologie pour la monarchie


Les biens infinis que produit la royauté.
L’éloge du principe monarchique puise ses arguments dans une tradition
remontant à la plus lointaine Antiquité. Voici une modulation sur le thème
bien connu de la sécurité et de la protection : la monarchie est maternelle.
Tant que tout prospère dans un État, on peut oublier les biens infinis que
produit la royauté, et envier seulement ceux qu’elle possède  : l’homme
naturellement ambitieux et orgueilleux ne trouve jamais en lui-même
pourquoi un autre lui doit commander, jusqu’à ce que son besoin propre le
lui fasse sentir. […] Ce sont les accidents extraordinaires qui lui font
considérer ce qu’il en retire ordinairement d’utilité, et que sans le
commandement, il serait lui-même la proie du plus fort, il ne trouverait
dans le monde ni justice, ni raison, ni assurance pour ce qu’il possède, ni
ressource pour ce qu’il avait perdu  ; et c’est par là qu’il vient à aimer
l’obéissance, autant qu’il aime sa propre vie et sa propre tranquillité.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1662)
Il faut[…]gagner peu à peu ce que nous pouvons sur notre siècle, sans
prétendre de le réformer en une seule fois.
La protection de l’ordre social assurée par la monarchie a pourtant son
revers : elle fige ce qui mériterait d’y être amélioré. Bouleversé durant son
enfance par les troubles de la Fronde, Louis  XIV est circonspect en la
matière. À  propos d’une question annexe, celle de la nomination des
ecclésiastiques qui relève du roi et donne lieu à des abus, il expose au
Dauphin comment on réforme une mauvaise pratique de l’État. Mais il faut,
mon fils, et pour vous et pour moi, gagner peu à peu ce que nous pouvons
sur notre siècle, sans prétendre de le réformer en une seule fois, et cela
même, je ne voudrais point le faire en ces matières par des édits publics, qui
nous engagent ou à affaiblir l’autorité de nos propres lois, en ne les
observant pas toujours, ou à pratiquer toujours les mêmes choses, encore
qu’elles ne soient pas toujours à propos. Il suffit de montrer, par quelques
paroles et par quelques exemples, le chemin des grâces, et vous verrez
qu’on se pressera bientôt à le prendre. (Louis XIV, Mémoires pour l’année
1662)
Les plus légères offenses que les grands font à leurs inférieurs sont
toujours des injures sensibles.
Garant de l’unité du corps social, le roi doit payer même de sa personne
privée pour huiler les rouages d’une société inégalitaire où chacun est
condamné à se satisfaire de la place que lui a assignée sa naissance. Ayant
appris quelque temps après qu’un prince du sang avait maltraité de paroles
une personne de distinction, il lui en fit la plus sévère remontrance.
« Songez, lui dit-il, que les plus légères offenses que les grands font à leurs
inférieurs sont toujours des injures sensibles, et souvent des plaies
mortelles ; celles d’un particulier ne font qu’effleurer la peau, celles d’un
grand pénètrent jusqu’au cœur. Je vous avertis de ne plus maltraiter de
paroles qui que ce soit ; faites comme moi. Il m’est arrivé plus d’une fois
que les personnes qui m’ont des obligations les plus essentielles se sont
oubliées jusqu’à m’offenser  : je dissimule et leur pardonne.  »
(L’Encyclopédie, art. Louis XIV)
Ne dites jamais rien de fâcheux à personne. 
Ce qui se manifeste ainsi dans les conseils donnés au duc d’Anjou prêt à
devenir roi d’Espagne. Traitez bien tout le monde, ne dites jamais rien de
fâcheux à personne  ; mais distinguez les gens de qualité et de mérite.
(Louis XIV, Instructions pour le duc d’Anjou)
Ces corps formés de tant de têtes, n’ont point de cœur qui puisse être
échauffé par le feu des belles passions.
On a vu plus haut que Louis XIV accordait plus de crédit à la parole des
États monarchiques que républicains ou oligarchiques, lesquels tiennent
leur principe de la diversité, facteur d’instabilité, de division et de trouble.
Le roi élargit ici le fondement théorique de sa défiance. Les princes, en qui
l’éclat de leur naissance et l’honnêteté de leur éducation ne produit
d’ordinaire que des sentiments nobles et généreux, ne peuvent laisser
tellement altérer ces bons principes qu’il n’en demeure toujours quelque
impression dans leur esprit. Cette idée de vertu, quelque effacée qu’elle
puisse être par la corruption du temps, donne pourtant toujours aux plus
mauvais une espèce de répugnance pour leur vice. Leurs cœurs, formés de
bonne heure aux lois de l’honneur, s’en font une si forte habitude, qu’ils ont
peine de la corrompre entièrement, et le désir de la gloire qui les anime les
fait passer en beaucoup de choses par-dessus le penchant de leur intérêt.
Mais il n’en est pas ainsi de ces gens de condition médiocre, par qui les
États aristocratiques sont gouvernés. Les résolutions qui se prennent dans
leurs conseils ne sont fondées sur un autre principe que sur celui de leur
utilité. Ces corps formés de tant de têtes, n’ont point de cœur qui puisse être
échauffé par le feu des belles passions. La joie qui naît des actions
honnêtes, la honte qui suit les lâchetés, la reconnaissance des bienfaits et le
souvenir des services, lorsqu’ils sont partagés entre tant de personnes,
s’affaiblissent enfin à tel point qu’elles ne produisent plus aucun effet, et il
n’y a que l’intérêt seul qui, regardant les particuliers aussi bien que le
général de l’État, puisse donner quelque règle à leur conduite. (Louis XIV,
Mémoires pour l’année 1666)
Qu’ils les envoient ici pour apprendre à gouverner mieux qu’ils ne
font.
Aussi, quand le roi exige en 1685 que la soumission du doge de Gênes
s’effectue in personam à Versailles, on aura beau lui remontrer que si le
doge et quatre des principaux sénateurs faisaient le voyage, la République
demeurerait sans chef pour la gouverner, Louis XIV se serait contenté de
répondre ironiquement : Il n’est pas mal à propos qu’ils les envoient ici
pour apprendre à gouverner mieux qu’ils ne font. (Racine, Fragments
historiques, 20, dans Picard éd., Œuvres diverses)
Je ne puis me résoudre à refuser dix mille écus à une république.
Reste que, les témoignages s’équilibrant, le mépris manifesté dans le mot
ci-dessus est sinon rattrapé, du moins balancé par un autre que l’on prête
au roi avant son règne personnel. Le roi suivait exactement les conseils du
cardinal [Mazarin]. Un jour pourtant qu’il lui avait mandé de refuser
absolument à l’envoyé de Gênes la restitution d’un vaisseau qui pouvait
valoir dix mille écus, ce prince qui se sentait un si grand prince dit à
Brienne  : «  Je ne puis me résoudre à refuser dix mille écus à une
république  ; mais je le renverrai à M.  le Cardinal qui en fera ce qu’il
voudra. » (Choisy, Mémoires)
Surprendre l’esprit d’un homme qui serait même plus habile ou plus
éclairé que ne le peut être un bourgmestre de Rotterdam.
Le dédain ou la bonté envers les républiques dépend donc surtout de leur
politique envers la France. Reste que, même en situation d’alliance, le
mépris pour les édiles hollandais trahit le préjugé du gentilhomme envers
des marchands qui prétendent gouverner un État  : c’est en 1662, au
moment de la rocambolesque affaire romaine (le lecteur se souvient qu’il
s’agit d’un attentat perpétré contre l’ambassadeur de France par une
escouade de soudards corses). Un agent provocateur, Estevan de Gamarre,
fait courir le bruit à Rotterdam que l’empereur et l’Espagne vont se dresser
contre Louis XIV pour soutenir le pape. Il est sans doute [i.e. il n’y a pas de
doute] que le plan des affaires et des desseins des principaux potentats de la
chrétienté, en la manière que ledit Gamarre l’a formé à sa mode pour
parvenir à ses fins, est assez artificieusement fabriqué et coloré d’assez
d’apparences spécieuses, pour donner d’abord dans la vue et surprendre
l’esprit d’un homme qui serait même plus habile ou plus éclairé que ne le
peut être un bourgmestre de Rotterdam ; mais pour examiner de près tout ce
beau plan, qu’il a pris tant de peine à bâtir, il est fort aisé de l’abattre, parce
qu’il n’est élevé sur aucun fondement. (Louis XIV, Au comte d’Estrades.
Paris, 9 février 1663. Grimoard et Grouvelle, V)
Ces petits principions qui se veulent jouer à de grands princes se
trouvent bientôt punis de leurs entreprises.
Et le dédain transpire parfois aussi, lorsque le roi ne se surveille pas, à
l’égard des petits potentats dont regorge notamment l’Allemagne. Ainsi
durant la guerre de Succession d’Espagne, quand le marquis
de Courtebonne, lieutenant général, prend Neustadt envahi par huit cents
dragons du prince-électeur du Palatinat, Jean-Guillaume de Neubourg-
Wittelsbach. Le soir, le roi, en soupant, ayant parlé de cette action de
Neustadt, ajouta en parlant du prince palatin : « Ces petits principions qui se
veulent jouer à de grands princes se trouvent bientôt punis de leurs
entreprises.  » (Sourches, Mémoires, 20  octobre 1703. Avec cette note de
l’auteur : « Le roi n’avait pas accoutumé de parler de cette manière, et cela
faisait connaître qu’il était bien piqué. »)
Si vous avez cru qu’il fût fort facile et fort agréable d’être roi, vous
vous êtes fort trompé.
Le principal argument en faveur de la monarchie, c’est en effet le
désordre qu’enfante la diversité livrée à ses tendances centrifuges et à ses
rivalités belliqueuses. En 1702, Louis XIV aguerri et bien appris par les
difficultés d’un long règne aide et soutient de ses conseils son petit-fils
Philippe V qui fait ses armes dans la peine en découvrant les troubles et
l’infidélité à sa couronne des peuples si divers que gouverne la monarchie
espagnole. Il faut un long règne et de grands soins pour rétablir l’ordre, et
pour assurer la fidélité des différents peuples éloignés et accoutumés à obéir
à une maison ennemie de la vôtre. Il est essentiel pour vous de connaître à
fond leurs dispositions secrètes, et il est de votre prudence de vous mettre
en état de corriger le mal, avant que de faire voir que vous le connaissez. Si
vous avez cru qu’il fût fort facile et fort agréable d’être roi, vous vous êtes
fort trompé. (Louis XIV, À Philippe V. Versailles, 21 juin 1702. Grimoard et
Grouvelle, VI)
L’intérêt [des] particuliers vous occupe tout entier, dans le temps que
vous ne le devriez être que de grandes vues.
Et donc, quand la monarchie se laisse aller elle-même à la division, en
soumettant à des intérêts particuliers la puissance du roi garant de l’intérêt
général, elle trahit son essence. Le jeune Philippe V d’Espagne, faible et
soumis aux cabales de sa cour, est morigéné à ce sujet par son grand-père.
Vous me demandez mes conseils ; je vous écris ce que je pense, mais les
meilleurs deviennent inutiles, lorsqu’on attend à les demander et à les
suivre, que le mal soit arrivé : il est souvent plus facile de le prévoir que d’y
remédier  ; et je prévois avec douleur d’étranges embarras, si vous
n’établissez un ordre dans l’administration de vos affaires. Vous avez donné
jusqu’à présent votre confiance à des gens incapables ou intéressés. Je vous
demande de vous défaire de Canalés, je rappelle Orry  ; j’y trouve de la
résistance et de l’opposition de votre part. Vous voyez la fin de leur travail
par le sort de vos armées et celui de vos places. Il semble cependant que
l’intérêt de ces particuliers vous occupe tout entier, et dans le temps que
vous ne le devriez être que de grandes vues, vous le rabaissez aux cabales
de la princesse des Ursins, dont on ne cesse de me fatiguer. Je suis persuadé
de votre sincérité ; et si malheureusement vous perdiez cette vertu qui vous
est si naturelle, je crois que vous aimez assez votre état, pour ne point
tromper à son préjudice. Je crois donc, puisque vous m’en assurez, que vous
voulez effectivement suivre mes avis. Profitez, je vous prie, de ceux que je
vais vous donner encore avec la même amitié et la même tendresse pour
vous, dont je ne me lasserai point de vous faire ressentir les effets.
(Louis XIV, À Philippe V. Marly, 20 juillet 1703. Grimoard et Grouvelle,
VI)
D’abord qu’elle [l’indépendance du prince] cesse, on voit
infailliblement les brigues, les liaisons et les engagements particuliers
grossir la cour.
Un roi doit toujours demeurer au-dessus de tous les intérêts particuliers, y
compris et surtout ceux de ses proches : la monarchie a beau être dans les
faits pyramidale, elle est dans l’idéal de Louis  XIV en tout et pour tout
verticale, le prince dominant tous ses sujets à égalité de distance. Et c’est
donc un des principes de bon gouvernement, explique Louis XIV à son fils,
qu’encore que, dans le secret de vos affaires ou dans vos entretiens de
plaisir ou de familiarité, vous ne puissiez admettre qu’un petit nombre de
personnes, vous ne souffriez pas pourtant que l’on se puisse imaginer que
ceux qui auront cet avantage soient en pouvoir de vous donner à leur gré
bonne ou mauvaise impression des autres, mais qu’au contraire vous
entreteniez exprès une espèce de commerce avec tous ceux qui tiendront
quelque poste important dans l’État, que vous leur donniez à tous la même
liberté de vous proposer ce qu’ils croiront être de votre service, que pas un
d’eux, en ses besoins, ne se croie obligé de s’adresser à d’autres qu’à vous,
qu’ils ne pensent avoir que vos bonnes grâces à ménager ; et qu’enfin les
plus éloignés comme les plus familiers soient persuadés qu’ils ne dépendent
en tout que de vous seul. Car vous devez savoir que cette indépendance sur
laquelle j’insiste si fort, étant établie entre les serviteurs, relève plus que
tout autre chose l’autorité du maître, et que c’est elle seule qui fait qu’il
gouverne en effet, au lieu d’être gouverné par eux. Comme, au contraire,
d’abord qu’elle cesse, on voit infailliblement les brigues, les liaisons et les
engagements particuliers grossir la cour de ceux qui sont en crédit et
affaiblir la réputation du prince. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
La raison d’État, qui est la première des lois…
C’est pourquoi les rois ne peuvent être contrôlés dans leurs actions par le
« public », dont le Parlement serait l’organe de contrôle oligarchique. Nul
ne saurait en juger qu’eux-mêmes, dit Louis XIV à l’intention de son fils,
car ce qu’ils semblent faire contre la loi commune est fondé le plus souvent
sur la raison d’État, qui est la première des lois, du consentement de tout le
monde, mais la plus inconnue et la plus obscure à tous ceux qui ne
gouvernent pas. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Il y a des temps où il n’est pas permis de consulter sa propre
inclination.
Le caractère impérieux de la raison d’État trouve son application
concrète dans le sacrifice de sa jeunesse et de sa personne que doit
accepter la reine d’Espagne, contrainte à seize ans de gouverner le pays en
l’absence de Philippe  V parti combattre l’envahisseur. Il est vrai que le
caractère impérieux de Marie-Louise de Savoie la portait à ce rôle
justement par inclination  : Louis  XIV enjolive une tendance que trop
naturelle de sa petite-fille par alliance à ce « sacrifice ». Je ne suis point en
peine des affaires que le roi d’Espagne laisse à Madrid, depuis que je sais
qu’il vous a confié le gouvernement pendant son absence. J’étais bien
persuadé qu’en l’acceptant, vous préféreriez la satisfaction de lui plaire à
celle que vous auriez trouvée dans une vie paisible, et occupée seulement
du soin de savoir de ses nouvelles. Il y a des temps où il n’est pas permis de
consulter sa propre inclination. V. M. pourra suivre celle qu’elle a pour le
repos, lorsque les affaires seront plus tranquilles. (Louis  XIV, À  la reine
d’Espagne. 14 mars 1706. Grimoard et Grouvelle, VI)
L’intérêt de l’État doit marcher le premier.
Le conflit déjà signalé entre les principes et l’intérêt se résout donc en
synthèse dans l’érection de l’intérêt de l’État en principe supérieur à tout
autre, parce qu’en lui les vertus du particulier s’anéantissent dans le bien
général. Les rois sont souvent obligés à faire des choses contre leur
inclination et qui blessent leur bon naturel. Ils doivent aimer à faire plaisir,
et il faut qu’ils châtient souvent et perdent des gens à qui naturellement ils
veulent du bien. L’intérêt de l’État doit marcher le premier. On doit forcer
son inclination et ne se pas mettre en état de se reprocher, dans quelque
chose d’important, qu’on pouvait faire mieux, mais que quelques intérêts
particuliers en ont empêché, et ont détourné les vues qu’on devait avoir
pour la grandeur, le bien et la puissance de l’État. (Louis XIV, Réflexions
sur le métier de roi)
►  Ad augusta per angusta : les petits moyens de la grande
politique
Ces principes une fois posés, reste l’observation pratique des moyens de
les appliquer, qui requiert modestie et pragmatisme  : tenir compte des
contingences, entrer dans le détail et accepter que de grandes choses soient
tributaires de considérations mesquines.
Dans le monde, les plus grandes affaires ne se font presque jamais que
par les plus petites.
Louis XIV raconte à son fils quel compte précis il tient, sur un petit livre,
des fonds destinés à entrer en caisse chaque mois et des sommes dépensées.
Que si on blâme ce soin comme fort en dessous de la royauté, voici sa
réponse, inspirée explicitement de l’adage antique ad augusta per angusta
(aller aux grandes choses par les petites). Ceux qui parlent ainsi n’ont
jamais considéré que, dans le monde, les plus grandes affaires ne se font
presque jamais que par les plus petites, et que ce qui serait bassesse en un
prince, s’il agissait par un simple amour de l’argent, devient élévation et
hauteur quand il a pour dernier objet l’utilité de ses sujets, l’exécution d’une
infinité de grands desseins, sa propre splendeur et sa propre magnificence,
dont ce soin et ce détail sont le plus assuré fondement. (Louis  XIV,
Mémoires pour l’année 1662)
Afin que les marchands, se voyant exclus de toutes sortes de
commerce pour les ouvrages de cette nature dans ladite ville et aux
lieux d’alentour, perdent l’espérance de les contrefaire.
Ainsi, à la fin 1666, alors que la France appuie de sa flotte les Provinces-
Unies en guerre avec l’Angleterre et à six mois de l’ultimatum qui lancera
la guerre de Dévolution, le roi prend le temps de rédiger de sa main une
lettre pour faire créer une manufacture de point de dentelles françaises à
Sedan : tout petit pas sur la voie qui fera un jour de la France la capitale
mondiale de l’industrie de luxe et première modulation de la lutte qui s’en
ensuivra contre la délocalisation et la contrefaçon. Monsieur le comte
de La Bourlie, l’établissement de la manufacture des points de France est de
telle conséquence pour le bien de mes peuples, et je suis obligé de prendre
de si grandes précautions contre l’artifice des marchands qui avaient
accoutumé de faire travailler à Venise à ces sortes d’ouvrages, et de les
débiter dans ma cour et dans tout mon royaume, que je désire que non
seulement vous teniez soigneusement la main, à ce que ladite manufacture
s’établisse dans ma ville de Sedan et dans les villages circonvoisins, mais
même que vous empêchiez que les ouvrages de la manufacture ordinaire de
Sedan, soient vendus à d’autres qu’aux entrepreneurs de celle des points de
France, afin que les marchands, se voyant exclus de toutes sortes de
commerce pour les ouvrages de cette nature dans ladite ville et aux lieux
d’alentour, perdent l’espérance de les contrefaire, et se joignent ensuite de
bonne foi avec lesdits entrepreneurs. (Louis XIV, Au comte de La Bourlie.
Saint-Germain-en-Laye, 20 novembre 1666. Grimoard et Grouvelle, V).
Ces projets que forme notre valeur […] ont peu de solidité, s’ils ne
sont soutenus par une prévoyance qui sache disposer en même temps
toutes choses qui doivent y concourir.
Une politique extérieure de grandeur appelle un outil militaire
parfaitement au point, auquel un roi doit veiller en acceptant de descendre
dans les détails matériels, par exemple la subsistance des troupes en
campagne (ce sera le cas pour la guerre de Dévolution, modèle de conflit
parfaitement préparé et exécuté avec un identique souci de prévision à
court et long terme). Car ce n’est pas assez, mon fils, de faire de vastes
entreprises, sans penser comment les exécuter. Ces projets que forme notre
valeur nous semblent d’abord les plus beaux du monde : mais ils ont peu de
solidité, s’ils ne sont soutenus par une prévoyance qui sache disposer en
même temps toutes choses qui doivent y concourir. (Louis XIV, Mémoires
pour l’année 1667)
On ne saurait trop prendre de précautions pour réussir dans les
desseins où il y a de la gloire et de la réputation.
Même la gloire, indispensable à l’exercice de son pouvoir par un
monarque, appelle de sa part le sacrifie de sa légitime et noble impatience
aux exigences de la prudence, de la prévoyance et de la sécurité nécessaires
à son État. On ne saurait trop prendre de précautions pour réussir dans les
desseins où il y a de la gloire et de la réputation. Quand on a ces deux objets
devant les yeux, on ne se sent ni fatigues, ni peines, et l’on travaille avec
plaisir à tout ce qui est nécessaire : il faut même aller plus loin, pour se
mettre à couvert des accidents imprévus. (Louis  XIV, Relation de la
campagne de 1678 et résultat de paix de Nimègue. Grimoard et Grouvelle,
IV)
Ce qui est grand et beau quand nous le pouvons par l’état où se
trouvent nos finances devient chimérique et ridicule, quand nous ne le
pouvons pas.
En donnant à l’intention du Dauphin un aperçu de ses projets à l’orée de
son règne, Louis  XIV ne manque pas d’en rappeler les moyens
indispensables. Il n’y a cependant nul de ces projets où les finances
n’entrent de quelque côté. Ce n’est pas assez dire : il n’y a pas un de ces
projets qui n’en dépende absolument et essentiellement  ; car ce qui est
grand et beau quand nous le pouvons par l’état où se trouvent nos finances
devient chimérique et ridicule, quand nous ne le pouvons pas. Songez donc,
je vous prie, comment un roi pourra gouverner et n’être pas gouverné, dont
les meilleures pensées et les plus nobles, à cause qu’il ignore ce détail de
ses finances, seront soumises au caprice du Premier ministre, ou du
surintendant, ou du trésorier de l’épargne, ou de ce commis obscur et
inconnu, qu’il sera obligé de consulter comme autant d’oracles, en telle
sorte qu’il ne puisse rien entreprendre sans s’expliquer à eux, qu’avec leur
permission, et sous leur bon plaisir. (Louis  XIV, Mémoires pour l’année
1662)
On ne doit attendre aucun secours d’Espagne, avant que d’avoir
remédié aux abus introduits dans la finance du roi catholique.
Ce principe édicté au début du règne trouvera son application inattendue
dans les dernières années, lorsque la France aura besoin de l’appui
financier de l’Espagne gouvernée par un Bourbon. Mon Cousin, je vois
depuis longtemps qu’on ne doit attendre aucun secours d’Espagne, avant
que d’avoir remédié aux abus introduits dans la finance du roi catholique. Il
y avait lieu de croire que dans une aussi grande monarchie, il se trouverait
des gens assez habiles et assez désintéressés pour les employer à rétablir
l’ordre dans les finances, et jusqu’à présent je n’avais pas voulu en prendre
connaissance, jugeant que ces détails devaient être laissés aux Espagnols
mêmes, et qu’il me suffisait de donner au roi, mon petit-fils, les secours
nécessaires pour la défense de ses États du dehors ; mais comme je vois que
son service et son autorité souffrent également du peu de moyens qu’il a de
soutenir l’un et l’autre ; que le mal augmente depuis longtemps ; […] toutes
ces raisons m’ont déterminé à choisir le sieur Orry [Jean Orry, juriste et
économiste] pour l’envoyer à Madrid. (Louis  XIV, Au duc d’Harcourt.
22 juin 1701. Grimoard et Grouvelle, VI)
Si le zèle de mes sujets n’a point de bornes, ils en trouveront enfin aux
moyens de m’assister.
Cette incapacité du trésor espagnol conduit dès l’automne 1701
Louis XIV à établir un bilan précis et lucide de la situation au bout d’à
peine quelques mois de conflit et à en tirer les conséquences qu’il
développe à l’intention du conseiller qu’il a procuré à Philippe V : la force
des armes ne peut rien sans les ressources pour les financer. L’argent
manque absolument [en Espagne] pour les dépenses les plus nécessaires ;
on ne peut en trouver pour soutenir la guerre en Italie, pour satisfaire aux
traités, et pour maintenir les alliances. […] Enfin je soutiens de tous côtés
les frais de la guerre ; les dépenses en sont immenses, par l’éloignement des
lieux où il faut porter mes armes ; et bien loin d’être aidé par l’Espagne à
défendre ses propres États, je trouve des contradictions de sa part dans tout
ce que je veux faire de plus avantageux pour elle. Si le zèle de mes sujets
n’a point de bornes, ils en trouveront enfin aux moyens de m’assister. Je ne
dois pas attendre cette extrémité, ni pour moi, ni pour eux, et ce serait
tromper le roi d’Espagne que de ne le pas avertir du véritable état de ses
affaires. Il est temps que vous lui disiez, pour lui seul, […] qu’il faut par
conséquent songer nécessairement aux moyens de faire promptement la
paix ; que je vois avec un sensible déplaisir qu’elle doit être achetée par la
cession de quelques États dépendants de la monarchie d’Espagne, mais
qu’il faut bien en prendre la résolution ; qu’on doit seulement la tenir dans
un profond secret  ; car il est certain que les ennemis profitant de cette
connaissance se rendraient bien plus difficiles sur la paix, et demanderaient
des avantages que le roi d’Espagne ne pourrait accorder (Louis XIV, Au
comte de Marcin. 31 octobre 1701. Grimoard et Grouvelle, VI)
Il arrive souvent que des sommes médiocres dépensées dans leur
temps et avec jugement épargnent aux États et des dépenses et des
pertes incomparablement plus grandes.
L’art de la dépense avisée fait donc partie des qualités d’un grand prince.
Mais avec d’autres buts, d’autres valeurs, d’autres contraintes que celles
d’un particulier. Tout est affaire, ici encore, d’opportunité et de
circonstances. Les souverains que le Ciel a faits dépositaires de la fortune
publique font assurément contre leurs devoirs quand ils dissipent la
substance de leurs sujets en des dépenses inutiles, mais ils font peut-être un
plus grand mal encore, quand, par un ménage hors de propos, ils refusent de
débourser ce qui peut servir à la gloire de leur nation ou à la défense de
leurs provinces. Il arrive souvent que des sommes médiocres dépensées
dans leur temps et avec jugement épargnent aux États et des dépenses et des
pertes incomparablement plus grandes. Faute d’un suffrage que l’on pouvait
acquérir à bon marché, il faut quelquefois lever de grosses armées. Un
voisin, qu’avec peu de dépenses nous aurions pu faire notre ami, nous coûte
quelquefois bien cher quand il devient notre ennemi. Les moindres troupes
ennemies qui peuvent entrer dans nos États nous enlèvent en un mois plus
qu’il n’eût été besoin pour entretenir dix ans d’intelligences. Et les
imprudents ménagers qui ne comprennent pas ces maximes trouvent enfin
tôt ou tard la punition de leur avare procédé, dans leurs provinces désolées,
dans la cessation de leurs revenus, dans l’abandonnement de leurs alliés et
dans le mépris de leurs peuples. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
L’intérêt de mon service veut que je sois informé de tout sans aucun
déguisement, et le plus tôt qu’il est possible.
Outre les finances, l’information et la communication sont, comme
aujourd’hui, essentielles au bon exercice du pouvoir, intérieur comme
extérieur. Au point qu’en temps de guerre (et ils furent les plus nombreux),
lorsque les nouvelles du front ne lui viennent pas quotidiennement, le roi
piaffe, regimbe et menace. Monsieur  de  Pradel [lieutenant général de
l’armée de Hollande], il eût été bon que vous m’eussiez mandé le détail du
parti que le sieur Colbert avait mené vers Dotechen ; en satisfaisant ainsi à
ma curiosité, vous m’auriez sauvé l’inquiétude [sic] dont vous jugez bien
qu’on a peine à se défendre en ces rencontres. Ne manquez plus de m’écrire
directement à moi-même les choses qui se passeront dans 1’étendue de
votre emploi  ; servez-vous pour cet effet de toutes les voies que vous
trouverez, et soyez exact à n’omettre aucune de ces circonstances qui
méritent d’être sues ; l’intérêt de mon service veut que je sois informé de
tout sans aucun déguisement, et le plus tôt qu’il est possible. Et, après la
réponse contrite du marquis de Pradel. Monsieur de Pradel, je suis satisfait
de vos excuses touchant le peu de nouvelles que j’ai eues de vous par le
passé ; mais j’en attendrai maintenant par tous les ordinaires, et vous jugez
bien que les partis et les rencontres de guerre étant fréquents, comme ils
seront pendant ce quartier d’hiver, où je ne doute point que vous ne teniez
les ennemis fort [en] alerte, j’aurai grande impatience d’en apprendre le
succès. (Louis XIV, À M. de Pradel. Paris, 1er et 8 janvier 1666. Grimoard
et Grouvelle, V)
Il me les nomme, mais il ne m’apprend rien de nouveau.
Aussi, lorsque des informateurs anonymes dénoncent des abus qu’ils
croient secrets, le roi est satisfait de n’y trouver que la confirmation de ce
qu’il savait déjà et de faire savoir qu’il le savait. Le 13, comme le roi
partait de Versailles, pour aller se promener à Marly, il aperçut dans la foule
une main qui jeta une lettre dans son carrosse. Son premier mouvement fut
de repousser cette lettre avec la main ; mais le mouvement du carrosse l’en
ayant empêché, cette lettre tomba dans la portière ; en arrivant à Marly, il la
fit ramasser, et la fit ouvrir par le maréchal de  Duras, son capitaine des
gardes en quartier. Ensuite l’ayant prise de sa main, il la lut tout bas, et, en
la lisant, il fit entendre qu’elle lui donnait un avis contre divers
ecclésiastiques, et dit en propres termes : « Il me les nomme, mais il ne
m’apprend rien de nouveau ; car j’en avais déjà averti le P. de La Chaise et
M. l’archevêque de Paris. » (Sourches, Mémoires, 13 juin 1699)
C’est en un mot, mon fils, avoir les yeux ouverts sur toute la terre.
Voici une étrange exaltation des bonheurs de basse police rehaussés en
une politique de l’information universelle. À ce titre, diriger un grand pays
comme la France est un plaisir… de roi. Du moins est-ce le sentiment que
Louis XIV veut faire partager à son fils avec l’intention de le motiver dans
l’apprentissage du métier qu’il aura à exercer après son père. Tout ce qui
est le plus nécessaire à ce travail est en même temps agréable ; car c’est en
un mot, mon fils, avoir les yeux ouverts sur toute la terre  ; apprendre
incessamment les nouvelles de toutes les provinces et de toutes les nations,
le secret de toutes les cours, l’humeur et le faible de tous les princes et de
tous les ministres étrangers, être informé d’un nombre infini de choses
qu’on croit que nous ignorons ; voir autour de nous-mêmes ce qu’on nous
cache avec le plus de soin ; découvrir les vues les plus éloignées de nos
propres courtisans ; leurs intérêts les plus obscurs qui viennent à nous par
des intérêts contraires, et je ne sais enfin quel autre plaisir nous ne
quitterions pas pour celui-là, si la seule curiosité nous le donnait.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)

BIEN S’ENTOURER
La nature de la monarchie, qui met tous les pouvoirs in fine dans la main
du prince seul, et le renforcement de cette responsabilité par le modèle
«  absolutiste  », supposent qu’au-dessous immédiatement du prince et
l’entourant de leurs conseils interviennent des seconds rôles judicieusement
choisis et habilement répartis de manière à équilibrer leurs puissances
réciproques pour en annuler l’ambition par la pondération. Savoir
s’entourer et gérer son entourage est la condition de l’exercice personnel
du pouvoir où se reconnaît, garant et pendant de sa puissance, la sagesse
d’un grand monarque. Dans la monarchie, le pouvoir n’est pas solitaire
comme dans le despotisme. Il n’est pas collectif comme dans l’oligarchie
républicaine. Il est entouré.
►  Le choix des ministres
Pour le choix de divers ministres, la fortune y a toujours, malgré
nous, autant ou plus de part que la sagesse.
Louis  XIV s’interroge à l’intention de son fils sur les critères pour le
choix de divers ministres. La fortune [i.e. le hasard] y a toujours, malgré
nous, autant ou plus de part que la sagesse ; et dans cette part que la sagesse
y peut prendre, le génie y peut beaucoup plus que le conseil : ni vous, ni
moi, mon fils, n’irons pas chercher pour ces sortes d’emplois, ceux que
l’éloignement ou leur obscurité dérobent à notre vue, quelque capacité
qu’ils puissent avoir. Il faut se déterminer nécessairement sur un petit
nombre que le hasard nous présente, c’est-à-dire qui sont déjà dans les
charges, ou que la naissance, l’inclination ont attachés de plus près à nous.
Et pour cet art de connaître les hommes, qui vous sera si important, non
seulement en ceci, mais encore en toutes les occasions de votre vie, je vous
dirai, mon fils, qu’il se peut apprendre, mais qu’il ne se peut enseigner. En
effet, il est juste sans doute de donner beaucoup à la réputation générale et
établie, parce que le public n’y a point d’intérêt, et qu’on lui impose
difficilement pour longtemps. C’est sagement fait que d’écouter tout le
monde, et de ne croire entièrement ceux qui nous approchent, ni sur leurs
ennemis, hors le bien qu’ils sont contraints d’y reconnaître, ni sur leurs
amis, hors le mal qu’ils tâchent d’y excuser  ; plus sagement encore
d’éprouver soi-même aux petites choses ceux qu’on veut employer aux
grandes. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Il n’y a rien qui fasse mieux voir son habilité [celle du prince] que
lorsqu’il sait se faire bien servir et bien conseiller par ses principaux
ministres.
Se passer de Premier ministre ne signifie pas qu’on dédaigne d’avoir de
bons ministres et des conseillers avisés. Les conseils qui nous sont donnés
ne nous engagent à les suivre qu’en tant qu’ils nous paraissent raisonnables,
et loin de diminuer l’esprit de notre propre capacité, ils la relèvent plus
assurément que toute autre chose, parce que tous les gens de bon sens sont
d’accord que tout ce qui se fait ou se propose de bon dans l’administration
de l’État se doit rapporter principalement au prince, et qu’il n’y a rien qui
fasse mieux voir son habilité que lorsqu’il sait se faire bien servir et bien
conseiller par ses principaux ministres.
Il fallait […] faire connaître au public, par le rang même d’où je les
prenais, que mon dessein n’était pas de partager mon autorité avec eux.
Louis XIV explique à son fils pourquoi il a fait choix en 1661 de trois
ministres dont la naissance n’était rien moins qu’illustre (dont il fera un
principe auquel il se tiendra durant tout son règne). J’ai su depuis que le
choix de ces trois ministres [Le  Tellier, Lionne et Fouquet flanqué de
Colbert] avait été considéré diversement dans le monde, suivant les divers
intérêts dont le monde est partagé. Pour vous découvrir même toute ma
pensée, il n’était pas de mon intérêt de prendre des sujets d’une qualité plus
éminente. Il fallait avant toutes choses établir ma propre réputation, et faire
connaître au public, par le rang même d’où je les prenais, que mon dessein
n’était pas de partager mon autorité avec eux. Il m’importait qu’ils ne
conçussent pas eux-mêmes de plus hautes espérances, que celles qu’il me
plairait de leur donner : ce qui est difficile aux gens d’une grande naissance.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Je fis dessein, après que j’aurais fait le choix de mes ministres, d’y
entrer quelquefois avec chacun d’eux, et quand il s’y attendrait le
moins.
Les ministres demeurent donc sous surveillance et leurs compétences sont
fréquemment évaluées, comme leur engagement est stimulé. Je fis dessein,
après que j’aurais fait le choix de mes ministres, d’y entrer quelquefois avec
chacun d’eux, et quand il s’y attendrait le moins, afin qu’il comprît que j’en
pourrais faire autant sur d’autres sujets et à toutes les heures ; outre que la
connaissance de ce petit détail prise seulement quelquefois, et plutôt par
divertissement que par règle, instruit peu à peu sans fatiguer de mille choses
qui ne sont pas inutiles aux résolutions générales et que nous devrions
savoir et faire nous-mêmes, s’il était possible qu’un seul homme sût tout et
fît tout. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
L’ambition de lui plaire les oblige à veiller sans cesse sur eux-mêmes.
Quand le prince est attentif à exiger le meilleur et sait le récompenser, et
bien que les hommes soient tous ou presque mus par leur seul intérêt
personnel, même les plus avides et les plus intéressés n’osent s’éloigner tant
soit peu du chemin qu’ils doivent tenir, parce qu’ils le voient toujours
veillant sur leurs démarches, et qu’au moindre égarement, ils craignent de
perdre son estime et sa créance, qui fait toujours leur premier intérêt.
L’ambition de lui plaire les oblige à veiller sans cesse sur eux-mêmes. Ils ne
se permettent rien, parce qu’ils savent qu’aucun mal ne lui sera caché ; ils
ne se ménagent sur rien, parce qu’ils sont persuadés qu’aucun mérite ne
manque de trouver auprès de lui l’agrément qui lui est dû. Et pour dire en
un mot, ils font et conseillent toujours ce qu’ils estiment de mieux, parce
qu’ils sont persuadés que la faveur, le crédit et l’élévation où ils aspirent ne
se donnent qu’à proportion du zèle et de la fidélité que chacun témoigne.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Votre santé m’est nécessaire.
En avril 1671, Colbert, absent de Paris pour une visite de l’arsenal de
Rochefort, est souffrant, mais veut s’empresser de revenir servir le roi (et
veiller à ses propres intérêts, laminés par l’ambition venimeuse de
Louvois). Louis XIV s’y oppose. Je vous écris ce billet pour vous ordonner
de ne rien faire qui vous mette hors d’état de me servir, en arrivant, à tous
les emplois importants que je vous confie. Enfin, votre santé m’est
nécessaire, je veux que vous la conserviez et que vous croyiez que c’est la
confiance et l’amitié que j’ai en vous et pour vous qui me font parler
comme je fais. (Louis  XIV, À  M.  Colbert. Versailles, 15  avril 1671.
Grimoard et Grouvelle, V).
Ne hasardez plus de me fâcher encore.
Peut-être cet élégant ménagement visait-il pourtant à prolonger
l’éloignement du ministre. Car au retour de Colbert, durant un Conseil
houleux, un différend éclate à propos du statut des troupes de marine entre
lui et Louvois qui a su désormais se rendre indispensable par la
préparation de la guerre de Hollande. Colbert ayant manifesté vivement
son humeur d’être désavoué, Louis  XIV le lui reproche vertement le
surlendemain. Je fus assez maître de moi avant-hier pour vous cacher la
peine que j’avais d’entendre un homme que j’ai comblé de bienfaits comme
vous, me parler de la manière que vous faisiez. J’ai eu beaucoup d’amitié
pour vous, il y paraît par ce que j’ai fait ; j’en ai encore présentement et je
crois vous en donner une assez grande marque en vous disant que je me suis
contraint un seul moment pour vous, et que je n’ai pas voulu vous dire moi-
même ce que je vous écris pour ne vous pas commettre à me déplaire
davantage. C’est la mémoire des services que vous m’avez rendus et mon
amitié qui me donnent ce sentiment ; profitez-en et ne hasardez plus de me
fâcher encore, car après que j’aurai entendu vos raisons et celles de vos
confrères, et que j’aurai prononcé sur toutes vos prétentions, je ne veux plus
jamais en entendre parler. (Louis  XIV, À  M.  Colbert. Chantilly, 24  avril
1671. Grimoard et Grouvelle, V).
La préférence que je donne aux autres ne doit vous faire aucune
peine.
Et deux jours après. Ne croyez pas que mon amitié diminue, vos services
continuant, cela ne se peut, mais il me les faut rendre comme je les désire,
et croire que je fais tout pour le mieux. La préférence que vous craignez que
je donne aux autres ne vous doit faire aucune peine. Je veux seulement ne
pas faire d’injustice et travailler au bien de mon service. C’est ce que je
ferai quand vous serez tous auprès de moi. Croyez, en attendant, que je ne
suis point changé pour vous, et que je suis dans les sentiments que vous
pouvez désirer. (Billet de Louis XIV à Colbert, Liancourt, 26 avril 1671,
dans Lettres, instructions et mémoires de Colbert, VII)
Il aurait, répliqua du Metz, trouvé mille moyens, pour épargner ce
chagrin à Votre Majesté.
Le dernier hommage du roi à Colbert est posthume, implicite et évasif. On
le trouve au détour d’un propos qu’aurait tenu Louis  XIV en
décembre 1689, quand il se décida à faire argent de tout pour soutenir la
guerre de la Ligue d’Augsbourg. On dit qu’après qu’il eut fortement résolu,
il envoya quérir du Metz [Gédéon Berbier du Metz, Intendant-Contrôleur
général du Garde-Meuble de la Couronne], qui avait soin de son garde-
meuble, et que, l’ayant fait entrer seul dans son cabinet, il lui dit : « Je vais
vous dire une chose qui vous surprendra beaucoup  ; c’est que je vais
envoyer toute mon argenterie à la Monnaie pour la faire fondre. » Du Metz
surpris de ce discours s’écria : « Ah ! Sire, où est M. Colbert ? S’il était en
vie, il n’aurait jamais souffert que Votre Majesté eût fait fondre tous ces
beaux ouvrages. — Et qu’aurait-il pu faire ? lui répartit le roi. — Il aurait,
répliqua du Metz, trouvé mille moyens, pour épargner ce chagrin à Votre
Majesté. » Le roi haussa les épaules, et répondit : « Cela peut être ; mais on
n’en trouve point présentement. » (Sourches, Mémoires, décembre 1689)
J’aurai soin que Louvois aille droit.
En juin 1689, le maréchal d’Humières, protégé de Louvois ministre de la
Guerre, est battu à Valcourt sur la Sambre. On donnera sous toutes réserves
le propos prêté à Louis  XIV à cette occasion  : les haines suscitées par
Louvois font toujours craindre que les témoignages le concernant puissent
provenir du parti de ses (nombreux) ennemis. Il fallait le remplacer. Le roi
choisit le maréchal de  Luxembourg, malgré son ministre qui le haïssait,
comme il avait haï Turenne. « Je vous promets, lui dit le roi, que j’aurai
soin que Louvois aille droit. Je l’obligerai de sacrifier au bien de mon
service la haine qu’il a pour vous : vous n’écrirez qu’à moi, vos lettres ne
passeront point par lui. » (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
J’ai perdu un bon ministre  ; mais vos affaires et les miennes n’en
iront pas plus mal. 
Autre témoignage de Voltaire sur la manière à la fois hautaine et vite
oublieuse dont Louis XIV en aurait usé avec ses ministres. Il avait dit après
la mort de Louvois au roi Jacques [Jacques II, monarque détrôné de
Grande-Bretagne dont la France préparait le rétablissement par une
expédition militaire] : « J’ai perdu un bon ministre ; mais vos affaires et les
miennes n’en iront pas plus mal.  » Et lorsqu’il choisit Barbezieux pour
succéder à Louvois dans le ministère de la Guerre : « J’ai formé votre père,
lui dit-il ; je vous formerai de même. » (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Il a des talents ; mais il n’en fait pas bon usage.
En dépit de cette dernière promesse, Barbezieux ne fut pas à la hauteur
d’abnégation dans le service que manifestait son père. Le roi s’en plaint à
son oncle. Je sais ce que je dois à la mémoire de M. de Louvois ; mais si
votre neveu ne change pas de conduite, je serai forcé de prendre un parti.
J’en serai fâché ; mais il en faudra prendre un. Il a des talents ; mais il n’en
fait pas bon usage. Il donne trop souvent à souper aux princes au lieu de
travailler  ; il néglige les affaires pour ses plaisirs  ; il fait attendre trop
longtemps les officiers dans son antichambre ; il leur parle avec hauteur, et
quelquefois avec dureté (Louis  XIV, À  Mgr  Le  Tellier, archevêque de
Reims. Saint-Germain-en-Laye, 15 juin 1678. Grimoard et Grouvelle, VI)
C’était un homme insupportable en ces occasions-là, comme partout
ailleurs.
Au total, il semble que Louvois, tout en ayant su se rendre indispensable
au roi, n’avait pas réussi à se rendre aimable. Voici ce que raconte
Dangeau à propos d’une occasion manquée, celle de prendre Valenciennes
dès mars 1676 en livrant bataille à la cense d’Hurtebise. Louis XIV en avait
été dissuadé par ses généraux et par Louvois, lequel mènera le siège de la
ville à partir de novembre. Valenciennes ne tomba qu’en mars de l’année
suivante, sans que le roi puisse en tirer gloire à titre personnel. Durant sa
promenade, on vint à parler du jour où il campa près de Valenciennes ; il
nous dit tout bas que c’était le jour de sa vie où il avait fait le plus de
fautes  ; qu’il n’y pensait jamais sans une extrême douleur, qu’il y rêvait
quelquefois la nuit et se réveillait toujours en colère, parce qu’il avait
manqué une occasion sûre de défaire les ennemis ; il en rejeta la principale
faute sur un homme qu’il nous nomma et ajouta même que c’était un
homme insupportable en ces occasions-là, comme partout ailleurs.
(Dangeau, Journal, 16 avril 1699)
Cette année-là me fut heureuse, je fus défait de trois hommes que je
ne pouvais plus souffrir.
Si bien qu’à la mort de Louvois en juillet 1691, la rumeur (posthume ?)
veut que le roi lui eût fait grise mine depuis quelque temps ; les bruits de
disgrâce étaient allés bon train, comme de coutume. La mort avait pourtant
quelques mois plus tôt débarrassé Louvois de son principal rival, Seignelay,
fils de Colbert (on sait la rivalité ouverte des deux familles), chargé de la
marine, qu’une ascension irrésistible avait conduit à devenir ministre
d’État en 1689. Enfin, les deux ministres précédèrent dans la tombe un
autre proche de Louis XIV, le duc de La Feuillade, qui avait poussé le culte
du roi à la hauteur des faveurs de celui-ci pour lui. La coïncidence de ces
disparitions explique sans l’accréditer le mot très rude que voici. La mort
finit tout, et le roi, avec une bonne foi sans exemple, ne cacha point la joie
qu’il en eut. Il soupait à Marly avec les dames. Le comte de Marsan était
derrière Madame et parlait des grandes choses que le roi avait faites au
siège de Mons : « Il est vrai, dit le roi, que cette année-là me fut heureuse,
je fus défait de trois hommes que je ne pouvais plus souffrir, M. de Louvois,
Seignelay et La Feuillade.  » Madame, qui est vive, lui dit  : «  Eh mais,
Monsieur, que ne vous en défaisiez-vous ? » Sa Majesté baissa les yeux et
regarda son assiette, et M. de Marsan dit que souvent les rois souffraient des
gens qui rendaient service à l’État  : on parla d’autre chose. (Choisy,
Mémoires)
Tout ce qui passait par lui, perdait de la grandeur et de la force qu’on
doit avoir en exécutant les ordres d’un roi de France.
Si la mort d’un belliciste comme Louvois ou d’un flagorneur comme La
Feuillade suscite un tel propos, quel jugement attendre du roi sur un
ministre des Affaires étrangères porté à la mesure et aux concessions  ?
C’est tout le malheur de Pomponne, dont Louis XIV appréciait la personne
mais non le caractère, lequel entravait les ambitions de suprématie absolue
nourries toujours davantage par le roi. En 1671 un ministre mourut
[Hugues de Lionne], qui avait la charge de secrétaire d’État, ayant le
département des affaires étrangères. Il était homme capable, mais non pas
sans défauts  : il ne laissait pas de bien remplir ce poste, qui est très
important. Je fus quelque temps à penser à qui je ferais avoir sa charge ; et
après avoir bien examiné, je trouvai qu’un homme qui avait longtemps servi
dans les ambassades [Simon Arnauld de Pomponne], était celui qui la
remplirait le mieux. Je l’envoyai quérir : mon choix fut approuvé de tout le
monde, ce qui n’arrive pas toujours. Je le mis en possession de la charge à
son retour. Je ne le connaissais que de réputation, et par les commissions
dont je l’avais chargé, qu’il avait bien exécutées ; mais l’emploi que je lui ai
donné s’est trouvé trop grand et trop étendu pour lui. J’ai souffert plusieurs
années de sa faiblesse, de son opiniâtreté et de son inapplication. Il m’en a
coûté des choses considérables ; je n’ai pas profité de tous les avantages que
je pouvais avoir, et tout cela par complaisance et bonté. Enfin il a fallu que
je lui ordonnasse de se retirer, parce que tout ce qui passait par lui perdait
de la grandeur et de la force qu’on doit avoir en exécutant les ordres d’un
roi de France qui n’est pas malheureux. Si j’avais pris le parti de l’éloigner
plus tôt, j’aurais évité les inconvénients qui me sont arrivés, et je ne me
reprocherais pas que ma complaisance pour lui a pu nuire à l’État.
(Louis XIV, Réflexions sur le métier de roi)
►  La nécessité du conseil
Il a raison ; il s’y connaît mieux que moi.
Le jugement peu amène sur quelques ministres vient de le prouver : savoir
distinguer, sélectionner et utiliser les meilleures compétences, chacune à
son poste, est une charge délicate et indispensable à un monarque. Elle
suppose qu’il soit informé de la qualité des candidats : c’est une règle pour
Louis XIV qui a presque toujours suivi l’avis majoritaire de son conseil, à
de rares exceptions près, pendant plus d’un demi-siècle de règne, nous dit
Saint-Simon qui en dénombre six au total. Sur des matières où il n’est pas
orfèvre, le roi sait réviser son jugement, flatté d’être loué par Condé dans le
domaine militaire où il reconnaît la supériorité sur lui de son illustre
cousin ; ou encore, dans le domaine littéraire, effaçant son goût devant le
jugement de Boileau (-Despréaux), sur quelques vers que, selon Voltaire, le
roi trouvait bons, et que Despréaux condamnait. « Il a raison, dit le roi ; il
s’y connaît mieux que moi. » (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Je ne le croyais pas […] ; mais vous vous y connaissez mieux que moi.
Ce qui rend fragile cette anecdote, c’est qu’on la trouve, inchangée, à
propos cette fois de Molière. Cette assertion douteuse est devenue fameuse
depuis que le XVIIIe  siècle l’a imposée en élaborant une image mythique du
grand siècle. Il [Boileau] regarda toujours Molière comme un génie
unique : et le roi lui demandant un jour quel était le plus rare des grands
écrivains qui avaient honoré la France pendant son règne, il lui nomma
Molière. «  Je ne le croyais pas, répondit le roi  ; mais vous vous y
connaissez mieux que moi. » (Louis Racine, Vie de Jean Racine)
Parce qu’il est grand poète, veut-il être ministre ?
Inversement, Louis Racine raconte que son père Jean ayant à la demande
de Mme de Maintenon rédigé un mémoire sur les misères du peuple pendant
la guerre de Succession d’Espagne et celle-ci ayant trahi le secret sur le
nom de l’auteur, Louis  XIV aurait reparti non sans quelque air de
mécontentement : « Parce qu’il sait faire parfaitement des vers, croit-il tout
savoir, et parce qu’il est grand poète, veut-il être ministre ? » (Louis Racine,
op. cit.) Le caractère tardif de ces trois anecdotes et l’issue pathétique que
Louis Racine attribue à la dernière, qui aurait précipité la fin de son père,
invitent à leur supposer un caractère significatif plutôt qu’authentique.
Vous vous tromperiez, si vous pensiez que je suis théologien.
La façon dont le roi se comporte devant les questions intellectuelles qui
dépassent sa compétence est illustrée de manière plus probante par ses
réactions devant les décisions prises par l’assemblée générale de l’Oratoire
qu’en 1678 lui rapporte et commente pour lui le P. de Saillant. La chose est
de conséquence puisqu’il s’agit d’interdire l’enseignement de certaines
doctrines ou de certains ouvrages. Sur quelques points, Louis XIV proteste
de son incompétence ; sur d’autres, il nuance la censure ; mais s’il ne sait
pas toujours juger, il souhaite du moins être informé de tout. Quand on lui
propose d’examiner le détail des articles qui conduisent à condamner le
protestantisme, le jansénisme ou le cartésianisme, « Pour cela, dit le roi, ce
sont des choses qui me passeront. Vous vous tromperiez, si vous pensiez
que je suis théologien. » Le P. de Saillant repartit : « Sire, Votre Majesté me
permettra de lui dire que je ne crois pas me tromper. Mgr l’archevêque nous
a assuré que Votre Majesté avait le discernement si bon qu’elle mettait
toujours le doigt sur l’endroit et du côté qu’il fallait. » Il parut que le roi ne
désagréait point ce compliment. Sur l’article de la philosophie de Descartes
et où l’on marquait que c’était une doctrine que le roi avait défendue pour
de bonnes raisons : « Oui, dit-il, pour de très bonnes raisons. Non pas que je
veuille empêcher qu’on l’enseigne comme on l’enseigne à Monseigneur
— il se servit de ce terme en parlant de Mgr le Dauphin — ; mais, ajouta-t-
il, je ne veux pas qu’on en fasse un fondement de doctrine. » Sur l’article où
il est défendu de parler de l’État et de la monarchie, le roi dit en se
souvenant du P. Lamy : « Votre petit homme d’Angers aurait eu besoin de
cet avis [allusion aux calomnies qui avaient visé l’enseignement
controversé du P. Lamy au collège d’Anjou d’où il avait été expulsé pour
être exilé à Grenoble en 1675].  » (Arch. nat., Mm628, dans Lallemand,
Histoire de l’éducation dans l’ancien Oratoire, pièces justif.)
Souvenez-vous bien, et je vous le prédis, que vous vous en repentirez.
Ce qui n’empêche pas le roi de se défier, parfois excessivement, des
pressions auxquelles il cède par faiblesse. Ainsi celles qui obtinrent en 1698
la nomination de l’abbé Fleury à l’évêché de Fréjus, dont Louis  XIV
n’attendait rien, mais que sa réussite imprévue conduira en août 1715 à
devenir précepteur du futur Louis  XV, avant de finir Premier ministre  !
Louis XIV avait dit à l’archevêque de Paris qui intercédait pour ce prêtre
que le roi jugeait trop léger et mondain : Il faut donc vous céder pour n’en
être plus importuné ; mais je le fais à regret et souvenez-vous bien, et je
vous le prédis, que vous vous en repentirez. (Saint-Simon, Mémoires, année
1698)
Faire observer dans cette milice sacrée ce que j’observe aujourd’hui
avec soin dans la plupart de mes troupes où on monte par degré de
charge en charge.
Comment en effet choisir en conscience les meilleurs ecclésiastiques pour
les charges sacrées et en même temps administratives, à la distribution
desquelles le roi est appelé par les relations spécifiques du royaume de
France avec l’Église romaine  ? J’ai souvent pensé que pour mieux
connaître nos ecclésiastiques, et de quoi ils sont capables, il serait bon de
faire observer dans cette milice sacrée ce que j’observe aujourd’hui avec
soin dans la plupart de mes troupes où on monte par degré de charge en
charge, ce que j’apprends aussi être tout à fait conforme au premier esprit
de l’Église dans l’institution des cinq ordres sacrés. […] de quoi les jeunes
gens de la plus haute naissance ne seraient non plus à plaindre qu’ils le sont,
quand ils portent le mousquet dans mes gardes, pour parvenir quelque jour à
commander mes armées. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1662)
J’ai donné ce matin un évêché à un homme que je n’ai jamais vu.
Louis XIV établira donc une sorte de cursus honorum qui obligeait les
candidats aux fonctions ecclésiastiques, par exemple à un évêché, de passer
par des fonctions subalternes où ils peuvent être aguerris, éprouvés et
jugés. Quand par exemple il attribue le siège de Saintes à Guillaume du
Plessis de Gesté de La Brunetière, jusqu’alors grand vicaire de Notre-
Dame, sur le seul témoignage de sa valeur et de son efficacité dans cet
emploi, il peut constater avec un mélange de surprise et de satisfaction :
J’ai donné ce matin un évêché à un homme que je n’ai jamais vu. (Sévigné,
À Mme de Grignan, 14 août 1676)
La principale fonction du monarque est de mettre chacun des
particuliers dans le poste où il peut être utile au public.
Mais rien ne vaut une information de visu. C’est ce que constate le roi
lorsque, durant la campagne de 1668 (guerre de Dévolution), le
relâchement des affaires de cabinet qui s’ensuivait de son éloignement de
Paris lui donnait liberté de fréquenter plus à loisir un plus grand nombre de
gens de qualité. À  bien y songer, outre l’agrément de la chose, un autre
profit que le Prince tirera sans doute de ces entretiens, c’est
qu’insensiblement il y connaîtra par lui-même les plus honnêtes gens de son
État, avantage d’autant plus grand que la principale fonction du monarque
est de mettre chacun des particuliers dans le poste où il peut être utile au
public. On sait bien que nous ne pouvons pas faire tout ; mais nous devons
donner ordre que tout soit bien fait, et cet ordre dépend principalement du
choix de ceux que nous employons. Dans un grand État, il y a toujours des
gens propres à toutes choses, et la seule question est de les connaître et de
les mettre en leur place. Cette maxime, qui dit que pour être sage il suffit de
se bien connaître soi-même, est bonne pour les particuliers  ; mais le
souverain, pour être habile et bien servi, est obligé de connaître tous ceux
qui peuvent être à la portée de sa vue. (Louis XIV, Mémoires pour l’année
1668)
Vous m’avez rendu de si bons témoignages de sa personne que je suis
sûr de ne me pas tromper dans le choix que j’ai fait.
Application de cette observation, quarante ans plus tard, entre la fausse
défaite de Malplaquet et la victoire inespérée de Denain dues au maréchal
de  Villars, Louis  XIV écrit à celui-ci qu’il lui confère la pairie. Dans la
même lettre, le roi ajoute qu’il élève au maréchalat Pierre d’Artagnan dont
Villars lui a rendu compte des capacités et de la conduite. Tout en se fiant à
l’expert ès choses militaires qui a sauvé la France à Denain, on note que
Louis XIV expose d’abord sa décision de promouvoir d’Artagnan, puis ses
raisons de le faire, et ne fait que la confirmer, pour terminer, par l’avis que
lui en a rendu le maréchal de Villars. J’ai su que le sieur d’Artagnan s’est
conduit dans la bataille avec toute la valeur et avec toute la capacité que
l’on peut désirer dans un bon général. Je crois aussi qu’il est nécessaire
pour mon service, d’avoir sous le maréchal de Boufflers, un maréchal de
France qui soit en état de commander mon armée, puisque je ne puis pas
espérer que votre blessure [Villars a été atteint d’une balle au genou] vous
permette d’en reprendre le commandement dans le cours de cette
campagne, et que le maréchal de  Boufflers est présentement d’une fort
mauvaise santé  ; cela me fait prendre la résolution de faire le sieur
d’Artagnan maréchal de France. Vous m’avez rendu de si bons témoignages
de sa personne que je suis sûr de ne me point tromper dans le choix que j’ai
fait. (Louis XIV, Au maréchal de Villars. 20 septembre 1709. Gimoard et
Grouvelle, VI)
Vous m’avez rendu de si bons témoignages de sa personne, ajoutait-il
obligeamment, que je suis sûr de ne me pas tromper dans mon choix.
Il est notable que dans la Vie du maréchal de  Villars tirée par l’abbé
Anquetil de ses mémoires laissés manuscrits, le récit mette en vedette la
dernière phrase exclusivement et rapproche l’octroi de la pairie de cette
marque de confiance qui vaut autant qu’un titre, fût-il le premier pour un
aristocrate  : la version tronquée des faits donne l’impression que la
décision du roi procède toute du conseil de Villars. Sa Majesté m’éleva à la
dignité de pair de France, y joignit le gouvernement de Gravelines, que
j’avais demandé pour mon frère, et m’annonça en même temps qu’il créait
maréchal de France M.  d’Artagnan, qui prit le nom de maréchal
de  Montesquieu. «  Vous m’avez rendu de si bons témoignages de sa
personne, ajoutait-il obligeamment, que je suis sûr de ne me pas tromper
dans mon choix. » (Anquetil, Vie du maréchal duc de Villars, II)
Sur tout cela pensez-y bien, et prenez le parti que vous croirez plus
nécessaire et plus utile.
Exemple inverse, en pleine guerre de Hollande, Michel Le  Tellier,
secrétaire d’État à la guerre, tombe malade. Louis  XIV écrit à son fils
Louvois, auquel Le Tellier avait transmis la survivance de sa charge et qui
vient d’être nommé ministre d’État, une lettre attentive et confiante, qui
laisse au jeune ministre la liberté de choisir lui-même entre rester sur le
front ou revenir à son poste au Conseil du roi (ce qui par parenthèse
contrebalance les jugements tardifs, désinvoltes ou négatifs que nous avons
produits à propos de la défaveur prétendue de Louvois à la fin de sa vie).
Vu l’accident qui est arrivé à votre père, je ne sais quel parti prendre sur
vous  ; car je vous trouve tout à fait nécessaire où vous êtes, cette
conjoncture étant très importante, et je serais fort soulagé que vous fussiez
auprès de moi. Je ne vous ordonne rien là-dessus, et me contente de vous
dire de faire ce que vous croirez le plus utile pour mon service. Si vous
croyez, par ce que vous voyez, et par l’envie que vous savez que j’ai qu’il y
ait quelque raison qui puisse m’obliger de m’avancer, le parti sera bientôt
pris ; car vous pourrez demeurer. Mais si vous n’avez nul doute, et si vous
ne voyez rien digne de moi, selon mes intentions accompagnées de
quelques raisons, vous vous conduirez de manière qu’en tout cas vous ne
fassiez pas de chemin inutile. Cette affaire ne saurait durer. Je serais bien
aise que vous assistassiez aux résolutions que l’on prendra sur les lieux, et
que vous fussiez en état de remédier à ce qui pourrait arriver ; mais sur tout
cela pensez-y bien, et prenez le parti que vous croirez plus nécessaire et
plus utile. (Louis  XIV, Au marquis de Louvois. Verberie, 22  décembre
1672. Grimoard et Grouvelle, III)
► Surveiller et punir, nommer et démettre, récompenser et
refuser
Ne se pas contenter d’examiner les hommes avant que de les mettre
dans l’emploi, […] mais les observer encore plus soigneusement
lorsqu’ils sont actuellement dans le maniement des affaires.
Choisir les meilleurs pour les places qui leur conviennent le mieux ne
suffit pas. Un bon roi doit savoir ne se pas contenter d’examiner les
hommes avant que de les mettre dans l’emploi, parce que la plupart se
déguisent aisément pour un temps, dans la passion de parvenir à l’autorité
qu’ils se proposent, mais à les observer encore plus soigneusement
lorsqu’ils sont actuellement dans le maniement des affaires, parce qu’alors
étant en possession de ce qu’ils désirent, ils suivent souvent avec plus de
liberté leurs mauvaises inclinations, dont l’effet retombe toujours ou sur les
affaires ou sur la réputation de leurs princes. Car enfin cette observation
continuelle fera que le prince, reconnaissant au vrai le faible de tous ceux
qui le servent, pourra selon la diversité des sujets, ou les en corriger par ses
bons avis, ou les éloigner quand ils seront incorrigibles, ou même, s’ils ont
d’ailleurs des qualités qui méritent qu’on les supporte, se garantir du
préjudice que leurs défauts pourraient apporter à ses affaires, en
s’appliquant à distinguer, dans ce qu’ils font ou dans ce qu’ils proposent, ce
qui peut être du bien de son service d’avec ce qui est de leur mauvaise
inclination. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Vous me ferez plaisir de désirer d’autres marques de la continuation
de ma bienveillance, dans les occasions qui se présenteront.
Le maréchal d’Humières fait en 1676 l’expérience de l’art épistolaire
consommé avec lequel Louis XIV sait refuser une grâce pourtant demandée
alors en récompense d’un succès militaire : un roi ne se fait rien imposer et
choisit à son heure qui il récompense, selon une évaluation de ses mérites
qui est à la discrétion du dispensateur des grâces et des emplois. Mon
Cousin, quand j’ai mis entre vos mains la conduite du siège d’Aire, j’ai bien
cru que vous m’en rendriez bon compte, et le succès me l’a confirmé d’une
manière qui ne me permet pas de douter, que vous ne vous acquittiez
toujours dignement des emplois que je vous confierai. Comme j’en ai une
entière satisfaction, je voudrais qu’il y eût lieu de vous la témoigner dans
l’affaire dont vous m’écrivez ; mais vous me ferez plaisir de désirer d’autres
marques de la continuation de ma bienveillance, dans les occasions qui se
présenteront, et je vous les accorderai volontiers. (Louis XIV, Au maréchal
d’Humières. Versailles, 2 août 1676. Grimoard et Grouvelle, IV)
Si j’avais connu un plus homme de bien, je l’aurais choisi.
Ayant donné, en 1668, la place de premier président du Parlement de Paris
à M. de Lamoignon, alors maître des requêtes, il lui dit : « Si j’avais connu
un plus homme de bien et un plus digne sujet, je l’aurais choisi. » Il usa à
peu près des mêmes termes avec le cardinal de Noailles lorsqu’il lui donna
l’archevêché de Paris. Ce qui fait le mérite de ces paroles, c’est qu’elles
étaient vraies, et qu’elles inspiraient la vertu. (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Je crois que votre fils fera son devoir ; on m’en a dit beaucoup de
bien.
Et il donna l’évêché de Bayeux à François de Nesmond en s’adressant en
ces termes à son père : Je crois, dit-il au président, que votre fils fera son
devoir ; on m’en a dit beaucoup de bien. (Choisy, Mémoires)
Je viens de donner un nouveau menin à Monseigneur, dont je crois
qu’il sera bien aise ; je crois que vous en serez bien aise aussi, Madame,
car c’est le marquis de Rochefort.
Parfois une pointe d’afféterie accompagne la grâce, par exemple lorsque
c’est une dame (et une mère) qui en reçoit l’annonce et qui y trouve la
compensation d’une déception  : la juste pondération des grâces
s’accompagne alors d’une distinction marquée. Le roi, après son souper,
appela la maréchale de Rochefort, qui est toujours dans son cabinet à ces
heures-là avec Mme  de  Chartres, et lui dit  : «  Je viens de donner un
nouveau menin à Monseigneur, dont je crois qu’il sera bien aise ; je crois
que vous en serez bien aise aussi, Madame, car c’est le marquis
de  Rochefort.  » Cette grâce du roi a fort diminué la douleur qu’avait la
maréchale de n’être point dame d’honneur de Mme  la duchesse
de  Bourgogne, et le roi ajouta tout ce qu’il y a de plus obligeant pour
assurer la maréchale de son amitié et de son estime. (Dangeau, Journal,
2 novembre 1696)
Jamais il n’y aurait dispense accordée avec plus de joie que celle que
je vous enverrais de mon propre mouvement, si je le pouvais sans
renverser le fondement de mes ordres.
Le conflit entre le mérite personnel et les lois de la naissance, de la
hiérarchie, du titre se résout par le système périlleux des dispenses, qui à
trop servir peut ébranler le système. En 1661, la promotion dans l’ordre
prestigieux du Saint-Esprit, qui requérait quatre quartiers de noblesse,
avait compris le maréchal de  Fabert dont l’anoblissement tout récent (il
était fils de libraire) récompensait la conduite sur les champs de bataille
pendant le ministère de Mazarin. Dans sa lettre de remerciement au roi,
sans refuser l’honneur proposé (on ne saurait sans peine refuser un honneur
présenté par son roi), M. de Fabert expliquait ne pouvoir l’accepter que si
par quelque service, on pouvait suppléer à [sic] cet empêchement.
Louis XIV accepte son refus par respect pour la règle de l’ordre et le couvre
d’éloges dans une lettre où il le cousine. Ce rare exemple de probité me
paraît si admirable, que je vous avoue que je le regarde comme un ornement
de mon règne. Mais j’ai un regret extrême de voir qu’un homme qui, par sa
valeur et par sa fidélité est parvenu si dignement aux premières charges de
ma couronne, se prive lui-même de cette nouvelle marque d’honneur par un
obstacle qui me lie les mains. Ne pouvant faire davantage pour rendre
justice à votre vertu, je vous assurerai au moins par ces lignes que jamais il
n’y aurait dispense accordée avec plus de joie que celle que je vous
enverrais de mon propre mouvement, si je le pouvais sans renverser le
fondement de mes ordres ; et que ceux à qui j’en vais distribuer le collier ne
sauraient jamais en recevoir plus de lustre dans le monde, que le refus que
vous en faites, par un principe si généreux, vous en donne auprès de moi.
(Louis XIV, Au maréchal de Fabert. Paris, 29 décembre 1661. Grimoard et
Grouvelle, V)
Nous sommes fort contents l’un de l’autre.
Le cardinal de Bouillon avait eu des mots vifs pour refuser l’archevêché
de Rouen en compensation de la provisorerie de la Sorbonne dont les
docteurs avaient voté en sa faveur. Il obtient son pardon et la promesse de
la charge de grand aumônier du roi. Au sortir de chez le roi, le cardinal alla
dire ce qui venait de se passer à M. de Turenne qui le lendemain dit au roi :
« Sire, je vis hier au soir un homme bien pénétré de la bonté qu’a eue Votre
Majesté de lui pardonner toutes les fautes et d’y ajouter encore des grâces.
— Il avait eu tort, lui dit le roi ; mais il a bien réparé tout cela, et nous
sommes fort contents l’un de l’autre. » (Choisy, Mémoires)
Il y a des mesures à observer en retirant un homme.
Nommer n’est pas chose aisée. Mais démettre l’est moins encore. Le roi
d’Espagne a demandé le rappel de l’ambassadeur extraordinaire que lui a
délégué Louis XIV pour le gouverner. Encore faut-il aux deux rois ménager
ce départ. Le plus âgé donne leçon à l’autre à ce propos. J’ai su par Orry
les raisons que vous aviez eues de me demander par Louville le rappel du
cardinal d’Estrées : je vous l’accorderai. […]Gardez seulement le secret de
la résolution que je prends ; il y a des mesures à observer en retirant un
homme, recommandable d’ailleurs par son mérite et ses services. Il ne
demeurera que peu de mois encore auprès de vous  ; mais il faut qu’il
paraisse qu’il souhaite de revenir, et je suis persuadé qu’il ne sera pas
difficile de l’y disposer. Si j’en usais autrement, on dirait que je me suis
laissé surprendre aux mauvais offices qu’on lui aurait rendus ; on vous le
reprocherait aussi : cette précipitation produirait un très mauvais effet pour
l’avenir. Vous serez bien aise que l’on croie en Espagne que vous avez
confiance en mes ambassadeurs : jamais on ne le croira si on voit que je les
rappelle malgré eux ; vous entendrez dire, au contraire, que les intrigues de
cour ne sont pas moins puissantes sous votre règne qu’elles l’ont été sous
celui du roi précédent. Enfin, je retirerai le cardinal d’Estrées ; mais je ne
puis le faire que dans quelques mois. (Louis  XIV, À  Philippe  V. 24  juin
1703. Grimoard et Grouvelle, VI)
Vous accorder la permission de revenir auprès de moi, sans attendre
que vous la demandiez.
Il faut ensuite y préparer la victime. Louis  XIV s’y emploie. Une fois
encore, « le seigneur Jupiter sait dorer la pilule » comme écrivait Molière.
Autre manière de le dire : « N’humilions pas l’homme qui nous sert bien,
crainte d’en faire un mauvais valet.  » (Beaumarchais). Je vois qu’on a
entièrement changé l’esprit du roi d’Espagne à votre égard. Non seulement
il me demande instamment, aussi bien que la reine, de vous rappeler ; mais
je vois qu’il vous cache ses résolutions, en même temps qu’il m’en instruit
par ses lettres. Le tort que cette dissension fait aux affaires m’est encore
moins sensible que la manière dont vous êtes traité. Ainsi, je crois devoir à
l’attachement personnel que vous m’avez toujours témoigné et à l’amitié
que j’ai pour vous, de vous accorder la permission de revenir auprès de moi,
sans attendre que vous la demandiez. Je serai très aise de vous voir délivré
de toutes les peines que votre zèle vous a fait souffrir, et de vous témoigner
moi-même la satisfaction que j’ai des importants services que vous m’avez
rendus en Italie et en Espagne. (Louis XIV, Au cardinal d’Estrées. 10 août
1703. Grimoard et Grouvelle, VI)
Ne lui dites pas que je l’abandonnerai, il ne le croirait pas.
Autre disgrâce nécessaire qu’il faut aménager non tant auprès de la
victime que de ses protecteurs : l’omniprésence du parti français à la cour
de Philippe  V irritant les Espagnols, le roi doit rappeler la princesse
des Ursins qui s’est rendue indispensable auprès de la reine et par voie de
conséquence auprès du roi influencé par elle. Louis  XIV indique à son
ambassadeur comment faire accepter la chose au jeune monarque. C’est
une leçon de psychologie à l’égard des puissants. S’il résiste, laissez-lui
voir combien la guerre que je soutiens pour ses intérêts est pesante : ne lui
dites pas que je l’abandonnerai, il ne le croirait pas  ; mais faites qu’il
s’aperçoive que quelle que soit ma tendresse pour lui, je pourrais, s’il n’y
répondait pas, faire la paix aux dépens de l’Espagne, et me lasser enfin de
soutenir une monarchie, où je ne verrais que désordres et que
contradictions, dans les choses les plus raisonnables que je pourrais
demander pour ses propres intérêts. Il faudra que le duc de  Berwick
s’explique dans le même sens après vous, et sans que vous y soyez. Enfin,
après un pareil éclat, il faut réussir : mon honneur, l’intérêt du roi mon petit-
fils, et celui de la monarchie y sont engagés. (Louis  XIV, À  l’abbé
d’Estrées. 19 mars 1704. Grimoard et Grouvelle, VI)
Politiques de l’apparence
La contradiction observable entre les principes du pouvoir et la pratique
que supposait leur application induit ce qui va suivre et qui constitue un des
éléments les plus modernes de la pensée et de l’action reflétées par les
écrits et les paroles de Louis XIV : un réalisme politique adossé au modèle
officiellement honni du machiavélisme dont Mazarin était nourri, enveloppé
dans une politique des apparences, de la communication, de l’image
reconnues comme troisième force, après la religion et les armes, pour
imposer la souveraineté du roi à moindre coût et tout aussi efficacement à
l’intérieur, sur ses sujets, qu’à l’extérieur, sur ses voisins. La place de
l’artifice, de la représentation, du prestige, de « l’épate » n’est ni nouvelle
ni exceptionnelle durant le règne du roi qui ne fut pas le premier à prendre
pour emblème le soleil  ; mais la conscience théorisée, rationalisée et
organisée de son rôle marque une étape dans la définition de l’exercice du
pouvoir comme stratégie des apparences sollicitant le symbole et l’image
comme opérateurs de l’action publique.
ÉCONOMIE DE L’IMAGE ET POLITIQUE DU PRESTIGE
►  Une société du spectacle
Je suis aussi hardi dans [cet habit] que dans le plus beau que j’aie.
La tradition hagiographique veut qu’enfant Louis XIV n’ait pas attaché
trop d’importance à son apparence, vestimentaire notamment, par
conviction que son essence royale l’en dispensait : c’est, avant l’heure, le
mythe de la redingote grise de Napoléon ! Huit ans avant le lit de justice de
1655 où, jeune homme, il vint en costume de chasse (ne pas) dire que l’État
c’était lui, il aurait eu cette réplique, selon le valet Du Bois, à propos de la
tenue dans laquelle il devait le 16 mai 1647 faire son entrée dans Amiens :
« Que l’on ne me demande point quel habit je veux ; je ne veux que celui-
ci. » M. le marquis [de Monglat, maître de la garde-robe] lui dit : « Sire,
pour faire votre entrée dans Amiens, il vous en faut un autre où il y ait de
l’or ; celui-là est trop simple.— Pourquoi ? dit le roi, je suis aussi hardi dans
celui-ci que dans le plus beau que j’aie. » (Du Bois, Mémoires)
Cent pistoles de plus, je ne m’en soucie guère pourvu que je l’aie dans
deux heures.
Quelques jours plus tard, selon la même source, le jeune Louis XIV, tout
autrement luné, serait tombé en pâmoison convoiteuse devant un pourpoint
de M. de Jarzé, membre de sa garde (il deviendra en 1648 capitaine des
gentilshommes au bec-de-corbin) qu’on ne surnommait pas pour rien « le
beau Jarzé  ». Le samedi 1er  juin, M.  de  Jarzé allant courre le cerf avec
M.*** avait un pourpoint de toile blanche tout simple, sans doublure, avec
de la dentelle de fil blanc. Le roi en prit envie et en fit faire un avec un
empressement très grand : « J’en veux un tout à cette heure, dit-il ; cent
pistoles de plus, je ne m’en soucie guère pourvu que je l’aie dans deux
heures. » Aussi fut-il fait assez tôt. (Du Bois, Mémoires)
À l’avenir j’espère que je ferai fort parler de moi. 
Ces chiffonnages mis à part, le souci de son image semble avoir assez tôt
tracassé le roi : tout jeune homme encore (il a dix-neuf ans), il conte à sa
guerrière cousine, la Grande Mademoiselle, ses quelques hauts faits et
surtout ceux qu’il escompte à l’avenir. Il me conta toutes ses campagnes et
tout ce qu’il avait fait ; je lui disais : « Le roi, votre grand-père, n’y a pas
été si jeune. » Il me répondit : « Mais il en a pourtant plus fait que moi ;
jusqu’ici on ne m’a pas laissé aller aussi avant que j’aurais voulu ; mais à
l’avenir j’espère que je ferai fort parler de moi. » (Montpensier, Mémoires,
année 1657)
Le portrait que vous désirez est fait.
En pratique, l’image d’un roi transmise à la postérité et d’abord à ses
enfants et petits-enfants passe par le portrait officiel. En 1701, Louis XIV
écrit à ce propos à son petit-fils devenu roi d’Espagne une lettre où l’on
apprend qu’il a pris de son temps pour poser devant le chevalet de
Hyacinthe Rigaud. J’oubliais de vous dire que le portrait que vous désirez
est fait. Vous devez m’être obligé du temps que j’ai donné pour vous plaire.
Quand le tableau sera achevé, on vous l’enverra sans perdre de temps.
(Louis XIV, À Philippe V. Marly, 30 juillet 1701. Grimoard et Grouvelle,
VI)
J’ai dit à votre fils de vous mander d’envoyer un peintre, car je crois
qu’il y aura quelque chose de beau à voir.
Car la mémoire se fixe dans des traces écrites, certes, mais aussi par des
représentations figurées : voici à ce propos un billet adressé à Colbert au
moment du siège de Maestricht dont Louis  XIV entendait transmettre le
souvenir à la postérité. J’ai dit à votre fils [Seignelay] de vous mander
d’envoyer un peintre, car je crois qu’il y aura quelque chose de beau à voir.
Tout va très bien. (Louis XIV, À M. Colbert. Au camp devant Maestricht,
11 juin 1673. Grimoard et Grouvelle, III)
Nec pluribus impar.
Mi-partie de mots et d’image, la devise solaire qui donna au roi son
surnom lui attribua aussi une maxime souvent mal comprise et mal traduite
dont il éclaire lui-même la signification. Ce fut là [lors du carrousel de
1662] que je commençai à prendre [la devise] que j’ai toujours gardée
depuis, et que vous voyez en tant de lieux. […] On choisit pour corps le
soleil qui, dans les règles de cet art, est le plus noble de tous, et qui par la
qualité d’unique, par l’éclat qui l’environne, par la lumière qu’il
communique aux autres astres qui lui composent comme une espèce de
cour, par le partage égal et juste qu’il fait de cette même lumière à tous les
divers climats du monde, par le bien qu’il fait en tous lieux, produisant sans
cesse de tous côtés la vie, la joie et l’action, par son mouvement sans
relâche, où il paraît néanmoins toujours tranquille, par cette course
constante et invariable, dont il ne s’écarte et ne se détourne jamais, est
assurément la plus vive et la plus belle image d’un grand monarque. Ceux
qui me voyaient gouverner avec assez de facilité et sans être embarrassé de
rien, dans ce nombre de soins que la royauté exige, me persuadèrent
d’ajouter le globe de la terre, et pour âme nec pluribus impar [mot à mot :
pas insuffisant à davantage]  ; par où ils entendaient ce qui flattait
agréablement l’ambition d’un jeune roi, que suffisant seul à tant de choses,
je suffirais sans doute encore à gouverner d’autres empires, comme le soleil
à éclairer d’autres mondes, s’ils étaient également exposés à ses rayons. Je
sais qu’on a trouvé quelque obscurité dans ces paroles, et je ne doute pas
que ce même corps n’en pût fournir de plus heureuses. (Louis  XIV,
Mémoires pour l’année 1662)
Par là nous tenons leur esprit et leur cœur, quelquefois plus fortement
peut-être, que par les récompenses et les bienfaits.
Les fêtes et les divertissements somptueux qui ont ponctué toute la
première moitié du règne sont également justifiés par une politique de
l’image. Cette société de plaisirs, qui donne aux personnes de la cour une
honnête familiarité avec nous, les touche et les charme plus qu’on ne peut
dire. Les peuples, d’un autre côté, se plaisent au spectacle, où au fond on a
toujours pour but de leur plaire ; et tous nos sujets, en général, sont ravis de
voir que nous aimons ce qu’ils aiment, ou à quoi ils réussissent le mieux.
Par là nous tenons leur esprit et leur cœur, quelquefois plus fortement peut-
être, que par les récompenses et les bienfaits ; et à l’égard des étrangers,
dans un État qu’ils voient florissant d’ailleurs et bien réglé, ce qui se
consume en ces dépenses qui peuvent passer pour superflues, fait sur eux
une impression très avantageuse de magnificence, de puissance, de richesse
et de grandeur, sans compter encore que l’adresse en tous les exercices du
corps, qui ne peut être entretenue et confirmée que par là, est toujours de
bonne grâce à un prince, et fait juger avantageusement, par ce qu’on voit,
de ce qu’on ne voit pas. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1662)
Mon intention est que vous ayez à faire éclater ces avantages par
toutes les marques de réjouissances publiques que vous aviserez.
Le dernier courrier du roi à Turenne avant la mort de celui-ci au combat
portait sur une question de propagande par la festivité  : faire célébrer
ostensiblement les victoires de la France pour leur conférer un
retentissement utile au moral de ses armées et à la démoralisation des
peuples ennemis. Mon Cousin, comme il importe à mon service et à la
réputation de mes armes, vu les bruits que les ennemis répandent de toutes
parts pour les diminuer, de faire publier le plus qu’il se pourra les heureux
succès qu’elles ont eus par-deçà, depuis le commencement de la campagne,
par la reprise des villes de Hui et Dinant, dont ils s’étaient emparés, et par la
conquête de la ville de Limbourg qui m’acquiert un grand pays et une
province considérable, laquelle a été soumise à mon obéissance en très peu
de temps, n’ayant tenu que huit jours, presque à la vue de toutes les armées
de mes ennemis qui s’étaient assemblées pour la secourir, je vous écris cette
lettre pour vous dire que mon intention est que vous ayez à faire éclater ces
avantages par toutes les marques de réjouissances publiques que vous
aviserez  ; en sorte que les sujets des princes mes ennemis, auxquels la
connaissance en avait été cachée, en soient pleinement informés.
(Louis  XIV, Au maréchal de  Turenne. Au camp près Tirlemont, 29  juin
1675. Grimoard et Grouvelle, IV)
Les occasions qui se pourraient naturellement offrir d’entendre
parler diverses personnes sur toutes sortes de sujets, soit sous prétexte
de jeu, de chasse, de conversation ou même d’audience particulière.
Un autre avantage des fêtes royales, des déplacements de la cour ou des
campagnes militaires, bref de tout ce qui bouscule l’étiquette et la routine,
c’est l’occasion qu’ils offrent au roi de s’entretenir avec les meilleurs de
ceux qui l’entourent et dont il ne peut pas toujours entendre la voix, parfois
sagement inspirée. Ce sont les bienfaits du « bain de foule », théorisés ici
encore à l’intention du Dauphin. Quand il se pourra trouver un prince qui,
par la beauté naturelle de son esprit, par la solide fermeté de son âme et par
l’habitude prise aux grandes affaires, saura se défendre de la surprise aussi
bien que ses plus habiles conseillers, qui entendra aussi bien ou mieux
qu’eux ses plus délicats intérêts, et qui, prenant leurs avis parce qu’il lui
plaît, pourra néanmoins, quand il sera besoin, se déterminer sagement par
lui-même ; qui aura assez de retenue pour ne résoudre rien sur-le-champ de
ce qui mériterait réflexion et qui serait assez maître de son visage et de ses
paroles, pour apprendre les sentiments de tous sans découvrir les siens qu’à
ceux qu’il voudrait, ou peut-être même à personne entièrement, […] je
désirerais qu’il n’évitât pas, hors du temps de son travail accoutumé, les
occasions qui se pourraient naturellement offrir d’entendre parler diverses
personnes sur toutes sortes de sujets, soit sous prétexte de jeu, de chasse, de
conversation ou même d’audience particulière. (Louis XIV, Mémoires pour
l’année 1668)
Rien ne fai[t] de si grands effets en si peu de temps que la réputation
du prince.
Et sur les sujets plus sérieux, de même, il faut au roi toujours marquer
l’opinion par des actes décisifs ou symboliques. À l’intention de son fils,
Louis XIV se félicite du retentissement qu’ont connu les fermes décisions
qu’il a su prendre quand a commencé son règne personnel en 1661. C’est
sur quoi se construit la réputation du prince. L’observation qu’on fit à loisir
de toutes ces choses commença sans doute à donner quelque opinion de moi
dans le monde ; et cette opinion n’a pas peu contribué au succès des affaires
que j’ai entreprises depuis : rien ne faisant de si grands effets en si peu de
temps que la réputation du prince. Mais ne vous trompez pas, mon fils,
comme tant d’autres, et ne pensez pas qu’il soit temps de l’établir quand il
faudra s’en servir. On ne la met point sur pied avec les armées : on aurait
beau ouvrir ses trésors pour l’acquérir, il faut y avoir pensé auparavant, et
ce n’est même qu’une possession assez longue qui nous en assure.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
En faisant voir que vous êtes le maître…
Il le redira à son petit-fils devenu roi d’Espagne  : être le maître, cela
s’obtient en exerçant le pouvoir et en l’appuyant de la force, mais aussi et
pour part au moins égale en faisant voir et savoir qu’on l’exerce.
J’approuve le dessein que vous avez d’augmenter le nombre de vos
mousquetaires : rien ne vous doit empêcher de l’exécuter. Il ne faut pas que
V. M. diffère à s’armer de toutes manières : c’est l’unique moyen d’établir
votre autorité ; mais soutenez-la, je vous prie, en décidant et en faisant voir
que vous êtes le maître. (Louis  XIV, À  Philippe  V. 29  décembre 1702.
Grimoard et Grouvelle, VI)
Notre puissance, lors même qu’elle est à son comble, pour être plus
redoutée, doit être plus rarement éprouvée.
Soyez toujours, mon fils, en état de vous faire craindre par les armes, mais
ne les employez qu’au besoin, et souvenez-vous que notre puissance, lors
même qu’elle est à son comble, pour être plus redoutée, doit être plus
rarement éprouvée. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1662)
Je pensais avoir gagné dans le monde qu’on eût un peu meilleure
opinion de moi.
Ce principe et ses effets se manifestent dans la longue lettre pleine de
hauteur et de fureur contenue que le roi adresse à l’ambassadeur de France
à Londres sur l’affaire (déjà évoquée plus haut) du « salut au pavillon ».
L’importance de la réputation est ici illustrée de manière on ne peut plus
concrète  : bien régie, une image d’inflexibilité constitue une arme de
dissuasion qui détermine l’issue d’un conflit larvé, d’apparence symbolique
mais recouvrant des réalités économiques (le droit de pêche des Hollandais
soutenu par la France contre celui des Anglais). Je pensais avoir gagné
dans le monde qu’on eût un peu meilleure opinion de moi  ; mais je me
console en ce que peut-être n’est-ce qu’à Londres qu’on fait de si faux
jugements  : c’est à moi à faire par ma conduite qu’ils ne demeurent pas
longtemps en de semblables erreurs. Je suis assuré qu’à Madrid, ni en aucun
autre lieu de la terre, il ne serait sorti de la bouche d’un ministre, parlant à
mon ambassadeur, ce que le chancelier Hyde a bien voulu vous dire, qu’il
n’y avait point d’accommodement du roi son maître avec moi sur le
pavillon, si je voulais garantir leur pêche aux Hollandais. À ouïr parler le
chancelier, ne dirait-on pas que je suis perdu, si ce différend du pavillon ne
s’accommode par quelque tempérament ? Cependant il est vrai que rien ne
m’est plus indifférent, parce que je prétends mettre bientôt mes forces de
mer en tel état, que les Anglais tiendront à grâce que je veuille bien alors
entendre à des tempéraments touchant un droit qui m’est dû plus
légitimement qu’à eux. (Louis XIV, Au comte d’Estrades. Paris, 25 janvier
1662. Grimoard et Grouvelle, V)
Qu’ils fassent bruit dans le pays du passage de mon armée.
Usage de la démonstration et de la propagande militaires à des fins de
victoire diplomatique  : le marquis de  Bellefonds est chargé de
commandement dans l’armée que Louis  XIV a envoyée faire de
l’intimidation à Rome lors de l’affaire des gardes corses qui avaient
molesté l’ambassadeur de France auprès du Saint-Siège. Il reçoit du roi
l’ordre de faire jouer à ses troupes leur rôle de figuration dissuasive — et le
pape, en effet, s’inclinera et s’humiliera. C’est, après la citation
précédente, une nouvelle illustration de l’art d’exporter la politique de
l’image sur le théâtre des affaires extérieures. Il sera bon mêmement, pour
avoir plus de nouvelles, d’envoyer des gens de tous côtés, et qu’ils fassent
bruit dans le pays du passage de mon armée, toute composée de vieilles
troupes, des levées de cavalerie et des préparatifs que je fais, et surtout du
commandement qu’a le maréchal Duplessis de commencer la guerre sans
attendre autre ordre de moi, si dans le délai que je prescris, l’abbé de
Bourlemont [négociateur au nom du roi] ne lui mande que tout soit
accommodé à ma satisfaction. (Louis XIV, Au marquis de Bellefonds. Paris,
11 janvier 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
►  Ce que les rois doivent au public
Les rois, qui sont les arbitres souverains de la fortune et de la
conduite des hommes, sont toujours eux-mêmes les plus sévèrement
jugés et les plus curieusement observés.
Le principe de la monarchie, c’est que le roi est exposé  : sa toute-
puissance éclatante démultiplie automatiquement l’effet de ses moindres
actes, quels qu’ils soient. Le souci de leur effet sur le public, le souci donc
du public, ne doit jamais quitter un monarque. Les rois, qui sont les arbitres
souverains de la fortune et de la conduite des hommes, sont toujours eux-
mêmes les plus sévèrement jugés et les plus curieusement observés. Dans le
grand nombre des gens qui les environnent, ce qui échappe aux yeux de
l’un est presque toujours découvert par un autre. Le moindre soupçon que
l’on conçoit d’eux passe aussitôt d’oreille en oreille, comme une nouvelle
agréable à débiter : celui qui parle, faisant toujours vanité de savoir plus que
les autres, augmente les choses au lieu de les affaiblir ; et celui qui entend,
prenant un plaisir malin à voir abaisser ce qu’il croit trop au-dessus de lui,
apporte toute la facilité possible à se persuader de ce qu’on lui dit. Plus le
prince dont on s’entretient a d’ailleurs de mérite et de vertu, plus l’envie
prend à tâche d’en obscurcir l’éclat : en sorte que, bien loin de dissimuler
ses fautes, on lui en suppose même quelquefois dont il est innocent.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
Les rois doivent satisfaire le public.
En décembre  1670, on a vu que l’autorisation arrachée au roi par la
Grande Mademoiselle pour son mariage disproportionné avec le
comte de Lauzun fait murmurer la cour et notamment la proche famille de
Louis XIV, choquée par la mésalliance. Le retard mis à l’exécution interdit
à celui-ci de maintenir plus longtemps sa neutralité bienveillante. Il reçoit
Mademoiselle pour lui confirmer son refus. Il se jeta à genoux en même
temps que moi et m’embrassa. Nous fûmes trois quarts d’heure embrassés,
sa joue contre la mienne ; il pleurait aussi fort que moi : « Ah ! pourquoi
avez-vous donné le temps de faire des réflexions  ? Que ne vous hâtiez-
vous ? […] — Quoi ! Sire, ne vous rendrez-vous point à mes larmes ? » Il
élevait sa voix afin que l’on l’entendît  : «  Les rois doivent satisfaire le
public. — Assurément vous vous y sacrifiez bien ; car ceux qui vous font
faire ceci se moqueront de vous. Je demande pardon à Votre Majesté si je
dis cela ; mais il est très vrai. » Il me répondit : « Il est tard. Je n’en dirais
pas davantage ni autrement, quand vous seriez ici plus longtemps.  » Il
m’embrassa et me mena à la porte où je trouvai je ne sais plus qui. Je m’en
allai le plus vite que je pus à mon logis, où je criai les hauts cris.
(Montpensier, Mémoires, décembre 1670)
Ce serait le plus grand malheur qui vous pût arriver que de revoir la
France.
Le sacrifice à un mariage nécessaire aux alliances et aux intérêts de son
pays ou de sa maison est le lot des filles de sang royal. La jeune
Mademoiselle, fille de Monsieur, mariée de force à Charles II d’Espagne,
ne cache pas sa souffrance de devoir tout quitter à dix-sept ans pour monter
sur le trône ibérique. Louis XIV, inflexible, lui trace la voie de son devoir.
La reine d’Espagne va toujours criant et pleurant. […] Le roi lui dit devant
Mme la Grande-Duchesse : « Madame, je souhaite de vous dire adieu pour
jamais ; ce serait le plus grand malheur qui vous pût arriver que de revoir la
France. » (Sévigné, À Mme de Grignan, 27 septembre 1679)
Vous êtes Madame, et obligée de tenir ce poste.
De même, mariée à un fils de France, on ne peut plus disposer de soi.
Lors d’une des crises qui traversent le second ménage de Monsieur, la
princesse Palatine, son épouse, outrée d’avoir été calomniée par les favoris
de son mari, demande instamment à Louis XIV de se retirer au couvent de
Maubuisson. Voici la réponse du roi, transcrite par l’intéressée dans son
orthographe toujours très personnelle du français. Hé bien Madame,
répliqua le roi, puisque je vois que c’est véritablement vostre intention
d’aller à Maubisson, ostes cela de vostre teste, car tant que je viveres je n’y
consentires point et m’y opposeres hauttement et de force, vous estes
Madame et obligée de tenir ce poste, vous este ma belle sœur et l’amitié que
j’ay pour vous ne me permet pas de vous laisser aller, me quitter pour
jamais, vous estes la femme de mon frère, ainsi je ne souffriray pas que
vous luy fassiez vn tel esclat qui tournerait fort mal pour luy dans le monde,
ne songes pas non plus a combattre ces raisons icy. Car en un mot comme
en mille, arrive ce qui poura, mais je ne vous laisseres point aller en un
couvend. (Madame Palatine, Correspondance, 19  septembre 1682.
Orthographe originale)
Nous ne sommes pas comme les particuliers ; nous nous devons tout
entiers au public.
Divertir le public n’est pas toujours divertissant pour les princes. En
1686, Louis XIV affaibli par ses maux et leurs remèdes (c’est l’époque de
l’opération de la fistule) ne peut prendre part aux soirées dites
d’appartement et y délègue sa famille. La duchesse de Bourgogne demande
à en être dispensée tant elle se dit affligée de l’état du roi et incapable de
danser. Elle est rappelée à l’ordre par lui. « Madame, je veux qu’il y ait
appartement et que vous y dansiez. Nous ne sommes pas comme les
particuliers  ; nous nous devons tout entiers au public. Allez et faites la
chose de bonne grâce. » ; ensuite il appela la maréchale de Rochefort, dame
d’atour de Mme  la Dauphine, et lui dit  : «  Maréchale, ayez  soin qu’elle
soutienne cela comme il faut. » (Sourches, Mémoires, année 1686)
Il est de votre intérêt, comme du mien, d’éviter les reproches du
public.
La maladie, celle même des enfants, est affaire publique quand on est de
sang royal ou que l’on est comptable de ce sang. En 1707, le petit duc de
Chartres, héritier de la branche Orléans, est soupçonné de couver la
variole. Louis XIV le fait éloigner de l’appartement du duc de Bretagne, fils
du duc de Bourgogne et frère aîné du futur Louis XV. Et il s’en explique
auprès de la duchesse d’Orléans, mère de l’enfant (et fille légitimée du
monarque). Si je ne regardais que moi, il ne serait pas question de
transporter votre fils  ; mais je dois compte à l’État, qui me reprocherait
d’avoir hasardé le duc de Bretagne pour trop ménager le duc de Chartres.
Cependant, si la petite vérole avait paru, tout ce qu’on m’aurait pu dire ne
m’aurait jamais fait consentir à exposer la vie de votre fils. Heureusement il
a bien passé la nuit ; prenons ce temps-là pour le faire transporter. Il est de
votre intérêt, comme du mien, d’éviter les reproches du public. Faisons
porter votre fils dans l’appartement de M. de Marsan, qui est de l’autre côté
de la chapelle. (Dangeau, Journal, 16 août 1707)
La prévention porte aussi facilement [le public] à blâmer ceux qui
sont en place, qu’à louer ceux qu’il n’a point vu occuper des emplois
propres à faire connaître leurs talents.
Reste que satisfaire toujours le public est difficile, eu égard à sa
versatilité, comme en témoigne une observation d’expérience que confirme
aujourd’hui le régime démocratique qui a succédé à la monarchie. Les
mauvais succès […] sont ordinairement attribués aux généraux chargés de
la conduite des armées, et l’on oublie ce qu’ils ont fait de mieux dans les
temps précédents, pour les condamner plus aisément sur les fautes
présentes. Mais le public se trompe souvent dans ses jugements, et la
prévention le porte aussi facilement à blâmer ceux qui sont en place, qu’à
louer ceux qu’il n’a point vu occuper des emplois propres à faire connaître
leurs talents. Vous avez dû remarquer cette vérité depuis que vous régnez. Il
y a longtemps que j’en fais l’expérience, et je souhaite que la vôtre
devienne aussi longue. (Louis  XIV, À  Philippe  V. 26  novembre 1708.
Grimoard et Grouvelle, VI)
Il est impossible d’ôter au public la liberté de parler.
Louis  XIV écrit le 6  septembre 1705 à son petit-fils Philippe  V, qui se
plaint des protestations soulevées par l’emprisonnement du marquis de
Léganès dont la participation à un complot contre lui était probable, mais
pas matériellement prouvée. Je souhaiterais qu’on pût faire cesser les
discours dont V.  M. se plaint, mais il est impossible d’ôter au public la
liberté de parler. Il se l’est attribuée dans tous les temps, en tous pays, et en
France plus qu’ailleurs. Il faut tâcher de ne lui donner que des sujets
d’approuver et de louer. (Louis  XIV, À  Philippe  V. 6  septembre 1705.
Grimoard et Grouvelle, VI)
Vous ferez mieux de mépriser ces sortes de bagatelles.
Et, de même esprit, ce conseil donné au duc de Saint-Aignan durant la
guerre de Hollande. Mon Cousin, j’ai vu la lettre […] que vous avez
projetée pour répondre à quelques discours qu’un certain particulier a tenus
de vous en Hollande. Ce que je puis dire sur celle-ci est que vous ferez
mieux de mépriser ces sortes de bagatelles, que de vous exposer à un
combat de plume dont chacun jugerait à sa fantaisie. (Louis XIV, Au duc de
Saint-Aignan. Nancy, 16 septembre 1678. Grimoard et Grouvelle, V)
Laissez dire, et continuez à faire de votre mieux.
Une variante, sous la forme d’un conseil adressé au comte de Coligny qui
commandait le corps expéditionnaire ayant participé à la victoire de Saint-
Gothard contre les Turcs en 1664 : le duc de La Feuillade se répandait en
doléances et s’emportait contre le comte de  Holach, général des troupes
impériales  ; et les officiers partis comme volontaires voulaient qu’on les
distinguât. Au surplus, je vous confirme que vous avez fort bien fait de ne
vous point relâcher à l’égard des volontaires. Laissez dire, et continuez à
faire de votre mieux : vous devez être content pourvu que je le sois de vous,
et je le suis au dernier point. (Louis XIV, Au comte de Coligny. Vincennes,
30 août 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
Méprisez-les et prenez pour votre consolation que tout le monde aussi
bien que moi vous rend justice.
De même pour Madame, calomniée par les favoris de son mari, comme on
l’a vu plus haut, et obligée de les supporter malgré tout à la cour de son
mari après sa réconciliation avec lui. Je vous ay dit de vivre honnestement
avec vos ennemis, et vous le pouves car la dernière chose qu’ils viennent de
faire contre vous leur fait tant de tort dans le monde et les décrie si
oriblement que vous ne pouries rien aprandre de nouveau au monde en vous
plaignant d’eux : ainsi mesprisses les et prennes pour vostre consolation que
tout le monde aussi bien que moy vous rend justice. (Madame Palatine,
Correspondance, 19 septembre 1682. Orthographe originale)
Quant aux lettres et aux écritures, ne vous mettez pas dans l’esprit de
les vouloir empêcher : cela serait impossible.
Le souci excessif des remarques désobligeantes, des récriminations et des
réprobations, dont un roi n’est pas seulement l’objet mais dont il doit de
surcroît être l’arbitre constant, menace de gâter en 1665 l’unité de
commandement de la flotte du Ponant chargée, sous la direction du duc de
Beaufort, de soutenir les Hollandais en Méditerranée  : le duc craint
exagérément qu’un officier placé sous ses ordres, le marquis de  Martel,
lieutenant-général des armées navales du Ponant, dont il a rejeté les
observations sur l’état de la flotte, ne le desserve auprès du roi. Celui-ci
rassure son importun et important cousin, tout en déplorant cette suspicion
aux effets calamiteux. D’ailleurs, je pénètre aisément par les mémoires qui
ont été apportés par ledit Brodard [messager du duc auprès du roi], que
l’inquiétude que vous avez eue que la proposition que le sieur de Martel
avait faite, et sa personne même, ne fussent protégées auprès de moi à votre
préjudice, a traversé durant tout le cours de cette navigation l’union qui doit
être immuable entre le chef et les principaux officiers d’une armée, et
apparemment aura été très nuisible à mon service. […] Quant aux lettres et
aux écritures, ne vous mettez pas dans l’esprit de les vouloir empêcher :
cela serait impossible ; soyez seulement soigneux de me mander ce qui se
passe, dans la pure vérité, sans aucune observation, et ne craignez pas que
je me laisse surprendre aux déguisements, ni que je m’engage à la
protection des subalternes contre les supérieurs  ; car je vous confirme
encore que je serai toujours pour ceux-ci, me réservant à leur dire ou à leur
faire savoir sans bruit le tort qu’ils pourraient avoir. (Louis XIV, Au duc de
Beaufort. Paris, 8 décembre 1665. Grimoard et Grouvelle, V)
Quelque parti que je prenne, je sais bien que je serai blâmé.
En 1700, le testament du roi d’Espagne Charles  II, mort sans
descendance, désigne comme son successeur le duc d’Anjou, second petit-
fils de Louis XIV. Le roi et son Conseil hésitent à entériner cette décision,
devant les réactions nécessairement hostiles que provoquera un tel choix
dans toute l’Europe. Il accepta le testament  ; et rencontrant au sortir du
Conseil les princesses de Conti avec Mme la Duchesse : « Hé bien, leur dit-
il en souriant, quel parti prendriez-vous  ?  » Puis, sans attendre leur
réponse : « Quelque parti que je prenne, ajouta-t-il, je sais bien que je serai
blâmé.  » (Voltaire, Siècle de Louis  XIV) Saint-Simon donne une version
similaire de la même parole : Je suis sûr que quelque parti que je prenne,
aurait dit le roi, beaucoup de gens me condamneront.  (Saint-Simon,
Mémoires, année 1700)
Il ne faut pas toujours s’alarmer des mauvais discours du vulgaire.
Pour illustration de ces impasses de la réputation, le roi explique à son
fils pourquoi durant l’été 1667 il n’hésita pas à lever le siège de Termonde
[Dendermonde en flamand] qui s’annonçait infructueux. Peu lui importa
l’avis de ceux qui y verraient un mécompte  : il le fit sans hésitation, en
méprisant par avance tout ce qui s’en est dit depuis, avec la certitude que,
comme le commun des hommes censure avec plaisir ce qui est au-dessus
d’eux, les mêmes gens qui me blâmeraient d’avoir quitté Dendermonde
sans l’attaquer, me condamneraient avec bien plus de sujet si je l’attaquais
sans la forcer ou si, même en la prenant, je ruinais mon armée. D’où vous
pouvez conclure, mon fils, qu’il ne faut pas toujours s’alarmer des mauvais
discours du vulgaire. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
Le public pensera différemment. Il ne faut pas croire qu’il ignore de
telles particularités.
En revanche, il morigène son petit-fils Philippe V pour le peu de soin que
celui-ci met à ses affaires en lui remontrant que cela se saura et fera le pire
effet sur ses sujets. Enfin, j’ai peine à vous le dire ; mais on m’assure que
les lettres que je reçois de vous, et même celles que vous écrivez à la reine,
sont dictées par Louville. Pendant qu’il était auprès de moi, j’en ai reçu de
V. M., ainsi je sais qu’elle n’a pas besoin de secours pour bien écrire ; mais
le public pensera différemment. Il ne faut pas croire qu’il ignore de telles
particularités  : elles lui sont connues avant même qu’elles parviennent
jusqu’à moi, car on ne s’empresse pas de me donner de pareils avis. Jugez
de l’effet que ce bruit doit faire pour votre réputation. (Louis  XIV,
À Philippe V. 10 septembre 1702. Grimoard et Grouvelle, VI)
C’est une des plus grandes erreurs où puisse tomber un prince de
penser que ses défauts demeurent cachés.
Exposés comme ils sont, les rois doivent en effet être plus que tous les
hommes irréprochables  : Louis  XIV analyse de manière implacable, à
l’intention de son fils, la manière dont les fautes des monarques sont
décuplées par l’ostentation de la fonction. Je sais bien que ceux qui sont
nés comme vous avec des inclinations vertueuses ne s’emportent jamais à
ces scandaleuses extrémités qui blessent ouvertement la vue des peuples ;
mais il est bon pourtant que vous sachiez que dans le haut rang que nous
tenons, les moindres fautes ont toujours de fâcheuses suites. Celui qui les
fait a ce malheur qu’il n’en connaît jamais la conséquence que quand il
n’est plus temps d’y remédier. L’habitude qu’il prend au mal le lui fait
croire de jour en jour plus excusable et moins connu, tandis qu’il paraît aux
yeux du public plus honteux et plus manifeste  ; car c’est une des plus
grandes erreurs où puisse tomber un prince de penser que ses défauts
demeurent cachés, ni qu’on se porte à les excuser. (Louis XIV, Mémoires
pour l’année 1667)
Il est beau à un prince de montrer qu’il est informé de tout.
Inversement, le pouvoir peut se servir de la visibilité du roi pour donner
l’illusion de son omniprésence, propre à exciter les dévouements : c’est une
stratégie de communication antérieure à l’existence même des moyens
techniques pour la mettre efficacement en œuvre. Il est beau à un prince de
montrer qu’il est informé de tout, et que les services que l’on rend loin de
lui ne sont pas perdus. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
►  La symbolique du don
Les grâces […] n’obligeaient plus à vrai dire personne  ; bonnes
seulement désormais à maltraiter ceux à qui on voudrait les refuser.
Selon Louis XIV, le signe de l’affaiblissement de l’État lorsque s’ouvrit
son règne personnel se marquait notamment par la mauvaise politique des
grâces et des faveurs à laquelle il remédiera par une gestion subtile de
l’émulation et un art de gouverner par le don symbolique autant et plus
souvent que concret. Les grâces exigées et arrachées plutôt qu’attendues, et
tirées à conséquence de l’un à l’autre, n’obligeaient plus à vrai dire
personne ; bonnes seulement désormais à maltraiter ceux à qui on voudrait
les refuser. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Donnez à propos et libéralement ; et ne recevez guère de présents.
Le duc d’Anjou devenant roi d’Espagne devra, lui conseille son grand-
père, instituer une politique des grâces qui lui conserve toujours en dernier
lieu le gouvernement de la libéralité. Évitez, autant que vous pourrez, de
faire des grâces à ceux qui donnent de l’argent pour les obtenir. Donnez à
propos et libéralement ; et ne recevez guère de présents, à moins que ce ne
soit des bagatelles. Si quelquefois vous ne pouvez éviter d’en recevoir,
faites-en de plus considérables à ceux qui vous en auront donné après avoir
laissé passer quelques jours. (Louis XIV, Instructions pour le duc d’Anjou)
La reconnaissance est un devoir très pressé.
En revanche, Louis XIV presse son petit-fils, comme il le lui a conseillé
dans le texte d’où est extraite la citation précédente, de faire quelque chose
de considérable pour l’ambassadeur qui a été assez heureux pour vous
demander et pour vous saluer le premier en qualité de sujet. À quoi le jeune
prince, un peu dépassé par son nouvel emploi, tarde. J’attends avec
impatience ce que vous m’avez promis de faire pour le marquis de Castel
dos Rios. Ne perdez pas de temps pour me satisfaire sur ce que je vous
demande. La reconnaissance est un devoir très pressé. Le marquis sera fait
grand d’Espagne en juillet. (Louis XIV, À Philippe V. Marly, 27 juin 1701.
Grimoard et Grouvelle, VI)
Il est de la bonté d’un roi de compatir aux besoins de ses sujets.
Enfin, le vieux roi conseille à son petit-fils de ne pas renoncer à distribuer
des faveurs sous prétexte que beaucoup d’intrigants affectent d’être blessés
de ne pas être gratifiés. Vous avez raison de supprimer la mauvaise
coutume d’obtenir des grâces en affectant d’être mécontent ; mais il est de
la bonté d’un roi de compatir aux besoins de ses sujets, quand ils l’ont
toujours servi et qu’il n’y a pas lieu de leur reprocher de manquer à leur
devoir. (Louis  XIV, À  Philippe  V. Versailles, 17  janvier 1704, Lettres
inédites du Mémorial du Dépôt général de la guerre)
Voilà les sceaux que je vous remets.
L’art d’honorer, de nommer, de gratifier à bon escient s’accompagne de
celui d’envelopper le don dans des formes et des formules appropriées à la
personne et à la situation, colorant de noblesse ou de familiarité, de
grandeur ou d’élégance la déclaration officielle. Après vêpres, le roi
nomma chancelier M. de Boucherat, qui était conseiller d’État ordinaire et
l’un des deux conseillers de son Conseil royal de finances, et il lui donna en
même temps les sceaux, avec de grands témoignages d’estime et de
bienveillance, lui disant  : «  Monsieur, je vous ai toujours connu tant de
probité et de capacité que je vous ai choisi pour être chancelier. Voilà les
sceaux que je vous remets. C’est de quoi vous et moi pouvons faire
beaucoup de bien et de mal ; mes intentions ne sont que d’en faire un bon
usage, et c’est parce que je suis sûr des vôtres que je vous les confie avec
plaisir. » Tout le monde approuva ce choix, et il eût été difficile alors que le
roi en eût pu faire un meilleur. (Sourches, Mémoires, 1er novembre 1685)
Je suis assuré que j’ai eu plus de plaisir à vous donner cette place, que
vous n’en avez eu à la recevoir.
Autre élégance de forme accompagnant une nomination. Lorsque
Pontchartrain fut nommé chancelier : « Je suis assuré, lui dit le roi, que j’ai
eu plus de plaisir à vous donner cette place, que vous n’en avez eu à la
recevoir. » (Chaudon, Nouveau Dictionnaire historique)
J’ai eu plus de plaisir à vous donner le chapeau, que vous n’en avez
eu à le recevoir.
Exemple caractéristique de formule à applications variables. Le
monarque gratifia par la suite cet archevêque [Mgr de Noailles] du chapeau
de cardinal. Lorsque le nouveau cardinal vint remercier le roi de la pourpre
que Sa Majesté lui avait fait obtenir : « Je suis assuré, monsieur le cardinal,
lui répondit Louis, que j’ai eu plus de plaisir à vous donner le chapeau, que
vous n’en avez eu à le recevoir. » (Lacombe, Encyclopediana)
Si vous vous y étiez opposé, je me serais servi de mon autorité pour
vous le faire accepter.
Parfois, les louanges assaisonnant la nomination tendent à la familiarité
amicale, lorsqu’une certaine connivence, due à la naissance, à l’âge, à la
proximité ou à la destinée du récipiendaire s’est nouée entre lui et le roi.
Ainsi avec le duc de Beauvillier, nommé président du Conseil de finances
avant d’avoir atteint quarante ans. M. de Beauvillier accepta l’emploi dont
le roi l’avait honoré, disant toujours à S.  M. qu’il s’en croyait pourtant
incapable  ; le roi lui répondit  : «  Vous me faites plaisir de l’accepter de
bonne volonté, car, si vous vous y étiez opposé, je me serais servi de mon
autorité pour vous le faire accepter.  » M.  de  Beauvillier n’a pas encore
trente-huit ans. Sa jeunesse est une raison pour faire trouver la grâce encore
plus considérable. (Dangeau, Journal, 6 décembre 1688)
Madame, vous pouvez vous asseoir.
Mais le fin du fin demeure l’économie de mots et d’effets que garantit
l’implicite dans la manifestation des plus hautes faveurs. Lorsque
Louis  XIV a décidé de hisser en duché le marquisat du maréchal
d’Humières, c’est par une simple allusion au droit de tabouret garanti par
le rang ducal qu’est proclamée délicatement cette grâce insigne. Mme la
maréchale d’Humières était debout auprès de Mme de Chaulnes, comme le
roi venait souper  ; il démêla [i.e. distingua du regard parmi les autres
dames] cette maréchale, et lui dit en se mettant à table : « Madame, vous
pouvez vous asseoir. » Elle fit une grande révérence, et s’assit, et l’histoire
finit ainsi. (Sévigné, À Mme de Grignan, 23 avril 1690)
Je m’en vais vous faire honneur de vos beaux sentiments. 
D’autres fois, l’exercice tourne à la saynète avec assaut réciproque de
bonnes manières  : le roi comble sans accabler. Le roi envoya quérir le
lendemain M. de Marsillac, et lui dit : « Je vous donne le gouvernement de
Berry, qu’avait Lauzun. » Marsillac répondit : « Sire, que Votre Majesté qui
sait mieux les règles de l’honneur que personne du monde, se souvienne,
s’il lui plaît, que je n’étais pas ami de M. de Lauzun ; qu’elle ait la bonté de
se mettre un moment à ma place, et qu’elle juge si je dois accepter la grâce
qu’elle me fait. — Vous êtes, dit le roi, trop scrupuleux, M. le Prince, j’en
sais autant qu’un autre là-dessus, mais vous n’en devez faire aucune
difficulté. — Sire, puisque Votre Majesté l’approuve, je me jette à ses pieds
pour la remercier. — Mais, dit le roi, je vous ai donné une pension de douze
mille francs en attendant que vous ayez quelque chose de mieux. — Oui,
Sire, je la remets entre vos mains. — Et moi, dit le roi, je vous la redonne
encore une fois, et je m’en vais vous faire honneur de vos beaux
sentiments. » En disant cela, il se tourna vers les ministres, leur conta les
scrupules de M.  de  Marsillac, et dit  : «  J’admire la différence  ; jamais
Lauzun n’avait daigné me remercier du gouvernement de Berry et n’en
avait pas pris les provisions [recevoir officiellement les titres pour entrer en
fonction], et voilà un homme comblé de reconnaissance.  » (Sévigné,
À Mme de Grignan, 23 décembre 1671.)

LES SUBTILITÉS DE L’ÉTIQUETTE


Un carrosse où vous êtes devient le vôtre.
La politique de l’image a sa législation : c’est l’étiquette. Louis XIV y est
profondément attaché, au point de lui donner le pas sur la politesse, par
exemple lorsque la suprématie du monarque et de sa lignée sur tout et sur
tous peut y être engagée. Un jour de 1696, au retour de la chasse, le Grand
Dauphin a occupé par commodité le carrosse de M. le Duc son cousin et y
a fait monter deux gentilshommes de sa maison, sans oser y convier, par
respect de l’étiquette, ceux du légitime propriétaire, quoiqu’il restât de la
place. Cela ne laissa pas de faire quelque peine à Monseigneur, par bonté ;
et le soir, pour sonder ce que le roi penserait, il lui conta son aventure et
ajouta qu’il n’avait osé faire monter ces messieurs avec lui. « Je le crois
bien, lui répondit le roi en prenant un ton élevé ; un carrosse où vous êtes
devient le vôtre, et ce n’est pas à des domestiques de prince du sang à y
entrer. » (Saint-Simon, Mémoires, année 1696)
Cela s’appelle savoir vivre.
Ce respect peut aller jusqu’à une symbolique presque religieuse qui brille
plaisamment dans le récit suivant, que Saint-Simon rapporte pour l’avoir
entendu du roi lui-même. J’ai ouï conter au feu roi qu’étant encore fort
jeune, mais majeur, il avait écrit à M. de Montbazon par un de ses valets de
pied. M. de Montbazon était grand veneur et gouverneur de Paris, où il y
avait lors bien des affaires dont ce duc se mêlait. Le valet de pied, parti de
Saint-Germain, ne le trouva point à Paris et l’alla chercher à Coupevray où
il était. M. de Montbazon s’allait mettre à table. Il reçut la lettre, y répondit,
la donna au valet de pied qui lui fit la révérence pour s’en retourner. « Non
pas cela, lui dit le duc de Montbazon, vous êtes venu de la part du roi, vous
me ferez l’honneur de dîner avec moi » ; le prit par la main et le mena dans
la salle, le faisant passer devant lui aux portes. Ce valet de pied confondu et
qui ne s’attendait à rien moins se fit tirer d’abord, puis tout éperdu se laissa
faire et mettre à la belle place. Il y avait force compagnie à dîner, ce que le
roi n’oublia pas, et toujours le valet de pied servi de tout le premier par le
duc de Montbazon. Il but à la santé du roi, et pria le valet de pied de lui dire
qu’il avait pris cette liberté avec toute la compagnie. Au sortir de table, il
mena le valet de pied sur le perron, et n’en partit point qu’il ne l’eût vu
monter à cheval. « Cela s’appelle savoir vivre », ajouta le roi. Il a fait ce
conte souvent, et toujours avec complaisance, et, je pense, pour instruire les
gens de ce qui lui était dû, et de quelle sorte les seigneurs anciens savaient
en faire leur devoir. (Saint-Simon, Mémoires, année 1704)
La faire ôter de là.
Le souci de tout soumettre à l’étiquette peut sembler parfois vétilleux.
Mais c’est qu’il est motivé par la nécessité de faire respecter la hiérarchie
des rangs dans une cour où les tentatives d’usurpation sont monnaie
courante. Saint-Simon, enragé de préséance, les enregistre avec une
précision obsessionnelle et se réjouit de trouver le roi tout aussi enragé que
lui sur le sujet. À une musique où le roi était, à Versailles, Mlle de Melun,
qui s’accoutumait à n’être plus si polie, se trouva la première après la
dernière duchesse. Bientôt après il en arriva une autre, qui alla pour se
placer, et à qui tout fit place en se baissant [en se décalant d’un siège, signe
d’abaissement de rang], comme cela se faisait toujours. Mlle de Melun ne
branla pas, et ne fit que se lever et se rasseoir. C’était la première fois que
femme ou fille non titrée, même maréchale de France, n’eût pas donné sa
place en ces lieux-là aux duchesses et aux princesses étrangères ou en ayant
rang. Le roi, qui le vit, rougit, la montra à Monsieur, et, comme il se
tournait de l’autre côté où était Mlle de Melun, en levant la voix, Monsieur
l’interrompit, et le prenant par le genou, se leva et lui demanda, tout effrayé,
ce qu’il allait faire. « La faire ôter de là », dit le roi en colère. Monsieur
redoubla d’instances pour éviter l’affront, et se donna pour caution que cela
n’arriverait jamais. Le roi eut peine à se contenir le reste de la musique.
Tout ce qui y était voyait bien de quoi il était question, et la fille, entre deux
duchesses, se pâmait de honte et de frayeur jusqu’à perdre toute contenance.
Au sortir de là Monsieur lui lava bien la tête et la rendit sage pour l’avenir.
(Saint-Simon, Mémoires, année 1698)
Le mieux est de laisser les choses comme elles se trouvent, et de n’y
prendre pas garde.
Reste que ce respect de l’ordre établi peut s’accomplir d’une manière qui
sait être souple et devenir comme une seconde nature, avec ses
accommodements. Lesquels, en enfreignant au besoin les règles de
l’étiquette, rendent parfois meilleure justice à leur esprit. J’ai reçu votre
lettre du 18 de ce mois ; je me réjouis de la parfaite santé de mon fils. Vous
avez bien fait de m’avertir de ce qui se passe à l’égard des places de son
carrosse [la hiérarchie de placement entre les occupants] ; il est vrai que
j’en ai usé quelquefois pour les places du mien de la même manière que
vous dites, j’avais mes raisons, mais le mieux est de laisser les choses
comme elles se trouvent, et de n’y prendre pas garde. (Louis XIV, Au duc
de Montausier. Au camp d’Haspres, 21 mars 1677. Grimoard et Grouvelle,
V)
Et moi […], pour [mon devoir], je ne vous y dois pas laisser venir. 
Comment les subtilités de l’étiquette se transforment en assauts de bonnes
manières  : la Grande Mademoiselle est sujette du roi, mais comme lui
petite-fille d’Henri IV. À quel degré doit donc se manifester sa soumission
dans l’éclat de son rang ? Louis XIV, par élégance, refuse d’être reconduit
à sa voiture. Elle, par devoir, veut le faire. On notera donc que sa crainte à
elle n’est pas de s’humilier, mais, ne le faisant pas, de sembler arrogante :
en ces matières, on est toujours trois — le supérieur, l’inférieur et le public.
L’après-dînée le roi me vint voir, qui m’entretint le plus civilement du
monde  ; je le voulus aller conduire  ; il ne voulut pas, faisant des
compliments comme aurait fait un autre  ; pourtant j’allai jusqu’à son
carrosse, et je lui disais : « Si Votre Majesté ne me veut pas laisser aller
pour elle, qu’elle m’y laisse aller pour le monde, qui croirait que je ne
saurais pas faire mon devoir. — Et moi, dit-il, pour le mien, je ne vous y
dois pas laisser venir.  » Comme il fut à son carrosse il me dit  : «  Vous
m’ordonnez donc de monter ; car sans cela je n’oserais devant vous. » Enfin
rien ne me parut plus civil. (Montpensier, Mémoires, année 1657)
Et ensuite nous vivrons sans façon.
Le même souci d’établir à partir des règles de l’étiquette un modus
vivendi plus aisé s’exprime dans la manière dont Louis XIV organise les
délicates relations entre lui et le roi d’Angleterre Jacques II, réfugié en
France après avoir été chassé de son trône par Guillaume d’Orange. Le
plus juste équilibre entre le souci du prestige protocolaire et celui de
l’élégance de manières et de cœur guide l’institution de cette régulation
future, une fois le cérémonial d’accueil accompli dans les formes, elles-
mêmes infléchies par la politesse et la délicatesse. Le roi d’Angleterre se
baissa jusqu’à ses genoux ; le roi l’embrassa et ils demeurèrent longtemps à
s’entr’embrasser et ensuite le roi, lui tenant toujours la main, le mena dans
la chambre de la reine sa femme, et le lui présenta, lui disant : « Je vous
amène un homme que vous serez bien aise de voir. » Le roi d’Angleterre
demeura longtemps dans les bras de la reine, et ensuite le roi lui présenta
Monseigneur, M. de Chartres, les princes du sang, le cardinal de Bonzy et
quelques-uns des courtisans que le roi d’Angleterre connaissait. Puis le roi
mena le roi d’Angleterre chez le prince de Galles, et après l’avoir ramené
chez la reine, en se séparant il lui dit : « Je ne veux point que vous me
conduisiez  ; vous êtes encore aujourd’hui chez moi. Demain vous me
viendrez voir à Versailles comme nous en sommes convenus, je vous en
ferai les honneurs, et vous me les ferez de Saint-Germain la première fois
que j’y viendrai, et ensuite nous vivrons sans façon. » (Dangeau, Journal,
7 janvier 1689)
Suivez-moi, il est dans mon autre cabinet.
L’étiquette habilement utilisée peut concourir à assouplir l’autorité et lui
permettre d’ordonner sans humilier. En 1707, Louis  XIV souffre de la
mésentente entre le ministre Chamillart et le maréchal de Catinat qui lui
doit d’avoir été écarté de la guerre de Succession d’Espagne pour des
défaites dont la responsabilité incombait plutôt à la mauvaise politique du
premier, en charge du secrétariat d’État à la guerre. C’est à Catinat,
fauteur de la mésentente, que Louis  XIV impose la démarche de
réconciliation. Mais de lui-même il l’adoucit en s’étant arrangé pour que le
maréchal ne soit pas contraint d’aller dans le cabinet de son ennemi
solliciter leur bonne entente. Le 21, le roi ayant vu le maréchal de Catinat à
la porte de son cabinet, quand il y entra après son lever, lui dit d’attendre un
moment et qu’il avait un mot à lui dire. Un quart d’heure après, il le fit
entrer, et après quelques discours, il lui dit : « Monsieur, il n’est pas bien
que d’aussi honnêtes gens que vous et M.  de  Chamillart viviez plus
longtemps mal ensemble ; cela ne convient pas à mon service et vous me
ferez plaisir d’y mettre fin. » Le maréchal répondit au roi : « Je cours chez
lui pour l’embrasser et lui demander son amitié. —  Non, monsieur le
maréchal, lui dit le roi, cela ne vous convient pas ; suivez-moi, il est dans
mon autre cabinet.  » En même temps, ils passèrent dans le cabinet aux
perruques, où était le ministre d’État de Chamillart et ils s’embrassèrent en
présence du roi, chacun d’eux témoignant à l’autre le déplaisir qu’il avait du
passé. Au sortir de là, le maréchal de Catinat alla voir le ministre d’État de
Chamillart chez lui dans son cabinet, et tout le monde conjectura que le
maréchal de Catinat commanderait l’année suivante l’armée en Dauphiné.
(Sourches, Mémoires, 21 novembre 1707)
On n’a jamais été à la procession en écharpe.
En revanche, un apparent souci d’étiquette ou de mise peut constituer un
prétexte pour manifester de l’humeur envers quelqu’un que l’on a pris en
grippe. Dans les années 1690, les relations de Louis  XIV avec Madame
Palatine sont un peu tendues, effet sans doute des termes malsonnants dont
la princesse, grande épistolière, assaisonne le ménage du roi avec cette
parvenue de Mme  de  Maintenon. Or aucune correspondance n’est
inviolable pour la police du roi. Il fait un tel froid ici qu’on ne sait que
faire. Hier, à la grand’messe, je crus que j’aurais les pieds gelés, car quand
on est avec le roi il n’est pas permis, par respect, d’avoir une chancelière.
J’eus un dialogue bien comique avec notre roi. Il me tançait vertement de ce
que j’avais mis une écharpe  : «  On n’a jamais estes à la procession en
escharpe, dit-il. — Cela se peut, répondis-je, mais il n’a jamais fait aussi
froid qu’il fait. —  Auttrefois, dit le roi, vous n’en metties pas.
— Auttrefois, repliquai-je, j’estois plus jeune et ne sentois pas tant le froid.
— Il y en avoit de plus vielle que vous, dit-il, qui ne mestois pas d’echarpe.
— Ce [c’est] que, répondis-je, ces vielles la aimoit mieux ce geller que de
mettre quelque chose qui ne sioit [seyait] pas bien, et moy j’aime mieux
estre mal misse et ne me pas morfondre la poictrine. Car je ne me pique pas
de gentillesse.  » À  quoi il ne répondit rien. (Madame Palatine,
Correspondance, 3 février 1695. Orthographe originale)
L’ENVERS DU DÉCOR : MACHIAVÉLISME À LA FRANÇAISE ?
Les armées, les conseils, toute l’industrie humaine seraient de faibles
moyens pour nous maintenir sur le trône, si chacun […] ne révérait pas
une puissance supérieure, dont la nôtre est une partie.
Premier et très ancien agent de publicité et de police de tous les régimes
de droit divin : la religion, utilisée à des fins de maintien de l’ordre social et
d’obéissance au pouvoir. Nous ne manquons pas seulement de
reconnaissance et de justice, mais de prudence et de bon sens, quand nous
manquons de vénération pour Celui dont nous ne sommes que les
lieutenants. Notre soumission pour Lui est la règle et l’exemple de celle qui
nous est due. Les armées, les conseils, toute l’industrie humaine seraient de
faibles moyens pour nous maintenir sur le trône, si chacun y croyait avoir
même droit que nous, et ne révérait pas une puissance supérieure, dont la
nôtre est une partie. Les respects publics que nous rendons à cette puissance
invisible, pourraient enfin être nommés justement la première et la plus
importante partie de toute notre politique, s’ils ne devaient avoir un motif
plus noble et plus désintéressé. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
On peut établir pour un principe général que tous [les hommes] ont
une pente secrète vers leur avantage particulier, et que la vertu des plus
honnêtes gens est malaisément capable de les défendre de ce
mouvement naturel.
C’est que derrière les principes, il y a la réalité : l’intérêt, le froid intérêt,
est ce qui guide les hommes et les nations, au mépris de l’intégrité, qui est
rare, et du désintéressement, qui est rarissime. Un monarque doit composer
avec cela, et même pactiser. Il y a cette différence entre le sage monarque et
le mal avisé, que ce dernier sera presque toujours mal servi par ceux même
qui passent pour les plus honnêtes gens du monde, au lieu que l’autre saura
très souvent tirer de bons services et de bons avis de ceux même dont
l’intégrité pourrait être la plus suspecte. Car enfin, dans tout ce qui regarde
la conduite des hommes, on peut établir pour un principe général que tous
ont une pente secrète vers leur avantage particulier, et que la vertu des plus
honnêtes gens est malaisément capable de les défendre de ce mouvement
naturel, si elle n’est quelquefois soutenue par la crainte ou par l’espérance.
Et quand même il se rencontrerait quelqu’un d’exempt de cette règle
générale, c’est un bonheur tellement singulier que la prudence ne permet
pas que l’on s’assure jamais pleinement de l’avoir trouvé. (Louis  XIV,
Mémoires pour l’année 1666)
Réglant leurs pensées sur leurs intérêts…
Application du précepte ci-dessus à propos des conseils que reçoit le
prince de ses proches  : durant la guerre de Dévolution, tandis que
Louis  XIV prépare la campagne de 1668, sa cour se partage entre
bellicistes et pacifistes pour des raisons qu’il n’a garde de croire
désintéressées. Cependant toute ma cour n’était pas aussi d’un même avis
sur cette affaire, et plusieurs, réglant leurs pensées sur leurs intérêts,
trouvaient des raisons pour la paix ou pour la guerre, selon que l’une ou
l’autre pouvait augmenter ou leur fonction ou leur crédit. Mais comme leurs
motifs m’étaient connus, leurs raisonnements ne faisaient d’impression sur
mon esprit qu’autant qu’ils tendaient au bien de mes affaires, et ne me
tiraient jamais de l’égalité que je m’étais proposé de garder en mon
jugement. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
Un prince habile doit savoir mettre toutes choses en usage pour
parvenir à ses fins.
La nature du régime permettrait-elle de hiérarchiser la vertu des États ?
Pour Louis XIV, se fier à la parole des États républicains ou oligarchiques
serait imprudent, car ils n’ont pas la vertu du prince pour les guider  :
l’intérêt seul règne en eux. Faut-il pour autant renoncer à traiter ou s’allier
avec eux ? Non, pourvu qu’on n’en attende pas ce qu’ils ne sauraient offrir.
De ces vérités, mon fils, l’instruction que vous pouvez tirer n’est pas qu’on
doive s’abstenir absolument de toute sorte de société avec ces sortes
d’États. Car, au contraire, je tiens qu’un prince habile doit savoir mettre
toutes choses en usage pour parvenir à ses fins. Mais il faut seulement que
dans le procédé que nous tenons avec eux, nous établissions pour principale
maxime que, quoi que nous puissions faire pour eux, ou de fâcheux ou
d’obligeant, ils ne manqueront jamais de nous rechercher toutes les fois
qu’ils croiront y voir quelque profit et ne balanceront aussi jamais à nous
quitter dès lors qu’ils trouveront quelque danger à nous suivre. (Louis XIV,
Mémoires pour l’année 1666)
Encore qu’il soit de la probité d’un prince d’observer
indispensablement ses paroles, il n’est pas de sa prudence de se fier
absolument à celle d’autrui.
Au demeurant, se fier aux engagements des États, républicains ou
monarchiques, est toujours naïf, comme l’illustre le manquement de parole
des Suédois en 1666 à l’égard de l’Angleterre en dépit du traité qui les liait.
Il était aisé de découvrir que la véritable raison de leur procédé était
seulement qu’ils croyaient trouver plus d’avantage à quitter dans cette
occasion le roi d’Angleterre qu’à le servir comme ils avaient promis. D’où
je crois que vous devez apprendre deux choses : l’une, que ni la religion des
traités ni la foi des paroles données ne sont assez fortes pour retenir ceux
qui naturellement sont de mauvaise foi ; et l’autre, que dans l’exécution de
nos desseins, nous ne devons faire de fondement que sur la connaissance de
nos propres forces. Encore qu’il soit de la probité d’un prince d’observer
indispensablement ses paroles, il n’est pas de sa prudence de se fier
absolument à celle d’autrui. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Quand la raison qui a fait promettre ne subsiste plus, on trouve peu
de gens qui fassent subsister leurs promesses.
C’est aussi que, même lorsqu’on se donne pour règle formelle de
respecter les traités, encore peut-on toujours recourir à des arguties pour y
manquer : pour contourner les principes, le réalisme trouve alliance dans
la casuistique. Il n’est point de clause si nette qui ne souffre quelque
interprétation, et dès lors qu’on a pris la résolution de se dédire, on en
trouve aisément le prétexte. Chacun parle dans les traités suivant ses
intérêts présents  ; mais la plupart tâchent après d’expliquer leurs paroles
suivant les conjectures qui se présentent, et quand la raison qui a fait
promettre ne subsiste plus, on trouve peu de gens qui fassent subsister leurs
promesses. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Il est […] plus avantageux à toute l’Europe, et même plus conforme à
l’objet du traité, de suivre la disposition faite par le feu roi d’Espagne.
À propos d’argutie, en voici une qui touche à l’affaire diplomatique
majeure du règne  : l’acceptation du testament du dernier Habsbourg
d’Espagne en faveur du duc d’Anjou et la guerre qui s’ensuivit. Elle suscita
une énorme correspondance, dont une longue lettre à l’ambassadeur de
France en Hollande, au lendemain de la proclamation, où Louis  XIV
explique, pour que ce soit répété aux États généraux de La Haye, ses
raisons d’avoir accepté les dernières dispositions arrêtées par Charles II
d’Espagne, dans l’idée de convaincre ses interlocuteurs que son intérêt est
le leur tout autant, et celui de l’Europe entière. Il suffit de vous dire que,
depuis deux jours que j’en avais connaissance, j’avais examiné avec la
dernière attention tous les inconvénients et tous les avantages, ou de s’en
tenir au traité [traité de partage des possessions espagnoles, signé en
octobre 1698 et amendé en mars 1700, qui remettait l’Espagne à l’archiduc
Charles de Habsbourg et Naples, la Sicile, la Lorraine et le Guipuscoa au
Dauphin de France], ou d’accepter le testament. Je voyais dans le premier
parti l’utilité d’unir plusieurs États à ma Couronne, d’affaiblir une
puissance de tout temps jalouse de la mienne. Je considérais les liaisons
prises avec le roi d’Angleterre et avec les États généraux, et l’idée de
conserver la tranquillité générale, en exécutant ponctuellement le traité de
partage. D’un autre côté, j’avais lieu de croire que plus ma puissance
augmentait par la réunion des États que mon fils s’était réservés, plus je
trouverais d’obstacles à l’exécution du traité. […] Il fallait […], pour
exécuter ce traité, conquérir tous les États dépendants de la couronne
d’Espagne, pour les distribuer ensuite selon le partage [car refuser le
testament, c’était laisser l’archiduc, second dans l’ordre successoral,
accepter toutes les possessions de la monarchie espagnole, dépecée par le
traité qui avait prévu d’en distribuer prématurément une partie à l’héritier
français]. Cette résolution excitait nécessairement une guerre, dont il était
impossible de prévoir jamais la fin : rien n’était plus opposé à l’esprit du
traité. Je vois, au contraire, qu’en acceptant le testament, personne n’est en
droit de se plaindre, lorsque mon fils veut bien céder ses droits, comme il
les cède au duc d’Anjou ; que tout prétexte de guerre cesse ; que l’Europe
n’a point à craindre la réunion de tant d’États sous une même puissance ;
que la mienne n’est point augmentée ; que les choses demeurent comme
elles ont été depuis un si grand nombre d’années ; qu’il est par conséquent
plus avantageux à toute l’Europe, et même plus conforme à l’objet du traité,
de suivre la disposition faite par le feu roi d’Espagne. (Louis  XIV, Au
comte de Briord. Fontainebleau, 14 novembre 1700. Grimoard et Grouvelle,
VI)
Il faut se contenter de donner de bonnes paroles au roi d’Angleterre.
Bref, la diplomatie requiert un double langage, qu’il faut bien employer,
mais dont on doit en retour se méfier. En 1661, Charles  II d’Angleterre
avait sondé l’ambassadeur de France sur l’appui que Louis XIV pourrait
apporter au rétablissement de Guillaume d’Orange, gendre du souverain
britannique, dans sa charge de stathouder de Hollande dont l’a écarté
l’oligarchie dominée par le grand-pensionnaire Jean De Witt, plutôt
favorable à la France. Voici la prudente réponse du roi de France. La
confidence que vous a faite le roi d’Angleterre mon frère […] m’a paru une
manière de négocier fort adroite, pour m’engager dans une affaire où il ne
me semble pas que je doive entrer si avant  ; car outre que dans la
disposition où se trouvent présentement messieurs les États d’Hollande, rien
ne les peut choquer davantage qu’un pareil dessein, parce qu’ils voient
aussi bien que le roi d’Angleterre la fin qu’il se propose en cela, qui est de
les rendre plus dépendants de lui, à quoi sans doute il les trouvera
contraires, je considère d’ailleurs [d’autre part] que ne pouvant m’assurer
du roi d’Angleterre, ni de Mme  la princesse douairière d’Orange, ni de
M. l’électeur de Brandebourg, je ferais un méchant personnage dans cette
affaire, je dis même quand elle réussirait ; parce que j’aurais désobligé les
États de Hollande pour accroître l’autorité de l’Angleterre dans leur État, ce
qui ne me convient pas, et je n’aurais pas gagné pour cela M.  le prince
d’Orange, qui croirait en avoir la principale obligation à son oncle. Ainsi je
juge qu’en ce point-ci, il faut se contenter de donner de bonnes paroles au
roi d’Angleterre, lui témoigner que je souhaite tous les avantages de la
maison d’Orange, tant par l’affection que j’ai pour le prince, que par
l’intérêt qu’y prend mon-dit frère ; mais s’il me presse de passer au-delà, et
de le déclarer par des offices publics de mon ambassadeur à La Haye,
j’aurai un bon prétexte de m’en défendre, sur les attachements de
M. l’électeur de Brandebourg et de Mme la princesse douairière d’Orange,
qui m’empêchent de pouvoir m’assurer de leur affection. (Louis XIV, Au
comte d’Estrades. Fontainebleau, 5 août 1661. Grimoard et Grouvelle, V)
Il y avait bien de meilleures raisons à dire pour un habile homme qui
veut excuser des longueurs [:] sa goutte, les affaires du nouveau
Parlement en son commencement, l’inapplication de quelques ministres
subalternes…
Retour de mauvais procédé, l’Angleterre traîne les pieds pour renouveler
son alliance avec la France et justifie son retard par l’attente du nouvel
ambassadeur de France à Londres, le comte de Comminges. Louis XIV qui
s’y connaît en prétextes «  diplomatiques  » moque cette vaine excuse du
chancelier Hyde. Il y avait bien de meilleures raisons à dire pour un habile
homme qui veut excuser des longueurs. Sa goutte, les affaires du nouveau
Parlement en son commencement, l’inapplication de quelques ministres
subalternes, tout cela valait encore mieux, que de se plaindre que le sieur de
Comminges n’a pas encore pris la qualité d’ambassadeur. Il est absurde de
dire qu’elle soit nécessaire pour faire un traité  : il suffit d’en avoir le
pouvoir. Lionne a traité la paix, même à Madrid, caché dans un trou de
Buen-Retiro. D’ailleurs ils savent bien en Angleterre, qu’eux-mêmes ont été
cause que Comminges a différé son entrée, par des difficultés que je puis
dire sans raison, quoique, pour les mettre dans leur tort, je me suis depuis
accommodé à une partie de ce qu’ils ont voulu. (Louis  XIV, Au comte
d’Estrades. Paris, 13 avril 1663. Grimoard et Grouvelle, V)
Je ne sais pas que leur dire, après leur avoir une fois donné et si
souvent confirmé ma parole royale.
Si bien que dans le domaine diplomatique Louis XIV aura oscillé entre
une attitude de sublimité gouvernée par le souci de sa gloire et une habileté
de manœuvrier souterrain qui louvoie en se moquant de principes que
personne ne respecte. En décembre 1666, il monte sur ses grands chevaux
parce que les Hollandais penchent à interpréter le retard de la flotte
française appelée à leur rescousse contre l’Angleterre comme une
hésitation de la France à respecter ses engagements envers eux. Or, à la
même époque, il négocie effectivement en sous-main avec l’Angleterre et a
conclu un accord avec Charles II. Ce qui ne l’empêche pas de fulminer du
haut de l’Olympe en alléguant aux Hollandais sa parole royale. Aussi bien,
sa démonstration de bonne foi s’appuie (significativement  ?) sur le
développement des échappatoires de mauvaise foi qu’il aurait pu alléguer
pour rester hors du conflit. Je n’aurais eu, pour m’en dispenser, qu’à
soutenir pour bonnes les raisons que le roi d’Angleterre employait et qui
paraissaient assez plausibles, pour prouver qu’il n’était pas l’agresseur en
cette guerre. Ce parti était bien plus sûr, plus commode, et de moins de
dépense pour moi, que de corrompre aujourd’hui, par une infidélité que je
détesterais fort en autrui, tout le fruit de l’obligation que j’ai acquis sur les
États [généraux des Provinces-Unies] en cette rencontre ; ainsi je ne saurais
vous exprimer assez l’indignation que je conçois, de me voir obligé de vous
mander quelque chose sur cette matière, et que le moindre billet que
quelque méchant donneur d’avis s’avise d’écrire cause des frayeurs et des
alarmes dans les Provinces-Unies. […] Il n’y a qu’à considérer la boutique
où se fabriquent ces sortes de machines pour nous diviser, et que c’est à
Bruxelles ou à Londres ; et à dire vrai, nous serions bien imprudents si nous
tombions dans ces pièges-là ; pour moi, je n’y donnerai jamais de lieu, et il
me semble que les circonspections que j’apporte à toute ma conduite vont
jusqu’au scrupule. […] il est bien nécessaire que les États se mettent, une
fois pour toutes, au-dessus de ces bruits, et pour cela je ne sais pas que leur
dire, après leur avoir une fois donné et si souvent confirmé ma parole
royale. (Louis  XIV, Au comte d’Estrades. Saint-Germain-en-Laye,
24 décembre 1666. Grimoard et Grouvelle, V)
En se dispensant également d’observer les traités, à la rigueur on n’y
contrevient pas, parce qu’on n’en a point pris les paroles à la lettre.
Quant à ce que vaut cette «  parole royale  », le prix en est sévèrement
amoindri par cette leçon de réalisme et de casuistique diplomatiques (voire
machiavéliques  ?) que le roi donne à son fils à propos cette fois de ses
rapports avec l’Espagne. Je toucherai ici, mon fils, un endroit peut-être
aussi délicat que pas un autre, dans la conduite des princes. […] L’état des
deux couronnes de France et d’Espagne est tel aujourd’hui [en 1668], et
depuis longtemps dans le monde, qu’on ne peut élever l’une sans abaisser
l’autre. […] Et à dire la vérité et sans déguisement, elles n’entrent jamais
ensemble qu’avec cet esprit dans aucun traité. Quelques clauses spécieuses
qu’on y mette d’union, d’amitié, de se procurer respectivement toutes sortes
d’avantages, le véritable sens que chacun entend fort bien de son côté, par
l’expérience de tant de siècles, est qu’on s’abstiendra de toute sorte
d’hostilités et de toutes démonstrations publiques de mauvaise volonté, car
pour les infractions secrètes et qui n’éclateront point, chacun les attend de
l’autre, par le principe naturel que j’ai dit, et ne promet le contraire qu’au
même sens qu’on le lui promet. Ainsi on pourrait dire qu’en se dispensant
également d’observer les traités, à la rigueur on n’y contrevient pas, parce
qu’on n’en a point pris les paroles à la lettre, quoiqu’on n’ait pu employer
que celles-là, comme il se fait, mais d’une autre sorte, dans le monde en
celles des compliments, absolument nécessaires pour vivre ensemble, et qui
n’ont qu’une signification bien au-dessous de ce qu’elles sonnent.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Il vaut mieux essuyer quelque contradiction et parler en maître, que
de vous contraindre à écrire de deux manières entièrement opposées.
Et pourtant, il est de la dignité  d’un prince de ne pas tenir un double
langage, enseigne Louis  XIV à son petit-fils Philippe  V. Contradiction  ?
Non, si l’on considère que Philippe V manque de parole dans les relations
privées et par faiblesse : le mensonge est licite dans les relations de force et
quand il est une arme de la force. Les marques de la confiance que vous
prenez en moi, me font toujours un sensible plaisir. J’userai aussi de cette
même confiance pour vous avertir, comme un fils que j’aime tendrement,
qu’étant maître et roi, il convient moins au rang où vous êtes qu’à quelque
état que ce soit, de chercher des détours pour expliquer vos véritables
sentiments. La crainte de quelque embarras domestique est une raison trop
faible pour vous obliger à déguiser la vérité que V. M. a toujours aimée. Il
vaut mieux essuyer quelque contradiction et parler en maître, que de vous
contraindre à écrire de deux manières entièrement opposées. (Louis XIV,
À Philippe V. 3 février 1705. Grimoard et Grouvelle, VI)
Je perdrais beaucoup en cet échange, puisque celui-ci joindrait
l’habileté à la malice de l’autre.
Bref, alors que le gouvernement de l’État requiert une parole forte et unie
pour asseoir le pouvoir du monarque, la diplomatie suppose l’art de
ménager, d’aménager, de s’adapter et de louvoyer. Faut-il souhaiter le
rappel de l’ambassadeur de Hollande à Paris, Willem Boreel, diplomate
rusé que l’on réputait peu fiable ? Réponse froidement réaliste, cynique et
cinglante, dans cette lettre de Louis XIV à son ambassadeur à La Haye, en
termes de politique du moindre mal. Il est infaillible que, Boreel étant
rappelé, on substituera Van Beuningen en sa place  ; ainsi je perdrais
beaucoup en cet échange, puisque celui-ci joindrait l’habileté à la malice de
l’autre. Les réflexions que vous faites là-dessus sont fort judicieuses, et je
trouve bon que vous ne fassiez aucune démarche pour la révocation dudit
Boreel. (Louis  XIV, Au comte d’Estrades. Versailles, 17  août 1663.
Grimoard et Grouvelle, V)
[L]es vues secrètes que j’avais alors
Autre aveu de cynisme ou du moins de réalisme bien entendu se masquant
en grandeur d’âme : en 1668, outre les raisons louables d’accepter la paix
avec l’Espagne que lui conseillent les médiateurs hollandais au moment où
il triomphe par les armes dans la guerre de Dévolution, Louis XIV en avoue
à son fils de plus obscures fondées sur des motifs de «  psychologie  »
diplomatique. Mais, outre ces raisons qui pouvaient être alléguées par tout
le monde, il y en avait d’autres qui dépendaient purement des vues secrètes
que j’avais alors : car, à dire vrai, je ne regardais pas seulement à profiter de
la conjoncture présente, mais encore à me mettre en état de me bien servir
de celles qui vraisemblablement pouvaient arriver. Dans les grands
accroissements que ma fortune pouvait recevoir, rien ne me semblait plus
nécessaire que de m’établir, chez mes plus petits voisins, dans une estime
de modération et de probité qui pût adoucir en eux ces mouvements de
frayeur que chacun conçoit naturellement à l’aspect d’une trop grande
puissance. Et je considérais que je ne pouvais faire paraître ces vertus avec
plus d’éclat qu’en me faisant voir ici, les armes à la main, céder pourtant à
l’intercession de mes alliés et me contenter d’un dédommagement
médiocre. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1668)
C’est une cour [celle d’Angleterre] où l’on fait d’ordinaire beaucoup
par l’argent.
Et si l’on ne peut feindre la grandeur généreuse, il est des générosités plus
obscures mais tout aussi efficaces  : au début de son règne personnel,
Louis XIV veut, au mépris des clauses de la paix des Pyrénées, soutenir le
Portugal qui lutte contre l’Espagne pour sauvegarder son indépendance.
Afin de s’en cacher, le jeune roi de France essaie de le faire par le
truchement de l’Angleterre. Pour quoi il tâche de s’assurer l’appui du
chancelier Edward Hyde, comte de Clarendon, qui a l’oreille de Charles II,
et pour cela de le corrompre, parce que c’est une cour où l’on fait
d’ordinaire beaucoup par l’argent […]. Je liai avec lui en particulier une
négociation très secrète, dont mon ambassadeur même en Angleterre ne
savait rien, et lui envoyai un homme d’esprit [La Bastide de La Croix], et
qui, sous prétexte d’acheter du plomb pour mes bâtiments, avait des lettres
de crédit jusqu’à cinq cent mille livres, qu’il offrit de ma part à ce ministre,
sans lui demander que son amitié. (Louis  XIV, Mémoires pour l’année
1661)
Moyennant quoi je vins à bout du traité.
Et d’ailleurs la chose n’a rien, semble-t-il, de plus rare ou plus illégal que
ne le sont de nos jours les commissions versées aux intermédiaires pour
garantir la signature d’un contrat. En 1666, Louis  XIV s’assure par ces
moyens l’alliance du Brandebourg. Outre le présent que j’ai fait à
l’électrice de Brandebourg, je trouvai à propos de lui faire donner encore un
collier [nous savons par Hugues de Lionne qu’il s’agissait d’un fil de perles
acheté à Amsterdam 10 000 écus, et en tout l’ameublement complet d’une
chambre qui valait bien cent mille francs. Lettre à Millet, 2 décembre 1667],
au comte de Schwerin 30 000 livres et au prince d’Anhalt 36 000 livres :
moyennant quoi je vins à bout du traité que je désirais faire conclure à cet
électeur, par lequel il s’unissait avec moi et fournissait dix mille hommes de
pied pour la défense des États de Hollande. (Louis XIV/Périgny, Journal de
1666)
Quatrième partie
LE ROI DE GLOIRE
Dieu, mes peuples et la nation

Votre gloire, la consolation de vos peuples, et la conservation de vos


États.
La formule qui définit de la manière peut-être la plus explicite les trois
piliers de la monarchie, on la trouve dans un long courrier où Louis XIV
tâche de dissuader le roi d’Espagne son petit-fils de mener la reine avec lui
dans son expédition vers Naples où il va tâcher de confirmer sa domination.
Ce n’est pas un malheur d’être séparés pour quelques mois, plaide-t-il
auprès de Philippe V, quand il y va de votre gloire, de la consolation de vos
peuples, et de la conservation de vos États. (Louis  XIV, À  Philippe  V.
Marly, 3  mars 1702. Grimoard et Grouvelle, VI). La gloire sanctionne
l’élection providentielle d’un homme choisi parmi tous les autres pour
régner sur eux  ; elle lui commande d’avoir pour ses «  peuples  » une
attention de père que récompensera leur obéissance filiale ; et son alliance
avec eux se consommera dans le principe de la nation qu’il incarne en leur
nom et que matérialise le périmètre géographique de ses États où ils vivent.
Dieu, mes peuples et la nation définissent l’espace du roi.
PROVIDENCE ET DROIT DIVIN
Celui qui a donné des rois aux hommes a voulu qu’on les respectât
comme Ses lieutenants, se réservant à lui seul le droit d’examiner leur
conduite.
Le roi règne par droit divin. Rien ne légitime donc son peuple à le
renverser, quelques griefs qu’on puisse nourrir légitimement contre lui.
Mais encore faut-il qu’il gouverne dans le respect de ces lois divines dont
procède la solidité de son pouvoir. Il faut assurément demeurer d’accord
que, pour mauvais que puisse être un prince, la révolte de ses sujets est
toujours infiniment criminelle. Celui qui a donné des rois aux hommes a
voulu qu’on les respectât comme Ses lieutenants, se réservant à lui seul le
droit d’examiner leur conduite. Sa volonté est que, quiconque est né sujet,
obéisse sans discernement […]. Il n’est point de maxime plus établie par le
christianisme que cette humble soumission des sujets envers ceux qui leur
sont préposés. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
Reconnaître avec soumission une puissance supérieure à la vôtre, et
capable de renverser quand il lui plaira vos desseins les mieux
concertés.
Aide-toi, le Ciel t’aidera. Pour voir, mon fils, comme vous devez
reconnaître avec soumission une puissance supérieure à la vôtre, et capable
de renverser quand il lui plaira vos desseins les mieux concertés, soyez
toujours persuadé d’un autre côté, qu’ayant établi elle-même l’ordre naturel
des choses, elle ne les violera pas aisément ni à toutes les heures ni à votre
préjudice ni en votre faveur. Elle peut nous assurer dans les périls, nous
fortifier dans les travaux, nous éclairer dans les doutes, mais elle ne fait
guère nos affaires sans nous, et quand elle veut rendre un roi heureux,
puissant, autorisé, respecté, son chemin le plus ordinaire est de le rendre
sage, clairvoyant, équitable, vigilant et laborieux. (Louis  XIV, Mémoires
pour l’année 1662)
Il y a toujours moins de mal pour le public à supporter qu’à contrôler
même le mauvais gouvernement des rois dont Dieu seul est le juge.
Louis XIV se défend d’être ennemi des parlements. Mais s’il a dû abaisser
leurs prétentions au début de son règne, c’est qu’ils étaient gouvernés par
la fausse imagination d’un prétendu intérêt du peuple opposé à celui du
prince, et dont ils se faisaient les défenseurs, sans considérer que ces deux
intérêts ne sont qu’un  ; que la tranquillité des sujets ne se trouve qu’en
l’obéissance ; qu’il y a toujours moins de mal pour le public à supporter
qu’à contrôler même le mauvais gouvernement des rois dont Dieu seul est
le juge et que ce qu’ils semblent faire contre la loi commune est fondé le
plus souvent sur la raison d’État, qui est la première des lois, du
consentement de tout le monde, mais la plus inconnue et la plus obscure à
tous ceux qui ne gouvernent pas. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
En toutes les entreprises justes et légitimes, le temps, l’action même,
le secours du Ciel, ouvrent d’ordinaire mille voies, et découvrent mille
facilités qu’on n’attendait pas.
Pour lutter contre le délabrement de son État qu’il constate au moment où
commence son règne personnel, Louis XIV explique s’être appuyé sur trois
considérations. La première, qu’en ces sortes de choses il n’est pas au
pouvoir des rois, parce qu’ils sont hommes et qu’ils ont affaire à des
hommes, d’atteindre toute la perfection qu’ils se proposent, trop éloignée de
notre faiblesse ; mais que cette impossibilité est une mauvaise raison de ne
pas faire ce que l’on peut, et cet éloignement de ne se pas avancer toujours ;
ce qui ne peut être sans utilité et sans gloire. La seconde, qu’en toutes les
entreprises justes et légitimes, le temps, l’action même, le secours du Ciel,
ouvrent d’ordinaire mille voies, et découvrent mille facilités qu’on
n’attendait pas. La dernière enfin, qu’il semblait lui-même me promettre ce
secours, en disposant toute chose au même dessein qu’il m’inspirait.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
…je ne sais quels mouvements ou instincts aveugles au-dessus de la
raison, et qui semblent venir du Ciel.
La sagesse veut qu’en certaines rencontres on donne beaucoup au hasard ;
la raison elle-même conseille alors de suivre je ne sais quels mouvements
ou instincts aveugles au-dessus de la raison, et qui semblent venir du Ciel,
connus de tous les hommes, mais de plus grand poids sans doute et plus
dignes de considération en ceux qu’il a placés lui-même aux premiers
rangs. De dire quand c’est qu’il faut se défier de ces mouvements ou s’y
abandonner, personne ne le peut  ; ni livres, ni règles, ni expérience ne
l’enseignent : une certaine justesse et une certaine hardiesse d’esprit le font
toujours trouver, toujours plus libres en celui qui ne doit compte de ses
actions à personne. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Une fonction toute divine…
Exerçant ici-bas une fonction toute divine, nous devons paraître
incapables des agitations qui pourraient la ravaler. Ou s’il est vrai que notre
cœur, ne pouvant démentir la faiblesse de sa nature, sente encore naître
malgré lui ces vulgaires émotions, notre raison doit du moins les cacher
sitôt qu’elles nuisent au bien public, pour qui seul nous sommes nés.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Il me semble que ce pouvoir sans bornes approche le plus de celui de
Dieu.
Une anecdote rapportée par Challe, si on peut lui accorder quelque
crédit, donne à la fois la mesure de l’idée que se faisait Louis  XIV du
pouvoir idéal, celui qui assimilerait la monarchie de droit divin au pouvoir
de Dieu sur les hommes, et la mesure des limites apportées par la réalité à
cette illusion absolutiste. La désinvolture moqueuse dont fait preuve le
maréchal de Gramont peut faire suspecter l’authenticité du récit, mais elle
consone avec le caractère du personnage, célèbre pour son franc-parler. Le
roi lui dit un jour qu’il venait de lire un livre dont il était charmé. — Quel
est-il  ? lui demanda M.  de  Gramont. —  C’est, lui répondit le roi,
Calcondille [Laonicos Chalcondyles, Histoire de la décadence de l’Empire
grec et établissement de celui des Turcs, ouvrage du XVe siècle traduit en
français en 1577] J’aime à voir, ajouta-t-il, que le pouvoir arbitraire est
dans la main d’un seul, que tout se fait par lui et par ses ordres, qu’il ne
rend compte de sa volonté à personne, et qu’elle est absolument suivie par
tous ses sujets sans exception. Il me semble que ce pouvoir sans bornes
approche le plus de celui de Dieu. Qu’en dites-vous, M.  de  Gramont  ?
ajouta-t-il. — J’aime à voir, répondit-il, que Votre Majesté s’occupe à la
lecture. Mais avez-vous tout lu [sic] Calcondille ? — Non, répondit le roi,
je n’en ai lu que la préface. — Hé bien, répliqua M. de Gramont, lisez-le
tout entier, et quand vous serez au bout, vous me direz combien
d’empereurs turcs sont morts dans leur lit, et je vous dirai moi combien il en
est péri de mort violente. Je vous en dirai les causes et vous prouverai par
Calcondille lui-même qu’un prince qui peut tout ne doit pas vouloir tout ce
qu’il peut. (Challe, Mémoires)
Il faut qu’ils [les rois] soutiennent par leurs propres exemples la
religion dont ils veulent être appuyés.
La légitimation du pouvoir monarchique par la religion impose au
monarque de la cultiver et la respecter. Mais il n’est pas juste que les
souverains qui font profession de cette sainte doctrine se fondent sur
l’innocence qu’elle inspire à leurs peuples pour vivre de leur part avec plus
de dérèglement. Il faut qu’ils soutiennent par leurs propres exemples la
religion dont ils veulent être appuyés, et qu’ils considèrent que leurs sujets,
les voyant plongés dans le vice et le sang, ne peuvent presque rendre à leur
personne le respect dû à leur dignité, ni les reconnaître pour les vivantes
images de Celui qui est tout saint aussi bien que tout puissant. (Louis XIV,
Mémoires pour l’année 1667)
Nous pouvons nous assurer que c’est Lui-même qui le fait par nous.
La distribution des bénéfices ecclésiastiques (les charges et fonctions
permettant de toucher les revenus des biens de l’Église) constituait un objet
de convoitise, un sujet d’intrigue et, pour le roi auquel en France revient
cette tâche, une source de scrupules. Faut-il par délicatesse de conscience
s’en démettre, s’interroge Louis XIV ? Mais qui nous a dit si d’autres s’en
acquitteront mieux que nous, et si ce ne serait point mal faire notre devoir
pour le vouloir trop bien faire ? Dieu n’entend point très assurément, mon
fils, que nous fassions le choix du plus digne comme Il le pourrait faire lui-
même, ce qui nous est impossible. C’est assez que nous le fassions en
hommes, et en hommes bien intentionnés, qui n’oublient rien pour ne se
point tromper. Alors, j’ose le dire, nous pouvons nous assurer que c’est Lui-
même qui le fait par nous. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1662)
C’était l’ordre du Ciel ; je l’ai accordé avec plaisir.
En novembre 1700, le roi s’est finalement décidé, non sans avoir hésité, à
accepter le testament qui attribuait le trône d’Espagne au duc d’Anjou. Le
lendemain, mardi 16  novembre, le roi, au sortir de son lever, fit entrer
l’ambassadeur d’Espagne dans son cabinet, où M.  le duc d’Anjou s’était
rendu par les derrières. Le roi, le lui montrant, lui dit qu’il le pouvait saluer
comme son roi. Aussitôt il se jeta à genoux à la manière espagnole, et lui fit
un assez long compliment en cette langue. Le roi lui dit qu’il ne l’entendait
pas encore, et que c’était à lui à répondre pour son petit-fils. Tout aussitôt
après, le roi fit, contre toute coutume, ouvrir les deux battants de la porte de
son cabinet, et commanda à tout le monde qui était là presque en foule
d’entrer  ; puis, passant majestueusement les yeux sur la nombreuse
compagnie : « Messieurs, leur dit-il en montrant le duc d’Anjou, voilà le roi
d’Espagne. La naissance l’appelait à cette couronne, le feu roi aussi par son
testament, toute la nation l’a souhaité et me l’a demandé instamment  ;
c’était l’ordre du Ciel  ; je l’ai accordé avec plaisir.  » (Saint-Simon,
Mémoires, année 1700)
Tenant, pour ainsi dire, la place de Dieu, nous semblons être
participant de sa connaissance, aussi bien que de son autorité.
Reste que cette décision d’où allait découler la désastreuse guerre de
Succession d’Espagne ne fut peut-être pas la mieux inspirée (par Dieu ?) du
règne de Louis  XIV. Faillibilité des jugements des rois, dont lui-même
convenait en termes mesurés dès le début de son règne personnel, en
mettant son fils en garde contre ce péril. Il est vrai qu’un souverain peut
avoir cette persuasion en faveur de lui-même que, comme il est d’un rang
au-dessus des autres hommes, il voit aussi les choses qui se présentent
d’une manière plus parfaite qu’eux, et qu’il se doit plus fier à ses propres
lumières qu’aux rapports qui lui sont faits du dehors. Mais je vous avertis
ici que cette maxime ne se doit pas appliquer également à toutes nos
différentes fonctions. Il en est sans doute de certaines où tenant, pour ainsi
dire, la place de Dieu, nous semblons être participant de sa connaissance,
aussi bien que de son autorité, comme, par exemple, en ce qui regarde le
discernement des esprits, le partage des emplois et la distribution des
grâces, dans lesquelles choses nous décidons avec plus de succès par notre
propre suffrage que par celui de nos conseillers, parce qu’étant postés dans
une sphère supérieure, nous sommes plus éloignés qu’eux des petits intérêts
qui nous pourraient porter à l’injustice. Mais il faut confesser de bonne foi
qu’il se trouve aussi d’autres rencontres où quittant, ce semble, le
personnage de souverains et d’indépendants, nous devenons aussi
intéressés, et peut-être même davantage, que les moindres particuliers,
parce que, plus les objets où nous aspirons sont grands et relevés, plus ils
sont propres à troubler la tranquillité nécessaire pour former un juste
raisonnement. Le feu des plus nobles passions, comme celui des plus
obscures, produit toujours un peu de fumée, qui offusque notre raison.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
Les succès dont vous me louez […] sont si extraordinaires dans toutes
leurs circonstances, que je ne puis les regarder que comme des coups
du ciel.
En avril 1677, la chute de Cambrai réputée imprenable fut un immense
succès de la guerre de Hollande. À Condé qui l’en félicite, le roi répond
ceci. Mon Cousin, votre dernière lettre est remplie de sentiments trop
avantageux pour moi  ; j’avoue que j’ai fait ce que je pouvais pour les
succès dont vous me louez ; mais ils sont si extraordinaires dans toutes leurs
circonstances, que je ne puis les regarder que comme des coups du ciel.
J’espère que Dieu qui connaît mes bonnes intentions continuera de les
bénir. (Louis XIV, Au prince de Condé. Béthune, 21 avril 1677. Grimoard
et Grouvelle, IV).
Ne manquez à aucun de vos devoirs, surtout envers Dieu.
Des trente-trois articles résumant ses conseils au duc d’Anjou pour
devenir un bon roi, les trois premiers, que voici, insistent sur la religion du
prince. À noter que le dernier recommandera au jeune homme d’exercer
seul le pouvoir : droit divin et gouvernement personnel se tiennent comme
l’alpha et l’oméga de la conception du pouvoir selon le Roi-Soleil. 1. Ne
manquez à aucun de vos devoirs, surtout envers Dieu. 2. Conservez-vous
dans la pureté de votre éducation. 3. Faites honorer Dieu partout où vous
aurez du pouvoir ; procurez Sa gloire ; donnez-en l’exemple : c’est un des
plus grands biens que les rois puissent faire. (Louis XIV, Instructions au
duc d’Anjou)
Vous voulez bien que, suivant les sages maximes que vous m’avez
données dans ma jeunesse, je ne me glorifie pas de la prospérité de mes
armes et que je la réfère à Dieu.
Le Dieu des armées est couramment invoqué lors de triomphes militaires.
Louis  XIV y fait référence d’une manière particulièrement délicate en
réponse aux congratulations de son ancien gouverneur, le duc de Villeroy, à
propos de la prise de Maestricht par le roi en 1673. Mon Cousin, j’ai de
trop anciennes et de trop bonnes preuves de l’affection que vous avez pour
moi, pour douter de votre joie dans l’heureux succès de mon entreprise de
Maestricht  : j’en ai reçu les témoignages avec beaucoup de plaisir et
d’estime. Mais vous voulez bien que, suivant les sages maximes que vous
m’avez données dans ma jeunesse, je ne me glorifie pas de la prospérité de
mes armes et que je la réfère à Dieu. (Louis  XIV, Au maréchal duc de
Villeroy. Au camp près de Viset-sur-Meuse, 8  juillet 1673. Grimoard et
Grouvelle, III)
Le nouveau succès de nos armes nous assure la continuation des
bénédictions de Dieu.
De même beaucoup plus tard les (rares) succès de son petit-fils (et du
maréchal de  Vendôme) dans la guerre de Succession d’Espagne sont-ils
attribués par le roi à Dieu. J’ai reçu, par le duc de Villeroy, vos lettres du
11 et du 17 de ce mois. L’espérance que vous aviez dans la première a été
bientôt remplie, et le nouveau succès de nos armes [allusion à la bataille de
Luzzara, le 15 août 1702, dont le succès fut en réalité revendiqué par les
deux camps] nous assure la continuation des bénédictions de Dieu. Il livre
vos ennemis entre vos mains, et les avantages que vous remportez, depuis
votre arrivée à l’armée, marquent visiblement sa protection pour la justice
de notre cause. (Louis  XIV, À  Philippe  V. Marly, 26  août 1702, Lettres
inédites du Mémorial du Dépôt général de la guerre)
Est-ce que Dieu aurait oublié ce que j’ai fait pour Lui ?
Cette annexion de Dieu à la cause franco-espagnole nous vaut un mot
apocryphe un peu exorbitant rapporté (ou forgé ?) par Voltaire, cautionné
du nom de Brancas, et issu sans doute de la tradition satirique et
pamphlétaire, ce qui ne l’a pas empêché de faire fortune dans la légende
posthume de Louis XIV. J’ai ouï dire au duc de Brancas que Louis  XIV,
après la bataille de Ramillies, avait dit : « Est-ce que Dieu aurait oublié ce
que j’ai fait pour Lui ? » (Voltaire, Siècle de Louis XIV)

MES PEUPLES : LE ROI MAÎTRE ET PROTECTEUR

►  Le père du peuple
Je tiens lieu de père à mes sujets.
Durant la guerre de Succession d’Espagne, en juin  1709, Philippe  V
souhaite que la France ne lui retire pas l’appui d’une vingtaine de
bataillons utiles à la défense de son trône. L’ambassadeur de France
Amelot écrit en ce sens au grand-père du jeune roi. Louis  XIV refuse et
conseille l’abandon de Madrid aux souverains espagnols. Il n’est plus
question de consulter mon amitié pour le roi mon petit-fils et de la prendre
pour la règle de ma conduite. L’état de mon royaume ne me le permet pas…
Au milieu de tant de fléaux dont il plaît à Dieu de l’affliger, la guerre me
devient absolument impossible à soutenir. Il ne s’agit plus de ma volonté,
et, comme je tiens lieu de père à mes sujets, je dois préférablement à toute
autre considération songer à leur conservation. Elle dépend de la paix, et je
sais que je ne puis parvenir à la conclure aussi longtemps que le roi mon
petit-fils demeurera maître de l’Espagne. J’ai rejeté la proposition odieuse
de contribuer à le déposséder de son royaume ; mais si je continue à lui
donner les moyens de s’y maintenir, je rends la paix impossible, et
j’autorise les faux bruits répandus pour faire douter de la sincérité de mes
intentions… C’est seulement en rappelant mes troupes que je puis détruire
cette opinion. Je suis obligé de la détruire pour avoir la paix, et la paix est
absolument nécessaire à mon royaume. Louis XIV se rétractera d’ailleurs
deux jours plus tard en prenant conscience que la vie de la reine
d’Espagne, enceinte et incapable de se déplacer, serait mise en danger par
ce déplacement. (Louis XIV, Correspondance avec Amelot, 21 juin 1709)
Je parus enfin à tous mes sujets comme un véritable père de famille
qui fait la provision de sa maison.
Bien plus tôt, au début de son règne personnel, Louis XIV s’était trouvé
confronté à un autre fléau que la guerre : la disette de l’hiver 1661-1662.
J’entrai moi-même en une connaissance très particulière et très exacte du
besoin des peuples et de l’état des choses. J’obligeai les provinces les plus
abondantes à secourir les autres, les particuliers à ouvrir leurs magasins, et à
exposer leurs denrées à un prix équitable. […] Je parus enfin à tous mes
sujets comme un véritable père de famille qui fait la provision de sa maison,
et partage avec équité les aliments à ses enfants et à ses domestiques. Je n’ai
jamais trouvé de dépense mieux employée que celle-là. Car nos sujets, mon
fils, sont nos véritables richesses et les seules que nous conservons
proprement pour les conserver, toutes les autres n’étant bonnes à rien, que
quand nous savons l’art d’en user, c’est-à-dire de nous en défaire à propos.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1662)
Soulager mes peuples 
1661 : le roi décide les mesures les plus urgentes dès après sa prise du
pouvoir. Rien ne me sembla presser davantage que de soulager mes
peuples : de quoi la misère des provinces, et la compassion que j’en avais,
me sollicitaient incessamment. L’état de mes finances, tel que je vous l’ai
représenté, semblait s’y opposer, et conseillait en tout cas de différer ; mais
il faut toujours se hâter de faire le bien. (Louis XIV, Mémoires pour l’année
1661)
Je vais me faire le plaisir extrême de soulager [mes peuples].
Cette paix [celle que ratifient les traités de Ryswick en 1697] fut
précipitée, par le seul motif de soulager les peuples, accablés par les impôts
et par la misère. « Il y a dix ans, dit alors Louis XIV, que je me trouve
obligé de charger mes peuples ; mais à l’avenir je vais me faire le plaisir
extrême de les soulager. » (Chaudon, Nouveau Dictionnaire historique)
Ce n’est pas la guerre qui m’afflige ; c’est la misère des peuples. 
Le thème est souvent repris par l’hagiographie royale. Dans les
Mémoires pour servir à l’histoire de Mme de Maintenon, il est même mis en
scène sous forme de dialogue. Mme de Maintenon voyant le roi affligé par
la continuation de la guerre [avec l’empereur qui refuse pendant un an de
ratifier les traités terminant la guerre de Succession d’Espagne] lui dit que
ce n’était rien en comparaison de celle qu’on venait d’avoir avec toute
l’Europe. « Ce n’est pas la guerre qui m’afflige, répondit le roi ; c’est la
misère des peuples. » (La Beaumelle, Mémoires pour servir à l’histoire de
Madame de Maintenon, V)
Il n’était pas moins de votre prudence que de votre charité de
consoler leurs proches comme vous avez fait et de rassurer le public.
Les razzias des pirates barbaresques venant du sud de la Méditerranée
fournir leurs galères en rameurs chrétiens pris de force ne laissent pas le
roi insensible au malheur de ceux-ci et de leurs familles. Il compte y mettre
bon ordre et en écrit au marquis de Beringhen, gouverneur de Marseille.
Monsieur  de  Beringhen, j’ai été sensiblement touché du malheur de ces
pauvres gens que les galères d’Alger ont pris auprès de Marseille. Il n’était
pas moins de votre prudence que de votre charité de consoler leurs proches
comme vous avez fait et de rassurer le public, en leur promettant de ma part
un prompt remède à leurs maux. J’espère en effet que Dieu bénira mes
bonnes intentions, pour l’avancement desquelles je suis très aise de voir que
vous travaillez aussi. (Louis XIV, Au marquis de Beringhen. Fontainebleau,
19 août 1661. Grimoard et Grouvelle, V)
Je ne veux point qu’on soit dur à mon peuple.
Voici, selon le témoignage de Choisy, toujours un peu plus crédule que
crédible, comment le chancelier Le Tellier racontait la nomination de Le
Pelletier comme contrôleur général des finances. Après la mort de
M.  Colbert, le roi me dit un jour  : «  Monsieur  Le  Tellier, j’ai envie de
mettre les finances entre les mains de M. Le Pelletier, qu’en pensez-vous ?
—  Sire, lui répondis-je, Votre Majesté ne doit pas me croire, le père de
M. Le Pelletier a été mon tuteur, et j’ai toujours regardé ses enfants comme
les miens. —  N’importe, dit le roi, dites-moi ce que vous en pensez.
— Sire, j’obéis. M. Le Pelletier est un homme de bien et d’honneur, fort
appliqué ; mais je ne le crois pas propre aux finances, il n’est pas assez dur.
— Comment ! reprit le roi, je ne veux point qu’on soit dur à mon peuple, et
puisqu’il est fidèle et appliqué je le fais contrôleur général.  » (Choisy,
Mémoires)
Le meilleur moyen pour réduire peu à peu les huguenots de mon
royaume était de ne les point presser du tout par aucune rigueur
nouvelle contre eux.
Même avant la révocation de l’édit de Nantes, Louis  XIV a toujours
considéré le protestantisme comme une hérésie ; mais si l’on en juge par
ses écrits les plus anciens, sa politique à cet égard aurait radicalement
changé dans la seconde partie du règne. Durant la première, voici sa
doctrine, plus patiente, plus politique, moins soumise à l’influence de
l’Église, telle qu’énoncée dans les Mémoires pour l’année 1661 rédigés à
l’intention du Dauphin au début de la décennie 1670. Il me sembla, mon
fils, que ceux qui voulaient employer des remèdes extrêmes et violents, ne
connaissaient pas la nature de ce mal, causé en partie par la chaleur des
esprits, qu’il faut laisser passer et s’éteindre insensiblement, plutôt que de la
rallumer de nouveau par une forte contradiction, surtout quand la corruption
n’est pas bornée à un certain nombre connu, mais répandue dans tout l’État.
[…] Sur ces connaissances générales, je crus, mon fils, que le meilleur
moyen pour réduire peu à peu les huguenots de mon royaume était de ne les
point presser du tout par aucune rigueur nouvelle contre eux, de faire
observer ce qu’ils avaient obtenu sous les règnes précédents, mais aussi de
ne leur rien accorder de plus, et d’en renfermer même l’exécution dans les
plus étroites bornes que la justice et la bienséance le pouvaient permettre.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Achever ce bon œuvre avec l’assurance d’une pension de mille écus
sur un bénéfice.
Illustration de cette politique religieuse de « rachat » des âmes, dès les
toutes premières années du règne personnel, dans une lettre à Harlay de
Champvallon, archevêque de Rouen. Monsieur l’archevêque de Rouen, je
sais le progrès que vous avez fait dans la conversion des âmes à la foi
catholique, depuis votre retour à Rouen, et je ne puis que bien espérer de
celle que vous avez entreprise du conseiller dont vous me parlez avec toute
sa famille. Si l’on peut achever ce bon œuvre avec l’assurance d’une
pension de mille écus sur un bénéfice, je vous donne tout pouvoir de la
promettre de ma part, et je dégagerai ma parole à la première occasion :
c’est peu de chose pour un si grand bien. Je prie Dieu qu’il fasse réussir
votre dernier travail à sa gloire. (Louis  XIV, À  l’archevêque de Rouen.
Paris, 22 mars 1663. Grimoard et Grouvelle, V)
Afin que […] le public connaisse que nous n’abandonnons pas ceux
qu’il plaît à Dieu d’appeler à un si heureux changement.
Autre manière, plus discrète, d’apporter aide et subsides aux nouveaux
convertis pour améliorer l’image qu’offre au public leur nouveau destin :
Mlle  de  Castelmoron vient d’être convertie par la duchesse de  Richelieu
qui, cela fait, veut s’en décharger. Elle sollicite le roi qui, depuis le front de
Flandre, promet que la reine s’emploiera à la placer chez quelque autre
personne de qualité, où elle puisse trouver la douceur et l’édification qui lui
étaient bien sûres chez vous ; car de la mettre dans un couvent, l’extrémité
me paraît trop grande pour une nouvelle convertie, et ce serait un mauvais
moyen d’avancer la conversion de celles qui voudraient l’imiter. Je me
promets que vos soins ne seront pas épargnés, afin que la reine puisse me
donner cette satisfaction, et que le public connaisse que nous
n’abandonnons pas ceux qu’il plaît à Dieu d’appeler à un si heureux
changement. (Louis  XIV, À  la duchesse de  Richelieu. Au camp sous
Charleroi, 8 avril 1672. Grimoard et Grouvelle, V)
Vous savez avec quelle douceur et quelle modération les princes
catholiques traitent, dans leurs États, leurs sujets qui professent une
autre croyance.
Dans le même temps, Louis XIV incite Charles II d’Angleterre, souverain
catholique d’un pays protestant dont le Parlement regimbait à la tolérance
envers les papistes, à une coexistence pacifique des deux religions que
démentira, en France, la révocation de l’édit de Nantes durant la seconde
moitié du règne. Vous savez avec quelle douceur et quelle modération les
princes catholiques traitent, dans leurs États, leurs sujets qui professent une
autre croyance ; et comme vous aimez la justice, et que j’ai d’ailleurs une
entière confiance en votre amitié, je suis persuadé que vous voudrez bien
considérer, et avoir quelque nouvel égard à la recommandation que je vous
fais, de l’intérêt des catholiques de votre royaume, qui ont en tout temps
signalé leur zèle et leur fidélité pour le service du feu roi et pour le vôtre.
Ce sont des sentiments qui leur sont si naturels qu’ils me semblent bien
dignes de votre protection particulière dans l’orage qui les menace. Je vous
la demande pour eux avec toute l’ardeur que méritent leur innocence et leur
cause. (Louis XIV, Au roi d’Angleterre. Paris, 4 avril 1663. Grimoard et
Grouvelle, V)
Ceux qui en font profession [du protestantisme] ne m’étant pas moins
fidèles que mes autres sujets, il ne faut pas les traiter avec moins
d’égard et de bonté. 
Louis  XIV lui-même se montre animé de principes tolérants (ou
politiques ?) dans la première moitié de son règne, quand la dévotion n’a
pas encore envahi son esprit ni l’Église inféodé sa politique. Vous en avez
usé prudemment, écrit-il au duc de Saint-Aignan, de ne rien précipiter sur
les avis qu’on vous a donnés touchant quelques habitants du Havre, de la
religion prétendue réformée ; ceux qui en font profession ne m’étant pas
moins fidèles que mes autres sujets, il ne faut pas les traiter avec moins
d’égard et de bonté ; aussi la vigilance de votre part doit être égale envers
tous, et si vous trouviez quelque chose parmi ceux de ladite religion qui ne
fût pas à souffrir, vous devez bien vous garder d’en faire une affaire
générale, et vous contenter de prendre pour les particuliers seulement les
précautions nécessaires. (Louis  XIV, Au duc de Saint-Aignan. Saint-
Germain-en-Laye, 1er avril 1666. Grimoard et Grouvelle, V)
De quel fruit est dans le public l’exemple du nouveau converti.
De surcroît, les conversions illustres sont des investissements
monnayables  : celle de Turenne lui permet de presser la nomination au
cardinalat de son neveu le duc d’Albret, futur cardinal de Bouillon, auprès
du pape réticent. J’ose ajouter que si V. B. pouvait voir par elle-même de
quel fruit est dans le public l’exemple du nouveau converti, et combien il
s’échauffe auprès de moi sur les affaires de Candie [assiégée par les Turcs
en Méditerranée orientale] pour sauver ce boulevard de la chrétienté, je ne
doute point qu’elle ne le jugeât digne par son propre mérite, d’obtenir pour
les siens toute sorte de traitements les plus privilégiés, sans qu’on pût, avec
raison, les tirer à conséquence pour d’autres qui n’ont ni le même zèle ni les
mêmes moyens de le témoigner. (Louis  XIV, Au pape. Paris, 31  janvier
1669. Grimoard et Grouvelle, V)
Je donnerais ma vie de bon cœur pour voir tous mes sujets réunis
dans le giron de l’Église catholique.
Un an après les dragonnades du Poitou qui y ont « persuadé » beaucoup
de calvinistes d’abjurer, et trois ans avant la révocation de l’édit de Nantes
qui démentira les principes de conviction par la douceur et d’égalité de
traitement entre les fidèles de l’une et l’autre religion, l’assemblée du
clergé de 1682 avait conjuré le roi de tenir la main à l’exécution de toutes
les choses qui avaient été résolues pour l’extirpation de l’hérésie des
calvinistes. Dans la réponse de Louis  XIV, somme toute assez
conventionnelle en dépit de son tour émotionnel et véhément, le terme
« sujets » suggère que le principe de l’unité du royaume tient sa belle part
dans celui de l’unité de son Église. Le roi, après leur avoir témoigné qu’il
était très content de leur conduite dans l’assemblée, leur promit de
continuer comme il avait fait jusqu’alors de leur donner sa protection pour
leur aider à extirper entièrement l’hérésie, et dit ces propres termes : « Je
suis honteux de le dire moi-même, mais je donnerais ma vie de bon cœur
pour voir tous mes sujets réunis dans le giron de l’Église catholique.  »
(Sourches, Mémoires, 4 juillet 1682)
►  Sujets dociles ou canaille châtiée
Comme [nos sujets] nous doivent honorer, nous les devons conserver
et défendre.
Toutes ces différentes conditions dont le monde est composé, ne sont
unies les unes aux autres que par un commerce de devoirs réciproques. Ces
obéissances et ces respects que nous recevons de nos sujets ne sont pas un
don qu’ils nous font, mais un échange avec la justice et la protection qu’ils
prétendent recevoir de nous. Comme ils nous doivent honorer, nous les
devons conserver et défendre  ; et ces dettes dont nous sommes chargés
envers eux sont même d’une obligation plus indispensable que celles dont
ils sont tenus envers nous : car enfin si l’un d’eux manque d’adresse ou de
volonté pour exécuter ce que nous lui commandons, mille autres se
présentent en foule pour remplir sa place, au lieu que l’emploi de souverain
ne peut être bien rempli que par le souverain même. (Louis XIV, Mémoires
pour l’année 1661)
Ce pouvoir que nous avons sur [nos sujets] ne nous doit servir qu’à
travailler plus efficacement à leur bonheur.
L’absolutisme serait-il un paternalisme systématisé  ? Nous devons
considérer le bien de nos sujets bien plus que le nôtre propre. Il semble
qu’ils fassent une partie de nous-mêmes, puisque nous sommes la tête d’un
corps dont ils sont les membres. Ce n’est que pour leurs propres avantages
que nous devons leur donner des lois ; et ce pouvoir que nous avons sur eux
ne nous doit servir qu’à travailler plus efficacement à leur bonheur.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Tous les princes demeurent d’accord que [l’estime et l’affection de
leurs sujets sont] le trésor le plus précieux qu’ils puissent jamais
posséder.
Lors de préparatifs de la guerre de Dévolution, Louis XIV témoigne de
l’empressement à servir que manifestent les gentilshommes. Il est agréable
assurément de recevoir de pareilles marques de l’estime et de l’affection de
ses sujets : tous les princes demeurent d’accord que c’est le trésor le plus
précieux qu’ils puissent jamais posséder ; tous l’estiment, tous le désirent,
mais tous ne recherchent pas assez les moyens de l’acquérir. (Louis XIV,
Mémoires pour l’année 1667)
Il y a des temps dans lesquels on se trouve dans la nécessité de faire
souffrir les peuples.
Si bien qu’au cœur des tourmentes, un roi doit parfois accabler et
désespérer ses peuples pour leur bien même. En 1702, Philippe V tâche de
protéger ses sujets milanais des réquisitions que veut leur imposer la
France engagée dans la guerre de Succession d’Espagne. Louis XIV, obligé
de pressurer sa propre population pour la conservation du trône de son
petit-fils, s’emporte vivement contre cette protection inopportune et
conforte le rappel de ses ordres irrévocables sur les maximes suivantes. Il y
a des temps dans lesquels on se trouve dans la nécessité de faire souffrir les
peuples. Ceux qui les commandent doivent user de leur autorité avec
mesure ; mais ils en sont les arbitres, et tout ce qu’ils font n’est que pour
éviter de plus grands inconvénients, ou pour conserver ce que des
puissances voisines voudraient usurper sur les légitimes possesseurs.
(Louis XIV, Au prince de Vaudémont. Marly, 30 mars 1702, Lettres inédites
du Mémorial du Dépôt général de la guerre)
Ils n’ont rien à craindre, mais au contraire toute sorte de douceur et
de protection à espérer sous mon obéissance.
Le raisonnement s’étend aux sujets des nations que l’on conquiert ou que
l’on veut persuader de s’allier à la France, au besoin par la force. La prise
de Gigeri en Kabylie (1664) dans le cadre de la lutte engagée par la ligue
du Rhin avec l’empire ottoman induit les linéaments d’une conduite de
protectorat sinon de colonisation du Maghreb, qui n’aura pas de suites
immédiates, mais anticipe des directives similaires un siècle et demi plus
tard. Il serait à désirer que vous pussiez avoir commerce avec les Maures et
les apprivoiser ; il faudra tâcher pour cela de faire une espèce de paix avec
eux, leur faisant connaître qu’il leur est avantageux de traiter avec mes
troupes ; que je ne les ai envoyées là que pour le bien de tout le pays ; qu’ils
n’ont rien à craindre, mais au contraire toute sorte de douceur et de
protection à espérer sous mon obéissance : mais il ne faut point absolument
leur parler du Grand-Seigneur [le Sultan] ; et en cas qu’ils ne traitent point,
prenez bien garde à n’envoyer jamais de partis avec le moindre hasard, et
de n’agir qu’à coup sûr  ; l’exemple de Rulherford me faisant tout
appréhender de la supercherie de ces gens-là. (Louis  XIV, Au duc de
Beaufort. Vincennes, 18 août 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
Le courage et la fidélité d’une nation toujours également brave, et
constamment attachée à ses maîtres.
Naïveté, aveuglement, autopersuasion ou réalité partielle, le sentiment
que les « peuples » embrassent toujours la cause de leur roi est professé par
Louis XIV même dans le cas le plus incertain qui soit : celui de son petit-fils
devenu roi d’une Espagne qui n’attendait certainement pas un souverain
français. C’est pourtant ce que semble croire le vieux roi après les revers
essuyés par Philippe V devant Barcelone. Peut-être cette certitude est-elle
essentielle à son idée de la fonction régalienne ? Vos ennemis ne doivent
plus espérer de réussir, puisque leurs progrès n’ont servi qu’à faire paraître
le courage et la fidélité d’une nation toujours également brave, et
constamment attachée à ses maîtres. Vos peuples ne se distinguent point des
troupes réglées  ; et je comprends aisément que tant de preuves de leur
amour pour vous augmentant la tendresse particulière que vous avez
toujours eue pour eux, elle leur est due ; et je vous exhorterais à leur en
donner de fréquents témoignages, si je ne savais que vos sentiments sur ce
sujet sont entièrement conformes aux miens. (Louis  XIV, À  Philippe  V.
5 août 1706. Grimoard et Grouvelle, VI)
Des maux beaucoup plus terribles que ceux dont ils prétendent se
garantir.
Mais avant même l’adhésion du cœur, la première chose attendue du
peuple, c’est son obéissance aveugle au prince. Et cette loi, si expresse et si
universelle, n’est pas faite en faveur des princes seuls, mais est salutaire aux
peuples mêmes auxquels elle est imposée, et qui ne la peuvent jamais violer
sans s’exposer à des maux beaucoup plus terribles que ceux dont ils
prétendent se garantir. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
Un peu de sévérité était la plus grande douceur que je pouvais avoir
pour mes peuples.
Revenant sur sa prise du pouvoir en 1661, Louis théorise l’usage de
l’autorité rigoureuse du roi comme garantie du bonheur de la population.
En l’état des choses, un peu de sévérité était la plus grande douceur que je
pouvais avoir pour mes peuples, une disposition contraire devant leur
produire par elle-même et par ses suites une infinité de maux. Car aussitôt
qu’un jeune roi se relâche sur ce qu’il a commandé, l’autorité périt, et le
repos avec elle. Ceux qui voient le prince de plus près, connaissant les
premiers sa faiblesse, sont aussi les premiers à en abuser ; après eux, ceux
du second rang, et ainsi dans les autres de suite pour ceux qui ont en main
quelque sorte de pouvoir. Tout tombe sur la plus basse partie, opprimée par
là de mille et mille tyrans, au lieu d’un roi légitime, dont la seule
indulgence néanmoins a fait tout ce désordre. (Louis XIV, Mémoires pour
l’année 1661)
Le ressentiment et la colère des rois véritables contre leurs sujets ne
sont que justice et que prudence.
Faut-il accabler des populations qui se sont mal conduites envers leur
roi ? La répression des bonnets rouges bretons ou des Camisards pourrait
le laisser penser. Louis XIV avait pourtant d’autres principes, du moins au
début de son règne. Des principes aux actes… Comme nous sommes à nos
peuples, nos peuples sont à nous, et je n’ai point vu encore qu’un homme
sage se vengeât à son préjudice, en perdant ce qui lui appartient, sous
prétexte qu’il en aura été mal servi, au lieu de donner ordre pour l’avenir
qu’il le soit un peu mieux. Ainsi, mon fils, le ressentiment et la colère des
rois véritables contre leurs sujets ne sont que [i.e. s’expriment uniquement
sous la forme de] justice et que prudence. (Louis  XIV, Mémoires pour
l’année 1661)
Quand il mourrait quatre ou cinq cent mille de ces canailles-là, qui ne
sont que très inutiles sur la terre, la France en serait-elle moins la
France ?
À la fable émouvante du roi père des peuples fait ainsi pendant la fable
accusatrice du roi tyrannique méprisant la vie de ses sujets. Que le texte
précédent et celui qu’on va lire aient été écrits l’un en plein apogée du
règne, l’autre à son extrême fin, suffit à expliquer —  jusqu’au symbole
presque — leur opposition diamétrale. Choisisse qui voudra la leçon qui lui
paraîtra la plus vraisemblable ; à moins qu’on ne préfère les considérer
l’un et l’autre comme des expressions contradictoires de la fable royale
tantôt lumineuse tantôt ténébreuse  ; ou à l’inverse accréditer en partie
chacun d’eux, en diminuant de moitié l’excès des propos et en considérant
que chacun s’assortit à son contexte, à la facette de l’image royale qu’il
implique ou révèle, et peut-être à deux faces aussi du caractère du roi, aussi
enclin à l’émotion compatissante qu’à l’émotion fulminante. M. d’Orléans
son frère entreprit de lui représenter la misère du peuple, et en eut cette
réponse digne plutôt d’un tigre, s’il pouvait parler, que d’un roi chrétien :
« Hé bien, quand il mourrait quatre ou cinq cent mille de ces canailles-là,
qui ne sont que très inutiles sur la terre, la France en serait-elle moins la
France ? Je vous prie de ne point vous mêler de ce qui ne vous regarde
pas. » (Challe, Mémoires)
Êtes-vous le procureur ou l’avocat général de la canaille ?
Challe ajoute cette autre réponse qui aurait été faite par le roi au
Dauphin s’émouvant de la pauvreté des peuples. Et vous aussi, lui dit
brusquement et publiquement le roi, êtes-vous le procureur ou l’avocat
général de la canaille  ? Il est vrai qu’à la charnière entre ce mot et le
précédent se glisse dans les Mémoires de Challe l’anecdote totalement
invraisemblable d’un soufflet qu’aurait donné le duc d’Orléans au ministre
Pontchartrain traitant de vagabonds et de fainéants les pauvres affamés :
devant l’énormité du fait, le mémorialiste l’assortit de cette réserve qui vaut
aussi pour l’une et l’autre anecdote que nous avons rapportée d’après lui :
Je ne réponds point de la vérité de celui-ci, mais je sais que c’était le bruit
public de Paris. (Challe, Mémoires)
LE ROI PRINCIPE DE LA NATION
Nous devons être le père commun de toutes [les professions qui font
une nation]
La fable du corps social où chaque organe est utile à la vie de l’ensemble,
ou celle de la ruche industrieuse et riche de toutes ses ouvrières, est
réactualisée par Louis  XIV ou par ceux qui guident la plume de ses
Mémoires pour le Dauphin en une vision idyllique de l’harmonieuse
complémentarité entre les sujets du roi, tous également utiles et sans
qu’aucun soit indûment privilégié ni préféré dans l’ensemble qui forme la
nation. Chaque profession contribue, à sa manière, au soutien de la
monarchie. Le laboureur fournit par son travail la nourriture à tout ce grand
corps ; l’artisan donne par son industrie toutes les choses qui servent à la
commodité du public ; et le marchand assemble de mille endroits différents
tout ce que le monde produit d’utile ou d’agréable pour le fournir à chaque
particulier au moment qu’il en a besoin. Les financiers, en recueillant les
deniers publics, servent à la subsistance de l’État  ; les juges, en faisant
l’application des lois, entretiennent la sûreté parmi les hommes  ; et les
ecclésiastiques, en instruisant les peuples à leur religion, attirent les
bénédictions du Ciel et conservent le repos sur la terre. C’est pourquoi, bien
loin de mépriser aucune de ces conditions, ou d’en favoriser l’une aux
dépens de l’autre, nous devons être le père commun de toutes, prendre soin
de les porter toutes, s’il se peut, à la perfection qui leur est convenable, et
nous tenir persuadé que celle même que nous voudrions gratifier avec
injustice, n’en aura ni plus d’affection ni plus d’estime pour nous, pendant
que les autres tomberont avec raison dans la plainte et dans le murmure.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Comme la vie de ses sujets est son propre bien, il doit avoir bien plus
de soin de la conserver.
Application de cette règle au domaine plus circonscrit de la communauté
militaire : Louis XIV note que la préparation d’une campagne requiert une
attention aux plus petites choses et aux plus petites gens, directement
intéressés par les questions triviales de subsistance et de casernement que
le roi n’a garde de dédaigner. Mais outre ces considérations, qui sont
communes à tous les généraux, le prince qui commande en personne en doit
avoir de toutes particulières. Comme la vie de ses sujets est son propre bien,
il doit avoir bien plus de soin de la conserver ; et, comme il sait qu’ils ne
s’exposent que pour son service, il doit pourvoir avec bien plus de tendresse
à tous leurs besoins. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
Les rois sont seigneurs absolus et ont naturellement la disposition
pleine et libre de tous les biens, tant des séculiers que des
ecclésiastiques.
L’autorité monarchique ne saurait souffrir d’exception, pas même
cautionnée par le service du Ciel. L’Église ne doit pas se croire des
prérogatives particulières  : occasion de rappeler les principes de
l’absolutisme. Les rois sont seigneurs absolus et ont naturellement la
disposition pleine et libre de tous les biens, tant des séculiers que des
ecclésiastiques, pour en user comme sages économes, c’est-à-dire selon les
besoins de leur État. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Serait-il juste que la noblesse donnât ses travaux et son sang […] et
que le peuple […] portât encore lui seul toutes les dépenses de l’État,
pendant que les ecclésiastiques […] jouiraient […] de tous les avantages
du public sans jamais rien contribuer à ses besoins ?
L’absolutisme revendiqué ci-dessus se justifie en se donnant pour fin
l’arbitrage entre les intérêts des divers corps sociaux dont l’ensemble forme
la nation. Louis XIV s’appuie ici sur le modèle des trois ordres : clergé,
noblesse, tiers état, pour rappeler le premier à ses devoirs envers les deux
autres. La seule équité naturelle suffit pour éclaircir absolument ce point.
Serait-il juste que la noblesse donnât ses travaux et son sang pour la défense
du royaume et consumât si souvent ses biens à soutenir les emplois dont
elle est chargée, et que le peuple, qui, possédant si peu de fonds, a tant de
têtes à nourrir, portât encore lui seul toutes les dépenses de l’État, pendant
que les ecclésiastiques, exempts par leur profession des dangers de la
guerre, des profusions du luxe et du poids des familles, jouiraient dans leur
abondance de tous les avantages du public sans jamais rien contribuer à ses
besoins ? (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Qui dit un grand roi dit presque tous les talents ensemble de ses plus
excellents sujets.
La nation trouve dans la personne du roi l’abrégé de ses diverses
qualités. Il faut de la variété dans la gloire comme partout ailleurs, et en
celle des princes plus qu’en celle des particuliers ; car qui dit un grand roi
dit presque tous les talents ensemble de ses plus excellents sujets.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1662)
Je donnai à tous mes sujets sans distinction, la liberté de s’adresser à
moi à toute heure.
Il convient donc que de chaque sujet au roi un lien direct soit possible,
donnant chair au symbole. Louis XIV explique quelles décisions il a prises
à cet effet en 1661, quand a commencé son règne personnel. Je fis connaître
qu’en quelque nature d’affaires que ce fût, il fallait me demander
directement ce qui n’était que grâce, et je donnai à tous mes sujets sans
distinction la liberté de s’adresser à moi à toute heure, de vive voix et par
placets. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
S’il y a quelque caractère singulier dans cette monarchie, c’est l’accès
libre et facile des sujets au prince.
En quoi le roi obéit non seulement au principe qui fait de lui l’abrégé et
l’incarnation de la nation, mais encore à la tradition historique de la
monarchie française. Il y a des nations où la majesté des rois consiste pour
une grande partie, à ne se point laisser voir, et cela peut avoir ses raisons
parmi des esprits accoutumés à la servitude, qu’on ne gouverne que par la
crainte et la terreur ; mais ce n’est pas le génie de nos Français, et, d’aussi
loin que nos histoires nous en peuvent instruire, s’il y a quelque caractère
singulier dans cette monarchie, c’est l’accès libre et facile des sujets au
prince. C’est une égalité de justice entre lui et eux, qui les tient pour ainsi
dire dans une société douce et honnête, nonobstant la différence presque
infinie de la naissance, du rang et du pouvoir. (Louis XIV, Mémoires pour
l’année 1662)
Je déterminai un jour de chaque semaine, auquel tous ceux qui
avaient à me parler ou à me donner des mémoires avaient la liberté de
venir dans mon cabinet.
Je réformai aussi dans le même temps [1667] la manière dont j’avais moi-
même accoutumé de rendre la justice à ceux qui me la demandaient
immédiatement  : car je ne trouvais pas que la forme en laquelle j’avais
jusque-là reçu leurs placets fût commode ni pour eux ni pour moi […], ils
avaient peine à trouver une heure propre pour me parler et demeuraient
souvent plusieurs jours à ma suite, éloignés de leurs familles et de leurs
fonctions. C’est pourquoi je déterminai un jour de chaque semaine, auquel
tous ceux qui avaient à me parler ou à me donner des mémoires avaient la
liberté de venir dans mon cabinet, et m’y trouvaient précisément appliqué à
écouter ce qu’ils désiraient me dire. (Louis  XIV, Mémoires pour l’année
1667)
Jusques aux moindres particuliers pourront, en toute assurance, me
représenter leurs raisons, et me demander justice, sans craindre qui
que ce soit.
Monsieur  Courtin, ayant résolu de me rendre dans quelques jours à
Dunkerque, pour visiter la frontière jusques à Marienbourg et remédier à
toutes les choses qui pourraient être contraires au repos de ces peuples-là,
qui est le seul but de mon voyage, je vous ordonne, par cette lettre écrite de
ma propre main, de m’aller attendre en Artois, et non seulement d’y publier
que je recevrai moi-même les plaintes des habitants des villes et de la
campagne, mais aussi de leur faire comprendre, que j’y pourvoirai de telle
sorte, et pour le passé et pour l’avenir, que jusques aux moindres
particuliers pourront, en toute assurance, me représenter leurs raisons, et me
demander justice, sans craindre qui que ce soit. (Louis XIV, À M. Courtin.
Fontainebleau, 10 août 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
Si j’étais capable de ces craintes je ne vivrais pas. Il en sera tout ce
qu’il plaira à Dieu.
Ce libre accès au prince n’allait pas sans péril d’attentat, à quoi
Louis  XIV répondait par une sorte de fatalisme serein  : il l’explique en
1672 au sieur Du Fresne, agent de l’électeur de Mayence à la cour de
France, qui lui suggérait de prendre des précautions, comme tout grand
prince ayant des ennemis enragés et capables de tout entreprendre. À quoi
le roi répondit : « On m’a déjà donné beaucoup de pareils avis ; mais enfin
si j’étais capable de ces craintes je ne vivrais pas. Il en sera tout ce qu’il
plaira à Dieu  : je ne prétends pas pour cela devoir rien changer en ma
conduite. » (Arnauld, Mémoires, année 1672)
Vous gagnerez le cœur de vos sujets ; vos ennemis seront forcés à vous
estimer et à vous craindre.
La présence du roi parmi ses sujets, la visite de ses provinces, le libre
accès à sa personne sont donc autant de manières d’affirmer qu’il est le
principe de sa nation, le prince de ses peuples. Raison pour laquelle
Louis  XIV s’enthousiasme du projet caressé par Philippe  V de se rendre
dans le royaume de Naples, qui appartient à la couronne espagnole, pour y
asseoir sa souveraineté. J’avoue que la pensée que vous aviez me fait un
sensible plaisir ; elle est digne de votre sang, et je souhaiterais que l’état de
vos affaires et la saison vous eussent permis de l’exécuter [les finances
espagnoles sont au plus bas et l’été est à son plein de chaleur] ; mais il ne
faut pas y songer pour cette année. […] Rien ne vous donnera plus de
réputation, et de gloire dans le monde, particulièrement dans vos royaumes.
Gardez le secret de cette résolution, si vous voulez qu’elle réussisse quand
vous l’exécuterez. Vous gagnerez le cœur de vos sujets ; vos ennemis seront
forcés à vous estimer et à vous craindre. Que je serai heureux, quand je
vous verrai dans le haut point de gloire, où j’espère que votre courage vous
élèvera  ! Je vous aimerai davantage  ; et mon estime se fortifiant, ma
tendresse augmentera, en vous voyant tel que je vous désire, et que je me
persuade que vous serez. (Louis XIV, À Philippe V. Versailles, 7 août 1701.
Grimoard et Grouvelle, VI)
La France bien unie est plus forte que toutes les puissances
rassemblées avec tant de peines, par force et par artifice.
En 1710, le projet de harangue pour demander des secours à la nation
française au moment où la guerre de Succession d’Espagne confine à la
catastrophe fait appel au principe de la nation unie dans l’adversité et
réunie dans la volonté stoïque de son roi pour assurer le salut de la patrie.
Voyant à cette heure que mes ennemis les plus emportés n’ont voulu que
m’amuser, et qu’ils se sont servi de tous les artifices dont ils sont capables
pour me tromper, aussi bien que leurs alliés, les obligeant à fournir aux
dépenses immenses qu’exige leur ambition déréglée, je ne vois plus de parti
à prendre, que celui de songer à nous bien défendre, en leur faisant voir que
la France bien unie est plus forte que toutes les puissances rassemblées avec
tant de peines, par force et par artifice, pour l’accabler […]. Présentement
que toutes les sources sont quasi épuisées, je viens à vous pour vous
demander vos conseils et votre assistance en cette rencontre, où il ira de
notre salut. Par les efforts que nous ferons par notre union, nos ennemis
connaîtront que nous ne sommes pas en l’état qu’ils veulent faire croire, et
que nous pourrons, par le secours que je vous demande, le croyant
indispensable, les obliger à faire une paix honorable pour nous, durable
pour notre repos, et convenable à tous les princes de l’Europe. (Louis XIV,
Projet de harangue à la nation française)
Une gloire si précieuse

J’ai souvent entrepris la guerre trop légèrement et l’ai soutenue par


vanité.
Ces mots devenus célèbres, rapportés par tous les témoins et par les
historiens qui les reprennent après eux, Louis  XIV les aurait adressés
comme testament moral au petit Dauphin sur son lit de mort. Ils sont
comme l’ombre portée de l’éclat des armes et de la lumière de la gloire
dont il aura voulu que son règne fût éclairé. Ils disent l’ambiguïté de cette
obsession de supériorité à tout prix, même celui de la violence, qui aura
guidé toute sa vie de roi de guerre, éperdu de satisfaire l’image glorieuse
qui le hantait et dont ses armées furent l’instrument à double tranchant : lui
ménageant la jouissance de la domination par la force dans l’ordre de la
réalité et la jouissance du triomphe par l’héroïsme dans l’ordre de
l’imaginaire.
Je crois qu’il n’y a rien qui donne tant de joie que de gagner une
bataille.
La formule ci-dessus, qui concluait la vie de Louis XIV, doit être mise en
parallèle avec celle-ci, d’avant son règne personnel, que nous rapporte la
Grande Mademoiselle. C’est pendant le voyage de la cour vers Saint-Jean-
de-Luz pour le mariage du roi, qui approche de ses vingt-deux ans. Il dit un
jour (je me souviens que c’était avant que d’arriver à Châtellerault) : « Je
crois qu’il n’y a rien qui donne tant de joie que de gagner une bataille, et
que l’on se sait bon gré au retour, et que l’on est bien content de soi.  »
(Montpensier, Mémoires, année 1659)

EXALTATION DE LA GLOIRE
►  La gloire des rois
Une passion maîtresse et dominante, qui est celle de leur intérêt, de
leur grandeur et de leur gloire, étouffe toutes les autres en eux [les rois].
Encore que sur les offenses, autant ou plus que sur tout le reste des
choses, les rois soient hommes, je ne crains pas de vous dire qu’ils le sont
un peu moins quand ils sont véritablement rois, parce qu’une passion
maîtresse et dominante, qui est celle de leur intérêt, de leur grandeur et de
leur gloire, étouffe toutes les autres en eux. (Louis  XIV, Mémoires pour
l’année 1661)
[Les] rois […] doivent, pour ainsi dire, un compte public de toutes
leurs actions à tout l’univers et à tous les siècles.
J’ai fait enfin quelque réflexion à la condition en cela dure et rigoureuse
des rois, qui doivent, pour ainsi dire, un compte public de toutes leurs
actions à tout l’univers et à tous les siècles, et ne peuvent néanmoins le
rendre à qui que ce soit dans le temps même, sans découvrir le secret de
leur conduite, et manquer à leurs plus grands intérêts. (Louis  XIV,
Mémoires pour l’année 1661)
Les rois, qui sont nés pour posséder tout et commander à tout, ne
doivent jamais être honteux de s’assujettir à la renommée.
C’est aux hommes du commun à borner leur application dans ce qui leur
est utile et agréable  ; mais les princes, dans tous leurs conseils, doivent
avoir pour première vue d’examiner ce qui peut leur donner ou leur ôter
l’applaudissement public. Les rois, qui sont nés pour posséder tout et
commander à tout, ne doivent jamais être honteux de s’assujettir à la
renommée : c’est un bien qu’il faut désirer sans cesse avec plus d’avidité, et
qui seul, en effet, est plus capable que tous les autres de servir aux succès
de nos desseins. La réputation fait souvent elle seule plus que les armées les
plus puissantes. Tous les conquérants ont plus avancé par leur nom que par
leur épée  ; et leur seule présence a mille fois abattu sans efforts des
remparts capables de résister à toutes les forces assemblées. (Louis  XIV,
Mémoires pour l’année 1667)
[L]es rois de France, rois héréditaires, […] peuvent se vanter qu’il n’y
a aujourd’hui dans le monde, sans exception, ni meilleure maison que
la leur, ni puissance plus grande, ni autorité plus absolue.
Louis XIV explique à son fils par l’histoire l’inanité des prétentions de
l’empereur à l’emporter en dignité sur le roi de France. Je ne vois donc
pas, mon fils, par quelle raison des rois de France, rois héréditaires, et qui
peuvent se vanter qu’il n’y a aujourd’hui dans le monde, sans exception, ni
meilleure maison que la leur, ni puissance plus grande, ni autorité plus
absolue, seraient inférieurs à ces princes électifs. (Louis  XIV, Mémoires
pour l’année 1661)
Il n’est mémoire d’aucun empire d’aussi longue durée que celui-ci.
Louis  XIV se félicite de la tradition française de proximité et d’accès
direct entre le roi et ses sujets en France. Que cette méthode soit bonne et
utile, l’expérience l’a déjà montré, puisque dans tous les siècles passés il
n’est mémoire d’aucun empire d’aussi longue durée que celui-ci l’a été, et
qui toutefois ne semble pas prêt à finir. (Louis XIV, Mémoires pour l’année
1662)
La gloire, qui, sans doute, par cette voie [celle de la guerre] semble
s’acquérir avec plus d’éclat.
L’instrument de la gloire, c’est évidemment la victoire, ou du moins
l’héroïsme. À la fin de 1667, pendant la guerre de Dévolution, tandis que le
roi prépare la campagne de l’année suivante, la cour se partage entre
faucons et colombes. Si l’on me voyait pencher quelquefois tant soit peu
plus du côté des armes, ce n’était ni par la faveur, ni par l’adresse de ceux
qui pouvaient y avoir intérêt, mais seulement par l’inclination que j’avais
pour la gloire, qui, sans doute, par cette voie semble s’acquérir avec plus
d’éclat. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
►  La gloire du roi
Je vous confie la chose du monde qui m’est la plus précieuse, qui est
ma gloire.
Dès les débuts du règne personnel, Colbert a rassemblé autour de
Chapelain, oracle des Belles Lettres, une «  petite académie  » chargée
d’œuvrer à la gloire du roi et à la politique culturelle du règne. Outre
Chapelain, ce cénacle est composé de deux abbés, Jacques Cassagne et
Amable de Bourzeis, l’un prédicateur savant et lettré, l’autre expert en
théologie et droit canon. Ils s’adjoignirent le jeune Charles Perrault comme
secrétaire. François Charpentier, grand orateur lié de longue date au
ministre, devait les rejoindre bientôt. Au printemps 1663, ils sont présentés
officiellement au roi, qui leur dit  : Vous pouvez, Messieurs, juger de
l’estime que je fais de vous, puisque je vous confie la chose du monde qui
m’est la plus précieuse, qui est ma gloire. Je suis sûr que vous ferez des
merveilles ; je tâcherai de ma part de vous fournir de la matière qui mérite
d’être mise en œuvre par des gens aussi habiles que vous êtes. (Perrault,
Mémoires)
Tout cela ne m’est rien à l’égard d’un point d’honneur où je croirais
la réputation de ma couronne tant soit peu blessée.
En 1662, l’affaire du «  salut au pavillon  » auquel prétendaient les
vaisseaux anglais de la part des Français menace d’envenimer les relations
entre les deux pays. Dans ses directives à son ambassadeur, le comte
d’Estrades, Louis XIV devance les arguments dont ne manquera pas d’user
le chancelier Hyde. Je ne doute pas qu’après ce coup, le chancelier ne vous
représente maintenant les inconvénients de cette résolution, si je m’y porte
[suit l’énumération de ces inconvénients]. Je crois que tout cela peut
facilement arriver, et je vois aussi bien qu’eux l’intérêt que j’ai qu’il
n’arrive pas  ; et cependant tout cela ne m’est rien à l’égard d’un point
d’honneur où je croirais la réputation de ma couronne tant soit peu blessée ;
car en pareil cas, bien loin de me soucier ni me mettre en peine de tout ce
qui peut arriver des États d’autrui, comme du Portugal, je serai toujours prêt
de hasarder les miens propres, plutôt que de commettre la moindre
faiblesse, qui ternît la gloire où je vise en toutes choses, comme au principal
objet de toutes mes actions. (Louis  XIV, Au comte d’Estrades. Paris,
25  janvier 1662. Grimoard et Grouvelle, V). Voltaire, dans Le Siècle de
Louis XIV, abrège ainsi le mot que nous avons retenu en exergue de cette
rubrique  : Tout ne m’est rien à l’égard de l’honneur. Qui est à la fois
presque la même chose et tout autre chose : mécomptes de la reformulation
des mots du roi par la postérité.
J’ai toujours été le maître chez moi, quelquefois chez les autres, ne
m’en faites pas souvenir.
Aux termes du traité d’Utrecht (1713), rappelle Voltaire, la France s’était
engagée à démolir Dunkerque et à en combler le port. Ce que Louis XIV fit
accomplir. Le roi, quelque temps après, fit élargir le canal de Mardick ; et,
au moyen des écluses, on fit un port qu’on disait déjà égaler celui de
Dunkerque. Le comte de  Stair, ambassadeur d’Angleterre, s’en plaignit
vivement à ce monarque. Il est dit dans un des meilleurs livres que nous
ayons, que Louis XIV répondit au lord Stair : « Monsieur l’ambassadeur,
j’ai toujours été le maître chez moi, quelquefois chez les autres : ne m’en
faites pas souvenir. » Je sais de science certaine que jamais Louis XIV ne fit
une réponse si peu convenable. Il n’avait jamais été le maître chez les
Anglais : il s’en fallait beaucoup. Il l’était chez lui ; mais il s’agissait de
savoir s’il était le maître d’éluder un traité auquel il devait son repos, et
peut-être une grande partie de son royaume. (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Édouard Fournier, pourfendeur de supercheries, surenchérit. Ce fait,
popularisé par Hénault, est inventé. «  Le président, écrit Voltaire à
M. de Courtivron, m’avoua lui-même que cette anecdote était très fausse ;
mais que l’ayant imprimée, il n’aurait pas la force de se rétracter. J’aurais
eu ce courage à sa place. » Et de commenter : Voltaire se vante. (Fournier,
Recherches et Curiosités)
Servir d’exemple.
Le pape Innocent XI voulait rogner les droits exorbitants obtenus dans
Rome par les ambassadeurs européens et ceux qui se recommandaient
d’eux pour couvrir d’impunité leurs exactions ou leurs crimes. Il s’en
ouvre, en 1684, aux monarques européens qui acquiescent à son souhait. Le
nonce Ranuci proposa à Louis XIV de concourir, comme les autres rois, à la
tranquillité et au bon ordre de Rome. Louis, très mécontent du pape,
répondit « qu’il ne s’était jamais réglé sur l’exemple d’autrui, et que c’était
à lui de servir d’exemple ». Il envoya à Rome le marquis de Lavardin en
ambassadeur pour braver le pape. (Voltaire, Siècle de Louis XIV).
Le premier mouvement qui m’a fait croire que je pouvais réussir
dans la guerre a été la jalousie que je sentis, dès que j’eus quelque
connaissance, pour ceux qui étaient les plus estimés, et sans doute les
plus capables.
L’émulation est une cause majeure de l’appétit de gloire, de l’aveu même
du roi établissant son plan de campagne pour ce qui serait la dernière
année de la guerre de Hollande. Il constate avoir accompli jusqu’alors tout
ce qui était possible. J’avoue que je sentais quelque plaisir de me voir
nécessité, pour avoir déjà fait ce qui paraissait possible, d’assiéger des
places que les plus grands capitaines de notre siècle n’avaient osé regarder,
ou devant lesquelles ils avaient été malheureux. Le premier mouvement qui
m’a fait croire que je pouvais réussir dans la guerre a été la jalousie que je
sentis, dès que j’eus quelque connaissance, pour ceux qui étaient les plus
estimés, et sans doute les plus capables. Je m’appliquai à les imiter  ;
j’aspirai à les surpasser, et j’ai du moins été assez heureux pour réussir à des
entreprises qui leur avaient paru impossibles. (Louis  XIV, Relation de la
campagne de 1678 et résultat de paix de Nimègue. Grimoard et Grouvelle,
IV)
Des princes comme moi, qui regardent l’honneur et visent à la gloire
préférablement à toute autre considération.
Dès 1662, voici ce que le roi répond au comte d’Estrades, ambassadeur
de France à Londres, au sujet de l’affaire du « salut au pavillon ». Dans
cette affaire, on se souvient que le chancelier Hyde l’avait pris de haut avec
la France. Avec des princes comme moi, qui regardent l’honneur et visent à
la gloire préférablement à toute autre considération, il y avait de meilleurs
chemins à prendre pour le chancelier, s’il voulait parvenir à sa fin.
(Louis  XIV, Au comte d’Estrades. Paris, 25  janvier 1662. Grimoard et
Grouvelle, V)
Monsieur le maréchal, vous n’aimez pas ma gloire de me parler de la
sorte.
Durant la campagne de Flandre en 1667, Louis XIV quitte Avesnes à la
tête de ses troupes. Le roi ne marcha jamais que le pas et ce fut lui qui fit
tous les détachements pour marcher sur les ailes, car il fait tout de bonne
grâce et sans empressement. M. de Turenne lui ayant dit au commencement
de sa marche avec l’armée en venant ici qu’il se peinait trop et qu’il
pourrait en être malade, il lui dit : « Monsieur le maréchal, vous n’aimez
pas ma gloire de me parler de la sorte. » (Saint-Maurice, Lettre du 16 juin
1667)
C’est vous aimer véritablement, que de préférer votre gloire à sa
propre satisfaction.
La même idée se retrouve quarante ans plus tard, lorsque la reine
d’Espagne, peu de temps après leur mariage, accepte de laisser Philippe V
partir sans elle pour Naples à la reconquête de ses États. Dans une lettre à
son petit-fils, Louis XIV souligne le digne sacrifice de son amour que fait la
jeune épouse à la gloire de son mari et incite celui-ci à la chérir d’autant
plus. Votre amitié doit être encore augmentée par les marques qu’elle vous
donne de la sienne. C’est vous aimer véritablement, que de préférer votre
gloire à sa propre satisfaction. (Louis XIV, À Philippe V. Versailles, 22 mars
1702. Grimoard et Grouvelle, VI)
Préférer sa gloire à toute autre considération.
Et dans une lettre parallèle à la jeune femme, il réitère l’éloge en variant
légèrement la formule. C’est aimer véritablement le roi, mon petit-fils, que
de préférer sa gloire à toute autre considération  ; et je dois plutôt vous
donner les justes louanges que vous méritez, que les avis que vous
demandez pour votre conduite. (Louis XIV, À la reine d’Espagne. 22 mars
1702. Grimoard et Grouvelle, VI)
Il était nécessaire de faire connaître votre valeur
Et de fait, en se signalant par son courage, le jeune roi comble de
bonheur son grand-père. Je ne puis vous reprocher de vous être trop exposé
dans une première occasion  : il était nécessaire de faire connaître votre
valeur, et mes conseils vous y auraient excité plutôt que de vous retenir ;
mais ils étaient inutiles, et vous pensiez comme moi. (Louis  XIV,
À Philippe V. Marly, 26 août 1702, Lettres inédites du Mémorial du Dépôt
général de la guerre)
Je serais inconsolable si depuis votre arrivée, il s’était passé quelque
chose où mes armes n’eussent point de part.
La gloire vit d’images, celles de troupes impeccables que l’on va voir
défiler ; elle vit surtout de réalités, d’insatiables réalités, celles de succès
militaires incessants. À quoi le roi s’attache avec une ardeur fébrile qu’il
ose avouer. Monsieur de Pradel, je suis bien aise d’apprendre que chacun
s’empresse à voir mes troupes, sachant que c’est leur bon état qui attire
cette foule. Le comte d’Estrades m’a mandé qu’il allait les voir passer, et
conférer avec vous et avec les députés des États [des Provinces-Unies], sur
ce qu’il y aurait à faire, et comme je ne doute pas qu’on n’ait pris le bon
parti, je suis en impatience, attendant à tout moment les nouvelles du
succès. Et quoique je sois assuré qu’il n’y ait personne qui soit plus âpre
que vous à la gloire, je ne puis m’empêcher de vous dire que je serais
inconsolable si depuis votre arrivée, il s’était passé quelque chose où mes
armes n’eussent point de part. […] Je vous réplique de nouveau que dans la
curiosité, et je puis dire inquiétude [au sens de fébrilité] que j’ai de savoir
ce qui se passe dans le pays où vous êtes, vous ne devez jamais manquer de
me donner des nouvelles le plus souvent que vous pourrez. (Louis  XIV,
À M. de Pradel. Paris, 27 novembre 1665. Grimoard et Grouvelle, V)
Mes armes ayant toujours été victorieuses sur terre, j’espère qu’elles
ne seront pas moins heureuses sur la mer.
En 1666, la gloire du roi n’a encore subi aucun revers. Il peut écrire avec
fierté au duc de Beaufort, au moment où la flotte française va devoir
appuyer la flotte hollandaise contre sa rivale britannique  : Mes armes
ayant toujours été victorieuses sur terre, j’espère qu’elles ne seront pas
moins heureuses sur la mer, et même [i.e. en particulier] dans cette
conjoncture où elles sont entre vos mains. (Louis XIV, Au duc de Beaufort.
Saint-Germain-en-Laye, 16 février 1666. Grimoard et Grouvelle, V)
Vous savez que je ne peux plus être que seul à commander une armée.
Encore faut-il que la gloire du monarque ne soit pas occultée par celle de
ses généraux auxquels l’opinion penchera naturellement à prêter les succès
remportés sur le terrain, fût-ce en présence du roi. Pour quoi celui-ci,
caressant un projet d’offensive sur plusieurs fronts durant le premier hiver
de la guerre de Hollande, souhaite commander seul désormais la principale
de ses armées. J’avoue que je trouverais beau que, dans le temps que
l’empereur, l’Espagne, la Hollande et Brandebourg essaient d’arrêter mes
progrès, on vît Luxembourg entrer en Hollande sur la glace, M. le Prince
prendre partie du comté de Bourgogne, et moi en Flandre, chasser toutes
leurs troupes de leur pays, et enlever quelques places, s’il était possible. Je
me mets du côté de la Flandre, parce que vous savez que je ne peux plus
être que seul à commander une armée. Je ne vous dis ceci que pour vous
faire voir que mes desseins ne sont pas si visionnaires, et que j’ai des
raisons qui me peuvent engager à croire qu’ils pourront être utiles et tout à
fait glorieux. (Louis  XIV, Au marquis de Louvois. Compiègne,
27 décembre 1672. Grimoard et Grouvelle, III)
Le grand et heureux succès qu’avait eu, le jour précédent, celle de
mes armées que vous commandez.
Ce souci inconscient de manifester la suzeraineté de sa gloire serait-il
cause du tour indirect des congratulations qu’adresse le roi à Turenne, pour
lequel il aura toujours montré une confiance et une estime exceptionnelles,
lorsqu’il lui écrit pour le féliciter d’avoir remporté la belle victoire de
Sintzhem  ? En tout cas, on note avec intérêt et amusement le tour
périphrastique qu’il adopte pour se féliciter du succès de ses armées, au
lieu de congratuler sans ambages le vainqueur pour sa victoire. Mon
Cousin, j’ai appris avec la satisfaction que vous pouvez vous imaginer, par
votre lettre du 17 de ce mois, et par ce que Ruvigni m’a dit de bouche, le
grand et heureux succès qu’avait eu, le jour précédent, celle de mes armées
que vous commandez. J’ai appris aussi avec beaucoup de plaisir la manière
dont tous les officiers se sont comportés dans le combat, et la valeur avec
laquelle ils ont exécuté tous les ordres que vous leur avez donnés pour mon
service. (Louis XIV, Au maréchal de Turenne. Tonnerre, le 22 juin 1674.
Grimoard et Grouvelle, III)
Cette sorte de plaisir comble de bonheur [un cœur bien élevé], en lui
faisant croire qu’il n’y avait que lui capable d’entreprendre et digne de
réussir.
Au début de 1678, Louis XIV médite les coups d’éclat qui lui permettront
de terminer la guerre de Hollande. Voici comment il en présente les
intentions et les maximes. J’avais impatience de commencer la campagne de
1678, et une grande envie de faire quelque chose d’aussi glorieux et de plus
utile que ce qui avait déjà été fait ; mais il n’était pas aisé d’y parvenir, et de
passer l’éclat que donnent la prise de trois grandes places et le gain d’une
bataille. J’examinai ce qui était faisable, et je travaillai à surmonter les
difficultés qui se rencontrent d’ordinaire dans les grandes choses. Si elles
donnent de la peine, on en est bien récompensé dans les suites. Un cœur
bien élevé est difficile à contenter, et ne peut être pleinement satisfait que
par la gloire ; mais aussi cette sorte de plaisir le comble de bonheur, en lui
faisant croire qu’il n’y avait que lui capable d’entreprendre et digne de
réussir. (Louis XIV, Relation de la campagne de 1678 et résultat de paix de
Nimègue. Grimoard et Grouvelle, IV)
Vous m’avez fait un des grands plaisirs que j’aie eus de ma vie, et
j’espère vivre encore assez pour vous en faire beaucoup.
Et quand les plaisirs se font plus rares parce que les revers sont plus
nombreux, la mesure du plaisir provoqué par les victoires devient
inversement proportionnelle à leur rareté. Ainsi en 1703 lorsque la bataille
de Spire est remportée par le maréchal de Tallard. Le marquis de La Baume
arriva sur les cinq heures, qui apporta la nouvelle d’une bataille gagnée par
le maréchal de Tallard, son père, contre les troupes de Hesse, de l’électeur
palatin et une partie de celles qui étaient dans les lignes de Stolhofen. […]
Sitôt que le roi eut reçu ces bonnes nouvelles, il les manda à Monseigneur,
qui était à Paris à l’opéra ; Monseigneur lut la lettre dans sa loge ; on fit
cesser les acteurs un moment, et Monseigneur apprit au public le gain de la
bataille et la prise de Landau, ce qui fut suivi de beaucoup de cris de Vive le
roi et Monseigneur, après quoi on fit recommencer l’opéra, et Monseigneur
revint ici au souper du roi. […] M. de La Baume rendit compte au roi chez
Mme de Maintenon, et parla avec beaucoup de sagesse et de modestie, ne
parlant jamais de monsieur son père. Le roi lui dit : « Vous m’avez fait un
des grands plaisirs que j’aie eus de ma vie, et j’espère vivre encore assez
pour vous en faire beaucoup. » (Dangeau, Journal, 20 novembre 1705)
PONDÉRATION DE LA GLOIRE

►  Le prix de l’héroïsme
S’il se trouve [une aventure] qui nous oblige à relâcher en apparence
quelque chose de notre fierté, […] les effets éclatants qui s’en
découvrent enfin nous en excusent glorieusement.
La voie qui mène au triomphe n’est pas toujours droite et aisée, les succès
se paient aussi de revers préalables. L’on n’arrive jamais à la fin des vastes
aventures sans essuyer diverses difficultés, et s’il s’en trouve quelqu’une
qui nous oblige à relâcher en apparence quelque chose de notre fierté, la
beauté du succès que nous en attendons nous en console doucement en
nous-mêmes et les effets éclatants qui s’en découvrent enfin nous en
excusent glorieusement dans le public. (Louis XIV, Mémoires pour l’année
1666)
En attendant que le monde se détrompe de ses erreurs, ce doit être
assez pour nous du témoignage que nous nous rendons à nous-mêmes.
Un exemple en est offert par l’échec du siège de Termonde en 1667, qui
sur le moment a fait jaser. Une sage retraite devrait mériter plus de gloire à
un roi sage qu’un succès où le hasard peut avoir eu sa part. Ces bruits qui
s’élèvent avec tumulte se détruisent bientôt par la raison, et font place aux
sentiments des sages, qui, reconnus enfin pour vrais du peuple même,
fondent par un consentement universel la solide et durable réputation. En
attendant que le monde se détrompe de ses erreurs, ce doit être assez pour
nous du témoignage que nous nous rendons à nous-mêmes : et c’est ce qui a
fait que, repassant quelquefois mon esprit sur la retraite dont nous parlons,
loin d’en être mal satisfait, je l’ai regardée comme la seule action de cette
campagne où j’eusse véritablement fait quelque épreuve de ma vertu. Car,
enfin, dans toutes les autres, quoique peut-être elles en aient eu plus d’éclat,
si j’ai fait quelque chose qu’on ait approuvé, ce n’a été que suivre les
mouvements ordinaires à ceux de ma qualité et, si j’ai eu quelques succès
avantageux, la fortune y pourra prétendre autant ou plus de part que moi :
au lieu que je ne dois tout le fruit de celle-ci qu’à la violence que je me fis à
moi-même en méprisant tous les discours que je prévoyais. (Louis  XIV,
Mémoires pour l’année 1667)
Il vaut mieux reprendre des coutumes anciennes, si on les croit
bonnes, que de hasarder beaucoup pour un faux point d’honneur.
En 1692, au plus fort de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697),
la victoire remportée par le maréchal de Luxembourg à Steinkerque, avant
celle de Neerwinden l’année suivante, n’empêche pas le roi de garder la
tête froide sur les périls et les dépenses de la guerre et sur les meilleurs
moyens de la gagner : la sûreté vaut mieux que le panache. Il paraît par
tous les avis qui viennent, que le prince d’Orange fait venir en Flandre
l’infanterie qui était embarquée, et qu’il veut vous attaquer à quelque prix
que ce soit. Pourquoi, quand vous ne trouvez pas des postes tels que vous le
désirez, ne vous retranchez-vous pas ? Par ce moyen, vous ne combattriez
jamais qu’avec avantage, contre un homme qui veut entreprendre les choses
sans beaucoup de raison. Je sais que vous me direz : il y a longtemps que
cela ne s’est fait ; cela pourrait ternir la réputation de vos armes, et faire
connaître aux ennemis qu’on les appréhende, et beaucoup d’autres choses
que je ne dis pas ici ; mais ce ne sont que des discours, et l’essentiel est
qu’il n’arrive point d’accident à mon armée, et même qu’il n’y ait point de
combat où la perte soit égale. C’est pourquoi il vaut mieux reprendre des
coutumes anciennes, si on les croit bonnes, que de hasarder beaucoup pour
un faux point d’honneur ; puisque ce qu’on fera passera pour sagesse et non
pour faiblesse, dans une conjoncture comme celle-ci. (Louis  XIV, Au
maréchal de Luxembourg. Versailles, 24 août 1692. Grimoard et Grouvelle,
IV)
Le secours de Maestricht serait d’éclat, mais il ne serait pas sûr d’y
penser, et un malheur qui nous pourrait arriver, en attirerait bien
d’autres.
Déjà durant la brillante guerre de Hollande le roi appliquait ce sage
précepte et se rendait à la préséance de la prudence sur l’éclat. Les grands
sièges me plaisent plus que les autres ; mais en l’état des choses, il faut les
remettre à un autre temps. Le secours de Maestricht serait d’éclat, mais il ne
serait pas sûr d’y penser, et un malheur qui nous pourrait arriver, en
attirerait bien d’autres. Le siège de Charlemont ne me paraît pas prudent, à
cause du voisinage du prince d’Orange, et de l’éloignement des endroits
qu’il faut toujours garder avec application, quoique je ne croie pas
Villahermosa joint avec Waldeck en état de faire grand-chose. Il faut donc
en venir au siège de Saint-Guilain et à la prise de Linck, fortifiant Cassel en
même temps. Et plus loin : M. le maréchal d’Humières prendra Linck et
fera fortifier Cassel. Ce parti ne sera pas éclatant, mais il sera utile.
(Louis XIV, À Louvois. Versailles, 1er août 1676. Grimoard et Grouvelle,
IV)
Pourvu qu’on puisse avoir la victoire d’une façon, il ne faut pas se
mettre en peine de l’avoir d’une autre, quoiqu’elle nous paraisse plus
éclatante.
Et même auparavant dans son règne, quand l’échec lui était encore
inconnu, le roi professait qu’on devrait savoir ne pas soumettre la certitude
de la fin à la beauté des moyens, une victoire certaine au souci incertain de
la gloire. Pourvu qu’on puisse avoir la victoire d’une façon, il ne faut pas se
mettre en peine de l’avoir d’une autre, quoiqu’elle nous paraisse plus
éclatante. Nous perdons l’occasion d’un gain sûr pour en chercher un
incertain. (Louis XIV/Périgny, Journal de juin 1666, notes préparatoires du
roi)
Je suis ici dans un lieu où j’ai besoin de patience.
Variante du même thème, la patience est parfois le meilleur moyen
d’atteindre au succès et de confirmer la gloire d’être craint même quand on
n’agit pas. Je suis ici dans un lieu où j’ai besoin de patience. Je veux avoir
ce mérite de plus à la guerre, et faire voir que je sais embarrasser mes
ennemis par ma seule présence ; car je sais qu’ils ne souhaitent rien avec
tant d’ardeur, que mon retour en France. Peut-on résister à citer la note
irrévérencieuse de Grouvelle au bas de ce billet : Il aurait mieux valu le
laisser dire aux autres, en supposant qu’ils le pensassent, que de l’écrire soi-
même  ? (Louis  XIV, À  Colbert. Au camp de Neer-Asselt, 2  juin 1676.
Grimoard et Grouvelle, IV)
Ne pouvant me résoudre à la perte de tant de braves gens, et
préférant leur conservation aux avantages que je pourrais tirer d’une
plus longue résistance, je vous écris cette lettre pour vous dire, que […]
vous lui livriez la place.
La même sagesse conduit Louis XIV en personne à ordonner la reddition
sous conditions de la place de Grave après quatre mois de siège par
Guillaume d’Orange en octobre  1674, afin d’en sauver la garnison.
Monsieur de Chamilly, la vigoureuse défense que vous et les officiers de
mes troupes qui sont en garnison dans Grave avez faite jusques ici, et la
valeur avec laquelle vous avez soutenu les efforts des ennemis, me donnent
tant de satisfaction que, ne pouvant me résoudre à la perte de tant de braves
gens, et préférant leur conservation aux avantages que je pourrais tirer
d’une plus longue résistance, je vous écris cette lettre pour vous dire que si,
suivant le bruit qui court, le prince d’Orange se rend au camp devant Grave
pour y commander, je trouve bon que vous lui fassiez savoir que vous
n’attendiez que sa venue pour lui remettre la place, en cas qu’il la veuille
recevoir à des conditions raisonnables ; et que s’il vous accorde la liberté
d’en sortir avec toute la garnison, y compris les malades, armes et bagages
et tout le canon qui s’y trouvera aux armes ou marques de France, et de
faire rendre le tout en sûreté à Charleroi, vous fournissant pour cela
l’escorte nécessaire, et en outre les passeports des généraux des armées de
l’empereur et du roi catholique, vous lui livriez la place. (Louis XIV, Au
marquis de Chamilly. Versailles, 12 octobre 1674. Grimoard et Grouvelle,
III)
L’action est très belle ; mais j’ai regret de tant de braves gens qu’on y
a perdus.
Même expression de sagesse dans cette plus rapide évaluation de la
lourde rançon de la gloire. J’ai été très aise de ce que le comte d’Estrées a
fait [la victoire navale de Tabago, combat glorieux mais modeste et
périphérique, qui ne bouleversa pas l’issue de la guerre contre la
Hollande] : l’action est très belle ; mais j’ai regret de tant de braves gens
qu’on y a perdus, et de mes quatre vaisseaux ; mais malgré la perte, cette
affaire est fort glorieuse pour la France. (Louis  XIV, À  Colbert. Condé,
26 mai 1677. Grimoard et Grouvelle, V)
N’ayez de guerre que lorsque vous y serez forcé.
La guerre, principal levier de la gloire, finira par lasser Louis XIV durant
la fin de son règne marqué par bien des revers militaires et par
l’épuisement consécutif du royaume. Avant d’avouer à son arrière-petit-fils
sur son lit de mort qu’il a trop aimé la guerre, il avait recommandé à son
petit-fils devenant roi d’Espagne d’en modérer l’usage. Ironie du sort, la
promotion du duc d’Anjou sera cause de la plus terrible des guerres que dut
mener le roi son grand-père. Peut-être les conseils ne sont-ils pas faits pour
être suivis par ceux qui les donnent. Faites le bonheur de vos sujets ; et,
dans cette vue, n’ayez de guerre que lorsque vous y serez forcé, et que vous
en aurez bien considéré et bien pesé les raisons dans votre conseil.
(Louis XIV, Instructions au duc d’Anjou)
Je me trouve […] assez bien partagé, pour n’avoir ni inquiétude ni
désir violent d’étendre davantage ma domination.
Il n’est d’ailleurs pas sûr que ce désamour tardif de la guerre ne ramène
pas Louis XIV à ses idéaux initiaux. Au tout début de son gouvernement
personnel, lorsque sa gloire se faisait reconnaître par des gestes sans
conséquences militaires (querelles du salut au pavillon, des gardes corses
du pape, de la préséance sur l’Espagne), il caressait l’image (ou le rêve ?)
d’un règne de grandeur sans violence impérialiste. Du moins l’écrit-il au
comte d’Estrades, son ambassadeur à Londres puis en Hollande, auquel il
n’a aucune raison de cacher ses desseins secrets. L’avenir démentira vite
cette illusion, par les obstacles que ses voisins inquiets opposeront bientôt à
ses projets qui ne seront rien moins qu’expansionnistes, quoi qu’il en dise.
Je vous dirai donc, en premier lieu, que j’ai été fort aise que le sieur De Witt
ait pu reconnaître, et comme toucher au doigt par des effets sensibles,
lorsque vous vous êtes ouvert à lui de mes plus secrètes pensées et
intentions, sur la proposition qu’on lui est venu faire, que je ne suis pas ce
dangereux voisin, ni ce prince si immodérément ambitieux et si avide des
États d’autrui, que mes envieux le publient avec des exagérations odieuses,
pour faire concevoir partout de grands ombrages de ma puissance. Je me
trouve par là, grâce à Dieu, comme je vous l’ai déjà mandé, assez bien
partagé, pour n’avoir ni inquiétude ni désir violent d’étendre davantage ma
domination ; et pourvu que je puisse toujours tenir ceux qui ne m’aiment
pas (dont les vastes desseins ou le trop grand pouvoir me doivent être
suspects) en état de ne me faire point de mal, je croirai avoir tout sujet de
me contenter, et d’être fort satisfait de ma condition présente. (Louis XIV,
Au comte d’Estrades. Paris, 20 avril 1663. Grimoard et Grouvelle, V)
Il faut de la variété dans la gloire comme partout ailleurs.
On a vu plus haut qu’un bon roi doit réunir en lui toutes les qualités de
ses sujets. La citation que nous avons alors retenue s’inscrit dans un
contexte qui relativise la place de la valeur (entendons le courage et
l’héroïsme, sources de gloire) parmi les autres qualités nécessaires à un
monarque. S’il n’est point beau de se faire un favori, quelque habile qu’il
puisse être, pour ne plus écouter que lui, il ne l’est guère davantage de se
faire une passion, quelque noble qu’elle soit, pour ne recevoir plus d’autre
conseil que le sien ; si ce n’est que vous entendiez par là celle du bien en
général, qui se change en autant de formes qu’il y a de choses justes,
honnêtes et utiles. Il faut de la variété dans la gloire comme partout ailleurs.
Car qui dit un grand roi dit presque tous les talents ensemble de ses plus
excellents sujets. La valeur est une de ces qualités principales, mais ce n’est
pas l’unique ; elle laisse beaucoup à faire à la justice, à la prudence et à la
bonne conduite, et à l’habileté dans les négociations : plus la valeur même
est parfaite, plus elle affecte de ne point paraître à contretemps et de ne se
montrer que la dernière. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1662)
Plus on aime chèrement la gloire, plus on doit tâcher de l’acquérir
avec sûreté.
En 1666, Louis XIV penche à entrer en guerre à la fois contre l’Espagne
au nom des droits de la reine (ce sera la guerre de Dévolution) et contre
l’Angleterre en lutte depuis 1667 avec les Provinces-Unies qu’un traité
d’assistance mutuelle liait à la France. Mais pour appuyer le sentiment
contraire, je remarquais que, comme un prince acquiert de la gloire à
vaincre les difficultés qu’il ne peut éviter, il se met en danger d’être accusé
d’imprudence en se jetant trop aisément dans celles qu’un peu d’adresse lui
pouvait épargner ; que la grandeur de notre courage ne nous doit pas faire
négliger le secours de notre raison, et que plus on aime chèrement la gloire,
plus on doit tâcher de l’acquérir avec sûreté ; […] mais que du moins il me
serait glorieux devant toutes les nations de la terre, qu’ayant d’un côté mes
droits à poursuivre et de l’autre mes alliés à protéger, j’eusse été capable de
négliger mon intérêt pour entreprendre leur défense. (Louis XIV, Mémoires
pour l’année 1666)
Comme vous devez toujours penser au bien de l’État, je ne doute pas
que vous ne vous conduisiez avec la sagesse et la prudence que vous me
mandez.
Le même constat vaut pour le Dauphin, quand il commande les armées de
son père. Je suis très aise de ce que vous me mandez, pour ce qui vous
regarde. Je souhaite plus que vous, que vous puissiez acquérir beaucoup de
gloire ; mais comme vous devez toujours penser au bien de l’État, je ne
doute pas que vous ne vous conduisiez avec la sagesse et la prudence que
vous me mandez. (Louis  XIV, Au Dauphin. Marly, 23  juillet 1694.
Grimoard et Grouvelle, IV)
Ne vous exposez pas mal à propos ; mais ne déférez pas à des conseils
timides.
Et le conseil passe du fils au petit-fils  : que le roi d’Espagne pondère
l’appel de la gloire et les obligations de la sûreté — car un roi se doit
d’abord à son État, avant de s’appartenir. Ne vous exposez pas mal à
propos ; mais ne déférez pas à des conseils timides. Croyez ceux du duc de
Vendôme et de Marcin. Je crois vous donner les marques les plus
essentielles de mon amitié, en songeant à votre gloire. (Louis  XIV,
À Philippe V. 24 juillet 1702. Grimoard et Grouvelle, VI)
Vous êtes dans une conjoncture où tout dépend de la conservation de
votre personne. 
La maxime vaut encore plus dans la défaite et le désarroi général. En
1706, la levée du siège de Barcelone dévoile la fragilité de la situation de
Philippe V et celle de son trône. Vous ne devez point hasarder de passer à
Madrid seul et peu accompagné. Vous êtes dans une conjoncture où tout
dépend de la conservation de votre personne : ainsi vous devez seulement
marcher jusqu’à Pampelune avec quelques régiments de cavalerie et de
dragons, et vous y attendrez le reste des troupes. […] Il faut se soumettre
aux jugements de Dieu, et croire que si nous profitons des disgrâces qu’il
nous envoie, elles nous procureront des biens solides et éternels.
(Louis XIV, À Philippe V. 29 mai 1706. Grimoard et Grouvelle, VI)
Il y a des conjonctures où le courage doit céder à la prudence.
En 1709, la situation tournant au désastre, Philippe  V prêt à en être
réduit, aux termes des pourparlers de paix, à n’être plus que roi de Naples,
écrit à son aïeul qu’il ne quittera jamais l’Espagne « qu’avec la vie ». Plus
réaliste, celui-ci répond par des maximes modérées à son ambassadeur à
Madrid, Amelot de Gournay. Il y a des conjonctures où le courage doit
céder à la prudence ; et comme les peuples, zélés présentement, pourraient
bien ne pas penser toujours de même, ni comme mon petit-fils, il vaut
mieux songer à régner en quelque endroit, que de perdre en même temps
tous ses États. (Louis  XIV, À  Amelot. 29  avril 1709. Grimoard et
Grouvelle, VI)
Il ne convient pas de commettre les affaires du roi d’Espagne au sort
d’une bataille, lorsque le temps est absolument pour lui.
Et d’ailleurs quand Louis  XIV espère en 1711 une paix négociée pour
conclure la guerre de Succession d’Espagne, il s’arc-boute de toutes ses
forces contre les jusqu’au-boutistes de la gloire par les armes. Je suis
persuadé que, quand même vous seriez assuré de la bonté et de la
supériorité des troupes que vous commandez, vous jugeriez, comme moi,
qu’il ne convient pas de commettre les affaires du roi d’Espagne au sort
d’une bataille, lorsque le temps est absolument pour lui, et que vous faites
périr ses ennemis en les tenant dans l’inaction. (Louis  XIV, Au duc de
Vendôme. Versailles, 28 septembre 1711, Lettres inédites du Mémorial du
Dépôt général de la guerre)
►  D’autres formes de gloire
S’il y a une fierté légitime en notre rang, il y a une modestie et une
humilité qui ne sont pas moins louables.
L’idéal de Louis XIV oscille entre la morale de la gloire, expression d’une
éthique du sublime, et la gloire de la morale, expression d’une éthique de la
sagesse. Voici un passage de ses Mémoires destinés à son fils où il résout la
contradiction entre ces modèles en montrant comment leurs qualités
opposées sont tour à tour requises par les circonstances. S’il y a une fierté
légitime en notre rang, il y a une modestie et une humilité qui ne sont pas
moins louables. Ne pensez pas, mon fils, que ces vertus ne soient pas faites
pour nous. Au contraire, elles nous appartiennent plus proprement qu’au
reste des hommes. Car, après tout, ceux qui n’ont rien d’éminent, ni par la
fortune, ni par le mérite, quelque petite opinion qu’ils aient d’eux-mêmes,
ne peuvent jamais être modestes ni humbles  ; et ces qualités supposent
nécessairement en celui qui les possède, et quelque élévation et quelque
grandeur dont il pourrait tirer de la vanité. Nous, mon fils, à qui toutes
choses semblent inspirer ce défaut si naturel aux hommes, nous ne pouvons
trop apporter de soin à nous en défendre. Mais à sa leçon d’humilité, le roi
ajoute immédiatement, par contrepoids, une leçon de fierté, en fondant cette
variation sur l’appropriation de chacune de ces qualités à la situation.
Mais quand il s’agira […] du rang que vous tenez dans le monde, des droits
de votre couronne, du roi enfin et non pas du particulier, prenez hardiment
l’élévation de cœur et d’esprit dont vous serez capable, ne trahissez point la
gloire de vos prédécesseurs ni l’intérêt de vos successeurs à venir, dont vous
n’êtes que le dépositaire. Car alors votre humilité deviendrait une bassesse.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1661)
Tant de différentes choses par lesquelles ils se peuvent faire connaître.
Autre pondération des contraires exigée d’un grand roi  : le soin
particulier à chaque chose, l’application exacte à tout. Les princes qui ont
de bonnes intentions et quelque connaissance de leurs affaires, soit par
expérience, soit par étude, et une grande application à se rendre capables,
trouvent tant de différentes choses par lesquelles ils se peuvent faire
connaître, qu’ils doivent avoir un soin particulier et une application
universelle à tout. (Louis XIV, Réflexions sur le métier de roi)
La noble ambition de vous signaler.
Sa réputation de grand roi, signée par son surnom de Louis-le-Grand,
Louis XIV ne l’attend pas nécessairement de sa seule gloire de conquérant.
Comme un jour le fera Napoléon en mettant le Code civil au-dessus de
toutes ses conquêtes militaires, le Roi-Soleil, s’adressant à son fils, lui
présente pour socle le plus solide de sa réputation dans le présent et de sa
gloire posthume d’avoir su régner en maître unique et absolu de l’État. Si
vous ne voulez vivre qu’en prince du commun, content de vous conduire ou
plutôt de vous laisser conduire comme les autres, vous n’avez pas besoin de
ces leçons. Mais si vous avez un jour, comme je l’espère, la noble ambition
de vous signaler, si vous voulez éviter la honte non seulement d’être
gouverné, mais seulement d’en être soupçonné, vous ne sauriez observer
avec trop d’exactitude les principes que je vous donne ici, et que vous
trouverez continuellement dans la suite de cet ouvrage. (Louis  XIV,
Mémoires pour l’année 1668)
Il ne suffit pas d’avoir fait connaître votre valeur à la tête des
armées ; il faut, pour votre gloire, travailler au rétablissement de vos
affaires.
C’est ce qu’il explique à son petit-fils Philippe  V d’Espagne auquel il
reproche de croire que la gloire militaire suffise à faire un grand roi : il est
une autre gloire que celle du champ de bataille, une gloire au moins
complémentaire, c’est celle du cabinet. Il ne suffit pas d’avoir fait connaître
votre valeur à la tête des armées ; il faut, pour votre gloire, travailler au
rétablissement de vos affaires, et vous n’y parviendrez que par beaucoup de
soins et par une extrême application. Vous ne voyez que trop le désordre où
elles sont par la paresse des rois vos prédécesseurs. Leur exemple vous
apprendra à réparer, par une conduite opposée, le préjudice qu’ils ont causé
à la monarchie d’Espagne. Je vous avouerai que je vois avec douleur que,
dans le temps que vous vous exposez sans peine à tous les périls de la
guerre, il semble que le courage vous manque pour combattre un vice aussi
odieux. Je sais qu’il vous entraîne, et que vous succombez lorsqu’il est
question d’entendre parler d’affaires et de vous appliquer. (Louis  XIV,
À Philippe V. 10 septembre 1702. Grimoard et Grouvelle, VI)
Je ne puis que je ne vous convie de contribuer au prompt
accomplissement de ce qui reste pour la consommation de sa gloire.
La gloire a même ses chemins détournés et bizarres. Un domaine étrange
où s’intéresse la gloire nationale, c’est par exemple la canonisation d’un
saint français — pieux équivalent de la « nobélisation » de nos jours. Ce
dont traite la lettre que voici, adressée par le roi au légat du pape. Mon
Cousin, la justice que notre Saint-Père a rendue aux vertus immortelles du
bienheureux François de Sales m’a causé d’autant plus de joie que je la
considère comme un gage assuré qui nous promet au plus tôt la perfection
de l’ouvrage par la canonisation de ce saint homme. En vous témoignant le
plaisir que vous m’avez fait de me donner part de sa béatification, je ne puis
que je ne vous convie de contribuer au prompt accomplissement de ce qui
reste pour la consommation de sa gloire : c’est ce que j’attends de votre zèle
pour la splendeur de l’Église et pour l’édification du public, et même de
l’affection que je sais que vous avez pour moi. (Louis  XIV, Au cardinal
Chigi. Paris, 24 février 1662. Grimoard et Grouvelle, V)
Il est convenable à l’élévation où nous nous trouvons, de négliger
quelquefois par de nobles motifs ce qui se passe au-dessous de nous.
Enfin, par-dessus tout, la raison, inspirant la mesure, la prudence et la
sagesse, doit demeurer sourde aux appels de la gloire lorsqu’ils sont
trompeurs, en politique comme en choses militaires. Je sais mieux que
personne combien les moindres choses qui touchent à notre dignité
intéressent sensiblement les cœurs jaloux de leur gloire. Mais cependant la
raison ne veut pas que l’on relève tout avec scrupule, et peut-être même
qu’il est convenable à l’élévation où nous nous trouvons de négliger
quelquefois par de nobles motifs ce qui se passe au-dessous de nous.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Faire en toutes occasions ce qui est le plus conforme à la raison.
La gloire de l’événement heureux ne doit pas faire loi : par-delà l’effet
favorable du hasard ou de la Providence, l’analyse des faits éclairés par la
raison doit déterminer la justesse d’une conduite non par son résultat, mais
par ses principes. Ainsi condamnera-t-on la sotte précipitation des
Hollandais lors la bataille des Quatre Jours, en 1666 : ils voulurent pour en
tirer seuls la gloire attaquer la flotte anglaise sans attendre le secours des
Français et remportèrent certes la victoire (encore que chaque camp ait,
quoi qu’en dise Louis XIV, revendiqué le succès) ; mais une victoire fondée
sur une inutile témérité ne témoigne que de la versatilité de la Fortune.
À  l’égard des Hollandais, je vous ferai observer qu’encore que cette
entreprise leur ait réussi, l’on ne doit pas conclure qu’ils aient eu raison de
la faire, parce que, pour juger sainement des conseils, il ne faut pas toujours
s’arrêter aux événements, qui, selon qu’il plaît au Dieu des armées, sont
tantôt heureux et tantôt malheureux, mais qu’il faut se servir des lumières
qu’Il nous a données pour faire en toutes occasions ce qui est le plus
conforme à la raison. Et sans chercher plus loin la confirmation de ces
raisonnements, vous verrez dans cette même année les mêmes flottes
combattant sur les mêmes principes avoir un succès tout différent.
(Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
C’est souvent assez que notre fortune s’affaiblisse pour diminuer
l’opinion de notre vertu.
En parallèle, on imputera trop facilement la responsabilité de sa disgrâce
à celui que le sort frappe : sa réputation sera injustement ternie et la gloire,
maîtresse instable, le quittera sans qu’il en soit coupable pour autant
d’infidélité envers elle. C’est souvent assez que notre fortune s’affaiblisse
pour diminuer l’opinion de notre vertu  : et comme il arrive à l’homme
heureux que tous les avantages qu’il a reçus du hasard tournent chez les
peuples à sa gloire, il arrive de même aux infortunés qu’on leur impute à
manque de prudence tout ce qui se fait contre leurs désirs. Le caprice du
sort, ou plutôt cette sage Providence qui dispose souverainement de nos
intérêts par des motifs au-dessus de notre portée, se plaît quelquefois à
rabattre ainsi le faste des hommes les plus élevés, pour les obliger, au milieu
de nos plus grands avantages, à reconnaître la main dont ils tiennent tout, et
à mériter, par un continuel aveu de leur dépendance, le concours nécessaire
au succès de leurs desseins. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
Ce bien si noble et si précieux est aussi le plus fragile du monde.
Et donc, en fin de compte, ce qui demeure fondamental, c’est la fragilité
de la gloire, quelle qu’en soit la nature et l’origine. Ce qu’il y a d’important
à remarquer, c’est que ce bien si noble et si précieux est aussi le plus fragile
du monde, que ce n’est pas assez de l’avoir acquis si l’on ne veille
continuellement à sa conservation ; et que cette estime qui ne se forme que
par une longue suite de bonnes actions, peut être en un moment détruite par
une seule faute que l’on commet. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1667)
Les artisans de la gloire
UNE GALERIE DE HÉROS
Le règne, en matière de guerres, se divise en trois périodes : celle d’un
héroïsme surprenant et constamment heureux qui culmine dans la guerre de
Hollande (1672-1678), apogée de gloire et d’éclat  ; celle d’une toute-
puissance arrogante et plus difficile à satisfaire, au prix d’une politique
étrangère et militaire à la fois impériale, brutale et, de ce fait, de plus en
plus solitaire, comme le suggère par son nom même la guerre de la Ligue
d’Augsbourg (1688-1697)  ; enfin la période des revers et des épreuves,
celle de l’interminable et coûteuse guerre de Succession d’Espagne qui
faillit engloutir la France assaillie par toute l’Europe ou presque aux côtés
d’une Espagne chancelante (1701-1714). Chaque période eut ses
champions. On en retiendra arbitrairement un par époque, sur lequel le roi
laissa quelques paroles bien documentées.
►  Turenne
Plus peut-être que Condé, dont l’acmé de la légende date de l’entre-deux
règnes et dont le nom reste attaché en priorité à Rocroi (1643), Turenne
incarne la légende des années fastes du règne par l’éclat égal de ses
victoires, leur qualité stratégique autant que tactique, sa discrétion dans le
succès, enfin par sa mort glorieuse sur le champ de bataille (Salzbach,
1675).
Je serais charmé qu’il vous pût ressembler un jour.
Une des grandes qualités du roi était d’être touché de celles des autres, de
les connaître et de les mettre en usage. « Je serais charmé, dit ce prince au
vicomte de Turenne, qui le complimentait sur la naissance du Grand
Dauphin, je serais charmé qu’il vous pût ressembler un jour. Votre religion
est cause que je ne puis vous remettre le soin de son éducation, ce que je
souhaiterais pouvoir faire, pour lui inspirer des sentiments proportionnés à
sa naissance. » (Panckoucke, Suppléments à l’Encyclopédie, « Louis XIV »)
Je ne saurais rien vous refuser.
Au moment où Claude de Guénégaud, trésorier de l’Épargne impliqué
dans le procès Fouquet, est élargi de la Bastille et envoyé à Limoges, en
1667, Turenne demande au roi sa grâce. Sa Majesté lui répliqua qu’il le
priait de ne lui en pas parler. M. de Turenne lui dit : « Sire, il est mon ami et
mon voisin. » Le roi lui dit : « Eh bien ! je vous l’accorde parce que je ne
saurais rien vous refuser. » L’on infère de là que ce maréchal est le tout-
puissant, qu’il n’est pas ami de M. de Colbert et qu’il faut que ce ministre
n’ait plus le crédit des autres fois, parce qu’il en voulait autant à Guénégaud
qu’à M. Fouquet et qu’il a fait son possible pour le porter sur un échafaud.
(Saint-Maurice, Lettre du 3 mai 1667)
Dites à M. de Turenne que je voudrais bien savoir quelquefois ce qu’il
veut faire.
Ce qu’il ne tolérerait pas d’un ministre, Louis XIV l’accepte, avec esprit,
du plus grand capitaine de son règne. M. de Louvois, si habile dans les
détails où sa prévoyance n’oubliait rien, avait toujours été mal avec
M. de Turenne, qui ne lui faisait aucune part de ses entreprises : il prenait
des villes et gagnait des batailles, et [Louvois] ne l’apprenait que par la
gazette. Le roi était quasi dans le même cas et dit, un jour, à un officier qui
s’en retournait à l’armée d’Allemagne, ces célèbres paroles si dignes d’un
bon roi : « Dites à M. de Turenne que je voudrais bien savoir quelquefois ce
qu’il veut faire. » (Choisy, Mémoires)
Je viens d’apprendre avec la douleur que vous pouvez imaginer la
nouvelle de la mort inopinée de mon cousin le vicomte de Turenne.
La mort d’un grand capitaine comme Turenne, c’est d’abord un vide à
remplir. Les considérations de tristesse et les éloges funèbres auront leur
temps  : le plus urgent est de trouver un nouveau chef à l’armée que
dirigeait le disparu. Le duc de Duras qui commandait en Franche-Comté
est chargé de l’intérim, avant l’arrivée de Condé qui commande en
Flandre. Dans les lettres à Duras comme à Condé, une même formule
presque stéréotypée, exactement reproduite, fait l’éloge rapide du disparu.
La voici en tête de la lettre au prince de  Condé. Mon Cousin, je viens
d’apprendre avec la douleur que vous pouvez imaginer la nouvelle de la
mort inopinée de mon cousin le vicomte de Turenne, qui a été tué d’un coup
de canon, en mettant en bataille les troupes de l’armée que j’avais mise sous
sa charge ; et comme par sa perte mon armée d’Allemagne se trouve sans
chef, et que les affaires en ce pays requièrent une personne capable d’y
maintenir la réputation que mes armes y ont acquise, je n’en ai point trouvé
qui pût plus dignement que vous s’en bien acquitter. C’est pourquoi je vous
écris cette lettre pour vous dire que mon intention est qu’aussitôt que vous
l’aurez reçue, vous ayez à remettre entre les mains de mon cousin le duc
de Luxembourg le commandement de mon armée de Flandre, de laquelle je
vous avais donné le commandement, et qu’ensuite vous en partiez pour
vous acheminer en Allemagne le plus diligemment que vous pourrez.
(Louis XIV, Au prince de Condé. Versailles, 30 juillet 1675. Grimoard et
Grouvelle, IV)
J’ai perdu l’homme le plus sage de mon royaume et le plus grand de
mes capitaines.
Et voici maintenant pour l’éloge funèbre «  officiel  ». Rien n’égala la
douleur que ce prince [Louis  XIV] ressentit en apprenant la mort du
maréchal de  Turenne arrivée au camp de Salzbach, au delà du Rhin, le
27  juillet 1675. «  J’ai perdu, dit ce prince, le cœur navré de douleur,
l’homme le plus sage de mon royaume et le plus grand de mes capitaines. »
(Panckoucke, Suppléments à l’Encyclopédie, « Louis XIV »)
Nous avons perdu le père de la patrie !
Autre version, plus proche de la période où survint l’événement. Le roi
alla à Clagny pour la première fois [de la saison] et déjeuna en particulier
avec Mme  de  Montespan, car depuis Pâques, il l’avait toujours vue en
présence de témoins. C’est là qu’il reçut l’avis de la mort de Turenne. […]
le soir, comme les courtisans étaient réunis en foule autour de la table où le
roi a coutume de dîner, à peine se fut-il montré qu’il dit avec gravité  :
« Nous avons perdu le père de la patrie ! » (Primi Visconti, Mémoires sur la
cour de Louis XIV, année 1675)
►  Luxembourg
Le long service de François-Henri de Montmorency-Luxembourg dans les
armées du roi et à la tête de plusieurs d’entre elles à partir de son
maréchalat (1675), le duel à répétition qui l’opposait à Guillaume
d’Orange devenu le principal adversaire de la France, la liste de ses
triomphes et des drapeaux pris à l’ennemi dont il « tapisse » Notre-Dame
ne lui valent pas une confiance sans éclipses de Louis XIV durant sa longue
et brillante carrière de héros : comme si ses débuts sous le commandement
de Condé l’avaient définitivement placé en second dans l’esprit du
monarque, qui mit un peu de temps à reconnaître les mérites d’un si long et
éclatant dévouement, depuis avant même la guerre de Dévolution jusqu’au
presque terme de celle de la Ligue d’Augsbourg (il meurt en 1695).
La distance qui est entre nous n’empêche pas que nos pensées aient
assez de rapport.
Quand nous avons été à la guerre ensemble, nous nous sommes bien
entendus ; il me semble que la distance qui est entre nous n’empêche pas
que nos pensées aient assez de rapport : je m’en réjouis par bien des raisons,
et surtout pour le bien du service. (Louis  XIV, Au maréchal
de Luxembourg. Versailles, 28 juillet 1691. Grimoard et Grouvelle, IV)
Quand je ne vous manderais point toutes mes pensées, vous feriez
aussi bien et peut-être mieux.
Mon Cousin, j’ai reçu votre lettre du 30 du mois passé. Je suis persuadé
que quand je ne vous manderais point toutes mes pensées, vous feriez aussi
bien et peut-être mieux ; mais l’amour-propre fait croire que ce que l’on dit
n’est pas inutile, et peut donner des connaissances que l’on n’aurait pas,
quoique l’on soit très capable. (Louis XIV, Au maréchal de Luxembourg.
Versailles, 1er août 1691. Grimoard et Grouvelle, IV)
Faites, monsieur, pour M.  de  Luxembourg tout ce que vous feriez
pour moi-même si j’étais dans l’état où il est.
M. de Luxembourg à cinq heures du matin s’est trouvé mal, et sa maladie
commence si violemment que les médecins le désespèrent. Le roi en paraît
fort touché, et a dit ce soir à Monsieur : « Mon frère, si nous sommes assez
malheureux pour perdre ce pauvre homme-là, celui qui en porterait la
nouvelle au prince d’Orange serait bien reçu.  »  ; et ensuite il a dit à
M.  Fagon, son premier médecin  : «  Faites, monsieur, pour
M. de Luxembourg tout ce que vous feriez pour moi-même si j’étais dans
l’état où il est. » (Dangeau, Journal, t. V, 31 décembre 1694)
►  Villars
Plus que le duc de Vendôme, dont la naissance trop près et trop loin du
trône à la fois, la vie tapageuse, les mœurs suspectes, les foucades
arrogantes et les grossièretés de soudard font un héros mêlé, emporté non
par un boulet de l’ennemi mais par une indigestion, diront les malveillants,
c’est l’impossible maréchal de  Villars qui incarne au mieux la dernière
partie du règne, sombre et contrastée : il consone avec elle par sa fatuité,
son avidité de titres, de gratifications et de biens, ses obsessions de la
faveur et son humeur hautaine enveloppée de souplesse courtisane envers
le roi — mais tout cela contrebalancé par son esprit orné et lettré, sa
(relative) mansuétude envers les Camisards et son héroïsme personnel au
combat. S’il sauva la face et le trône de Louis XIV par sa victoire inespérée
à Denain (1712), le meilleur emblème de son rôle dans la guerre de
Succession d’Espagne demeure la bataille de Malplaquet (1709) : perdue
puisqu’il dut battre en retraite, mais après avoir tant tué de soldats
adverses que la défaite devint victoire aux points et lui valut la pairie. Triste
symbole de l’absurdité, de l’indécision et du coût terrible de la dernière
guerre menée (à bout de bras) par Louis XIV.
Il semble dès que l’on tire en quelque endroit, que ce petit garçon
sorte de terre pour s’y trouver.
Le jeune Villars s’est fait remarquer dès 1672, à l’âge de dix-neuf ans, au
passage du Rhin et l’année suivante au siège de Maestricht où Louis XIV,
qui l’avait déjà réprimandé pour trop s’exposer, apprit du capitaine de
Croisilles que le jeune homme venait de repousser à la tête d’une poignée
de gendarmes une charge ennemie : « Il semble, dit le roi en parlant du
marquis de Villars, dès que l’on tire en quelque endroit, que ce petit garçon
sorte de terre pour s’y trouver. » (Villars, Mémoires, éd. de Voguë, I)
Mais croyez-vous que ces gens-là […] puissent perdre un homme que
je connais comme vous ?
Longtemps en butte à l’aversion de Louvois, Villars devenu maréchal
de camp subit celle de Barbezieux qui en 1691 avait succédé à son père au
ministère de la Guerre. En 1693, il soupçonne le ministre d’avoir retardé
une lettre qui lui commandait d’aller inspecter la cavalerie française depuis
la Savoie jusqu’en Flandre. Revenu à la cour où il n’était pas attendu, il
veut se justifier devant Louis XIV. Le roi qui l’avait déjà accueilli à Marly
en 1687, signe de grande estime, lui répondit : Mais croyez-vous que ces
gens-là (en parlant du marquis de Barbezieux) puissent perdre un homme
que je connais comme vous ? (Villars, Mémoires, éd. de Voguë, I)
Vous vous apercevrez, aux premières occasions, à quel point je suis
content de vous.
En 1701, au retour de plusieurs années d’ambassade et de négociations
avec l’empereur, Villars est reçu par le roi. Il s’attend à une récompense
marquant la satisfaction du monarque. Mais il ne recevra le maréchalat que
l’année suivante. L’entrevue lui aurait donc donné l’occasion de réclamer
ce qu’il estimait son dû. Sur cela, le roi lui dit encore des paroles très
flatteuses, à quoi le marquis de Villars répondit : « Il faut donc, Sire, que je
porte écrit sur ma poitrine tout ce que Votre Majesté me fait l’honneur de
me dire  ; car, qui pourra penser que je l’aie bien et fidèlement servie,
lorsqu’elle ne fait rien pour moi ? » Le roi dit : « Vous vous apercevrez, aux
premières occasions, à quel point je suis content de vous.  » (Villars,
Mémoires, éd. de Voguë, II)
Mettez-vous au-dessus des courtisans, vous aurez toujours de grands
avantages sur eux.
Envoyé soutenir l’électeur de Bavière allié de la France contre les
Impériaux, Villars craint que sa situation à la cour ne soit menacée par les
intrigues et les cabales qu’il croit ourdies contre lui à Versailles. Louis XIV
le détrompe. La liberté entière de choisir les officiers et les troupes qui vous
conviennent pour passer avec vous, l’abandon avec lequel je me suis remis
sur vous, en vous permettant de remplir les lettres de brigadiers, sont des
preuves convaincantes de l’estime que j’ai pour vous, dont il n’y a aucun
exemple jusqu’à vous. Je vous en donnerai de nouvelles marques dans
toutes les occasions qui se présenteront, et en continuant à me servir comme
vous faites, je ne vous laisserai rien à désirer. Mettez-vous au-dessus des
courtisans, vous aurez toujours de grands avantages sur eux, et vous me
trouverez toujours également prévenu pour vous, tant que vous me
donnerez lieu d’en être content. (Louis  XIV, Au maréchal de  Villars.
Versailles, 14 mai 1703. Grimoard et Grouvelle, VI)
Les discours que l’on tient et dont on vous informe avec tant de soin
ne doivent faire aucune impression sur vous.
Et quelques jours plus tard, le roi rassure encore son maréchal préféré,
décidément inquiet des cabales versaillaises qu’il suppose agir contre lui.
Je vous ai mandé plusieurs fois qu’il ne se pouvait rien ajouter à la
satisfaction que j’ai de vos services ; que les discours que l’on tient et dont
on vous informe avec tant de soin ne doivent faire aucune impression sur
vous ; que rien ne peut à mon égard diminuer le mérite de tout ce que vous
avez fait depuis l’année dernière, et que vous devez toujours continuer avec
le même zèle. (Louis XIV, Au maréchal de  Villars. Versailles, 8 juin 1703.
Grimoard et Grouvelle, VI)
Je me réserve, lorsque vous serez de moi à vous, de vous faire
connaître toute la satisfaction que j’ai des services importants que vous
m’avez rendus.
En 1703, après les succès de Hochstedt et de Kempten remportés pour le
compte de l’électeur de Bavière, Villars est autorisé à rentrer en France, où
l’on a apprécié ses victoires mais regretté ses rapports difficiles avec le
prince qu’il était supposé servir. Comme à l’ordinaire il s’en offusque
violemment. Le roi lui écrit alors pour l’apaiser. Je me réserve, lorsque
vous serez de moi à vous, de vous faire connaître toute la satisfaction que
j’ai des services importants que vous m’avez rendus. (Lettre de Louis XIV
du 14 octobre 1704 d’après Villars, Mémoires, éd. de Voguë, II)
Vous me rendrez un service bien important si vous pouvez arrêter
une révolte qui peut devenir très dangereuse.
Et donc, en 1704, c’est une mission de confiance, moins glorieuse que
délicate, car de presque police, que Louis  XIV confie à Villars  : le
commandement du Bas-Languedoc, c’est-à-dire la mission d’apaiser la
révolte des Camisards dans les Cévennes. Il en reçut l’ordre du roi même,
qui lui dit avec bonté : « Des guerres plus considérables à conduire vous
conviendraient mieux, mais vous me rendrez un service bien important, si
vous pouvez arrêter une révolte qui peut devenir très dangereuse, surtout
dans une conjoncture où, faisant la guerre à toute l’Europe, il est assez
embarrassant d’en avoir une dans le centre du royaume.  » (Villars,
Mémoires, éd. de Voguë, II)
Je n’ai pas le loisir de vous entretenir présentement, mais je vous fais
duc.
Une fois la mission accomplie et la révolte apaisée par des moyens moins
terribles que ceux jusqu’alors adoptés par le maréchal de Montrevel, les
remerciements du roi sont brefs mais concrets. Le maréchal de Villars lui fit
la révérence en descendant de son carrosse, et le roi lui dit  : « M.  le
maréchal, il y a longtemps que nous vous attendions ; montez en haut, et je
vous parlerai. » Sitôt que le roi fut entré chez Mme de Maintenon, il le fit
appeler, et il lui dit : « Je n’ai pas le loisir de vous entretenir présentement,
mais je vous fais duc. » (Dangeau, Journal, 16 janvier 1705)
Je mets ma confiance en Dieu et en vous, et ne puis rien vous
ordonner puisque je ne puis vous donner aucun secours. 
En 1709, au cœur (et au creux) de la guerre, Villars qui commande
l’armée de Flandre repart les mains vides de Versailles où il était venu
chercher des subsistances : les caisses de l’État et ses magasins sont vides.
Le roi peut seulement l’encourager et le récompenser par un parallèle
flatteur qui dit son dessaisissement de tout. Enfin le résultat du voyage que
fit le maréchal de  Villars auprès du roi servit seulement à convaincre ce
général que la cour était sans ressources. Ainsi le roi lui dit en
m’embrassant : « Je mets ma confiance en Dieu et en vous, et ne puis rien
vous ordonner puisque je ne puis vous donner aucun secours.  » (Villars,
Mémoires, éd. de Voguë, III)
Si le maréchal de Villars fait bien ses affaires, il fait encore mieux les
miennes, et j’en suis très content.
Dans la suite de la guerre de Succession d’Espagne, l’occupation d’une
partie de l’Allemagne du Sud par Villars et les pillages qu’il y commet,
partie pour payer les billets de subsistance des officiers, partie pour
l’entretien de l’armée, partie enfin pour ce qu’il appelle « engraisser mon
veau » (i.e. son duché de Vaux-le-Villars) lui valent des réprobations à la
cour, du moins le croit  -il, selon son ordinaire obsession. Il s’en défend
auprès du roi par un courrier qui, selon la version de ses Mémoires
recomposée par La Pause de Margon, fut bien reçu de Louis XIV. Le Roi lui
répondit qu’il avait pour agréable tout ce qu’il faisait, qu’il approuvait la
portion de son veau, et qu’il aurait été fâché qu’il l’eût oublié. Quelques
jours après, le Roi à son souper parlant de la campagne brillante que faisait
le maréchal de Villars, un seigneur de la cour qui n’était pas de ses amis
voulut parler sur les richesses qu’il amassait  ; mais sur le champ
Sa Majesté lui imposa silence, en disant : « Si le maréchal de Villars fait
bien ses affaires, il fait encore mieux les miennes, et j’en suis très content. »
(La Pause de Margon, Mémoires de Villars, III)
Messieurs, au moins vous l’entendez.
À l’automne 1711, Villars fut dissuadé d’attaquer Marlborough pour ne
pas contrecarrer d’hypothétiques projets de paix  : les Anglais prirent
Bouchain. Louis  XIV reconnut l’erreur et le dit au maréchal en la
déplorant : Les négociations nous faisaient espérer la paix, mais si on vous
avait cru, nous ne nous serions pas exposés à perdre Bouchain. Il lui
manifesta publiquement son appui, comme le rapportera Voltaire dans un
récit où l’historien tente de rétablir la chronologie des multiples
compliments et réconforts reçus du roi par Villars durant cette longue
guerre. Les confusions de date que corrige Voltaire à cette occasion ont le
mérite de souligner l’épuisement des formes et le piétinement des formules :
dans les rapports entre Villars, le roi et la cour, il semble que l’histoire,
l’éloge et la calomnie bégaient à force de se répéter. L’anecdote que voici
se place donc en 1714, quand Louis XIV lui accorda, honneur insigne, une
partie de l’appartement du duc de Berry à Versailles. Le maréchal
de  Villars eut à Versailles une partie de l’appartement qu’avait occupé
Monseigneur, et le roi l’y vint voir. L’auteur des Mémoires de Maintenon,
qui confond tous les temps, dit, tome V, page 119 de ces Mémoires, que le
maréchal de Villars arriva dans les jardins de Marly ; et que le roi lui ayant
dit qu’il «  était très content de lui  », le maréchal, se tournant vers les
courtisans, leur dit : « Messieurs, au moins vous l’entendez. » Ce conte,
rapporté dans cette occasion, ferait tort à un homme qui venait de rendre de
si grands services. Ce n’est pas dans ces moments de gloire qu’on fait ainsi
remarquer aux courtisans que le roi est content. Cette anecdote détournée
est de l’année 1711. Le roi lui avait ordonné de ne point attaquer le duc
de  Marlborough. Les Anglais prirent Bouchain. Ou murmurait contre le
maréchal de Villars. Ce fut après cette campagne de 1711, que le roi lui dit
qu’il était content  ; et c’est alors qu’il pouvait convenir à un général
d’imposer silence aux reproches des courtisans, en leur disant que son
souverain était satisfait de sa conduite, quoique malheureuse. (Voltaire,
Siècle de Louis XIV)
Mais le maréchal de Villars sait que je suis résolu depuis que je règne
à ne point faire de connétable.
Après la victoire de Denain, qui sauva la situation de la France et permit
de finir la guerre de Succession d’Espagne, Villars est envoyé négocier la
paix de Rastadt. C’est alors que Louis XIV accueillit son retour par le trait
d’esprit déjà cité sur le rameau d’olivier qui couronnait tant de lauriers. Il
lui donna les grandes entrées et la survivance de ses gouvernements pour
son fils, mais lui refusa l’exorbitante récompense que réclamait son
exorbitant orgueil  : la dignité de connétable, dont l’intéressé, dans ses
Mémoires, s’explique d’une manière qu’on ne jugera peut-être pas tout à
fait objective. Après les grands services que le maréchal de  Villars avait
rendus à l’État, le roi avait quelque peine de ne pouvoir faire une chose à
laquelle il savait que le maréchal avait pensé. Il le témoigna à Contade, qui
avait été envoyé de Rastadt pour porter le traité de paix. En lui parlant de ce
que le maréchal de Villars pouvait désirer, il lui dit : « Mais il a songé à être
connétable. » Contade répondit que jamais le maréchal n’en avait rien fait
connaître à ses amis de la plus étroite confiance, dans le nombre desquels il
croyait être. Il est vrai que le maréchal de  Villars avait écrit à
Mme  de  Maintenon  : «  Que les bontés dont le roi l’honorait et la juste
confiance qu’elles pouvaient lui donner le flattaient assez pour oser
prétendre à la dignité de connétable […]  » Mme  de  Maintenon lut cette
lettre au roi, et Sa Majesté dit à Contade : « Mais le maréchal de Villars sait
que je suis résolu depuis que je règne à ne point faire de connétable.  »
Contade répondit que le maréchal ne s’était jamais ouvert sur cette pensée,
mais qu’il le croyait bien persuadé qu’aucun connétable n’avait eu plus lieu
d’espérer cette dignité. « Je le crois bien, répliqua le roi, puisqu’il y en a eu
qui n’avaient presque jamais vu de guerre. Mais j’aime véritablement le
maréchal de Villars, et, hors cela, il peut compter sur tout ce qui sera à mon
pouvoir. » (Villars, Mémoires, éd. de Voguë, IV)
Vous êtes accoutumé à rendre mes armes heureuses. 
Et l’on terminera ce parcours à travers les relations bien documentées
entre le roi et son exigeant maréchal par un trait d’esprit flatteur que lui
offre Louis XIV en 1714. Un jour qu’il le joignit à la chasse, le roi, fort
adroit, avait manqué plusieurs coups, mais, sitôt que le maréchal de Villars
fut arrivé, Sa  Majesté en tira quatre fort justes. Elle dit au maréchal
de Villars : « Vous m’avez porté bonheur, car jusqu’à votre arrivée j’avais
mal tiré, vous êtes accoutumé à rendre mes armes heureuses.  » (Villars,
Mémoires, éd. de Voguë, IV)

DE PIED EN CAP

►  Maréchaux, généraux et amiraux


Vous avez défendu la place en homme de cœur, et vous avez capitulé
en homme d’esprit.
Il dit au maréchal d’Huxelles qui était tout honteux d’avoir rendu
Mayence après plus de cinquante jours de tranchée ouverte  : «  Marquis,
vous avez défendu la place en homme de cœur, et vous avez capitulé en
homme d’esprit. » (Choisy, Mémoires)
Il est agréable de se reposer après tant de victoires.
Le maréchal du Plessis, qui ne put faire la campagne de 1672, à cause de
son grand âge, ayant dit au roi qu’il portait envie à ses enfants qui avaient
l’honneur de le servir ; que pour lui il souhaitait la mort, puisqu’il ne lui
était plus « propre à rien », le roi lui dit, en l’embrassant : « Monsieur le
maréchal, on ne travaille que pour approcher de la réputation que vous avez
acquise. Il est agréable de se reposer après tant de victoires… » (Chaudon,
Nouveau Dictionnaire historique)
Mettez-vous dans l’esprit une fois pour toutes, que vous devez être
content lorsque je le suis de vous.
Louis XIV répond au marquis de Bellefonds qui, en octobre 1667, dans le
cadre de la guerre de Dévolution, lui a écrit comment il venait de défaire
avec huit cents cavaliers une troupe d’infanterie et de cavalerie de quinze
cents Espagnols en dépit de leur supériorité de nombre et de position. J’ai
vu, par votre relation, les particularités de l’avantage que vous avez
remporté sur les ennemis auprès de Mons, et comme l’action est complète,
soit pour la conduite, soit pour la valeur. Il ne se peut rien ajouter à la
satisfaction que j’en ai. J’ai lu aussi votre lettre ; et pour réponse, mettez-
vous dans l’esprit une fois pour toutes que vous devez être content lorsque
je le suis de vous. (Louis XIV, Au marquis de Bellefonds. Saint-Germain-
en-Laye, 2 novembre 1667. Grimoard et Grouvelle, III)
Je trouve mon régiment si beau et j’en suis si content, que j’ai envie
d’embrasser Monchevreuil.
Colonel du roi et Dauphin-infanterie, Gaston-Jean Baptiste de Mornay,
comte de Montchevreuil, présente au roi son régiment le 27 mai 1685. Le
roi fit une revue du régiment du roi et du régiment Dauphin, il en fut très
content et fit des libéralités à son régiment et dit même à M. de Louvois :
«  Je trouve mon régiment si beau et j’en suis si content, que j’ai envie
d’embrasser Monchevreuil. » (Dangeau, Journal, 27 mai 1685)
Je ne les ai jamais trouvés si beaux.
Même élan lyrique du roi envers ses régiments à la fin du règne  :
variation par anticipation sur l’air : « Ah, que j’aime les militaires ! » Le
roi se leva une heure plus tard qu’à l’ordinaire, parce qu’il n’avait rien à
faire le matin ; au sortir de la messe il se mit à table, et après son dîner il
alla à la plaine d’Ouille faire la revue de ses deux régiments des gardes
françaises et suisses. Le roi nous dit dans la journée  : «  Je les ai vus
souvent, et je ne les ai jamais trouvés si beaux  ». (Dangeau, Journal,
19 avril 1714)
Quand je considère le péril que vous avez couru, je vous avoue que je
suis fort consolé de vos blessures.
Engagé dans le contingent français chargé d’appuyer l’armée impériale
dans l’expédition qui, le 1er août 1664, allait vaincre les Turcs lors de la
mémorable et sanglante bataille de Saint-Gothard (un quart de l’armée
chrétienne y périt), François III, comte puis duc de La Feuillade et futur
maréchal de France, avait été blessé à la fin de l’hiver précédent. Son
héroïsme et sa dévotion envers le roi lui valent alors une lettre particulière
de celui-ci. Monsieur le comte de La Feuillade, j’ai eu bien du déplaisir du
malheur qui vous est arrivé ; mais quand je considère le péril que vous avez
couru, je vous avoue que je suis fort consolé de vos blessures ; néanmoins
je vous recommande de ne songer qu’à votre santé ; et si mon estime et ma
bienveillance y peuvent contribuer, je vous dirai que vous avez fait assez de
progrès en l’une et en l’autre par votre bonne conduite, même en cette
dernière rencontre, pour en devoir être content. J’espère dans peu des
nouvelles de votre parfaite guérison. (Louis XIV, Au comte de La Feuillade.
Paris, 31 mars 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
J’ai bien voulu vous avertir de cet inconvénient, afin qu’en votre
particulier, vous vous gardiez d’y tomber.
Après la victoire de Saint-Gothard, le ton du roi change du tout au tout.
Monsieur le comte de La Feuillade, ne voyant rien qui fût si ruineux à mes
affaires en Allemagne, que si quelqu’un des officiers généraux des troupes
que j’y ai envoyées s’arrêtait à leurs doléances, dans un pays où les vivres
et les commodités sont rares, j’ai bien voulu vous avertir de cet
inconvénient, afin qu’en votre particulier, vous vous gardiez d’y tomber.
Vous devez plutôt vous appliquer en de semblables rencontres à inspirer la
patience et à soutenir les choses avec prudence et fermeté. (Louis XIV, Au
comte de La Feuillade. Vincennes, 30 août 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
N’ayant pas voulu vous laisser engager dans un chemin où vous
auriez pu me déplaire.
Le duc de La Feuillade éperdu s’étant justifié, le roi le console en ces
termes de sa mercuriale. Monsieur le comte de La Feuillade, quoique votre
lettre du 8 de ce mois ne soit qu’en réponse à la mienne du 30 d’août, je
veux bien y faire ce mot de réplique pour votre consolation. Je vous dirai
donc que jamais il ne m’est entré dans l’esprit que vous ayez eu la moindre
pensée de préjudicier à mon service ; je connais trop bien votre zèle, et suis
trop persuadé de vos bonnes intentions  ; mais vous m’avouerez qu’un
officier général comme vous êtes doit plutôt s’exposer aux crieries des
troupes contre lui, que d’écouter leurs souffrances en de certaines
conjonctures ; et au reste, vous devez être bien aise que je me sois expliqué
avec vous comme j’ai fait, puisque c’est une marque de bonté et d’affection
pour votre personne, n’ayant pas voulu vous laisser engager dans un chemin
où vous auriez pu me déplaire. (Louis  XIV, Au comte de La Feuillade.
Versailles, 24 octobre 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
Monsieur, nous sommes bien malheureux tous deux !
En 1706, après sa cuisante défaite qui obligea de lever le siège de Turin,
le maréchal François III de La Feuillade, fils du précédent, rentre vaincu à
Versailles. Saint-Simon rapporte alors un mot du roi peut-être apocryphe,
qui consone avec celui (tout aussi incertain) qu’il aurait dit à Villeroy après
la défaite de Ramillies (Monsieur le maréchal, on n’est pas heureux à notre
âge), mais dans une intention et avec un effet totalement inverses. Sitôt que
le roi le vit entrer avec son gendre en laisse, il se leva, alla à la porte, et,
sans leur donner le temps de prononcer un mot, dit à La Feuillade d’un air
plus que sérieux : « Monsieur, nous sommes bien malheureux tous deux ! »
et, dans l’instant, tourna le dos. La Feuillade, de dedans la porte, qu’il
n’avait pas eu loisir de dépasser, ressortit sur-le-champ sans avoir osé dire
un seul mot. Jamais depuis le roi ne lui parla. (Saint-Simon, Mémoires,
année 1706)
J’en serais bien fâché pour vous et pour moi.
Autre mot douteux, mais qui entre bien dans la geste légendaire du roi de
guerre. Un officier général, homme un peu brusque, et qui n’avait pas
adouci son caractère dans la cour même de Louis  XIV (il s’agit, selon
Chaudon, du marquis de Marivaux), avait perdu un bras dans une action, et
se plaignait au roi, qui l’avait pourtant récompensé autant qu’on peut le
faire pour un bras cassé : « Je voudrais avoir perdu aussi l’autre, dit-il, et ne
plus servir Votre Majesté. — J’en serais bien fâché pour vous et pour moi »,
lui répondit le roi ; et ce discours fut suivi d’une grâce qu’il lui accorda.
(Chaudon, Nouveau Dictionnaire historique)
Je n’attendais pas moins de votre valeur et de votre expérience à la
mer.
Lors de la bataille navale d’Alicudi, au large des îles Lipari, un combat
indécis, mais où le triomphe est revendiqué par les deux camps, a opposé
Duquesne à la flotte hollandaise commandée par Ruyter, si célèbre par ses
victoires sur les Anglais. C’était le prélude aux victoires françaises
d’Agosta et de Palerme. Louis  XIV gratifie l’amiral de compliments
autographes. Monsieur du Quesne, je n’ai pas été surpris de ce que vous
avez fait pour la gloire de mes armes contre la flotte des ennemis auprès de
l’île de Lipari  ; je n’attendais pas moins de votre valeur et de votre
expérience à la mer. Je suis bien aise seulement de vous assurer que j’en
suis pleinement satisfait, et que j’en conserverai agréablement le souvenir.
Cependant je veux que cette lettre écrite de ma main vous en soit un gage,
et qu’elle vous réponde que vous recevrez des effets de ma bienveillance en
toutes les occasions qui se présenteront. (Louis XIV, À Duquesne. Saint-
Germain-en-Laye, 26 février 1676. Grimoard et Grouvelle, V)
Comme les ordres que je donne sont toujours concertés avec
connaissance, je désire qu’on les exécute sans réplique.
Le talent et la bravoure n’autorisaient pas à tous comme à Turenne les
incartades envers les ordres du roi. Au printemps 1682, Duquesne a pris
sur lui de retarder le retour de la flotte de Méditerranée et a envoyé de
Ténédos au roi une lettre exposant les raisons sur lesquelles il fonde cette
initiative divergeant des ordres reçus. Louis XIV lui répond le 13 juin de
Versailles. Comme les ordres que je donne sont toujours concertés avec
connaissance, je désire qu’on les exécute sans réplique et sans qu’on se
donne la liberté de les interpréter ; et vous ne devez jamais en ces occasions
vous prévaloir de la confiance que j’ai en votre capacité et en votre
expérience pour vous donner sur ce sujet plus de liberté qu’un autre officier,
puisque vous devez donner le même exemple à tous ceux qui servent sous
vos ordres, sur ces articles d’obéissance prompte et sans réplique, que vous
leur donnez sur l’exactitude dans le service. (Louis  XIV, À  Duquesne.
Versailles, 13 juin 1682. Lettres, instructions et mémoires de Colbert, III).
Je perds un homme fort affectionné à ma personne et à l’État.
La mort de Vauban, qui avait tant fait pour la gloire du roi, mais s’était
aussi soucié sur le tard, un peu hardiment, de la misère des peuples et de la
question difficile de la justice fiscale, inspira à Louis XIV un hommage dont
nous a été conservée seulement une formule qu’on jugera banale, à moins
qu’on ne la considère accordée par sa simplicité parlante au caractère de
celui qu’elle regrettait. Hier, pendant que le roi dînait, M. Fagon vint lui
dire que le maréchal de Vauban était à l’extrémité et qu’il priait qu’on lui
envoyât M. Boudin, premier médecin de Monseigneur. Le roi ordonna qu’il
partît sur l’heure et parla de M.  de  Vauban avec beaucoup d’estime et
d’amitié ; il le loua sur plusieurs chapitres et dit : « Je perds un homme fort
affectionné à ma personne et à l’État. » (Dangeau, Journal, 29 mars 1707)
►  Officiers supérieurs et subalternes
Ma cour se grossit en un instant d’une infinité de gentilshommes qui
me demandaient de l’emploi.
Au premier bruit de la guerre de Flandre [ce sont les préparatifs de la
guerre de Dévolution, dès 1667], ma cour se grossit en un instant d’une
infinité de gentilshommes qui me demandaient de l’emploi. Les capitaines
de tous les vieux corps me supplièrent de leur permettre de faire des recrues
à leurs frais. D’autres ne demandaient que ma simple commission pour
lever des compagnies nouvelles  ; et tous, dans leurs divers emplois,
cherchaient à l’envi des moyens de me faire connaître leur zèle. (Louis XIV,
Mémoires pour l’année 1667)
Puisque vous voulez que je me conserve pour vous, je veux aussi que
vous vous conserviez pour moi.
Le roi est toute la nuit et une partie du jour à cheval et tout à découvert du
canon de la place, il ne manque pas un bivouac, va à la batterie mais non
pas à la tranchée, les officiers d’armée ne veulent pas ; l’autre jour, sachant
qu’ils s’exposent, il leur dit : « Puisque vous voulez que je me conserve
pour vous, je veux aussi que vous vous conserviez pour moi. » (Saint-
Maurice, Lettre du 24 août 1667)
Un des plus beaux hommes de mon royaume, car c’est un des plus
braves.
Un jour Mme  la duchesse de  Bourgogne, encore fort jeune, voyant à
souper un officier qui était très laid, plaisanta beaucoup et très haut sur sa
laideur. «  Je le trouve, Madame, dit le roi encore plus haut, un des plus
beaux hommes de mon royaume, car c’est un des plus braves. » (Voltaire,
Siècle de Louis XIV)
Ceux qui meurent en me servant vivent toujours dans mon souvenir.
Je ferai volontiers quelque grâce au fils du sieur Gabaret, en considération
du mérite des services du père  ; mais outre cela, je veux savoir si le
capitaine des Lauriers a laissé femme et enfants, pour les gratifier aussi,
étant bien aise que l’on voie que ceux qui meurent en me servant vivent
toujours dans mon souvenir. (Louis XIV, Au duc de Beaufort. Paris, 24 avril
1665. Grimoard et Grouvelle, V)
Vous éviterez de donner un dégoût à un vieil officier qui a bien servi.
Double délicatesse du roi, soucieux de ménager la susceptibilité d’un vieil
officier et d’en attribuer le mérite à son fils le Dauphin. Sur ce que vous me
mandâtes hier, que vous aviez ordonné que l’artillerie de l’armée qui était
avec le maréchal de Boufflers, joignît celle de l’armée que vous
commandez, j’ai fait réflexion que Saint-Hilaire se trouvant le plus ancien,
il lui serait fâcheux d’obéir à son cadet, ce qu’il devrait faire sans difficulté,
Vigny ayant l’ordre pour commander toute l’artillerie de Flandre. Vous
pouvez, sans préjudicier au bien de mon service, faire que le corps que
commande ledit de Saint-Hilaire soit séparé, en le mettant à la droite ou à la
gauche, et vous en servant utilement, s’il y avait quelque chose à faire ; de
cette manière vous éviterez de donner un dégoût à un vieil officier qui a
bien servi, et vous l’aurez toujours prêt à le détacher, quand vous croirez
devoir mettre l’armée que commande le maréchal de Boufflers ensemble.
Vous pouvez le faire comme de vous-même, étant bien aise de faire plaisir à
Saint-Hilaire. (Louis XIV, Au Dauphin. Versailles, 15 août 1694. Grimoard
et Grouvelle, IV)
Vous partez toujours le dernier pour aller en campagne et […] vous
en revenez toujours le premier.
En revanche Louis XIV sait éprouver et rappeler à l’ordre les officiers qui
le servent sans zèle. Ainsi le duc de La Ferté, longtemps maréchal de camp,
n’est-il nommé lieutenant général que bien après son tour d’ancienneté, et
non sans être tancé. Le roi l’aperçut et, le prenant par un des boutons de son
justaucorps, le mena dans son cabinet. Là, le roi, étant seul à seul avec lui,
lui parla de cette manière : « Monsieur, je sais bien que vous avez beaucoup
d’esprit et beaucoup de cœur et que vous êtes capable de me bien servir
quand vous le voudrez, mais je sais aussi que vous partez toujours le dernier
pour aller en campagne et que vous en revenez toujours le premier ; j’ai
voulu vous donner le dégoût de faire tant de lieutenants généraux à votre
préjudice pour vous corriger ; présentement je vous fais lieutenant général,
et j’espère que vous me servirez mieux que vous n’avez fait jusqu’à
présent.  » Le duc de  la Ferté, qui d’ordinaire avait de la liberté d’esprit
autant qu’homme du monde, et même plus qu’il n’aurait fallu en avoir,
demeura tellement interdit qu’il ne put pas ouvrir la bouche ; il se mit à
pleurer et se jeta aux pieds du roi, qui le releva avec beaucoup de bonté, et
ils se séparèrent de cette manière. (Sourches, Mémoires, 6 janvier 1696)
►  Les petits, les sans-grade
Comme le soldat doit à celui qui commande l’obéissance et la
soumission, le commandant doit à ses troupes la précaution et le soin de
leur subsistance.
Les plus grands triomphes se méritent par de minutieux préparatifs
auxquels doit descendre un grand prince guerrier, ces petitesses assurant le
bien-être des plus petits dans ses armées. C’est en ce point sans doute que
se peut voir une des principales différences qui sont entre les bons et les
mauvais capitaines ; et jamais un habile général n’entreprend une affaire de
durée sans avoir examiné par le menu d’où il tirera toutes les choses
nécessaires pour la subsistance des gens qu’il conduit. Dans les autres
désastres qui peuvent ruiner une armée, on peut presque toujours accuser ou
la lâcheté des soldats, ou la malignité de la fortune. Mais dans le
manquement de vivres, la prévoyance du général est la seule à qui l’on s’en
prend ; car, comme le soldat doit à celui qui commande l’obéissance et la
soumission, le commandant doit à ses troupes la précaution et le soin de
leur subsistance. C’est même une espèce d’inhumanité de mettre d’honnêtes
gens dans un danger dont leur valeur ne peut les garantir, et où ils ne se
peuvent consoler de leur mort par l’espérance d’aucune gloire. (Louis XIV,
Mémoires pour l’année 1667)
J’augmentai leur paye ordinaire parce que je sus que les vivres y
étaient plus chers qu’ailleurs.
Le jeune roi se montre, dans les Mémoires pour le Dauphin, fort soucieux
de ses troupes et de ses peuples. Notamment en Hollande, écrit-il, où
j’augmentai leur paye ordinaire parce que je sus que les vivres y étaient plus
chers qu’ailleurs. Et dans ses campagnes, il prend soin qu’ils eussent
toujours de quoi vivre sans être à charge aux paysans. J’avais tant de
considération sur ce point, qu’allant en Picardie au mois de mars pour y
faire une grande revue, je ne voulus pas loger à Compiègne, qui était le lieu
le plus proche et le plus commode pour moi et pour ma maison, parce que
c’était une ville capable de loger une bonne partie de mon infanterie, qui
sans cela se fût trouvée dans des villages où l’on eût eu plus de peine à la
faire vivre régulièrement. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
[Je veux] être servi par des soldats, et non par des esclaves.
Comme les recrues se faisaient difficilement en 1695, des soldats
répandus dans Paris enlevaient les gens propres à porter les armes, les
enfermaient dans des maisons, et les vendaient aux officiers. […] Le roi,
instruit de cet attentat contre la liberté publique… rendit la liberté à ceux
qui l’avaient perdue par fraude ou par violence, et dit qu’il voulait être servi
par des soldats, et non par des esclaves. (Chaudon, Nouveau Dictionnaire
historique)
Il faut assister les blessés avec des soins extraordinaires […] et leur
témoigner que je les compatis fort.
Le 1er août 1664, un corps français commandé par Coligny et associé aux
impériaux a remporté sur les Turcs la victoire de Saint-Gothard. Parmi tous
ces sujets de joie, ce m’a été un grand déplaisir de voir le rôle que vous
m’avez envoyé des morts et des blessés, quoique ce soit une chose qu’il est
nécessaire que je sache. Il faut assister les blessés avec des soins
extraordinaires, les voir de ma part et leur témoigner que je les compatis
fort, et principalement les volontaires qui sont encore à l’armée, et s’y font
traiter de leurs blessures. J’ai ordonné que l’on paye aux officiers blessés,
savoir, aux capitaines de cavalerie, six cents livres chacun  ; à leurs
lieutenants, qui auront aussi été blessés, quatre cents livres, et trois cents
livres aux cornettes ; et pour ceux d’infanterie, deux montres [gratifications
exceptionnelles qu’on recevait pour les revues de parade, nommées
couramment montres] à chacun : espérant qu’avec cette assistance, j’aurai la
consolation de les savoir bientôt remis en état de pouvoir agir. (Louis XIV,
Au comte de Coligny. Vincennes, 22 août 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
Ayez grand soin des malades et blessés ; témoignez-leur le sentiment
que j’ai de ce qu’ils souffrent.
Après la prise de Gigeri en Kabylie par le duc de Beaufort, Louis XIV
donne depuis Paris des ordres détaillés et attentifs en vue de l’installation
des troupes dans la citadelle où elles passeront l’hiver suivant. Car il faut
que tout ce qui y est se dispose à y passer l’hiver ; et pour cet effet, j’ai déjà
pourvu à leur subsistance, et outre cela, j’ai donné ordre qu’on leur porte
des armes, des habits, des souliers et des munitions de guerre autant que j’ai
cru en être besoin, et tout ce qu’il faut pour faire agir trente pièces de canon
qui demeureront à terre. […] Ayez grand soin des malades et blessés  ;
témoignez-leur le sentiment que j’ai de ce qu’ils souffrent, et les assurez
que leurs blessures seront en tout temps de puissantes recommandations
auprès de moi. Vous pouvez dire aux soldats que bien loin de les
abandonner, j’ai ordonné qu’on leur distribue un sou par jour
d’extraordinaire à chacun, outre leur solde, sur laquelle les vivres leur
seront fournis, et que je veux savoir les noms de ceux qui se signaleront ; il
faut d’ailleurs les employer aux travaux qu’on fera faire, afin qu’ils gagnent
quelque chose, et surtout pourvoir à leur logement, de peur qu’ils ne
tombent malades ; et pour cet effet, j’ai commandé qu’on vous fasse porter
la plus grande quantité de planches qu’il se pourra. (Louis XIV, Au duc de
Beaufort. Vincennes, 18 août 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
Il est bien juste que les soldats qui […] sont hors d’état de travailler et
de pouvoir gagner leur vie aient une subsistance assurée pour le reste
de leurs jours.
Entre les différents établissements que nous avons faits dans le cours de
notre règne, il n’y en a point qui soit plus utile à l’État que celui de l’hôtel
royal des Invalides. Il est bien juste que les soldats qui, par les blessures
qu’ils auront reçues à la guerre, ou par leurs longs services et leur grand
âge, sont hors d’état de travailler et de pouvoir gagner leur vie, aient une
subsistance assurée pour le reste de leurs jours ; que plusieurs officiers, qui
sont dénués des biens de la fortune, y trouvent aussi une retraite favorable.
Toutes sortes de motifs doivent engager le Dauphin et tous les rois nos
successeurs à soutenir cet établissement, et lui accorder une protection
particulière  : nous les y exhortons autant qu’il est en notre pouvoir.
(Louis XIV, Testament. Grimoard et Grouvelle, II)
Vous devez avoir une application continuelle pour que les troupes
vivent avec la discipline que vous leur avez prescrite.
Ordre et discipline sont évidemment les principes fondamentaux de
l’armée. Louis XIV le rappelle à l’occasion. On mande de tous côtés que le
libertinage de l’armée est très grand  : peut-être que l’exemple que vous
avez ordonné, en faisant tirer aux billets* les soldats qui avaient été pris en
maraude, arrêtera ce désordre pour quelque temps. Vous devez avoir une
application continuelle, pour que les troupes vivent avec la discipline que
vous leur avez prescrite. [*tirer au billet, c’était faire tirer au sort dans un
groupe de soldats fautifs celui qui, tombant sur le billet noir, serait pendu]
(Louis  XIV, Au Dauphin. Trianon, 28  juin 1694. Grimoard et Grouvelle,
IV)
Faites examiner avec soin si les capitaines ne les obligent point à
quitter par les mauvais traitements qu’ils font.
Mais cette discipline doit être éclairée et la sévérité, par exemple envers
les désertions, autre mal des armées anciennes, ne doit pas couvrir les
officiers au détriment des soldats ni tomber dans la dernière sévérité. Vous
ne me dites rien de la désertion, que j’apprends qui est assez grande, après
tous vos soins pour faire attraper quelques-uns de ceux qui s’en vont, et en
faire faire des exemples très sévères. Faites examiner avec soin si les
capitaines ne les obligent point à quitter par les mauvais traitements qu’ils
font ; auquel cas vous devez y apporter les remèdes nécessaires. Je vous
avais mandé, par une de mes précédentes, que je vous ferais savoir mes
intentions sur ce qui est des déserteurs  ; après y avoir bien pensé, je ne
saurais changer de sentiment, et désire qu’on les renvoie ; et que si on en
attrape quelques-uns qui reviennent après, on les envoie aux galères sans
autre forme de procès. (Louis  XIV, Au Dauphin. Trianon, 28  juin 1694.
Grimoard et Grouvelle, IV)
Hé ! Nangis, ce sont des hommes.
Écho à la citation précédente. Ce prince ne put jamais se résoudre à
établir la peine de mort contre les déserteurs, quelques instances qu’on lui
en fît. Le marquis de Nangis ayant répondu au reproche que le roi lui faisait
que son régiment n’était pas complet : « Sire, on n’en viendra jamais à bout,
si l’on ne casse la tête aux déserteurs. » Le roi lui répondit : « Hé ! Nangis,
ce sont des hommes. » (Lacombe, Encyclopediana)
Les sentiers de la gloire
LES CONDITIONS DU SUCCÈS

►  Exciter, repérer et récompenser le mérite


La place d’un roi est où est le danger.
En contradiction avec les conseils de prudence donnés à Monseigneur et
ensuite à Philippe V, selon lesquels un roi doit compte de sa vie d’abord à
l’État, la geste du Roi-Soleil collectionne des traits d’héroïsme
accompagnés de mots définitifs. Ce prince [Louis XIV] montra beaucoup
d’intrépidité aux sièges de Mons et de Namur. «  Mon fils, dit-il à
Monseigneur, la place d’un roi est où est le danger.  » (Lacombe,
Encyclopediana)
Si vous êtes contraint de faire la guerre, mettez-vous à la tête de vos
armées.
Ce mot brillant dérive peut-être d’un précepte plus raisonnable que
Louis XIV appliqua pendant que l’âge le lui permettait : emmener lui-même
ses armées en campagne, moins pour participer à leur péril que pour
diriger les opérations en personne. Il le conseillera à son petit-fils le duc
d’Anjou dans les instructions qu’il lui donne en 1700 au moment où le
jeune homme va devenir roi d’Espagne. Si vous êtes contraint de faire la
guerre, mettez-vous à la tête de vos armées. (Louis XIV, Instructions pour
le duc d’Anjou)
Me rendre compte de la force et de la faiblesse de chaque corps en
détail avec une entière exactitude.
Le souci de la connaissance détaillée de ses armées est fréquent et
constant chez le roi. L’atteste, parmi des exemples multiples, cette lettre au
comte de Gadagne, lieutenant général partant pour la prise de Gigeri sous
le commandement du duc de Beaufort. Vous devez tenir la main à ce que les
capitaines et officiers de mon armée avec laquelle vous vous embarquez
aient leurs compagnies bien complètes et qu’elles soient en bon état, leur en
parler de ma part et y prendre garde de si près à leur embarquement que
vous puissiez me rendre compte de la force et de la faiblesse de chaque
corps en détail avec une entière exactitude : je m’en repose donc sur vous,
et attends le mémoire que vous m’en enverrez pour juger avec connaissance
du soin que chacun aura pris de satisfaire à son devoir. (Louis  XIV, Au
comte de Gadagne. Fontainebleau, 12 juin 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
Je serai bien aise aussi que vous m’informiez de ceux qui, s’étant plus
distingués, méritent d’être élevés aux charges qui se trouveront
vacantes.
La gloire du roi a un prix, aisé à acquitter : celui des récompenses aux
officiers victorieux. Louis  XIV félicite Turenne qui vient de lui rendre
compte de la victoire de Sintzheim et l’informe de son désir d’en
récompenser les artisans. J’ai appris aussi avec beaucoup de plaisir la
manière dont tous les officiers se sont comportés dans le combat, et la
valeur avec laquelle ils ont exécuté tous les ordres que vous leur avez
donnés pour mon service ; de quoi je désire que vous leur témoigniez la
satisfaction qui m’en reste, et la disposition où je suis de leur en donner des
marques dans les occasions qui se présenteront pour leur avancement. […]
J’attends avec impatience la relation que vous me promettez du combat, et
le mémoire des officiers de mes troupes qui ont péri en cette occasion, et de
ceux qui ont été blessés. Je serai bien aise aussi que vous m’informiez de
ceux qui, s’étant plus distingués, méritent d’être élevés aux charges qui se
trouveront vacantes. (Louis  XIV, Au maréchal de Turenne. Tonnerre,
22 juin 1674. Grimoard et Grouvelle, III)
Je me souviendrai en temps et lieu de la manière dont les
commandants se sont comportés.
À l’armée comme dans les affaires civiles du royaume, la politique des
nominations et des gratifications combine le conseil judicieusement pris
auprès de qui s’entend à distinguer les mérites avec le secret du choix des
élus, en temps et en lieu arrêtés au seul gré du roi dans le mystère de son
bon vouloir : c’est l’arbitraire éclairé. Je me souviendrai en temps et lieu
de la manière dont les commandants se sont comportés, et je leur ferai
connaître l’estime que j’ai pour eux, quand je le jugerai à propos. J’attends
la liste que vous me devez envoyer, des officiers que vous croirez les plus
propres à remplir les charges vacantes, avant de me déterminer. Quand je
l’aurai vue, je vous ferai savoir ceux à qui je veux les donner. Je ne dis rien
de ce que vous avez fait en votre particulier. Vous savez ce que je pense sur
vous, et que je suis assuré qu’en toute rencontre, vous me donnerez des
marques de votre capacité, aussi bien que du zèle que vous avez pour mon
service. Le compte que vous me rendez dans votre lettre de ce que plusieurs
officiers ont fait me fait grand plaisir, sachant que vous ne louez
véritablement que ceux qui le méritent. (Louis  XIV, Au marquis de
Boufflers. Marly, 12 août 1692. Grimoard et Grouvelle, IV)
Ils n’ont point de protecteur, et il est juste que je leur en serve.
Et en ces matières, le passe-droit fondé sur le favoritisme n’agrée pas
(toujours) au roi qui entend rétablir la justice au profit de ceux que
personne ne soutient. Il y eut vingt charges données. Il n’y avait qu’une
galère vacante  ; on en a fait capitaine Sérignan, frère de Sérignan, aide-
major des gardes du corps. Il était capitaine-lieutenant sur une des
premières galères. M. de Pontchartrain, en nommant au roi les officiers qui
pouvaient remplir cette place, appuya fort pour le chevalier de Froulay, qui
n’était pas le plus ancien, et le roi lui dit : « Je vois bien la protection que
vous donnez au chevalier de Froulay, qui la mérite ; mais il y a des anciens
qui sont honnêtes gens aussi ; ils n’ont point de protecteur, et il est juste que
je leur en serve  », et a choisi le plus ancien pour remplir cette place.
(Dangeau, Journal, 14 décembre 1699)
Il y a une robe pour laquelle je ferai des exceptions. 
De même le mérite doit-il parfois l’emporter sur la naissance et sur les
principes. Quand le roi accorde un guidon de la gendarmerie au chevalier
Louis Marie Molé, dit le chevalier de  Molé, descendant d’une illustre
famille de parlementaires troyens, cette nomination étonne et détonne. Il
s’en justifie en ces termes. On apprit aussi que le roi avait donné l’agrément
du guidon de gendarmerie que vendait le comte de  Caylus au chevalier
Molé qui servait dans ses mousquetaires, ayant passé en sa faveur par-
dessus la règle qu’il s’était faite à lui-même de ne mettre point dans la
gendarmerie des enfants de gens de robe, et ayant dit en cette occasion : « Il
y a une robe pour laquelle je ferai des exceptions. » (Sourches, Mémoires,
année 1710)
Je croirais leur faire tort si je ne vous disais que j’entends qu’ils
soient employés par préférence en tout ce qu’il y aura de difficile,
d’extraordinaire, de périlleux et de fatigant.
Les troupes d’élite ne doivent pas être gardées en réserve. La garde royale
n’attend pas la défaite pour former le dernier carré. Elle entraîne au
combat en première ligne les troupes moins réputées et y gagne des lauriers
mérités qui seront connus du roi. Toute la mécanique de la hiérarchie, de
l’émulation, de la gratification et de la réputation fonctionne dans ce
dispositif rappelé durant la campagne d’appui aux Hollandais en 1665. En
ces occasions, ni aux autres qui se présenteront, ne laissez pas en arrière
mes gardes, mes mousquetaires ni la compagnie de mon fils : je croirais
leur faire tort si je ne vous disais que j’entends qu’ils soient employés par
préférence en tout ce qu’il y aura de difficile, d’extraordinaire, de périlleux
et de fatigant. Le zèle avec lequel ils me servent, et que vous me témoignez
qu’ils ont fait paraître encore en ce siège de Lochem, mérite bien qu’on les
choisisse pour donner exemple à tout le reste du corps que vous
commandez, et de l’émulation à celui du prince Maurice, et je suis persuadé
qu’ils s’y porteront avec joie, n’ayant pas lieu de douter que je ne prenne
connaissance du détail de leurs services. (Louis XIV, À M. de Pradel. Paris,
25 décembre 1665. Grimoard et Grouvelle, V)
La réputation de mes armes, l’avantage de l’État et ma gloire
personnelle.
En 1673, il n’y a plus d’espoir que la guerre de Hollande soit une
blitzkrieg comme celle de Dévolution. Louis  XIV prend la mesure des
exigences que cela requiert pour assurer sa gloire. Tant d’ennemis
puissants m’obligèrent à prendre plus garde à moi, et à penser ce que je
devais faire pour soutenir la réputation de mes armes, l’avantage de l’État et
ma gloire personnelle. Pour y parvenir, je devais éviter les accidents qui
d’ordinaire ont des suites fâcheuses, et me mettre en état par ma diligence
de ne rien craindre. Pour y réussir, il fallait que mes résolutions fussent
promptes, secrètes, mes ordres envoyés et exécutés ponctuellement, et que
rien ne troublât l’harmonie d’un semblable concert. (Louis XIV, Fragment
sur la campagne de 1674. Grimoard et Grouvelle, III)
Mon application, mes soins, mes forces et mon argent.
Dans une négociation, aucun outil n’est négligeable. Ainsi pour fléchir
l’humeur belliqueuse des Allemands et parvenir à les amener à la
négociation d’où sortira la paix après les sept ans de guerre de Hollande.
La guerre du Nord durait encore, et l’on avait peine à croire qu’elle finît de
la manière que je me l’étais proposé ; mais par mon application, mes soins,
mes forces et mon argent, je surmontai les difficultés. (Louis XIV, Relation
de la campagne de 1678 et résultat de paix de Nimègue. Grimoard et
Grouvelle, IV)
N’oubliez jamais que vous êtes né Français.
Le patriotisme est-il déjà une valeur centrale de l’époque ? On l’a cru à
l’occasion d’un mot célèbre du roi à son petit-fils devenant roi d’Espagne.
Lorsque ce prince fut déclaré roi à la cour de Versailles, Louis XIV lui dit :
« Mon fils, vous devez être bon Espagnol, mais n’oubliez jamais que vous
êtes né Français. » (Chaudon, Nouveau Dictionnaire historique, 1765). Ce
mot apparemment patriotique procède en réalité d’une libre (et fausse)
interprétation d’un des plus secrètement suggestifs parmi les articles qui
composent les Instructions au duc d’Anjou rédigées en 1700 au moment de
l’accession du jeune homme au trône d’Espagne  : N’oubliez jamais que
vous êtes Français, et ce qui peut vous arriver quand vous aurez assuré la
succession d’Espagne par des enfants. Ce qui revenait à dire qu’en cas de
disparition du Dauphin son père et du duc de Bourgogne, son frère aîné,
tous deux alors sans successeur, la couronne de France serait revenue à
Philippe V, qui aurait pu laisser le trône d’Espagne à son premier-né pour
ceindre la couronne de France. Il ne s’agit donc pas de patriotisme, mais
de politique dynastique. Le contresens aura surgi à moins d’un siècle du
propos. Il est vrai que le traité d’Utrecht avait entre-temps étendu l’interdit
de succession  : il stipulera le renoncement de Philippe  V et de ses
descendants au trône de France. Ce qui rendait difficile l’interprétation des
mots du roi prononcés antérieurement.
►  Union, disciple, efficacité
Prendre soin de leur subsistance et de leur fortune plutôt que laisser
corrompre leurs mœurs.
Le roi doit certes être le père de tout son peuple, formé de toutes les
professions qui constituent la nation, pas seulement militaires  ; mais si
pourtant, malgré toutes ces raisons, vous ne pouvez vous défendre, mon fils,
de cette secrète prédilection que les âmes généreuses ont presque toujours
pour la profession des armes, prenez garde surtout que cette bienveillance
particulière ne vous porte jamais à tolérer les emportements de ceux qui la
suivent, et faites que l’affection que vous aurez pour eux paraisse à prendre
soin de leur subsistance et de leur fortune plutôt qu’à laisser corrompre
leurs mœurs. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
La diligence étant le fondement de tout…
Avant que Napoléon n’en fasse la condition majeure de ses succès, la
rapidité de déplacement des troupes (ici, celle des bateaux de la flotte
partant secourir Candie sous le commandement de Beaufort) apparaît aussi
sous la plume de Louis XIV dans une formulation exemplaire d’expressivité.
La diligence étant le fondement de tout ce qu’ils peuvent faire, je ne puis
vous la recommander en des termes aussi pressants que la chose le mérite ;
suppléez-y par votre zèle, et songez que jusqu’aux moments que vous
gagnerez pour être promptement à la mer, ils entreront dans le prix des
soins que vous emploierez pour cet effet. (Louis XIV, Au duc de Beaufort.
Saint-Germain-en-Laye, 5 mars 1668. Grimoard et Grouvelle, V)
J’avoue qu’il y a quelque chose pour le choix de la conjoncture et
pour la célérité qui n’est pas tout à fait commune.
Ce que confirme la première conquête de la Franche-Comté, célébrée
partout — et par le roi d’abord — comme un modèle de guerre-éclair. Mon
Cousin, j’ai vu par votre lettre la joie que vous avez ressentie de l’heureux
succès de ma course dans la Franche-Comté. J’avoue qu’il y a quelque
chose pour le choix de la conjoncture et pour la célérité qui n’est pas tout à
fait commune, mais la gloire en est à Dieu seul, qui connaissant le fond de
mon cœur et la justice de ma cause, a voulu me combler de ses grâces dans
cette expédition. (Louis XIV, Au cardinal de Retz. Saint-Germain-en-Laye,
9 mars 1668. Grimoard et Grouvelle, V)
Je suis très fâché du malentendu qu’il y a eu dans la cuisson du pain.
La grandeur et la noblesse n’excluent pas l’attention aux choses utiles,
aux questions matérielles apparemment mineures, voire triviales, quand
elles entrent, même de manière infime, dans la composition du socle sur
lequel s’érige la gloire du succès. Je suis ravi que vous ayez passé le Rhin,
et que les troupes de votre armée soient arrivées en bon état. […] Je suis
très fâché du malentendu qu’il y a eu dans la cuisson du pain ; mais j’espère
que par vos soins, cela ne retardera que de peu de jours ce que vous avez
résolu de faire. Les mesures me paraissent bien prises, et il n’y a qu’à
exécuter vos résolutions, et à faire que les vivres ne vous manquent pas. J’ai
donné ordre de vous envoyer de l’argent, et j’espère que vous aurez tout ce
qu’il faudra. (Louis XIV, Au Dauphin. Marly, 20 juillet 1695. Grimoard et
Grouvelle, IV)
Je souhaite que le convoi de mille chariots pour aller chercher de la
farine au Rhin arrive sans accident.
Quoique n’allant plus aux armées dans la dernière partie de sa vie,
Louis XIV continue par un courrier constant et minutieux d’entrer dans le
détail et d’œuvrer dans les coulisses de la guerre sur le sujet du
ravitaillement. Je souhaite que le convoi de mille chariots pour aller
chercher de la farine au Rhin arrive sans accident, afin que vous puissiez
subsister dans le pays ennemi le plus longtemps qu’il sera possible. […] Je
suis très fâché de l’accident arrivé par le feu [à Vaihingen où avaient été
établis les fours pour la subsistance de l’armée], mais je suis bien aise que
la perte n’ait pas été considérable. […] Il eût été à désirer que l’incendie de
Vaihingen ne fût point arrivé de la manière que vous me mandez que le feu
y a pris : il est impossible que ce ne soit par le soin des ennemis, mais cet
accident n’est pas si fâcheux qu’il l’eût été dans un autre temps, puisque
l’armée ne serait demeurée que quelques jours de plus en avant dans le pays
ennemi. […].Vous devez aussi avoir un soin particulier d’assurer les
convois qui porteront le pain que l’on cuit à Hui, et les lieux où les fours
sont établis. J’ai vu par une lettre du maréchal de Boufflers, que vous lui
avez ordonné d’envoyer à Hui deux bataillons d’infanterie pour les garder,
et de la cavalerie pour les escorter. Comptez qu’il n’y a rien de si important
que d’assurer lesdits convois, pour que les vivres ne puissent pas vous
manquer. (Louis  XIV, suite de lettres au Dauphin, 12 et 20  août,
2 septembre 1693, 28 juin 1694. Grimoard et Grouvelle, IV)
Il n’y a rien qui me soit plus avantageux, ni plus agréable, ni plus
honorable pour vous, que l’ordre et la discipline.
Outre la qualité des troupes, leur discipline est une obsession du roi. Il se
félicite en ces termes de celle qui a présidé à la traversée européenne du
corps expéditionnaire allant soutenir Vienne. Il n’y a rien qui me soit plus
avantageux, ni plus agréable, ni plus honorable pour vous, que l’ordre et la
discipline avec laquelle elles ont vécu dans tous les lieux de leur route ; j’en
ai une entière satisfaction, et je ne m’en promets pas moins des succès
qu’elles auront dans le cours de cette campagne sous votre bonne conduite.
(Louis XIV, Au comte de Coligny. Fontainebleau, 3 juillet 1664. Grimoard
et Grouvelle, V)
Le bien de mon service consiste dans l’union.
Cette règle devrait s’étendre aux chefs eux-mêmes, dont les conflits
internes ont de tout temps empoisonné l’armée française. Le succès du duc
de Beaufort, arrogant et inconséquent, qui prit Gigeri en Kabylie mais ne
sut la défendre, fut compromis par ses zizanies avec les officiers généraux
que Louis XIV avait imprudemment chargés de contrôler et de superviser
son trop prévisible cousin qui officiellement les commandait. Je ne puis
approuver les petits mécontentements qui se sont glissés parmi quelques
officiers ; car assurément le bien de mon service consiste dans l’union, et
vous qui commandez aux autres, y devez contribuer avec plus de soin que
qui que ce soit, sans prendre garde à des bagatelles qui sont au-dessous de
vous. Je désire donc, premièrement, que toute division cessant, chacun
oublie les sujets de déplaisir, que je crois fort médiocres, qu’on peut avoir
reçus les uns des autres, et les sacrifie au soin de me plaire et de me servir ;
vous commencerez, par votre exemple, cette heureuse réunion si importante
et si nécessaire, et vous témoignerez de ma part à tous les officiers, tant
généraux que particuliers, que je ne puis être content qu’elle ne soit parfaite
entre eux, et affermie pour toujours. (Louis  XIV, Au duc de Beaufort.
Vincennes, 18 août 1664. Grimoard et Grouvelle, V)
Dans les emplois comme le vôtre, on a bien d’autres choses à faire
qu’à subtiliser sur des compliments.
La disparate des troupes composant les armées anciennes (ici le corps
expéditionnaire destiné à lutter avec les impériaux contre les Turcs) crée
des difficultés de « gestion du personnel » auxquelles doivent répondre des
pratiques claires, fortes et strictes. Vous avez bien fait de punir avec
sévérité les désordres que l’infanterie avait commis auprès de Vienne, et de
faire payer sur sa solde le dommage qu’elle avait causé : suivez toujours
cette maxime en pareille occasion  ; recommandez fort, de ma part, aux
volontaires d’être toujours sages ; et s’il y en a qui se plaignent, comme j’ai
vu dans quelques lettres, de ce que vous les traitez tous également et sans
différence, ne vous en mettez point en peine : dans les emplois comme le
vôtre, on a bien d’autres choses à faire qu’à subtiliser sur des compliments.
(Louis XIV, Au comte de Coligny. Vincennes, 15 août 1664. Grimoard et
Grouvelle, V)
Mon but est de secourir mes alliés, et non de ruiner leur pays.
La crainte que ses troupes ne rançonnent, pillent et désolent le pays où
elles passent en compromettant leur image et l’accueil que leur feront les
populations locales est récurrente, appuyée et ardente dans la
correspondance de Louis XIV. Il appelle toujours un châtiment impitoyable
sur les coupables, quels que soient leur rang et leur grade. Souvenez-vous
de faire observer indispensablement à mes troupes l’ordre que je vous ai
tant recommandé, et ne donnez point de quartier à ceux qui y
contreviendront, sans excepter qui que ce soit ; mon but est de secourir mes
alliés, et non de ruiner leur pays. Une lettre du 11 décembre rendra compte
à Louis  XIV du châtiment des trois soldats qui avaient été au pillage.
(Louis XIV, À M. de Pradel. Paris, 4 et 25 décembre 1665. Grimoard et
Grouvelle, V)
Recevoir le mot de ceux que Sa  Majesté a ordonné devoir les
précéder.
Le souci de la hiérarchie fait partie de l’exigence de discipline que
Louis XIV, roi conquérant, impose à ses armées. En 1672, lors de la guerre
de Hollande, les armées commandées l’une par Monsieur, frère du roi, et
par Turenne en second, l’autre par Condé, secondé par les maréchaux
d’Humières et de Bellefonds, une autre par le maréchal de Créqui et la
dernière par le duc de  Luxembourg secondant l’électeur de Cologne et
l’évêque de Münster, ne sont pas régies par quelque règle de hiérarchie que
ce soit entre ces chefs prestigieux. À quoi Louis XIV met bon ordre. Le roi
voulant régler comment se gouverneront ceux qui commandent ses armées,
quand différents corps se joindront, entend : Qu’en sa présence ou en son
absence, Monsieur étant la première personne après lui, quand le corps que
commandera M. le Prince [Condé] joindra, il prenne le mot [les ordres] de
Monsieur ; que, quand le corps de M. le Prince sera joint à l’armée du roi,
que M. de Turenne prendra le mot de M. le Prince ; que MM. les maréchaux
de France, quand ils se trouveront aussi joints, prendront le mot de
M. de Turenne. L’intention du roi est que ceux à qui Sa Majesté donnera des
armées ou des corps à commander, ou qui auront l’honneur d’être dans la
sienne, aient toujours le commandement sur l’armée, ou sur le corps où le
roi les aura mis, rendant seulement ce devoir, de recevoir le mot de ceux
que Sa  Majesté a ordonné devoir les précéder. (Louis  XIV, Règlement
suivant lequel M. de Turenne doit précéder tous les maréchaux de France,
Grimoard et Grouvelle, III) En fait, le rappel de la hiérarchie de naissance,
qui allait de soi, n’est qu’une bonne manière envers les maréchaux qui,
jusqu’alors égaux entre eux, étaient ainsi élégamment invités à se soumettre
au commandement de Turenne. Les trois susdits (Créqui, d’Humières et
Bellefonds) n’en regimberont pas moins et seront relevés de leur
commandement jusqu’à avoir fait leur soumission au meilleur d’entre eux
tous.
Que tous les maréchaux de France reçoivent sans difficulté l’ordre de
vous…
Pendant la guerre de Succession d’Espagne, la même question se pose et
se trouve semblablement réglée au bénéfice du duc de Vendôme avec plus
de facilité, eu égard à son rang de petit-fils d’un bâtard légitimé d’Henri IV.
Mon Cousin, bien que la lettre que Chamillard vous écrivit par mon ordre le
14 mars dernier puisse assez faire connaître que la satisfaction que j’avais
des services que vous m’avez rendus, joint à votre naissance, m’avait
déterminé à vous accorder le commandement sur tous les maréchaux de
France, s’ils se trouvaient dans une même armée que vous, ou dans un lieu
où vous auriez le commandement, et que le maréchal de Marcin en Italie et
le maréchal de Vauban à Lille vous aient déféré cet honneur en recevant
l’ordre de vous, en exécution de ceux que je leur avais donnés, j’ai cru
néanmoins que les nouveaux services que vous m’avez rendus par le gain
de la bataille de Calcinato devaient être reconnus par un titre encore plus
authentique, en vous écrivant cette lettre, afin qu’à l’avenir ma signature ne
laisse pas douter de ma volonté, et que tous les maréchaux de France
reçoivent sans difficulté l’ordre de vous, dans tous les lieux où vous aurez le
commandement, lorsqu’ils se trouveront avec vous. (Louis XIV, Au duc de
Vendôme. Versailles, 1er novembre 1706. Grimoard et Grouvelle, V)
Les officiers régleront leurs soldats de manière qu’il n’y en ait jamais
que deux par chambrée qui sortent du camp pour aller au bois et à la
paille, afin que les deux autres demeurent pour faire la hutte et bouillir
la marmite.
Ad augusta per angusta, une fois encore  : voici quelques extraits des
règlements dans la rédaction minutieuse desquels Louis XIV ne craint pas
de descendre pour assurer le bon ordre de ses armées. Règlement du roi
pour l’infanterie. Les gardes battront les premiers la générale, et après les
autres régiments, selon qu’ils seront campés, jusqu’à la gauche. Le régiment
qui aura la droite de la seconde ligne battra aussitôt après les gardes, et
ensuite les autres régiments, comme à la première ligne. L’assemblée étant
battue, les officiers feront sortir des soldats des tentes le plus promptement
qu’il sera possible. […] Les officiers régleront leurs soldats de manière
qu’il n’y en ait jamais que deux par chambrée qui sortent du camp pour
aller au bois et à la paille, afin que les deux autres demeurent pour faire la
hutte et bouillir la marmite. […] Règlement du roi pour la Cavalerie. On
prendra un soin particulier que le camp soit droit, que les tentes soient bien
tendues, les étendards bien dressés, et que la garde se fasse régulièrement.
[…] Autre règlement du roi pour la cavalerie. Comme il est aussi d’une très
grande conséquence de remédier aux désordres des fourrages, les plus
grands venant de ce que les fourrageurs partent devant l’escorte, ou qu’ils
se brouillent de plusieurs brigades, Sa Majesté veut qu’ils s’assemblent à la
tête de leur régiment, et qu’outre les officiers particuliers et gens
commandés de chaque régiment pour les conduire, il y ait encore un major
de chaque brigade ; que les brigadiers aient soin que pas un fourrageur ne se
détache, et qu’eux-mêmes les mènent en ordre derrière l’escorte qui est
commandée, et puis les fassent partir suivant l’ordre des brigades, les
remettant à celui qui commande l’escorte, et laissent aux majors
commandés le soin de les mener, et de les faire fourrager le plus ensemble
qu’ils pourront ; après quoi chaque major, rassemblant les officiers et gens
commandés des régiments de leur brigade, feront [sic] des corps qui
serviront pour l’escorte du fourrage, et qui seront postés suivant que le
commandant de l’escorte le jugera à propos. (Louis XIV, Règlement du roi
pour la campagne de 1672. Grimoard et Grouvelle, III)
FAIRE FACE DANS L’ADVERSITÉ

►  Stoïcisme et sagesse dans l’échec


Mes troupes ont été battues par des gens qui n’avoient jamais fait
autre chose que de jouer à la bassette. 
Savoir juger avec lucidité l’état des forces et la réalité des revers que les
courtisans sont prompts à faire passer pour victoire, c’est une qualité que
cultive le roi, avec d’autant plus d’aisance quand les défaites sont rares et
les triomphes fréquents, comme dans la première partie de son règne. Ainsi
en août  1675 durant la guerre de Hollande, après la mort de Turenne,
quand le maréchal de Créquy est battu par Charles de Lorraine à
Consarbrück et à Philippsbourg. Mme de Sévigné commente cette actualité
à l’intention de son cousin Bussy-Rabutin. Mais ne faites-vous pas une
remarque que j’ai faite, qui est que ce qui passe aujourd’hui pour une
victoire, d’avoir repassé le Rhin sans avoir été taillés en pièces depuis la
mort de M. de Turenne, eût été un grand malheur s’il fût arrivé pendant sa
vie ? Au reste, que dites-vous de la déroute du maréchal de Créquy ? Le roi
l’a nommée lui-même une défaite complète. Il a répondu divinement aux
courtisans qui lui en ont parlé. À ceux qui voulaient excuser ce maréchal, il
a dit : « Il est vrai qu’il est fort brave ; je comprends son désespoir ; mais
enfin mes troupes ont été battues par des gens qui n’avaient jamais fait autre
chose que de jouer à la bassette [jeu de cartes de hasard].  » (Sévigné,
À Bussy-Rabutin, 27 août 1675)
Pour moi, qui me souviens d’avoir vu les troupes espagnoles dans
Paris, je ne m’abats pas si aisément.
Et dans la seconde moitié du règne, quand les succès militaires sont plus
difficiles à arracher, faire face à l’adversité ne désarçonne pas un roi qui a
connu la Fronde et la présence espagnole jusque dans sa capitale. Lorsque
Louvois sut la levée du siège de Coni [ou Cuneo, en 1691] il alla chez le
roi, pleurant et désespéré, lui porter cette nouvelle, dont il ne pouvait se
consoler. Le roi dit alors sagement et fort bien : « Vous êtes abattu pour peu
de chose ; on voit bien que vous êtes trop accoutumé à de bons succès. Pour
moi, qui me souviens d’avoir vu les troupes espagnoles dans Paris, je ne
m’abats pas si aisément.  » Ce prince a eu depuis besoin de sa fermeté,
lorsque les méchantes nouvelles sont arrivées coup sur coup de toutes parts.
(La Fare, Mémoires)
[Le courage] paraît autant dans les adversités que dans les conquêtes.
La guerre de Succession d’Espagne marquera l’acmé des épreuves, des
revers et des angoisses pour le roi et les siens. Dès 1706, Philippe V parti à
la reconquête de son royaume en assiégeant Barcelone doit plier bagage.
C’est l’occasion pour Louis XIV de formuler sa philosophie dans la défaite.
Votre douleur est très juste, mais je suis bien aise de voir qu’elle n’abat
point votre courage  : il paraît autant dans les adversités que dans les
conquêtes ; et le malheur que vous avez eu de lever le siège de Barcelone
n’est pas irréparable, puisque je vois que vous pensez comme vous le
devez, étant du sang dont vous êtes, et dans le rang où Dieu vous a placé.
(Louis XIV, Au roi d’Espagne. 29 mai 1706. Grimoard et Grouvelle, VI)
Je veux retrancher toutes les dépenses dont je pourrai me passer.
Reste que ce stoïcisme a son prix. La guerre s’éternisant, Louis  XIV
s’achemine toujours plus avant sur la voie des sacrifices, comme par une
ascèse qu’inconsciemment il espère propice à la victoire de sa cause très
menacée. Il brode son argumentation sur le paradoxe moral et rhétorique
du vieillard et de l’enfant (le lieu commun puer/senex des rhéteurs)  : la
sagesse mûrie de l’« enfant », son petit-fils Philippe V, âgé de vingt-trois
ans, fait leçon au «  vieillard  » (Louis  XIV a soixante-huit ans) qui s’est
conduit de manière moins sage et héroïque. Le roi, à son dîner, où il y avait
beaucoup de ministres étrangers, dit au duc d’Albe qu’on ne pouvait trop
louer la fidélité des Castillans, que les affaires allaient fort bien en ce pays-
là, et que le roi d’Espagne lui mandait qu’il allait se retrancher sur toutes les
dépenses superflues  ; qu’il voulait employer tous ses revenus à bien
entretenir ses troupes et à soutenir la guerre, et puis il ajouta : « Ce serait à
moi, qui suis son grand-père, à lui donner des exemples, mais en ce fait-là,
je veux suivre les siens, et je veux retrancher toutes les dépenses dont je
pourrai me passer, afin d’être plus en état de continuer la guerre et tâcher de
parvenir à une paix heureuse et glorieuse.  » (Dangeau, Journal,
16 novembre 1706)
J’aime mieux faire [la guerre] à mes ennemis qu’à mes enfants.
Au sortir de l’hiver 1709, pour la première fois les lys baissent la tête : le
trône de France est menacé d’être vaincu par la conquête du trône
d’Espagne. Louis XIV s’est donc résolu à dépêcher le marquis de Torcy à
Gertruydenberg demander aux Hollandais leurs conditions pour obtenir la
paix. Ceux-ci exigent que la France se joigne à eux pour détrôner
Philippe V. Les politiques dirent que Torcy n’était allé s’humilier à La Haye
que pour mettre les ennemis dans leur tort, pour justifier Louis XIV aux
yeux de l’Europe, et pour animer les Français par le ressentiment de
l’outrage fait en sa personne à la nation ; mais il n’y était allé réellement
que pour demander la paix  : on laissa même encore quelques jours le
président Rouillé à La Haye, pour tâcher d’obtenir des conditions moins
accablantes ; et, pour toute réponse, les États ordonnèrent à Rouillé de partir
dans vingt-quatre heures. Louis  XIV, à qui l’on rapporta des réponses si
dures, dit en plein Conseil : « Puisqu’il faut que je fasse la guerre, j’aime
mieux la faire à mes ennemis qu’à mes enfants.  ». (Voltaire, Siècle de
Louis XIV)
Alors comme alors.
Dans les Mémoires pour servir à l’histoire de Madame de Maintenon, La
Beaumelle donne une version sans doute plus crédible de cette scène, où
Louis XIV se montre en cette occasion platement concis : Chamillard, abattu
par ces propositions des alliés, que Torcy nous a conservées et qu’on ne
peut lire dans ses Mémoires sans émotion, dit que le royaume serait au
pillage dans six mois : « Eh bien ! répondit le roi, qui avait tout écouté en
silence, alors comme alors  ». La version de Voltaire précédemment citée
rehausse de l’éclat d’un mot bien frappé une décision hardie qui n’avait pas
trouvé son expression digne de l’Histoire. (La Beaumelle, Mémoires pour
servir à l’histoire de Madame de Maintenon, V)
Je suis persuadé que [mes peuples] s’opposeraient eux-mêmes à
recevoir [la paix] à des conditions également contraires à la justice et à
l’honneur du nom français.
Enfin la correspondance du roi à son petit-fils donne une version
accréditée par sa plume de sa pensée sinon de ses propos en la
circonstance. Et l’expression, moins ramassée, ne manque pas de panache.
Quoique ma tendresse pour mes peuples ne soit pas moins vive que celle
que j’ai pour mes propres enfants ; quoique je partage tous les maux que la
guerre fait souffrir à des sujets aussi fidèles, et que j’aie fait voir à toute
l’Europe que je désirais sincèrement de les faire jouir de la paix, je suis
persuadé qu’ils s’opposeraient eux-mêmes à la recevoir à des conditions
également contraires à la justice et à l’honneur du nom français.
(Louis XIV, À Philippe V. 3 juin 1709. Grimoard et Grouvelle, VI)
Messieurs, vous opinez à la guerre, et moi à la paix.
Un récit tout contraire et moins glorieux de la manière dont fut accueillie
la proposition des Hollandais est proposé par le marquis de Sourches. De
toute façon, au total, le résultat fut le même : un refus, la guerre jusqu’au
bout et quoi qu’il en coûtât, mais après des atermoiements qui auraient
mené le roi, contre sa coutume, à s’opposer à l’avis majoritaire de son
Conseil. Le 20 [mars 1710], il y avait des gens à la cour qui contaient tout
ce qui s’était passé dans le Conseil d’État extraordinaire qui avait été tenu
lors de l’arrivée du courrier du maréchal d’Huxelles [qui avait transmis au
roi l’exigence des Hollandais sur la participation de la France à la
déposition du roi d’Espagne]  ; mais comment pouvaient-ils savoir si
exactement la vérité de ce qui s’était passé dans un Conseil tout composé de
personnes fort secrètes ? Ils disaient donc que le roi leur demanda leur avis
sur les affaires présentes, et s’il devait continuer la guerre ou faire la paix ;
et que, pendant qu’ils opinaient, il écrivit une page entière de sa main ; que
tous conclurent qu’il valait mieux continuer la guerre que d’accepter des
conditions aussi dures et aussi barbares que celles que les ennemis
proposaient  ; mais que le roi, après avoir achevé d’écrire, leur dit  :
« Messieurs, vous opinez à la guerre, et moi à la paix », et que sur-le-champ
il donna sa lettre au marquis de Torcy, lui disant de la cacheter et de
l’envoyer. Cependant le bruit courait en même temps que le roi avait fait
consulter en Sorbonne [la Faculté de théologie] s’il pouvait donner du
secours aux ennemis contre le roi d’Espagne, et que tous les docteurs
avaient opiné qu’il ne le pouvait pas faire en conscience. (Sourches,
Mémoires, 20 mars 1710)
J’ai soutenu cette guerre avec la hauteur et la fierté qui convient à ce
royaume.
Après l’échec de ces négociations, Louis  XIV fit rédiger un projet de
harangue à la nation pour expliquer sa décision de continuer le combat en
dépit de ses sombres perspectives. Il y résume comme suit le bilan de la
guerre, au point où elle est parvenue, en retrouvant sans y songer peut-être
les accents de François Ier — tout est perdu fors l’honneur… J’ai soutenu
cette guerre avec la hauteur et la fierté qui convient à ce royaume. C’est par
la valeur de ma noblesse et le zèle de mes sujets que j’ai réussi dans les
entreprises que j’ai faites pour le bien de l’État. J’ai donné tous mes soins et
toute mon application pour y parvenir. (Louis XIV, Projet de harangue pour
demander des secours à la nation française)
Vous savez que je l’expose [mon royaume] aux plus grands périls.
Reste que sous les dehors glorieux de la proclamation héroïque,
Louis  XIV révèle dans cette lettre à Philippe  V une conscience aiguë,
soutenue et fréquente des sacrifices qu’il impose à la France et qu’il
s’impose pour la cause qu’il a épousée en acceptant le testament du défunt
roi d’Espagne. Profitez cependant, autant qu’il vous sera possible, de la
faiblesse de l’archiduc [le prétendant Habsbourg au trône ibérique], et
songez que votre sort est entre vos mains. La campagne que vous allez faire
en décidera, et si elle est glorieuse pour V. M., nos ennemis en seront moins
difficiles sur les conditions de la paix. Il serait inutile de vous dire encore à
quel point elle est nécessaire à mon royaume, et je crois que vous savez que
je l’expose aux plus grands périls, en rejetant les propositions odieuses qui
m’ont été faites à votre préjudice. (Louis XIV, À Philippe V. 28 avril 1710.
Grimoard et Grouvelle, VI)
►  L’héroïsme du désespoir
Je périrai à la tête de ma noblesse, plutôt que de ne pas vaincre.
En 1712, la situation n’a fait qu’empirer de revers en défaites, pour
parvenir au seuil critique où l’existence de la nation est en jeu. Le
maréchal de  Villars a laissé dans des pages destinées à entrer dans ses
Mémoires le récit de l’entretien qu’il eut avec le roi au moment où tout
paraissait près d’être perdu, avant que la victoire de Denain ne sauvât la
situation. Ce récit nous est parvenu sous la forme tantôt allégée tantôt
dramatisée que lui ont donnée ses éditeurs du XVIIIe siècle. Ces variations
montrent comment se sont progressivement fixées les «  paroles  » de
Louis  XIV. Voici d’abord la leçon resserrée proposée par l’abbé de La
Pause de Margon et ses associés, auteurs de la première version des
Mémoires du maréchal. Avant le départ du maréchal de  Villars pour
l’armée, le roi le fit venir dans son cabinet et lui dit : « Toutes les conquêtes
qu’ont fait[es] les ennemis en Flandre donnent lieu de craindre qu’ils
n’entrent dans le royaume  ; je suis d’autant plus persuadé qu’ils ont ce
dessein, que j’ai appris qu’ils se disposent à faire le siège de Landrecy, qui
est la seule place sur la frontière qui peut les arrêter, après quoi ils
n’auraient pas grand obstacle pour venir ici près  ; c’est ce qui m’a fait
prendre la résolution de partir d’ici et d’aller me tenir à Chambord. Je vous
envoie commander l’armée de Flandre, avec plein pouvoir de faire tout ce
que vous pourrez, et même les derniers efforts, s’il est nécessaire, pour
arrêter leurs progrès ; je laisse le tout à votre prudence, mais si vous ne
pouvez les arrêter et avoir le dessus, voici le parti que je prendrai et que je
vous confie dans le secret. Je ferai venir la plus grande partie de l’armée
d’Allemagne, pour grossir celle de Flandre, où je ferai rendre toute la
noblesse du royaume, que je convoquerai : je me mettrai à la tête de cette
armée, je livrerai bataille aux ennemis, et je périrai à la tête de ma noblesse,
plutôt que de ne pas vaincre. » Et Villars lui jurant de mourir plutôt que de
manquer à sa parole d’arrêter l’ennemi : « Songez, monsieur le maréchal,
que vous m’êtes nécessaire, et que vous devez par conséquent vous
conserver. » (La Pause de Margon, Mémoires de Villars, III)
Périr ensemble, ou sauver l’État.
Dans la version que rapporte la Vie du maréchal de Villars par Anquetil
(conforme à l’édition des Mémoires rédigée par le même), Louis  XIV
commence par demander conseil au maréchal sur la décision à prendre en
cas d’invasion et sur ce qu’il devrait faire de sa personne dans une telle
situation. Villars, interdit, demeure silencieux. « Hé bien, dit le roi, voici ce
que je pense, vous me direz après votre sentiment. Je sais tous les
raisonnements des courtisans ; presque tous veulent que je me retire à Blois,
et que je n’attende pas que l’armée ennemie s’approche de Paris, ce qui lui
serait possible, si la mienne était battue. Pour moi, je sais que des armées si
considérables ne sont jamais assez défaites pour que la plus grande partie de
la mienne ne pût se retirer sur la Somme. Je connais cette rivière, elle est
très difficile à passer ; il y a des places, et je compterais de me rendre à
Péronne ou à Saint-Quentin, d’y ramasser tout ce que j’aurais de troupes, de
faire un dernier effort avec vous et de périr ensemble ou sauver l’État, car je
ne consentirai jamais à laisser approcher l’ennemi de ma capitale.  »
(Anquetil, Vie du maréchal duc de Villars, II. Et Villars, Mémoires, éd. de
Voguë, III)
Je suis déterminé à périr dans ce dernier effort ou à soutenir mon
royaume que je croirais perdre si je ne mettais pas toujours ma capitale
derrière moi.
Autre version de la même scène : au moment de rédiger son discours de
réception à l’Académie française en 1714, le maréchal aurait demandé à
Louis XIV l’autorisation de conter la conversation qu’il avait eue avec lui
en 1712 avant la bataille de Denain, pour rapporter le beau trait
d’héroïsme du monarque. Comme les notes prises par l’auteur en vue de la
rédaction de ses mémoires sont encore indécises et dispersées, il reprend
alors sous une forme légèrement différente le récit initial, celui que l’on
vient de lire d’après les leçons divergentes et complémentaires de la Pause
de Margon et d’Anquetil. Devant le silence de Villars, Louis  XIV parle
désormais en ces termes : « Je ne suis pas surpris, lui dit le roi, que vous
hésitiez sur ce que vous devez me dire, je crois même que je vous ferai
plaisir en vous confiant ce que je pense. Voici mon raisonnement  : les
batailles ne se perdent pas si entières que la plus grande partie de l’armée ne
se retire. Je compte que ce qui vous resterait de forces se pourrait
rassembler sur la Somme ; j’irais vous joindre là, en vous menant tout ce
que je pourrais rassembler de troupes des armées même de l’Allemagne, et
alors nous tenterions une dernière aventure. Je suis déterminé à périr dans
ce dernier effort ou à soutenir mon royaume que je croirais perdre si je ne
mettais pas toujours ma capitale derrière moi. » Cette résolution, si digne
d’un grand roi, n’était connue que du maréchal de Villars, et il le supplia de
lui permettre d’en parler dans sa harangue. Le roi rêva un moment et lui
dit : « On ne croira jamais que, sans m’avoir demandé la permission, vous
parliez de ce qui s’est passé entre vous et moi : vous le permettre et vous
l’ordonner serait la même chose, et je ne veux pas que l’on puisse penser ni
l’un ni l’autre. » (Villars, Mémoires, éd. de Voguë, IV).
Je m’ensevelirai avec vous sous les ruines de la monarchie.
Pourtant, c’est une autre formulation encore, la quatrième, de la même
décision héroïque qui passera à la postérité. Elle se rencontre dans divers
textes au cours du XVIIIe  siècle. En voici la version la plus complète,
rapportée par La Beaumelle dans les pseudo-Mémoires de
Mme de Maintenon. Le roi manda le maréchal de Villars, et lui dit : « Vous
voyez où nous en sommes  : vaincre ou périr  ; il faut finir par un coup
d’éclat. Cherchez l’ennemi, et livrez-lui bataille.  » Villars lui dit avec
émotion : « Mais Sire, c’est votre dernière armée ! — N’importe, reprend le
roi. Je n’exige pas que vous battiez l’ennemi  ; mais je veux que vous
l’attaquiez. Si la bataille est perdue, vous me l’écrirez, et à moi seul : vous
ordonnerez au courrier de ne voir que Blouin [premier valet de chambre du
roi depuis 1653, qui fut témoin au mariage secret avec
Mme de Maintenon]. » Villars écoute, et ne sait où tend ce discours. « Je
monterai à cheval, ajoute le roi ; je passerai par Paris, votre lettre à la main ;
je connais le Français ; je vous mènerai quatre cent mille hommes, et je
m’ensevelirai avec vous sous les ruines de la monarchie. » (La Beaumelle,
Mémoires pour servir à l’histoire de Madame de Maintenon, V).
Cette leçon amplement répandue donne lieu elle-même à diverses
variantes : l’Encyclopediana (1791) abaisse à deux cent mille le nombre
des Parisiens qu’aurait espéré lever Louis XIV (on sait pourtant sa défiance
depuis la Fronde envers sa capitale !) ; l’Éloge historique du marquis de
Villars (1775) omet la mention du courrier qui serait remis à Blouin ; la
même année, La France illustre ou le Plutarque français combine l’appel à
la noblesse et au peuple de Paris (« je vais à Paris, j’appelle ma Noblesse,
je parle à mon peuple, je trouverai encore des soldats »). La formule finale
demeure inchangée en dépit de ces variations. Elle entre dans l’histoire : on
la retrouve pendant la Révolution dans la bouche de l’avocat Blonde
évoquant le projet de faire fuir Louis XVI à Metz pour y lever une armée de
quarante mille gentilshommes qui auraient été « honorés de le remettre sur
son trône ou de s’ensevelir avec lui sous les ruines de la monarchie ». On la
retrouve, attribuée cette fois au personnage de Villars, dans le mélodrame
historique en « trois actes, à grand spectacle » de Frédéric Dupetit-Mère et
Duperche intitulé Le Maréchal de Villars ou la bataille de Denain, créé en
1817 à la Porte-Saint-Martin. Au demeurant, la tournure sinon la
formulation préexistait à son attribution à Louis XIV : André Félibien parle
en 1666 des arts accablés sous les ruines de la monarchie romaine
(Entretiens sur les vies et les ouvrages des plus excellents peintres, Paris,
1666) et Isaac de Larrey racontant la lutte des Bourguignons et des Orléans
durant la guerre de Cent ans écrit en 1707 que ces factions plutôt que de
céder l’une à l’autre, aimaient mieux périr ensemble et s’ensevelir sous les
ruines de la monarchie. (Histoire d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande,
Rotterdam, 1707). Le mot du roi se ramène à un tour d’écriture de ses
historiens.
J’ai l’honneur d’être le plus ancien soldat de mon royaume.
Pour complément de cette anecdote et de ce mot, La Beaumelle ajoutait
en note ceci, qui consone du même accent héroïque un peu inattendu chez
un homme de soixante-quatorze ans qui a depuis longtemps renoncé à
suivre ses armées en campagne. Le roi se promenant avec quelques
seigneurs qui allaient partir pour l’armée : « Si vous êtes battus, leur dit-il,
j’irai vous secourir  : j’ai l’honneur d’être le plus ancien soldat de mon
royaume. — Et le meilleur, ajouta le marquis d’Antin.  » (La Beaumelle,
Mémoires pour servir à l’histoire de Madame de Maintenon, V)
Lorsqu’il s’agit de défendre une couronne, il faut, plutôt que de
l’abandonner, perdre la vie.
Il est notable que Louis XIV ait anticipé cette intention et jusqu’à ces mots
en commentant la conduite de son petit-fils Philippe V, décidé lui aussi en
1705 à défendre son royaume au prix même de sa vie. Je n’ai qu’à louer un
projet digne de votre naissance. Je sais qu’il n’est pas exempt de beaucoup
d’inconvénients, et j’aurais hésité s’il eût été question de vous donner
conseil. Mais puisque vous êtes déterminé, vous ne devez plus songer
qu’aux moyens d’exécuter heureusement une résolution conforme à ce que
vous devez penser, et au rang où vous êtes élevé. Lorsqu’il s’agit de
défendre une couronne, il faut, plutôt que de l’abandonner, perdre la vie ; et
je reconnais avec plaisir ces sentiments, dans tout ce qui m’a été dit de
Votre Majesté. (Louis  XIV, Lettre à Philippe  V. 16  novembre 1705.
Grimoard et Grouvelle, VI)
Mon parti est pris ; je reconnaîtrai le Prince, et je le vais dire au roi
son père. 
Il est également notable que Louis  XIV ait manifesté le même sens de
l’honneur chevaleresque envers un de ses protégés dans le malheur, le roi
Jacques II Stuart, chassé d’Angleterre par Guillaume d’Orange et réfugié
depuis lors en France. En septembre 1701, alors que l’exilé est mourant,
Louis  XIV lui donne, sans tenir compte des intérêts de la France ni des
traités signés par celle-ci, la satisfaction de reconnaître officiellement pour
futur roi d’Angleterre son fils le prince de  Galles. Torcy et les autres
ministres s’étaient fort opposés à cette reconnaissance pendant la maladie
de Jacques II. Ils en avaient remontré au roi les pernicieuses conséquences,
et l’inutilité de cette démarche pour un jeune prince qui n’y pouvait gagner
que de vains honneurs dans sa cour, et rien de plus que d’attirer sur soi les
yeux de toute l’Europe pour s’opposer plus attentivement à tous les desseins
de son rétablissement […]. Le roi fut ébranlé et persuadé à diverses
reprises ; mais la reine d’Angleterre avait gagné Mme de Maintenon par
pitié : par générosité, le roi, averti à Marly de la dernière extrémité du roi
Jacques, alla à Saint-Germain. Torcy, qui me l’a conté, s’approcha de lui sur
son passage et lui dit à l’oreille ses craintes sur l’effet de l’attendrissement
qu’il allait éprouver. Le roi, sans s’émouvoir, lui répondit sèchement, à ne
laisser pas lieu à réplique, et toujours marchant : « Mon parti est pris ; je
reconnaîtrai le Prince, et je le vais dire au roi son père.  » (Saint-Simon,
Parallèle des trois premiers rois bourbons, 1746)
Ce qui vous doit assurer de la satisfaction que j’ai du service
important que vous m’avez rendu et au royaume.
Finalement Villars sauve la cause de la France dans la guerre de
Succession d’Espagne à Denain le 24  juillet 1712. Voici le récit de son
retour d’après la version de ses Mémoires signée par La Pause de Margon
et alii. Le maréchal de Villars, de retour à la cour, fut d’abord chez le roi lui
rendre compte de la campagne  ; mais Sa  Majesté lui dit en le voyant  :
«  Monsieur le maréchal, vos victoires nous ont procuré la paix, c’est le
comble de votre gloire et celui de mes désirs, ce qui vous doit assurer de la
satisfaction que j’ai du service important que vous m’avez rendu et au
royaume. » (La Pause de Margon, Mémoires de Villars, II)
Il y a des occasions où il faut savoir perdre.
Cette paix, Louis XIV s’essayait déjà en 1711 de convaincre son petit-fils
de la préférer à la gloire, pourvu qu’il conservât au moins une part de ses
possessions. Il y a des occasions où il faut savoir perdre, et si vous étiez
possesseur tranquille de l’Espagne et des Indes, vous n’auriez pas à
regretter les places que vous auriez cédées aux Anglais, pour les engager à
faire la paix. Je me servirai dans cette vue du pouvoir que vous me donnez.
Dieu veuille qu’il réussisse ; car il me paraît, suivant ce que je vois de la
disposition de vos affaires, que la paix n’est pas moins nécessaire à Votre
Majesté, qu’elle l’était l’année dernière, et que la conjoncture est seulement
plus favorable pour traiter plus avantageusement. Réglez-vous donc sur ce
principe, et comptez qu’il n’y a pour vous de bons conseils à suivre, que
ceux qui avanceront la paix en vous maintenant sur le trône. (Louis XIV,
Lettre à Philippe V. 22 juin 1711. Grimoard et Grouvelle, VI)
Les mettre en état de jouir longtemps des fruits de la paix.
Et, pour conclusion paradoxale de cette épopée de la gloire, le testament
du roi commencera par ces mots annonciateurs de ceux qu’il prononcera,
dit-on, sur son lit de mort à destination du petit Dauphin. Comme, par la
miséricorde infinie de Dieu, la guerre qui a pendant plusieurs années agité
notre royaume, avec des événements différents et qui nous ont causé de
justes inquiétudes, est présentement terminée, nous n’avons présentement
rien plus à cœur que de procurer à nos peuples le soulagement que le temps
de la guerre ne nous a pas permis de leur donner, les mettre en état de jouir
longtemps des fruits de la paix, et éloigner tout ce qui pourrait troubler leur
tranquillité. (Louis XIV, Testament. Grimoard et Grouvelle, II)
Conclusion

Louis XIV devant la mort


LA MORT RÔDE

►  La mort de ses parents


Mon neveu, vous voyez ici un roi dans le tombeau et un autre dans le
berceau.
En vertu d’une loi qui régit bien des métiers et professions d’alors, on
devient roi sous l’Ancien Régime par la mort de son père : le roi ne passe
qu’en mourant la main à son fils. Louis XIV ayant vécu soixante-dix-sept
ans et la mort ayant beaucoup frappé autour de lui, c’est son arrière-petit-
fils âgé de cinq ans qui lui succédera. Mais lui-même, au demeurant,
n’avait que quatre ans et huit mois à la mort de Louis  XIII. Cette
confrontation réitérée entre un mourant qui a rempli son âge et son
successeur encore tout enfant nous vaut un mot qui, pour apocryphe qu’il
soit sans doute, mériterait d’avoir été prononcé par le Roi-Soleil. Selon une
tradition remontant peut-être au lendemain même de son agonie, il aurait
dit sur son lit de mort au duc d’Orléans, futur régent, en lui présentant le
presque Louis XV : Mon neveu, vous voyez ici un roi dans le tombeau et un
autre dans le berceau. (Louis XIV, « Dernières paroles de — à Louis XV,
telles que celui-ci les a toujours conservées écrites au chevet de son lit »,
Grimoard et Grouvelle, II) La date de ce propos est confirmée par une lettre
privée et anonyme, datée du 28 août 1715 et dont on conserve copie aux
archives de La Ciotat et dans celles de la famille Belvezet. Il dit à M. le
duc d’Orléans : « Mon neveu, je vous fais régent du royaume, vous allez
voir un roi dans le tombeau et un autre dans le berceau, souvenez-vous
toujours de la mémoire de l’un et des intérêts de l’autre. » (***, Lettre du
28 août 1715, arch. de La Ciotat/Belvezet)
Je m’appelle Louis XIV !
Ce mot vaut mieux que celui, presque semblable, mais d’une grande
invraisemblance, qu’on lui prête au chevet de son père atteint du mal qui
devait l’emporter et dont Édouard Fournier a bien raison de faire justice
comme suit. Lorsque Louis XIII était sur son lit de mort, le Dauphin, qu’on
venait de baptiser, et qu’il aurait interrogé sur son nom, aurait répondu,
comme un enfant terrible : « Je m’appelle Louis XIV !… » et le roi, tout
agonisant, aurait répliqué : « Pas encore, mon fils, pas encore. » Ce petit
dialogue, dont se fussent attristés les derniers moments du moribond, aurait
besoin de preuves pour être accepté. Or, la relation très circonstanciée du
valet de chambre Dubois, les Mémoires de La Porte n’en disent pas un mot.
L’on me permettra donc d’en douter, en dépit du P. Griffet, le seul qui en ait
parlé (Histoire de Louis XIII, 1758, t. III, p. 608). L’éditeur du Mémoire de
Dubois, sur la mort de Louis XIII, pense, comme nous, que le silence de ce
très exact journal détruit le fait tout naturellement. (Fournier, Recherches et
curiosités).
Je m’appelle Louis XIV, mon papa.
Il faut tout de même prendre garde que le texte du P. Griffet faisait dire au
petit Dauphin : « Je m’appelle Louis XIV, mon papa » non pas hors de tout
contexte, mais au moment où l’enfant rentrait de la cérémonie de son
baptême, qui venait d’avoir lieu dans la chapelle du château de Saint-
Germain  : c’est «  après la cérémonie qui ne fut suivie d’aucune
réjouissance à cause de la maladie du roi, [qu’]on lui amena ce jeune prince
qui n’avait que quatre ans et demi ». Ces circonstances confèrent à la fable
un peu plus de logique, l’enfant venant de recevoir l’onction divine sur son
prénom, quatorzième de sa race. (Griffet, Histoire du règne de Louis XIII,
III)
Je m’appelle Louis XIV, répondit le jeune prince.
La fable prit très vite rang dans l’histoire  : moins de dix ans après la
parution du livre de Griffet, Chaudon l’introduit dans son Dictionnaire
historique (1765) sous la forme que voici. Il fut baptisé le 12 avril 1643 ; et
après la cérémonie, on le mena au roi son père, qui lui demanda quel nom il
avait reçu. «  Je m’appelle Louis  XIV  », répondit le jeune prince. Cette
réponse, faite sans doute au hasard, ne laissa pas de chagriner Louis XIII
alors malade, qui dit  : «  Pas encore, pas encore.  » (Chaudon, Nouveau
Dictionnaire historique)
Afin que, quand je viendrai à mourir, on ne s’aperçoive pas que le roi
soit mort.
Et puis un jour l’enfant-roi devient à son tour le père d’un futur roi (du
moins le croit-il tant que vit le Grand Dauphin). En 1688, ce dernier est âgé
de vingt-sept ans  : on l’envoie commander l’armée du roi son père en
Allemagne. Le roi a dit à Monseigneur : « En vous envoyant commander
mon armée, je vous donne les occasions de faire connaître votre mérite :
allez le montrer à toute l’Europe, afin que, quand je viendrai à mourir, on ne
s’aperçoive pas que le roi soit mort.  » (Dangeau, Journal, 22  septembre
1688)
Incapable de m’entretenir d’aucune autre considération que de la
perte que je faisais.
Le roi devait assister le 19 janvier 1666 à une revue militaire à Breteuil.
Mais je fus empêché de m’y trouver par le pressentiment que l’amour me
donna du danger de la reine ma mère contre l’opinion des médecins. Cet
accident, quoique préparé par un mal de longue durée, ne laissa pas de me
toucher si sensiblement qu’il me rendit plusieurs jours incapable de
m’entretenir d’aucune autre considération que de la perte que je faisais. […]
La nature avait formé les premiers nœuds qui m’unissaient à la reine ma
mère. Mais les liaisons qui se font dans le cœur par le rapport des qualités
de l’âme se rompent bien plus malaisément que celles qui ne sont produites
que par le seul commerce du sang. La vigueur avec laquelle cette princesse
avait soutenu ma couronne dans les temps où je ne pouvais encore agir
m’était une marque de son affection et de sa vertu. Et les respects que je lui
rendais de ma part n’étaient point de simples devoirs de bienséance. Cette
habitude que j’avais formée de ne faire qu’un seul logis et qu’une même
table avec elle, cette assiduité avec laquelle je la voyais plusieurs fois
chaque jour malgré l’empressement de mes affaires n’était point une loi que
je m’étais imposée par la raison d’État, mais une marque du plaisir que je
prenais en sa compagnie. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Il n’est plus temps d’avoir de la complaisance.
La reine mère entre en agonie. Louis XIV, apprenant des médecins qu’ils
s’attendent à un redoublement de la fièvre qui va emporter la mourante, et
connaissant ses sentiments pieux et dévots, ordonne ce qui se doit en
l’occurrence. Il appela M. d’Auch et M. de Montaigu, et leur dit : « Il faut
donc dire à la reine ma mère qu’il faut songer à la mort. » M. de Montaigu
dit : « Ah ! Sire, vous la ferez mourir de lui dire dans son redoublement. »
Le roi se récria  : «  Quoi  ! on la flatterait et on la laisserait mourir sans
sacrements, après une maladie de six mois ? Cela ne me sera pas reproché.
Il n’est plus temps d’avoir de la complaisance. » Tout le monde trouva que
le roi avait raison. (Montpensier, Mémoires, année 1666)
…ne trouvant pas d’autre soulagement à l’ennui que me causait sa
mort que dans les honneurs qui se rendaient à sa mémoire.
Je fis soigneusement exécuter ses dernières volontés, excepté en ce
qu’elle avait ordonné qu’on ne fît point de cérémonies à ses obsèques. Car
ne trouvant pas d’autre soulagement à l’ennui que me causait sa mort que
dans les honneurs qui se rendaient à sa mémoire, je commandai qu’on suivît
en cette rencontre tout ce qu’elle-même avait fait pratiquer à la mort du feu
roi mon père. (Louis XIV, Mémoires pour l’année 1666)
Ne laissant pas d’être inconsolable de la perte que j’ai faite.
Très Saint Père, la longue maladie de la reine, madame ma mère, s’est
enfin terminée par sa mort, arrivée le 20 de ce mois sur les quatre heures du
matin. Elle a fini comme elle a vécu, dans la pureté de la foi, dans le zèle de
la religion et dans les actes les plus parfaits de résignation chrétienne  ;
parmi de si solides sujets de consolation, ne laissant pas d’être inconsolable
de la perte que j’ai faite, je supplie Votre Sainteté de me vouloir assister de
la [sic] bénédiction apostolique, pour obtenir du secours du Ciel le remède à
ma douleur. (Louis  XIV, Au pape. Paris, 21  janvier 1666. Grimoard et
Grouvelle, V)
Si l’extrême affliction où je suis le pouvait permettre.
Le même jour, ayant quitté Paris pour Versailles, Louis  XIV ne peut,
comme il aurait dû le faire, informer de vive voix sa tante Henriette de
France de l’entrée en guerre de la France contre l’Angleterre, par l’effet de
son alliance avec la Hollande (Henriette, mère du roi d’Angleterre
Charles II, était demeurée en France après le rétablissement de son fils sur
le trône britannique). Tout à sa douleur, Louis  XIV a contre sa coutume
délégué cette mission à son secrétaire d’État aux affaires étrangères.
Madame ma Sœur et Tante, j’ai commandé au sieur de Lionne de vous aller
trouver de ma part, afin de vous expliquer des choses que j’aurais été vous
dire moi-même, si l’extrême affliction où je suis le pouvait permettre. Je
prie Votre Majesté de lui donner entière créance, et même de m’excuser, si
s’agissant d’une commission dont le sujet ne m’est pas fort agréable, je
m’en décharge sur un autre. (Louis XIV, À la reine douairière d’Angleterre.
Versailles, 21 janvier 1666. Grimoard et Grouvelle, V)
La seule main qui m’a porté un si rude coup, est capable de l’adoucir.
En réponse à une lettre perdue où le marquis de La Vallière devait lui
exprimer ses condoléances pour la perte de sa mère, Louis XIV lui répond
ceci d’entrée de lettre, avant d’en venir tout de suite après à des sujets tout
militaires. Monsieur le marquis de  la Vallière, ce que j’ai souffert en
perdant la reine, madame ma mère, surpasse tous les efforts de votre
imagination ; et pour vous répondre en un mot, sachez que la seule main qui
m’a porté un si rude coup est capable de l’adoucir. Puisque les quatre
compagnies destinées à composer celle que vous commandez, [etc.]
(Louis  XIV, À  La Vallière. Saint-Germain-en-Laye, 11  février 1666.
Grimoard et Grouvelle, V)
Ma douleur étant aussi vive qu’elle était le premier jour, et ne voyant
encore rien de capable de la diminuer.
Le 13 février, il conclut encore ainsi une lettre au duc d’Aumont. Je suis
fort persuadé que le sentiment que vous avez eu de la mort de la reine,
madame ma mère, est encore au delà de l’expression qui m’en a été faite de
votre part ; ce que je puis est de vous assurer du gré que je vous en sais, ma
douleur étant aussi vive qu’elle était le premier jour, et ne voyant encore
rien de capable de la diminuer. (Louis  XIV, Au duc d’Aumont. Saint-
Germain-en-Laye, 13 février 1666. Grimoard et Grouvelle, V)
►  La mort des siens
[Elle ne m’a] jamais donné d’autre déplaisir que celui qu’elle me
cause par sa mort.
La reine Marie-Thérèse, qui meurt en 1683, avait toujours su ignorer la
vie agitée du roi ou du moins ne pas en manifester de dépit ostensible : il
semble qu’elle ait rempli sa fonction de reine et d’épouse avec abnégation,
résignation et discrétion. Aussi fut-elle regrettée du roi, qui lui rendit
publiquement ce témoignage, qu’elle ne lui avait jamais donné d’autre
déplaisir que celui qu’elle lui causait par sa mort. (Reboulet, Histoire du
règne de Louis XIV, II) Ce trait d’esprit que l’on nommait « pointe » est
antérieur à Louis  XIV. D’abord tourné d’une manière indirecte, il entra
progressivement dans la légende du roi comme un de ses mots historiques
les plus célèbres. En le reproduisant dans ses Mémoires historiques,
critiques et anecdotes des reines et régentes de France (1764), Dreux du
Radier se sent obligé d’avouer qu’on le rencontre déjà chez le poète
François Maynard au début du XVIIe siècle : « La morte que tu plains fut
exempte de blâme ;/ Et le triste accident qui termina ses jours,/ Est le seul
déplaisir qu’elle ait mis dans ton âme. » Aussi s’empresse-t-il d’ajouter :
Mais Louis XIV parlait du cœur et le sentiment lui inspirait ce que l’esprit
avait dicté à Maynard  : une pensée juste appartient à tout esprit juste.
Parfaite expression du mécanisme par lequel s’est constituée et a cristallisé
la légende du roi. (Dreux du Radier, Mémoires historiques, VI)
Je ne saurais m’accoutumer à songer que je ne verrai plus mon frère.
La mort de son frère renouvellera les flots de larmes qu’avait tirées du roi
la mort de leur mère. Le dîner fut court et triste. Après dîner, il se renferma
chez elle [Mme de Maintenon] avec Mme la duchesse de Bourgogne et ses
dames, et il lui échappa plusieurs fois de dire  : «  Je ne saurais
m’accoutumer à songer que je ne verrai plus mon frère.  » (Dangeau,
Journal, 9 juin 1701)
Il y a peu d’exemples de ceux qui m’arrivent, et que l’on perde dans
la même semaine son petit-fils, sa petite-belle-fille et leur fils.
En 1712, au plus rude moment de la guerre de Succession d’Espagne,
Louis  XIV vient de perdre en même temps le duc et la duchesse
de Bourgogne, ainsi que leur fils aîné. Villars raconte dans ses Mémoires la
conversation qu’il eut alors avec le roi (c’est peu avant la bataille de
Denain). Il évoque pour commencer l’humeur du monarque abattu par ces
deuils. Le maréchal se rendit à Marly le même jour, et le roi lui manda de se
trouver chez lui le 12 sur les cinq heures du soir. Ce grand prince paraissait
au milieu de ses courtisans sans verser une larme ; mais il ne crut pas être
obligé à la même contrainte devant le maréchal de  Villars. Son cœur
s’ouvrait en sa présence sur tous ses malheurs domestiques, et il lui dit : « Il
y a peu d’exemples de ceux qui m’arrivent, et que l’on perde dans la même
semaine son petit-fils, sa petite-belle-fille et leur fils, tous de très grande
espérance et très tendrement aimés. Dieu me punit, je l’ai bien mérité ; j’en
souffrirai moins dans l’autre monde. Mais suspendons mes douleurs sur les
malheurs domestiques, et voyons ce qui se peut faire pour prévenir ceux de
l’État. » (Villars, Mémoires, éd. de Voguë, III)
Je le regardais comme un ami à qui je pouvais ouvrir mon cœur et
donner toute ma confiance.
La mort du Grand Dauphin affligera vivement le vieux roi. Madame
Palatine dit qu’à tout moment les larmes lui viennent aux yeux, et qu’il
étouffe ses sanglots. Voici d’ailleurs en quels termes il annonce la nouvelle
à Philippe V d’Espagne, fils cadet du défunt. J’ai perdu mon fils et vous
perdez en lui un père qui vous aimait aussi tendrement que je l’aimais lui-
même. Il méritait toute mon amitié, par son attachement pour moi, par son
attention continuelle à me plaire, et je le regardais comme un ami à qui je
pouvais ouvrir mon cœur et donner toute ma confiance. Quoique je trouve
une sorte de soulagement à vous faire part d’une affliction aussi juste que la
mienne et que vous ne ressentirez pas moins vivement que moi, ce n’est
cependant que de Dieu que je puis espérer les secours nécessaires pour la
supporter constamment. Je le prie aussi de consoler V. M. et si l’assurance
de mon amitié peut y contribuer, croyez que j’ai pour vous la même
tendresse, et que le seul plaisir que je puisse goûter est de retrouver aussi,
de votre part, les mêmes sentiments que mon fils m’a témoignés pendant le
cours de sa vie. (Louis  XIV, À Philippe  V. Marly, 16 avril 1711, Lettres
inédites du Mémorial du dépôt général de la guerre, IV)
Je n’ai donc plus que vous.
Après la mort du duc de Bourgogne, qui était devenu Dauphin à la mort
de Monseigneur, le duc d’Anjou étant désormais roi d’Espagne, c’est le duc
de Berry qui prend temporairement le titre au milieu de l’affliction. Ce que
le roi scelle par un mot simple et pathétique. J’ai omis ce qui se passa au
réveil du roi à la mort de Mgr  le Dauphin, parce que ce ne fut que la
répétition parfaite de ce qui s’y passa à la mort de Mme la Dauphine, qui a
été raconté. Le roi embrassa tendrement M. le duc de  Berry à plusieurs
reprises, lui disant : « Je n’ai donc plus que vous. » Ce prince était fondu en
larmes ; on ne peut être plus amèrement ni plus longtemps affligé qu’il le
fut. (Saint-Simon, Mémoires, année 1712)
►  La mort des autres
Nous venons de perdre un bon ami.
On sait que le parrain du jeune enfant avait été le cardinal Mazarin. La
régence de la reine mère et le ministériat de cet homme d’État auquel
Louis XIV laissa le pouvoir aussi longtemps qu’il vécut firent du lendemain
de sa mort une sorte de second couronnement pour le jeune roi. Les avis
sont partagés sur la gratitude qu’il semble avoir éprouvée pour cet
imposant mentor et sur l’ingratitude qu’il semble avoir manifestée assez
rapidement envers sa mémoire. Mais non pas sur-le-champ, si l’on en croit
de pieuses anecdotes, peut-être destinées justement à dédouaner le
monarque du soupçon d’avoir oublié un peu vite son maître, dont il est vrai,
d’un autre côté, que la mémoire mêlait au souvenir de son zèle pour la
France un fâcheux soupçon de filouterie. Dès que le cardinal eut rendu
l’esprit, le roi passa dans l’antichambre, et dit au maréchal de Gramont qu’il
trouva sous sa main : « Oh ! Monsieur le maréchal, nous venons de perdre
un bon ami.  » Le maréchal ne dit rien et se mit à pleurer. (Choisy,
Mémoires)
C’est la moindre chose que je lui dois.
Voici un autre témoignage de cette confiance aveugle en Mazarin qui se
changera bien vite en une défiance lucide quoique celée envers les temps et
les méthodes de son ministère, dont Fouquet ne tardera pas à faire
indirectement les frais. Lorsque Colbert lui apporta le testament que le
cardinal venait de faire (et ce fut la veille qu’il mourut), il lui défendit de le
lire, et le signa sans vouloir savoir ce qu’il contenait : « C’est la moindre
chose que je lui dois », disait-il en soupirant. (Choisy, Mémoires)
Étreindre de plus en plus les nœuds de notre amitié et de notre union,
en sorte que le public soit très persuadé qu’elle est sincèrement
indissoluble.
À en croire la lettre par laquelle Louis XIV annonçait à son beau-père le
roi d’Espagne la mort du ministre qui avait œuvré au rapprochement des
deux pays, Mazarin mourant aurait, dans la tradition des agonies royales,
légué ses principes diplomatiques à son filleul. Et je ne dois pas omettre à la
louange de mon-dit cousin, qu’un des derniers conseils qu’il s’est le plus
appliqué à me donner, pendant même la plus grande violence de son mal, a
été non seulement d’entretenir religieusement la paix, à quoi il savait que je
n’avais pas besoin d’être incité, mais aussi d’étreindre de plus en plus les
nœuds de notre amitié et de notre union, en sorte que le public soit très
persuadé qu’elle est sincèrement indissoluble, et que par ce moyen nos
couronnes, outre leurs propres forces, aient encore chacune la considération
des autres par cette intime union de conseils et d’intérêts, à quoi j’assure
V. M. que j’ai de ma part toute la disposition possible. (Louis XIV, Au roi
d’Espagne. Paris, 9 mars 1661. Grimoard et Grouvelle, V)
Si vous prenez autant d’intérêt à ma consolation que je prends de
part à votre douleur, faites un effort sur vous-même pour recevoir ce
coup avec une fermeté digne de vous.
Lettre de condoléances au duc de Saint-Aignan qui vient de perdre son fils
aîné, le comte de  Séri. Le courrier du roi fait chatoyer la sympathie,
l’exhortation, la compensation (dont la promotion du cadet qui deviendra le
duc de Beauvillier, si cher à Saint-Simon) d’une manière à la fois sensible,
élégante et ferme : le duc est alors en campagne, et dans la fin de sa lettre
le roi l’autorise à quitter les deux navires qu’il commandait pour revenir
quelque temps à Paris régler les choses nécessitées par la situation. Je
viens d’apprendre, avec le regret que vous pouvez juger, la mort du comte
de Seri, et pour me la rendre encore plus sensible, tous les sujets que j’avais
de l’aimer et de l’estimer se présentent à mon esprit en ce moment que je
vous écris. Si vous prenez autant d’intérêt à ma consolation que je prends
de part à votre douleur, faites un effort sur vous-même. Je sais que dans une
si grande affliction, les biens ne sont pas capables de toucher un cœur
comme le vôtre  ; mais aussi je le crois trop tendre aux marques de ma
bienveillance, pour ne sentir pas quelque soulagement de ce que je donne au
fils qui vous reste, qu’on m’a dit vouloir être d’épée, toutes les charges de
son aîné. (Louis XIV, Au duc de Saint-Aignan. Vincennes, 2 octobre 1666.
Grimoard et Grouvelle, V)
Vous pleurez un père que vous retrouverez en moi, et moi je perds un
ami que je ne retrouverai plus.
Nouvelle manifestation d’attachement à un ministre  : en 1699 meurt
Simon Arnauld de  Pomponne, dont Louis  XIV avait dû se séparer au
moment où se réorientait sa politique étrangère en 1679, mais auquel il
avait conservé affection et estime jusqu’à l’avoir nommé de nouveau
ministre d’État sans portefeuille en 1691. Lorsque l’abbé de Pomponne eut
perdu son père, Simon Arnauld, secrétaire d’État et ministre des Affaires
étrangères, Louis XIV voulut bien soulager sa douleur en la partageant. Ce
prince lui dit : « Vous pleurez un père que vous retrouverez en moi, et moi
je perds un ami que je ne retrouverai plus. » (Panckoucke, Suppléments à
l’Encyclopédie, « Louis XIV »)
Nous faisons bien des vœux pour la santé de cet enfant, mais nous ne
savons ce que nous faisons.
En 1705, au chevet du petit duc de Bretagne, fils du duc de Bourgogne,
Louis  XIV adresse ces mots résignés et fatalistes à son confesseur, le P.
de La Chaise. Mon père, nous faisons bien des vœux pour la santé de cet
enfant, mais nous ne savons ce que nous faisons ; s’il meurt, c’est un ange
dans le ciel ; s’il vit, les grands princes sont si exposés à tant de tentations et
tant de dangers pour leur salut qu’on a sujet d’en tout craindre. (Dangeau,
Journal, 13 avril 1705)
L’un plus tôt, l’autre plus tard, nous mourrons tous comme vient de
mourir Mme la Dauphine.
La succession des décès autour de lui et l’atmosphère de dévotion dans
laquelle vit la cour sous le « règne » de Mme de Maintenon ont marqué le
roi qui voit mourir les siens en songeant sans cesse à sa propre disparition
et au salut de son âme. Ainsi quand disparaît la Dauphine Bavière, sa bru.
Le roi demeura quelque temps à genoux au pied de son lit, priant Dieu pour
elle avec larmes  ; ensuite il sortit de sa chambre et ayant trouvé
Monseigneur dans celle où il l’avait fait passer, il lui dit : « Mon fils, vous
voyez là un bel exemple et qui doit bien nous faire penser tous à nous-
mêmes. Car enfin, l’un plus tôt, l’autre plus tard, nous mourrons tous
comme vient de mourir Mme la Dauphine. » (Sourches, Mémoires, 20 avril
1690)

MAUX ET MORT DU ROI


►  Louis XIV et la maladie
Je vous prie de m’avertir lorsque je serai à l’extrémité.
Frôler fréquemment la mort fait partie de la vie des hommes, de tous les
hommes de jadis, y compris les rois. À Mardyck en juillet 1657, Louis XIV
atteint de la scarlatine sera sauvé in extremis par sa forte constitution et,
croira-t-on alors, par le vin émétique que ce succès prétendu mettra en bien
injuste vogue. Sentant sa vie menacée, le roi avait réclamé de Mazarin la
vérité. Vous êtes homme de résolution et le meilleur ami que j’aie. C’est
pourquoi je vous prie de m’avertir lorsque je serai à l’extrémité  : car la
reine n’osera pas le faire, par la crainte que cela augmente mon mal.
(Mazarin, À Colbert, 7 juillet 1658. Lettres, VIII)
On n’est pas heureux à notre âge.
Sans être une maladie, la vieillesse est une source de maux dont
Louis  XIV connut avec lucidité, ressentit avec patience et exprima avec
mesure les souffrances, combinées de surcroît à celles qui marquèrent la fin
de son règne  : la mort de ses proches et les déboires de l’interminable
guerre de Succession d’Espagne. Le 23 mai 1706, le maréchal de Villeroy
venait encore de perdre une bataille, celle de Ramillies. Le roi lui accorda
un entretien dont on ne sait rien, sinon, selon Dangeau, que Louis XIV lui
montra beaucoup de bonté. Voltaire hérita ou inventa un mot sans doute
apocryphe qui comble ce vide et qui fera fortune. Le maréchal de Villeroy,
au désespoir, n’osait écrire au roi cette défaite. Il resta cinq jours sans
envoyer de courriers. Enfin il écrivit la confirmation de cette nouvelle, qui
consternait déjà la cour de France. Et quand il reparut devant le roi, ce
monarque, au lieu de lui faire des reproches, lui dit  : «  Monsieur le
maréchal, on n’est pas heureux [entendre : favorisé du sort] à notre âge. »
(Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Ne me traitez pas en roi, je veux guérir comme si j’étais un paysan.
Lors de l’opération de la fistule anale que pratiqua sur lui le chirurgien
Dionis en 1686, il ne témoigna aucune impatience à tous les coups de
ciseaux qu’on lui donna, il disait seulement  : «  Est-ce fait, Messieurs  ?
Achevez, et ne me traitez pas en roi, je veux guérir comme si j’étais un
paysan. » Et au prince de Conti qui profite de l’émoi universel produit par
l’opération de la fistule pour se faire rappeler de son demi-exil à Chantilly,
il dit : « Mon cousin, quand on est éloigné on croit mon mal plus grand
qu’il n’est, mais dès que l’on me voit on juge aisément que je ne souffre pas
beaucoup. » (Choisy, Mémoires)
S’il plaît à Dieu, je n’en aurai que le mal.
En ces temps de médecine inefficace et de maladies ravageuses, l’issue
n’est jamais sûre. Louis  XIV reçoit après l’opération de sa fistule anale
dont l’issue est incertaine le Dauphin et la Dauphine, ainsi que Monsieur,
son frère, Madame, sa belle-sœur, et son cousinle prince de Condé. À son
fils, qui se jette au pied du lit royal en pleurant et sans avoir la force de lui
parler, il dit : Tout va bien, mon fils, et s’il plaît à Dieu, je n’en aurai que le
mal. (Choisy, Mémoires)
Mon Dieu, je me remets entre vos mains.
Le jour où avait eu lieu l’opération, Louis XIV avait terminé sa prière
matinale par cette citation de Luc 23. 46, qui s’appropriait à la situation :
« Mon Dieu, je me remets entre vos mains. » Et en se remettant au lit, il
ordonna à Félix de commencer l’opération ; ce qu’il fit en même temps, en
présence de Bessière [médecin du roi qui avait conseillé l’intervention] et
de M. de Louvois, qui tint toujours la main du roi pendant l’opération ; car
Mme de Maintenon se tenait auprès de la cheminée. Le roi ne cria point, et
dit seulement une fois « Mon Dieu ! » quand on lui fit la première incision.
(Sourches, Mémoires, 18 novembre 1685)
Cela ne fait pas mourir plus tôt, au contraire cela attirera la
bénédiction de Dieu sur les remèdes que vous ferez.
La dévotion au moins formelle qu’exprime la phrase ci-dessus correspond
chez Louis  XIV à un progrès sinon du sentiment, du moins du souci
religieux au fur et à mesure de son avancée en âge. Rien là d’original :
Mme  de  Maintenon ne fit qu’accompagner et accélérer en lui est une
attitude partagée alors par la plupart des gens. Au demeurant, le roi n’a
jamais fait montre de quoi que ce soit d’original ni de personnel en ces
matières. Attaché au principe d’une religion «  d’État  » qui, on l’a vu,
participe à sa conception de la nation et du métier de roi, il semble avoir
professé à titre privé une foi qui, même durant la période de sa vie marquée
par un souci accru de dévotion, procédait surtout de précaution, d’intérêt
bien compris et de conviction émotionnelle plus que d’élan mystique. En
témoignent par exemple ses conseils au comte d’Armagnac partant soigner
une attaque qui lui a déformé la face. Ayant résolu de s’en aller aux eaux de
Vichy, il vint prendre congé du roi, qui lui donna audience dans son cabinet.
L’entrevue fut tendre de part et d’autre, le roi lui témoigna beaucoup
d’affection, et, entre autres choses, le roi lui dit : « Monsieur le Grand, vous
savez que j’ai de l’amitié pour vous et je vous en ai donné d’assez grandes
marques ; j’espère que votre mal ne sera rien, et que les eaux vous tireront
d’affaire ; mais le meilleur conseil que je puis vous donner, c’est de penser
sérieusement à votre conscience et de vous mettre en bon état. Cela ne fait
pas mourir plus tôt, au contraire cela attirera la bénédiction de Dieu sur les
remèdes que vous ferez. » (Sourches, Mémoires, 24 juillet 1689)
►  Le début de la fin
Selon le marquis de  Dangeau, courtisan attentif qui tient un journal
quotidien de la vie à Versailles, et selon les frères Anthoine, garçons de la
chambre du roi, auteurs quant à eux d’un Récit fidèle de ce qui s’est passé
de plus considérable pendant la maladie et la mort de Louis  XIV, c’est
depuis le 10 août que la maladie qui lui sera fatale a commencé de frapper
le monarque, sans que personne encore ose croire que la mort y
succéderait, même si les progrès du dépérissement et de l’amaigrissement
sont déjà si nets chez le vieil homme qu’au coucher du même jour Dangeau
le regarde comme un homme mort.
Vous me voyez bien mal, monsieur le maréchal.
Voici à ce propos le témoignage du maréchal de  Villars, qui visite
Louis XIV durant la deuxième quinzaine d’août. Outre la douleur de jambe
dont nous avons parlé, le roi avait la fièvre depuis plusieurs jours, et son
médecin avait soutenu jusqu’à l’extrémité qu’il n’en avait pas ; on le disait
même encore. Mais il ne dormait point et buvait vingt verres d’eau pendant
la nuit. Le premier médecin et Maréchal, premier chirurgien, avaient eu une
grande dispute quinze jours auparavant en présence de Mme de Maintenon,
et peu s’en fallut que Maréchal ne fût renvoyé. Le roi, après les premières
paroles qu’il dit au maréchal de  Villars sur la charge donnée au fils de
M. de Maisons [qui mourra le 22 août], ajouta : « Vous me voyez bien mal,
monsieur le maréchal. —  Votre Majesté, accoutumée à beaucoup
d’exercice, se croit mal pour une incommodité qui l’empêche d’en faire,
répondit le maréchal. — Non, dit le roi, je sens de très grandes douleurs. »
Après cela, il lui parla de la reine de Pologne que le maréchal avait été
visiter à Blois, des hôtelleries de la route, des lits et des meubles qu’il y
avait vus. Il est certain que ce sont les seules du royaume qui soient
richement meublées. Autrefois, la plupart avaient même de la vaisselle
d’argent, et le roi se souvint, et des lits, et des miroirs qu’il avait vus dans
ces maisons, et qui y étaient encore presque les mêmes partout. « Vous irez
apparemment coucher ce soir à Paris, ajouta le roi, je veux espérer que vous
me trouverez mieux à votre retour. » (Villars, Mémoires, éd. de Voguë, IV)
Je crains bien d’avoir été trompé au choix des sujets que l’on m’a
indiqués, dont il me faudra peut-être bientôt rendre compte au
jugement de Dieu.
Le 15  août, Louis  XIV fatigué se gendarme contre l’insistance de son
confesseur, le P. Le Tellier, qui veut lui faire arrêter la liste des nouveaux
titulaires des biens ecclésiastiques vacants (ces fameux bénéfices, déjà
évoqués, qui étaient source d’infinis marchandages, de tant prévarications
et de compromissions). La nomination cependant ne s’en fit point
nonobstant les instances que le P. Le  Tellier lui en fit et qu’il réitéra à
diverses reprises pendant le cours de la maladie de Sa Majesté, qui fatiguée
des pressantes sollicitations de ce jésuite [les Anthoine penchent pour la
cause janséniste…] se trouva obligée de lui dire : « Mon père, je me trouve
déjà assez accablé de tant de nominations de bénéfices que j’ai faites
pendant mon règne, je crains bien d’avoir été trompé au choix des sujets
que l’on m’a indiqués, dont il me faudra peut-être bientôt rendre compte au
jugement de Dieu  ; pourquoi voulez-vous encore me charger de cette
nomination ? Nous pouvons attendre quelques jours pour choisir à loisir de
bons sujets, si Dieu me fait la grâce de revenir de cette maladie.  »
(Anthoine, Journal historique)
Allez à la chasse, messieurs, ne perdez point le temps qui est très
beau.
Le 17, il ne peut se lever seul de son lit et dit aux ducs d’Orléans, de
Conti et du Maine venus lui rendre visite avec le comte de Toulouse : « Vous
avez vu, Messieurs, les belles cérémonies qu’il a fallu pour me lever. Je suis
bien à plaindre, mais il faut bien le vouloir, puisque c’est la volonté du
Seigneur que je sois réduit en cet état.  » Les princes lui ayant témoigné
combien ils étaient touchés des peines qu’il souffrait, il s’aperçut que
MM. le duc du Maine et le comte de Toulouse étaient en habit de chasse, il
les congédia en disant : « Allez à la chasse, Messieurs, ne perdez point le
temps qui est très beau. » De même envoie-t-il les princes à leur chasse de
nouveau le 23 août : La complaisance était naturelle à ce grand monarque
même envers les moindres de ses domestiques. (Anthoine, Journal
historique)
Je n’ai jamais ressenti de si vives douleurs.
Le 21, il dit à ses proches après une nuit particulièrement douloureuse :
Je n’ai jamais ressenti de si vives douleurs, mais ma plus grande peine est
de voir que les médecins ni les chirurgiens n’ont pu encore trouver le
moyen de me soulager un seul jour. (Anthoine, Journal historique)
Ils ont suivi tout le cours de ma vie ; il est juste qu’ils me voient finir.
Dimanche 25  août, selon Dangeau, le roi s’est trouvé encore assez de
force et de courage pour faire entrer le public à son dîner, avec
accompagnement de musique. La lettre anonyme du 28 déjà citée (archives
de La Ciotat et Belvezet) rapporte qu’il tint à déjeuner en public en ce jour
de Saint-Louis, quoiqu’il ne supportât déjà plus aucune nourriture solide. Il
aurait accompagné cette décision de paroles «  historiques  » dont ni les
Anthoine ni Dangeau, témoins oculaires et précis, n’ont conservé la trace.
« J’ai vécu parmi les gens de ma cour : je veux mourir parmi eux. Ils ont
suivi tout le cours de ma vie ; il est juste qu’ils me voient finir. » Il parut en
robe de chambre, sa jambe sur des carreaux, mangea d’une panade et d’un
potage ce jour-là à son ordinaire, ensuite il fit retirer la table de devant lui et
causa un quart d’heure avec tout le monde, après quoi il dit : « Messieurs, il
ne serait pas juste que le plaisir que j’ai de prolonger les derniers moments
que je passerai avec vous vous empêche de dîner [i.e. déjeuner, au sens
d’alors]. Je vous dis adieu et vous prie d’aller manger. » (***, Lettre du
28 août 1715, arch. de La Ciotat/Belvezet)
Hé ! mon Dieu, voulez-vous bien encore me faire la grâce de venir à
moi, vous qui êtes le Roi des Rois ?
Le 25 au soir, il demande le viatique et y est préparé par le P. Le Tellier.
Le cardinal de Rohan le lui apporte. S. M. parut ensuite remplie d’une joie
intérieure qui éclatait sur son visage et dans ses paroles, notent les frères
Anthoine, garçons de sa chambre ; entre plusieurs autres très édifiantes on
lui entendit dire celle-ci : « Hé ! mon Dieu, voulez-vous bien encore me
faire la grâce de venir à moi, vous qui êtes le roi des rois ? » (Anthoine,
Journal)
C’est toujours bien fait de se prémunir de ce secours.
Mme de Maintenon se donne l’initiative d’avoir fait accepter au roi de
recevoir l’extrême-onction. Et elle place cette scène le 23 et non le 25. Il lui
aurait répondu : C’est de bonne heure, car je me sens bien  ; mais c’est
toujours bien fait de se prémunir de ce secours. (Languet de Gergy,
Mémoires sur Mme de Maintenon)
J’ai vécu longtemps, mais j’ai bien peu vécu pour Dieu.
Après quoi le roi brûle quelques documents en présence de la même qui le
raconte en ces termes. Il me demanda sa cassette ; je la lui apportai ; il la
visita devant moi  : ayant trouvé quelques listes des voyages de Marly  :
«  Voici, dit-il, des papiers fort indifférents  ; on n’en peut faire mauvais
usage » ; et il ajouta, en prenant un autre papier : « Brûlons celui-ci ; il
pourrait mettre très mal ensemble ces deux ministres.  » Il trouva un
chapelet qu’il me donna en me disant : « Portez-le sur vous, non comme
une relique, mais pour vous souvenir toujours de moi.  » Le cardinal de
Rohan lui administra le saint viatique : il dit ensuite : « J’ai vécu longtemps,
mais j’ai bien peu vécu pour Dieu. » (Maintenon, À Mme de La Villette,
5 septembre 1715. La Beaumelle, Lettres de Mme de Maintenon, V)
En présence du chancelier Voisin, le roi ajoute alors un second codicille à
son testament, qui nomme le futur cardinal Fleury précepteur du roi et le P.
Le Tellier son confesseur. Un premier, rédigé le 13 avril précédent, avait
confié la garde du Dauphin et de toutes les troupes de sa maison au
maréchal de  Villeroy avec ordre de l’emmener au château de Vincennes.
Quant au testament lui-même, signé en août  1714, il n’attribuait au
duc d’Orléans, appelé à la régence par sa naissance, que la charge pour
l’essentiel honorifique de présider un Conseil apte à décider en tout des
affaires de l’État sans voix prépondérante pour lui  : le duc  du  Maine,
enfant légitimité du roi et de Mme  de  Montespan, protégé de
Mme de Maintenon, y aurait siégé avec le comte de Toulouse son frère et
pouvait espérer y exercer la réalité du pouvoir, avec la charge
complémentaire de surintendant de l’éducation du Dauphin qu’il recevait et
après le droit qui leur avait été reconnu en juillet précédent, à lui et à son
frère, de succéder au roi en cas d’épuisement de la lignée légitime. On sait
que dès après la mort du roi le Parlement annulera ces dispositions à la
requête du duc d’Orléans, fort de son seul atout, mais un atout maître : le
titre de régent que n’avait pu lui ôter le roi (et que d’ailleurs il n’avait sans
doute pas eu l’idée de lui ôter, quelque attachement qu’il eût pour le
duc  du  Maine et surtout pour Mme  de  Maintenon qui s’efforçait
grandement pour la cause des enfants légitimés).
Je ne doute pas que vous ne me serviez avec la même fidélité après ma
mort, que vous l’avez fait pendant ma vie.
Il appelle le maréchal de Villeroy, à qui il apprend qu’il lui a confié par le
codicille de son testament la charge de gouverneur du Dauphin. Selon
Mme de Maintenon, il lui aurait dit : Adieu, mon ami ; il faut nous quitter.
Selon le marquis de Quincy, il lui aurait tenu le discours suivant : Monsieur
le maréchal, je vous donne une nouvelle marque de mon amitié et de ma
confiance en mourant ; je vous fais gouverneur du Dauphin, qui est l’emploi
le plus important que je vous puisse donner. Vous savez par mon testament
ce que vous devez faire à l’égard du duc du Maine. Je ne doute pas que
vous ne me serviez avec la même fidélité après ma mort, que vous l’avez
fait pendant ma vie. J’espère que mon neveu vivra avec vous, avec la
considération et la confiance qu’il doit avoir pour un homme qu’il doit
toujours aimer. Adieu, monsieur le maréchal, j’espère que vous vous
souviendrez de moi. (Quincy, Histoire militaire du règne de Louis-le-
Grand, VII)
S’il y a quelque chose à changer ou à réformer, l’on fera ce que l’on
trouvera à propos.
Ensuite, le roi appelle à lui le contrôleur des finances Desmarets. Puis le
duc d’Orléans, auquel il accorde un entretien d’un quart d’heure, et qui en
sort en sanglots. Voici d’après les frères Anthoine ce qu’il lui aurait dit en
l’informant des dispositions de son testament et de son futur rôle à la tête
de l’État durant la minorité du nouveau roi. Mon cher neveu, j’ai fait un
testament où je vous ai conservé tous les droits que vous donne votre
naissance. Je vous recommande le Dauphin, servez-le aussi bien et aussi
fidèlement que vous m’avez servi, travaillez de votre mieux à lui conserver
son royaume, comme pour vous-même, s’il venait à manquer vous seriez le
maître. Puis il lui recommande tous les officiers de ma maison, tant grands
que petits, ils m’ont tous fidèlement servi et avec affection. […] Mon cher
neveu, conclut-il, ayez souvenance de moi. J’ai fait les dispositions que j’ai
cru les plus sages, et les plus équitables pour le bien du royaume, mais,
comme on ne saurait tout prévoir, s’il y a quelque chose à changer ou à
réformer, l’on fera ce que l’on trouvera à propos. (Anthoine, Journal)
Mon inclination est de concert avec la justice qui vous est due.
Une autre tradition enjolive ce propos que les Anthoine avaient orienté
dans le sens de la piété édifiante. Plus rhétorique, elle prête au roi un
discours qui commence par le parallèle célèbre et un peu artificiellement
pompeux sur le tombeau et le berceau, cité en ouverture de notre chapitre.
« Mon neveu, vous voyez ici un roi dans le tombeau et un autre dans le
berceau. J’espère que vous aurez bien soin de ce jeune prince, votre neveu
et votre roi. Je vous le recommande et meurs en repos, le laissant entre vos
mains. Vous verrez par mes dernières dispositions l’entière confiance que
j’ai en vous ; vous êtes régent du royaume, votre naissance vous donne ce
droit, et mon inclination est de concert avec la justice qui vous est due.
Gouvernez bien l’État pendant la minorité de ce prince : s’il meurt, vous
êtes le maître ; et s’il vit, tâchez surtout d’en faire un roi chrétien, qu’il aime
son peuple, et qu’il s’en fasse aimer. Encore un coup, j’attends tout pour lui
de vos soins, et vos grandes qualités me répondent du succès de mon
attente. » (Louis XIV, « Dernières paroles de Louis XIV à Louis XV, telles
que celui-ci les a toujours conservées écrites au chevet de son lit  »,
Grimoard et Grouvelle, II)
J’ai jeté les yeux sur vous pour vous donner la charge de surintendant
de l’éducation de M. le Dauphin.
Puis est reçu le duc du Maine, aîné des enfants légitimés. Au milieu de
l’audience, le comte de Toulouse est à son tour introduit. Louis XIV aurait
alors révélé publiquement la nomination du duc du Maine comme
surintendant du Dauphin, nouvelle atteinte aux droits moraux du sang
légitime, représenté par le duc  d’Orléans. Votre sagesse, monsieur, et la
capacité que j’ai toujours remarquée en votre personne font que j’ai jeté les
yeux sur vous pour vous donner la charge de surintendant de l’éducation de
M.  le Dauphin, convaincu que vous vous en acquitterez parfaitement. Je
vous dis adieu, souvenez-vous de moi. (Anthoine, Journal)
Sans que le duc  d’Orléans, chef du Conseil, puisse seul et par son
autorité particulière, rien déterminer, statuer et ordonner, et faire
expédier aucun ordre, au nom du roi mineur.
C’est en effet l’esprit des dispositions testamentaires du roi, qui vident de
presque toute son autorité la fonction de régent confiée au duc d’Orléans,
grâce aux trois dispositions suivantes. Voulons, que la personne du roi
mineur soit sous la tutelle et garde du Conseil de régence ; mais comme il
est nécessaire que, sous son autorité, quelque personne d’un mérite
universellement reconnu, et distinguée par son rang, soit particulièrement
chargée de veiller à la sûreté, conservation et éducation du roi mineur, nous
nommons le duc du Maine pour avoir cette autorité, et remplir cette
importante fonction du jour de notre décès. […] Voulons, que tous les
officiers de la Garde et de la Maison du roi, soient tenus de reconnaître le
duc du Maine, et de lui obéir en tout ce qu’il leur ordonnera pour le fait de
leurs charges, qui aura rapport à la personne du roi mineur, à sa garde et à
sa sûreté. Au cas que le duc du Maine vienne à manquer, avant notre décès
ou pendant la minorité du roi, nous nommons à sa place le comte
de Toulouse, pour avoir la même autorité et remplir les mêmes fonctions.
[…] Voulons, que toutes les affaires qui doivent être décidées par l’autorité
du roi, sans aucune exception ni réserve, soit qu’elles concernent la guerre
ou la paix, la disposition ou administration des finances, ou qu’il s’agisse
du choix des personnes qui doivent remplir les archevêchés, évêchés, et
autres abbayes et bénéfices [nous sautons l’énumération des fonctions
militaires et civiles éminentes qui suivent] et généralement pour toutes les
charges, commissions et emplois auxquels le roi doit nommer, soient
proposés et délibérés au Conseil de régence, et que les résolutions y soient
prises à la pluralité des suffrages, et sans que le duc  d’Orléans, chef du
conseil, puisse seul et par son autorité particulière, rien déterminer, statuer
et ordonner, et faire expédier aucun ordre, au nom du roi mineur, autrement
que suivant l’avis du Conseil de régence. (Louis XIV, Testament. Grimoard
et Grouvelle, II)
Quelque grands que je vous fasse et que vous soyez de mon vivant,
vous n’êtes rien après moi.
Or, une note de Dangeau place à ce moment dans le récit des derniers
jours du roi un étrange propos, quant à lui non daté, mais qu’il faudrait
remonter à l’époque de la signature de son testament un an plus tôt — en
août 1714, selon Saint-Simon qui reprendra dans ses Mémoires cet étrange
discours. S’il fallait leur accorder créance, ces paroles en forme de
semonce laisseraient beaucoup à penser sur les décisions successives du roi
destinées à élever ses « bâtards » au-dessus de son sang légitime et sur ses
réserves intimes à ce sujet. Mais on attribuera plus volontiers ce
témoignage suspect aux ennemis féroces des deux jeunes gens. Lorsqu’il
éleva si prodigieusement ses bâtards, il dit avec quelque aigreur à MM. du
Maine et de Toulouse, adressant la parole au premier : « Vous l’avez voulu ;
mais sachez que, quelque grands que je vous fasse et que vous soyez de
mon vivant, vous n’êtes rien après moi, et c’est à vous après à faire valoir
ce que je fais pour vous, si vous pouvez.  » (Dangeau, Journal, 27  août
1715, à propos de la veille)
Nous pouvons ce que nous voulons tant que nous sommes  ; après
nous, nous pouvons moins que les particuliers.
Cette défiance envers les « bâtards » serait étayée par un autre propos du
roi touchant la même question et s’adressant, cette fois, à la reine
d’Angleterre exilée (Marie de Modène, veuve de Jacques II Stuart, réfugiée
en France). Recueilli également par le Journal de Dangeau, il faudrait le
remonter lui aussi à l’année précédente, celle de la rédaction du testament,
car durant l’agonie de Louis XIV la reine d’Angleterre a fait régulièrement
envoyer à Versailles, mais n’y est pas venue en personne. On sut ce qui va
être dit par la reine d’Angleterre ; on l’a su aussi par le premier président et
par les gens du roi, à qui le roi l’avait dit en leur remettant son testament,
qui fut fait pour les bâtards et contre M. le duc d’Orléans, comme on n’en
put douter à sa lecture lorsque après la mort du roi il fut ouvert.
« Madame, » dit-il à la reine d’Angleterre et en homme plein [entier] dès
qu’il la vit, « j’ai fait mon testament. On m’a tourmenté pour le faire ; j’ai
acheté du repos  ; j’en connais bien l’impuissance et l’inutilité. Nous
pouvons ce que nous voulons tant que nous sommes  ; après nous, nous
pouvons moins que les particuliers. Il n’y a qu’à voir ce qu’est devenu le
testament du roi mon père aussitôt après sa mort, et celui de tant d’autres
rois. Je le sais bien, malgré cela, on l’a voulu et l’on ne m’a donné ni paix,
ni patience, ni repos qu’il ne fût fait. Oh ! bien donc, Madame, il est fait ; il
deviendra ce qu’il pourra, mais au moins on ne m’en tourmentera plus. »
Voilà précisément ce qu’il dit, et à ceux à qui il le remit qui en furent bien
étonnés, et la reine d’Angleterre qui ne le fut guère moins, quoiqu’elle en
sût et en vît davantage, mais de cette plénitude qui faisait parler le roi si
franchement à elle. Cela fit alors du bruit qu’on étouffa avec soin.
(Dangeau, Journal, 27 août 1715, à propos de la veille)
N’ai-je pas assez vécu ?
Puis Louis XIV reçoit plus rapidement M. le Duc, le comte de Charolais et
le prince de Conti. Le chancelier donne à lire au duc d’Orléans le texte de
l’ajout au codicille. Mme de Maintenon qui a assisté à tous les entretiens en
retrait de la chambre sort souper chez elle. C’est alors, selon le Journal des
Anthoine, qu’il lui aurait dit : Quoi, Madame, vous vous affligez de me voir
en état de bientôt mourir, n’ai-je pas assez vécu, m’avez-vous cru
immortel  ? — phrase que Dangeau déplace au 28 et à l’adresse des
garçons de chambre (voir ci-dessous).
►  La cérémonie des adieux
Je vous conjure de vous ressouvenir de moi et de vivre tous en grande
union.
Le 26  août, à huit heures, après une nuit entrecoupée d’insomnies, le
malade demande à entendre la messe. Après la messe, S. M. ayant pris un
bouillon avec beaucoup de peine fit appeler les princes et princesses qui
attendaient dans le cabinet la commodité de le voir. S’étant approchés du lit
du roi, il leur parla avec une présence d’esprit admirable et en des termes
peu communs sur son état, et sur la conduite qu’ils devaient tenir après sa
mort. Nous n’avons pu suivre le fil de ce discours, car la faiblesse de sa
voix et les pleurs et soupirs des assistants nous le dérobaient. Sur la fin
cependant il éleva un peu la voix. «  Je vous dis adieu, Messieurs et
Mesdames, puisqu’il faut mourir et nous quitter, n’y ayant plus de remèdes.
Je vous conjure de vous ressouvenir de moi et de vivre tous en grande
union. Je vous recommande le Dauphin très particulièrement. » (Anthoine,
Journal)
Si j’ai pu mal faire, c’est sur vos consciences […] et vous en
répondrez devant Dieu.
Après avoir fait demander le curé de Versailles qui lui dit prier Dieu pour
sa convalescence et auquel il répond qu’on ne doit prier désormais que
pour son heureuse éternité, il appelle à son chevet les cardinaux de Rohan,
de Bissy et de  Polignacainsi que le P. Le  Tellier. Selon les Anthoine, il
aurait évoqué devant eux, pour s’en dédouaner publiquement et
véhémentement, l’appui que leur parti avait obtenu de lui pour appuyer la
condamnation du jansénisme par le Saint-Siège (Bulle Unigenitus, 1713) :
les jésuites et le parti ultramontain l’avaient incité à y prêter la main,
notamment contre le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, partisan de
l’église gallicane et de la doctrine condamnée. Messieurs, je suis bien aise
de vous déclarer publiquement mes sentiments devant toutes les personnes
ici présentes. Je veux vivre et mourir dans la religion catholique,
apostolique et romaine que j’ai soutenue, autant qu’il m’a été possible
pendant le cours de mon règne, vous avez pu savoir que dans toutes les
affaires qui ont regardé la religion et l’Église, je les ai protégées avec
fermeté et zèle, mais dans les dernières affaires qui sont survenues depuis,
je n’ai suivi que vos avis et n’ai fait que ce que vous m’avez conseillé de
faire. C’est pourquoi si j’ai pu mal faire, c’est sur vos consciences, n’y
ayant point eu d’autre part ; et vous en répondrez devant Dieu ; pour moi je
n’ai eu que de très bonnes intentions. (Anthoine, Journal)
Ce que semble confirmer d’un mot Mme  de  Maintenon. Le cardinal de
Rohan et le P. Le Tellier entrèrent : il eut un long entretien avec eux ; je me
retirai pour laisser un libre cours à mes larmes ; et je n’entendis que ces
mots, lorsque je rentrai  : « Vous en répondrez devant Dieu. » (Lettre du
5 septembre 1715 à Mme de La Villette, d’après La Beaumelle, Mémoires
pour servir à l’histoire de Madame de Maintenon)
Saint-Simon qui, en ardent partisan du cardinal de Noailles, jubile devant
la confusion où se trouvent jetés ceux qu’il nomme les chefs de la
Constitution, poursuit le récit par le rebondissement suivant, qui illustre la
scélératesse qu’il leur prête : Le silence régnait dans ce terrible embarras.
Le roi le rompit par ordonner au chancelier d’envoyer sur-le-champ
chercher le cardinal de Noailles si ces messieurs, en regardant les cardinaux
de Rohan et de Bissy, jugeaient qu’il n’y eût point d’inconvénient. Fallait-il
laisser mourir le monarque fâché avec son archevêque au moment où il
désirait se réconcilier avec lui  ? Fallait-il offrir au parti janséniste et
gallican l’avantage d’appeler au chevet du roi le cardinal de Noailles,
champion de la résistance à la constitution Unigenitus, auquel le pape avait
menacé d’ôter le chapeau et que sa disgrâce confinait à Paris ? Le parti
ultramontain s’en tira en assortissant l’invitation au cardinal-archevêque
de la condition qu’il accepterait la Constitution et qu’il en donnerait sa
parole. À  quoi celui-ci ne put évidemment consentir, comme il l’expliqua
par une lettre adressée le jour même au monarque. (Saint-Simon,
Mémoires, année 1715)
Je m’en vais, mais l’État demeurera toujours.
Puis le roi reçoit les officiers de la cour, c’est-à-dire les courtisans grands
et petits, titulaires d’offices ou chargés d’emplois à Versailles, pour leur
adresser les dernières paroles qu’il leur destine. La messe finie, il a fait
approcher de lui le cardinal de Rohan et le cardinal de Bissy, auxquels il a
parlé pendant une minute, et en finissant de leur parler il a adressé la parole
à haute voix à tout ce que nous étions de ses officiers dans la ruelle et
auprès de son balustre. Nous avons tous approché de son lit, et il nous a dit :
« Messieurs, je suis content de vos services ; vous m’avez fidèlement servi
et avec envie de me plaire. Je suis fâché de ne vous avoir pas mieux
récompensés que j’ai fait ; les derniers temps ne l’ont pas permis. Je vous
quitte avec regret. Servez le Dauphin avec la même affection que vous
m’avez servi  ; c’est un enfant de cinq ans, qui peut essuyer bien des
traverses, car je me souviens d’en avoir beaucoup essuyé pendant mon
jeune âge. Je m’en vais, mais l’État demeurera toujours  ; soyez-y
fidèlement attachés, et que votre exemple en soit un pour tous mes autres
sujets. Soyez tous unis et d’accord ; c’est l’union et la force d’un État ; et
suivez les ordres que mon neveu vous donnera. Il va gouverner le royaume ;
j’espère qu’il le fera bien. J’espère aussi que vous ferez votre devoir et que
vous vous souviendrez quelquefois de moi. » À ces dernières paroles, nous
sommes tous fondus en larmes, et rien ne peut exprimer les sanglots,
l’affliction et le désespoir de tout ce que nous étions. Sa voix n’était point
entrecoupée, et seulement beaucoup plus faible qu’à l’ordinaire. (Dangeau,
Mémoire sur la mort de Louis XIV)
Je compte que vous vous souviendrez quelquefois de moi. Saint-Simon
donne de la fin de cette harangue un compte rendu plus touchant. Le roi
aurait conclu ainsi  : Je sens que je m’attendris et que je vous attendris
aussi, je vous en demande pardon. Adieu, Messieurs : je compte que vous
vous souviendrez quelquefois de moi. (Saint-Simon, Mémoires, année
1715)
Voilà donc mon arrêt prononcé pour mercredi.
Tandis qu’on panse la jambe du roi, Maréchal, son chirurgien, est
interrogé par lui sur le temps qu’il lui reste à vivre. Et comme il eut
répondu qu’il croyait que cela irait jusqu’au mercredi suivant, Sa Majesté
répondit avec un sang-froid étonnant  : «  Voilà donc mon arrêt prononcé
pour mercredi. » (Quincy, Histoire militaire du règne de Louis le Grand,
VII)
Mignon, vous allez être un grand roi.
À midi selon Dangeau, vers trois heures selon les Anthoine, c’est-à-dire
après une consultation des médecins du roi et de leurs confrères appelés de
Paris, qui demeurent perplexes et dont la perplexité confirme aux assistants
qu’une issue fatale est probable, le roi commanda qu’on lui amenât M. le
Dauphin (selon le Journal des frères Anthoine). Il tient au futur Louis XV un
discours voué à entrer dans l’histoire qui en conservera diverses versions,
chacune rivalisant de grandeur et d’émotion avec les autres. Voici celle
d’un témoin ordinairement fiable, le marquis de Dangeau. À midi, S. M. a
fait entrer le petit Dauphin dans sa chambre, et après l’avoir embrassé il lui
a dit  : «  Mignon, vous allez être un grand roi, mais tout votre bonheur
dépendra d’être soumis à Dieu et du soin que vous aurez de soulager vos
peuples. Il faut pour cela que vous évitiez, autant que vous le pourrez, de
faire la guerre  ; c’est la ruine des peuples. Ne suivez pas le mauvais
exemple que je vous ai donné en cela ; j’ai souvent entrepris la guerre trop
légèrement et l’ai soutenue par vanité. Ne m’imitez pas, mais soyez un
prince pacifique et que votre principale application soit de soulager vos
sujets. Profitez de la bonne éducation que Mme la duchesse de Ventadour
vous donne, obéissez-lui et suivez aussi pour bien servir Dieu les conseils
du P. Le Tellier, que je vous donne pour confesseur » (Dangeau, Mémoire
sur la mort de Louis XIV)
J’ai trop aimé la guerre.
Voltaire a livré une leçon qu’il prétend la plus authentique, car attestée
par une copie faite pour Louis XV sur ordre de Villeroy, son gouverneur,
sans songer que le copiste a pu lui-même surorner un propos conservé dans
sa mémoire pour en édifier son pupille. Son successeur a toujours conservé
écrites au chevet de son lit les paroles remarquables que ce monarque lui dit
en le tenant sur son lit entre ses bras. Ces paroles ne sont point telles
qu’elles sont rapportées dans toutes les histoires  ; les voici fidèlement
copiées : « Vous allez être bientôt roi d’un grand royaume. Ce que je vous
recommande plus fortement est de n’oublier jamais les obligations que vous
avez à Dieu  : souvenez-vous que vous lui devez tout ce que vous êtes.
Tâchez de conserver la paix avec vos voisins : j’ai trop aimé la guerre ; ne
m’imitez pas en cela non plus que dans les trop grandes dépenses que j’ai
faites. Prenez conseil en toutes choses et cherchez à connaître le meilleur,
pour le suivre toujours. Soulagez vos peuples le plus tôt que vous le
pourrez, et faites ce que j’ai eu le malheur de ne pouvoir faire moi-même,
etc. » (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Aimez la paix.
Voici une autre version, en miroir, telle que ciselée par l’Encyclopédie.
J’ai chargé mon peuple au delà de mon intention, mais j’y ai été obligé par
les longues guerres que j’ai eu à soutenir. Aimez la paix, et ne vous engagez
dans aucune guerre qu’autant que l’intérêt de l’État et le bien des peuples
l’exigeront. (Panckoucke, Suppléments à l’Encyclopédie, « Louis XIV »)
Ne [m]’imitez pas dans [m]a passion pour la gloire, pour la guerre,
pour les femmes, pour les bâtiments.
Puis les dictionnaires d’histoire ont assimilé, résumé et répandu la leçon
sous une forme parfois lapidaire, comme celle-ci qui date de 1765  :
Louis XIV aurait recommandé à son successeur de soulager ses peuples, et
de ne pas l’imiter dans sa passion pour la gloire, pour la guerre, pour les
femmes, pour les bâtiments. (Chaudon, Nouveau Dictionnaire)
Les rois meurent comme les autres hommes.
Selon Mme  de  Maintenon, le roi aurait accompagné le dernier
embrassement du Dauphin d’une sentence destinée à l’enfant qui allait
devenir roi. Le Dauphin s’étant retiré, il ordonna de le rappeler  ; il
l’embrassa en pleurant et ajouta : « Regardez, mon fils, ce que je viens de
vous dire comme mes dernières volontés ; et que ces conseils soient gravés
dans votre esprit. Souvenez-vous que les rois meurent comme les autres
hommes. » (Lettre du 5 septembre 1715 à Mme de La Villette, d’après La
Beaumelle, Mémoires pour servir à l’histoire de Madame de Maintenon)
Je n’ai pu refuser ce mouvement à la nature.
Selon Dangeau, il aurait embrassé par deux fois le Dauphin et lui aurait
donné sa bénédiction en fondant en larmes, puis il aurait reçu à portes
fermées ses deux fils légitimés, le duc du Maine et le comte de Toulouse et
son neveu le duc d’Orléans. La version des Mémoires de Villars mise en
forme par La Pause de Margon ajoute un trait qui pourrait se placer à la
charnière entre ces visites. Le roi apprit avec fermeté l’état où il était ; il se
disposa à la mort en héros chrétien, il fit appeler M.  le Dauphin, M.  le
duc d’Orléans, et tous les princes du sang, auxquels il tint des discours si
touchants qu’ils en furent tous attendris. Il ordonna après, que tout le monde
sortît, excepté M. le Dauphin ; et se croyant seul avec lui, il le fit approcher
de son lit, et il s’avança même pour l’embrasser. Alors la tendresse l’émut,
et il ne put retenir ses larmes ; il se tourna de l’autre côté du lit pour les
essuyer. Il fut surpris alors de voir M. le duc d’Orléans qu’il croyait être
sorti ; et fâché de paraître devant lui les yeux baignés de larmes, il lui dit :
« Je vous fais excuse, je n’ai pu refuser ce mouvement à la nature. » (La
Pause de Margon, Mémoires de Villars, III)
[Mme de Maintenon] ne m’a donné que de bons conseils, j’aurais bien
fait de les suivre.
L’entretien du roi avec le duc d’Orléans semble avoir eu ce jour-là pour
objet (entre autres, peut-être) l’avenir de Mme de Maintenon. En quittant le
roi, le futur régent a dit à ceux qui se sont trouvés auprès de lui au sortir de
la chambre, du nombre desquels j’étais, précise Dangeau, que c’était pour
lui recommander Mme  de  Maintenon. On trouve le détail supposé de la
recommandation dans les mémoires manuscrits de Mlle  d’Aumale. Mon
neveu, je vous recommande madame  de  Maintenon  ; vous savez la
considération et l’estime que j’ai eues pour elle ; elle ne m’a donné que de
bons conseils ; j’aurais bien fait de les suivre ; elle m’a été utile en tout,
mais surtout pour mon salut ; faites tout ce qu’elle vous demandera pour
elle, pour ses parents et pour ses amis, pour ses alliés ; elle n’en abusera
pas  ; qu’elle s’adresse directement à vous pour tout ce qu’elle voudra.
(Mémoires manuscrits de Mlle  d’Aumale, d’après Maintenon,
Conversations, éd. Monmerqué)
Il m’a dit adieu avec des paroles si tendres que je m’étonne de n’être
pas tombée à la renverse sans connaissance.
Après le duc  d’Orléans, le roi fait entrer dans sa chambre Madame et
toutes les princesses, qui ont été suivies de leurs dames d’honneur
(Dangeau). Madame, née princesse Palatine, a laissé le récit de cette visite.
Il m’a dit adieu avec des paroles si tendres que je m’étonne de n’être pas
tombée à la renverse sans connaissance. Il m’a assurée qu’il m’avait
toujours aimée et plus que je ne le croyais moi-même, qu’il regrettait de
m’avoir quelquefois causé du chagrin. Il m’a demandé de me souvenir
quelquefois de lui, ajoutant qu’il pensait que je le ferais volontiers, car il
était persuadé que je l’avais toujours aimé. Il a dit de plus qu’il me donnait
sa bénédiction et qu’il faisait des vœux pour le bonheur de toute ma vie.
(Madame Palatine, Correspondance, 27 août 1715)
Il leur a dit qu’il leur recommandait l’union.
Après avoir entretenu Madame, le roi s’adresse à ses filles et petites-filles.
Il leur a dit qu’il leur recommandait l’union. J’ai cru qu’il disait cela pour
moi, et je répondis que pour cet objet comme pour tous les autres j’obéirais
à Sa Majesté tant que je vivrais ; il s’est mis à rire, et il a dit : « Ce n’est pas
pour vous que je parle ainsi ; je sais que vous n’avez pas besoin de pareilles
recommandations, mais je le dis aux autres princesses. » Vous pouvez croire
dans quel état cela m’a mise. (Madame Palatine, Correspondance, 27 août
1715)
À quoi tient-il, mon Dieu, que vous ne me preniez ?
Durant ce temps il n’a fait que prier, disant sans cesse : « À quoy tient-il,
mon Dieu, que vous ne me prenies [en français dans le texte allemand ;
nous conservons l’orthographe]  ?  » (Madame Palatine, Correspondance,
27 août 1715)
Je ne veux pas qu’on y fasse plus de dépense.
Le matin du 27, après une nuit très éprouvante, le roi a de multiples
entrevues avec le P.  Le  Tellier, Mme  de  Maintenon étant de nouveau
présente, le chancelier quelquefois. L’après-dîner il a fait appeler sur le soir,
par le P. Le Tellier, le comte de Pontchartrain, secrétaire d’État de sa maison
et de Paris, qui était dans le cabinet, et lui a dit : « Aussitôt que je serai
mort, vous expédierez un brevet pour faire porter mon cœur à la Maison
professe des Jésuites et l’y faire placer de la même manière que celui du feu
roi mon père. Je ne veux pas qu’on y fasse plus de dépense. » Il lui donna
cet ordre avec la même tranquillité qu’il ordonnait, en santé, une fontaine
pour Versailles ou pour Marly. (Dangeau, Mémoire sur la mort de
Louis XIV)
Je m’imaginais qu’il était plus difficile de mourir que cela.
Selon Madame, voici quelques-unes des paroles qu’il a dites à
Mme de Maintenon ce jour-là. Il est resté ferme jusqu’au dernier moment. Il
a dit en riant à Mme  de  Maintenon  : «  Je m’imaginais qu’il était plus
difficile de mourir que cela ; je vous assure que ce n’est pas une grosse
affaire  : cela ne me paraît pas malaisé du tout…  » Il est resté deux fois
vingt-quatre heures sans parler à personne. (Madame Palatine,
Correspondance, 27  août 1715. Confirmé par Dangeau, Mémoire sur la
mort de Louis XIV).
Saint-Simon poursuit ainsi l’anecdote  : Mme  de  Maintenon aurait
répliqué au roi que mourir était difficile quand on a de l’attachement aux
créatures, de la haine dans le cœur, des restitutions à faire. « Ha, reprit le
roi, pour des restitutions à faire, je n’en dois à personne comme particulier ;
mais pour celles que je dois au royaume, j’espère en la miséricorde de
Dieu. » (Saint-Simon, Mémoires, année 1715)
►  Derniers moments
Est-ce que vous m’avez cru immortel ?
La nuit du roi [du 27 au 28 août] a été semblable aux précédentes ; mais
comme sur les sept heures du matin il a envoyé quérir le P. Le Tellier, qui
ne faisait que sortir du cabinet où il avait couché, on a cru qu’il était à
l’extrémité, et cela a fait un si grand mouvement dans le château que tout le
monde crut qu’il expirait. Il a dans ce moment aperçu dans ses miroirs deux
de ses garçons de la chambre qui pleuraient au pied de son lit ; il leur a dit :
«  Pourquoi pleurez-vous  ? Est-ce que vous m’avez cru immortel  ? Pour
moi, je ne l’ai jamais cru être, et vous avez dû vous préparer depuis
longtemps à me perdre dans l’âge où je suis. » (Dangeau, Mémoire sur la
mort de Louis XIV)
Je sais très bien qu’il faut quitter tout cela.
Selon les divers témoins ou narrateurs de l’agonie du roi, ce même mot
(Est-ce que vous m’avez cru immortel  ?) a pour destinataires tantôt ses
médecins, tantôt les princesses ses filles et petites-filles, tantôt
Mme de Maintenon. On a vu plus haut que les frères Anthoine en donnent à
une autre date une version améliorée (N’ai-je pas assez vécu, m’avez-vous
cru immortel ? Non, non, je sais très bien qu’il faut quitter tout cela) où se
combinent des paroles prêtées par Brienne à Mazarin qu’il aurait surpris
arpentant à la fin de sa vie une galerie de son palais ornée d’œuvres de
Corrège, de Titien et de Carrache en gémissant à haute voix  : «  Il faut
quitter tout cela ! » et encore : « Que j’ai eu de peine à acquérir ces choses !
Puis-je les abandonner sans regret  ? Je ne les verrai plus où je vais  !  »
(Brienne, Mémoires, III)
J’avais cru qu’il était plus difficile de mourir.
Voici enfin une variante de cette formule décidément répandue, sous la
plume de Voltaire qui combine en une phrase deux ultima verba du roi.
Personne n’ignore avec quelle grandeur d’âme il vit approcher la mort,
disant à Mme  de  Maintenon  : «  J’avais cru qu’il était plus difficile de
mourir » et à ses domestiques : « Pourquoi pleurez-vous ? m’avez-vous cru
immortel ? » donnant tranquillement ses ordres sur beaucoup de choses, et
même sur sa pompe funèbre. (Voltaire, Siècle de Louis XIV)
Nous nous reverrons bientôt [à Mme de Maintenon].
Le mercredi 28 août, il fit le matin une amitié à Mme de Maintenon qui ne
lui plut guère, et à laquelle elle ne répondit pas mot. Il lui dit que ce qui le
consolait de la quitter était l’espérance, à l’âge où elle était, qu’ils se
rejoindraient bientôt. (Saint-Simon, Mémoires, année 1715). Cette incise de
Saint-Simon est corroborée par la correspondance de Mme de Maintenon
qui écrivait quelques jours plus tard à Mme de La Villette les adieux que lui
fit le roi, à plusieurs reprises, au gré de l’évolution de sa maladie. Elle
quittera Versailles pour Saint-Cyr le lendemain, 29 août, pour n’en revenir
jamais, écrira Dangeau, et avant de partir elle a distribué dans son
domestique le peu de meubles qu’elle avait et son équipage. Elle a dit adieu
à ses nièces pour ne les revoir jamais, car elle a déclaré qu’elle ne veut que
qui que ce soit au monde l’aille voir à Saint-Cyr. (Dangeau, Mémoire sur la
mort de Louis XIV) En réalité, elle reviendra encore deux fois, rappelée par
l’espoir d’améliorations éphémères de l’état du malade. Il me dit trois fois
adieu. La première fois, il m’assura qu’il n’avait de regret que de me
quitter  ; mais, ajouta-t-il en soupirant, nous nous reverrons bientôt. Je le
priai de ne plus penser qu’à Dieu. La seconde fois, il me demanda pardon
de n’avoir pas assez bien vécu avec moi et de ne m’avoir pas rendue
heureuse, mais qu’il m’avait toujours aimée et estimée ; et se sentant alors
prêt à pleurer, il me recommanda d’examiner si on ne l’écoutait pas.
« Cependant, ajouta-t-il, on ne sera jamais surpris que je m’attendrisse avec
vous.  » À  la troisième fois, il me dit  : «  Qu’allez-vous devenir  ? Vous
n’avez rien.  » Je l’exhortai à ne s’occuper que de Dieu. (Lettre du
5 septembre 1715 à Mme de La Villette, d’après La Beaumelle, Mémoires
pour servir à l’histoire de Madame de Maintenon, V) À noter que la suite
de cette lettre place à cet endroit la prière faite au roi de parler pour elle au
duc d’Orléans. Ce qui semble bien avoir eu lieu la veille. On voit qu’il est
difficile d’établir une chronologie exacte des faits d’après des récits qui
mêlent les événements survenus durant ces journées précipitées et
répétitives.
Je suis bien persuadé que la grandeur de Dieu est infiniment élevée
au-dessus des rois de la terre.
Le P. Le Tellier l’exhortant de se soumettre à la volonté de Dieu dans cette
extrémité s’avisa entre autres de lui demander de n’avoir de regret de
quitter son royaume et toutes les grandeurs du monde, à quoi Sa Mté
répondit d’un ton ferme : « Non, mon Père, je les ai oubliées et je suis bien
persuadé que la grandeur de Dieu est infiniment élevée au-dessus des rois
de la terre. » (Anthoine, Journal)
Ni dans l’espérance ni avec désir de guérir.
Sur les onze heures, il s’est présenté un Provençal, appelé Brun, inconnu
de tout le monde, qui, venant de Marseille à Paris et ayant ouï dire sur le
chemin l’état où est le roi, a pris la poste et a apporté un élixir qu’il prétend
être infaillible pour la gangrène, même qui tient du dedans. On l’a fait
parler aux médecins, et après qu’il leur a dit de quoi sa drogue est
composée, on en a fait prendre, à midi, dix gouttes au roi dans trois
cuillerées de vin d’Alicante. S. M., en prenant ce breuvage, qui sent fort
mauvais, a dit : « Je ne le prends ni dans l’espérance ni avec désir de guérir,
mais je sais qu’en l’état où je suis je dois obéir aux médecins. » (Dangeau,
Mémoire sur la mort de Louis XIV.) Selon les Anthoine, Brun serait survenu
le 29 seulement. Mais ses remèdes ne firent illusion qu’une journée.
Il faut que vous ayez bien du courage d’être toujours présente à un
pareil spectacle.
Le jeudi 29, le roi assiste à la messe, puis mange deux biscuits entre six et
sept heures ; il a la tête fort embarrassée, dit qu’il n’en peut plus. Sa jambe
et sa cuisse sont enflées par la gangrène. Il dit à Mme  de  Maintenon
revenant de Saint-Cyr où elle a couché la nuit précédente : Il faut que vous
ayez bien du courage d’être toujours présente à un pareil spectacle. (Lettre
du 5  septembre 1715 à Mme  de  La Villette, d’après La Beaumelle,
Mémoires pour servir à l’histoire de Madame de Maintenon, V)
Cela ne me fait aucune peine.
Il lui échappa le même jour, en donnant des ordres, d’appeler le Dauphin
le jeune roi. Il vit un mouvement dans ce qui était autour de lui. «  Hé
pourquoi  ? leur dit-il  ; cela ne me fait aucune peine.  » (Saint-Simon,
Mémoires, année 1715)
Du temps que j’étais roi. 
De même nature, cette formule que rapporte Saint-Simon, et par laquelle
le moribond devance son entrée dans la légende qui prospérera sur son
absence. De temps en temps dès qu’il était libre, et dans les derniers qu’il
avait banni toute affaire et tous autres soins, il était uniquement occupé de
Dieu, de son salut, de son néant, jusqu’à lui être échappé quelquefois de
dire : « Du temps que j’étais roi. » (Saint-Simon, Mémoires, année 1715)
II dit en buvant quelques paroles, mais tout cela machinalement et
sans connaissance distincte.
Depuis l’après-midi du 29, le roi est continuellement assoupi, n’ayant
quasi plus que la connaissance animale. En fait, une longue agonie a
commencé. Il prend de la gelée et boit de temps en temps de l’eau pure, car
il repousse la boisson dès qu’il y sent du vin. II dit en buvant quelques
paroles, mais tout cela machinalement et sans connaissance distincte.
(Dangeau, Mémoire sur la mort de Louis XIV)
[Sa Majesté] a dit… l’Ave Maria et le Credo à plusieurs reprises, mais
sans aucune connaissance et par la grande habitude qu’[il] a de les
prononcer.
Le 31, selon Dangeau, le roi a été sans connaissance toute la journée, les
moments lucides ayant été fort courts, et plutôt une connaissance machinale
que de raison. À dix heures et demie du soir on lui a dit les prières des
agonisants, crainte qu’il n’expire pendant la nuit. La voix des aumôniers qui
ont fait les prières a frappé la machine, qui pendant ces prières a dit à plus
haute voix qu’eux l’Ave Maria et le Credo à plusieurs reprises, mais sans
aucune connaissance et par la grande habitude que S. M. a de les prononcer.
(Dangeau, Mémoire sur la mort de Louis XIV)
Ô mon Dieu ! venez à mon aide, hâtez-vous de me secourir.
Saint-Simon, en poète de l’Histoire, offre de cette scène une version
édifiante et touchante, à vrai dire un peu suspecte. Symbole de son rapport
parfois médiat aux discours que la postérité lui fait tenir, les deux dernières
phrases qu’il prête à Louis  XIV se trouvent être des citations  : l’une de
l’Ave maria (« Maintenant et à l’heure de notre mort »), l’autre du Psaume
69. Vers onze heures du soir on le trouva si mal qu’on lui dit les prières des
agonisants. L’appareil le rappela à lui. Il récita des prières d’une voix si
forte, qu’elle se faisait entendre à travers celle du grand nombre
d’ecclésiastiques et de tout ce qui était entré. À  la fin des prières, il
reconnut le cardinal de Rohan, et lui dit : « Ce sont là les dernières grâces
de l’Église.  » Ce fut le dernier homme à qui il parla. Il répéta plusieurs
fois : « Nunc et in hora mortis », puis dit : « Ô mon Dieu ! venez à mon
aide, hâtez-vous de me secourir. » Ce furent ses dernières paroles. (Saint-
Simon, Mémoires, année 1715)
Et c’est ainsi qu’il mourut, si c’était là mourir, puisque commençait pour
lui le temps disert de l’éloquence posthume qui ne se lasserait pas de lui
entendre dire ou de lui faire dire bon nombre des paroles que vient de
rassembler ce livre, et bien d’autres encore, presque inépuisablement…
Sources et références

On a limité ce répertoire aux ouvrages dont sont extraites les citations. La


forme abrégée de ces références est donnée à la fin de chaque rubrique.
*** Lettre anonyme du 28 août 1715, conservée en copie par les archives
de La Ciotat (Bulletin du comité de la langue, de l’histoire et des arts de
la France, IV, année 1837, p. 913-916) et par celles de la famille Belvezet
(Bernard Goubin, Lozère histoire et généalogie, http://www.lozere-
histoire-genealogie.com/Travaux/Download/17.pdf) [***, Lettre du
28 août 1715, arch. de La Ciotat/Belvezet]
ANQUETIL, Louis-Pierre, Vie du maréchal  duc  de  Villars, écrite par lui-
même, Paris, Moutard, 1784, 4 vol. [Anquetil, Vie du maréchal duc de
Villars, suivi du n° du vol.]
ANTHOINE (les frères —, garçons de la chambre du roi), La Mort de
Louis XIV, i.e. Journal historique et récit fidèle de ce qui s’est passé de
plus considérable pendant la maladie et la mort de Louis  XIV, éd.
Édouard Drumont, Paris, Quantin, 1880. [Anthoine, Journal historique]
ARNAULD, Antoine, Mémoires de M.  l’abbé  Arnauld, contenant quelques
anecdotes de la cour de France, depuis 1634 jusqu’à 1675, Amsterdam, J.
Neaulme, 1756, 3 vol. Collection Alexandre Petitot, t.  XXXIV, Paris,
Foucault, 1824. [Arnauld, Mémoires, suivi de l’année évoquée]
BAUSSET, Louis François, cardinal de, Histoire de Bossuet, évêque de Meaux
composée sur les manuscrits originaux, 1814, 3e éd. revue et corrigée,
Paris, Lebel, 1821, 4 vol. [Bausset, Histoire de Bossuet, suivi du vol.]
BRIENNE, Louis-Henri de Loménie, comte de, Mémoires, éd. Paul Bonnefon,
Paris, Renouard, 1916-1919, 3 vol. [Brienne, Mémoires, suivi du numéro
du vol.]
CAYLUS, Marthe-Marguerite Le Valois de Villette de Murçay, comtesse de,
Les Souvenirs de Mme de Caylus, Amsterdam, J. Robert, 1770. [Caylus,
Souvenirs, 1770]
—  Souvenirs de Mme de Caylus. Nlle éd. par Charles Asselineau, Paris,
J. Techener, 1860. [Caylus, Souvenirs, éd. Asselineau]
CHALLE, Robert, Mémoires. Correspondance complète. Rapports sur
l’Acadie et autres pièces, publiés par Frédéric Deloffre avec la
collaboration de Jacques Popin, Genève, Droz, «  Textes littéraires
français », 1996. [Challe, Mémoires]
CHAUDON, Louis-Mayeul, Nouveau Dictionnaire historique ou histoire
abrégée de tous les hommes qui se sont fait un nom par des talents, des
vertus, des forfaits, des erreurs, etc. par une Société de gens de lettres,
(1765), 7e éd. revue, corrigée et considérablement augmentée, Caen,
G.  Leroy et Lyon, Bruyset, 1789, 9 vol. (t.  V, article «  Louis  XIV  »).
[Chaudon, Nouveau dictionnaire]
CHIGI, Flavio, cardinal, Relation et observations sur le royaume de France
(1664), éd. Emmanuel Rodocanachi, Paris, Leroux, 1894 (extrait de la
Revue d’histoire diplomatique). [Chigi, Relation et observations sur le
royaume de France, 1664]
CHOISY, François Timoléon de, Mémoires pour servir à l’histoire de
Louis  XIV, Utrecht, 1727. Éd. Georges Mongrédien, Paris, Mercure de
France, « Le temps retrouvé », 1966. [Choisy, Mémoires]
CLÉMENT, Jean Marie Bernard et abbé Joseph de LA  PORTE, Anecdotes
dramatiques, Paris, Veuve  Duchesne, 1775. [Clément et La  Porte,
Anecdotes dramatiques]
COLBERT, Jean-Baptiste, Lettres, instructions et mémoires de Colbert,
publiés par Pierre Clément, Paris, Imprimerie nationale, 1861-1882, 8
tomes en 10 vol. [Lettres, instructions et mémoires de Colbert, suivi du
tome]
DANGEAU, Philippe de Courcillon, marquis de, Journal du marquis de
Dangeau publié en entier pour la première fois par MM. Soulié, Dussieux,
de Chennevières […] avec les additions inédites du duc de Saint-Simon
publiées par M.  Feuillet de Conches, Paris, Firmin Didot frères, 1854-
1860, 13 vol. Rev. par L. Sortais, Clermont-Ferrand, Paleo, 2002.
[Dangeau, Journal, suivi de la date]
—, Mémoire sur la mort de Louis XIV, Paris, Didot, 1858 (extrait du t. XVI
du précédent) [Dangeau, Mémoire sur la mort de Louis XIV]
DREUX DU RADIER, Jean-François, Mémoires historiques, critiques et
anecdotes de France, Amsterdam, Neaulme, 1764, 4 vol. [Dreux du
Radier, Mémoires historiques, suivi du n° du vol.]
DU BOIS, Marie, Mémoires de —, sieur de Lestourmière et du Poirier  :
gentilhomme servant du roi, valet de chambre de Louis  XIII et de
Louis  XIV, 1647-1676, publiés par Louis de Grandmaison, Vendôme,
Société archéologique, scientifique et littéraire du Vendômois, 1936. [Du
Bois, Mémoires]
FONTAINE, Nicolas, Mémoires pour servir à l’histoire de Port-Royal (1736),
Cologne, aux dépens de la compagnie, 1753, 4 vol. [Fontaine, Mémoires
pour servir à l’histoire de Port-Royal, suivi du vol.]
FORBIN, Claude, comte de, Mémoires (1656-1733) (publ. par son secrétaire
Simon Reboulet). Éd. Micheline Cuénin, Paris, Mercure de France, « Le
temps retrouvé », 1993. [Forbin, Mémoires, suivi de l’année]
FOURNIER, Édouard, L’Esprit dans l’histoire : recherches et curiosités sur les
mots historiques, Paris, E.  Dentu, 1857. [Fournier, Recherches et
curiosités]
GALLAND, Antoine et al., Menagiana, ou Les bons mots et remarques
critiques, historiques, morales et d’érudition de M.  Ménage recueillies
par ses amis, 2e éd. (originale pour le t. II), Paris, F. Delaulne, 1694, 2 vol.
[Galland, Menagiana, suivi du n° du vol.]
GAULLE, Charles de, Mémoires d’espoir, I, « Le Renouveau (1958-1962) »,
Paris, Plon, 1970. [de Gaulle, Mémoires d’espoir, I]
GRIFFET, Henri, S. J., Histoire du règne de Louis XIII, roi de France et de
Navarre, Paris, les libraires associés, 1758, 3 vol. [Griffet, Histoire du
règne de Louis XIII suivi du n° du vol.]
GRIMAREST, Jean-Léonor Le Gallois de, La Vie de M. de Molière, 1705. Éd.
critique par Georges Mongrédien, Paris, M. Brient, 1955. [Grimarest, Vie
de Molière]
GUILLET DE SAINT-GEORGES, Les Conférences au temps de Guillet de Saint-
Georges, 1682-1699, Jacqueline Lichtenstein et Christian Michel éd.,
texte établi par Bénédicte Gady et al., Conférences de l’Académie royale
de peinture et de sculpture, Paris, Beaux-Arts de Paris, t. II, 2008. [Guillet
de Saint-Georges, Conférences de l’Académie, II]
LA BEAUMELLE, Laurent Angliviel de, Mémoires pour servir à l’histoire de
Madame de Maintenon et à celle du siècle passé, Amsterdam, aux dépens
de l’auteur, 1755-1756, 6  vol. [La  Beaumelle, Mémoires pour servir à
l’histoire de Madame de Maintenon, suivi du n° du vol.]
—  Lettres de Mme  de  Maintenon, Amsterdam, 1756, aux dépens de
l’éditeur, 9 vol. [Maintenon, À… suivi du nom et de la date, dans La
Beaumelle, Lettres de Mme de Maintenon, suivi du n° du vol.]
LACOMBE, Jacques, «  Louis  XIV  », rubrique de l’Encyclopediana ou
Dictionnaire encyclopédique des anas, Paris, Panckoucke, 1791.
[Lacombe, Encyclopediana]
LACOMBE DE PREZEL, Honoré, Dictionnaire des portraits historiques,
anecdotes et traits remarquables des hommes illustres, Paris, Lacombe,
176, 3 vol. [Lacombe de Prezel, Dictionnaire des portraits historiques,
suivi du n° du vol.]
LA FARE, Charles-Auguste, marquis de —, Mémoires et réflexions sur les
principaux événements du règne de Louis  XIV, Rotterdam, G.  Fritsch,
1716. Rééd. collection des mémoires relatifs à l’histoire de France par
Petitot et Monmerqué, Paris, Foucault, 1828, t.  LXV (Mémoires de la
cour de France pour les années 1688 et 1689). [La Fare, Mémoires]
LALLEMAND, Paul, Histoire de l’éducation dans l’ancien Oratoire de France,
Paris, E. Thorin, 1889. [Lallemand, Histoire de l’éducation dans l’ancien
Oratoire]
LANGUET DE GERGY, Jean-Joseph, Mémoires sur Mme  de  Maintenon et la
cour de Louis  XIV, dans Théophile Lavallée, La famille d’Aubigné et
l’enfance de Mme de Maintenon. Suivi des mémoires inédits [etc.], Paris,
Plon, 1863. [Languet de Gergy, Mémoires sur Mme de Maintenon]
LA PAUSE DE MARGON, Guillaume Plantavit de, et alii, Mémoires du duc de
Villars, La  Haye, 3  vol., 1734-1735-1758. [La Pause de Margon,
Mémoires de Villars, suivi du n° du vol.]
La  Porte, Pierre de, Mémoires de —, premier valet de chambre de
Louis XIV : contenant plusieurs particularités des règnes de Louis XIII et
de Louis  XIV, Genève, 1756 (reprint L’Arche du livre, Paris, 1970).
[La Porte, Mémoires]
LAVALLEE, Théophile, Madame de Maintenon et la maison royale de Saint-
Cyr (1686-1793), 2e éd., Paris, Plon, 1862.
L’ÉPINOIS, Solange, «  Louis  XIV, Corrège et l’appréciation des œuvres
d’art  », Gazette des Beaux-Arts, juillet  1965, p.  103-105. [L’Épinois,
Gazette des Beaux-Arts, 1965]
LOUIS  XIV, Correspondance de Louis  XIV avec M.  Amelot, son
ambassadeur en Espagne  : 1705-1709, publiée par le bon de Girardot,
Nantes, Merson, 1864, 2 vol. [LOUIS XIV, Correspondance avec Amelot,
suivi de la date]
— Lettres inédites de Louis XIV, dans le volume IV du Mémorial du Dépôt
général de la guerre, Paris, Ch. Piquet, 1828, p.  413-436. [Louis  XIV,
Lettres inédites du Mémorial du Dépôt général de la guerre]
—, Lettres de Louis XIV adressées à Mme la marquise de Maintenon, éd.
Monmerqué, Paris, Didot, 1822. [Louis  XIV, Lettres à
Mme de Maintenon, suivi de la date]
—, Mémoires pour l’instruction du Dauphin, première édition complète
d’après les textes originaux, avec une étude sur leur composition, des
notes et des éclaircissements, par Charles Dreyss, Paris, Didier, 1860, 2
vol. Le tome I contient en complément des Mémoires pour l’année 1666
les Feuillets écrits de la main de Louis XIV et le Journal du roi (faits et
réflexions) dicté à Périgny, avec des notes autographes du roi reproduites
par lui. [Louis XIV/Périgny, Feuillets et/ou Journal de 1666]
—, Mémoires présentés et annotés par Jean Longnon, [suivis des Réflexions
sur le métier de roi (1679), des Instructions pour le duc d’Anjou (1700), et
du Projet de harangue à la nation française (1710)], nlle éd., Paris,
Tallandier, 1978. [LOUIS XIV, Mémoires pour l’année 1661, ou 1662, etc.,
ou Réflexions sur le métier de roi, Instructions pour le duc d Anjou ou
Projet de harangue à la nation française]
—, Œuvres de Louis  XIV, éd. Philippe Henri de Grimoard et Philippe
Antoine Grouvelle, Paris, Treuttel et Würte, 1806, 6 vol. [LOUIS XIV, nom
de l’œuvre, dans Grimoard et Grouvelle, suivi du tome]
MADAME PALATINE, voir PALATINE.
MAINTENON, Françoise d’Aubigné, marquise de, Correspondance générale,
publ. par Théophile Lavallée, Paris, Charpentier, 1865-1866, 5 vol.
[Maintenon, À… suivi du nom et de la date, puis du n° du vol.]
—, Lettres historiques et édifiantes adressées aux dames de Saint-Louis,
publiées par Théophile Lavallée, Paris, Charpentier, 1856, 2 vol.
[Maintenon, Lettres historiques et édifiantes, suivi du n° du vol.]
—, Lettres, éd. intégrale par Hans Bots et Eugénie Bots-Estourie [puis
Catherine Hémon-Fabre], préf. Marc Fumaroli, introd. Hans Bots et
Christine Mongenot, Paris, Champion, 2009-2013, 7 vol.
—, voir aussi COLBERT.
—, voir aussi LA BEAUMELLE.
MAZARIN, Giulio Mazarini, dit le caral Jules —, Lettres du cardinal Mazarin
pendant son ministère, éd. par Adolphe Chéruel puis Georges Avenel,
Paris, Imprimerie nationale, 1894, 9 vol. [Mazarin, Lettres, suivi du n° du
vol.]
MONCHESNAY, Jacques de Losme de, Bolæana, ou Bons mots de M. Boileau,
avec les poésies de Sanlecque, Amsterdam, Lhonoré, 1742. [Monchesnay,
Bolæana]
MONTPENSIER, Anne-Marie-Louise-Henriette d’Orléans, duchesse de —, dite
la Grande Mademoiselle, Mémoires de Mlle de Montpensier, Collection
des mémoires relatifs à l’histoire de France par Petitot, Paris, Foucault,
t. I-IV, 1824-1825, 4 vol. (t. XL-XLIII). [Montpensier, Mémoires, suivi de
l’année où figure la citation, éd. Petitot, suivi du n° du vol.]
—, Mémoires de Mlle de Montpensier, petite-fille de Henri IV, collationnés
sur le manuscrit autographe avec notes biographiques et historiques, par
A. Chéruel, Paris, Charpentier, 1858-1859, 4 vol. [Montpensier,
Mémoires, suivi de l’année où figure la citation]
ORMESSON, Olivier Lefèvre d’ —, Journal et extraits des mémoires d’André
Lefèvre d’Ormesson. Éd. crit. Adolphe Chéruel, Paris, Impr. impériale,
1860-1861, 2 vol. [Ormesson, Journal, suivi de la date]
PALATINE, Madame, duchesse d’Orléans, née princesse —, Correspondance
de Madame, duchesse  d  ‘Orléans. Extraite des lettres publiées par
M. de Ranke et M. Holland. Traduction et notes par Ernest Jaeglé, Paris,
A. Quantin, 1880, 2 vol. [Madame Palatine, Correspondance, suivi de la
date]
— Mémoires, fragments historiques et correspondance de Madame la
duchesse d’Orléans, princesse  Palatine, éd. Philippe Busoni, Paris,
Paulin, 1832. [Madame  Palatine, Mémoires, fragments historiques et
correspondance, suivi de la date]
—, Lettres de la princesse Palatine (1672-1722), choix par O. Amiel, Paris,
Mercure de France, « Le temps retrouvé », 1981.
PANCKOUCKE, Charles-Joseph, ROBINET, Jean-Baptiste-René, et MoUCHON,
Pierre, Suppléments à l’Encyclopédie, art. « Louis XIV », Paris, Ch.-J.
Panckoucke et Amsterdam, M.-M. Rey, 4 vol., 1776-1777 (vol.  III,
f° 800-803). [Panckoucke, Suppléments à l’Encyclopédie, « Louis XIV »]
PERRAULT, Charles, Mémoires de ma vie (1669), éd. Paul Bonnefon, Paris,
Renouard, 1909. Rééd. précédée d’un essai d’Antoine Picon, Paris,
Macula, 1993. [Perrault, Mémoires, suivi du n° du livre]
PRIMI VISCONTI, Jean-Baptiste, Mémoires sur la cour de Louis XIV traduits
de l’italien, et publiés, avec une introduction, des appendices et des notes,
par Jean Lemoine, Paris, Calmann-Lévy, s.d. (1909). [Primi Visconti,
Mémoires sur la cour de Louis XIV, suivi de l’année]
QUINCY, Joseph Sevin de, Histoire militaire du règne de Louis le Grand, roi
de France, Paris, D. Mariette, 1726, 7 tomes en 8 vol. [Quincy, Histoire
militaire du règne de Louis le Grand, suivi du n° du vol.]
RACINE, Jean, Travaux officiels et Correspondance, dans Œuvres diverses,
éd. crit. Raymond Picard, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade »,
Paris, 1952. [Racine, dans Picard éd., Œuvres diverses]
RACINE, Louis, Mémoires sur la vie de Jean Racine, Lausanne et Genève,
M.-M. Bousquet, 1747. Forme le tome  II des Lettres de Racine et
Mémoires sur sa vie [par Louis Racine], même éd., même date, 2 vol.
[Louis Racine, Vie de Jean Racine]
REBOULET, Michel Simon, Histoire du règne de Louis  XIV, surnommé le
Grand, roi de France, Avignon, F. Girard, 1742-1744, 3 vol. [Reboulet,
Histoire du règne de Louis XIV, suivi du n° du vol.]
SAINT-MAURICE, Lettres sur la cour de Louis  XIV (1667-1670), publiées
avec une introduction et des notes de Jean Lemoine, Paris, Calmann-Lévy,
1910, 2 vol. [Saint-Maurice, Lettre du… suivi de la date]
SAINT-SIMON, Louis de Rouvroy, duc de, Parallèle des trois premiers rois
bourbons, 1746, dans Traités politiques et autres récits, éd. établie par
Yves Coirault, Paris, Gallimard, «  Bibliothèque de la Pléiade  », 1996.
[Saint-Simon, Parallèle des trois premiers rois bourbons]
—, Mémoires, additions au Journal de Dangeau, édition établie par Yves
Coirault, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1983-1988, 8
vol. [Saint-Simon, Mémoires, suivi l’année où figure la citation ]
SÉVIGNÉ, Marie de Rabutin-Chantal, marquise de, Correspondance, éd.
Roger Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1972-
1978, 3 vol. [Sévigné, À…, suivi de la date]
SOURCHES, Louis-François Du Bouchet, marquis de, Mémoires sur le règne
de Louis XIV, publiés par le comte de Cosnac et Arthur Bertrand, Paris,
Hachette, 1882-1893, 13 vol. [Sourches, Mémoires, suivi de la date]
VILLARS, Mémoires du maréchal de Villars, Collection des mémoires relatifs
à l’histoire de France par Petitot et Monmerqué, Paris, Foucault, 1828,
t. I-III, 3 vol. (t. LXVIII-LXX) 1re partie : Mémoires du duc de Villars
écrits par lui-même (jusqu’en 1700). 2e partie  : Suite des Mémoires de
Villars, rédigée par Anquetil (1701-1723). 3e partie : Journal de Villars
(par lui-même ; à partir de 1724). [Villars, Mémoires, éd. Petitot, suivi du
numéro du tome]
—, Mémoires du maréchal de  Villars, éd. de Vogüé, Paris, Renouard,
H. Loones, 1884-1904, 6 vol. [Villars, Mémoires, éd. de Voguë, suivi du
n° du vol.]
VOLTAIRE, Le Siècle de Louis XIV, Berlin, Francheville, 1751. Éd. établie,
présentée et annotée par Jacqueline Hellegouarc’h et Sylvain Menant,
avec la collaboration de Philippe Bonnichon et Anne-Sophie
Barrovecchio, Paris, Librairie générale française, 2005. [Voltaire, Siècle
de Louis XIV]
— « Anecdotes sur Louis XIV », art. XXII des Fragments sur l’histoire, dans
Œuvres complètes, Genève [Liège], s.e. [Plomteux], 32 vol., 1771-1786,
t. XXVII (1776). [Voltaire, Anecdotes sur Louis XIV] 
Table des matières
INTRODUCTION. PAROLES VIVES ET MORTES

PREMIÈRE PARTIE : LOUIS XIV TEL QU’EN LUI-MÊME


LOUIS DIEUDONNÉ PAR LUI-MÊME
Un sens inné de l’autorité ?
- L’enfance d’un chef
- Vestiges d’enfance
Un sens acquis de la maîtrise
- Maître de soi comme de l’univers
- Débordements, failles et garde-fous
LE ROI S’AMUSE
Le roi (sou)rit
- « Dit-il en riant »
- Le roi raille
- Le roi aime l’esprit et en fait
Le roi se divertit
- Chasses, fêtes et spectacles
- Bâtir, planter, collectionner
- Les arts et lettres
LE ROI DE LA LANGUE
L’art de la formulation
- Le sens de la formule
- Saveurs de langue et bonheurs d’image
- Modèles de lettres de circonstance
Le génie de l’appropriation
- Les élégances de la bienséance
- L’art du compliment
- L’art de la réprobation

DEUXIÈME PARTIE : LOUIS XIV PARMI LES SIENS


TRIANON OU LE ROI EN FAMILLE
Les deux reines
- Marie-Thérèse ou la reine discrète
- Mme de « Maintenant » ou la reine secrète
Descendance légitime et légitimée
- Le Grand Dauphin
- Sa descendance par main droite et main gauche
Une parentèle encombrante
- Monsieur, frère du roi
- Cousins, parents et alliés
MARLY ET VERSAILLES OU LE ROI EN COMPAGNIE
Marly ou le roi et ses favori(te)s
- Un honneur recherché
- Le roi et les dames
- Favoris, amis et compagnons
« Versailles » ou de la cour
- L’écrin de la monarchie
- Les courtisans, peuple singe du maître
- Serviteurs, valets et utilités

TROISIÈME PARTIE : LE DUR MÉTIER DE ROI


RÉGNER SANS PARTAGE
Enfin roi, et né pour l’être…
- Mazarin et après…
- Fouquet foudroyé
- Des qualités de roi
L’exercice de l’absolutisme
- Un roi jaloux de son pouvoir
- Bienfaits, périls et secrets du pouvoir personnel
L’ART DE (BIEN) GOUVERNER
Principes et réalités
- L’unité de l’État : apologie pour la monarchie
- Ad augusta per angusta : les petits moyens de la grande politique
Bien s’entourer
- Le choix des ministres
- La nécessité du conseil
- Surveiller et punir, nommer et démettre, récompenser et refuser
POLITIQUES DE L’APPARENCE
Économie de l’image et politique du prestige
- Une société du spectacle
- Ce que les rois doivent au public
- La symbolique du don
Les subtilités de l’étiquette
L’envers du décor : machiavélisme à la française ?

QUATRIÈME PARTIE : LE ROI DE GLOIRE


DIEU, MES PEUPLES ET LA NATION
Providence et droit divin
Mes peuples : le roi maître et protecteur
- Le père du peuple
- Sujets dociles ou canaille châtiée
Le roi principe de la nation
UNE GLOIRE SI PRÉCIEUSE
Exaltation de la gloire
- La gloire des rois
- La gloire du roi
Pondération de la gloire
- Le prix de l’héroïsme
- D’autres formes de gloire
LES ARTISANS DE LA GLOIRE
Une galerie de héros
- Turenne
- Luxembourg
- Villars
De pied en cap
- Maréchaux, généraux et amiraux
- Officiers supérieurs et subalternes
- Les petits, les sans-grade
LES SENTIERS DE LA GLOIRE
Les conditions du succès
- Exciter, repérer et récompenser le mérite
- Union, disciple, efficacité
Faire face dans l’adversité
- Stoïcisme et sagesse dans l’échec
- L’héroïsme du désespoir

CONCLUSION. LOUIS XIV DEVANT LA MORT


La mort rôde
- La mort de ses parents
- La mort des siens
- La mort des autres
Maux et mort du roi
- Louis XIV et la maladie
- Le début de la fin
- La cérémonie des adieux
- Derniers moments

SOURCES ET RÉFÉRENCES
Cette édition électronique du livre
Louis XIV a dit de Patrick Dandrey,
a été réalisée le 11 mars 2015
par la société d’Édition Les Belles Lettres.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN 978-2-251-44528-1).

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