sous la direction de
Denis-Constant Martin
Sur la piste des OPNI
(Objets politiques non identifiés)
Aa
Universite Libre de Bruxelles
il
KARTHALAa
10 SUR LA PISTE DES OPNI
les ouvrages qu’il a laissés, on peut citer : La gloire de
Béranger, Paris, Armand Colin / Presses de’la Fondation natio-
nale des sciences politiques, 2 vol, 1968, ainsi que trois livres
récemment réédités : La gauche en France, Paris, Le Seuil,
1981 (avec Michel Winock), Le Front populaire 1936, Paris,
Armand Colin, 1985 (avec Louis Bodin), et L'histoire des idées
politiques, 2 vol., Paris, Presses Universitaires de France, 2001.
‘Sabine TREBEAC est docteur en ethnologie, chercheur au
CNRS dont elle a regu la médaille de bronze (Laboratoire deth-
nologie et de sociologie comparative, Université Paris X,
Nanterre), Elle a effectué de nombreux séjours en Chine, rédigé
un grand nombre d’articles et édité des disques consacrés & la
musique ouligoure (Asie centrale chinoise). Elle vient de publier
Je premier tome de Le pouvoir en chantant, L'art de fabriquer
une musique chinoise, Nanterre, Société a’ ethnologie, 2002.
Introduction
Les OPNI,
Pessence du pouvoir et le pouvoir des sens
Denis-Constant Magn
Le grand spectacle du politique se joue désormais & la télévi-
: joutes oratoires et petites phrases du dimanche; sondages
estimations électorales; violences et guerres aux quatre coins
da monde reproduites, parfois en direct, sur les écrans catho-
forces politiques et sociales, la conjoncture économique, les
ms et rivalités de personnes, hommes et femmes « poli-
s », dirigeants syndicaux voire représentants iment accré-
te civile. Lorsque parait le déroutant,
jour le jour,
elles prenn
air & la base, prés des « racines de Pherbe » comme-on drat
s bourgades of s'acquiert sur
xpérience du rapport aux représentants et de lexercice
civils; il ignore Te plus souvent tout ce qui parle du
pouvoir au style indirect, & travers les pratiques culturelles, les2 SUR LA PISTE DES OPNI
productions artistiques, les liturgies publiques ou profanes. Le
cceur battant du politique en est, en grande partie, absent.
Le politique au style indirect
Dans les villages du Sud de la France, les élections munici-
pales s lement suivies des maiades, réminiscence lointai-
ne de la plant
calendrier. Lorsque le conseil munici
réuni et a choisi le maire, le village fete P€vénement. Une proves-
cccompagnée d’une fanfare, Elle va toute la jounée
parcourir le terrtoire de la commune, s’arrétant devant le domicile
de chacun des édiles. Un arbre décoré — portant guiriandes, dra-
colores et panonceaux sur lesquels est inscrit « Hoaneur &
(c) » ou « Honneur & notre maire » — y est planté, la fan-
fare donne aubade et Phonoré(e) offte & boire, & manger. Le soir,
ensemble de la population est convié & un grand repas sur la
place du village. Les frais de la journée sont assumés par Jes élus
exne peuvent xe débités du budget communal.
Dans ces fétes anodines dont seule rend compte, sans s’attar-
der beaucoup, la presse régions, le pouvoir est mis en scéne,
symbolisé de maniére & ce que cestaines de ses dimensions, les
plus universelles peut-étre, soient manifestées sans étre pronon-
voir garantit existence de Ia communauté qu'il
ia réunit ~ dans un village il peut le faire physique-
la sustente, Le pouvoir doit veiller & Ja reproduction
de la communauté, A son développement. Dans I'arbre que les
citoyens parent pour ’honneur de leur élu se combinent les
symboliques végétales (croissance, développement
ilest élagué en forme de potcan, phalliques (reprodt
ne masculine du pouvoir dans les représentations dominantes du
) sous le signe du drapeau. Les maiades, aux confins du poli-
jue visible et de ses représentations implicites, rappellent
quelques fonctions essentielles du pouvoir.
En Gréce, une chanson de Vassilis Tsitsanis est devenue une
sorte d’hyrane national officieux, un peu comme en France « Le
:
INTRODUCTION 13
temps des cerises » mais avec un pouvoir d’émotion supérieur
et une aire de popularié plus vaste. « Symnefiasmeni kyriaki »
je. Dimanche nuageux,
gris, je ne peux trouver
Ia paix, tends noire ma vie et lourdement je soupire >
La peine indicible n’est rapportée & rien d’autre qu’au temps;
dans ces quelques vers toutefois, et dans la musique qui les
imprégne, un grand nombre de Grecs de toutes générations
entendent une idée complexe de leur patrie, pleine de contrastes
sinon de contradictions. Le temps climatique fait une métaphore
du temps historique. Bien qu’enregistrée seulement apres la
que cette chanson fut
tes Allemands venaient de fusile des
une occupation, et par extension toutes les occup:
connut la Gréce; du méme mouvement, elle ressuscite la résis-
tance, esprit de révolte dans lequel les Grecs veulent se recon-
naitre toujours. De la peine, du sombre destin, de la rébellion, la
religion est indémélable qui passe furtivement par I'invocation
du Christ et de sa mére. L’Orthadoxie est constitutive des dis-
cours identitaires prévalant en Gréce; sa présence chantée dans
Ia langue populaire (démotique) a done aussi valeur d’affirma-
tion nationaliste. Pourtant ls musique, comme presque toutes,
., genre dont « Synefiasmeni kyriaki » est
fait résonner ce que nul langage ne pourrait expli-
perpétuel balancement entre I’ Orient etl’ Occident, I
ntre la présence & l'Europe et les sources qui rappel
T'Asie mineure et I"Inde. Rien dans Jes paroles de
« Synnefiasmeni kyriaki » n'est, de prime abord, politique. Mais
les symboliques, et les associations qu‘elles rehent dans
esprit de la plopart des Grecs, dessinent du méme trait une figu-
re de Ia patie et des conceptions du pouvoir — ou plus exactement
de opposition au pouvoir, du scepticismne a l’égard du pouvoir —
qui donnent & cette chanson une tonalité intensément politique.
1 Traduetion: Tatiana Yaanopoules.4 SUR LA PISTE DES OPNI
Des malades ~ encore offici
et 2 Vinstitutionne! du politique,
liques qui débordent largement ces dimensions ~ 8 ut
qui ne dit rien directement mais incite & penser toute une
conception du destin de la Gréce et des relations de pouvoir, on
peut délimiter un univers dans lequel se congoit et se diffu
politique, tel qu’on ne le parle pas & la télévision, tel que I’étu-
die assez peu la politologie, mais tel que se le représentent les
wens ordinaires : le politique que voudrait aider & pister
iée d’« objets politiques non identifiés ».
Identifier les OPNI
Les OPNI, ce fut d’abord une boutade laneée au cours de
discussions doat le CERI fut le lieu dans les années 1980, je ne
peux me rappeler précisément quand. Rapidement, au-deld du
calembour, il s'avéra que se profilaient des questions pouvant
mener & une considération différente des phénoménes poli-
tiques. Deux constats sous-tendaient cette tentative d’ approcher
autrement le politique : d’une part, la difficulté d’analyser avec
"autre part, le sen-
’insatisfaction, ou plus exactement d"incomplétude, res-
senti & la lecture de bien des travaux cherchant & expliquer non
seulement le comportement des citoyens des Etats du « centre
de gravité » mais surtout ce qui informait ces comportements,
les attitudes et les éléments susceptibles de les fagonner?.
2. Cela ait claitement appanu lorsqu'l avetfllu rendre compte du dézoule-
rect et des sults’ ectons organisées en Afrique sous des régimes de part
(ccordoans pax Denis Martin), Aux armes U"Afrique J
3. Les groupes de
{Jove un role détermizant dans Péveil de ces questionnements sur le politique
sat liges & Yévénementiel
INTRODUCTION 15
Le désir de rechercher de nouvelles
dans la complexité du politique, suscept
régions peu ou mal connues, incita, dav
tirer les enseignements de travaux produits par des
des anthropologues, des philosophes, des spé
ies de pénétration
de passer par des
diverses formes d’expression artistique. Nombre d’entre eux
avaient rencontré Jes relations de pouvoir, en avaient éudié les
modalités et les implications telles qu’elles apparaissaient dans
leur domaine d’étude. Le foisonnement, la richesse des savoirs
sur le pouvoir qu'ils avaient produits, ajoutés aux connaissances
accumulées par les politologues, renvoyaient finalement & Tuni-
versalité du politique qu’avait réaffirmée Georges Balandier dés
1967 : présence de relations de pouvoir, et d’entreprises pour les
modifier, dans toutes les sociétés humaines, aussi bien qu’infil-
apparait alors omniprésent, synthétique et dynar
Vappréhender, Georges Balandier appelait « Ia mi
des fondements d'une théoric générale du politique
de s’attacher aux sociétés exotiques, permet
nouvelle lecture potitique de nos propres sociétés »5
OPNI répond A cet appel; elle ne prétend certes pas constituer
cette « théorie générale » mais espére y contribuer en ouvrant
des champs supplémentaires & l'étude des relations de pouvoir.
guestionnements auxquels différents cherchours ont apporté des réponses
Varies. Iean-Loup Amselle, Bertrand Bacie, Joel Barkan, Cristian Coulon,
tn, Guy Hermet, Christophe Jafftelot, Bogumil Fewsiewicki,
‘Rosette, Robert Klitgaard, Jacques Leclerc, Jeae-Frangois
Exieane Le Roy, Jocelyn Létournean, Guy Michelat, Valentin-
“Yees Mudimbe, Alain Rougui€ ont des tes divers, patcipé 2 réflexion
collective d’olt sont sorties certaines des idées exposées ici. Qu'lls en soient
remerciés, éant entendu qu'ls ne sont aucunement responsables de Ia présex-
tation que jen donne maintenant.
4, Georges Balandier, Anthropologie politique, Pars, Presses universi-
‘aires de France, 199% ion 1967],
5. Georges Balander, «Preface do la dounidene ition », ii pp. VIL et VIIL18 ‘SUR LA PISTE DES OPNI
mécanismes sociaux, institutio:
liens signifiants entre le passé
objets; cette totalité tisse des
‘venir; elle fourit des orienta-
tions susceptibles de attitudes et les comportements,
et ce explicitement aussi bien qu’implicitement!, Ce travail de la
culture nécessite la présence de significations partagées, com-
muniquées et transmises, souvent de manitre all
dolique. Edward Sapir fford Geertz ont in
double dimension, communicative et symbolique, de la culture.
Pour ce demicr, elle consiste en structures de signification et
dentendement partagées A Y'intérieur d'un groupe et empilant
des strates de sens; systémes largement symboliques qui trans-
mettent des significations, des maniéres de comprendre pouvant
tre exprimées directement ou indirectement
La présence de strates de sens exprimés de fagon largement
symbolique implique une certaine marge d’autonomie des indi-
vidus dans l'interprétation des symboles, dans la saisie des
senst?, En outre, tous les membres d’un groupe n'ont pas égale-
ment accPs aux normes et valeurs, aux savoirs, au déchiffrement
des codes symboliques's. Liberté relative d'interprétation, diffé-
ences d'acees au sens, sur l'arritre-fond des inégalités et des
interactions sociales, signifient aussi que rien en ce domaine
nest statique : les connaissances, les maitrises, les capacités des
acteurs évoluent. Ces possi ne sont qu’an
aspect d’un phénoméne pl ral : 1a dynamique qui anime
Jes cultures, les effets des mouvements intemes et externes qui
les affectent’s, Loin d’étre closes et immuables, les cultures sont
changeantes et en contact les unes avec les autres. C’est ce qui
Michel Leitis, Cing études dethnologie, Paris, Denoel / Gonthier,
of Cultures, New York, Basic
‘urther Essays in Interpretative
olique romane
‘de Marcel Manss »,
issance, Les dymamigues sociales, Pati,
Presses universitaire de France,
INTRODUCTION 19
pousse Michel Serres & les concevoir comme des ensembles de
relations; elles ne sont pas enfermées dans des ‘les, mais exis-
rt sur et par Tes ponts qui leur permettent de communiquer, La
de chaque culture, en un moment déterminé, réside
rapports existant entre toutes ses composantes aussi
bien que dans les relations qu'elle entretient avec d'autres cul-
tures. Toutes les cultures ainsi connectées sont par conséquent
ea mutation permanente, les éléments formant leur totalité com-
plexe peuvent étre échangés, diffusés, appropriés, remodelés's..
Pour résumer, les cultures sont des ensembles complexes de
systemes de signification et d’entendement, ouverts et chan-
geants; ces ensembles se trouvent connectés les uns aux autres
ct se caractérisent par les relations qu’ils entretiennent; ils nais-
sent, se trensforment et disparaissent sous l'effet de leurs inter-
actions'?. Les cultures nous semblent bien réelles et pourtant,
ainsi posées, paraissent difficiles & cerner. C'est qu’elles ne peu-
vent ni ne doivent étre. Si, comme le suggére Michel Serres,
Jes groupes n'habitent pas leur histoire, leur religion, leurs
mythes, leur science ou leur structure familiale, mais les passe~
relles qui relient ces domaines, et aussi celles gui rattachent
ensemble de ces domaines 2 d’autres ensembles isomorphes,
leurs cultures forment des entrelacs qu’il est impossible de dis-
socier les uns des autres.
La culture, propose Hans-Georg Gadamer, est conceptuali-
sable grice & l'image de horizon. « De la méme maniere que
individu n'est jamais simplement un individu, parce qu'il est
toujours impliqué dans des relations avec les autres, horizon
16, Michel Seas, Esshétques sur Carpaccio, Patis, Hermann, 1915, et
Branchements, Anthropologie de U'univers
Flammarion, 200)
17, Crest ce que monteent, permi bien d'autres auteurs, Jean Bottéro, 2
propos de la naissance de Ia « civilisation > mésopotamienne, et Serge
vant |’émergence de formes d'expression nouvelles dan
Mésoporanie, Pars, Gallimard, 1998, et Serge Gruzinski,
Paris, Fayard, 1999.20 SUR LA PISTE DES OPNI
fermé qui est supposé enclore une culture n'est qu'une abstrac-
tion. Le mouvement historique de Ia vie humaine consi
gue son déroulement n’est jamais citconscrit dans un
unique, de ce fait son horizon n'est jamais véritablement bomé.
Lihorizon est plutot quelque chose a lintérieur de quoi nous
évoluons et qui évolue avec nous. Les horizons changent p
‘une personne en mouvement »'8, La ligne horizon na aucune
existence matérielle; les espaces qu'elle englobe se modifient
selon Ia situation de l’observateur; qu'il se déplace et il réalise
que ces espaces sont continus, bien que certains des élément
un lac, une forét) ne soient visibles
de points. 1 en découle qu'il est
impossible d’appréhender en un seul effort de la pensée ou de
action une culture dans sa totalité. La culture n'est qu'une abs-
traction, un concept utile & la compréhension des sociétés
humaines lorsqu’il n’est pas perverti par des idées de cloture,
exclusion et de « traditions » intangibles; toutefois, le concept
de culture a valeur heuristique s'il permet de penser les rela-
tions, les échanges, les enrichissements mutuels, le changement
et la création.
Car cette idée de culture est indissociable de Ia créat
Emst Cassirer y insiste, sans doute la culture est-elle un «
en commun » dans Iequel les personnes apprennent & se
connaitre et acquigrent un savoir sur elles-mémes et sur les
autres, mais cette connaissance, cette compréhension ne sont
possibles que dans la mesure ot I’homme est créateur. Le
les sens de culture, deux at moins des plus importants, se
retrouvent ici enlacés : la culture-civilisation est indémélable de
la culture-faculté de I'esprit-connaissances acquises; la seconde
ouvre sans aucun doute une voie d’accés & la premire. Dans les
18, Hans-Georg Gadamer, « The principle of effective history », pp. 26
st Cassirer, Logiques des sciences
emand par Jean Carzo avec la coll
de Fondation crisique ou fondation herméneusique des
‘culture ? par Joél Gaubert, Paris, Le Cerf, 1991
INTRODUCTION 2
deux sens, elle se manifeste comme un des mécanismes de
attachement et de l'arrachement au monde qui, ensemble,
constituent la personne hum: i
social. L'art, partage et réunit
sage et passerelle’!, lieu de rencontre entre les esprits® comp-
rent done au nombre des témoins de la culture, comme bien des
pratiques ne produisant pas nécessairement d'ceuvre reconnue
‘comme artistique mais mettant en jeu des régles ot des valeurs
1 religion, le sport, la chasse, la cuisine et sa consommation),
‘rahissant des cheminements de pensée, des manitres d’inter-
préter le monde, de I'investir de sens et de V'imbiber d’émo-
tion.
‘Au sens Te plus large, c’est done par les pratiques culturelles
‘pservables et par les ceuvres issues de certaines d’entre elles que
les cultures peuvent étre approchées. Ces pratiques sont repérées
en un lieu, en un moment, au sein d’un groupe donné, ou plutst
pour les besoins de l'étude. Toutefois, la circonscription
semble humain, du ou des territoires oi il agit, de
‘€poque ol il vt, inévitable dans toute recherche, a pour corollai-
re indispensable la prise en considération, d'un c6té des
ensembles plus vastes dans lesquels il s‘inscrit et entretiont des
relations, de autre, des ditférences et divisions qui le traversent.
20. Exnst Cassie, op. cit
partir de prémisses différentes, voir aussi
ati, Odile Jacob, 1996, et Lac
23. Pour septendre
Darnton, « thie book investigates ways of thinking in
France. thought but how they
Episodes in French Cultural History, New Ye ge Books, 1985, p. 3.
Robert Darnton y analyse les contes de Me ‘un massacre de chats
int-Séverin, une description de Montpelier éerite par un bourgcois de 1a
‘dossiers d'ua inspecteur parisien du commerce des lives, les staté=
ics Gpistémologiques de I'Eneyclopédie et les significations de a leoture au
xvi? sigele.22 SUR LA PISTE DES OPNI
Représenter ambiguité et ambivalence
uulturels comune OPNI,
le politique est bien uni-
Envisager les pratiques et produit
savoir de quelle manitre, et & trouver comment tirer parti de cet
investissement pour découvrir & I'analyse des pratiques et pro
daits culturels cette part du politique plus difficile @ déceler, plus
seoréte, que l'étude des OPNI pourrait verser comme sa contri
‘propre au pot commun de la politologic. Pour ce faire,
faut repartir de deux des enscignements de I'anthropologie poli
tigue : 'ambiguité et la multidimensionalité du politique.
Lrambiguité est un attibut fondamental du pouvois. « Dans la
mesure of il s’appuie sur une inégalité sociale plus ou moins
accentuée, dans Ia mesure o} il assure des privileges & ses déten-
teurs, il est toujours, bien qu’a des degrés Variables, soumis & Ta
contestation, I est, en m&me temps, accepté (en tant que garant de
dre et de la sécurité), révéré (en raison de ses implications
sacrées) et contesté (parce qu'il jusifie et entretient I'inégalité) »%.
P oppression coloniale, des monarchies aux démocraties repré-
sentatives, en passant par les républiques oligarchiques de type
m méme temps la fascination, la
jet du pouvoir; des attitudes qui
peuvent entrainer des comportements apparemment opposés et
illogiques, des balancements, des retourmements imprévus. C'est
24, Georges Balandies, Anthropologie politique, op. cit, p.49.
Gaxie, La démocratie représen
et Guy Hermes, Le passage d la démocr
Presses de Sciences PO, 1996.
INTRODUCTION 23
‘obablement une des raisons de la « multidimensionalité du
fait politique » que met en lumire Mare Abélés, de la pluralité
des modalités selon lesquelles se nouent et se montrent les rela
tions de pouvoir. Le politique consiste & les mettre en représenta-
tion et cette théatalisation requiert
ressenti, la diversité des moyens utilisés pour sa mise
la complesité des performances od se joue Je rapport
des gouvernés aux gouvemants®”, ou & ceux qui aspirent & le
fet saisies par Ia seule langue
si celle-ci peut « coiffer les contraires par les traits de sens
w'ils ont en commun », on ne la voit pas « se contredire »2,
:xprimer l’ambiguité et I’ambivalence exige donc, en réponse &
Ja multicimensionalité du fait politique, des moyens polyvalents.
Les pratiques culturelles, et les ceuvres qu’elles engendrent
offrent ces moyens. L’ceuvre d'art, explique Pierre Francast
cst un lien de rencontre, un point de convergence de plusie
sens, elle révéle des systémes de liaison. Il écrit, & propos de la
peinture de la Renaissance : « [...] des syst8mes & plusieurs
dimensions spatiales et temporelles s’intégrent finalement dans
une image ou dans un objet dont I’étendue est par définition
actuelle et bomée, mais qui renvoie & une mul
expériences dont les unes ont pu, & un moment donné, se trouver
dgja fixées dans un espace, mais dont les autres ont pu, jusqu’a
26. Mare Abélts, Heary-Pieme Jeudy, « Introduetion », pp. 5.24 et Mase
Abél8s, « La mise ea représentation du politique », pp. 247-271 in : Mare24 SUR LA PISTE DES OPNI INTRODUCTION 25
cet instant, ne posséder de réalité que dans les esprits »®. Et ce 4 apparition paret dans le signifiant, de l'indicible »™. Le symbole
affirme 1a peut étre étendu & ensemble des pratiques et |) est flexible, ses chaines de tion ne sont jamais consti-
des ceuvres de la culture et de l'art. Elles transpercent les bar- || tuées une fois pour toutes
ridres logiques de la langue pour défricher des espaces de signi- |) belle formule de Paul Ricceur, il « donne & penser »
fication oW la langue se trouve soit sublimée en un mat cst déja dit en énigme et pourtant [..] i] faut toujours
Ja quéte du son, la recherche de Ia tournure, la volonté d°évoca- | —_mencer et recommencer dans Ja dimension du penses
tion eréent au-deld de ses censures habituelles, comme dan: fait méme, il tisse des brins d’universel. Bref, i est pl
poésie ou dans les fictions litéraizes et dramat it Du point de vue de approche cuiturelle des phénoménes
ronnée, contaminée, détoumnée par des modes d’expression non politiques, de I’émde des OPNT, cela a plusieurs conséquences,
[La premitre, c’est que le politique comporte des dimensions sym-
boliques qui Iui sont essentielles : les symboles inscrits dans ce
qui semble loin du politique ont néanmoins la capacité de « faire
appara » le politique, de « donner & penser ke politique »; V'activité
politique, Ja mise en représentation du pouvoir et des relations qui
le constituent, demandent l'emploi ou T’assemblage de symboles
‘gui Jui sont rarement spécifiques; la deuxitme, déj& mentionnée,
Ja multidimensionalité du fait politique seule peut véri-
‘caraciéristique intrinséque; elle permet que l'ambivalence et la |
contradiction soient formulées et ressenties, qu’en outre elles le |
soient avec plaisir, avec ce que Guy Rosolato qualifie de « jubila-
tion lbidinale »*. Si le citoyen ordinaire éprouve plus de plaisir &
‘participer & une maiade ou A écouter Bob Marley et Peter Tosh
appeler & « se dresser pour défendre ses droits » qu’a entendze la
présentation du budget au parlement, c'est précisément parce que
des pratigues culturelles et des
euvres d'art; la troisiéme, c’est que, dans le pouvoir, tout ce qui
Pau-dela de la langue et de la réalité éveille des sensations plu- |} _ ensemble — passe le plus souvent par Je symbolique™. Il en résul-
tielles qui appartiennent au vécu corporel. Liefet proprement poli- | te que la présence du symbolique en politique ne saurait étre
tique de ce plaisir, de ces sensations ne peut éue ignoré, quelles que | réduite aux manipulations qui peuvent en éte faites par les puis-
sants pour obtenir la passivité, la soumission des gouvemés, mais,
qu'il parcourt la totalité des relations de pouvoir dans lesquelles il
peut éte distribué en d'innombrebles réles*
soient les difficultés rencontrées pour comprendre son mécanisme.
De Pépiphanie du symbolique au carnaval de imaginaire
1, Paris, Presses universi-
Expr, ule aott 1959, p. 61
in : Guy Rosolato, op. ci
des passions politiques, Laussane,
L’Age dhhomme, 1983, et Philippe Brava,
‘35. insrumentalision du symaboligve centrale que défond Murray
[Béelman: ell est contestée, enze aues, par Dominique Memmi. Voir Memay
Edelman, The Symbolic Uses of Politics, Urbana, University of Blinis Press, 1977
Edition 1964), et Dominique Memmi, Du récit en politique, Laffche Sectorale
dalienne, Pts, Presses dela Fondation nationale des sciences polis, 1986,
c’est lui qui assure la multiplicité des sens émis, transmis et
regas. Le symbole évoque ce qui est absent : « [i
nature méme du signifié inaccessible, épiphanie, c’
par la
29, Pierre Frencastel op. ct, pp. I
1
Cet effet tient en large part & l'opération du symbolique car
30. Guy Rosolato, Essais sur le sybolque, Pris, Gallimard, 1969, p. 152.26 SUR LA PISTE DES OPNI
TLn’est pas question non plus de tomber dans l'exeds inverse,
de postuler qu’en vertu de Jeur production symbolique les pra-
exch
des résistances & Ia domination’. Parce que le symbolique
accomplit une mise en relation dans un double cizcuit — mise
relation de sens, mise en relation de personnes humaines ~,
est actif en politique c'est en tant qu'il manifeste, signifie et
représente des relations de pouvoir qui se nouent dans une sorte
de champ de forces contradictoires. Ces relations fonctionnent
au sein d'un hégémor
@un couple i le coercition/consentement; elles sont des
processus complexes, problématiques, contradictoires de domi-
nation et de lutte, de volonté de pouvoir et d’ acquiescement & la
domination, de jouissance et de crainte”
Mais, tout comme la présence du symbolique en politique ne |
saurait étre mise au seul compte de la manipulation par les puis-
sants, I'existence des procédures que décrivent James Scott, ou
d'une autre mani@re Michel de Certeau’*, ne peut étre niée ni |
rejeiée de I’analyse. Toutes deux, manipulation et résistance,
doivent étre saisies ensemble; c’est ainsi que la force de 'imagi-
naire, la possibilité qu'il a de trouver des échappatoires, @inviter
ala transgression ou de pousser 4 la contestation active, apparai-
tra en politique.
les ceuvres d'art sont, avec Je reve
= ef le lien entre eux est fort ~ les domaines ott opére d’abord
University Pres, 1994
‘38, Michel de Certean, L'invention duu quotidien 1, Arts de faire, Pats,
Union générale d’éditions, 1980.
ue ob s"exercent les poussées |
INTRODUCTION 7
Vimagiaaire. Oct
jue précisément, & propos de
Ja commedia i
J ressources mystérieuses des
fmaginaire sur une « autre scéne », celle-ci, précis
met que le jeu dont elle délimite Pespace soit régi tout ensemble
entation d’échapper au principe de réalité et par le besoin
‘n'est pas coupé de la réalité; Pierre Francastel évoque
«xéalisme de Pimaginaire » & propos du tableau inti-
Sa fonction propre est de
Ia négation de cette limi-
te, tout en y restant inscrit® atres termes, on dirait que
Vimaginaire intégre les frontiéres et le hors-frontiéres du syst@-
donne & penser I'au-dela a partir de l'en-
deca. Guy Rosolato, autre psychanalyste traitant, lui, de la pein-
ture, explique fort joliment que « I'euvre se conjugue au condi-
tionnel du sens [..] oeuvre y avait ce monde-I8, ce
serait ce monde-ci”, mettan le premier, intensifiant les
apparences de l'autre »®,
‘Les pratiques culturelles et Jes ceuvres d'art font partir (aux
deux sens : démarrer et échapper) tous leurs acteurs ~ créateurs,
interprétes, participants, spectateurs / auditeurs ~ du monde
avec ses inégalités, ses injustices, ses structures de domination,
voir aussi Mare Angé, « Préface », pp.
Boiteax (Gir), Camovals et masca-
44, Voir Denis Constant, Aux sources du reggae, Musique, sociéeé et poli-
tique en Jamatque, Marseille, Parenthses, 1982.28 SUR LA PISTE DES OPNI
nest jamais advenue, une Cité gouvernée par I'équité et Je sens
des responsabilités »*5; c’est évidemment W'univers bigarré et
cchamboulé du carnaval et des rites du renouveau ob s’étalent les
différences pour qu’elles soient mieux abolies dans le temps
‘borné d’un moment qui passe et assure le passage, en ne débou-
chant qu’exceptionnellement sur la rébellion*,
Culture et politique, & la vie, & la mort,
S°i1y existe une manifestation collective — une pratique cul- |
turelle au sens le plus fort de expression ~ qui évoque le poli-
tigue, c'est bien le camaval, une forme de rite du renouveau
parmi tant d’antres. Ce qui s’y joue n’est en effet rien moins
‘que le drame constitutif de la personne humaine vivant en socié- |
6 : Pinéluctabilité de la mort, qui marque la vie de la conscience
{que seul en posséde I’@tre humain; la continuation de la vie des
groupes en dépit de la disparition des individus. Les symbo-
liques de renaissance, d’opposition entre nuit et jour, sombre et
br bruyant et harmonieux condensent le
contraste que fait le désordre sur ordre - Je second affirmé
me nécessaire par suite du risque omniprésent que constitue
le premier — avec Je lien indissoluble de la vie & la mor, la vie
ui échappe a la mort ds lors qu’ est envisagée d’abord celle du
collectif. Sur I’« autre scéne » de 'imaginaire qui nourrit les
rites du renouvean, Ia vie Pemporte parce que la mise en scene
iaitrise le rapport de lordre au désorcre, sans abolir le second
mais en le canalisant dans le temps et dans l'espace.
45. Bogumil Jewsiewicki, « Congolese memories of Lumumba: between
cultural hero and humanity's redeemer », pp. 73-91 in : Bogumil Jewsiewicki
tt al, A Congo Chronicle, Patrice Lumumba ix Urban Art, New York, The
‘Museum af African Art, 1999, p. 73.
46, Denis-Constant M:
jorary Carnivals in Political
Behind the Mast, Studying
bnapuihwarw.cer-sciences-po,org/publica/gér ht).
INTRODUCTION 29
mit ow susci-
publique,
autres pratiques, d'autres ceuvres I’expriment également avec
d'autres moyens. Toutes finalement travaillent I’espace et le
temps et, par IA, s’occupent de la vie et de la mort. Bien des
observateurs concordent sur ce point; Gilbert Durand : « l'ima-
ginaire est avant tout un antidote & Ia peur, et en premier lieu &
Ja peur de Ja mort »**; Boris Cyrulnik : « l'art humeia, c'est la
lutte contre I’angoisse provoquée par la représentation du vide,
Je mort », Les arts plastiques, faussement figés, stimulent une
sensation du temps; la musique, le théatre, le cinéma, la poésie,
Je roman, le sport’? donnent & tous ceux qui y sont parties pre-
nantes Je sentiment de dompter Je déroulement du temps. Quant
Ce que Ie carnaval, pratique culturelle produi
nir noutritare & la vie. Toutes ces activités combinent création,
symbolique et imaginaire; elles s"appuient sur une « mise en
perspective » de I'espace et du temps, c"est pourg)
Guy Rosolato, « toute invention [...] rencontre l’arritre-plan ot
se conjuguent la Mort, la Loi et la médiation du Pére : elle
éveille ds lors en tout homme un éclat identique, un frémisse-
ment, qui signaient que l'on aborde enfin une autre région od 1a
clarté livre I’ Obscur, le Skoteinds »*1
Et, sur cet arriére-plan, c'est aussi le pouvoir que croisent
pratiques culturelies et ceuvres dart. Elles viennent nous rappe-
ler ce que masque le discours ordinaire sur la politique, ses
mécanismes, ses institutions : que le pouvoir est avant tout pou-
47, Pour ne pas multiplier les exemples, je me contenteai de renvoyer aux
x Minshall & Trinidad et Tobago, a « Camaval » de
James Ensor, mais on pourat en citer tant d'autres.
448. « Une cartographie de limaginaie, entretien avec Gilbert Durand »,
Sciences humaines 90, janvier 1999, p. 28.
449, «L'Ant contre la mo, entetien avec Boris Cyrulale», Poliis 24, mai
dans les
, OgY, ete) et sports
tenis e, plus encore, cricket).
yy Rosolato, op. eit, p. 183. Skoveinds es
tif grec gui siguifieSUR LA PISTE DES OPNI
voir de mort, pouvoir de vie
YVaffirment haut et fort, qui ont
leur grande figure commune. Av
de mort, Les religions du Livre
tures se marque sur le corps par la circoncision des males. En
un second temps, elle se manifeste par le don de vi
renommée Sara, engendrera en dépit de son age. En un tr
que pouvoir de vie et de mort est cl
temps, le pouvoir et
rement montré dans la
Sodome et Gomorthe, que le Tout-puissant décidera finalement
de détruire, En un quatriéme temps’? vient I’épreuve, la preuv
supréme. Dieu dit @ Abraham : « Prends ton fils, ton uniqu:
.en au pays de Moriyya; Ia offre-le en
Tamorce du sacrifice, I'intervention divin«
élier & la victime humaine ~ est connue.
mnaissance par Abraham du pouv«
sment de ’alliance, qui confére autorité
La Bible n'est pas le seul récit & illustrer cette conception du
pouvoir, On la retrouve dans les rites occidentaux : les traces en
sont nombreuses dans les conceptions de la monarchie qu’ana-
52, Pour abréger ce 1écitcélabre, qui inclut également des passages me
tant en seéne la prohibition de V'inceste et sa transgression réele (Lot et|
roi de Guérar que Sara est sa sour), Sur
et ses filles, voi les expli
sigaifications complexes de T
tions da chanoine Emile Osty, in = La Bible, Genése, Lausanne, Rencon
5-21, tadvetion du chancine Emile Os
tigue au Moyen Age, Paris, Gallimard, 1989,
INTRODUCTION 31
jssance du pouvoir; décider la mise & mort signifiait avoir Je
froit do diriger, parce que Ie sacrifice assurait la survie de la
collectivité:*, Le pouvoir de mort, dans Te sorcellerie, dans Je
gouvernement, s'impose également au cceur des enquétes que
Marc Augé a conduites en Afrique occidentale®s; notant les
ccoavergences entre psychanalyse et anthropologie, il en conclut
ute théorie du pouvoir est inséparable d’une théorie de
mine et d’une réflexion sur la mort »s?, Les traits réga-
rns qui demeurent, méme dans les régimes pluralistes, républi-
cains ot leiques ~ le droit de grace, la responsabilité du chef de
gouvernement dans la déclaration de guerre ct, s“il en dispose,
‘sation des armes de destruction massive ~ sont TA pour
tas rappeler que, méme en situation ordinaire, dans une Cité
dotée de lois permettant le choix du souverain par les citoyens
ot Ja contestation des décisions jugées arbitraires, le pouvoir
politique demeure pouvoir de décider de la vie et de la mort.
‘55. Christian Duverger, La flewr ltale, Economie di sacrifice aztégue,
Pats, Le Seu, 1979.
56, Mace Ausé, Théorie des pours
ire, Pasi, Hermann, 1975, &t Powis de vie, pouwoirs de mort, Paris,
'S7. Mare Augé, Symbole, fonction, histoire, Les interrogations de
‘anthropologie, Pasis, Hachete, 1979, p- 208. De ce point de vue, en 2001,
yussama Ben Laden et George W. Bush se r6vBlent frees en la descendance
Abraham : Te Gouverneur du Texas & la grlce pareimonicase mué en chef de
‘guerre revendiquant le droit de Tver sans procs, le male Pun réseau transaa~
tiocal décrétant aussi bien la mort des Autres que celle de ses fidéles, para-
g20t la méme conception da pouvoir et Ie font tous deux driver dune legiti-
s la modemnité oxtréme des
fons — redécouvre, quand il est poussé dans ses demiers retran-
ission primordiale : décider quand et qui il convient de faze
périr afin d'assorer la vie du groupe gouverné.32 SUR LA PISTE DES OPNI
Lamour du pouvoir
Pourquoi, dans ces conditions les citoyens acceptent-ils le
jon, & son avénement ?
sinon tant qu’
faire mal aucun, sinon lors qu’ils aiment mieux le souffrir que
lui contredire, Grand’chose certes et toutesfois si commune
qu'il s’cn faut de tant plus douloir et moins s'esbahir, voir un
million d’hommes servir misérablement aiant le col sous le joug,
‘non pas contains par une plus grande force, mais aucunement
(ce me semble) enchantes et charmes par le nom seul d'un,
duquel ils ne doivent ni craindre la puissance puisqu’il est seul,
a'y aimer les qualités puis qu'il est en leur endroit inhumain et
sauvage »5°. La diatribe de La Boétie n’est pas seulement diri-
xgée contre un pouvoir monarchique en cours de consolidation
chaotique, elle vise, démontre Nadia Gontarbert en une analyse
linguistique rigoureuse®, le pouvoir en général; elle pose done
les plus tard les
domination ?
variable d’adhésion des gouvernés : soit par apathie routiniere,
soit par incapacité & concevoir une alternativ'
tion de quelques valeurs communes estimées inconditionnelles.
58, Brienne de La Bostic, Dela servitude volontaire ox contr'un, suv de
INTRODUCTION 33
‘Mais de toute fagon, les gouvernés imposent des limites au pou-
voir [..] le pouvoir tend & se développer en tant que rapport de
domination, mais le consentement qui le rend légitime tend &
réduire son emprise »%, Maurice Godelier, sans doute plus
proche de La Boétie, est aussi plus précis
nismes de ’acquiescement; pour
posent indissolublement tout pouvoir de domination,
plus forte n'est pas la violence, mais le consentemé
sigue des dominés & leur domination [..] I faut done que domi
nés et dominants partagent les mémes représentations, la méme
idéologie pour que naisse la force Ia plus forte du pouvoir des
‘uns sur les autres, le consentement fondé sur la reconnaissance
de [a légitimité de ce pow
La pierre angulaire de ce partage ne peut étre que le rapport
de Fete humain & la mort, et le rOle qu’y joue le pouvoir. La
conscience de le mort, caractéristique de humanité, exige
fournie 4 la vie, 2 la vie en société en particu-
faut qu’un voile vienne recouvrir V'abime, te
zéant. Ce voile, longtemps tissé par la religion®? est, dans Ia plu-
part des sociétés contemporaines, tramé par Etat, II manifeste
Pexistence du groupe, I’organise, le gouverne et, par 18, entend
vie de ceux qui Iui appartiennent parce a1
tude en expliquant la séparation de
Pentoure.
tat fonde désormais la Raison,
ce qui permet & l'homme de penser et
de juger, de vivre et d’entretenir le désir de se reproduire sans
le néant®}, Mais, pour que I'Etat soit reconnu, soit
faut une mise en sc&ne ; Ia théétralité est « [...]
métephore du voile devant I'arche, dans le temple de
Salomon, indigue cette fonction; voir notamment : Exode 26:31; I Rois 6:21 et
Mathiew 27:51
63, « Nous assistons & une escalade de lobscurantisme », entretien
Antoine Spire avec Pierre Legendre, Le Monde, 23 octobre 2001, p. 21;
Te tabou et Ja Raison », entetien de Catherine Portevin avec Pierre
Télérama 2555, 30 décembre 1998, pp. 9-13.34 ‘SUR LA PISTE DES OPNI
nécessaire & la manifestation de I'Btat comme garant des caté:
gories normatives »6*, Sur cette scene, le pouvoir déploie ses
‘charmes; il a @°abord été imaginé dans le cadre familial, enceinte
de amour des parents; i va « capter amoureusemeat les sujets
en utilisant le levier du fantasme », i erité
ayant la valeur du fétiche
totem d’antan. Bref, conc!
appelons le pouvoir, nous travaille amoureusement »*°. Et
Tamour de la patie, du drapeau, du chef, de la républigue, voire
de la liberté fait oublier la mort ou, mieux, en fait non plus une
fatalité mais un acte glorifiant, désirable, Pour comprendze
comment s¢ nouent et fonctionnent pi
entre le pouvoir, la mort et l'amour,
deux axes de recherche : cerner les conditions sociales de pro-
duction des « messages émouvants » que les puissants adressent
aux citoyens pour éveiller leurs sentiments, dans l'exercice du’
pouvoir ou dans le cadre d’entreprises pour aceéder au pouvoir, |
trouver Ies raisons pour lesquelles certains de ces messages sont
regus « avec ferveur ou émotion »€,
Langage, symboles, rituels, ce que T'on nommerait dans un |
les performances qui combinent tout cela dans |
de la réception de ces messages émouvants®”. La}
compréhension des cadres dans lesquels ils sont concus, des |
codes symboliques qu’ils utilise
faits implique toutefois d’aller au~
ment dans les performances politiques,
pouvoir, pour en revenir au complexe pouvoir / mort / amour tel |
qu'il est effectivement partagé par tous les membres d’un meme
olson, Pars, Fayard, 1998,
(65. Pierre Legeadte, «La malentenda », Pow
aussi La gestion des pass!
67. Pierre Ansast, « Les passions politiques », pp. 1252-1258 in
Encyclopaedia universalis, symposium, les enjewe 1, Pass, Eneyolopsedia uni
versalis, 1990; Philipp Braud, L’émotion en politique, op. cit
(eurs, sont Jes moyens de I’émission, de la
des matériaux dont ils sont |
INTRODUCTION 35
ensemble bumain, quelle que soit le place qu'il y occupent. La
ent nous y conduire. Par la oréation, l'inven-
ir manitre, rendent « I’ Abime habitable »**;
['« autre cOté » du pouvoir, de cette scéne
vest pourquoi,
mnasguée, is en révélent fa dramaturgie, pour peu qu’on Ieve le
rideau, ot le voile.
a métaphore amoureuse des relations politiques et sociales
Le travail amoureux du pouvoir et ce qu'il engendre d”ambi-
idéaux de Justice et de dignité (& commen-
les droits qu'il
se plier trouvent
privilégié. En plus de ceux gui sont analysés dans les chapitres
citer d’innombrables illustrations,
dans les spirituals afro-américains créés pendant l’esclavage®; le
sentiment de la justice joué dans le Tehiloli de Sao Tomé, qui
réinvente Charlemagne pour affirmer que, sans tenir compte de
ce, la justice encore et la morale da pouvoir dans Le marchand
de Venise et Mesure pour mesure de Shakespeare; toutes les
figurations plastiques du pouvoir, jusqu’aux plus ésotériques,
comme le « Saint Georges lutte contre le dragon » de Carpaccio
font. op. el. BP.
1998, et « Le char ée
"70. Voir « Tebiloli do Sao Tomé et Principe », Intemational de V'imagi-
aire 14, printemps 1990, auméro spécial36 SUR LA PISTE DES OPNI
qu'interpréte Michel Serres, ot il voit « le soldat laboureur
Dieu comme mythe. Et mythe, je vous prie, fondamental pu
qu'il groupe en une seule personne la Trinité des trois fon:
au sens de Dumézil. Jupiter, le prétre et le saint; Mars,
combatant; et Quirinus, le produc
tableau, c’est un cadre, un pattern
Partout les combinatoires, des formes, des temps, di
‘espaces, forgent le sens. Elles peuvent done rendre sensibles
imaginations de l'amour et du pouvoir, de deux maniéres au
moins. D'abord en métamorphosant (métaphorisant) les relatio
sociales en relations amoureuses. C’est ce que fait incessamm
Ja chanson. Quand elle dit, comme si souvent les blues : «
ne peux pas étre avec la ferame que te aimes, cu n'as qu’ aimer
Ja femme avec qui s es », on pourrait tout aussi bien entendre
itu ne peux pas vivre dans Ja société que tu soubaites, tcl
aimer la société dans laquelle tu vis » (avec ses hiérarchies
ses systémes de pouvoir). Mais ce n’
ambivalence face au pouvoir. C’est dans le théétre, sans do
qu'on le saisit le mieux, de la naissance de 1a tragédie antique
ob le mythe prend chair desrigre les masques des acteurs, aux
scénes contemporaines. Antigone, & propos d’un mort, son fréze
Poly ¢ Jes droits du powvoir, de Créon, au nom
@une légitimité éthique établie par la religion; elle est rebell.
Pourtant, elle accepte la décision de Créon qui la condamne 2
mort; elle est soumise. En
re, Sophocle Iui fait dire : « je reposerai auprés de mon frére
chéti, pieusement criminelle »”. Scipion, dont le Caligula réin-
71. Michel Serres, sthétiques sur Carpaccto, op. cit, p. 42.
72. Voir Denis-Constant Marin, « Un crage braille sur Los Angeles: racis-
prétace et notes par Robert Pignatre, Paris, Gamer, 1964, p. 7; souligné par
‘moi, D-CM.
INTRODUCTION
vyenté par Albert Camus a tué Te pére, devrait y
assassiner & son tour; il ne peut s"y résoudre car, dite, « [..]
quelque chose en moi lui ressemble pourtant. La méme flamme
ous brille le cceur »'*, L’horreur du pouvoir est inextricable de
ia fascination &
Les pratiques culturelles, les oeuvres dart évoquent le pou-
voir parce qu’lles posent les questions qui sous-tendent sa rai-
ms etre : pourquoi vivre ? pourquoi vivre en société ? pour-
accepter le pouvoir ? pourquoi aimer le pouvoir ? A ces
questions elles ne fournissent pas de réponses claires,
immuables, universelles, mais des bribes de raisons qui s"arran-
gent en figures particuliéres selon les époques et les groupes
humains. Ce qu’on peut chercher en elles, ce sont donc des élé-
is de ce que Marc Augé a rencontré dans ses enquétes afti-
ique », ce qui constitme, & ’inté-
somme du possible et du pen-
ire en forme de mode d'emploi oit Y’énoncé méme des
iques identifie en chaque circonstance ceux qui ont
niliser »?.
stématique virmelle des représentations »76,
voir; elle inttgre donc le politique. En ceci, elle semble proche
ce que Guy Michelat et Michel Simon présentent, en t8te
e étude sur le comportement électoral en France, comme
organisations symboliques » : « [... des systémes organi-
sé5 de représentations, d'attitudes, de normes, affectivement
lorisés [...] Ces organisations incluent certes la perception de
vers politique au sens restreint du terme, mais ne s*y rédui-
74, Albert Camus, Caligula,
p. 118.
il de Le maientendu, Pass, Gallimard,
75, Mare Augé, Le sens des au
Fayard, 1994, p. 176
76, Mare Augé, Théorie des pouwotrs... op. cl, P. 121
, Actualité de Vanshropologie, Pais,38 SUR LA PISTE DES OPNI
sent pas. Tl s’agit, bien plus largement, de systémes (inégale-
ment structurés) de représentation du champ social, de convic-
tions (et de sentiments) relatifS au légitime et A l'illégitime, au
pensable et & Vimpensable, au réel et & I'illusoire, voire aux pro-
bitmes de destinée et d’existence »7.
Chez Mare Augé comme chez Guy Michelat et Michel
Simon, en Afrique, en Europe, et trés probablement partout
ailleurs, existent des systtmes de représentation qui condensent,
au sein d'une formation hégémonique, ce qui peut étre partagé
par tous ceux qui ¥ vivent. Ces systémes toutefois, demeurent
énoncés on entier. Hs affleurent dans les mythes, les textes reli-
gieux™, les pratiques cultarelles et les ceuvres d'art. Pour com-
prendre quelles sont les conceptions partagées du pouvoir et des
relations de pouvoir dans un groupe bumain donné, comment ces
conceptions sont en permanence réajustées au fil des interactions
sociales et politiques, c’est-a-dire interprétées et mises en ceuvre
dans des comportements observables, ce sont done les représen-
tations du pouvoir et les systtmes les articulant, que l'on pourra
rechercher dans les pratiques et les produits culturels.
Les représentations sont un « mode spécifique de connais-
sance du réel », grace auquel la fagon dont les individus pensent
qu'est organisée Ta réalité sociale leur permet d’interpréter leur
environnement, d’y qualifier la place qu’ils y occupent, donc de
77. Guy Michelat, Michel Simon, « Déterminations sosio-économiques,
longanisations symboligues et comportement électoral », Revue frangaise de
soeiologie 26 (1), 1985, p. 32
ire d? Abraham en est un exemple parmi bien antes. Ainsi le
permet de coder et de décoder Is politique indienne du xx¢
formations de Ram. Voir Shashi
anglais par Christiane Besse,
Réinterprétation du mythe de
‘< When gods go to masket, The ritual management of desire in Indian "Bazear
Ant" », in ; Communication Processes 3, Culture and Confrontation, Pune,
Centre for Cooperative Reseazch ia Social Sciences,
wow lias aVhostleersleplop3 hal
INTRODUCTION 39
fer, ou non, d’y agir et de définir des stratégies d’interven-
tion. Les représentations, fagonnées par les relations sociales, les
régulent en retour; elles contribueat a la construction du senti-
ment 4’ sppartenir ensemble » et participent & ses mutations;
elles pesent sur les conduites”, L'étade biologique de la maniére
dont, dans le cerveau, les neurones et les synapses qui assurent
connections construisent les représentations met en relief
‘ce que les psychosociologues ont, de leur cété, constaté : les
représentations sont orientées vers l’action. « Les représentations
du monde ne peuvent donc étre considérées indépendamment
des actions du sujet sur ce méme monde, écrit Jean-Di
Vincent. Je propose pour les désigner, continue-t-il, le néologi
me de représentactions. Celles-ci sont 2 la fois les formes
forces qui produisent et reproduisent le monde du sujet »®,
‘Comment traquer les OPNI?
La difficulté que rencontre l'étude des représentations
découle de ce qu’elles appartiennent, comme I'idéo-logique ou
8 systémes symboliques qui les assemblent, an domaine de
implicite, de ce qui ne s’exprime pas spontanément, et jamais
en totalité, Des méthodes expérimentales ont été mises au point
pour tacher de les porter au jours!; des enguétes de terrain utili-
sant l observation participante ont été également utilisées’,
otamment pp. 125-137.
le des représentations40 SUR LA PISTE DES OPNI
Pour ce qui nous occupe — les représentations du pouvoir
des relations de pouvoir, des droits et devoirs des gouvernants, de
timité — i] semble que se dessinent deux directions de
ie. La premitre, la mieux balisée sans doute, est tract
par ’'anthropologie politique, celle qui maintenant permet
comme le soubaitait Georges Balandier, « une nouvelle lecture
os propres sociétés »!, sans pour autant négliger celle de:
mondes exotiques, ou plutdt en considérant que les unes et Ie
autres ne font en réalité qu'un. Cette anthropologie des mondes
modemes est capable de saisir les implications de la généralisa-
tion de "Etat dans des cultures variges; partout elle rencontre des
mises en scBne du pouvoir ott les sites, les cérémonies, les
‘gies* sont le cadre d’échanges, de fonctionnement de parent
de déploiements symboliques qui builent la dialectique domina:
‘ion/soumission et organisent la gestion de I’espace et du temps*
La seconde direction est plus précisément celle que voudrait
indiquer lidée d? OPNT. Elle fait Phypothse que, pour les raisons
exposées dans les paragraphes précédents, c’est dans les pratiques
culturelles et les ceuvres d'art qu’affleurent de:
sentations du pouvoir qui, une fois repérés et e
sont leur reconstitution et leur passage de Pimpli
Les chapitres de ce volume montrent, sans exhanstivité pourtant
ala fois la diversité des objets qui peuvent étre pris en considéra
tion, et celle des méthodes — des combinaisons de méthodes
plus souvent ~ employées & leur analyse, tirées de I’expérience de
Thistoite, de la géographie, de l'anthropologie, de la sociologie,
de la psychologie, de la politologie, de Ia sémiologie (notamment
appliquée aux arts plastiques et au cinéma), de la linguistique, de
Ja musicologie, des sciences de la communication, etc.
Deux constatations s'imposent. La premitre, sur laquelle
insistait Pierre Francastel propos des arts plastiques mais
83. Georges Balandier, Anthropologie politique, op. cit, p. VIL, et Le
Fayard, 1985,
ie poliriques, Paris, Presses universitares
logie politique » pp.
iniversalis, symposium, les enjeux I, Pa
et « La mise en reprétentation du politique »,
leary Piece Jeudy (dir), op. ct.
839-842 in : Encyclopaedi
Encyclopaedia universal
pp. 247-271 in : Mare Ab
INTRODUCTION 41
qu'on peut étendre aux autres formes d' expression, est que
Gade d'une pratique ou d'un produit culturel exige que soient
méthodes spé
Regarder un tableau, I’apprécier ne permet pas de comprendre
comment il opére en tant que « signe relais »*; se pencher sur
an écrit en négligeant les conditions matérielles de sa reproduc-
tion, celles qui conditionnent sa fixation, sa circulation et sa
conservation, revient & ignorer une grande part de ce qui. com-
unique les significations parmi différentes « communautés de
surs »7; réduire opéra, la chanson, l'ensemble des réper-
es VOCAIX aux textes qu’ils comportent, c'est rester sourd
aux polyphonies que compose I’unité paroles/musiques®®;
essayer de décrypter le contenu d'un film en ne décodant pas sa
procédés qui y sont mis en ceuvre, en
; egarder des images politiques, fixes ou
intéresser & leur grammaire et & leur Iexique, &
1 narrativité, risque d’ obscurcir la compréhension de leur
ter que, dans biens des cas, le travail en équi-
inaire s'avére nécessaire. La seconde constatation
est que le sens d’une pratique ou d’un produit culture! ne leur
est jamais inhérent; il s’élabore diversement dans Ja relation qui
se construit autour d’eux entre leurs concepteurs/producteus et
leurs récepteurs/consommateurs?!. Cette relation, bien plus
86, Pere Francastel, op. cit
87. Roger Charter, Culture éerte et socidté,L'ordre des livres (xn
e), Pais, Albin Michel, 1996
88, Max Weber qui ne
sie modeme mais Ie pio
‘grande competence techaigue en musiqu
Jondemen's rationnels et sociauwe de la musique, Introdvetion, traduction et
‘notes de Jean Molino et Emmanuel Peder, Pacis, Métailis, 1998,
89, Voir Christian Metz, Essais sur la signification au cinéma, 2 vol.,
Paris, Klincksieck, 1968, 1972.
‘Voir Jean-Paul Gouréviteh, L'image en politique, De Luther @ internet
1998; Dominique Memmi, op. ci,
séniologie de la musique, Pars, Union générale @édions, 1975.42 SUR LA PISTE DES OPNI
complexe qu'elle n'est dite ici évidemment, doit donc étre pla-
cée au cceur de I'investigation.
‘En ce qui concerne la traque aux OPNI, on peut esquisser, en
tenant compte de ces deux constatations, un type général de
méthode, un type idéal qu'il ne sera pas toujours aisé d’adapter
aux conditions pratiques de Pinvestigation, mais qui, s'il sert de
pense-béte, s'il aide & organiser I'enguéte, ne sera pas totale.
‘ment inutile”
La premire étape consiste évidemment en I'observation
(participante ou non) de Ia pratique, en la description d
Feuvre. L’histoire doit les replacer dans le mouvement social,
ont suscités ou suscitent encore, de la part de leurs producteurs
de ceux qui les accomplissent ov les conteraplent, le cas échéant
de commentateurs spécialisés, seront notés. Pratiques et axuvres
seront, A partir de tous ces éléments, décrites puis analysées
utilisant des techniques idoines qui permettent de repérer lew
dimension créative, leurs symboligues spécifiques et den com.
prendre les sens possibles dans Tes espaces-temps ob s’étend
eur vie, C'est sur cette base que étude pourra aboutir & une
premitze exégése. Le pisteur des OPNI, individuel ou collectif,
présentera les représentations du politique qu'il pense avoir
découvertes dans les matériaux étudiés.
‘S'il est possible de poursuivre l'enquéte ~ si elle ne s’inté-
resse pas a un passé trop lointain, si des obstacles pratiques ou
financiers ne viennent pas entraver sa marche -, il convient de
confronter les interprétations des chercheurs a celles des partici
pants, des amateurs dart, de tous ceux pour qui la pratique ou
rmulé & partic dela lecture d’articles et d’ouvrages dont une
partie
Trinidad et Tobago et en Afrique du Sud, Voir, outre certains chapitres de ce
volume : Denis-Coastant Martin, Coon Camival, New Year in Cape Town,
Past and Present, Cape Town, David Philip, 1999, et Politics Behind th
Mask... op.
‘9S. Un magistrel exemple en fut donné par ’étude de Jacques Lectere
1 Teonologie politique du ttbre-poste indonésien (1950-1910) », Archipel
1973, pp. 145-183.
onnée en notes ainsi que de experience d'enquétes menées_|
INTRODUCTION 43
produit étudiés ont un sens. Puisque les représentations ne sont
pas spontanément verbalisées, I'enquéte se poursuivra en créant
les conditions dans lesquelles les représentations implicites
recelées par les pratiques et produits culturels pourraient étre, au
moins en partie, explicitées. Elle utilisera de préférence des
techniques non directives favorisant Fémission dun discours
non bridé par des questions mais cheminant autant que faire se
peut au fil des associations qu’enchainent Librement le ou les
enquétés. La technique La plus simple consiste en entretiens* o8
Ja consigne de départ a trait a objet d’étude : « ce tableau, ce
film, cette chanson ou ce genre musical, cette féte, cette activi-
té... que signifie-til, que signifie-telle pour vous ? ». En géné-
ral, la personne interrogée commence par réagir a la consigne
de départ, parle de T’objet de la recherche puis, rapidement, glis-
se vers ses expériences personnelles, ses propos a la
maniére dont clle se situe dans la société & laquelle elle appar-
tient et & ses perceptions de cette société, Elle parle les repré-
sentations qu’elle a du monde dans lequel elle vit, donc aussi du:
politique qui la concemne. Les entretiens de groupe possédent
une dynamique propre, due notamment an fait que le rapport
Dilatéral entre qui provoque l’entretien et qui accepte de s’y
soumettre ne se trouve pas aboli, bien siz, mais transformé par
la présence de plusieurs interlocuteurs qui peuvent dialoguer
entre eux avec une liberté plus grande. Ils apportent des indica-
tions plus riches®.
La consigne de départ verbale peut étre accompagnée de
photos, de phonogrammes ou de vidéogrammes rendant plus
présent ce qui motive Pentretien. Dans certaines circonstances,
Voir Henri Raymond, « Analyse de conten et entretien non direct
jon au symbolisme de W"habitat », Revue francaise de sociologie 9,
Guy M
en sociologie », Revue francaise de sociologie 16,
‘95, Voir, par exemple, Tatiana Yaanopoules, Denis Martin, « De la ques-
fopos des enguétes en Afrique noite », Cahiers d'études
sspess and the new South Africa, Representations of change
‘among youths of the Cape Flas », pp. 89-109 in : Jocelyn Létoumeas (dir),
Le lew identttaire de la jeunesse d'aujourd'hut, tudes de cas, Pais,44 ‘SUR LA PISTE DES OPNI
les histoires de vie de participants et de producteurs sont aussi
fécondes. L'important réside ici en la non-directivité. Les dis-
cours collectés au cours de cette seconde partie de I’enquéte,
tune fois transcrits, sont 2 leur tour systématiquement analysés
afin d'y trouver des éléments de représentations sociales du
pouvoir et des relations de pouvoir. Les conclusions qu'on en
‘peut tirer serviront non pas tant a valider les interprétations que
les observateurs ont produites dans le premier temps de la
recherche qu’a les compléter,& les affine.
«La vérité n’est pas si simple »%
Liidée oOPNI suggére finalement un programme ambitieux.
L’étude de pratiques et de produits culturels, dont la diversité des
moyens d’expression verbaux et non verbaux permet toutes les
combinaisons de l'ambiguité et de l’ambivalence, tous les
alliages paradoxaux de sentiments contradictoires, invite & redé-
‘couvrir le non-dit essentiel da pouvoir — comment il gouverne la
vie et Ja mort ~ et & révéler les sentiments qu'il suscite. Le sym-
bolique et P'imaginaire, qui constituent un des grands partages
du politique et du culturel, évoquent les rapports de Ta vie de la
mor, et Jes maniéres dont ils sont appréhendés. Pour cette rai-
son, ils participent au travail amoureux, & I’ceuvre de séduction
du politique qui, pour donner sens a la vie en société, assure
mécanismes de la domination, et de ce qui la perpétue,
consentement, Passentiment. Ce sont ces mécanismes affectifS
Jes idéo-logiques ou organisations symboliques qu’elles forms
que vise & expliciter et & expliquer la recherche sur les OPNI.
ic ambitionne d’border la politique dans la
pensée des citoyen(ne)s. Elle considére que - aussi indispen-
sable que soit ce travail, préalable & tous les autres - on ne peut
96. Jean Touchard, La gloire de Béranger, Il, Paris, Armand Colin, 1968,
. 569; voir p. 70 da présent live.
INTRODUCTION, 45
se contenter d’analyser les institutions et les mécanismes, ni
‘méme la maniére dont ils sont utilisés par les acteurs politiques,
teurs de pouvoir ou non, de disséquer les discours officiels
jes actions ouvertement entreprises, mais qu'il faut técher de
comprendze comment les cadres dans lesquels ils prennent
les structures qt
place, les rgles auxquelles ils obéisse:
articulent, les styles dans lesquels
ecoyances qui les légitiment sont pensés ensemble par les per-
sonnes ordinaires et les puissants. Cette ambition conduit au-
dela des motivations immédiates de l'intérét pour ou de T’action
‘en politique; elle méne & de véritables conceptions du monde, &
des représentations ou des systémes de représentation permet-
tant & chacun de penser la totalité des relations sociales et poli-
tiques pour s"y positionner de manitre & gérer au mieux les inté-
et affectifs, le respect du pouvoir et la méfiance
q sans que les uns soient séparés ov opposés aux
autres, Elle ré-oriente vers le complexe et le dramatique du rap-
port au pouvoir.