Le Projet Pédagogique de Photios

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ORIENTALIA LOVANIENSIA

ANALECTA
————— 212 —————

ENCYCLOPEDIC TRENDS IN BYZANTIUM?

Proceedings of the International Conference held in


Leuven, 6-8 May 2009

edited by

PETER VAN DEUN and CAROLINE MACÉ

UITGEVERIJ PEETERS en DEPARTEMENT OOSTERSE STUDIES


LEUVEN – PARIS – WALPOLE, MA
2011

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CONTENTS

ABBREVIATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . IX

INTRODUCTION BY P. VAN DEUN AND C. MACÉ . . . . . . . XIII

THE CONCEPT OF ENCYCLOPEDISM

P. SCHREINER
Die enzyklopädische Idee in Byzanz . . . . . . . . 3

LATE ANTIQUITY

Y. PAPADOGIANNAKIS
‘Encyclopedism’ in the Byzantine question-and-answer litera-
ture — the case of Pseudo-Kaisarios . . . . . . . . 29

9TH-10TH CENTURIES

A. ALEXAKIS
Some remarks on dogmatic florilegia based mainly on the flo-
rilegia of the early ninth century . . . . . . . . . . 45
J. SCHAMP
Le projet pédagogique de Photios . . . . . . . . . 57
M. GRÜNBART
Byzantinische Briefflorilegien. Kopieren und Sammeln zur Zeit
der Makedonenkaiser . . . . . . . . . . . . . 77
P. ODORICO
Cadre d’exposition / cadre de pensée — la culture du recueil 89
F. MALTOMINI
Selezione e organizzazione della poesia epigrammatica fra IX
e X secolo — la perduta antologia di Costantino Cefala e l’Anto-
logia Palatina . . . . . . . . . . . . . . . . 109

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VI CONTENTS

T. FERNÁNDEZ
Byzantine tears — a pseudo-Chrysostomic fragment on weeping
in the Florilegium Coislinianum . . . . . . . . . . 125
P. MAGDALINO
Orthodoxy and history in tenth-century Byzantine ‘encyclo-
pedism’ . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
C. SODE
Sammeln und Exzerpieren in der Zeit Konstantins VII. Porphy-
rogennetos. Zu den Fragmenten des Petros Patrikios im soge-
nannten Zeremonienbuch . . . . . . . . . . . . 161
R. CEULEMANS
The catena Marciana on the Song of Songs . . . . . . 177

11TH-12TH CENTURIES

B. CROSTINI
Spiritual ‘encyclopedias’ in eleventh-century Byzantium? Miscel-
laneous evidence for an encyclopedic outlook . . . . . . 213
E. JEFFREYS
Iakovos Monachos and spiritual encyclopedias . . . . . 231
I. DE VOS
East or West, home is best. Where to situate the cradle of the
De Oeconomia Dei? . . . . . . . . . . . . . 245
S. NEIRYNCK
The De Oeconomia Dei by Nilus Doxapatres — a tentative
definition . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
A. BUCOSSI
Dialogue and anthologies of the Sacred arsenal by Andronikos
Kamateros — sources, arrangements, purposes . . . . . 269

13TH-14TH CENTURIES

PH. ROELLI
Teaching Hesychasm by means of florilegia — sources of
Mark the Monk’s Florilegium . . . . . . . . . . 287

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CONTENTS VII

P. CANART
Les anthologies scolaires commentées de la période des
Paléologues, à l’école de Maxime Planude et de Manuel
Moschopoulos . . . . . . . . . . . . . . . 297
M. FEATHERSTONE
Theodore Metochites’s Seimeioseis Gnomikai — Personal
Encyclopedism . . . . . . . . . . . . . . . 333
F. TINNEFELD
Zur intellektuellen Polemik des Nikephoros Gregoras . . . 345
I. PÉREZ MARTÍN
Les Kephalaia de Chariton des Hodèges (Paris, BnF, gr. 1630) 361
A. RIGO
Une summa ou un florilège commenté pour la vie spirituelle?
L’œuvre Méqodov kaì kanÉn de Calliste et Ignace Xanthopouloi 387

INDICES

INDEX MANUSCRIPTORUM . . . . . . . . . . . . . . 441


INDEX NOMINUM . . . . . . . . . . . . . . . . 447

LIST OF CONTRIBUTORS . . . . . . . . . . . . . 457

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LE PROJET PÉDAGOGIQUE DE PHOTIOS

Jacques SCHAMP

Vu l’ampleur, la richesse et la diversité de son œuvre, Photios occupe une


place centrale dans le beau livre de P. Lemerle qui sert en quelque sorte
de guide et d’introduction au présent colloque1. Mérite-t-il la part du lion
qui lui est taillée? C’est la question à laquelle j’essaierai de répondre ici.
Ce que nous appelons aujourd’hui «culture générale» répond aux mots
grecs êgkúkliov paideía (paídeusiv). On le sait, l’expression est connue
depuis Quintilien au moins2. On constate, non sans quelque surprise, que
les mots n’ont pas trouvé place dans les ouvrages de Photios. L’émergence
du christianisme a fait naître une opposition entre les deux cultures,
païenne, c’est-à-dire «hellénique», et chrétienne3. Apparemment, Photios
les avait réconciliées en son for intérieur. On verra plus loin à quel prix.

1. Une vocation religieuse

Qu’il se soit intéressé à la littérature ecclésiastique ne saurait surprendre.


Non seulement sa famille était acquise à l’orthodoxie iconodule, mais
le terrain y était propice aux vocations monastiques. Serge, le père de
Photios, était un frère ou plutôt un neveu du patriarche Tarasios (784-
8064), qui exerça lui-même de hautes fonctions dans l’empire, sans doute
celles de prôtasécrétis. Suivant la chronique du pseudo-Syméon, Serge
était êqnikoÕ aÿmatov, ce qui normalement doit signifier «d’origine
païenne»5. Dans une lettre aux évêques orientaux que l’on date du prin-
temps 8606, Photios lui-même rappelle ses premières aspirations:

1
LEMERLE, Premier humanisme.
2
Quintilien, I, 10, 1: (…) orbis ille doctrinae, quem Graeci encyclion paedian vocant.
On lira encore J. COUSIN, Quintilien. Institution oratoire (Collection des Universités de
France), I, Paris, 1975, pp. 37-38.
3
LEMERLE, Premier humanisme, pp. 47-50.
4
PmbZ, n° 7235, LEMERLE, Premier humanisme, p. 181 et surtout C. MANGO, The
Liquidation of Iconoclasm and the Patriarch Photius, dans A. BRYER - J. HERRIN (eds.),
Iconoclasm. Papers given at the Ninth Spring Symposium of Byzantine Studies, University
of Birmingham, March 1975, s.l. (Centre for Byzantine Studies), 1977, pp. 136-137.
5
Ps.-Syméon, Chronographia, p. 668, 18 BEKKER.
6
Ép. 289, p. 122, 48-57 LAOURDAS - WESTERINK: Near¢v mèn oŒn ∂ti t±v ™likíav
oΔsjv ∂rwv toÕ monßrouv sunßkmahe bíou eî kaì t¬n oîkeíwn trópwn pròv aûtòn

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58 J. SCHAMP

J’étais encore dans mon jeune âge que mûrissait en moi le goût pour la vie
monastique, même si l’adversité, par son action en désaccord avec les dis-
positions personnelles, en s’opposant à la vivacité de l’aspiration, rendît
pendant longtemps sans effet les expressions du désir, quoiqu’il y eût des
raisons nombreuses qui n’eussent pas dû interdire à la volonté d’atteindre
son objectif. J’avais aussi un père qui, pour avoir entendu précédemment
l’appel de la vertu, en raison de l’orthodoxie de ses convictions et la vérité
de sa foi, avait dû dire un adieu définitif à ses richesses et au cercle d’amis
que lui valaient ses dignités et qui avait subi toutes les épreuves, pour ne
pas entrer dans le détail, et qui connut sa fin dans le martyre même de
l’exil; et ma mère, qui était attachée à Dieu autant qu’à la vertu et qui dis-
putait la palme à son mari, ne le lui céda en rien sur ces points.

Dans la lettre de consolation à son frère Tarasios, il rappelle que la perte


de trois de leurs frères survint alors que la famille affrontait les duretés
de l’exil7:
Et pesaient alors sur eux les rigueurs et la dureté de l’exil, alors qu’ils
étaient abandonnés par leurs amis, les parents qui les entouraient, et privés
d’absolument tous les éléments propres à apporter un soulagement à l’âme.

Simple assignation à résidence ou sentence frappant véritablement d’exil, la


mesure prise s’accompagna, au début tout au moins, de quelque violence8:
Nous avons essuyé la violence. De quelle ampleur, Dieu, qui voit tout au
grand jour, y compris les choses cachées, en est conscient! On nous a tenu
attaché, malgré que nous en eussions; à l’égal de bandits, on nous a tenu
enfermé; on nous a tenu sous la garde de sentinelles.

™ diaƒwnía t¬ç toioútwç ântipráttousa ∂rwti méxri polloÕ tà t±v êpiqumíav dietíqei
ânenérgjta, kaítoi poll¬n üparxous¬n üpoqésewn êz ˜n êxr±n tà t±v boulßsewv
mjd’ âƒamarte⁄n toÕ télouv. ÈJn gàr kaì pat®r tò prósqen êpˆ âret®n proskaloú-
menov, Ωv ∏neka dózjv ôrq±v kaì pístewv âljqoÕv ploútwç mèn kaì ta⁄v t¬n
âziwmátwn periƒaneíaiv makrà xaírein eîpÉn, kaì pánta paqÉn, ÿna m® katà mérov
légw, ên aût¬ç t¬ç marturíwç üperorisqeìv teteleíwtai· kaì mßtjr ƒilóqeóv te kaì
ƒiláretov kaì toÕ ândròv ƒiloneikoÕsa katà mjdèn ên toútoiv âpolimpánesqai.
7
Ép. 234, II, p. 151, 52-54 LAOURDAS - WESTERINK: Kaì tóte pikr¢v kaì bareíav
t±v üperoríav êpikeiménjv kaì pásjv êrjmíav ƒílwn, suggen¬n periestjkuíav, kaì
pántwn äpl¬v ºsa cuxagwgían tinà ƒérei perijÇrjménwn. Voir W. T. TREADGOLD,
The Nature of the Bibliotheca of Photius (DOS 18), Washington, 1980, p. 2, n. 9, et PmbZ,
n° 7237. Les tribulations de la famille sont encore évoquées dans la Vie d’Euthyme le
Jeune (L. PETIT, Vie et office de saint Euthyme le Jeune, dans Revue d’Orient Chrétien, 8
(1903), pp. 155-205, en particulier, p. 179): FÉtiov gàr ¥n ö makáriov, ö ƒwtòv âkt⁄si
ƒerwnúmwv toÕ ônómatov plßqei didaskali¬n katalámcav tà pérata, ö êz aût¬n
spargánwn âƒierwqeìv t¬ç Xrist¬ç, Üv üpèr t±v aûtoÕ eîkónov djmeúsei kaì
êzoríaç, toútoiv d® to⁄v âqljtiko⁄v êk prooimíwn âg¬si, sugkoinwnßsav t¬ç gen-
nßtori, oœ kaì ™ hw® qaumast® kaì tò télov êpéraston, üpò qeoÕ to⁄v qaúmasi
marturoúmenon. Sur Sergios Homologetes, voir encore PmbZ, n° 6665.
8
Ép. 290, p. 125, 41-43 LAOURDAS - WESTERINK: Bían gàr üpéstjmen, kaì ™líkjn
qeóv, ˜ç pánta kaì tà krúƒia peƒanérwtai, aûtòv sunepístatai. Sunesxéqjmen
ãkontev· kakoúrgoiv ÷sa kaqeírxqjmen· êtjroúmeqa ƒulassómenoi.

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LE PROJET PÉDAGOGIQUE DE PHOTIOS 59

On ne verra pas ici une présentation rhétorique des faits. Les actes du
VIIIe concile œcuménique de 879-880 indiquent que les parents de Pho-
tios souffrirent et moururent en effet pour la défense de l’orthodoxie9.
Nous n’avons pas d’autre information sur cet exil, qui ne peut guère
avoir eu lieu sous le règne de Léon V l’Arménien (813-820), quand Théo-
dore Studite fut exilé et que son vieil adversaire, le patriarche Nicéphore Ier,
fut déposé, le 13 ou le 20 mars 81510. Plus vraisemblable est la dernière
persécution lancée contre l’iconodoulie en 837. Toutefois, déjà précé-
demment, le 18 juillet 836, des mesures cruelles et infamantes avaient
été prises contre deux iconodules célèbres, les deux frères Théodore et
Théophane, les «Grapti», qui avaient refusé de se convertir: sur ordre
de l’empereur Théophile, qui, comme eux, se piquait de poésie, l’éparque
fit tatouer sur leur visage douze trimètres iambiques. Par la suite, sans
doute au début de l’année suivante, ils furent, après un séjour en prison,
frappés d’exil11. Photios et les siens furent-ils emprisonnés au même
moment et au cours de la même vague que les «Grapti»?

2. Une carrière officielle

Le synode de mars 843 proclamant le rétablissement des images allait


changer considérablement les données pour les survivants de la famille.
En tout cas, il mit un terme définitif aux rêves de Photios, en l’obligeant
à revêtir des responsabilités au service de l’État12:
Mais me tiraient malgré moi dans un sens contraire des soucis mondains et
des honneurs liés aux charges officielles dont me chargeaient la main de
l’empereur et la volonté impériale.

Plusieurs sources font état des titres que revêtit Photios, au premier rang
des sénateurs13. Parmi les charges qu’il occupa figure celle de prôtasé-
crétis, c’est-à-dire de chef de la chancellerie impériale14.

9
MANSI, Conciliorum collectio, XVII A, col. 460 B.
10
Sur Nicéphore Ier, voir PmbZ, n° 5301; G. OSTROGORSKY, Histoire de l’État byzantin,
Paris, 1956 (trad. J. GOUILLARD), pp. 231-232.
11
PmbZ, n° 7526, avec les notes 17-18.
12
Ép. 289, p. 122, 59-60 LAOURDAS - WESTERINK: ânqe⁄lkon dè kaì m® boulómenon
kosmikaì ƒrontídev kaì politik¬n ziwmátwn timaí, °v êmoì basilik® xeìr kaì
basilikòn êpanetíqei qéljma.
13
MANSI, Conciliorum collectio, XVII A, col. 460 A ên to⁄v prÉtoiv mèn katelé-
geto t±v sugklßtou boul±v; cf. Vie de Joseph l’Hymnographe, 30 [BHG 946], PG 105,
968 D.
14
Anastase le Bibliothécaire, Ép. 5, dans MGH Epp. VII, 5, p. 404, 9 senator saecu-
laris administrationis fungens officio asecretis.

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60 J. SCHAMP

Peut-on dater la promotion de Photios au rang de prôtasécrétis? On


s’y est employé au départ d’un traité qu’il avait rédigé Contre les Mani-
chéens. Dans la première édition, l’ouvrage avait été adressé à un certain
Zélix, qui avait depuis longtemps fait allégeance, sous le nom de
Nicéphore, à l’orthodoxie au moment où fut publiée la seconde édition15.
Or, ce personnage, responsable d’une secte hérétique, les Zéliques, avait
exercé les fonctions de prôtasécrétis. Les notices des chronographes
évoquent en même temps la conversion à l’orthodoxie de l’hérésiarque
et de ses suppôts16. Les dissidents étaient probablement affiliés au groupe
des Manichéens, plus précisément des Pauliciens. Quoi qu’il en soit, le
Canon du patriarche Méthode (843-847) condamne Zélix dans la même
fournée que les trois patriarches du second iconoclasme, Théodotos
Mélissénos (1er avril 815-fin 820 ou janvier 821), Antoine Kassymatas
(24 mars 821-janvier 837) et Jean le Grammairien (sans doute janvier
837-4 mars 843), et que l’économe de la Grande Église (ca. 820/830, puis
rappelé et destitué à plusieurs reprises) Théodoros Krithinos, un icono-
claste irréductible17. La liaison entre eux n’a rien que de logique. Depuis
le premier rétablissement des images en 787, de nombreux iconoclastes
pourchassés cherchaient refuge auprès des Pauliciens. Quand, en 812-813,
des hérétiques, appelés partisans de Constantin V, c’est-à-dire iconoclastes,

15
W. CONUS-WOLSKA, dans C. ASTRUC - W. CONUS-WOLSKA - J. GOUILLARD -
P. LEMERLE - D. PAPACHYSSANTHOU - J. PARAMELLE, Les sources grecques pour l’histoire
des Pauliciens d’Asie Mineure, dans TM, 4 (1970), p. 181, 1-6: ˆEpeidßper, ïer¬n
ândr¬n êrasmiÉtate, tàv dialézeiv ∂xein ©zíwsav aŸ t±v Mánentov mèn paraƒuádov
tò ƒrónjma kataisxúnousi, pálai dè Nikjƒórwç proswmilßqjsan (oΔpw mèn âpò
t±v klßsewv taútjv ginwskoménwç, kaì gàr oûdè t®n pístin ©spáheto Øtiv tòn kós-
mon êníkjsen, ∂ti dè to⁄v t±v âpostasíav leicánoiv êgkalindoúmenov kaì t®n
êke⁄qen efilken prosjgorían, Bérheliv gàr Önomáheto), êpeì oŒn toùv lógouv
êkeínouv eîv graƒ®n ânaljƒqéntav êpehßtjsav, (…) et PmbZ, n° 8642.
16
Théophane Continué, Chronographia, p. 161, 18-162, 2 BEKKER: Kaì ëtéra dé tiv
aÿresiv oÀtw t¬n Hjlíkwn legoménj ânaƒane⁄sa, sùn t¬ç ëaut±v ârxjg¬ç H±li
ônomahoménwç, ƒéronti dè t®n t¬n âsjkrßtwn ên prÉtoiv timßn, êqerapeúqj te
kaì pròv qeosébeian metjnéxqj ên proódwç basilik±Ç, t±v toÕ múrou mónou metà
kain¬n êmƒwtíwn te kaì êsqjmátwn kataziwqéntwn xrísewv t¬n ântipoiouménwn
aût±v, kaì teleiwqéntwn lampr¬v; GÉNÉSIOS, IV, 6, p. 60, 84-88; JEAN SCYLITZÈS,
Michel III, 6). Suivant Génésios, Zélix aurait été simplement ∫nti t¬n basilik¬n ên
prÉtoiv üpograƒéwn. Mais pratiquement, tout comme Jean Scylitzès, il n’apporte rien
de plus que le Théophane Continué. On ne peut, malheureusement, dater l’événement, voir
V. GRUMEL, Les regestes des actes du patriarcat de Constantinople. Vol. I Les actes des
patriarches fasc. II et III Les regestes de 715 à 1206, 2e éd. par J. DARROUZÈS, Paris, 1989,
n° 440 C, pp. 84-85.
17
Pour les textes, voir Vie de Méthode le Patriarche (extrait dans le Thesaurus ortho-
doxae fidei de Nicétas Choniatès), PG 140, coll. 281 D-284 A; Méthode, Canon, PG 99,
coll. 1769 A-D et 1773 A-C; sur ces différents personnages, voir PmbZ respectivement
n° 7954, 550, 3199 et 7675.

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LE PROJET PÉDAGOGIQUE DE PHOTIOS 61

envahirent les rues de Constantinople où ils semèrent le désordre, le


groupe comprenait nombre de Pauliciens18. Photios aurait recueilli la
succession de Zélix en qualité de protasécrétis, après avoir longuement
ferraillé contre les Pauliciens. On est allé jusqu’à en chercher des confir-
mations dans la Bibliothèque elle-même. Le titre complet du Récit que
composa Photios pour accabler les Pauliciens, appelés Manichéens est ên
sunócei dißgjsiv t±v neoƒanoÕv t¬n Manixaíwn ânablastßsewv19.
La métaphore végétale surgit de nouveau dans la lettre d’envoi à Arsé-
nios, l’higoumène de Hiéra, un de ses amis, où Photios évoquait aussi un
mouvement en recrudescence récente (ârtiƒußv)20, puis dans le Cod. 52
de la Bibliothèque, un compte rendu des actes d’un synode tenu à Sidé
pour condamner les Messaliens21:
De même, nous aussi, en écartant voici peu (ãrti) dans la mesure du pos-
sible, d’une erreur pareille des gens qui avaient commencé à la propager,
nous avons vu une abondante pourriture de passions et de vice qui se repais-
sait de leur âme.

On devrait découvrir ici un rappel de la lutte menée par Photios contre


les Pauliciens et contre les disciples de Zélix. En vérité, les locutions
du genre ne manquent pas, y compris dans la correspondance profession-
nelle de Photios22. Toutefois, dans la Bibliothèque, ce dernier a reproduit
ici presque à la lettre, semble-t-il, une phrase de l’original qu’il recen-
sait23. Le procédé est plus que fréquent. De surcroît, si Zélix fut en effet
iconoclaste, son adhésion au paulicianisme est loin d’être avérée24. Par
conséquent, rien n’invite à croire que Photios fait ici un rappel à caractère
autobiographique ni par conséquent qu’il accéda au poste de Zélix immé-
diatement après la chute de ce dernier, que l’on attribue traditionnellement
à l’action du patriarche Méthode. Établir une date est donc impossible

18
Théophane, Chronographia, p. 501, 4-5 et 21-23 DE BOOR; et G. DAGRON, Le chris-
tianisme byzantin du VIIe s. au milieu du XIe siècle, dans J. M. MAYEUR - CH. & L. PIETRI -
A. VAUCHEZ - M. VENARD - G. DAGRON, Histoire du christianisme, 4, Évêques, moines et
empereurs (610-1054), Paris, 1993, pp. 167-240, spécialement pp. 228-229.
19
CONUS-WOLSKA, dans TM, 4 (1970), p. 121.
20
CONUS-WOLSKA, dans TM, 4 (1970), p. 181.
21
Bibliothèque, cod. 52, 13 b 13-16: Üv ofión te ™m⁄n, tinàv t±v toiaútjv plánjv
âpágontev, ãrti blastánein êke⁄qen ârzaménouv, poll®n sjpedóna paq¬n kaì
kakíav tàv êkeínwn cuxàv êpiboskoménjn ëwrákamen.
22
Ép. 2, p. 42, 78 LAOURDAS - WESTERINK, qui date du début de 867. L’expression est
utilisée à propos du manichéisme.
23
J. SCHAMP, Photios historien des lettres. La Bibliothèque et ses notices biogra-
phiques, Paris, 1987, pp. 43-51.
24
P. LEMERLE, L’histoire des Pauliciens d’Asie Mineure d’après les sources grecques,
dans TM, 5 (1973), pp. 42-43.

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62 J. SCHAMP

en raison de la carence des documents; nous ne voyons pas ce qui permet


à G. Dagron d’écrire: «peu après 843» et (il) «succède à un certain
Zélis»25.
Chargé notamment de produire les chrysobulles, le prôtasécrétis était
nécessairement doté d’une solide formation. Dans la famille de Photios
lui-même, Tarasios, qui avait reçu le titre de «consul», avait exercé la
fonction avant de devenir aussi patriarche (780-806)26. L’enseignement
dont il avait bénéficié permettait d’écrire sans solécisme ni barbarisme et
renfermait l’essentiel de ce que l’on apprenait dans les classes depuis
l’Antiquité, y compris l’art de composer des poèmes, trimètres et tétra-
mètres trochaïques ou anapestiques et vers épiques27. Plus tard, suivant le
même Ignace le Diacre, le patriarche Nicéphore, qui fut lui aussi prôtasé-
crétis, eut à assimiler les branches constituant l’êgkúkliov paideía, avec
la tétrade habituelle astronomie, géométrie, arithmétique et musique28.
Par la suite, Nicéphore se familiarisa avec la philosophie, qualifiée de
maîtresse (déspoina) des autres disciplines, dont la Vie offre un aperçu,
probablement prélevé dans la table des matières du manuel utilisé à
l’époque29. L’enseignement de la philosophie aristotélicienne, utilisée de
façon scolastique, a été convoqué pour justifier les images religieuses et
leur culte dans l’Église byzantine30. On en trouve aisément des preuves
dans un traité de Nicéphore lui-même, assez récemment édité31.
À rebours, un des grands intellectuels du IXe s. réputé notamment pour
son habileté à la dialectique, Jean le Grammairien, qui fut patriarche

25
DAGRON, p. 170 et n. 19.
26
Ignace le Diacre, Vie de Tarasios, 6 Evthymiadis: ÊOqen dià pásjv âret±v ödeúsav
aîdo⁄ov parà p¢sin êkríneto, Üv kaì t®n Àpaton âzían kosm±sai kaì pr¬tov
üpograƒeùv t¬n basilik¬n mustjríwn êgkriq±nai kaì ta⁄v t±v êzousíav aûla⁄v,
avec LEMERLE, Premier humanisme, p. 129 et n. 76. Sur Ignace le Diacre, voir PmbZ,
n° 2665.
27
Ignace le Diacre, Vie de Tarasios, 6: diˆ ˜n êsti tò diestramménon îqúnein kaì
barbar¬dev kaì t±Ç glÉssjÇ nomoqete⁄n t®n âkríbeian (…) t±v qúraqen paideíav
tà krátista sullezámenov, voir encore LEMERLE, Premier humanisme, p. 129.
28
Ignace le Diacre, Vie de Nicéphore, p. 144, 6-10 de Boor: ãrti tóte t±v êgkuklíou
paideíav êƒaptoménwç kaì t®n dià xeir¬n kaì mélanov téxnjn ponouménwç. ¨Jiréqj
gàr üpograƒeùv to⁄v t¬n kratoúntwn mustjríoiv üpjretoúmenov, oÀtw gàr parà
t±Ç Aûsonídi dialéktwç tò ˆAsjkrßtjv ∫noma, Ω êpì t¬n mustjríwn meqermjneúes-
qai boúletai.
29
Id., p. 150, 15-p. 151, 13.
30
LEMERLE, Premier humanisme, p. 134.
31
Nicephori Patriarchae Constantinopolitani Refutatio et Eversio Definitionis Synoda-
lis Anni 815, ed. J. FEATHERSTONE (CCSG 33), Turnhout - Leuven, 1997; le traité avait été
traduit avant d’être édité, voir M.-J. MONDZAIN-BAUDINET, Nicéphore. Discours contre les
iconoclastes, Paris, s.d. (1989).

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LE PROJET PÉDAGOGIQUE DE PHOTIOS 63

iconoclaste (21 janvier 837-4 mars 843), montre que la maîtrise de la


logique n’était pas normalement le point fort des contempteurs des
images32. Qu’en fut-il de son neveu, Léon le Mathématicien, le deuxième
grand esprit du siècle, archevêque de Thessalonique, au moins de 840 à
84333? Naturellement, il perdit son siège lors du rétablissement de l’ortho-
doxie iconodule, sans que l’on soit convaincu qu’il eût été vraiment ico-
noclaste. Sous Michel III, il fut engagé à l’initiative du César Bardas pour
enseigner la philosophie, au Palais de la Magnaure, à une date impossible
à préciser. Les titulaires des autres enseignements étaient Théodégios,
pour l’astronomie, Théodore, pour la géométrie, et Kométas, pour la
grammaire34. Des deux premiers, on ne sait rien; seul le troisième a laissé
un nom comme commentateur et peut-être éditeur d’Homère35. Personne
n’évoque pour Léon une accointance quelconque avec l’Organon aristo-
télicien. Les conditions dans lesquelles Léon reçut sa formation laissent
rêveur. La chronique du Théophane Continué36 en offre une description:
Quand il eut réussi à Constantinople les études de grammaire et de poésie,
il se rendit dans l’île d’Andros pour la rhétorique, la philosophie et les
éléments d’arithmétique; en effet, il y avait rencontré un savant et, lorsqu’il

32
LEMERLE, Premier humanisme, p. 146; sur Jean en général, voir pp. 135-147; PmbZ,
n° 3199.
33
Sur le personnage, étude complète dans LEMERLE, Premier humanisme, pp. 148-176;
voir encore PmbZ, n° 4440.
34
Théophane Continué, Chronographia, p. 192, 14-20 BEKKER: kaì nÕn dè êpeì metà
tre⁄v xrónouv (tosoÕtov dè ö t±v toÕ qrónou ântilßcewv xrónov) êk t±v kaqai-
résewv aŒqiv êsxólahen, t±v katà t®n Magnaúran mèn oœtov ¥rxe ƒilosóƒou
sxol±v, ö dè d® toútou ƒoitjt®v Qeódwrov toÕ t±v gewmetríav diaitjtjríou
proñstato, kaì Qeodßgiov toÕ t±v âstronomíav, kaì Komjt¢v t±v tàv ƒwnàv
êzelljnihoúsjv grammatik±v.
35
Anthologia Graeca, XV, 36-37; 40 BECKBY.
36
Théophane Continué, Chronographia, p. 192, 2-13 BEKKER: Üv t®n mèn grammatik®n
kaì poijtik®n katà t®n Kwnstantinoúpolin diatríbwn katÉrqwsen, Åjtorik®n dè
kaì ƒilosoƒían kaì âriqm¬n ânalßceiv katà t®n n±son ‰Andron genómenov· êke⁄se
gár tini soƒ¬ç ândrì êntuxÑn kaì tàv ârxàv mónon kaí tinav lógouv parˆ aûtoÕ
labÉn, êpeì m® ºson êboúleto eÀrisken, t±Ç xérswç taútjv perinost¬n kaì monas-
tßria katalambánwn kaì tàv âpokeiménav bíblouv ânereun¬n te kaì porihómenov,
kaì pròv tàv koruƒàv t¬n ôréwn spoudaióteron taútav êmmelet¬n, pròv tò t±v
gnÉsewv oÀtwv Àcov ânebibáheto, ºte d® kaì kóron sxÑn t¬n maqjmátwn pròv t®n
basileúousan aŒqiv üpéstrecen, tà spérmata t¬n êpistjm¬n ta⁄v t¬n bouloménwn
dianoíaiv kataballómenov. On notera que Léon répond à une question d’un de ses
familiers sur l’origine de son savoir. Il reste que les indications ne sont pas des plus claires.
Les couvents de la peu accueillante Andros furent-ils donc à l’époque des havres ou des
dépôts de la haute culture? On en peut au moins douter. Au demeurant, le document n’est
pas exempt de rhétorique. On notera, par exemple, les jeux de mot ‰Andron et tini soƒ¬ç
ândrì, tàv koruƒàv t¬n ôréwn et tò t±v gnÉsewv Àcov. Ne faut-il pas corriger le
texte, par exemple, en écrivant katà tòn ÷son ân®r genómenov?

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64 J. SCHAMP

eut reçu de lui les principes seulement et quelques leçons, comme il n’y
trouvait pas autant qu’il le souhaitait, ce fut en voyageant dans la partie
intérieure de l’île, en y trouvant des monastères, où il fouilla dans les lîvres
qui y étaient entreposés et qu’il se procura, et en y étudiant à fond au som-
met des montagnes qu’il parvint enfin à la cime de la connaissance; lorsque
dès lors il se fut gorgé de connaissances à satiété, il retourna dans la capitale
où il prodigua les semences des sciences à ceux dont l’intelligence les
voulait.

La notice souligne le médiocre niveau des connaissances que l’on pou-


vait recevoir à Constantinople. Pour en acquérir davantage, il fallait se
déplacer et faire preuve d’initiative personnelle. Clairement, il fallait une
réaction. On vient de voir celle du César Bardas. Peut-on en supposer une
autre, d’inspiration privée?

3. Une carrière de professeur

Même les chroniques les plus hostiles ont gardé des indices de l’activité
de Photios comme enseignant. Devant un moine, des gens prétendirent
avoir entendu Photios réciter lors d’un office, non pas les prières d’usage,
mais des vers païens37. Faut-il voir là une allusion à des compositions
poétiques, notamment en vers anacréontiques? Monté à l’ambon, à un
moment où Constantinople était frappée par un séisme, Photios expliqua
aux fidèles affolés que le phénomène n’était pas dû à un excès de péchés,
mais à des raisons naturelles38. Dans la présentation du pamphlétaire, il
n’y a pas de relation logique entre la mention du phénomène et l’expli-
cation proposée. On n’attribuera pas cette carence au hasard. Les deux
données reflètent les intérêts de Photios tant pour les lettres que pour les
sciences naturelles. Dans sa lettre d’août ou de septembre 861 au pape
Nicolas Ier, Photios rappelle avec nostalgie l’existence qui était la sienne
avant son élévation au patriarcat39:

37
Ps.-Syméon, Chronographia, p. 672, 2-9 BEKKER, voir J. GOUILLARD, Le Photius
du pseudo-Syméon Magistros. Les sous-entendus d’un pamphlet, dans Revue des études
sud-est européennes, 9 (1971), pp. 398-404, surtout p. 400.
38
Ps.-Syméon, Chronographia, p. 673, 9-12 BEKKER.
39
Ép. 290, pp. 125-126, 49-80 LAOURDAS - WESTERINK: ˆEzépeson eîrjnik±v hw±v·
êzépeson galßnjv glukeíav· êzépeson dè kaì dózjv, e÷per tisì kaì kosmik±v
dózjv ∂ƒesiv· êzépeson t±v ƒíljv ™suxíav, t±v kaqar¢v êkeínjv kaì ™dístjv metà
t¬n pljsíon sunousíav, t±v âlúpou kaì âdólou kaì ânepiplßktou sunanastroƒ±v.
(…) ˆAllà p¬v ofión té êstin âdakrutì taÕta parelqe⁄n; o÷koi mèn gàr ménonti ™
xaríessa t¬n ™don¬n periepléketo térciv, t¬n manqanóntwn ör¬nti tòn pónon,
t®n spoud®n t¬n êperwtÉntwn, t®n trib®n t¬n prosdialegoménwn, di’ ˜n ™ pròv
tò m® Å¢çsta parágesqai katartíhetai gnÉmj, t¬n ta⁄v maqjmatika⁄v sxola⁄v

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LE PROJET PÉDAGOGIQUE DE PHOTIOS 65

J’ai quitté une vie paisible, j’ai quitté un calme plein de douceur, j’ai quitté
aussi la célébrité (s’il est permis de s’attacher à la gloire mondaine), j’ai
quitté ma chère tranquillité, cette pure et délicieuse fréquentation de mes
proches, ce commerce exempt de chagrin, de calcul et de reproche (…).
Comment serait-il possible de voir passer tout cela sans gémir? Quand je
restais à la maison, je baignais dans le plus délicieux des plaisirs, à savoir
le zèle de ceux qui s’instruisaient, l’ardeur de ceux qui posaient des ques-
tions, l’entraînement de ceux qui répondaient: ainsi se forme et s’assure le
jugement, chez ceux dont les loisirs studieux aiguisent l’intelligence, ceux
que les méthodes “logiques” mettent sur la voie de la vérité, ceux dont les
saintes écritures dirigent l’esprit vers la piété, fruit suprême de toutes les
autres études. Car c’était un tel chœur qui fréquentait ma maison. Et quand
je sortais pour me rendre, comme c’était fréquent, à la cour impériale,
c’étaient de touchants adieux, et l’on m’invitait à ne pas m’attarder: car
j’avais ce privilège exceptionnel que la durée de ma présence au palais ne
dépendait que de moi. Et quand je revenais, le savant choros qui se tenait
devant ma porte venait à ma rencontre: les uns, ceux à qui leurs mérites
éminents donnaient plus d’assurance qu’aux autres, me reprochaient d’avoir
tant tardé; d’autres se bornaient à me saluer; d’autres encore, à laisser voir
qu’ils m’attendaient avec impatience. Et tout cela rondement, sans intrigues,
sans malice, sans jalousie.

Le mot «choros» était déjà courant chez les sophistes pour désigner la
classe de leurs étudiants. On n’a aucune raison de supposer que Photios
l’avait employé dans un autre sens. Comme P. Lemerle le fait observer
à juste titre40, Photios distingue trois groupes ou trois niveaux d’audi-
teurs: les plus avancés dans la connaissance, qui sont en état de répondre
aux questions des autres, qui sont aussi devenus les intimes de Photios et
peuvent se permettre, quand celui-ci revient du palais, de lui reprocher
d’avoir tant tardé; puis ceux qui questionnent, s’informent, plus jeunes
sans doute ou plus récemment arrivés, moins avancés dans l’intimité de
Photios, qui se bornent à le saluer; enfin les néophytes, qui s’instruisent en

leptunoménwn t®n diánoian, t¬n ta⁄v logika⁄v meqódoiv îxneuóntwn tò âljqév,


t¬n to⁄v qeíoiv logíoiv îqunoménwn tòn noÕn pròv eûsébeian, Ω t¬n ãllwn äpántwn
üpárxei pónwn ö karpóv. ToioÕtov gàr xoròv t±v êm±v oîkíav ¥n ö xoróv. ˆEziónti
dè pálin pròv t®n basíleion pollákiv aûl®n aï propemptßrioi t¬n eûx¬n kaì toÕ
m® bradúnein ™ protropß· ¥n gár moi kaì toÕto gérav âƒwsiwménon êzaíreton,
tò métron ∂xein t®n boúljsin t±v ên to⁄v basileíoiv diatrib±v. ˆEpaniónti dè
pálin prò pul¬n ïstámenov ö soƒòv êke⁄nov üpßnta xoróv· êz ˜n oï mèn ênekáloun
t®n bradut±ta, ofiv kaì qarre⁄n ti t¬n ãllwn pléon di’ üperbol®n âret±v
êkexáristo· tisì dè kaì proseipe⁄n ≠rkei· ãlloiv dè kaì tò de⁄zai mónon ºti
memenßkasi. Kaì toÕto kúklwç êgíneto, oûk êpiboula⁄v luómenon, oû ƒqónwç kop-
tómenon, oûk ôligwríaç marainómenon. La traduction est celle de P. LEMERLE, Premier
humanisme, pp. 197-198; la lettre est déjà évoquée par F. DVORNIK, Le schisme de Photius.
Histoire et légende, Paris, 1950, pp. 145-146.
40
LEMERLE, Premier humanisme, p. 198.

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66 J. SCHAMP

écoutant, sans participer encore eux-mêmes, de même qu’ils ne marquent


que par leur attitude muette l’impatience qu’ils avaient du retour de Pho-
tios. De surcroît, on a l’impression que les préoccupations des uns et des
autres n’étaient pas les mêmes. Si l’on comprend bien, la description est
construite sous la forme d’un chiasme. Dans ce cas, ceux qui sont les plus
avancés s’occupaient des Saintes Écritures; à un niveau inférieur se pré-
sentaient ceux que la logique mettait sur la voie de la vérité; au premier
niveau, on trouvait ceux qui s’appliquaient à des maqjmatikaì sxolaí.
On croit déceler dans la description une structure à trois niveaux: une
formation générale, des études de philosophie, enfin un apprentissage de
l’exégèse sacrée. Les choses ont-elles beaucoup changé depuis? Des pré-
occupations se décèlent à travers l’œuvre même qu’a laissée Photios: elles
respectent probablement le même ordre chronologique. Évidemment,
l’enseignement ici évoqué était dispensé à titre privé. On comprendrait
bien qu’une fois élevé au patriarcat Photios dût renoncer à ses séminaires
et que le César Bardas fût obligé de faire appel à de nouveaux maîtres
logés au palais de la Magnaure, cette fois rémunérés par l’État. Même si
toute preuve fait défaut, la logique suggère que la création de ces chaires
fut postérieure à l’élévation de Photios et antérieure à l’assassinat du
César Bardas, le 21 avril 86641.

4. L’œuvre

À mon sens, l’œuvre reflète pour une bonne part les enseignements dis-
pensés ou organisés par Photios lui-même. Pour le propos qui est le nôtre
aujourd’hui, on peut exclure les homélies, liées exclusivement au versant
ecclésiastique de sa carrière. On y distinguera donc trois grands blocs
d’orientations intellectuelles différentes. Le Lexique est dédié à un certain
Thomas, protospathaire et archôn de Lykostomion, aujourd’hui Périprava
en Roumanie42, que Photios nomme un de ses anciens élèves. À la suite
d’un travail au cours duquel il vient d’offrir le sens de plus de trente mots
ou expressions polysémiques, Photios écrit43:

41
Sur le César Bardas, voir PmbZ, n° 791.
42
PmbZ, n° 8474. On lit en effet (p. 3 Théodoridis) FÉtiov Qwm¢ç prwtospaqaríwç
kaì ãrxonti toÕ Lukostomíou ƒiltátwç maqjt±Ç xaírein.
43
QA 21 p. 71, 132-136 LAOURDAS - WESTERINK: Kaì polústixon ãn tiv âpartísjÇ
bíblon, oûk êán poqen tàv polusßmouv ƒwnàv äpásav perilabe⁄n êqelßsoi
(êrg¬dév te gàr toÕto kaì pljsíon t¬n âneƒíktwn), âll’ êàn eîv πn sunagage⁄n
bouljqeíj tàv êpì pléon t¬n ãllwn sunßqeiv kaì to⁄v lógoiv m¢llon êpipolahoú-
sav· ofia d® kaì ™m⁄n êpráxqj t®n t¬n meirakíwn ™likían, Üv kaì aûtòv o˝sqa,
paralláttousin.

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LE PROJET PÉDAGOGIQUE DE PHOTIOS 67

On ferait un copieux ouvrage en réunissant, non pas tous les mots à sens
multiples, tâche immense et presque impossible, mais les plus courants et
les plus fréquemment employés: ce que j’ai fait, comme tu le sais, lorsque
je sortais de l’adolescence.

L’annotation de L.G.Westerink, qui a été en mesure de collationner le


manuscrit de Zavorda, ne laisse pas place au doute. La source de Photios
pour le passage considéré est bien son propre lexique, et il n’avait pas
en vue un autre ouvrage composé de sa main. L’activité lexicographique
de Photios et de ses élèves a pu se prolonger longtemps. Dans la Biblio-
thèque a pris place une série compacte de recensions portant sur des
lexiques: Photios y invite à composer des travaux du même type. Ainsi,
il suggère, pour des raisons pratiques, de réunir les deux éditions des
Mots attiques d’Aelius Denys d’Halicarnasse44. On retiendra que Photios
n’était sûrement pas homme à négliger une de ses productions person-
nelles. Comme le reste des matières, la lexicographie relevait du projet
intellectuel total qu’était la Bibliothèque. Naturellement, les fiches cor-
respondantes ne pouvaient guère être que des notes d’enregistrement.
La Bibliothèque est le plus vaste monument de critique littéraire du
Moyen-Âge. On a montré que les nombreuses notices biographiques ne
doivent rien à des documents extérieurs aux œuvres ou aux auteurs recen-
sés correspondants. La même conclusion vaut pour les notices sur les
dix orateurs attiques45. La constatation aurait dû inciter à la prudence ceux
qui cherchent le moyen de dater la rédaction de la Bibliothèque en reje-
tant les affirmations de Photios lui-même. Les lettres-préface et postface
ont fait couler de l’encre. Suivant la première, Photios aurait été désigné
pour une ambassade en Orient, chez les «Assyriens». À la demande de
Tarasios, qui souffrait à la perspective de cette séparation, il rédigea des
notices sur les livres lus en l’absence de son frère et les confia à un
secrétaire. La «Bibliothèque» n’aurait pas d’autre origine. On a vainement
tenté d’identifier l’ambassade, que l’on a située tantôt en 838, tantôt en
845, en 851 ou en 856. Jamais le nom de Photios n’est nommé dans les
documents traitant de ces ambassades: «En somme, des hypothèses sur
cette ambassade insaisissable il ne reste sur le terrain qu’un cimetière»46.

44
Bibliothèque, cod. 150, 99 b 38-40. La même remarque vaut pour celui qui réunirait
les deux éditions d’Aelius Denys d’Halicarnasse au Lexique alphabétique de Pausanias
(cod. 153, 100 a 8-12); dans un sens analogue, pour les lexiques de la langue platoni-
cienne, cod. 155, 100 a 21-24 et 151, 99 b 17-19.
45
On se référera sur ce point à deux livres de J. SCHAMP, Photios historien des
lettres…, Paris, 1987 et Les Vies des dix orateurs attiques, Fribourg, 2000.
46
L. CANFORA, Libri e biblioteche, dans Lo spazio letterario della Grecia antica, II,
Le ricezione e l’attualizzazione del testo, Roma, 1995, p. 33.

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68 J. SCHAMP

Ceci dit, sauf interprétation nouvelle, il reste que trois thèses sont en
présence47:
1. La Bibliothèque fut rédigée avant l’ambassade. Les lectures faites par
Photios depuis longtemps en forment la matière48.
2. La Bibliothèque est le fruit des lectures faites au cours de l’ambassade;
Photios se serait fait accompagner par des élèves ou amis constituant
une sorte de société de lecture49.
3. La préface est une supercherie littéraire ou un topos. En fait, la
Bibliothèque serait un «Lebenswerk», ce qui cadrerait bien avec les
dimensions qui sont les siennes.
La seconde thèse est en contradiction avec les données de la préface
et de la postface. On a cherché des arguments probants à l’appui de la
troisième. Elle revient à considérer les deux pièces comme des fictions
littéraires ou des éléments extratextuels. Cette dernière supposition ne
retiendra pas longtemps. Photios ne fut pas le seul à adopter le plan qui
a déconcerté: préface, pinax puis texte. En effet, une autre œuvre de pure
compilation, comme l’Histoire naturelle de Pline offre une disposition
analogue: préface à Vespasien puis pinax, qui forme à lui seul le livre I de
l’ensemble. Il n’en alla pas autrement pour les Nuits attiques d’Aulu-Gelle
(Préf. 25), le Des magistratures de Jean le Lydien ou, aux Xe-XIe s., les
Hymnes de Syméon le Nouveau Théologien. Par conséquent, on ne peut
juger le plan du manuscrit A de la Bibliothèque comme extravagant pour
l’époque, et rien n’oblige à voir dans les pièces qui bardent le corps de la
somme des éléments «extratextuels». Fr. Halkin50 avait cru pouvoir déce-
ler un élément solide, qu’il tirait d’un article antérieur de H. Delehaye.
Photios présente la recension d’une Vie de s. Grégoire le Grand51 en ces

47
R. HENRY, Photius. Bibliothèque, I («codices» 1-84) (Collection Byzantine), Paris,
1959, p. XIX.
48
TREADGOLD, The Nature of the Bibliotheca of Photius, pp. 20-21; SCHAMP, Photios
historien des lettres, pp. 37-39 (avec, p. 37, n. 1, un aperçu de la littérature antérieure).
49
C’est la thèse de A. SEVERYNS, Recherches sur la Chrestomathie de Proclos. Première
partie. Le codex 239 de Photius. Tome II Texte traduction commentaire, Liège - Paris,
1938, pp. 1-3.
50
F. HALKIN, La date de composition de la «Bibliothèque» de Photius remise en
question, dans AB, 81 (1963), pp. 414-417.
51
BHG 1445y, voir Bibliothèque, cod. 252, 466 b 26-28 (R. HENRY, Photius. Biblio-
thèque VII («codices» 246-256) [Collection Byzantine], Paris, 1974, p. 207 apparat
ˆAnegnÉsqj Grjgoríou toÕ dialógou ö bíov oœ ™ ∂kdosiv êklogßn tina ânagráƒei.)
Nous retenons ici le texte donné dans A et dans le Pinax par A et M, à la différence de
R. HENRY, Photius. Bibliothèque VII («codices» 246-256) (Collection Byzantine), Paris,
1974, p. 207, qui avait fait imprimer celui de M, à la suite d’I. Bekker.

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LE PROJET PÉDAGOGIQUE DE PHOTIOS 69

termes: «Lu de Grégoire ‘le Dialogue’ la Vie dont cette publication


transcrit un choix».
H. Delehaye avait montré que la Vie grecque de s. Grégoire le Grand
avait été tirée de la grande Vita latine composée à la demande du pape
Jean VIII par le diacre Jean Hymmonide: commandé le 11 mars 873,
achevé vers 876 dans la langue originale, l’ouvrage traduit n’eût guère
pu parvenir à Photios avant un an au moins52. Les deux épisodes for-
mant la matière du codex en cause répondent d’ailleurs à ceux de la
Vie grecque qui serait donc la source du chapitre de Photios. Partant la
Bibliothèque aurait été rédigée au plus tôt à la fin du second patriarcat
de Photios. La conclusion n’a pas convaincu grand monde53. On peut
supposer a priori que deux Vies du même personnage devraient néces-
sairement mettre en œuvre un matériel identique, voire renfermer des
expressions très voisines. Si Grégoire a réellement reçu comme sur-
nom «Dialogue», il le doit à la notoriété de son œuvre la plus fameuse,
les Dialogues. On a quelques bonnes raisons de croire que c’est bien
l’origine de la Vie recensée au cod. 252: elle a dû accompagner une
édition grecque des Dialogues, sur laquelle Photios nous donne des
informations54:
Entre autres nombreux livres en latin utiles à l’âme, cet admirable Grégoire
a laissé des homélies expliquant les Évangiles; toutefois, ce fut aussi à des
biographies mémorables de personnages italiens, en y mêlant des récits propres
à enseigner les voies du salut, qu’il consacra des études en quatre dialogues.
Mais, depuis cent soixante-cinq ans, ceux qui parlent le latin étaient seuls
à tirer profit de ses travaux. Zacharie, qui fut plus tard, à l’époque susdite,
le successeur de cet homme digne des Apôtres, en étendit la connaissance
et le profit réservés au seul domaine du latin par une traduction en grec,
et il en offrit généreusement tout le bénéfice à la terre entière. Il voua son
travail à tourner en grec non seulement les livres appelés «dialogues», mais
aussi d’autres ouvrages mémorables de lui.

52
SCHAMP, Photios historien des lettres, p. 71.
53
CANFORA, Libri e biblioteche, p. 35.
54
Bibliothèque, cod. 252, 467 a 40-b 14: Oœtov ö qaumásiov Grjgóriov pollàv
mèn kaì ãllav cuxwƒele⁄v t±Ç ¨Rwmaíwn sunetázato bíblouv, ömilíav te tà eûag-
gélia ânaptússwn proswmíljsen· âtàr d® kaì bíouv t¬n katà t®n ˆItalían
âziológouv, kaì dijgßmata swtjrían êkpaideúonta sugkatamízav toútoiv, ên
téssarsi dialógoiv êƒiloponßsato. ˆAllà gàr pénte kaì ëzßkonta kaì ëkatòn
∂tj oï t®n ¨Rwmaíwn ƒwn®n âƒiéntev t±v êk t¬n pónwn aûtoÕ Öƒeleíav mónoi
âpßlauon. Haxaríav dé, Ωv toÕ âpostolikoÕ ândròv êkeínou xrónoiv Àsteron to⁄v
eîrjménoiv katéstj diádoxov, t®n ên t±Ç ¨Rwmaflk±Ç mónjÇ sugkleioménjn gn¬sin
kaì Öƒéleian eîv t®n ¨Elláda gl¬ssan êzaplÉsav koinòn tò kérdov t±Ç oîkoumé-
njÇ pásjÇ ƒilanqrÉpwv êpoißsato. Oû toùv dialógouv dè kalouménouv mónouv,
âllà kaì ãllouv aûtoÕ âziológouv pónouv êzelljnísai ∂rgon ∂qeto.

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70 J. SCHAMP

Autrement, on comprendrait mal l’utilité de cette longue note bio-biblio-


graphique, isolée dans cette petite section de la Bibliothèque. Dans la
tradition latine, les Dialogues de Grégoire sont précédés d’une préface
anonyme où se lisent des chiffres semblables: si les Dialogues sont de
593-594, dates que l’on obtient par de savants rapprochements, le calcul
donne celle de 758 pour la traduction. Si l’on fait entrer en ligne la date
de mort de Zacharie (758), la soustraction donne 587 pour résultat, soit
un terminus ante quem pour la rédaction de l’œuvre. Pour compléter
la présentation des Dialogues, le préfacier de Zacharie a rédigé une bio-
graphie de Grégoire, munie d’un bref dossier sur sa production littéraire.
W.T. Treadgold signale, avec beaucoup de pertinence, que le résumé
grec de la Vie de Jean Hymmonide renferme des latinismes, comme
bestiáriov ou skoutélion, qui ont leur équivalent chez Photios, mais
sous la forme attendue en grec, diakonjsámenov ou pinakískov55.
Ailleurs, quand la langue de ses sources le requiert, ce dernier n’hésite
pas à truffer les recensions de latinismes, ainsi, par exemple, dans le
chapitre réservé à l’historien Olympiodore, que l’on eût dû surnommer
«l’Hérodote du Ve siècle»56. Dès lors, si Photios n’a pas fait de même
dans le cas qui nous occupe, où la chose eût été spécialement bienvenue,
c’est tout simplement que le texte n’y prêtait pas et que par conséquent
il n’avait rien à voir avec la Vie de Jean Hymmonide traduite après 876.
Il ne permet en aucun cas de situer la rédaction de la Bibliothèque dans
la carrière de Photios. Plus tard, Photios sera encore amené à citer
s. Grégoire à propos du Saint-Esprit. Loin de mentionner Jean Hymmo-
nide, Photios s’obstine à citer les Dialogues d’après la version grecque
procurée au temps de Zacharie d’abord dans un fragment de traité Contre
les partisans de la vieille Rome, puis dans la Mystagogie du Saint-Esprit,
le dernier de ses traités57. Écartée l’hypothèse aventureuse de Fr. Halkin,
on se retrouve devant les mêmes incertitudes que précédemment. On a
toutefois continué à essayer de montrer que la lettre-préface de Photios
n’était qu’une fiction. A-t-il jamais existé un «conte de l’ambassade»,
si l’on peut ainsi écrire, en se rapportant à la fameuse Lettre d’Aristée à
Philocrate? Sous diverses formes, le thème de la Lettre d’Aristée a connu
maints avatars qu’a retracés brillamment L. Canfora58. Toutefois, le rapport

55
TREADGOLD, The Nature of the Bibliotheca of Photius, pp. 30-31, avec la n. 44 de
la p. 30.
56
Bibliothèque, cod. 80, voir SCHAMP, Photios historien des lettres, pp. 173-179.
57
Voir respectivement, 11, dans J. HERGENRÖTHER, Photii Constantinopolitani liber de
Spiritus Sancti Mystagogia, Regensburg, 1857, p. 116; et 84, Ibidem, pp. 87-88.
58
L. CANFORA, Il viaggio di Aristea, Bari, 1996, pp. 3-31 (pour l’Antiquité).

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LE PROJET PÉDAGOGIQUE DE PHOTIOS 71

avec l’ambassade à laquelle aurait pris part Photios ne saute pas aux
yeux. Néanmoins, on a essayé de découvrir entre la Lettre à Aristée et
la Bibliothèque des similitudes d’expression significatives. On ne peut
guère monter en épingle que des récurrences d’expression peu mar-
quantes59. J’expliquerai plus loin pourquoi la Bibliothèque et les Lettres
ou les Questions à Amphilochios relèvent au moins pour partie du même
projet pédagogique ou intellectuel. Toujours est-il que l’on ne s’est pas
mis en peine de dénicher des coïncidences d’expression significatives
entre les Lettres ou les Questions à Amphilochios et la Bibliothèque.
Or, il en est une au moins qui vaut son pesant d’or. Une Lettre qui est
aussi une Question à Amphilochios, reproduit un ancien discours rhé-
torique de Photios contre Julien l’Apostat. On y lit60: «Mais pourquoi
diable est-ce à propos de cet enseignement seulement que vous tenez
à faire étalage de votre pénétration dans les raisonnements ainsi que
de la vigoureuse profondeur de votre naturel perspicace (t±v îqubólou
ƒúsewv)». La locution t±v îqubólou ƒúsewv n’est pas attestée ail-
leurs dans la littérature grecque conservée, sauf dans la Vie d’Isidore de
Damascios, le dernier scolarque de l’école néoplatonicienne d’Athènes61.
Par la suite, évidemment, Photios s’évertue à prouver que les leçons de
Julien sont dépourvues de toute pertinence. Or, il avait rassemblé avec
une hâte extrême à la fin de la Bibliothèque une foule de documents qui
n’eussent pas trouvé place ailleurs, ceux justement auxquels appartient
le codex 24262.
La chute du patriarche précédent, Ignace63, eut lieu formellement le
23 octobre 858. Simple laïc, Photios fut élevé au patriarcat le 25 décembre
de la même année. Deux mois s’étaient passés entre les deux événements.
On peut supposer que l’opération n’était pas sans portée politique. Le
Synodicum Vetus signale la tenue dans l’intervalle d’une súnodov qui

59
CANFORA, Libri e biblioteche, pp. 38-40. La coïncidence la moins évanescente est
entre Aristée, 322 sù dé (…) âpéxeiv t®n dißgjsin, √ Filókratev = Bibl. 545, 8-12
sù dé, √ (…) ∂xeiv t®n a÷tjsin t±v êlpídov oû diamartoÕsan. On a trop beau jeu de
souligner qu’il n’y a qu’un seul vocable partiellement commun (âpéxeiv et ∂xeiv).
60
Ép. 187, II, p. 80, 105-106 LAOURDAS - WESTERINK = QA 101: Tí dè kaì êpì mónjv
t±v didaskalíav taútjv tò drimú sou t¬n ênqumjmátwn kaì t±v îqubólou ƒúsewv
tò baqù kaì ∂ntonon êpedeízw;
61
Dans un fragment cité par Photius, Bibliothèque, cod. 242, 346 b 5-6.
62
J. SCHAMP, ‘Vendez vos biens’ (Luc. 12, 33). Remarques sur le Julien de Photios et
la date de composition de la Bibliothèque, dans B. JANSSENS - B. ROOSEN - P. VAN DEUN
(eds.), Philomathestatos. Studies in Greek Patristic and Byzantine Texts Presented to
Jacques Noret for his Sixty-Fifth Birthday (OLA 137), Leuven, 2004, pp. 535-554, surtout
pp. 552-553.
63
PmbZ, n° 2666, p. 175.

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72 J. SCHAMP

se tint au Palais, avec la participation de Photios64. L’élévation de ce


dernier dut être décidée alors. On ne sait s’il eut à fournir un aperçu du
programme qu’il s’engageait à appliquer. Dans la célèbre préface de la
Bibliothèque, Photios use d’une polyptote (t¬ç te koin¬ç t±v presbeíav
… presbeúein ™m¢v). On doit s’y arrêter brièvement pour comprendre.
La locution tò koinòn t±v presbeíav est isolée et ne correspond à
rien de ce que l’on connaît dans les usages diplomatiques ou adminis-
tratifs byzantins. À mon sens, on doit entendre presbeía avec le sens
de «intercession»65. On trouve souvent, au moins pour la Vierge et les
Saints, des intercessions dans les Homélies notamment66. Dans la Vie
de s. Nicolas de Myre67, l’âme du Saint, avec le groupe de celles des
patriarches qu’elle rencontre au ciel, est appelée à intercéder (pres-
beúein) pour tous ceux qui ont la foi. On traduira donc «grâce à l’inter-
cession unanime (des évêques)». À ce compte, il n’y eut jamais d’ambas-
sade68. Une fois patriarche, Photios s’engageait à intercéder (presbeúein)
pour tout le monde chrétien auprès des «Assyriens» pour obtenir leur
conversion. Après tout, il entretenait de bonnes relations avec les occu-
pants du Proche Orient. Beaucoup de livres rarissimes ou perdus dont

64
Synodicon Vetus, 157: OŸ kaì Mixa®l toÕ basiléwv labómenoi t±v kouƒótjtov,
êzelaq±nai toÕ qrónou âkrítwv ârxontik±Ç xeirì tòn patriárxjn ˆIgnátion pares-
keúasan, ên Terebínqwç t±Ç nßswç aûtòn êzorísantev· kaì ên t¬ç palatíwç súnodon
âƒel± poijsámenoi tòn prwtoasjkr±tiv FÉtion ârxierárxjn proexeirísanto,
pollà m® âkousqéntev lógwç paraitßsewv pròv ˆIgnátion presbeusámenoi, voir
J. DUFFY - J. PARKER, The Synodicon Vetus (CFHB 15), Washington, 1979, p. 133.
65
LAMPE, Lexicon, s.v., p. 1128.
66
Photios, Homélies, 2, p. 28, 14-15; 6, p. 73, 9-11; 15, p. 151, 23-24, mais aussi à
propos de patriarches, voir Malalas, p. 417, 17 (à propos d’Éphrem d’Antioche); Théo-
phane, Chronographia, p. 525-526 DE BOOR (à propos d’Euphrasios).
67
54, 18 ANRICH (BHG 1347).
68
Dans les lettres officielles, Photios évoque à plusieurs reprises les événements. Bien
entendu n’apparaît aucune «ambassade» auprès du monde arabe. En revanche, on voit
bien les personnages qui ont pris part à la décision de l’élever au patriarcat, le clergé, les
évêques et les métropolites ainsi, bien entendu, que l’empereur Michel III lui-même, voir
Ép. 288, p. 116, 46-50 LAOURDAS – WESTERINK: ‰Arti toigaroÕn toÕ prò ™m¬n ïera-
teúein laxóntov t±v toiaútjv üpezelqóntov âzíav, oûk o˝d’ ºpwv örmjqéntev êpi-
tíqentaí moi kratai¬v ºsoi te klßrwç kateilegménoi êtúgxanon kaì t¬n êpiskópwn
te kaì mjtropolit¬n tò ãqroisma, kaì pró ge toútwn kaì sùn aûto⁄v ö ƒileuseb®v
kaì ƒilóxristov basileúv (…); 289, p. 122-123, 65-72 LAOURDAS - WESTERINK: ‰Arti
gàr toÕ prò ™m¬n ïerateúein laxóntov t±v toiaútjv âzíav üpekstántov, poiménov
dè pròv äpántwn êpihjtouménou toÕ kaì tà diespasména mélj t±v êkkljsíav
sunácai dunaménou kaì t®n t¬n pragmátwn kateunásai taraxßn—¥san gár, ¥san
poikíloi te kaì pantodapoì katà t®n êkkljsían sáloi kaì klúdwnev—, ø t±v eîv
™m¢v ƒilotímou êpjreíav· t±Ç ™m¬n âsqeneíaç kaì metriótjti º te basileùv aûtòv
kaì ö t¬n ïeréwn êpitíqetai súllogov, âparaitßtwv êkbiahómenoi tòn t±v ârxie-
rwsúnjv hugòn ânadézasqai.

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LE PROJET PÉDAGOGIQUE DE PHOTIOS 73

avait traité la Bibliothèque provenaient probablement de ces régions


converties à l’Islam.
On peut croire qu’une bonne partie des notices de la Bibliothèque ont
fourni de la matière à un enseignement. La somme est dédiée à son frère
Tarasios, qui souhaitait pouvoir disposer des notes de lecture collection-
nées au fil des années. D’après la préface du manuscrit A, elles furent
composées en son absence. Il avait marqué à l’entreprise de son aîné
un vif intérêt, car au moins une fois, à propos des discours d’Himérios
qu’il avait lus d’un bout à l’autre, il avait pris part aux activités du cercle
de lecture69. On décèle donc une petite contradiction entre la préface et
l’indication du cod. 165. Dans un cas, on a l’impression que Photios et
Tarasios s’étaient lancé le pari de dénicher le livre le plus rare. La Théo-
logie arithmétique de Nicomaque de Gérasa, perdue aujourd’hui, répon-
dait assurément à la condition70:
Mais voici donc pour toi, mon très cher frère, sous la forme d’un som-
maire, la célèbre Théologie des nombres de Nicomaque, qui est difficile
à trouver, non pas — j’en atteste la vivacité de votre esprit et votre ardeur
au travail — qu’elle soit un peu, en raison de l’inaccessibilité des matières
et des difficultés qu’il y a à les comprendre, hors des facultés humaines,
car aujourd’hui, en géométrie, en arithmétique et dans les autres sciences
mathématiques, vous le savez bien vous aussi, beaucoup de ceux qui nous
ont connus ont, à un degré non moindre que le fils d’Hermias (tu connais
parfaitement l’habileté d’Ammonios en pareilles matières) le souci de
l’exactitude, et aucun des théorèmes ne saurait échapper à leur compré-
hension parmi ceux que Nicomaque a introduits dans son travail sur les
nombres.

L’œuvre du néopythagoricien comportait deux volets, une Introduction


arithmétique, conservée et largement commentée71, et la Théologie arith-
métique, perdue, et déjà fort difficile à trouver au IXe siècle. La première

69
Bibliothèque, cod. 165, 108 b 28-30: Toútouv o˝mai toùv lógouv mónouv toÕ
soƒistoÕ ¨Imeríou, perí pou o´ ∫ntav, katà próswpon ™m¬n t®n s®n ƒiloponían
ânegnwkénai.
70
Bibliothèque, cod. 187, 145 a 30-40: ˆAllà gàr aÀtj soi, √ ƒíltate âdelƒ¬n,
kaì t¬n Nikomáxou âriqm¬n Üv ên keƒalaíwç ™ poluqrúljtov kaì duseúretov qeo-
logía, oû (mà t®n üm¬n âgxínoian kaì ƒiloponían) dià tò ên aût±Ç dusémbatón te
kaì duskatáljpton mikroÕ t¬n ânqrÉpwn ânakexwrjku⁄a, êpeì nÕn tá te gewme-
trikà kaì âriqmjtikà kaì tãlla t¬n maqjmátwn, Üv kaì sù sunepístasai, polloì
t¬n ™m¢v êgnwkótwn oûk ∂latton, o˝mai, toÕ paidòv ¨Ermeíou (o˝dav pántwv t®n
perì taÕta deziótjta toÕ ˆAmmwníou) diakriboÕsi, kaì oûdèn aûtoùv láqoi ån t¬n
qewrjmátwn, ° sunepeiskukle⁄ Nikómaxov t¬ç perì âriqm¬n pónwç.
71
B. CENTRONE, art. Nicomaque de Gérasa, dans Dictionnaire des philosophes
antiques, IV, p. 687, y compris dans l’école d’Ammonios, sous la plume de Jean Philopon.

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74 J. SCHAMP

servait de propédeutique à l’autre72. Photios connaissait évidemment le


premier livre73:
Il traite, en effet, des nombres de l’unité à la dizaine, mais ce n’est pas comme
dans son traité antérieur, l’Introduction arithmétique, où il passe en revue les
propriétés naturelles des nombres qui nécessitent un examen sérieux.

On doit supposer que Tarasios, probablement son puîné74, le connaissait


aussi, autrement on s’expliquerait mal qu’il se fût inquiété de la carence
devant son frère75. Gentiment, ce dernier lui reconnaît de belles facultés
intellectuelles. Tarasios eût-il eu l’ouvrage entre les mains qu’il eût été
parfaitement capable d’en exploiter la substance. D’ailleurs, Tarasios et
lui ont eu parmi leurs connaissances de jeunes intellectuels dont les apti-
tudes ne le cédaient en rien à celles d’Ammonios. Le personnage visé
n’est évidemment autre qu’Ammonios d’Alexandrie, dont Photios et
Tarasios connaissaient fort bien les textes. Mêlées à celles d’Ammonios,
des scolies de la plume de Photios accompagnent le texte de l’Isagôgé
de Porphyre dans le Monacensis 222, un papier oriental du XIIIe s.76 On
peut supposer qu’Ammonios avait annoté un exemplaire du bref traité qui
passa par la suite entre les mains de Photios. L’impression qu’engendre
la lecture, c’est que ce dernier en a rédigé une sorte d’abrégé. Tarasios
appartenait donc au cercle devant lequel Photios lisait ou expliquait des
traités d’Ammonios et de Nicomaque. À un chrétien aussi convaincu que
Photios, on ne pouvait guère demander une appréciation très favorable
sur la Théologie arithmétique. C’est par un coup de pied de l’âne qu’il
termine le chapitre, non sans quelque orgueil77:
72
D.J. O’MEARA, Pythagoras revived. Mathematics and Philosophy in Late Antiquity,
Oxford3, 1992, p. 19.
73
Bibliothèque, cod. 187, 142 b 21-24: Dialambánei mèn gàr perì t¬n âpò monádov
méxri dekádov âriqm¬n, oûx ¿sper ên t±Ç âriqmjtik±Ç aûtoÕ kaì prò taútjv
eîsagwg±Ç, ºsa to⁄v âriqmo⁄v ƒúsei prósesti kaì qewríav ∂xetai spoudaíav die-
ziÉn. La traduction est celle de R. HENRY, Photius. Bibliothèque, III («codices» 186-222)
(Collection Byzantine), Paris, 1960, p. 40.
74
Voir PmbZ, n° 7237: «Angesichts der herausragenden Stellung und des Vermögens
seiner Familie wie auch aufgrund der außergewöhnlichen Gelehrsamkeit seines Bruders
Photios ist zweifellos anzunehmen, daß T. in seiner Kindheit eine exzellente Ausbildung
erhielt».
75
Bibliothèque, cod. 187, 145 b 1-3: ˆAllà póqen; êspánisen ö xrónov, o˝mai, kaì
tò m® ƒeídesqai t¬n xrjsímwn êk toÕ Å¢çsta tà ãxrjsta ƒqeírein ∂qov ∂labe
méga kaì ãmaxon krátov.
76
On peut les lire dans J. HERGENRÖTHER, Monumenta graeca ad Photium ejusque
historiam pertinentia, Regensburg, 1869, pp. 12-18 et, plus commodément, dans l’édition
de A. BUSSE (Commentaria in Aristotelem Graeca IV, 3), Berlin, 1899, pp. XXI-XXIII.
77
Bibliothèque, cod. 187, 145 b 3-7: kaì êkérdanen ån kaì ™ Nikomáxou spoud®
tò metà poll¬n xrjsímwn mikroÕ nomíhesqai dieƒqárqai. ˆAll’ ∂sti kaì práttetai,

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LE PROJET PÉDAGOGIQUE DE PHOTIOS 75

Et c’eût été tout bénéfice aussi pour l’œuvre de Nicomaque si l’on croyait
que c’était avec beaucoup d’œuvres utiles qu’elle avait été à deux doigts de
disparaître. Mais elle est là, et elle se fait un renom qui n’est pas médiocre,
comme tu le vois et comme tu le verras, je le sais, plus clairement encore,
même raccourcie.

Dans les recherches sur la composition de la Bibliothèque, le nom de


Tarasios n’apparaît pratiquement jamais qu’à propos de la préface et de
la postface. Tout suggère une intervention nettement plus importante.
Ainsi s’expliquerait le fameux «cercle de lecture» sur lequel L. Canfora
est revenu voici peu78. Comme il l’a rappelé, Anastase le Bibliothécaire
fait allusion à ce cercle déjà signalé plus haut à propos d’Ép. 29079. À mon
sens, l’élévation au patriarcat en a brisé net les activités. Continuer à
expliquer en grand nombre des auteurs païens revenait pour Photios à
tendre à ses adversaires les armes qu’ils attendaient pour l’abattre80. Il lui
restait à trouver d’autres moyens de continuer à communiquer son
immense savoir. Ce fut l’objet, au moins en partie, de l’ensemble Épîtres-
QA. Tout imprégnée qu’elle est d’érudition, l’œuvre de Photios est celle
d’un professeur et d’un lettré, en aucun cas celle d’un encyclopédiste.

oûk ôlígjn dózan, Üv ör¢çv kaí, o˝da, ∫cei saƒésteron, âpokeiraménj. On a ici un
des très rares passages de la Bibliothèque où Photios ouvre son cœur. Aussi ne faut-il pas
dénaturer son témoignage. Au début de 187, la formule d’introduction usuelle n’est pas,
à mon sens, ânegnÉsqj, forme banalisante donnée par le manuscrit M, mais ânégnwn,
qui se lit dans A, un copiste qui n’a rien d’un savant capable de corriger de chic. Malheureu-
sement, R. HENRY, Photius. Bibliothèque, III («codices» 186-222) (Collection Byzantine),
Paris, 1960, p. 40, que l’on corrigera sur ce point, adopte la leçon de M.
78
L. CANFORA, Il ‘reading circle’ intorno a Fozio, dans Byz, 68 (1998), pp. 222-223.
79
MANSI, Conciliorum collectio, XVI, col. 165 ad herentes sibi clientes ad discendam
sapientiam.
80
SCHAMP, ‘Vendez vos biens’, p. 554, n. 58.

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