Download as pdf or txt
Download as pdf or txt
You are on page 1of 114

University of Montana

ScholarWorks at University of Montana

Graduate Student Theses, Dissertations, & Graduate School


Professional Papers

1995

Ecriture violente ou violence culturelle| Une lecture de Les soleils


des inde dendances & Monne, outrages et defis de Ahmadou
Kourouma
Koffi H. Lamewona
The University of Montana

Follow this and additional works at: https://scholarworks.umt.edu/etd


Let us know how access to this document benefits you.

Recommended Citation
Lamewona, Koffi H., "Ecriture violente ou violence culturelle| Une lecture de Les soleils des inde
dendances & Monne, outrages et defis de Ahmadou Kourouma" (1995). Graduate Student Theses,
Dissertations, & Professional Papers. 2141.
https://scholarworks.umt.edu/etd/2141

This Thesis is brought to you for free and open access by the Graduate School at ScholarWorks at University of
Montana. It has been accepted for inclusion in Graduate Student Theses, Dissertations, & Professional Papers by an
authorized administrator of ScholarWorks at University of Montana. For more information, please contact
scholarworks@mso.umt.edu.
m

Maureen and Mike


MANSFIELD LIBRARY

The University of IVIONTANA

Permission is granted by the author to reproduce this material in its entirety,


provided that this material is used for scholarly purposes and is properly cited in
published works and reports.

** Please check "Yes" or "No" and provide signature **

Yes, I grant permission


No, I do not grant permission

Author's Signature

Date

Any copying for commercial purposes or financial gain may be undertaken only with
tlie author's explicit consent.
Ecriture Violente ou Violence Culturelle:

Une Lecture de

Les Soleils des Indépendances &

Monnè. Outrages et Défis de

Àhmadou Kourouma

by

Koffi H Lamewona

Licence ès-Lettres. Université du Bénin (Lomé-Togo), 1989

Diplôme d'Etudes en Sciences de l'Education

Institut National des Sciences de l'Education (INSE),

Université du Bénin, 1989

presented in partial fulfillment of the requirements

for the degree of

Master of Arts

The University of Montana

1995

Approved by

Chairperson ^

Dean, Graduate School

iOj
Date
UMI Number: EP35401

All rights reserved

INFORMATION TO ALL USERS


The quality of this reproduction is dependent upon the quality of the copy submitted.

In the unlikely event that the author did not sen d a com plete m anuscript
and there are missing pages, th ese will be noted. Also, if material had to be rem oved,
a note will indicate the deletion.

UMT
OwMtrtttkmPuHiaMng

UMI EP35401
Published by ProQ uest LLC (2012). Copyright in the Dissertation held by the Author.
Microform Edition © ProQ uest LLC.
All rights reserved. This work is protected against
unauthorized copying under Title 17, United S ta te s Code

ProQ uest LLC.


789 East Eisenhow er Parkway
P.O. Box 1346
Ann Arbor, Ml 48106 -1 3 4 6
Lamewona, Koffi H., M.À., Août 1995 Français

Ecriture Violente ou Violence Culturelle: Une Lecture de


Les Soleils des Indépendances & Monnè. Outrages et Défis
de Ahmadou Kourouma

Directeur de Mémoire: Christopher Anderson, Ph.D

Après les indépendances politiques, les peuples jadis colonisés


se sont retrouvés héritiers, nantis de langues étrangères
européennes, langues de "civilisation" et d'éducation. C'est le cas
du français dans les pays africains comme la Côte d'ivoire en
Afrique de l'Ouest d'où Ahmadou Kourouma est originaire. Cette
thèse traite d'une manière générale, la philosophie et l'écriture
littéraires d'Ahmadou Kourouma dans ses deux romans. L'oeuvre de
Kourouma est considérée comme une solution aux multiples problèmes
de la francophonie qui tend à une "balkanisation linguistique".
Elle aboutit aujourd'hui à un français pluriel ou à des français
régionaux périphériques.
Le premier chapitre replace l'oeuvre dans son contexte socio-
historique où la religion domine la vie quotidienne des peuples du
Horodougou et de Soba. La religion musulmane qui a d'énormes
influences sur les populations est en symbiose avec la religion
traditionnelle africaine. Cette situation ouvre la voix à une
croyance polythéiste, à un syncrétisme religieux au quotidien dans
la société malinké.
Dans le second chapitre, on assiste à une "malinkisation" du
français. Selon l'auteur, la langue permet de communiquer, de
transmettre des messages et de se retrouver soi-même. Elle doit
être en mesure de répondre aux exigences et besoins des populations
héritières et surtout exprimer leur conscience. Ainsi naît la
nécessité d'africaniser la langue classique française, de l'adapter
aux réalités africaines et à la tradition séculaire de l'oralité
africaine.
Dans le troisième chapitre, les procédés d'africanisation et de
transformation de la langue française "violentent" cette dernière
en la soumettant aux structures du Malinké. Ce chapitre explique la
possibilité d'une différenciation entre "une bonne violence" et
"une mauvaise violence" et analyse la violence culturelle et la
violence de l'écriture. Enfin, dans le quatrième chapitre, il se
révèle un devoir impérieux de montrer l'humanisme qui motive toute
l'entreprise romanesque d'Ahmadou Kourouma.

11
Table d es M a t i è r e s

I n t r o d u c t i o n .......................................................... 1

Chapitre I: La P l a c e de l'Islam da ns les R o m a n s

de K o u r o u m a ........................................................... 8

Chapitre II: La P h i l o s o p h i e Littéraire de K o u r o u m a et la

<<malinkisation>> du F r a n ç a i s : Usage d e s P r o v e r b e s ......... 32

Chapitre III: Culture et V i o l e n c e .............................. 56

Chapitre IV: L'Humanisme dans les O e u v r e s de K o u r o u m a ....88

C o n c l u s i o n ........................................................... 97

Note Biographique s u r A h m a d o u K o u r o u m a ........................ 99

B i b l i o g r a p h i e .......................................................102

111
INTRODUCTION

L'histoire de l'Afrique a pris u ne tournure déviée il y

a plusieurs siècles, lorsque l'Europe Occidentale a senti le

besoin de porter vers d'autres peuples du m on d e, ses visées

expansionnistes et colonisatrices. Le colon européen ayant

bénéficié de la c o m p l i c i t é de certain a f r i c a i n s va s o u m e t t r e

le c o n t i n e n t noir à l'esclavage et à la c o l o n i s a t i o n . C'est

ainsi que l'Afrique s'est retrouvée amputée de s e s b ra s

valides, arrachés de l eu r sol pour de s destinations

initialement inconnues de s Amériques et l'Archipel des

Caraïbes. Avec l'établissement des premières églises et

écoles, furent formés les p r e m i e r s lettrés noirs à l ' éc ol e

occidentale (par l'administration coloniale française v er s

la fin du dix-neuvième et à l'orée du v i n g t i è m e s i è c l e ) . Ces

premiers lettrés furent généralement d es enseignants et des

commis d'administration. C'est u ne situation qui était

courante dans les colonies françaises dont le Togo. La

politique coloniale f ut basée sur l'assimilation totale et

complète de la culture française ramenée à son plus grand

commun dénominateur, la langue française, seul moyen

d'expression par excellence de c i v i l i s a t i o n et d ' é d u c a t i o n

dans les c o l o n i e s . Force nous es t non s e u l e m e n t de c o n s t a t e r

mais de n o u s rendre compte de l'énorme et important système

1
2

d'éducation orale africaine, toute une source de

connaissance encyclopédique. Ce fut un système, une é c ol e

d'initiation, d'information et de formation aux croyances et

pratiques traditionnelles avant l'avènement de la

colonisation et de la littérature classique européenne:

l'âge du document é c r it , la littérature é c r i te . Cette

littérature écrite, reconnaissons-le tous, nonobstant une

perte graduelle de s o n importance, de s a v i v a c i t é et de s on

prestige d'antan (n o n seulement en Afrique mais dans

n'importe quelle société à tradition orale dans le m o n d e ) , à

cause de s o n m a n q u e d 'i m m o r t a l i s a t i o n et de matérialisation

en écrit e st finalement appelée à f ai r e des concessions ave c

le classique européen. Les efforts conjugués d es romanciers

et conteurs africains ont favorisé une interaction avec la

littérature écrite afin d'éviter un blocage dans un

développement de s c i s s i p a r i t é . L'exemple des é c r i v a i n s c o mm e

L. S. Senghor, qui ont participé et c o n t i n u e n t de p a r t i c i p e r

â un esprit religieux africain t om b e à p o i n t nommé. C es

derniers, formés à l'école occidentale ont lutté pou r

l'affirmation de l'identité culturelle du Noir et la

reconnaissance de la t r a d i t i o n orale q ui fut et d e m e u r e la

forme d'expression littéraire par excellence sur le

continent africain.

Avec l'instruction et la f o r m a t i o n des premiers cadres

africains, naissait virtuellement et de façon latente, une

littérature écrite noire, et da n s ce cas pré ci s, une


3

littérature africaine d'expression française proprement

dite. Elle fut généralement précédée soit par d es comptes

rendus de v o y a g e u r s et d'aventuriers européens passionnés

p ar les traditions africaines, d'ethnologues et

d'anthropologues engagés à faire comprendre au p u b l i c plutôt

européen, la vie en A f r i q u e , soit par u ne m i s e en v a l e u r de

la littérature orale africaine (contes populaires, fables,

légendes etc), par d es enseignants africains et des

administrateurs français.

Nous citerons quelques exemples dont François-Victor

Equibecq, qui écrivit en 1913, un recueil de Contes

Indiqènes de l'Ouest A f r i c a i n Francophone de 2 7 5 contes

regroupés en trois volumes. Robert Cornevin a pu é c r i r e da n s

la r e v u e France Eurafrique de février 1967: <<En étudiant

les travaux de ce t homme cultivé et passionné po u r les

traditions africaines, on ne peut qu'admirer les s o m m e t s

auxquels il e s t parvenu d'un seul c o u p >> . Viennent a u ss i des

recueils, de quatorze légendes de D u p u i s-Y a k o u b a 1 90 7- 19 0 9,

de Lanrezac Essai sur le F o l k l o r e du Soudan. Légendes

S o u d a n a i s e s . de Zeltner en 1913, 48 pièces dont 17 légendes

et Louis Tauxier dans la p a r t i e culturelle de s o n livre: Le

Noir du V a t e n g a (1 917). ( P a g e ar d , 10).

L'exposition d'Art Nègre, surtout plastique à Paris en

1905 s u s c i t a plus d'intérêt et fut un coup de p o u c e po ur

l'art et la littérature nègres. Le p r o c e s s u s de c r é a t i o n

artistique et littéraire, inséparable du c o m b a t politique, a


4

très tôt adopté une attitude de révolte et une e x p r e s s i o n

révolutionnaire à l'instar de la révolution surréaliste des

années 1930. Les N o i r s dans leu r combat p ou r la liberté,

sont parvenus à s'approprier les m o y e n s d'expression des

Blancs.

La participation du N o i r , des tirailleurs africains en

général, au c o u r s de la p r e m i è r e et s u r t o u t de la d e u x i è m e

guerre mondiale aux côtés d es européens, à leur retour en

Afrique, donna l ie u à un éveil des n a t i on al i sm es a f r i c a in s .

Ces nationalismes furent porteurs des germes destructeurs de

la c o l o n i s a t i o n q ui finalement, aboutirent à l'indépendance

massive des années 1960.

Compte tenu d es nouvelles réalités et des n o u v e l l e s

conditions sociales, économiques, politiques, culturelles et

historiques, la c r é a t i o n artistique et s u r t o u t l it t ér a ir e,

devint t rè s prolifique. Depuis le début de ce siècle

jusqu'après la deuxième guerre mondiale, vers les années

1960, l'Afrique a connu une première vague ou une p r e m i è r e

génération d'écrivains: conteurs et m ê m e d es romanciers. La

deuxième vague d'écrivains africains de littérature

d'expression française vint après les indépendances en 1960

avec C ha r l e s Nok an (compatriote de K o u r o u m a ) , Francis Bebey

(qui gagna le grand prix du roman de l'Afrique Noire en

1967) et N a z i B on i . Il y eut une interruption dans la

création littéraire qui occasionna un s i l e n c e dû en p a r t i e

aux nouvelles responsabilités politiques d es élites à la


5

tête de leurs nouveaux états indépendants. A c es él it es ,

revient la d o u b l e responsabilité littéraire et p o l i t i q u e .

Ces lourdes responsabilités politiques et civiques

1' e m p o r t è r e n t sur les devoirs d'écrivains aux premières

heures des indépendances et forcèrent ces derniers â

s'occuper plutôt des problèmes politiques de leurs jeunes

nations. On assiste donc à un abandon partiel ou t o t a l des

responsabilités littéraires qui explique le manque et le

silence littéraires de la première décennie après les

indépendances. Ahmadou Kourouma et Y a m b o O u o l o g u e m v i e n d r o n t

en 19 6 8 m e t t r e fi n à cette période p eu productive par leurs

oeuvres respectives; Les S o l e i l s des Indépendances et D e v o i r

de V i o l e n c e . C'est le d é b u t d'une nouvelle ère dans la

littérature africaine d'expression française a ve c l'octroi

massif des indépendances politiques aux pays a f r i c a in s .

L'Afrique, sa destinée en main et prise au p i è g e d 'u n

conflit latent à l'intersection du modernisme et de la

tradition, va faire face non seulement aux inextricables

problèmes sociaux, culturels, économiques et p o l i t i q u e s m a i s

aussi aux problèmes de développement et de b i e n - ê t r e s o c i a l

de s e s populations.

Cette étude:"Ecriture Violente ou Violence Culturelle"

nous permettra de faire un tour dans le labyrinthe de

thèmes q ue représente l'oeuvre de K o u r o u m a , qui d e p u i s les

années 1 97 0 a opéré une percée d an s le m o n d e littéraire

noir d'expression française, particulièrement en A f r i q u e .


6

Son premier roman, Les So l e i l s d es Indépendances a reç u le

prix de la F r a n c i t é , organisé par Le C o m i t é International de

la F r a n c o p h o n i e au C a n a d a en 1968 puis vendu aux Editions du

Seuil q ui s e charge désormais de la p u b l i c a t i o n . Il s e r a

suivi en 19 9 0 de M o n n è , Outrages et D é f i s (qui est aussi

publié chez Seuil) et fera de Ahmadou Kourouma l'un des

pionniers de "l'authenticité romanesque" selon l'expression

de Evelyne Lavergne (E t h i o p i a u e s . 72). Il a aussi à s on

a c t if , une pièce théâtrale (inédite): Touqnantigui ou le

Diseur de Vérité. q ui a été j o u é e en D é c e m b r e 1972 à

Abidjan, puis censurée au bout de deux ou t ro i s

représentations. C'est un écrivain de la période pos t

coloniale qui m a r qu e le début d'une è re littéraire nouvelle

et la d e u x i è m e génération de romanciers africains.

Tour à tour nous allons replacer l'oeuvre d an s son

contexte spatial, temporel, historique et religieux qui

demeure la base socio-culturelle et politique, la pierre

angulaire sur laquelle repose la création de K o u r o u m a .

Ensuite nous essayerons de pénétrer l'exubérance d an s

l'usage p ar Kourouma de la fusion d es c o n t e s et des

proverbes malinkés qui donnent à l'oeuvre son authenticité,

lia su dompter de façon unique orné de M a l i n k é , la langu e

française comme l'outil linguistique de son expression

romanesque: c'est un phénomène singulier de la r é a l i t é post

coloniale. Beaucoup d'écrivains comme Francis Bebey dans Le

Fils d'Aoatha Moudio et Birago Diop da n s L es Contes


7

d'Ahmadou Koumba sont de talentueux conteurs qui re nd e nt

dans les dialogues l'oralité africaine. Mais il faut

reconnaître q ue l'entreprise stylistique et linguistique de

Kourouma reste un p h é n o m è n e unique q ui m a r q u e le d é bu t d' u n

mouvement littéraire francophone.

L es A f r i c a i n s , ayant adopté le f r a n ç a i s , doivent

maintenant l'adapter et le c h a n g e r pour s'y trouver à

l' ai se , ils y introduiront d e s m ot s , des expressions,

u ne syntaxe, un rythme n o u v e a u ...C 'e st ce que v on t

faire et font déjà les A f r i c a i n s du f r anç ais . Si on

parle de moi, c'est parce que je suis l'un des

initiateurs de ce m o u v e m e n t ) ) (D i a g o n a l e s # 7, 6).

L'enracinement profond dans son Malinké n a t a l n ou s

amène à nous de ma nd e r si l'oeuvre de ce dernier est une

représentation de la g e n è s e tellurique de la c u l t u r e M a l i n k é

ou une peinture d es violences coloniale et culturelle. Il

n'en demeure pas mo i n s vrai que l'oeuvre de K o u r o u m a , malgré

ses débuts difficiles d'acceptation dans le m o n d e et le

marché littéraires nous procure d es qualités humanisantes,

et ce faisant, nous lancera dans un d é b a t b i e n m é r i t é s ur le

bien fondé et les raisons profondes de l'aventure romanesque

d'Ahmadou Kourouma depuis les années 1970.


CHAPITRE I

LA PLACE DE L'ISLAM DANS LES ROMANS DE KOUROUMA

A/ Rappel historique

L'infiltration de l'Islam, particulièrement en A f r i q u e

de l'Ouest depuis le n e u v i è m e siècle, sa l o ng ue présence de

plus d'une dizaine de siècles au Sud du S a h ar a , sa

popularisation et sa f l e x i bi li t é surtout, nous donne une

idé e s u r s o n importance et l'importance de s o n implantation.

L'histoire nous apprend que les Berbères furent les

porteurs et propagateurs de la n o u v e l l e religion musulmane,

q ui l'en introduisirent par les r iv e s des fleuves Niger et

Sénégal en provenance du Maghreb. Il existait dé j à à ce

neuvième siècle, un commerce transsaharien doublé de

relations politiques et m i l i t a i r e s , faisant u ne trilogie des

villes de T o m b o u c t o u , Gao et D j é n n é . La v i t a l i t é de l'Islam

était donc incontestable. De ces centres intellectuels et

religieux s'imposèrent les puissants empires soudano-

occidentaux du G h a n a , du M a l i et du S o n g h a ï par d e s g u e r r e s

saintes ou d'expansion comme le c as de Q u s m a n e D a n Fodio au

Nigéria et El H a d j Omar dans le S o u d a n . (M u s l i m Families,

563). La p r o g r e s s i o n de l'Islam a continué jusqu'au dix-

neuvième siècle. L'Islam de n o s jours en Afrique, couvre

8
9

toute la région soudano-sahélienne et les z o n e s tropicale et

orientale de l'Afrique, faites de c i v i l i s a t i o n s disparates.

Aujourd'hui l'Islam est la religion d'Etat de la R é p u b l i q u e

Islamique de la Mauritanie, la religion de la grande

majorité au S é n é g a l en G a m b i e , au Mali, en G u i n é e , au Tcha d,

au Soudan, en S o m a l i e , à Djibouti et d a n s les Iles C o m o r es .

Au N i g é r i a et en E t h i o p i e , il représente presque la m o i t i é

de la p o p u l a t i o n . Mais ailleurs, en A f r i q u e orientale et

dans les p a y s du Golfe du B é n i n , il r e p r é s e n t e la m i n o r i t é

comme au Togo (la religion animiste, religion l o ca l e fait

5 0% de la population, la religion chrétienne 30% et la

religion musulmane 10% (The United States Department of

State, Bureau of Public Affairs, Office of Public

Communication, Washington D.C, February 1990)) et en C ô t e

d'ivoire.

8/ L'importance de l'Islam dans

L es S o l e i l s des Indépendances & M o nn è . Outrages et D é f i s

L es civilisations disparates des p e u p l e s m a n d i n g u e s en

l'occurrence les peuples malinkés, to u t comme plusieurs

autres peuples en A f r i q u e et plus particulièrement au s u d du

Sahara ont permis u ne tolérance religieuse. Elle favorisa à

son tour une interaction et une interpénétration de la

religion traditionnelle animiste et de la religion


10

musulmane. Dans la plupart des cas, on note une

complémentarité religieuse ou un polythéisme du p e u p l e comme

on le t r o u v e dans les romans de K o u r o u m a . Ce qui fait que

l'Islam en Afrique de l'Ouest est différent de l'Islam

berbère original. C'est donc un Islam adapté à ce m i l i e u et

forcé à coexister avec les pratiques et religions

traditionnelles même s'il e st arrivé à s'établir comme une

religion d'Etat. Le n o m de A l l a h est o m n i p r é s e n t . De la m ê m e

manière, la religion traditionnelle animiste, basée sur le

culte des ancêtres e st respectée. Toutes les fois que les

choses ne semblent pas marcher du cô t é des m è n e s des

ancêtres, on tourne vers Allah et vice ver sa. Kourouma

démontre la réalité d'une croyance polythéiste des peuples

de Soba. C'est un e x e m p l e q ui d ' a i l l e u r s se retrouve un peu

partout en A f r i q u e de l'Ouest et qu'on v o i t se manifester

dans ce roman: <<Puisque les m è n e s d es a ïe u x se montrent

incapables de n o u s accorder ce q ue n o u s voulons, demandons-

le à Allah. J'ordonne à tout le m o n d e de p r i e r le T o u t -

P u i s s a n t ... ou nous m o u r r o n s tous de p r i è r e . .. . T o u t le m o n d e

pria>> (M o n n è . 14). Cela confirme la réalité d'une

succession, d'une intervention ou d ' u n e interchangeabilité

divine dans les a f f a i r e s d es Malinkés. Nous voyons ici

s'infiltrer le problème de la violence, résultante d'un

désir de plaire aux dieux et d'une peur de l'offense du

sacré. Cette violence peut être aussi engendrée p ar la

satisfaction ou la non satisfaction aux besoins des


11

habitants de So ba . Une rivalité et u ne compétition

s'installent entre les d i eu x . Il y a lieu de m e n t i o n n e r

aussi d'autres formes de v i o l e n c e nées de la c o l o n i s a t i o n et

qui ont servi d'une manière ou d'une autre comme méthode

d'administration des colonies. Il n'en demeure pas moins

vrai qu'il existe des caractéristiques physiques et

géographiques, qui, additionnées à l'évolution des

principaux personnages dans les d eu x roma ns , déterminent une

omniprésence religieuse de l'Islam.

1/ Les Soleils des Indépendances

Dans les Soleils d es Indépendances. Kourouma fait

mention à maintes reprises d'une r é p u b l i q u e des Ebè ne s, de

Togobala en République Socialiste du Nikinaï. Il faut

rappeler au passage que T o g o b a l a est une communauté r u ra le

musulmane q ui existe toujours en G u i n é e et d e m e u r e le c e n t r e

coutumier du Horodougou. Horodougou en l a n gu e m a l i n k é veu t

dire pays de la k o l a et était avant la colonisation, un

royaume dirigé par la d y n a s t i e des Doumbouya. Dans ce roman

donc, l'option et les p r a t i q u e s musulmanes de F a m a et des

communautés malinkés de la capitale et du v i l l a g e nou s

montrent l'établissement lointain de l ' I s l a m da n s ce m i l i e u

longtemps dirigé pa r d es princes musulmans. Cela revient à

dire q ue to u t prince Doumbouya, tout comme Fama, est

musulman et la tradition islamique séculaire du H o r o d o u g o u


12

reste intacte (musulmane). Il en va de même p ou r les

communautés malinkés et m u s u l m a n e s de la capitale, bref du

Horodougou. Il f a u t peut-être rappeler q ue Fama était le

dernier et légitime prince qui échoua lamentablement à sa

succession aux destinées du Horodougou. Ce fut une

destitution manigancée par le Commandant du H o r o d o u g o u en

conflit avec Fama (en plus des multiples sacrifices de

Lacina pour prendre la s u c c e s s i o n royale de la d y n a s t i e à la

place de Fama) au profit du c o u s i n lointain de ce derni er ,

Lacina. L es indépendances et le p a r t i unique ont finalement

<<destitué, honni et réduit le c o u s i n Lacina à quelque c ho s e

q ui ne vaut pas plus que les chiures d'un charognard>>

(L e s S o l e i l s . 22).

Comme dans nombres de pays africains et à t it r e

informatif, géographiquement, le Horodougou après la

colonisation s'est retrouvé artificiellement divisé do n t une

partie dans l'actuelle Guinée et une autre partie dans la

Côte d'ivoire indépendante (actuelle).

Les indépendances ayant cassé le n é g o c e de F a m a et

l'ayant forcé en e x i l à la c a p i t a l e , il d e v i e n t é t r a n g e r sur

son propre terroir et s e retrouve à la c h a r g e de sa fe mm e

Salimata. Ses cartes d'identité nationale et du p a r t i u n i q u e

représentent les seules preuves de ses efforts et même de

son appartenance à son Horodougou n a ta l. Il s e p o s e ici un

problème d'identité. Spolié de la chefferie et i m pu i ss a nt ,

Fama assiste à une perte graduelle de s o n id entité. Cette


13

perte est d ue en p a r t i e à la pression économique et aux

impératifs de la v i e d'après les indépendances. C'est cette

ère ou période d es indépendances que les M a l i n k é s désignent

par <<les Soleils des Indépendances>> (L e s S o l e i l s .7-8).

Comme t ou t signifiant culturel africain, "les S o l e i l s

des Indépendances" e st p l u r i s i g n i f i a n t et c h a n g e de s e n s et

de signification selon les c i r c o n s t a n c e s et les m i l i e u x . Il

incarne les m a u x et les frustrations de la p é r i o d e des

indépendances et est en constante métamorphose. Il

représente le d é m o n de la misère, de la d e s t r u c t i o n , de

<<1'illégalité, la stérilité...les épidémies et les n u a g e s

de s a u t e r e l l e s > > (L es S o l e i l s . 121).

Fama est traité par les siens à la capitale c o m m e un

Malinké vulgaire q ui cherche à se quereller av e c les gens.

Tout le m o n d e semble oublier que c'est à lui que d e v a i t

revenir la chefferie n'eût-ce été la complicité de

l'administration. Il n ' a pu avoir ni le pouvoir dû à un

prince Doumbouya ni le respect et la v é n é r a t i o n qui

accompagnent ce pouvoir à cause de s o n incapacité de

pérénniser la dynastie et peut-être à cause de so n

arrogance. La s i t u a t i o n générale devient plus convaincante

lorsque sur le c h e m i n de retour de la p r i s o n à Togobala, il

f ut retenu à la d o u a n e comme t ou t le m o nd e. Personne ne

reconnaît plus ce prince déchu. Son i de nt it é, comme une

vapeur s'échappe de s a personne. A ses mu ltiples p r o b l è me s ,

vient s'ajouter sa stérilité: <<une vie qui se m o u r r a i t , se


14

consumait dans la p a u v r e t é , la s t é r i l i t é , l'indépendance et

le p a r t i unique>> (29). Sa s t é r i l i t é me n a ç a n t e e st en p a ss e

d'entraîner la m o r t de la d y n a s t i e du H o r o d o u g o u d on t il est

le dernier descendant. Sa femme Salimata, de s o n côté,

combat quotidiennement son infertilité. Elle t u ai t des

sacrifices et < < p r i a i t des s o u r a t e s pieux...Elle chantait

des versets mi-malinké, mi-arabe>> (L es S o l e i l s . 28). Malgré

des efforts soutenus elle n'a p as pu d o n n e r un h é r i t i e r à

son m a ri . Se no u r r i s s a n t de rêves de m è r e , elle remarquera à

ce propos qu'<<à la f e m m e s a n s m a t e r n i t é m a n q u e p l u s que la

moitié de la f é m i n i t é > > (51), mais que faire? <<Elle a vait

le destin d'une femme stérile comme l'harmattan et la

c e n d r e ' >> (30). Elle en devint très m a l h e u r e u s e et s o n trame

de vie est rythmé par le souvenir malheureux de c e tt e

violence, disons naturelle qui décompose sa v ie et a ins i

hypothèque et m e t en ruine son foyer.

La place de l'Islam dans ce roman n'est pas c e l l e d' un

discours religieux et existentialiste. C'est la g e n è s e du

déroulement d es habitudes et activités quotidie n ne s sous les

soleils des indépendances. Elle constitue l'ensemble des

comportements physiques et les m é t a m o r p h o s e s sociales des

peuples du H o r o d o u g o u . Ce roman représente une peinture

inhabituelle mais importante des "méfaits", des d é b o i r e s et

"bâtardises" c a u s é s p ar les i n d é p e n d a n c e s tan t a t te n du e s.

C'est aussil'histoire de s v i c i s s i t u d e s d'une dynastie

menacée de disparition. Ici, se déroule et se dévoile la


15

grande responsabilité de A l l a h de c o m b l e r les e s p o i r s p e r d u s

de tout un peuple avec de multiples "bâtardises" au

quotidien. C'est aussi sa responsabilité, de rectifier le

sort d es uns, les a n o m a l i e s , incongruités physiologiques et

biologiques d es a u t r es , et d ' a s s u r e r une v i e meilleure à

tout l'ensemble de ses croyants. L'acceptation de la foi

musulmane demande le respect scrupuleux d es cinq piliers de

l'Islam (profession de foi, prière, jeûne, dîme et

pèlerinage à la Mecque) dont un nombre minimum de prières

(alphatia) par jour, une routine que Fama et sa f em m e

Salimata accomplirent avec ferveur et détermination a in s i

que bon nombre d'autres personnages du roman. L'Islam est

présenté un p e u p a r t o u t depuis le d é b u t jusqu'à la f in du

roman et dans to u t l'univers malinké: en v i l l e et au v i l l a g e

et au c h a mp . Il serait intéressant dans le contexte

thématique sociologique d es romans de K o u r o u m a , de s o u l i g n e r

la différence entre l'Islam arabe et l ' I s l a m en Afrique

Noire au S u d du S a h a r a . L'islam malinké est une religion

adaptée aux réalités irréfutables des p e u p l e s et du m i l i e u

malinkés. Son contact avec la religion traditionnelle

animiste africaine entraîne une acceptation réciproque et

une tolérance religieuses q ui favorisent, à leur tour, une

ambivalence et u ne coexistence apparemment pacifiques. Il en

résulte qu'islam et animisme en pays malinké se c ô t o i e n t

quotidiennement.
16

L'Islam e st porté par les personnages. Le boubou est

une tenue symbolique dans les sociétés musulmanes et

représente u ne caractéristique physique de l'appartenance à

la religion musulmane:

Les boubous blancs, bleus, v er ts , j au ne s , disons de

toutes les couleurs, moutonnaient, les b r a s s ' a g i t a i e n t

et le p a l a b r e battait (L e s S o l e i l s . 11).

Et dans l'assemblée boubous et n a t t e s bruissaient, on

fronçait les v i s a g e s et on se parlait a ve c de grands

gestes (L e s S o l e i l s . 13).

Des gardes présentèrent à Fama un b o u f f a n t neuf, un

grand boubou, une chéchia et des babouches, neufs

aussi (L e s S o l e i l s . 179).

Et s a p r é s e n c e se fait s e n ti r dans tous les actes que pose

tout individu. Il façonne le l a n g a g e et m o d è l e le m o d e de

vie. Comme exemple; <<Grandeur d ' A l l a h ! >> (144) est une

interjection et <<Musulmans' p a r d on . Musulmans' E c o u t e z ' >>

(17) est un m o y e n d'attirer l'attention et d e m a n d e r le

silence à une grande foul e.

Le nom de Allah le M i s é r i c o r d i e u x est i n v oq u é

incessamment dans presque toutes les circonstances et

régulièrement pris à témoin comme gage, preuve de b o n n e foi

et de v é r i t é : <<Allah e st le c o m p t a b l e du m a l et du b i e n > >

(59). Selon la c r o y a n c e générale, Allah est c a p a b l e de

transformer toute m a l é d i c t i o n en bénédiction, de rectifier

ou changer le s o r t d es individus et n ' e x i g e en retour qu'un


17

minimum d'effort et de reconnaissance: le respect et le

dévouement à la foi musulmane. Il en e s t de m ê m e pou r les

mânes des aïeux q ui opèrent par l'entremise des féticheurs.

Le féticheur e st le représentant spirituel de la r e l i g i o n

traditionnelle, qui s e r t de protecteur et d 'i n t e r m é d i a i r e

(comme le m a r a b o u t ) entre les p e u p l e s affligés et le m o n d e

spirituel invisible d es dieux et d es a n c ê t r e s .

Balla contraindra les jeunes gens à ne pas tripoter

Mariam. Un efficace fétiche sera adoré et attac hé .

L'homme q ui la g r i m p e r a au mieux ne p o u r r a ni dévulver

ni s e dégager et restera pris au p i è g e jusqu'à ce que

Balla vienne dire le c o n t r e du fétiche; autrement a p rè s

l'amour son sexe se réduira jusqu'à disparaître dans le

bas-ventre (L es S o l e i l s . 135).

Il faut noter le rôle important q ue jouent les

marabouts dans c es s o c i é t é s m u s u l m a n e s . Un ma rabout c'est un

saint de l ' I s la m , mais généralement en A f r i q u e (de l'Ouest)

et dans les romans de Kourouma, c'est un envoûteur, un

sorcier (pas forcément avec une connotation négative). Il

sert d'intermédiaire entre Allah et les p e u p l e s affligés en

quête de s a m i s é r i c o r d e et de s e s bénédictions.

Les m a r a b o u t s - des prestigieux' - il y a v a i t m ê m e deux

El H a d j i . . . ( L es S o l e i l s . 145).

Il s'apercevait maintenant d es mensonges de tous les

marabouts, de t ou s les s o r c i e r s et devin...

(L e s S o l e i l s . 177).
18

Allah est le seul à humaniser la personne malinké. Nous

pouvons mentionner ici le c as de S a l i m a t a qui s ' e s t mise à

nue, dévalisée et p i l l é e par excès de b o n t é et de zèle dans

l'intention de faire absoudre la m a l é d i c t i o n du v i o l (dans

ses plaies d'incisée par un esprit) et de la n o n - p r o c r é a t i o n

(l'infertilité) q ui pèsent très lourdement sur elle.

En e ff e t, il n a i s s a i t un doute concernant l'efficacité

et les p r e s t a t i o n s de l'Islam entraînant la d o u b l e croyance

d es Malinkés. Cela s'explique aussi par le fai t qu'il y a

u ne peur q ui entraîne une certaine inclination d es p e u p l e s

vers les fétiches qui, semble t-il, prédisaient p l u s loin et

plus efficacement q ue le C o r a n .

Les M a l i n k é s du H o r o d o u g o u le s a v a i e n t bien, ils

pratiquaient la d i v i n a t i o n , et pas uniquement avec

les m é t h o d e s prescrites par Allah. Parce que m u s u l m a n s

dans le c o e ur , dans les ablutions, le f é t i c h e ko m a leur

devait êtreinterdit...; aussi passaient-ils la loi

d'Allah, et chaque harmattan, le k o m a dansait sur la

place publique pour dévoiler l'avenir et indiquer les

sacrifices. Et quel village malinké n'avait pas ses

propres devins? Togobala, capitale de tout le

Horodougou, entretenait de ux oracles: u ne hyène et un

serpent boa...Mais le fétiche prédisait plus loin que

le C o r a n (L es S o l e i l s . 161).
19

Le H o r o d o u g o u avant "l e s s o l e i l s des indépendances"

disposait des "institutions" traditionnelles q ui prédisaient

aux populations le u r avenir:<<car rien n'arrive: la p l u i e

avertit p ar les v e n t s , les o m b r e s et les é c l a ir s , la t erre

qu'elle va frapper; la m o r t par les rêves, l'homme qui d oi t

finir>> (L e s S o l e i l s . 161). C'est une forme d'organisation

et une disposition de protection sociales qui ont tout

simplement disparu des nouvelles sociétés d es indépendances.

Le s institutions des s ol e i l s des indépendances n'avaient

rien installé à l'instar des institutions traditionnelles

pour prédire aux populations leur av en ir .

Oui, tout tomberait inévitable, pour la r a i s o n s i m p l e

que les républiques des soleils d es Indépendances

n'avaient p as prévu d es institutions comme les fétiches

ou les s o r c i e r s pour parer les m a l h e u r s .

Dans toute l'Afrique d'avant les s o l e i l s

Indépendances, les m a l h e u r s du v i l l a g e se prévenaient

par des s acrifices. On se s ouciait de d e v i n er , de

dévoiler l'avenir. Trompeur, qui dit que l'avenir reste

dissimulé comme un fauve t ap i d an s le f ourré.

(L es S o l e i l s . 1 6 0 - 1 6 1 ) .

Nous avons désormais la c e r t i t u d e de la d u p l i c i t é et du

polythéisme d es M a l i n k é s : <<Les Malinkés o nt la duplicité

parce qu'ils ont l'intérieur plus noir q ue leur p e a u et les

dires plus blancs que leurs dents. Sont-ce d es fétiches?

Sont-ce des musulmans? Le musulman écoute le Cora n, le


20

fëticheur le koma; mais à Togobala, aux y eu x de tou t le

monde, tout le m o n d e se dit et respire musulman, seul chacun

craint le f é t i c h e > > (L e s S o l e i l s . 108).

D'une manière générale nous reconnaissons néanmoins que

l'islam dans ce roman e st tout puissant et s e m b l e dissiper

la p o s s i b i l i t é de l'existence de t ou t e autre r el ig io n. P ar

exemple, l'islam semble être greffé sur la religion

traditionnelle (les pratiques traditionnelles malinkés):

<<aller aux funérailles d'un cousin e st commandement des

coutumes et d'Allah>> (94). La religion chrétienne,

représentée par la p e t i t e communauté blanche est faiblement

présente, incarnée dans la description physique du b ea u

quartier (qui avoisine, comme dans un rêve, le chemin du

marché où Salimata va v e n d r e s o n riz et s 'a p p r o v i s i o n n e r ).

Lumineux et a r t i f i c i e l , ce quartier semble retiré et reculé

de l'expérience quotidienne de la masse générale qui vit

dans la c a p i t a l e . La domination et la suprématie de la

religion musulmane semblent se fondre en p a r f a i t e s y m b i o s e

et en harmonie dans l'univers des "soleils des

indépendances". Nous remarquons un p h é n o m è n e intéressant qui

semble émerger de ce rom an : c'est celui du respect

scrupuleux de la foi musulmane à travers les 3ges, depuis

l'époque de Samory, <<les soleils de Samory>> (150) en

passant p ar la colonisation jusqu'aux <<soleils des

indépendances>> ou la période des indépendances. Son

importance et s o n impact en temps de g l o i r e et de paix, en


21

temps d'occupation ou de colonisation et en t e mp s

d'indépendance ou d ' a u t o n o m i e politique demeurent intacte.

L'assimilation des <<soleils de Samory>> à la paix peu t

paraître ironique mais pour les M a l i n k é s et g é n é r a l e m e n t

pour les g e n s du M a n d i n g u e , Samory (1837-1900) fut leur s e u l

protecteur et le s e u l à le ur procurer la paix. Ces derniers

considèrent ses multiples guerres d'expansion comme des

guerres saintes, normales et n é c e s s a i r e s . Le le ct e ur est

d'emblée informé q ue les D o u m b o u y a ont toujours été de bon s

musulmans et c e l a n ' e x c l u t pas Fama, sa fidélité à la foi

musulmane. L'accord de s o n entourage à ce s u j e t n ou s donne

une preuve unanime et indubitable. Ceci s'explique et se

vérifie dans le p e r s o n n a g e de Fama.

Fama ne couchait avec aucune femme et a v an t l'appel il

était p rê t, déjà douché et habillé. A la m o s q u é e il

priait gros et é g r e n a i t trop longtemps le c ha p el et , du

moins de l'avis de B a l l a (L es S o l e i l s . 125).

Le négoce de Fama a bien marché même durant la

colonisation et lui garantissait un confort moral et

financier jusqu'aux"soleils des indépendances" où il a tout

p e rd u . Nous avons la c e r t i t u d e q ue la r e l i g i o n musulmane

n'est pas u ne religion opportuniste de s t e mp s m a u v a i s , des

temps d'incertitudes et de difficultés p ou r nourrir les

populations de v i d e s espoirs. C'est une religion digne d'u n

peuple aimé p ar A l l a h dont la foi est profondément enracinée

non s e u l e m e n t dans l'univers p h y s i q u e des "soleils des


22

indépendances" du H o r o d o u g o u mais de t ou t le Mandingue.

C'est un p e u p l e q ui croit fermement à la Toute-Puissance de

Allah, qui dans sa bonté infinie et dans son principe

d'ubiquité participe à la v i e quotidienne et au b i e n - ê t r e de

tous les croyants. Pourtant un certain nombre de p h é n o m è n e s

sociaux dont les s o u f f r a n c e s et les b â t a r d i s e s du peuple,

les cérémonies d'incision, les multiples sacrifices et

déboires causés p ar les soleils des indépendances, en

annihilant les efforts de la population, entraînent une

incertitude et une peur générale du s a c r é qui e n g e n d r e n t à

leu r tour une violence multiforme. Les soleils des

Indépendances sont-ils eux-mêmes porteurs de violence?

Certes, les violences perpétrées par les partis uniques

(iniques) installés dans "les soleils des indépendances"

étaient contraires a ux promesses de liberté et de p r o s p é r i t é

d es indépendances politiques. Nous discuterons ce s u j e t et

essayerons d'apporter une tentative de réponse d an s les

chapitres qu i vont suivre.

2/ Monnè. Outrages et Défis

Dès les p r e m i è r e s pages de ce roman, D j i gu i , roi de

Soba nous annonce déjà ses intentions et soucis pou r

l'avenir de S oba . <<I1 avait décidé de b ra ve r , de d é f i e r > >

(M o n n è . 14). Ignorant les interdits, il a v a i t ordonné des

sacrifices énormes pour garantir la p é r e n n i t é à la d y n a s t i e


23

d es Keita. Or cette décision, qui pactise avec le s a cr é, est

en soi, une expression (violente) de la v i o l e n c e . Le ton est

d o nn é . Pourtant, dans les traditions africaines (plus

particulièrement en A f r i q u e de l'Ouest), les esprits des

ancêtres jouent un r ôl e (parfois intrusif) très important

dans la vie du peuple (des v i v a n t s ) . Selon la c r o y a n c e

traditionnelle générale, les m â n e s des aïeux règlent la vie

d es vivants dont ils o n t la r e s p o n s a b i l i t é et la p r o t e c t i o n .

Ainsi, il e st impératif de d e m a n d e r leur consentement, leur

bénédiction et leur protection surtout, contre les e s p r i t s

et forces maléfiques invisibles dans un m o n d e physique où

les vivants sont faibles, exposés et s a n s d éf e ns e . C'est

donc le d e v o i r du roi de s ' a s s u r e r de la p r o t e c t i o n et la

pérennité de la dynastie régnante. Djigui organisa

d'innombrables sacrifices qui couvraient t ou t S o b a de s a n g

(13) mais la p é r é n n i t é n'était p as assurée. < <L a s e n t e n c e

restait toujours la m êm e : la p é r e n n i t é de la dynastie

n'était toujours pas acquise>> (14). On note ici une

lassitude ou une incapacité de la part des mânes des

ancêtres, q ui détermine un changement de croyance et

d'attitude dans la décision de D j i g u i , un c h a n g e m e n t au

profit de la religion musulmane. Elle e st représentée par

Allah: <<puisque les m â n e s des aïeux se mo n tr en t incapables

de nous accorder ce q u e nous voulons, demandons-le à Allah.

J'ordonne à t ou s de p r i e r le T o u t - P u i s s a n t . Il a c c o r d e r a la

pérennité ou n o u s mourrons tous de prière>> (14). Au fait.


24

cette tergiversation est-elle en s o i porteur de v i o l e n c e ? Le

choix est fait: <<tout le m o n d e pria>> (14) à Soba. Le

peuple avec Djig ui en tête, tourne désormais vers Allah qui,

vient d'accorder la p é r e n n i t é de la d y n a s t i e aux K e it a: <<l a

pérennité e st a c q u i s e ... A c q u i s e à la dynastie des Keit a.

Elle régnera sur Soba tant qu'une seule case de la ville

tiendra d e b o u t . . . A c q u i s e . .. d e b o u t . A c q u i s e ... une c as e

debout>> (15). La décision "violente" de D j i g u i v i e n t de

rectifier s o n so rt , sceller la d e s t i n é e de S o b a en a p p o r t a n t

au p e u p l e le p r e m i e r triomphe dans Allah et au n o m de Alla h,

puisque, avait-il présumé, <<...sa vie serait une v ie de

monnè. Il décida de s'y préparer. Par la p rière, les

sacrifices et la m i s é r i c o r d e , par le c o u r a g e et l'inhumanité

à l'endroit des m é c h a n t s > > (17). Il a é té rassuré par les

griots que: <<le pays que vous héritez est une oeuvre

achevée. Il n ' y r es t e aucun monnè>> (15). Avec le c h oi x de

la f o i m u s u l m a n e , u ne page de l'histoire de S o b a s e m b l e ê t r e

partiellement tournée sur les habitudes religieuses

traditionnelles: <<les sacrifices avaient é té vains , les

prières avaient triomphé>> (17). Les s a c r i f i c e s représentent

la r e l i g i o n traditionnelle (le fétichisme) et les priè re s,

l'islam; <<rapidement il s ' é t a i t l as s é de c e t t e v i e frivole

indigne du roi d'un pays aimé d'Allah comme le n S t r e > > (15).

Nous avons dans une large mesure, la p r e u v e tangible d'u n

manquement ou la c h u t e momentanée du fétichisme due à une

incapacité à pourvoir aux besoins du p e u p l e q ue les ge n s de


25

Soba finalement n'apprécient plus. N o u s assistons au

triomphe de l'Islam et à un "rejet" momentané et o c c a s i o n n e l

du fétichisme. Est-ce â dire que Soba et s e s habitants vo nt

complètement se défaire de leurs v i e i l l e s habitudes

religieuses traditionnelles? Les peuples de S o b a et leurs

rois, depuis d es â g es , vivaient fermés à toute idée et

croyance nouvelles. <<Et le roi était encore d an s le s a n g et

le fumet d es immolations exposées pour remercier mânes et

d i v i n i t é s . ..>> (20). L'option incontestée du roi, nous le

savons déjà, devient automatiquement l'option du p euple. La

situation parait ambiguë et incongrue. Soba est à cheval

entre les prières et les s a c r i f i c e s , l'islam et l ' an imi sm e.

Les réalités immédiates, l'intérêt et l'importance de la

demande dans ce cas, l ' e m p o r t e n t s u r la fidélité à une

croyance monothéiste non pragmatique. Au fait, tou t p o r t e à

croire q ue la réaffirmation à la foi m u s u l m a n e n'est qu'une

démarcation confuse et un pseudo distancement momentané des

anciennes habitudes fétichistes appuyées sur la t rad it i on .

Cette profession de foi permet de bénéficier a u ss i des

bénédictions et des largesses miséricordieuses d 'A l la h, le

nouveau responsable spirituel "officiel" de la p r o t e c t i o n et

du bonheur de So ba . Nous sommes en présence d ' un e

expropriation occasionnelle du fétichisme traditionnel

originel d ue à u ne accusation ou u ne proclamation

d'incapacité de satisfaire aux besoins et combler les

espoirs d es croyants: les gens de S ob a. Par contre, il se


26

manifeste aussi l'appropriation d'une double divinité dont

d'une double croyance: <<la religion était un s y n c r é t i s m e du

fétichisme malinké et de l'islam>> (20).

L'adoption de la "nouvelle" religion est une

réaffirmation de foi à la r e l i g i o n musulmane qui, à son

tour, va complètement changer et façonner le m o d e de vie, la

routine quotidienne, les us et coutumes des habitants de

Soba. Aussi, va-t-elle finalement modeler et accorder le

langage usuel de communication à la n o u v e l l e croyance et à

la n o u v e l l e vie plutôt musulmane. La langue et la v ie de

tous les jours sont non seulement meublées et peuplées

d'images et de références de l'islam mais aussi de

l'animisme. Ce phénomène s'explique p ar une influence

religieuse double qui, séparément contribue au b i e n - ê t r e et

à l'humanisation d es g e n s de S o b a : <<les sorciers lançaient

contre les N a z a r é e n s les p l u s terribles sorts; les m a r a b o u t s

les maudissaient avec les versets les plus secrets; les

griots louangeaient le r o i > > (M o n n è , 34). Ne devons-nous pas

aussi voir dans la c o h a b i t a t i o n de l'islam et du fétichisme

u ne exclusion et u ne jalousie mutuelles contre-attaquantes,

destructrices de l'harmonie et la p a i x apparentes d on t se

consolaient les gens de S o b a ? Cette coexistence paraît

confuse mais Fama nous persuade que: <<Même la g u ê p e m a ç o n n e

et le c r a p a u d finissent p ar s e tolérer quand on les e n f e r m e

dans u ne m ê m e case>> (S o l e i l s . 161).


27

La réalité de l'Islam dans ce roman e st q u o t i d i e n n e

mais elle indique aussi la p r é s e n c e d'une religion "Autre"

désignée sous plusieurs appellations: les n o n c ro y an ts , les

incirconcis, les infidèles, les nazaréens (" m a l i n k i s é " :

<<les nazaras>>). La religion chrétienne est doigtée,

singularisée et rejetée alors que l'Islam forme av ec le

fétichisme, un s y n c r é t i s m e , u ne coalition, une appréhension

globale plus ou moins indifférenciée d'un tout. La

prépondérance de l'Islam dans la v i e quotidienne à Soba

devenait incontestable. Les gens préferaient mourir musulman

que de s u b i r le m o n n è de la c h r i s t i a n i s a t i o n . Ains i, l' Is l am

a intégré la vie et les routines des habitants dont il a

fa i t en partie des croyants. L es marabouts ( de vi ns et

sorciers) profitaient de la s i t u a t i o n pour s'enrichir en

mentant â la population docile et passive q ui se retirait

dans la résignation et acceptait la v ie t el l e qu'elle

s'offrait. L'omniprésence spirituelle, physique ou

matérielle de l'Islam a investi le B o l l o d a , se m a n i f e s t e

dans l'air, quotidiennement à la m o s q u é e , da n s les champs,

bref dans tout l'univers de S o b a et p ar extension, da n s tout

le M a n d i n g u e .

Les influences religieuses musulmanes dans les deux

romans de Kourouma, se révèlent indubitables. Aussi

constatons-nous que les articulations ou les mouvements des

différentes croyances en présence, qu'elles soient animistes

ou musulmanes sont semblables. Mais la c o n c e n t r â t ion


28

spirituelle et typographique de l'Islam dans L es S o l e i l s des

Indépendances et M o n n è . Outrages, et Défis met un a c c e n t

particulier sur l'importance de ce d e r n i e r .

Dès le d é b u t de L es S o l e i l s des I n d é p e n d a n c e s , l'auteur

nous informe que, <<comme to u t Malinké, quand la vie

s'échappa de ses re st es , son o m b r e se releva, graillonna,

s'habilla et partit p ar le long chemin pour le l o i n t a i n p ay s

malinké natal pour y faire éclater la funeste nouvelle des

obsèques>> (7). Cette affirmation de foi n o u s annonce une

croyance ou u n e pratique traditionnelle en p a y s m a l i n k é , en

faisant immédiatement apparaître à la p a g e huit la p r é s e n c e

d'une autre divinité: <<mais attention' sans que le d é f u n t

r ev iv e ' La v i e e st au p o u v o i r d'Allah seul'>> (L es S o l e i l s .

B). C'est de la même manière q ue Kourouma, dans Monnè.

Outrages et D é f i s , n o u s introduit à un p o l y t h é i s m e à Soba.

Il s'agit de la présence simultanée des religions

traditionnelles et m u s u l m a n e s dans les s oc iétés malinkés.

D'une façon très subtile mais explicite, l'auteur nous

laisse découvrir au c o u p p ar coup, la p l a c e et l'importance

réelles de l' is l am . Il devient ai s é à travers l'évolution

d es personnages principaux de nous rendre compte de

l'ampleur de la religion musulmane p ar un foisonnement de

n om s, d'attributs, d'épithètes et d'expressions p ou r

conjurer la g r â c e , la miséricorde et la reconnaissance pour

Allah. Voici q ui su it , u ne l is te d'exemples,

caractéristiques de la v i e dans u ne s o c i é t é m u s u l m a n e .
29

Les Soleils d es Indépendances

La religion musulmane est u ne religion basée sur le

Coran dont la langue e st l ' a r a be . La langue et la vie

quotidienne d es croyants et du milieu géographique sont

fortement influencées. Ces exemples q ui s u i v e n t donnent une

idée sur les influences de l'Islam et sa place d an s les

sociétés malinkés. <<La vie est au p o u v o i r d'Allah seul>>

(8); <<heureusement' qu'Allah en soit loué...>> (10);

<<Musulmans' pardon musulmans! E c o u t e z '... >> (17), est un

moyen d'attirer l'attention et réclamer le s i l e n c e à une

f o ul e. <<Allah a fabriqué u ne vie s e m b l a b l e à un tissu â

bandes de diverses couleurs>> (20); <<prier Allah nuit et

jour...>> (23); <<. .. parce que tant qu'Allah r é s i d e r a d an s

le f i r m a m e n t . ..>> (23); <<...et le miracle appartient à

A l l a h . ..>> (24); <<...tant qu'Allah ne décollera la

d a m n a t i o n . ..>> (25); <<Fama souffla un gros " b i s s i m i l a i " >>

(27). "Bissimilai"' en fait, est un e intejection qui v e u t

d ir e; " N o m de Dieu "' ou Au nom de Dieu' <<Qu'est-ce qui

primait dans la v o l o n t é d'Allah? Fidélité ou m a t e r n i t é ? La

maternité, sûrement la maternité d'abord>> (43); <<Louange

au M i s é r i c o r d i e u x ' ? ? (204); <<Qu'Allah les t em pè re' qu'Allah

les devie'?? (68); <<Mais Allah, connaissait les b o n n e s

intentions, Allah a d i t q ue le paradis de la f e mm e se

gagnait dans la fumée de 1 ' a c c o m p l i s e m e n t du d e v o i r de s o n

mari?? (177);
30

Monnè. Outrages et D é f i s

Le c o r a n , <<Le Livre Saint>> (211); <<Le m u e zz i n> > (273);

<<Le Tout-Puissant>> (14); < <L e pèlerinage à la

M e c q u e ... c i n q u i è m e pilier de l'Islam>> (226);<<Allah peut>>

(203); <<Allah pardonne toujours>> (168)

<<salam alekou>> (53) est une expression arabe qui v e u t dir e

bond o u r .

<<Allah koubarou>> (178); <<Bissimilaï>> (78) veut dire "Nom

de Di eu ! ou A u nom de D i e u ' ; <<Qu'Allah donne force à notre

foi et bénisse les pays de Soba...la gloire de Allah>>

(220); < < . . . . q u ' A l l a h . . . du ciel le Livre et la par ol e. Le

Livre pour le s a v o i r de LUI, le suprême, le T o u t - P u i s s a n t > >

(225); <<Allah, gratifie chacun de n o u s ... A m e n '>> (225);

<<Avec fierté et joie, il remercia le T o u t - P u i s s a n t de

l'avoir créé M a l i n k é et croyant>> (251); <<Les motifs de

glorifier Allah sont innombrables>> (251); <<Celui q ui se

confie au T o u t - P u i s s a n t n'est jamais honni>> (270); << L e

monde est t o u j o u r s . ..Allah peut plus que ce que tu c o n n a i s > >

(272); <<...Prions Allah qu'il nous en p r é s e r v e > > (273).

On retrouve le m ê m e phénomène superfétatoire, peut-être

moins d e ns e, dans les romans de A m i n a t a Sow Fall, Mariama

Bê, Sembène Ousmane et autres où la p r é s e n c e musulmane est

abondante. En tout et pour tout, il n ' e n demeure p as m o i n s

vrai que la r e l i g i o n musulmane a une prépondérance et une

influence certaines sur le d é v e l o p p e m e n t et l'évolution des


31

personnages dans les d e u x romans de K o u r o u m a . La d é c o u v e r t e

progressive des champs sémantiques spéciaux comme l'exemple

du signifiant culturel "monnè", lève le v o il e, permet et

favorise la compréhension de la philosophie littéraire de

Kourouma. Cette philosophie est centrée sur des p h é n o m è n e s

culturels et linguistiques q ui donnent aux le cte ur s, accès

aux romans de l'auteur.


CHAPITRE II

LA PHILOSOPHIE LITTERAIRE DE KOUROUMA ET LA

<<MALINKISATION>> DU FRANÇAIS: USAGE DES PROVERBES

Au lendemain des indépendances en 1960 où les

prédictions sur le d e v e n i r littéraire de l'Afrique mettaient

un accent sur u ne production littéraire pl u s accélérée, les

réalités de l'Afrique indépendante prouvèrent le c o n t r a i r e .

A part quelques oeuvres dont Crépuscule des T e m p s A n c i e n s de

Nazi Boni et Le Soleil point noir de C h a r l e s N o k a n en 1962,

Violent était le vent en 1965 encore de Charles Nokan

(compatriote de K o u r o u m a ) et Le F i l s d'Agatha Moudi o de

Francis Bebey en 1967 (qui obtînt le g r a n d prix du r o ma n de

l'Afrique Noire en 1968) il fallait attendre 196 8 pou r

accueillir de n o u v e l l e s publications de l a ng ue française. Il

s'agit respectivement de D e v o i r de V i o l e n c e et L es S o l e i l s

d es I n d é p e n d a n c e s , des N o u v e a u x Romans différemment uniques

de Yambo Ouologuem et Ahmadou Kourouma. Ce dernier fit

irruption dans le monde littéraire d'expression française

avec son premier roman Les Soleils d es I n d é p e n d a n c e s , le

plus africain d es deux. Ce roman a obtenu au C a n a d a le prix

de la F r a n c i t é lors de sa publication initiale en 1968 (par

L es P r e s s e s de l'Université de M o n t r é a l ) , da n s un c o n t e x t e

32
33

historique contradictoire de redéfinition des buts et

objectiifs de la francophonie. Ce contexte do n t n o u s faisons

mention e st riche en ambiguïtés relevant des réclamations

des droits culturels de réciprocité relationnelle (des pay s

francophones, anciennes colonies françaises) a ve c la F r a n c e

et les tergiversations du Général de Gaulle envers la

francophonie. Le roman de Kourouma apparait comme une s o r t e

de déclaration d'indépendance du signifiant francophone

africain. Kourouma t r o uv e, à la suite de ses propres

expériences que la langue française est tro p r i gi d e pour

exprimer la conscience n o i re , les réalités africaines. Il

s'en rend compte lors de la r é d a c t i o n de s o n premier roman

Les Soleils des Indépendances et e x p l i q u e de la f aç o n

suivante, son expérience et l'approche qu'il préconise.

La succession d es mots français, les connotations

qu'ils portaient me gênaient, m'empêchaient de fa ir e

sortir Fama. Il me fallait m'approcher d'une façon

d'aborder les idées qui corresponde au r yt h me de la

phrase malinké (D i a g o n a l e s #7, 4).

C'est ainsi qu'il a décidé de malmener le f ra n ça i s, j us qu e

là pieusement respecté dans la littérature négro-africaine.

Ce faisant, il r o m p t avec la t r a d i t i o n conformiste contenue

dans la politique française d'assimilation de l'ère

coloniale. Pour en arriver à son premier roman, au rythme de

la p h r a s e malinké avec le respect d es proverbes et des

im ag e s, il a bousculé les codifications et conjugué


34

transgressions et distorsions du français canonique. lia

été incontestablement reconnu à ce p r e m i e r roman, un s t a t u t

de c l a s s i q u e canonique à l'extérieur comme à l'intérieur du

continent africain. Son auteur, Kourouma e st u n a n i m e m e n t ,

par lecteurs et c r i t i q u e s , reconnu pionnier <<sans avoir

pris de ride s, vingt a ns après>> ( Ri p au lt, 10). Il en é t a i t

fier et satisfait en déclarant vers le milieu des années

1 9 70 que son roman était connu de toute la C ô t e d'ivoire

(L ez ou , 224).

Le français, comme moyen quotidien d'expression

artistique, littéraire, politique, juridique et j u d i c i a i r e a

été, depuis les premières heures de la décolonisation de

l'Afrique, au centre de contradictions, de p o l é m i q u e s et de

vifs débats littéraires. Le problème latent et l'inquiétude

majeure d es élites étaient de s a v o i r s i la l a ng u e f r an ç a i s e ,

langue d'expression du d o m i n a n t colonisateur avait as se z de

vertu pour pleinement exprimer l'Sme, la c o n s c i e n c e , les

visions et les c o n c e p t s d e s n o i rs .

En 1974, Xavier Deniau, Président du Comité de la

Francophonie, constatait qu'<<il est remarquable que

l'aspiration francophone soit née en d e h o r s des limites de

l'hexagone>> (La D i m e n s i o n . 4) en faisant allusion à un

désir des anciennes colonies françaises, actuellement

indépendantes, de s o u t e n i r une structure de protection et

d'idéalisation de la langue française.


35

La Francophonie, c'est u ne p r i s e de conscience de

cette solidarité naturelle; n ée d'une approche des

affaires du monde à l'aide d'un même i ns t ru m e n t , né e

d'une expression semblable d es idées...La langue, la

culture et la civilisation française appartiennent à

toutes les familles spirituelles et politiques de

notre pays et des autres pays q ui se réfèrent à notre

l an gu e . La langue française est médiatique et no n

impératrice. (Xavier Deniau, "Message à L'Assemblée

Nationale Française", 1976).

Personne en Afrique n 'a m i e u x soutenu la f r a n c o p h o n i e

q ue Léopold Sédar Senghor qui a é té l'un d es m e i l l e u r s

supporteurs et leaders du mouvement francophone. Selon

l'historien littéraire Albert Gérard, c'est Senghor qui, en

tête d es écrivains francophones a sorti l'Afrique de s o n

isolation. Gérard écrit q ue c'est une troupe f ra n ça i se ,

guidée par S e n g h o r qui a propulsé l'Afrique au p o d i u m de la

littérature universelle. Que signifie donc la francophonie

pour Senghor? Selon lui, dans un m e s s a g e donné en 1966 à

l'Université de Laval au Q u é b e c , il r e c o n n u t que "le se u l

principe incontestable sur lequel repose la f r a n c o p h o n i e est

l'usage de la langue française", il la d é f i n i t ainsi:

La francophonie est un m o d e de p e n s é e et d ' a c t i o n ,

une certaine manière de poser les p r o b l è m e s et d'en

chercher les s o l u t i o n s . Encore u ne fois, c'est une

communauté spirituelle, une noo sp hè r e autour de la


36

ter re . B re f , la f r a n c o p h o n i e , c'est p ar delà la langue,

la c i v i l i s a t i o n française; plus précisément, l'esprit

de la c i v i l i s a t i o n , c'est-à-dire la c u l t u r e f r an ça i se .

Que j'appellerai la F r a n c i t é (La F r a n c o p h o n i e comme

C u l t u r e . 80).

La francophonie, en dépit de la conception générale

n'est pas s e u l e m e n t le f ai t de parler français. De pl u s en

plus de connotations ambitieuses et idéalisées la

soutiennent et e l l e grandit en importance depuis la fin des

années 1960. La francophonie ne peut plus être interprétée

sans faire allusion à l'idéologie et aux institutions q ui la

soutiennent. Voici le c o n t e x t e dans lequel L es S o l e i l s des

Indépendances obtint le p r i x littéraire, contexte qui fut

altéré par la p u b l i c a t i o n de ce roman, qui un p eu p lu s de

vingt a ns plus tard f ut doublée d'un second; M o n n è . Outrages

et D é f i s . La remarque de S e n g h o r requiert un é c h a n g e éga l

sans lequel la f r a n c o p h o n i e ne ferait a u c u n sens.

La francophonie ne s e r a plus enfermée dans les

limites de l'Hexagone. Nous ne s o m m e s plus des

" c o l o n i e s " : d es filles mineurs qui réclament une pa r t

de l'Héritage. Nous sommes devenus des E t a t s

indépendants, d es p e r s o n n e s majeures, q ui exigent leur

part de responsabilités: pour fortifier la c o m m u n a u t é

en l'agrandissant....

...L'essentiel e st que la F r a n c e accepte de

décoloniser culturellement et q u ' e n s e m b l e nous


37

travaillions à la D é f e n s e et E x p a n s i o n de la

langue française comme nous avons travaillé à s on

illustration. Et elle a c c e p t e si elle n'en a pas p r i s

l'initiative (La D i m e n s i o n F r a n c o p h o n e . 4).

Il y a dans ce dernier passage, une certaine polémique et

une révolution. Révolution qui, se transforme p ar une

"saisie" par les romanciers et les nouveaux Etats

indépendants (les anciennes colonies françaises), de la

langue française. Il s'agit d'une appropriation, d'une

saisie de s <<moyens d 'e x p r e s s i o n > > selon l'expression

Sartrienne. Tchicaya U'Tamsi di sa i t: << si la l an gue

française me colonise, je la colonise à mon tour>>

(L ' E c r i v a i n A f r i c a i n . 45). Ce phénomène de contestation et

d'appropriation de la langue classique est e x p r i m é chez

Kourouma de la façon suivante:

Lorsque j'ai commencé à écrire Les S o l e i l s des

I n d é p e n d a n c e s . Fama m'est apparu fade et ce n ' e s t que

lorsque je l'ai fait parler en M a l i n k é qu'il a pu a vo i r

tout son re li e f. Dans les parties dialoguées, le

français de F r a n c e ne pouvait pas c o n v e n i r .

(M a g n i e r , 12).

L'auteur fa i t recours à son talent et à s a créativité pou r

trouver un langage original de compromis, qui serait à même

d'exprimer pleinement les réalités malinkés. Sa s o l u t i o n ,

vient du fait de faire parler son personnage principal en

Malinké ( Fa m a dans le premier r o ma n et D j i g u i dans le


38

second). C'est dans ce même ordre d'idées qu'il nous dit

avoir toujours pensé en m a l i n k é et é c r i t en f r a n ç a i s , en

prenant une liberté qu'il estime naturelle a ve c la l a ng u e

classique. Bon nombre de romanciers africains eux-mêmes,

depuis des décennies, vouaient u ne c e r t a i n e v é n é r a t i o n à la

langue classique. On trouve dans les romans de C a m a r a Laye,

l'exemple de L ' E n f a n t N o i r , où ce d e r n i e r a su exprimer les

réalités africaines et ses propres expériences dans la

langue classique sans en imprimer l'allure et la s t r u c t u r e

linguistiques africaines. Kourouma nous confie que:

La langue française e st entourée d'une grande

dévotion. Objet d'une sorte de fétichisme stérile qui a

hypothéqué jusqu'à ce s derniers temps les travaux

d'écrivains non français mais possédant en elle leur

unique moyen d ' e x p r e s s i o n . . .Oui, c'est le mot: un

fétichisme, une sort e d'amour outrancier que les

Français on t v o u é à leur langue (Badd ay, 6-7).

Pour Kourouma, le f r a n ç a i s n'est qu'un outil neutre de

raisonnement et de créativité. Il d é c i d a de b r i s e r et de

distordre le langage classique français qu'il considère

comme trop rigide pour exprimer ses pensées malinkés. C'est

de cette m a n i è r e q u ' il appliqua une technique de s u b v e r s i o n

à l'égard du français et c'est la m ê m e attitude que T c h i c a y a

U'Tamsi exprime à propos de la n o n réciprocité du français

et des langues congolaises. S e l o n Aimé Césaire, le f r a n ç a i s

est u ne <<arme miraculeuse>> (expression empruntée au t it r e


39

de s a collection de poèmes, Les A r m e s M i r a c u l e u s e s ). C ' e s t

cette attitude que notre romancier va traduire en style

original et authentique, auréolé de pratiques lexicales

uniques, en forçant la langue française à son service, la

pliant << aux exigences de la pensée et des structures

linguistiques des Malinkés>> (Rouch & Clavreuil, 152).

L'auteur, dans ce même ordre d'idées, exposait de f aç o n

implicite dans ses r o m an s , sa philosophie de la littérature

africaine. Kourouma nous explique que:

Chaque mot a des connotations dans une langue.

Comment le t r a d u i r e sans ou a v e c ces connotations?

C'est chaque fois un p r o b l è m e . J'aime beaucoup les

archaïsmes. Je retrouve parfois dans l'ancien

français la traduction pleine d'un mot qui existe

encore en m a l i n k é et q u i a disparu dans le français

d'aujourd'hui (Magnier, 12).

Ainsi l'auteur ne s e donne pas la p e i n e de n o u s offrir les

définitions en français ou la t r a d u c t i o n des m o t s m a l i n k é s

q ui apparaissent dans ses romans. Il se pose, généralement

de m u l t i p l e s problèmes dans la t r a d u c t i o n d'une lang ue à une

autre et vice versa. Aussi est-il difficile de traduire le

rythme de la p a l a b r e africaine. L es efforts d'adaptation de

la langue locale à l'écriture française ne m a n q u e n t pas. Ils

se traduisent le p l u s s o u v e n t en de fréquentes répétitions

q ui portent la p h r a s e au niveau de la litanie comme on en

trouve che z Bernard Dadié dont un personnage e x p r i m e sa joie


40

et s o n enthousiasme à la v e i l l e de s o n d ë p a r t po u r Paris:

...J'ai un b i l l e t pour Paris, o ui Paris' Paris do n t

nous avons toujours tant parlé , tan t rêvé. J 'y v a i s

dans quelques j ou rs . Je vais v o i r P a ris , moi aussi,

avec mes yeux..., je p o r t e r a i une a ur é ol e, un par fu m,

l'auréole et le p a r f u m de P a r i s (Dadié, 7).

Il y a aussi un ensemble d'interjections et de mots

dialectaux, caractéristiques générales du r éc it négro-

af r i c a in . Voici qui suit, un e x e m p l e dans Ba t ouala et tel

que s on s o u s - t i t r e l'indique, <<un véritable r o m a n n èg r e> >:

Mais se couvrir la tête de petits paniers ou de

calebasses d'espèce singulière, N'Gakoura' Voilà qui

tourneboulait l'entendement (Maran, 37).

Plus loi n Batouala, personnage central analyse de la f a ço n

suivante le d i s c o u r s colonialiste:

Ils disent par exemple, que les n è g r e s se haïssent de

c he f fat à c h e f fat. Ayayaille' Mais les < < b o u n d j o u l i s > >

ou commerçants, les <<mon p31o>> ou m i s s i o n n a i r e s , les

<<yougorogombés>> ou tirailleurs peuvent-ils s'entendre

avec les commandants? (Ma ra n, 75).

Il y a li eu de n o t e r les réussites fréquentes des efforts de

Sembène Ousmane et M o n g o B ét i . On assiste à la r é a l i t é d' u n

processus de restitution de la p a r o l e véritable à l'univers

romanesque africain, qui par-delà les confusions et

maladresses du début débouche sur une maîtrise manifeste

c he z Kourouma (Dabla, 55 ). Il a r r i v e à Kourouma da n s des cas


41

rares de donner la signification ou de mettre entre

parenthèses, les m o t s français qui se rapprochent du m ot

malinké ou de façon implicite, comme dans le cas s u i v an t ,

p ar besoin d'humour et d'ironie. Il s'agit des séances

d'alphabétisation et d'étude de la langue française auprès

de l'instituteur Touboug dans Monnè. La répétition de

certaines phrases françaises très mal prononcées

signifiaient des choses presque inconcevables et ridicules

ou totalement inadmissibles aux M a l i n k é s :

-<<Mamadou amène sa soeur>>, phrase qui très m a l

prononcée et déformée par le griot d e v i n t ;< < M a m a d o u à

mina ka siri>>, qui signifiait en f r a n ça i s: Mamadou

saisis-le et attache-le (M o n n è . 2 31) .

Or s e l o n les h a b i t u d e s , seul Djigui peut donner cet ordre.

-<<Le chat voit bien même la n u i t > > devient en

Malinké <<Zan ba b i è na n o g o > > qui, littéralement

traduit veut dire: le v a g i n de la m a m a n de Zan s a u c e

gluante (M o n n è . 2 3 2) .

Ce phénomène est non s e u l e m e n t un processus de d é f o r m a t i o n

de traduction mais il en ressort aussi l'humour de l'auteur.

Ce dernier met dans la b o u c h e des personnages analphabètes

d es phrases capables de s u s c i t e r de la c o l è r e et de fous

r i res . Il va de soi c es illétrés sont incapables de

prononcer correctement une phrase française et n'ont de

surcroît aucune motivation à apprendre cette " langu e

d'oiseau" du Blanc (selon Djigui) ou le " f o r o f i f o n naspa "


42

s e l o n A.H.Ba. (Le "forofifon naspa" e st un t e r m e repris à

A.H.Ba et désignant, sous la forme onomatopéique de la

langue lo ca le , les sonorités du Français. L'expression

désigne également le <<petit nègre>> des fonctionnaires

subalternes de 1'a d m i n i s t r a t i o n coloniale) (Dabla, 55).

Nous avons les c o n s é q u e n c e s :

Le M a s s a ( Dj ig ui ) refusa de débiter une t el l e

insanité p ar une nuit sainte, se leva indgné, sor ti t,

remonta à cheval et, suivi par tous ses courtisans,

redescendit au B o l l o d a . Ainsi se terminèrent les é t u d e s

de français du r oi de S o b a : il ne monta pl u s au c o ur s

du s o i r d es adultes. De ses études, le M a s s a Djigui

conclut que le français était une l a n g u e de d é h o n t é et

indicible p ar un croyant et un grand chef: il

s'interdît de le p a r l e r et de le comprendre et ne

changea p as d'opinion, même après l'inoubliable voyage

de P a r i s et de M a r s e i l l e à l'occasion de l'Exposition

coloniale de 1931 (M o n n è . 2 32).

Le refus de D j i g u i d'étudier le français paraît naï f m a i s

intéressant. Il semble nous informer (le lecte ur ) qu'il a

une la ng ue : le m a l i n k é et qu'il ne sert à rie n d ' a p p r e n d r e

la langue du B l a n c q ui n'est que profanation et a c c e p t a t i o n

de l'incroyance et de l'irréligion toutes condamnées par la

religion musulmane. Tant qu'il y a u r a un i n t e r p r èt e, il

pourra communiquer a v e c le Blanc. Il refuse a in s i la

colonisation culturelle comme l'auteur et accepte


43

l'émergence d'une langue médiatrice, un syncrétisme

linguistique. Le tira i l l e u r - i n te rp r èt e Soumaré sert

d 'in t e r m é d i a i r e entre les g e n s de S o b a et l'administration

coloniale. Par analogie, Soumaré représente la langue

i n t e r m é d i a i r e , le s e u l moyen de communication possible e n tr e

l'administration coloniale et les p e u p l e s de Soba, la langue

de c o m p r o m i s tout comme la langue romanesque de K o u r o u m a . Sa

position e st u ne position qui permet de m a n i p u l e r et

l'administration coloniale et les gens de S o b a av e c D j i g u i à

leur tête. Le problème est clair quand nous prenons en

exemple ses séances de m e s s a g e s traduits au p e u p l e de Soba,

ces messages deviennent finalement des commentaires

interprétés.

Une lecture plus attentive nous permet de c o n s t a t e r que

l'auteur donne souvent d es définitions implicites, là où il

e st approprié de le fair e. Dans le c as du mot "monnè",

Kourouma gratifie 1'A u t r e de la responsabilité de le d é f i n i r

tout en s e réservant le d r o i t d'en démontrer la complexité.

Nous aboutissons à cette conclusion que la problématique

exacte de la signification du plurisignifiant africain

(le "monnè" ou les "Soleils des Indépendances") reste au

centre du roman. Et c e t t e signification est u ne q u e s t i o n à

la f o i s de traduction et de p e r c e p t i o n . C'est une découverte

progressive de la palabre africaine. Selon Kourouma, la

démarche de l'acte d'écriture s'effectue toujours du m a l i n k é

vers le f r a n ç a i s , en n o u s rassurant que, cette d ém ar c he .


44

élaboration d'une langue très personnelle et un dosage

heureux du français et du m a l i n k é , n'est p as u ne traduction:

Traduction serait un terme tr o p fo r t car il arrive

que je conçoive certaines choses en français mais

dans ce cas je p l a c e un M a l i n k é dans cette sit u at io n et

j'essaye d ' i ma gi ne r sa façon de p e r c e v o i r . Je

souhaite qu'en toutes circonstances un M a l i n k é se

retrouve dans mes r om an s . Toute langue, toute société,

c'est d'abord un c e r t a i n n o m b r e de m y t h e s ou de

réalités. Traduire, c'est trouver les m y t h e s ou les

réalités correspondants (Magnier, 12).

Ce procédé q ui se révèle être une transposition

lexicale et u ne restructuration sémantique du m a l i n k é , est

u ne innovation de K o u r o u m a . Une approche similaire fut dé j à

essayée dès les années 1950, de façon moi ns audacieuse par

Sembène Ousmane dans ses tout premiers romans sous la f or m e

d'une "francisation du w o l o f " ou d'une "wolofisation du

français", la relation étant ici réversible, réciproque. P ar

exemple, le titre: L es B o u t s de Bois de Dieu est une

traduction directe de l'expression wolof "Banty mam yall ",

qui au fait, e st un sous-titre du roman. Les Contes

d'Ahmadou Koumba de Birago Diop e st un bon exemple de

procédé basé sur la t r a d i t i o n orale africaine et qui rend

très bien la p e n s é e africaine.


45

Ahmadou Kourouma explique q ue la nécessité de

l'expérience socio-historique, qui permet une

communicabilité entre les c u l t u r e s est indispensable a f i n de

franchir les b a r r i è r e s linguistiques. Cette même expérience

rend accessible aux lecteurs, les romans africains et

propose u ne approche de solution aux problèmes sémantiques

qui se p o s e nt .

Selon Alain Rouch et Gérard Clavreuil, l'innovation de

Kourouma réside dans l'originalité de s o n style dont on

distingue quatre niveaux essentiels; <<cassure de la

structure syntaxique française, choc des images enrichies

p ar la langue malinkée, transposition l ex ic a le , appel au

procédé d'accumulation comme créateur de rythme>> ( Ro uch &

Clavreuil, 152). L'Ensemble de ces procédés marque le d é b u t

d'un N o u v e a u Roman, d'une nouvelle ère et d'une écriture

nouvelle. Le besoin s'impose à l'auteur et au lecteur de

travailler conjointement, détachés d es conventions

romanesques, pour être en mesure de s u i v r e le r y t h m e de

cette littérature particulière et m é t a m o r p h o s é e qui se crée.

Les deux romans de Kourouma: L es Soleils des

Indéoendances et M o n n è . Outrages et D é f i s portent chacun un

titre-thème q ui constitue le problème c en tr al ,

1 'o r g a n i g r a m m e autour duquel tournent les personnages

principaux du roman. Il n o u s paraît essentiel de rapp el er ,

qu'en général, le roman africain est m u l t i s i g n i f i a n t c o mm e

le "monnè" et "l e s s o l e i l s d es indépendances". Le c o n t a c t du


46

français et du malinké révèle l'importance de la parole

africaine ou de la palabre africaine qui ne peu t tout

simplement être littéralement traduite mais pleinement

exprimée dans tous ses aspects linguistiques. Il r e v i e n t au

monde francophone en général et à l'Afrique francophone en

particulier, pour se trouver à l'aise dans l'usage de la

langue classique, de s o u m e t t r e cette dernière aux s t r u c t u r e s

particulières d es langues africaines. Cela revient à la

transformer selon les b e s o i n s et exigences particuliers,

l'adapter aux façons de v i v r e et de p e n s e r des a fr i ca in s .

C'est dans le s o u c i de ce problème linguistique et c u l t u r e l

conflictuels q ue l'auteur nous introduit cette pensée d'une

importance centrale dans Monnè:

Un jour le C e n t e n a i r e demanda au B l a n c comment

s'entendait en français le m o t m o nn è .

<<Outrages, d é fi s , mépris, i nj u re s , humiliations,

colère rageuse, tous c es m o t s à la fo i s s a n s qu'aucun

le traduise v é r i t a b l e m e n t > > , répondit le Toubab qui

ajouta: <<En vérité, il n ' y a pas chez nous. Européens,

une parole rendant totalement le m o n n è m a l i n k é . >>

Parce que leur langue ne possédait p as le mot, le

Centenaire en c o n c l u t q ue les F r a n ç a i s ne

connaissent p as les m o n n e w . Et l'existence d'un peuple

nazaréen de s u r c r o î t , q ui n ' a v a i t pas vécu et ne

connaissait p as tous les o u t r a g e s , défis et m é p r i s dont

lui et s o n peuple pâtissaient tant, r es t a pour lui.


47

toute la vie, un émerveillement, les s o u r c e s et les

motifs de g r a v e s m é d i t a t i o n s (M o n n è . 9).

Le s romans de Kourouma, p l u r is ignifiants comme le r oma n

africain en général, forcent le lecteur à r e c o n s t r u i r e , au

fur et à mesure que s'établissent les structures de

signification, un c e r t a i n nombre de p r o b l è m e s linguistiques

particuliers à l'histoire d es cultures africaines. Parmi ces

problèmes, nous avons l'opposition conflictuelle entre les

langues africaines et les langues européennes. C'est ce

problème que relèvent le Toubab et le Centenaire qui

arrivent à la c o n c l u s i o n q ue <<les Français ne c o n n a i s s e n t

pas les m o n n e w > > . Le besoin de trouver une terminologie

appropriée pour désigner certains phénomènes culturels bie n

qu'étrangers s'intégrent progressivement à la vie

quotidienne (Onyeoziri, 123).

L'arsenal de procédés linguistiques qu'utilise

Kourouma, apparaît comme u ne véritable nouveauté da n s la

littérature africaine de langue française. Il ne s ' a g i t pas

d'une traduction <<mais bien de s a i s i r un s ens, un rythme,

une façon de p e r c e v o i r et d'exprimer... et de r e nd r e tout

cela en français>> (D i a g o n a l e s # 7, 5). Il adopte une

technique romanesque très proche de l'oralité et se livre à

un travail de style qui s o um et le français à de rudes

épreuves et aux lois s p é c i f i q u e s des langues africaines.


48

Selon l'expression de S é w a n o u D a b l a cité par G h i s l a i n

Ripault, Kourouma a créé un phrasé <<véritablement

africain>> et il a mis en circulation dans la l a ng ue de

l'Autre, un <<réseau de correspondances>> (C he vr i er , 75)

comme personne ne l'a e n c o r e fait avant lui. Le s t y l e de

Kourouma se résume p ar la p h r a s e de R i p a u l t q ui suit:

Kourouma donne à ses "anti-héros" toute l'épaisseur

d'une vie q ui a ses lieux, ses us, ses p ro j et s, se s

mots et s a poésie, sa fureur aussi. Il é c r i t

gaillardement (dans) sa la ng u e, il t r a v a i l l e le

proverbe, le r e f o nd , le d é c a p e , le s c a n d e , l 'é b ou r i f f e ,

remettant en v i g u e u r sa "philosophie pétrifiée",....,

il fa i t f eu d'images, de comparaisons, d'une multitude

de m é t a p h o r e s "à la f o i s s u r p r e n a n t e s et fortement

impliquées dans le contexte physique et psychologique

des locuteurs" (Ripault, 12).

Du s u p e r b e de la langue romanesque, Alain Ricard remarquait

qu'elle était < < v i g o u r e u s e , libre de la t u t e l l e de Par is ,

q ui ne craint pas le c a l q u e de la langue africaine>>

(Ricard, 4 32). Contrairement au m y t h e lé gu é par le ro ma n

occidental et respecté par ses p r é d é c e s s e u r s , l'auteur très

audacieux fait parler ses personnages dans la langu e

malinké, phénomène dont il réitère l'importance dans

l'interview qu'il a accordée à Be r na rd Magnier:


49

Lorsque j 'a i commencé à écrire L es S o l e i l s des

Indépendances. Fama m'est apparu fa d e et ce n'est

que lorsque je l'ai fait parler en m a l i n k é qu'il a pu

avoir tout son re li ef . Dans les parties dialoguées le

français de F r a n c e ne pouvait p as convenir

(Magnier, 12).

La partie q ui va suivre consistera à examiner l'usage,

la fréquence, l'importance et l'impact linguistique et

stylistique d es proverbes dans les d eu x romans de K o u r o u m a .

Notre analyse mérite d'être accompagnée de l'étude des

multiples effets de c o m p a r a i s o n et de répétition. Les m o t s

dialectaux, les interjections et les p a r e n t h è s e s participent

à la f o r m a t i o n et à l'émergence de son projet r o ma n es qu e .

Kourouma fait vraiment parler son narrateur et s es

personnages dans la l a n gu e malinké. L'exemple qui s u i t nous

convaincra du travail linguistique qu'effectue Kourouma par

une s i m p l e comparaison de Les S o le il s des Indépendances A

Crépuscule des Temps Anciens du burkinabé Nazi B on i

concernant le verbe " f i n i r" . Le sens est le même dans

l'usage qu'en fo n t les de ux auteurs mais on c o n s t a t e que

Kourouma audacieusement pousse sa phraséologie au-delà des

normes et conventions requises p ar la langue f ra n ça i s e . Il

élimine tout s i m p l e m e n t les guillemets ou les parenthèses

sans aucun souci de faire directement savoir au l e ct e ur que

c'est lui (Kourouma l'auteur) qui assigne une n o u v e l l e

signification au m o t ou g r o u p e de m ot s. Il a s s i g n e a u s s i de
50

nouvelles formes basées sur la s t r u c t u r e malinké à la

structure française comme dans le c as de: <<elle priait des

sourates pieux>> (L es S o l e i l s . 28). Rappelons, il est v r a i

q ue les auteurs français s'exprimaient déjà sans guillemets

mais cela se faisait au sein de la langue classique et ne

nécessitait ni distorsion profonde ni transformation

radicale de la s t r u c t u r e conventionnelle du français basée

sur une langue Autre, étrangère au français. C'est ce que

nous voyons dans l'exemple de l'écrivain burkinabé qui reste

enfermé et b l o q u é dans les n o r m e s , conventions et e x i g e n c e s

de la langue classique bien qu'exprimant des réalités

africaines. Voici q ui s u i v e n t des exemples comparés:

Exemple 1: <<I1 y avait une s e m a i n e qu'avait f i n i dans

la c a p i t a l e Koné Ibrahima, de race m a l i n k é > >

(L e s S o l e i l s ,7).

Exemple 2: <<Mais Bwan était presque " f i n i "> > , ci t é par

(Gassama, Kuma, 236).

Dans les deux cas, les auteurs voudraient tout s i m p l e m e n t

signifier par <<finir>>: expirer, décéder ou m o u ri r. Ç a ne

veut pas dire terminer comme préétablit par la c o n v e n t i o n .

Kourouma va de la m ê m e manière travailler le proverbe

jusqu'à l'anecdote et le c on te :

Quand on m a n q u e de flèche dans son carquois et q ue le

vis-à-vis v o u s en flanque u ne dans le coeur, a va n t

d'expirer, on esquisse le g e s t e de l'arracher et de la

tourner contre l'adversaire pour que celui-ci sache que


51

l'homme abattu était un b r a ve . Le geste par l eq ue l on

aurait dû répliquer à l'insolence du B l a n c était de

renoncer aux visites de v e n d r e d i (M o n n è . 159).

Le lecteur africain ou malinké de K o u r o u m a se retr ou ve ,

s'identifie et se reconnait à travers l'oeuvre de ce

dernier. Car , c'est de la m ê m e manière que s o n t s t r u c t u r é e s

et parlées les langues africaines. Son oeuvre procurait un

certain plaisir à ses lecteurs et établissait une d i f f é r e n c e

positive captivante qui permettait aux A f r i c a i n s , en g é n é r a l

de s ' i n t é r e s s e r plus à la littérature africaine et de rêver,

puisqu'après tout les préoccupations historiques étaient

presque les m ê m e s .

Beaucoup d'Africains, même t r ès éloignés du c o n t e x t e

malinké, se reconnaissent dans mon r o m a n et s ' a m u s e n t

de s ' y retrouver chez eux (D i a g o n a l e s # 7, 5).

La politique française d'administration des c o l o n i e s

était basée sur l'assimilation de leu r c i v i l i s a t i o n et

faisait croire aux A f r i c a i n s qu'ils pourraient devenir des

citoyens français afin q ue ces derniers s'ajoutent aussi à

l'adoration de la langue classique. Il n ' y avait aucun moyen

de développer les langues vernaculaires comme ce fut le cas

dans les zones s ou s 1'a d m i n i s t r a t i o n de la G r a n d e B r e t a g n e .

On notait très tôt, vers les années 50 d es entreprises de

transformation linguistique comme le cas de T he P a l m - W i n e

Drinkard de A m o s Tutuola, dans une large mesure si milaire à

l'entreprise romanesque de K o u r o u m a .
52

Les réalités politiques et historiques des pa y s

africains avant les indépendances étaient différentes de

celles de l'Afrique indépendante et de la m ê m e m a n i è r e le

système d'administration coloniale français était différent

du s y s t è m e du " S el f Rule" anglais. Cela avait un i mp act

certain sur la f a ç o n de percevoir et d ' a p p r o c h e r la l a ng u e à

laquelle Kourouma assigne de u x finalités :

Elle est un m o y e n de c o m m u n i q u e r , de transmettre des

messages, elle e st aussi un m o y e n de se retrouver soi-

même (D i a g o n a l e s # 7, 5).

La nécessité d'une décolonisation culturelle donnait

plus de liberté et d'audace à l'écrivain africain comme on

en v o i t chez Kourouma. Ce q ui m o n t r e clairement que l'ère de

vénération de la langue française, où l'on n'osait ni

distordre ni offenser ou p o r t e r atteinte à la langue, est

dépassée. L'écrivain africain francophone de la deuxième

génération o se se permettre parfois quelque o ff en se ,

transgression ou d i s t o r s i o n de la langue classique. Les

préoccupations politiques des écrivains de la première

génération ne permettaient pas à c es derniers ces l i b e r té s

littéraires. L'oralité, disons les réalités a f r i c a i n e s se

rendaient bien et continuent p ar s e rendre en français sans

distorsion ni transgression. Est-ce que cela a quelque chose

à faire à l'audience à laquelle on s ' a d r e s s e ? Même si ceci

est vr ai, l'écrivain africain en général s'adresse à un

double public non africain et a f ricain même si ce d e r n i e r


53

n'existe presque pas (Référence au cas particulier des

sociétés africaines d'avant les indépendances où le taux

d'analphabétisme était presqu'à cent pour cent. Le n o m b r e de

personnes capables de li re et peut-être d'écrire était très

limité). Kourouma nous déclare dans son cas qu'il écrit pour

les A f r i c a i n s . Il est donc rare de t r o u v e r dans les deux

romans de celui-ci une phrase aussi précise q ue chez F.

Oyono:

Madame, toute de blanc vêtue, ressemblait à ces

fleurs nouvelles qui deviennent pour un temps le c e n t r e

de l'univers de toute la g e n t ailée ( O y o n o , 75).

Il y a p ar contre u ne profusion de proverbes et de

comparaisons q ui donne aux romans de K o u r o u m a une allure (de

conte) typiquement africaine. Les proverbes (et les contes)

rendent à la palabre africaine, caractéristique de la

tradition orale, un rythme narrateur (a ve c l'image des

soirées de contes autour d'un grand f eu écoutant grand-père

dire des palabres). C'est une reproduction des réalités

quotidiennes socio-historiques (de l'Afrique) dans un

discours métaphorique comme on le r e t r o u v e chez Kourouma.

Les proverbes et les c o n t e s représentent d o n c un m o y e n par

excellence d'éducation, de formation et d'information, tout

un réseau de transmission d es connaissances et de l'histoire

de g é n é r a t i o n en génération. D'une manière générale, la

palabre africaine faite d'une suite de proverbes confère à

la littérature écrite, son s t yl e , son histoire et s on


54

africanitë q ui la d i f f é r e n c i e n t d es autres canons européens.

Voici qui suivent, quelques exemples:

- <<La v é ri té rend les y e u x rouges mais ne les c r è v e p a s> >

(M o n n è . 2 59 ) ;

- <<La vérité comme le p i m e n t m û r r o ug i t les ye u x m a i s ell e

ne les crève pas>> (L e s S o l e i l s . 77);

- <<Quand on s'est engagé à t i s s e r un pagne pour couvrir

toute la n u d i t é des fesses de l'éléphant, on s ' e s t engagé à

réaliser u ne besogne i m p o r t a n t e .... N o u s nous sommes promis

u ne oeuvre plus importante que le p a g n e couvrant la n u d i t é

de l'éléphant; il faut la r é a l i s e r > > (M o n n è , 7 7 -7 8 );

- <<...11 saura que l'hyène a beau être é d e n t ée , sa b o u c h e

ne s e r a jamais un c h e m i n de passage po u r le c a b r i n > >

(L e s S o l e i l s . 16);

- <<Quand on ambitionne de s a u t e r jusqu'à toucher des d o i g t s

les nuages, on effectue de hauts et nombreux essais>>

(M o n n è . 7 8 - 7 9 ) ;

- <<Quand on e s t nargué par la s o u r i s qui a son tr o u da n s le

mur de la c a s e de votre mère, on ne brusque rien: de f u t ur e s

nombreuses occasions de s e rencontrer persistent>>

(L e s S o l e i l s . 164).

L es constructions métaphoriques et l'allure comparative

rendent apparents l'humour et l'ironie qui ont po ur but

d'éduquer et d'offrir u ne information nécessaire à la

reconstruction et à la reconstitution lexicale et s é m a n t i q u e

de la n a r r a t i o n :
55

Togobala, faut-il le r e d ir e , était plus p a u v r e que le

cache-sexe de l'orphelin, asséché comme la rivière

Touko en p l e i n harmattan (L es S o l e i l s . 131).

La c o m p a r a i s o n donne en m ê m e temps des informations s ur le

milieu, les réalités quotidiennes. De la m ê m e manière, on

comparera la s t é r i l i t é de F a m a au roc et à la poussière de

1' h a r m a t t a n .

En t ou t et pour tout, nous nous rendons compte de

l'énorme travail linguistique effectué par l 'a ute ur , da n s

u ne transposition lexicale du m a l i n k é au f r a n ç a i s et une

"francisation" de la s t r u c t u r e malinké. Les deux romans de

Kourouma nous offrent des expériences malheureuses de Fa m a

sous les s o l e i l s des Indépendances et des expériences de

défis et d'outrages q ui provoquèrent la c o l è r e rageuse de

Djigui. Les S o l e i l s d es Indépendances et M on nè . Outrages et

Dé f is q u i m a r q u e n t le d é b u t d'un langage nouveau typiquement

africain sont considérés comme d es classiques de la

littérature africaine, des références et modèles de t e x t e s

écrits en français mais d'expression et de tournure malinké

(africaine). Ne serait-il p as n é a n m o i n s logique et n o r m a l de

nous demander si cette innovation linguistique romanesque

e st un v i o l de la structure française, et en g é n é r a l une

violence contre le f r a n ç a i s ? Kourouma accepte avoir bousculé

les s t r u c t u r e s de la langue française et e s t i m e que cette

dernière doit être transformée selon les exigences et

besoins d es usagers afin de permettre la c o m m u n i c a t i o n .


CHAPITRE III

CULTURE ET VIOLENCE

Selon le P e t i t Robert I . la violence est un abu s de la

f o rc e. Faire violence, c'est agir sur quelqu'un ou le f a i r e

agir contre sa volonté en employant la force ou

l'intimidation. C'est contraindre quelqu'un en le

brutalisant ou en l'opprimant. Faire violence à quelque

chose (à un texte) c'est le d é n a t u r e r .

Une analyse de la littérature africaine (de la p é r i o d e

d'après la deuxième guerre mondiale) montre une

préoccupation politique grandissante dans les oeuvres

littéraires de langue française. Il y avait l'évidence

africaine de la réclamation des droits et de la d é n o n c i a t i o n

non seulement du système impérialiste d'avant les

indépendances mais aussi des systèmes monopartistes de

l'Afrique après les indépendances. On note une violence

plurielle multiforme qui émaille leur production l i t té r ai re .

L'ère post coloniale par contre, présente de nouvelles

réalités socio-culturelles et politiques donc un nouveau

style et u ne écriture nouvelle comme on en t r o u v e chez

Ahmadou Kourouma: une s or t e d'africanisation de l ' é cr i tu re .

D'une façon générale, la nouvelle "épidémie" d'après les

56
57

indépendances, se révèle être la violence. Violence

culturelle ou v i o l e n c e de l'écriture? Le p r e m i e r te rm e pe ut

être défini comme toute violence basée sur la t r a d i t i o n et

inhérente aux pratiques culturelles tandis que la v i o l e n c e

de l'écriture, e ll e, e st perçue comme toute pratique

linguistique perversive q ui dénature la s t r u c t u r e d'un t e xt e

ou d'une l angue. Cette notion de violence nous permet

d'introduire de n o u v e l l e s p h r a s é o l o g i e s : "bonne violence" et

"mauvaise violence". Ce sont des termes contradictoires qui,

pourtant expriment une certaine logique."Une bonne violence"

est une violence physique ou m o r a l e non destructrice, q ui a

pour but d'assurer le b i e n - ê t r e et le b o n h e u r de l 'i nd i vi d u,

de la c o l l e c t i v i t é , son épanouissement, son humanisation.

Les punitions corporelles infligées sur les parents et

familles à Soba afin que c es derniers envoient leurs e n f a n t s

à l'école coloniale, représentent d es formes diverses de

violence physique assurée p ar d es bourreaux de

l'administration (des Noirs). L'éducation du Nègre est en

quelque sorte une bonne violence q ui émancipe l'Africain et

entraîne son épanouissement. Ce fut b o n gré mal gré un

risque et un s a c r i f i c e d'envoyer son enfant à l'école,

sacrifice q ui se traduit en un investissement aveugle à long

terme q ui va p ar la s u i t e produire les premières élites de

l'Afrique indépendante. Par contre, "la m a u v a i s e v i o l e n c e " ,

e st u ne violence physique ou morale, qui n o n seulement

impose de cruelles souffrances sur l'individu ou le g r o u p e


58

sans raison valable mais elle est aussi destructrice. Nous

pouvons citer en e x e m p l e les cérémonies d'excision et leurs

répercussions sur la v i e de Salimata dans L es S o l e i l s , les

souffrances énormes et les hécatombes des travaux forcés

dans Monnè.

L'établissement d'une liste d'auteurs comme Henri

Lopès, Tchicaya U'Tamsi et Yambo Ouologuem, souvent

reprochés de violence sous telle ou telle autre f or me ne

sera complète sans Ahmadou Kourouma dans ses deux romans:

Les S o l e i l s d es Indépendances et M o n n è . Outrages et D é f i s et

Yambo Ouologuem dans son Devoir de Violence. Ces deux

romanciers sont devenus depuis quelques temps les c h e f s de

file d'une nouvelle vague, d'une nouvelle génération de

producteurs littéraires.

Une vue de l'histoire des cultures et des traditions

africaines nous montre d es réalités, des pratiques et

croyances tout à fait différentes d es c u l t u r e s occidentales.

Nous savons q ue l'étalon de la c i v i l i s a t i o n , généralement

s'établit p ar rapport aux normes européennes. On vo i t don c

naître un conflit de cultures: la culture occidentale

moderne et la culture traditionnelle africaine qui

s'opposent souvent au sein d'une même société ( a n c ie n s

élèves de l'école occidentale, paysans illétrés et

analphabètes). Il f a u t noter q ue les s o l u t i o n s disponibles

dans les s o c i é t é s traditionnelles africaines po u r p a r e r aux

malheurs, dévier les m a l é d i c t i o n s et attirer le bonheur


59

s'obtiennent par voie de s a c r i f i c e s . Le sacrifice (qui est

aussi violence du sacrë) entraine t-il la violence? Cela

voudra-t-il dire q ue toutes les traditions q ui r e p o s e n t s ur

les rites sacrificiels sont toutes d es c u l t u r e s v i o l e n t e s ?

L es sacrifices ont généralement pour bu t d'apaiser les

esprits offensés (en c o l è r e ) pour demander leur pardon. Les

dieux étant t rè s exigeants, demandent respect et o b é i s s a n c e .

Ce sont eux q ui apportent des solutions aux problèmes du

peuple. Ils peuvent transformer d es malédictions en

bénédiction, d es malheurs en bonheur par l'entremise des

sorciers et féticheurs. Ils répondent ou non aux m u l t i p l e s

requêtes de la population dues aux exigences et aux

vicissitudes de la v i e q ui devient de p l u s en p lu s d i f f i c i l e

à cause des rapides changements sociaux. Ce qui précède

montre que les sacrifices sont, en fait, u ne pratique

nécessaire pour assurer la p a i x collective et le b o n h e u r de

la s o c i é t é : c'est "une bonne violence".

Le s a c r i f i c e protège contre le m a u v a i s sort, appelle la

santé, la f é c o n d i t é , le b o n h e u r et la paix.

(L e s S o l e i l s . 61).

Les rites d'initiation représentent un passage transitoire

d'acquisition des vert us et qualités indispensables à la vie

dans une société africaine. Les initiés sont le p lu s s o u v e n t

mis à de rudes épreuves physiques et p a r f o i s soumis aux

atroces exercices d'endurance physique et morale. C'est

l'étape de form a ti on morale, s p i r i t u e l l e et d ' é d u c a t i o n aux


60

fondements de la t r a d i t i o n sur laquelle repose la s o c i é t é

africaine. Il devient impératif de souligner que les

pratiques sacrificielles sont des c o u t e a u x à double

tranchant, c'est-à-dire "une bonne violence" (une s o u f f r a n c e

qui fait ressortir un a s p e c t positif de la v ie q ui humanise

la société) et "u n e mauvaise violence". Les sacrifices

peuvent donc être utilisés à des fins m ac h ia vé l iq ue s et

destructrices qui déshumanisent la s o c i é t é . On remarque

aussi que la p a r o l e en A f r i q u e est t rè s importante et peut

être comparée au v e r b e de l'Ancien Testament d an s la Bible.

Elle a une action double, comme le sacrifice, do n t les

ramifications positives ou négatives pénètrent t o ut e la

communauté. Il s'ensuit finalement q ue le s a c r i f i c e n'est

pas l'équivalent de la violence même s'il y a violence

contre l'objet sacrifié. L'usage qu'on fa i t du sacrifice

determine son but. C'est comme la programmation

informatique. L'ordinateur ne p r o d u i t que le résultat qui

lui a été demandé. Il peut êt re aussi utilisé à des fins

diaboliquement négatives. Cela n'autorise ni à affirmer que

l'ordinateur e st mauvais ni à conclure que les traditions

qui reposent sur les rites s a c r i f i c i e l s sont des cultures

violentes. Dans cette é t ud e , il n'y a aucun d ou t e

l'entreprise linguistique de Kourouma est "un e b on n e

violence". Manu Dibango, lor s d'une interview accordée à

Frédéric Mittérrand à TV5, remarquait que << la c r é a t i o n est

notre voix unique de salut>> faisant allusion à l'autonomie


61

politique, économique et culturelle de l 'Af ri qu e.

L'entreprise linguistique de K o u r o u m a s'inscrit d an s cette

perspective. Dans ce cas, le b u t pour l'auteur est de c r é e r

un m o y e n linguistique libérateur qui réponde aux besoins et

exigences de l'Africain francophone. C'est comme l'exemple à

l'instar d es contes africains du lièvre, qui j u g e a n t s es

pattes incapables de supporter son corps et répondre à s es

nouveaux besoins, va se trouver d es ailes d'aigle pou r m i e u x

fonctionner dans le m o n d e a n i ma l .

Il va sans dire q ue l'innovation linguistique

romanesque de K o u r o u m a s'attire sur elle même des attributs

de v i o l e n c e . Quelle e st l'importance du pr i x de la f r a n c i t é

accordé à Kourouma pour son premier roman Les S o l e i l s des

Indépendances? Pour avoir violenté la langue française ou

pour avoir donné à l'auteur et à ses lecteurs (plus

particulièrement son audience africaine) la chance de

s'identifier à ce m o y e n d'expression et de s'affirmer? Il

s'agit bien entendu, d'une violence positive, d'une bonne

violence. Pour d es raisons pratiques il va se d é m a r q u e r du

français de F r a n c e et va créer un français périphérique pour

mieux exprimer l'3me, la p a l a b r e et les réalités africaines.

Kourouma déclare la n é c e s s i t é d'adapter et de transformer le

français selon nos besoins et exigences:


62

La francophonie, si elle n'est p as entendue comme la

nécessité pour chacun de parler le français comme

les Français de F r a n c e et s i elle r es t e une n o t i o n très

ouverte, e st une chance pour nous tous.

(D i a q o n a l e s # 7, 6).

L'écriture de Kourouma n'est (à commencer) qu'une

simple déclaration d'indépendance culturelle. Tout c o mm e les

Québécois, les A f r i c a i n s ne s ' e x p r i m e n t pas de la m ê m e f aç o n

que les Français. Chaque pays francophone a un parler

particulier à la culture lo ca le , même en Belgique et en

Suisse. L'indépendance dans ce s e n s est de transformer cette

particularité à l ' é c r it . C'est dans ce s e n s qu'on parle de

nos jours des français périphériques, c'est-à-dire des

particularités régionales (en dehors de la Fr an c e) de la

langue française. La v i o l e n c e q ui gagne de plus en plus de

terrain dans la littérature africaine est-elle un p r o d u i t de

la c u l t u r e ou le résultat de l'écriture? Les parties qui

vont suivre nous permettront de situer cette notion de

V iolence.
63

A/ Violence culturelle

Les deux romans de K o u r o u m a nous offrent plusieurs

champs d'intérêt q ui relèvent du p o u v o i r et de la v i o l e n c e .

Dans un premier t em ps , l'exemple de Fama, héros du roman Les

Soleils des Indépendances. dernier et légitime descendant

d es princes Doumbouya du Horodougou, e st incapable po ur

plusieurs raisons d'assurer la s u c c e s s i o n de s a dynastie. Il

se retrouve en v i l l e , à la c a p i t a l e , étranger comme tout le

monde ( t ou s les autres malinkés à la capitale) sur son

propre terroir. Frappé d'infertilité et son négoce perdu,

Fama va nous prendre dans un voyage à travers les

vicissitudes de s a vie, accompagné de sa femme Sa limata do nt

les m a l h e u r s ne cessent de grandir mais plutôt doublés de

son infirmité qu'elle combat quotidiennement. Cette

mésaventure conduira notre héros au v i l l a g e p ou r reprendre

le p o u v o i r (qui lui e st dû) à la m o r t de s o n cousin Lacina.

Son retour en v i l l e l'entraînera en p r i s o n et à partir de

là, il n ' a u r a plus la c h a n c e , ni d'assumer v a lablement son

devoir princier (qu'il a hérité), ni de réussir en p o l i t i q u e

à la capitale, parce qu'il est analphabète. Il mo ur r a,

dévoré p ar les caïmans sans les h o n n e u r s dûs à un prince

Doumbouya. Il s ' a g i t d'une violence naturelle ou du destin.

L'ancêtre Bakary, dans Les S o l e i l s , descendant de S o u l e y m a n e

Doumbouya fut persuadé à prendre la p u i s s a n c e à la tête du

Horodougou et fut rassuré de la fin de sa descendance qui


64

<<n'arrivera ni demain, ni après d e m a in , ni un jour

prochain>> (L es S o l e i l s . 102). La fin de s a d e s c e n d a n c e se

fera ;

Un jo u r où ne s e couchera pas, où d es fil s d'esclaves,

d es bâtards lieront toutes les p r o v i n c e s avec des fils,

d es bandes et du v en t, et c o m m a n d e r o n t , où tout sera

pleutre, éhonté, où les f a m i l l e s s e r o n t . . .

(L e s S o l e i l s . 102).

Bakary compris q ue s a <<descendance disparaîtra le jour du

jugement dernier>> (L e s S o l e i l s . 102). Il s ' e s t fait que

l'aïeul Bakary n'ait pas attendu pour to u t é co ut er . La

pensée de F a m a à cette prophétie fatale lui faisait pe ur en

tant que dernier descendant ( m ai s stérile) et "victime

innocente" qui la c o n f i r m e r a i t .

Fama avait peur. Comme authentique descendant il ne

restait q ue lui, un homme stérile vivant d'aumônes da n s

u ne ville où le s o l e i l ne s e couche pas (les l am pe s

électriques éclairant toute la n u i t dans la capitale),

où les f il s d'esclaves et bâtards commandent,

triomphent, en liant les provinces par des fi l s (le

téléphone'), des bandes (le s r o u t es ' ) et le v e n t (les

discours de la r a d i o ' ) . Fama e ut peur de la nuit, du

voyage, d es funérailles, de T o g o b a l a , de S a l i m a t a , de

Mariam et de lui m ê m e . Peur de sa peur.

(L es S o l e i l s . 102).
65

L'expression de la p e u r de Fama e st due aux m u l t i p l e s s i g n e s

annoncés plus tôt p ar la p r o p h é t i e concernant la d i s p a r i t i o n

imminente de la dynastie, sa propre fin. Sa mort est une

manifestation d'une violence naturelle, de s o n destin.

Dans un second temps, Djigui K e it a , roi de Soba da n s

Monné. Outrages et D é f i s , est responsable du bien-être de

ses habitants et e st appelé à assurer la pérennité de sa

dynastie. Malgré la c o n q u ê t e pacifique et sans résistance

d es pays de S o b a p ar les F r a n ç a i s et l'assujettissement de

ses fils au colonialisme et aux travaux forcés, le

Centenaire a su garder et m a i n t e n i r , d'une manière ou d ' u n e

a u tr e , le pouvoir. Il faut quand même remarquer que le

pouvoir de ce dernier ne f ut pas un p o u v o i r réel, il fut une

simagrée de pouvoir. Au fait c'est l'interprète Soumaré qui

maintenait le p o u v o i r par m a n i p u l a t i o n de D j i gu i . Ce dernier

ne reste que s y mb ol e d'un pouvoir an ci en . Quelle est d on c la

différence entre Djigui et F a m a ? Djigui e st un roi ambitieux

qui, nonobstant la h o n t e de sa non résistance à la c o n q u ê t e

française des pays de S o b a , a su bien traiter avec le c o l o n

Blanc. Il e s t avide de p o u v o i r et le s i g n e de s o n ambition

serait la réalisation de la promesse qu'on lui a f a it e de

tirer un train à Soba en s o n nom. Cette promesse ne fut

qu'un le urr e. Il fut naïf à pousser les ge n s de S o b a dans

l'hécatombe d es travaux forcés avant de se rendre compte

très tardivement de l'énorme perte en v i e s humaines. Djigui

n'a pas attendu pour su bi r passivement le destin de son


66

règne . lia très tôt cherché à assurer la p é r e n n i t é à sa

dynastie, et ce faisant, change s o n s or t , son des ti n. Parmi

ses multiples f e m me s , sa préférée Moussokoro (q u' i l a b r av é

les interdits et m a r ié ) fut un c o u p de p o u c e à son règne.

De son côté, Fama, dernier descendant qui devait

assurer les responsabilités princières du H o r o d o u g o u a été

déchu et n'a m ê me p as eu la c h a n c e d'accéder à la s u c c e s s i o n

normale de la d y n a s t i e . L'administration en la p e r s o n n e du

Commndant a décidé unilatéralement de c o n f i e r la c h e f f e r i e à

son cousin Lacina. En p l u s de cette infortune, sa s t é r i l i t é

doublée de l'infertilité de S a l i m a t a les e m p ê c h e d'assurer

la c o n t i n u i t é de la d y n a s t i e . F ama, contrairement à Djigui

donne l'impression d'être passif. Il accepte les m a u v a i s

coups de son destin qui l'entraîne à u ne perte, à la

disparition certaine de la dynastie des Doumbouya et se

retranche dans une résignation.

Psychologiquement, Djigui est plus for t que Fama. Ce

dernier, un prince d é ch u, est frappé de désavantages

naturels. Djigui et Fama se retrouvent aux antipodes de

l'histoire. Le premier a la c h a n c e d'être le d e r n i e r roi à

conduire ses peuples vers "l e s soleils des indépendances" et

le d e r n i e r , F ama, a eu l'infortune d'avoir le tour d'être le

premier à assurer sa s u c c e s s i o n au pouvoir dans "les s o l e i l s

des indépendances". Après tout, l'administration frappera

Djigui p ar un autre monnè en imposant son fil s B é m a comme

son successeur et remplaçant immédiat a v a n t s a mort.


67

L'élément moteur q ui tourne autour d es deux r o m a n s se

révèle être le p o u v o i r . Toute notion ou idée de p o u v o i r fait

apparaître de la v i o l e n c e puisque le p o u v o i r est s a c r é et a

besoin du s a c r é pour se maintenir, se protéger et protéger

les sujets qui forment sa communauté. C'est dès lors

qu'émerge le sacrifice ou les r it es sacrificiels. Les

sociétés traditionnelles africaines sont des sociétés de

croyance basée sur les esprits des aïeu x, les a nc ê tr es ,

considérés comme les p r o t e c t e u r s des v i v a n t s . L es crises et

les malheurs dans la société sont prévenables par le

sacrifice. Et la notion de s a c r i f i c e entraîne l ' id é e de

victime. Comme le remarque René Girard dans son livre, |_a

Violence et le S a c r é ; <<plus la c r i s e e st aiguë, plus la

victime doit être plus "p r é c i e u s e " >> (35). De façon

métaphorique, Fama est aussi sacrifié à la m o d e r n i t é . C'est

ce que nous allons voir c he z Kourouma; le s a c r i f i c e co mm e

rite d'expiation. Dans Les S o l e i l s , nous a v o n s vu S a l i m a t a

offrir d es s a c r i f i c e s animaux aux dieux pour apaiser les

esprits en g u i s e de pardon pour défaire la m a l é d i c t i o n de la

non-procréation q ui pèse sur elle. De la m ê m e m a n i èr e,

beaucoup de s a c r i f i c e s o nt é té offerts po u r apaiser tel ou

tel dieu et parer tel ou tel m a l h e u r , implorer le p a r d o n ou

la bénédiction de t el ou t el esprit car, il fau t des

< < . . .sacrifices, beaucoup de s ang ; les sacrifices s on t

toujours et partout bénéfiques>> (L es S o l e i l s . 123).


68

Le phénomène de ri t e sacrificiel est abondant dans

Monnè, Outrages et Défis. Dès le début du roman, on

introduit le lecteur à une sc è n e profusément sanglante. La

pérennité de la d y n a s t i e des K e i t a do i t ê t r e a s s u ré e . A quel

prix? Au pr i x d'énormes sacrifices. A l'importance de la

crise à prévenir ou du m a l h e u r à par er , la p r é c i o s i t é de la

victime. La relation crise-victime est un facteur trè s

important et déterminant dans l'expiation du malheur selon

les féticheurs, sorciers et m a r a b o u t s . Dans les c as de f o rc e

majeure il f a u t forcer la b o n t é d es esprits (concernant la

crise, la menace) sur le peuple, q ui donne selon la

croyance, d es résultats d ' e f f i c a c i t é maximale. La h i é r a r c h i e

dans l'importance et l'efficacité de la v i c t i m e n'est pas

gratuite; le p l u s proche la v i c t i m e est de l'homme, le plus

efficace elle e st supposée être. A ce pr op os , René Girard

dans La V i o l e n c e et le Sacré observe que <<les victimes

animales ont toujours quelque chose d'humain, comme s'il

s'agissait de m i e u x tromper la v i o l e n c e : "on c h o i s i s s a i t

toujours parmi les animaux, les pl u s précieux par leur

utilité, les plus doux, les plus innocents, les plu s en

rapport avec l'homme p ar leur instinct et par leurs

h a b i t u d e s ... on choisissait dans l'espèce animale les

victimes les plus humaines, s'il est permis de s ' e x p r i m e r

ainsi>> (15). Nous nous rendons compte de 1' é n o r m i t é de la

violence perpétrée contre l'Autre pour la satisfaction

égoïste de nos demandes. Il s e r a i t to u t à fait naïf de


69

penser dans ce ca s que K o u r o u m a a délibérément choisi de

perpétrer la violence, "la mauvaise violence" dans et par

ses oeuvres. Est-ce un crime que de c h e r c h e r à partager sa

culture, la c u l t u r e malinké avec son lecteur? <<La poule n'a

jamais honte de s o n poulailler?? (Proverbe togolais). De la

même manière, Kourouma e st fier de sa culture et cherche à

nous (lecteurs) la f a i r e découvrir.

En analysant les champs culturels de la violence, on

est tenté de faire un détour rétrospectif à la p é r i o d e

coloniale et à la philosophie impérialiste communément

présentée p ar les ténors et auteurs comme u ne "mission

civilisatrice" salvatrice. Il ne faut pas oublier les

conséquences socio-historiques dans les s o c i é t é s colonisées.

En tant q ue domination et assujettissement d es peuples

(inférieurs), la colonisation établit un système

d'exploitation au p r o f i t surtout du c o l o n i s a t e u r , système

q ui n'est généralement autre qu'une chosification et une

déshumanisation du colonisé. Assujettir un peuple sur son

propre terroir n'est pas u ne s i t u a t i o n ni gaie, ni amicale

ni pacifique. Il exige l'usage de la force dont de la

violence pour dompter (à coups de matraque par < < de s

macaques à casques?? comme dans le cas des travaux forcés)

les esprits rebelles animés de liberté et d'indépendance.

L es travaux forcés n'ont qu'une signification économique que

les N o i r s n'arrrivaient pas à cerner. Ils ne s a i s i s s a i e n t ni

la p o r t é e de la c o n s t r u c t i o n du c h e m i n de fer q ui a pour
70

aboutissement direct la perte massive en v i e s hu m ai n es .

C'est u ne violence sacrificielle énorme et inutile contre

les peuples de S ob a , c'est donc <<une mauvaise violence>>.

Pourtant, les sacrifices ont aussi un s e n s humain ou

humanisant que toute la société reconnaît. Ils protègent

contre les esprits maléfiques, entraînent la sant é, le

bonheur et la paix. Ils sont le résultat d'une <<bonne

V iolence>>.

Rappelons à propos que les F r a n ç a i s entreprirent à Soba

et dans beaucoup d'autres régions, d es travaux publics et

ils employèrent <<le s y s t è m e abhorré>> (Le R o m a n . 19) des

travaux forcés (selon l'expression Claire Deho n) pour

déboiser, tracer des routes et faire d es constructions

d'intérêt général. Les travaux f o r c és , méthode inhumaine et

indéfendable en e l l e - m ê m e , fut utilisée à cause d'un maigre

budget et d'un manque d'enthousiasme de la par t des

populations pour de s entreprises dont elles ne s a i s i s s a i e n t

ni la portée ni l'importance. Même Djigui, qui devait

fournir les travailleurs, n'arrivait p as à cerner la p o r t é e

de c es ouvrages. Il é t a i t avide de p o u v o i r et ne pensait

qu'à le renforcer et aussi s a t i s f a i r e son ambition naïve qui

est celle de "se faire tirer un t ra in ". Ces situations

provoquèrent donc d es e x cè s . En plus d es conditions

misérables de v ie faites aux travailleurs, et des

difficultés familiales et tribales dues à la s é p a r a t i o n des

hommes loin des leurs, les indigènes qui étaient chargés par
71

1'a d m i n i s t r a t i o n de recruter le p e r s o n n e l , abusèrent de leur

pouvoir contre les s i e n s . Ils profitèrent de leur p o s i t i o n

pour obtenir eux-mêmes des travailleurs gratuits et d i v e r s

autres avantages de la p o p u l a t i o n qu'ils terrorisaient.

Le pauvre diable capturé dans son village et d e s c e n d u à

Soba travaillait chez le sicaire, le r e p r é s e n t a n t , le

c he f de canton et l'interprète gratuitement;

1 ' i n t e r p r è t e , le c h e f de c a n to n , le représentant et le

sicaire vendaient le travail du fatigué au pl u s

offrant. Le s y s t è m e fonctionna si bien q u ' o n v it des

hommes ayant quitté leurs v il l ag es e f f e c t u e r six m o i s

de travail au noir nègre (s'ils ne réussissaient p as à

déserter) avant d'être présentés au Blanc complètement

vidés, maigres et m a l a d e s (les e m p l o y e u r s noirs

nourrissaient très mal les m a n o e u v r e s à leur s e r v i c e )

(M o n n è . 84).

La dureté du s y s t è m e qui s ép ar a i t ainsi les fami ll es ,

q ui gaspillait les vies humaines finit par e m b a r r a s s e r

tellement le gouvernement français qu'il y renonça. Les

travaux forcés durèrent si longtemps qu'ils laissèrent une

amertume très dure dans le c o e ur , de b i e n des g e n s de Soba,

de b i e n des Africains. Ils en p a r l e n t encore aujourd'hui,

avec horreur comme l'auteur, mais ce dernier y ajoute de

l'humour et du s a r c a s m e pour décrire les c r u a u t é s , p rè s d'un

demi siècle après leur abolition. Ce q ui p r é c è d e constitue

quelques aspects des manifestations de la violence


72

sacrificielle dont l'aboutissement direct est un g a s p i l l a g e

des vies humaines. Quand on décide de forcer la m a i n des

aïeux à accepter les offrandes et sacrifices, on pousse

aussi la v i o l e n c e à un extrême:

Djigui avait décidé de braver, de d é f i e r . Il ignor a

les interdits; le c a r n a g e continua...Un moment

seulement. Comme s'ils répondaient à un s i g n a l ,

les o i s e a u x piquèrent, les fauves s a u t è re nt par­

dessus les ramparts. Les sacrificateurs, e f f r a y és ,

hurlèrent et, pour échapper à la m or t , se barricadèrent

dans les cases. Cette fois l'univers révolté é ta i t

définitivement troublé. Même les fauves de la nu i t

étaient sortis en p l e i n s o l e i l (M o n n è . 14).

L'énorme sacrifice comme nous pouvons le voir dans le

passage qui précède a violenté la n a t u r e et s e s fauves et on

assiste à une révolte générale de la f l o r e et de la f a un e

entourant les pays de Soba. Quelles sont donc les

motivations de D j i g u i dans s o n changement de d é c i s i o n ?

Puisque les mènes d es aïeux se m o n t r e n t incapables

de nous accorder ce que nous voulons, demandons-le

à Allah. J'ordonne à tous de p r i e r le T o u t - P u i s s a n t . Il

accordera la pérennité ou n o u s mourrons de prière

(M o n n è . 14).
73

Ce changement e st de façon inhérente une violence orchestrée

contre le f é t i c h i s m e (représenté p ar les aïeux) accusé d 'une

incapacité de p r o c u r e r aux peuples de S o b a leurs désirs, en

mettant et fétichisme et islam aux prises dans un c e rc l e

vicieux de compétition. Il s'ensuit u ne opposition

compétitive entre les m a r a b o u t s d'un côté et les f é t i c h e u r s

de l'autre dont les répercussions, généralement dangereuses

et m a l h e u r e u s e s , retombent sur les p o p u l a t i o n s et les m a s s e s

innocentes. L'équivoque ou plutôt l'ambivalence religieuse

demeure toujours pratiquée à Soba et l'on tend plutôt à un

syncrétisme religieux sournois. Il n ' e n demeure pas moins

vrai que la c r o y a n c e aux offrandes et aux r it e s s a c r i f i c i e l s

e st prépondérante et habituelle, et n o u s entraîne dans un

cercle continuel de violence contre toute la n ature, le

monde animal et d a n s la p l u p a r t du temps , n'épargne pas les

couches sociales humaines.

La notion de violence ou la violence elle-même est

présente dans toutes les sociétés du monde sans a u c un e

exception. Elle fait partie, disons, de la n a t u r e humaine,

se manifeste de diverses manières et se présente sous

diverses formes dépendant du m i l i e u . Généralement, les rites

d'initiation et les cérémonies d'excision ont pour "objet"

le c o r p s humain, la p e r s o n n e humaine sur laquelle diverses

formes de tatouages, d'ablations et de s c a r i f i c a t i o n s s o n t

opérées. L'exemple le p l u s frappant et flagrant de v i o l e n c e

rituelle sur le corps de l'individu est celui de la


74

circoncision ch e z les p e t i t s garçons et l'excision chez les

jeunes filles. Le c as q ui retient le p l u s d'attention est

l'excision d es jeunes filles musulmanes. Elle est considérée

comme un rituel non nécessaire et inutile q ui est d e v e n u

traditionnel ch e z certains peuples de l'Afrique de l ' O u es t

et ailleurs comme c'est le c as ch e z les M a l i n k é s da n s Les

Sole iIs. Ces procédés rituels traditionnels sont des

passages nécessaires et indispensables po u r une

catégorisation dans une s o c i é t é de c l a s s e s qu'est la s o c i é t é

malinké (la s o c i é t é africaine). C'est selon la t ra d it i o n ,

u ne étape nécessaire et importante d'intégration de

l'adolescent dans la société. Ce faisant, en essayant de

remplir les conditions d'appartenance à la société, on

s'enlise dans un cercle de victimisation coupable, en

acceptant au n o m de la tradition et de la c u l t ur e , cette

forme de v i o l e n c e contre sa propre personne.

Dans un m ê m e ordre d'idées et d a n s la m ê m e perspective,

c'est la violence la plus condamnable, régulièrement

condamnée et communément criée de n o s jours par les n o u v e a u x

groupes émergents de d é f e n s e des droits de l'homme et de la

femme qui considèrent les cérémonies d'excision d es jeunes

filles comme d es rituels superfétatoires inu ti le s. Nous

avons dans Les S o l e i l s , l'exemple du g r o u p e de jeunes filles

nouvellement excisées dont Salimata, qui deviendra par s u i t e

la femme de Fama. Cette dernière semble être maudite depuis

qu'elle fut violée p ar un s u p p o s é esprit juste après les


75

cérémonies. C'est ainsi que débutèrent ses souffrances non

seulement physiques occasionnées par s e s plaies d'excisée

(q ui manquent habituellement de traitements hygiéniques

élémentaires) mais aussi des s o u f f r a n c e s psychologiques,

résultat de s o n infirmité, son infertilité. Salimata ne s e r a

donc p as en m e s u r e de marier l'homme qui lui est d e s t i n é e

pa r la tradition. Ceci montre u ne attitude rebelle de

l'auteur et de l'opinion générale contre cette p ra t iq ue ,

trop cruelle pour le c o r p s humain et q u i s e révèle au fait

être non nécessaire. L'excision de S a l i m a t a n ' a rien a j o u t é

d'extraordinaire à sa personne, elle a plutôt tou t perdu,

puisqu'après tout, elle paraît l'avoir définitivement

frappée d'une terrible infertilité qui semble être

impardonnable malgré les multiples prières, offrandes et

sacrifices offerts p ar cette dernière. C'est ainsi qu'elle

va se retrouver à la c a p i t a l e , mariée à Fama, aussi stérile

et incapable de p r o c r é e r . Il est difficile de d é t e r m i n e r si

l'infertilité de S a l i m a t a est naturelle ou provoquée par les

esprits mais u ne interprétation traditionaliste prouvera

qu'elle a é té frappée d'une malédiction épouvantable

puisqu'elle a beau prier et tu er des sacrifices. Les

traditions africaines, généralement exigent un r e s pe c t

scrupuleux de la p a r t d es protégés, de la p o p u l a t i o n . Le non

respect entraîne des m a l é d i c t i o n s mais le respect (même s ' i l

est bénéfique et éfficace) e st en quelque sorte une

victimisation de soi, l'acceptation d'une violence qu'on


76

pense être u ne "bonne violence". Doit-on continuer par

respecter les traditions contre u ne v i c t i m i s a t i o n de s oi ou

désobéir en se laissant frapper p ar la c o l è r e des d i eu x? La

deuxième hypothèse est facile à suggérer mais dangereuse

pour les s o c i é t é s concernées parce que la c o l è r e des dieux

est destructrice. Il e st aisé de critiquer u ne s o c i é t é de

l'extérieur. Tout ce que dispose cette s oc iété n'est que

l'univers qu'offre son environnement, c'est un c o u t e a u à

double tranchant, il n'y a vraiment pas de choix. La

composition sociale et la catégorisation des sociétés

africaines es t différente de celle des s o c i é t é s occidentales

dont les valeurs restent différentes. Répondre par o ui ou

par non serait extrémiste et dangereux. Nous devons vivre

avec notre temps en tenant compte d es réalités de nos

milieux.

Les Soleils d es Indépendances et M o nn è . Outrages et

Déf is portent et traitent des titres-thèmes qui s o n t au

centre de leu r problématique thématique et de la p h i l o s o p h i e

littéraire de K o u r o u m a . Pour ce d e r n i e r , les f r a n c o p h o n e s

n'ont pas choisi de v i v r e s o u s la d o m i n a t i o n française. La

langue française a é té héritée: c'est u ne réalité historique

et culturelle. <<A nous maintenant de la t r a n s f o r m e r s e l o n

n os besoins et exigences?) (D i a g o n a l e s # 7, 6). Car pou r

1'auteu r :
77

La se u l e limite imposée à l'écrivain tient d on c à la

compréhension; dans cette limite, il est libre de

bousculer les c o d i f i c a t i o n s et de tordre la lang ue

(D i a g o n a l e s # 7, 5).

C'est de cette manière que nous aboutissons de n os jo ur s à

un français pluriel ou à des français périphériques. Ils

permettent d'assurer une décolonisation culturelle, une

indépendance linguistique à laquelle l'Africain francophone

peut s'identifier et d a n s laquelle il p e u t se r e co n n a î t r e .

Le dévoilement et le d é r o u l e m e n t de cette p h i l o s o p h i e n ou s

présente d es manifestations variées de la violence. En

effet, le signifiant "monnè" et "les soleils des

indépendances" sont des expériences quotidiennes socio­

culturelles, historiques et p o l i t i q u e s du Malinké (de

l'Africain par extension), sa façon de juger et de p e r c e v o i r

le monde. Les ramifications lexicales, struct ur al e s et

sémantiques sont nombreuses et les m u l t i p l e s variations des

expériences quotidiennes, correspondent aussi à de m u l t i p l e s

expériences de violence dans ses formes variées. Il p a r a î t

clair que la p l u r i s i g n i f i a n c e culturelle de " mo nn è " et des

soleils d es Indépendances, qui constitue la base de la

création romanesque de K o u r o u m a , établit les fondements de

l'attachement culturel de ce dernier à son ter r oi r, et ce

faisant, singularise les c h a m p s et expérience de v i o l e n c e .


78

Les vicissitudes de D j i g u i et les tribulations des gens

de Soba depuis l'arrivée de l'occupant fr a nç a is ,

accentuèrent les souffrances de ces peuples dans les

nouvelles "institutions" du B l a n c comme les p r e s t a t i o n s , les

im pô t s, les taxes et les travaux fo rc é s. Ces nouveautés

furent accompagnées d'une introduction de transactions

monétaires q ui s o n t une m a r q u e de la c i v i l i s a t i o n selon le

tirailleur-interprète Soumaré. Le lecteur dans son effort de

reconstitution découvre la v i o l e n c e contenue dans le "monnè"

depuis la h o n t e de l'occupation subie par Djigui en passant

p ar la conscience de sa destinée de monnè jusqu'aux

malheurs, souffrances et tribulations d es peuples de S o b a

dont une légion fut frappée p ar l'hécatombe des tr av a ux

forcés. La m e n t i o n du <<plus grand monn>> (178) de la vie

indique u ne différenciation d es degrés de m o nn è , une

catégorisation d es malheurs, d es malédictions et de la

violence. Ici l'arrestation du marabout Yacouba est p e r ç u e

p ar Djigui comme la p l u s grande malédiction de sa vie. To u t

acte de d éfi, d'outrage, de colère, de rage, de malheur et

de malédiction représentant le m o n n è r e st e une source de

violence. Le m o n n è implique aussi une internalisation du

malheur, u ne e s p è c e de culpabilité comparable ou pire que

l'acte violent. Le résultat de toutes ce s souffrances, de

t ou s ces m a l h e u r s et de toutes c es m a l é d i c t i o n s bref cette

déshumanisation du N o i r constitue une v i o l e n c e m u l t i f o r m e .


79

Elle est inhérente à une insatisfaction g é n é r a l e de ce

qu'offre la v i e s o c i a l e communautaire à Soba et entraîne le

recours aux dieux et aux sacrifices.

D'un côté "l e s s o l e i l s d es Indépendances" qui i n c a r ne n t

une plurisignifiance socio-politique et c u l t u r e l l e offrent

u ne multitude d'exemples des conséquences néfastes des

indépendances politiques d es Etats africains. Ces désirs

furent livrés à d es démons comme la c o r r u p t i o n , le c u l t e du

parti unique. Ces démons politico-culturels nés des

indépendances politiques, sont d es agents vecteurs d ' un e

violence inhérente aux "Soleils d es Indépendances" dont Fam a

fut victime. Et en tant que victime, il a fait des

expériences malheureuses constituées d'échecs, de déboires

et de souffrances, portant seul sur ses épaules les lou rd es

responsabilités d'une menace de disparition de sa dynastie

aux glorieuses règnes s é c u l a i r e s aux destinées des peuples

du H o r o d o u g o u . On voit u ne atteinte de v i o l e n c e contre la

personne de Fama. Cette destitution manigancée au p r o f i t du

cousin Lacina est une v i o l e n c e perpétrée contre F am a qui se

retrouve étranger à la c a p i t a l e sur son propre terro ir . Il

es t tout à fait aisé de reconstruire l'itinéraire de la

violence dans les sociétés qui composent les p e u p l e s du

Horodougou et de s s o l e i l s de s indépendances. En plus, no u s

avons les multiples scènes de violence q ui frappèrent

Salimata dont le v i o l ( vi o l dit-on, perpétré par un esprit)

dans le s a n g de ses plaies d'excisée (en faisant a us si


80

mention de t ou t le g r o u p e de jeunes filles excisées). Les

"soleils des indépendances" comme le "mo nn è" est

p l u r i s i g n i f i a n t , il e x p r i m e et désigne les v a r i é t é s de m a u x

qui frappent les p a y s africains de la période d'après les

indépendances. "Les soleils des indépendances" d on t les

manifestations ressemblent à une pes te , s' ab a t t i r e n t sur les

pays africains et firent de la pl u s g r a n d e majorité des

populations, illettrés et des analphabètes, victimes

innocentes comme Fama et autres dont le c o u s i n L acina.

L es S o l e i l s des Indépendances s'étaient annoncés comme

un orage lointain et d ès les p r e m i e r s vents Fama

s'était débarrassé de tout: négoces, a mi ti é s, femmes

pour user les n u i ts , les j ou rs , l'argent et la c o l è r e à

injurier la F r a n c e , le père, la m è r e de la Fr ance. Il

avait à venger cinquante a ns de d o m i n a t i o n et une

spoliation. Cette période d'agitation a été appelée les

soleils de la p o l i t i q u e . Comme une nuée de s a u t e r e l l e s

les indépendances tombèrent sur l'Afrique à la s u i t e

d es s o l e i l s de la p o l i t i q u e . Fama avait comme le p e ti t

rat de m a r i g o t creusé le t r o u po u r le s e r p e n t avaleur

de rats, ses efforts étaient devenus la c a u s e de sa

perte c ar comme la feuille avec laquelle on a fini de

se torcher, les Indépendances une f o is a c q u i se s , Fa ma

fut oublié et jeté aux mouches (Les S o l e i l s , 22).


81

L es indépendances politiques, qui comme l'indique le

nom devaient ouvrir u ne nouvelle è re de liberté et de

prospérité aux peuples de m o n nè , comme "u ne nuée de

sauterelles" tombèrent sur les p o p u l a t i o n s de ces n o u v e a u x

Etats africains, prête pour u ne "mission" de d e s t r u c t i o n et

de d é v a s t a t i o n . Les s o l e i l s d es indépendances faisaient des

masses laborieuses innocentes, surtout analphabètes, les

victimes des violences politiques, des sacrifices

d'expiation pour l'autonomie politique de ces nouveaux

Etat s. C'est donc un phénomène qui exprime une im me n se

cruauté et une extrême violence des nouveaux dirigeants et

responsables africains contre leurs propres populations,

ignorées et innocemment sacrifiées. Ces mêmes dirigeants

continuent d'accuser le colonisateur pour l'entière

responsabilité de la paupérisation des nouveaux Etats

africains indépendants et de le ur s peuples comme la

situation qu'on retrouve dans les s o l e i l s des indépendances.

Ahmadou Kourouma, de son côté, ne fait q ue nous retracer

l'ampleur du m a l violent q ui frappe de p l e i n fouet la m a s s e

générale i n no c en te . Est-ce à dire que l'auteur é c ri t

violemment? La partie qui s u i t nous montrera les richesses

et prouesses stylistiques de K o u r o u m a dans u ne l an gu e de

compromis novatrice et libératrice.


82

B/ Ecriture violente et violence linguistique

Les de ux ro ma n s: Les Soleils d es Indépendances et

Monnè. Outrages et Défis de Kourouma sont écrits en

"français cassé", violentant les s t r u c t u r e s conventionnelles

de la langue classique pour les africaniser. Ce phénomène

annonce une nouvelle f o rm e, une n o uv e l l e vague d'écriture

différente de celle des prédécesseurs africains (écrivains

de langue française). Voici qui nous explique ce qu'il a

fait :

Qu'avais-je donc fait? Simplement donné libre

cours à mon tempérament en distordant une lang ue

classique trop rigide pour qu e ma pensée s ' y meuve .

J'ai donc traduit le m a l i n k é en c a s s a n t le f r a n ç a i s

pour trouver et restituer le r y t h m e africain

( R i p a u l t , 10).

De cette manière et le p l u s naturellement possible, Kourouma

trouve-t-il, il n o u s retrace son projet linguistique de

distorsion de la langue française. Sur cette distorsion

habilement manoeuvrée, va reposer toute la p h i l o s o p h i e de sa

création romanesque. Ses techniques stylistiques violentes

et "criminelles" pour certains, sont pourtant authentiques

et originales, forçant et pliant la langue française aux

exigences de la pensée et des s t ru c tu re s linguistiques

malinkés.
83

Je l'a i p e n s é en m a l i n k é et é c r i t en français en

prenant une liberté q ue j'estime naturelle av e c la

langue classique (Badd ay , 6-7).

Son attitude agressive et violente envers la l an gu e

classique force cette dernière â son service. C ' es t , au

fait, une traduction d'un texte, qui initialement n'existe

pas. Il va d o n c façonner la langue classique par un p r o c é d é

de m a l l é a b i l i t é l e x i c al e , structurale et s é m a n t i q u e , et une

sorte d'hybridation linguistique aux exigences de sa p e n s é e

et celle de s o n t er r oi r . Cela revient à d i r e q ue l ' a u te u r

fai t recours à des pratiques de distorsion et de

transgression linguistiques, car po u r lui < < l e français de

France ne convient pas>> ( M ag ni er , 12) à l'expression de la

pensée ni à l'élasticité du d i a l o g u e malinké. La lan gu e

française parmi les langues européennes est u ne des la ng ue s

puristes les m i e u x protégées, q ui n ' a d m e t et ne p e r m e t ni

viol ni distorsion. Même les a n c i e n n e s colonies héritières

de la langue (qui s o n t actuellement de s p ay s indépendants)

et q ui l'utilisent comme moyen d'expression lui vouent la

même adoration et le m ê m e respect que les F r a n ç a i s . C'est à

dire q ue le f r a n ç a i s q ui est écrit en F r a n c e a toujours été

et reste le m ê m e à la M a r t i n i q u e , au T og o, au Sénégal, à

Madagascar, même dans u ne partie du Cameroun. L'exemple du

Cameroun est particulier parce que c ' e s t un pays bilingue

qui est divisé en deux zones dont une, anglaise et l 'a ut re

française.
84

L'évolution linguistique du français s'effectue

presqu'au même rythme que celle de l 'a n gl a i s , car la

politique culturelle e st conçue pour éviter les

régionalismes linguistiques. On a actuellement des livr es

écrits en pidgin anglais comme en pidgin fr an ç ai s.

Il y a eu u ne tendance de catégorisation régionale du

français après les indépendances politiques d an s les

anciennes colonies et qui entraînent une introduction

massive de calques locaux dans le p a r l e r comme en C ô t e

d'ivoire. Mais généralement ce phénomène n 'a pas atteint la

même ampleur à l'instar du pidgin dans les pays de langue

anglaise comme au Nigéria. La langue écrite est d e m e u r é e et

demeure celle de l'Académie française qu'on p eu t trouver en

Afrique, dans les C a r a ï b e s , au C a n a d a et en Fr an ce. L'audace

linguistique et littéraire de K o u r o u m a a ouvert la m a r c h e et

redonné confiance et courage à beaucoup d'écrivains et

artistes de langue française q ui continuent par se chercher

sur le p l a n linguistique. Dans l'innovation de K o u r o u m a , non

seulement beaucoup d'écrivains trouvent un langage nouve au ,

mieux adapté culturellement aux réalités locales mais le

monde francophone, en général, peut p lu s facilement

s'identifier à cette "nouvelle l an gu e " et s ' a f f i r m e r par

elle de diverses manières et s o u s diverses formes. Monsieur

Kourouma ne s'arrête pas à sa gymnastique linguistique

créative, il va d a n s sa stratégie littéraire, établir une

complicité ironie-humour q ui v a de p a i r avec la s t r u c t u r e


85

lexicale et s é m a n t i q u e qu'on trouve d an s le M a l i nk é . Avec le

lecteur il établit une relation auteur-lecteur da n s un

travail conjoint de reconstruction et de compréhension au

fur et à mesure qu'évolue l'histoire de s o n roman. Au m ê m e

moment il apprend au lecteur non malinké lal an gu e et la

culture malinkés, et de cette manière, rend la l e c t ur e de

son oeuvre plus agréable à tous. S e l o n S . Dabla, Kourouma a

créé un <<phrasé véritablement africain>> en m e t t a n t en

circulation dans la langue de 1'A u t re , tout un < < r é s e a u de

correspondances>> (Chevrier, 75). C'est tout un a r s e n a l

linguistique q ui m e t en vigueur sa "philosophie pétrifiée".

Il f a i t usage d'innombrables im ag es , de c o m p a r a i s o n et d 'u n e

multitude de métaphores < <à la f o is surprenantes et

fortement impliquées dans le contexte physique et

psychologique de s e s locuteurs>> ( Ri p au lt , 10).

Le constat violent de s a philosophie littéraire et sa

création romanesque n'est finalement pas une "violence

négative" uniquement destructrice de la lan gu e f ran ça is e .

C'est une "violence positive" nécessaire et peu t être

indispensable pour l'encouragement et la libération

linguistique et culturelle de l'écrivain, du f r a n c o p h o n e .

Cette étape de v i o l e n c e certes, e st une étape nécessaire et

indispensable au re-nouvellement et à la re-création d'une

langue de compromis qui pourra réécrire les cultures

francophones. C'est u ne sorte de décolonisation culturelle.

Kourouma, à cause de son moyen libérateur d'expression


86

romanesque <<est critiqué et accusé par les Français pour

avoir violenté leur l angue, salué par certains critiques

africains pour sa "remarquable originalité" ( M a h a m a d o u Kane)

et " sa fécondité étonnante" (Ngal)>> (Lavergne, 16). Il est

passé p ar le filtre scruteur serré de la francophonie et des

institutions françaises en s ' a r r a c h a n t u ne reconnaissance

générale comme créateur d'une langue universellement li si bl e

qui portera le monde francophone à une décolonisation

culturelle t o t al e . Ses d eu x romans sont rapidement devenus

d es références et classiques mis dans les p r o g r a m m e s de

beaucoup d'universités et de lycées africains.

Les champs ou s c è n e s de violence dans les deux r o ma n s

de K o u r o u m a , depuis l'assaut des m e n d i a n t s sur S a limata en

passant p ar les e x a c t i o n s des partis politiques et des

milices armées sur les p e u p l e s ( po ur mater ces deniers en

cas de récidives et de rebellions) sont n o m b r e u x . Ils

aboutissent aux monnew de S o b a et de son roi D j i g u i , aux

malheurs " de s soleils d es Indépendances" do n t les

vicissitudes et les tribulations se multiplient. Djigui et

son peuple o nt fait recours â d'innombrables et énormes

rites sacrificiels pour assurer la p é r e n n i t é à la d y n a s ti e ,

celle d es K e i t a . Balla aussi en fit de m ê m e po u r réinstaller

Fama dans sa légitimité r oy al e. L'auteur, à son tour va

essayer de trouver un langage convenable aux réalités du

milieu africain francophone d'où u ne supposée violence

contre la langue française. Traditionnellement et


87

généralement, la q u e s t i o n se pose sur la v a l e u r s y m b o l i q u e

et l'importance culturelle de certaines cérémonies

d'initiation (les c é r é m o n i e s d'excision pour les jeunes

filles et les c é r é m o n i e s de c i r c o n c i s i o n p ou r les garç on s)

et d e s r it es s a c r i f i c i e l s (perçus comme une v i o l e n c e s u r le

monde animal et v é g é t a l ) parce q ue ces derniers n'arrivent

pas à rassembler les c o n d i t i o n s modernes élémentaires et

minimales d'hygiène. Nous voyons enfin que K ou rouma d an s s es

oeuvres, ne fai t que redéfinir l'identité culturelle de

l'Africain francophone. Il p a s s e donc par une d é c o l o n i s a t i o n

culturelle q ui permettra à ce d e r n i e r de s'affirmer à

travers une "langue nouvelle" dans laquelle il se reconnaît

et q u i peut aussi exprimer sa conscience, sa N é g r i t u d e . Car,

comme François Rabelais cité p ar Alpha Blondi (chanteur

i v o i r i en ) dans sa c h a n s o n , <<science sans conscience n'est

que ruine de l'3me>>, il faut de ce fait éviter la

conscience culturelle de l'Africain francophone d'aller à

une ruine, â la d ér ive . En tout et p o u r tout, il d e v i e n t

ai s é de remarquer q ue le projet linguistique

"kouroumanesque" n'est qu'une "violence positive" nécessaire

et indispensable contre la langue française. L'entreprise de

Kourouma donne plutôt la chance au monde francophone

périphérique de se reconnaître dans la langue française en

formant une unité linguistique plurielle.


CHAPITRE IV

L'HUMANISME DANS LES OEUVRES DE KOUROUMA

Une première lecture des romans de K o u r o u m a n o u s d on n e

l'impression d'un réquisitoire contre le c o l o n i a l i s m e , d ' un e

critique portée contre la prolifération et la p o l i t i q u e des

systèmes monopartistes dans les jeunes Etats africains a pr ès

les indépendances. C'est un c as que n o u s retrouvons dans

" L es S o l e i l s des I n d é p e n d a n c e s ". O n semble aussi constater

une critique des systèmes d 'o r g a n i s a t i o n traditionnelle,

poussée jusqu'à un dénigrement du Nègre (du Malinké).

L'auteur s'exprime à travers un style moqueur et par

l'entremise de certains personnages du roman don t le

ti r a i l l e u r - i n t e r p r ê t e S o u m a r é (M o n n è ) . Q u e l enseignement et

quel message portent c es deu x romans de Kourouma? Les

th èm e s, le s t y l e de re-création linguistique et l ' e s p ri t

novateur de l'auteur forment un e n s e m b l e cohésif et c o h é r e n t

de redynamisation culturelle de l'image du N è g re , de la

Négritie et de toute la c o s m o g o n i e africaine en c o n s t a n t e

métamorphose. Nous assistons à une tentative de

revalorisation des coutumes et traditions et une

redéfinition de l'identité culturelle en armant l'africain

francophone des moyens de réaliser u ne réaffirmation

88
89

culturelle (Affirmation de l'Identitë Culturelle par L. S.

Senghor). Nous allons à la lumière de : L es Soleils des

Indëoendances et M o n n è . Outrages et D ë f i s essayer d'analyser

le p r o j e t linguistique et romanesque de K o u r o u m a , qui c o mm e

nous l'avons dëjà souligné plus haut, e st une s o r t e de

déclaration d'indépendance culturelle. Cette indépendance

e st aussi u ne décolonisation culturelle, u ne d é c o l o n i s a t i o n

de la conscience et l'âme de toute la Négritie. Elle

entraîne avec elle l'humanisation complète de l'Africain

francophone et de l'Africain en général. Talent hardi et

novateur, Ahmadou Kourouma est un auteur à qui l ' a v en ir

donnera ra is o n. Car son premier roman, introduit auprès des

maisons d'Edition française pour publication, a é té rejeté.

Mais il va retourner quelques temps après gagner le prix de

la F r a n c i t é du concours littéraire organisé par le C o m i t é

International de la F r a n c o p h o n i e qui revendit le roman de

Kourouma aux Editions du Seuil. Tous les atermoiements et

indécisions de ces maisons de publication au lieu de

décourager ce d e r n i e r , lui redonnent courage et c on f ia n c e .

Les problèmes que rencontrent l'auteur ressemblent aux

problèmes de publication d es nouveaux romanciers en F r a n c e

dans les années 1950. Est-ce pour étouffer ce talent dan s sa

détermination littéraire et h u m a n i s t e ? Difficile à di re m a i s

ce premier roman, très rapidement retînt l'attention du

monde littéraire et d'une vaste audience parce qu'elle

apportait déjà des approches de solutions aux problèmes


90

brûlants de l'heure et aux polémiques q ui minaient le

mouvement francophone depuis un certain temps.

L'introduction de la technique de K o u r o u m a , q ui est une

adaptation du français au rythme narrateur africain (à

l'instar du conte africain), représente un n o u v e a u moyen

d'expression et de compromis pour les é c r i v a i n s a fr i ca i n s .

De la m ê m e manière, son deuxième roman: M o nn è. Outraqes et

D éf is a forcé l'enthousiasme et l'admiration du monde

littéraire p o u r s ' é t a b l i r en ouvrage de référence et de

classique littéraires. Comment l'oeuvre de notre auteur

aboutit-elle à un h u m a n i s m e et quels sont les m o y e n s que

Kourouma a dû m e t t r e en jeu pour y parvenir?

La m u l t i p l i c i t é des références religieuses (musulmanes

et fétichistes) et leur prépondérance dans la vie

quotidienne du Malinké constituent la b a s e et le f o n d e m e n t

des romans de Kourouma. Généralement, la foi totale en une

religion exige la f i d é l i t é à cette dernière et à e l l e seule.

Toute tentative d ' a m b i v a l e n c e e st u ne inclination au péché:

elle est donc perçu comme un péché. Le fétichisme par

contre, ne discrimine et n'interdît pas la d u p l i c i t é . M ai s

cette situation crée un phénomène de h a n t i s e provenant de

cette duplicité religieuse. La question q ui s e pose d'emblée

e st celle d'un p r a g m a t i s m e religieux. Quelle est la religion

préférable, nécessaire et profitable p o u r les p e u p l e s de

Soba et du Horodougou? L'Islam? Le fétichisme? L'option

d'une préférence polythéiste semble prévaloir.


91

Les M a l i n k é s o nt la d u p l i c i t é parce qu'ils ont

l'intérieur plus noir que leu r peau et les d i r e s p lu s

blancs q ue leur d e n ts . Sont-ce les féticheurs? Sont-ce

les musulmans? Le musulman écoute le C o ran , le

féticheur suit le K o m a ; mais à Togobala, aux yeux de

tout le m o n de , tout le monde se dit et r e s pi r e

musulman, seul chacun craint le f é t i c h e

(L es S o l e i l s . 108).

La religion était un s y n c r é t i s m e du fétichisme malinké

et de l 'i s la m . Elle donnait d es explications

satisfaisantes à toutes les graves questions que les

habitants pouvaient se poser et les g e n s n ' a l l a i e n t pas

au-delà de ce q ue les m a r a b o u t s , les s o r c i e r s , les

devins et les féticheurs affirmaient... (M o n n è , 20).

L'auteur semble conclure que s eu l , l'Islam ou le f é t i c h i s m e

ne ferait des Ma li n k é s des gens meilleurs* des p o p u l a t i o n s

satisfaites et heureuses. On constate une grande frustration

et une aliénation des de u x c ô té s . Il existerait d on c une

complémentarité dans la d u p l i c i t é q ui apaiserait les c o e u r s

d es uns et des a u t re s . Cette approche c e r te s , ne r é s ou t pas

tous les problèmes, mais elle donnait au M a l i n k é la paix de

l'3me et de la c o n s c i e n c e collective d es peuples de S o b a et

du Horodougou. La tolérance d'une ambivalence religieuse

résout-elle en totalité les multiples problèmes causés par

les monnew malinkés et c eu x qu'on retrouve sous les s o l e i l s

d es indépendances? Certes non, mais l'élément et l'aspect le


92

plus important qui entraîne et explique mieux l'humanisme

dans les romans de K o u r o u m a est le f a c t e u r linguistique. La

politique générale française dans les a n c i e n n e s colonies est

celle de l'assimilation, un e assimilation complète et t o t a l e

de la c i v i l i s a t i o n française.

Comme tout instituteur toubab, Bernier avait débarqué

avec la h a u t e mission de civiliser, de ramollir les

têtes granitiques d es n é g r i l l o n s (M o n n è . 118).

Tout persuadait et faisait croire au N o i r qu'il n'était

pas humain, qu'il était et restera inférieur au Blanc.

...A s e ressaisir et à appeler à la tê t e de la F r a n c e

un v i e u x aux cheveux blancs, comme les v ô t r e s ; mais un

homme qui vaut cent patriarches nègres c o m m e vous. Il

e st Blanc, instruit, plus sa ge , courageux et

respectable q ue tous les Nègres du m o n de . Il ai m e les

enfants, les v i e u x et les N o i r s , donc vous aussi, vous

l'interprète et v o u s Djigui (M o n n è . 113).

Comment Soba et s o n peuple pourront de n o u v e a u croire

aux nouvelles réalités des indépendances politiques et du

parti unique après tant d'années de m o n n e w de d é c i m a t i o n

inutile?

...Salmigondis de s l o g a n s q ui à force d'être galvaudés

nous ont rendus sceptiques, pelés, demi-sourds, demi-

aveugles, aphones, bref plus nègres que n o u s ne

l'étions avant et avec e u x .. . (Monnè., 287).


93

Reconvaincre le N o i r de s o n égalité et l'égalité de ses

droits avec ceux du B l a n c sera p r e s q u 'inconcevable p ou r ce

dernier comme nous pouvons le v o i r dans le cas de D j i g ui :

De m ê m e que le rat des champs ne p e u t ê t r e sorti de son

t ro u s a n s enfumage, de même on ne peut extirper au

Nègres la capitation et d es travailleurs forcés sans

torture et incendie (M o n n è , 219).

Djéliba, qu i a bien assimilé l'infériorité de sa race, va de

son côté essayer de p e r s u a d e r et de d é t r o m p e r le Blanc:

No us , N o ir s , nous ne s o m m e s ni bons, ni h u m a in s , mais

toujours menteurs et p é c h e u r s bien que nous

connaissions les p a r o l e s du C o r a n que vous nazaréens

ignorez (M o n n è , 219).

La conclusion logique qu'on peut tirer et que "m êm e le N o i r

peut comprendre" est: to u t ce q ui vient du N o i r est m a u v ai s ,

maudit.

L es N è g r e s s o n t d es m a u d i t s et d e s sans c oe ur s, de

vrais maudits - ce n ' e s t p as s a n s r a i s o n que D i e u les a

fabriqués noirs (M o n n è . 84).

L es manifestations de l'assimilation ch e z le Noir f u re n t

claires au retour des p r e m i e r s tirailleurs ( ap rè s la guerre)

de la F r a n c e (à Soba ).

C'était magnifique et, pour ri e n au m on de , nos

compatriotes n'acceptèrent de se dévêtir, se

déchausser, se s é p a r e r de ce q u ' i l s avaient et qui les

distinguait des autres N o i rs . Ils étaient heureux et


94

fiers d'avoir combattu pour la liberté de la France.

Ils se proclamèrent en c h a n t a n t : , << C'est nous les

Africains>> dès qu'ils aperçurent les p r e m i e r s to i ts de

S o ba ; quand ils mirent les p i e d s à terre, ils se

rassemblèrent et entonnèrent La M a r s e i l l a i s e

(M o n n è , 86).

Et chose curieuse.

Ils prétendaient avoir en deux ans oublié n os d i a l e c t e s

et n o s manières sauvages telles q ue m a n g e r à la main,

marcher nu-pieds, se s o u l a g e r derrière le b u i s s on , se

torcher avec les feuilles et se m o u c h e r a ve c les

doigts. Ils étaient devenus des étrangers, des non-

Nègres (M o n n è . 86).

Le s N è g r e s colonisés, "dressés" pour assimiler la c u l t u r e

française et méconnaître les coutumes et traditions

africaines, faisaient l eu r preuve. C'est cette mentalité

très répandue dans les anciennes colonies françaises que

l'auteur entreprend de combattre et redonner vi gu e ur ,

vitalité, honneur et fierté au Malinké ( Afr ic a in ) et à sa

la ng u e. Il n o u s montre à travers c es d eu x r o m a n s l'aise, la

facilité et la flexibilité de la structure malinké à

exprimer la langue française et encore mieux, la p e n s é e et

la c o n s c i e n c e malinké. Selon Kourouma, un roman <<c'est une

suite d'événements et c'est la façon de raconter qui rend

l'histoire intéressante ou banale>> (M a gn ie r , 12). Le goû t

fadasse de la langue classique, (langue d'oiseau selon


95

Djigui) n'arrivait pas à exprimer les aspirations profondes

de l'auteur et à garantir au M a l i n k é (à l'Africain), une

langue dont la vitalité et la vigueur lui redonnerait une

fierté, le respect de s e s coutumes et de s e s traditions

(malinkés). Nous avons l'exemple du M a s s a D j i g u i q ui r e fu s e

de continuer ses cours d'étude de la langue française parce

qu'il estime que c'est une abomination que de < < d é b i t e r une

telle insanité p ar une nuit s a i n t e > X q u e 1 ' instructeur leur

faisait répéter) (M o n n è . 2 3 2) . La s u i t e nous prouvera que

c'est ce qui provoqua la c e s s a t i o n de c e s cours m a l g r é s es

voyages ultérieurs en France; à Paris et à Marseille. La

langue française, à considérer les réactions du roi de Soba,

est une langue de n o n - c r o y a n t s , d es incirconcis, u ne langu e

qui attirerait de la malédiction parce qu'elle est m a u d it e .

C'est ainsi q ue l'auteur s'est fait un p r o j e t de travailler

et de trouver u ne langue accessible à tous, une la ng u e de

compromis, universellement lisible et dans laquelle tout

Malinké (Africain et peuples colonisés et francophones) se

retrouverait. Cette langue serait, même après le d é p a r t du

Blanc ( no u s rappelons q ue les d eu x romans de Kourouma ont

été écrits après les indépendances en 1960, l'un en 1968 et

l'autre en 1990), une langue qui libérerait non seulement le

Malinké mais le francophone, l'écrivain francophone et

l'Africain en général. Elle précédera l'indépendance

linguistique de l'Africain et participera à la

libéralisation de la conscience et l'3 me de t ou te la


96

Négritie. Cette <<nabata>> de la N é g r i t i e , rendra complète

et effective la décolonisation culturelle. Ce q u 'i l y a

d 'é m e r v e i 1 la nt et de mirobolant chez Kourouma c'est

1'a f r i c a n i s a t i o n de la traduction d'un t ex te in it i al qui

n'existe pas et l'usage d'une phraséologie familière simple

q ui utilise des s i g n i f i a n t s malinkés. L es romans de K o u r o u m a

poussent l'Africain francophone à u ne certaine prise de

conscience de sa s i t u a t i o n de "néocolonisé culturel" afi n

q ue ce dernier l ut t e pour réaliser sa décolonisation

culturelle. Ses romans véhiculent l'espoir d'un monde

linguistique dans lequel l'Africain p o u r r a se reconnaître et

p ar lequel il p e u t s ' a f f i r m e r .
CONCLUSION

La littérature africaine d'expression française est une

littérature héritière de la littérature française à laquelle

on a a j o u t é un style de dénonciation du c o l o n i a l i s m e et de

revendication d es droits et des libertés individuelles et

collectives, caractéristiques d'un engagement da ns la lutte

anticolonialiste. C'est dans u ne l arg e m e s ur e , une

littérature dans laquelle on pouvait reconnaître les

théories et m o d è l e s littéraires de Zola, de M a u p a s s a n t a i ns i

que la v e r v e nouveau romanesque de B u t o r et de R o b b e - G r i 1 let

et q ui constituent la s p é c i f i c i t é de la réalité a fr ic a i n e .

C'est p ar le m o d è l e réaliste de certains, à l'instar de

Sembène Ousmane et de M o n g o B ét i, qu'on est arrivé à a vo i r

les premières oeuvres majeures. Les indépendances n'ont pas

comblé les e s p o i r s de dizaines d'années comme c'est le cas

da n s L es S o l e i l s des Indépendances. D'autres comme Kourouma

ont tenté d'intégrer la langue parlée dans l'écriture en

révolutionnant l'allure et le s t y l e traditionnels de la

littérature africaine écrite de l an gu e f ra n ça is e .

Aujourd'hui, Ahmadou Kourouma s'est taillé une

reconnaissance générale de s o n innovation linguistique par

ses d eu x et s e u l s romans: Les S o l e i l s d es Indépendances et

M o n nè , Outrages et D é f i s . Ce qui fait la s i n g u l a r i t é de s on

97
98

style littéraire, comme nous venons de le d i r e est cette

tentative d'intégration du parler dans l ' éc r i t u r e , le

malinké exprimé en français. Les procédés p ou r y parvenir

sont quelque p eu m o i n s conventionnels, moins traditionnels

mais ils apparaissent d es formes de violence que no u s

caractérisons de p o s i t i v e pour l'accomplissement de s on

projet linguistique. L'évidence de la réalité néocoloniale

des pays africains est indubitable. Les programmes

d'éducation et de développement doivent les prendre en

considération afin d'enrayer assujettissement et f r u s t r a t i o n

et éviter de replonger ces pays africains dans une v a g u e de

violence infernale comme ce f ut le c a s des installations

monopartistes et autocratiques d'après les indépendances.

Les traditions et religions africaines, entrées en c o n t a c t

avec les c i v i l i s a t i o n s modernes, créent d es c o n f l i t s de

cultures et c es cultures ne peuvent cohabiter que par

compromis. De la m ê m e m a n i è r e , on d es croyances polythéistes

qui montrent u ne tolérance religieuse. Cela devait être

ainsi pour les langues étrangères qu'héritèrent les pays

africains de la colonisation comme l'exemple du F r a n ç a i s

dont Kourouma créa une langue d'intersection et de

compromis. La l a n gu e d 'e x p r e s s s i o n dans les r o m an s de

Kourouma e st faite de la langue française tolérante qui

tient compte d es réalités du m i l i e u africain.


NOTE BIOGRAPHIQUE SUR AHMADOU KOUROUMA

Né en 1927 à T o g o b a l a (nom du v i l l a g e qu'on retrouve dans

Les S o l e i l s des I n d é p e n d a n c e s ! en p a y s M a l i n k é au N o r d de la

este d'ivoire, Ahmadou Kourouma est issu d'une grande

famille de n o t a b l e s et de commerçants dont il e st le fils

aîné. Sa famille a tr è s tôt é té m i s e en c o n t a c t ave c le

pouvoir colonial. Dès l' âg e de sept ans, il est pri s en

charge par son oncle maternel ( s el o n la c o u t u m e chez les

Malinkés), un infirmier qui, bien que m u s u l m a n et f é ti ch e ur ,

l'envoie à l'Ecole Primaire à Boundiali de 193 5 à 1941.

Ensuite il va au C o u r s Moyen à Khorogo en 1942. Il y p a ss e

le C e r t i f i c a t d'Etudes Primaires et e n t r e à l'Ecole Primaire

Supérieure de Bingerville en 1943, puis de là, re jo in t

l'Ecole Technique S u p é r i e u r e de B a m a k o (ex-Soudan F r a n ç ai s )

en 1947. Il n 'y restera q ue deux ans, parce que, d i sa it - o n ,

ses activités politiques n'étaient pas compatibles avec les

exigences de l'administration qui le c o n s i d è r e comme un des

meneurs des m a n i f e s t a t i o n s d'étudiants. Il s e r a expulsé pui s

contraint de regagner la Côte d'ivoire. Il se retrouve

mobilisé d'office à la g a r n i s o n de B o u a k é en d é p i t du s u r s i s

dont il bénéficie et tenu d'accomplir un s e r v i c e militaire

de trois ans. Il d é c i d e de s ' e n g a g e r po u r une durée de cinq

ans et se retrouve dans les rizières de l'Indochine (où il

99
100

restera jusqu'en 1953) pour avoir refusé de réprimer une

émeute et des mouvements de révolte du Rassemblement

Démocratique Africain ( R.D .A ).

Après sa démobilisation en 1954, il rejoint Paris pour

reprendre ses é t u de s . En 1959, il obtient le d i p l ô m e de

l'Institut d es A c t u a i r e s de L y o n et s u i t aussi des c o u r s de

sociologie. C'est de cette époque que datent ses premières

inclinations à l'écriture en lisant avec ennu i, d it-il, des

mémoires et des thèses de D o c t o r a t traitant de l' Af ri qu e. Il

revient en 1961 dans sa Côte d'ivoire indépendante (après

avoir travaillé dans une compagnie d'assurance à Pari s) où

il est nommé sous-directeur de la Caisse Nationale de

Prévoyance Sociale. Au pays, il s ' e s t donné le devoir

d'observer les pays de l'Afrique, qui se sont l anc és en

grande partie, dans l'Indépendance massive des années 1960.

En 1963, trois a ns après l'accession de son pa ys à

l'indépendance, il se voit impliqué dans un c o m p l o t fictif.

Faute de preuves, il es t relâché mais se retrouve au

chômage, qu'il met à profit pour travailler son premier

r oman . Il préfère s'exiler et travaille en A l g é r i e pendant

s ix ans. Il est forcé encore une foi s à l'exil à Yaoundé à

la suite de la représentation de sa pièce de t h é â tr e

Tougnantioui (Le D i s e u r de V é r i t é ) , jugée subve rs iv e par les

autorités ivoiriennes. Il s ' y est établi depuis 1974 où il a

résidé pendant plusieurs années. Durant son exil à Y a ou nd é,

il o c c u p e le p o s t e de directeur de l'Institut International


101

des Assurances. Après Yaoundé, il s ' e s t établi à Lomé au

Togo (il o c c u p e le p o s t e de D i r e c t e u r Général de la CIG AR E,

une compagnie d'assurance) jusqu'à la s o r t i e de s o n deuxième

roman Monnè. Outrages et Défis en 1990, a va n t de regagner

très récemment sa Côte d'ivoire natale. Ahmadou Kourouma est

marié et père de quatre enfants (en 1983). (P.N.Nkashama,

G.Clavreuil & A.Rouch).


BIBLIOGRAPHIE

Romans et Livres

Assia, Djëbar. L es Enfants du N o u v e a u M o n d e . P a ri s;

Editions René Julliard, 1962.

_______________ . Femmes d'Alger dans leur A p p a r t e m e n t . Paris:

Editons d es Femmes, 1980.

. L'Amour, la F a n t a s i a . Paris: Editions J ea n -

Claude Lattès, 1985.

Azevedo, Mario. Africana Studies. A Survey of A f r i c a and the

African Diaspora. Durham, North Carolina: Carolina

Academic Presses, 1993.

B3, Mariama. Un Chant E c a r l a t e . D a ka r : Les N ouvelles

Editions Africaines, 1981.

Boni, Nazi. Crépuscule d es Temps A n c i e n s . P a r is : Présence

Africaine, 1962.

Césaire, Aimé. Les Armes Miraculeuses. Paris: Gallimard,

1946.

Clavreuil, Gérard & Rouch, Alain. Littératures Nationales

d'Ecriture F r a n ç a i s e . Paris: Bordas, 1987.

Dabla, J - J Sév/anou. Nouvelles Ecritures Africaines.

Romanciers de la S e c o n d e G é n é r a t i o n . P a r is :

L'Harmattan, 1986.

102
103

Dadié, Bernard. Un Nè g r e à P a r i s . Paris, P r és en ce Africaine,

1984.

Dehon, Claire. Le R o m a n C a m e r o u n a i s d'Expression

Fran c a i s e . Birmingham, Alabama; Sum ma Publications,

Inc. 1989.

Deniau, Xavier. La F r a n c o p h o n i e . P a r is : Presses

Universitaires de France, 1983.

D i op , Birago. Les C o n te s d'Ahmadou Koumba. P a ri s, Présence

Africaine, 1961.

F al l, A m i n a t a S. Le Jujubier du P a t r i a r c h e . D a ka r: Editions

Khoudia, 1993.

Gassama, M , K um a . Interrogation sur la L i t t é r a t u r e N è g r e de

Langue Française. Dakar, Abidjan, Nouvelles Editions

Africaines, 1978.

Girard, R e né . La V i o l e n c e et Le S a c r é . P ari s: Editions

Bernard, Grasset, 1972.

Harris, Rodney E. L'Humanisme dans le T h é â t r e d'Aimé

C é s a i r e . Ottawa: Editions Naaman, 1973.

Kesteloot, Lylian. Le s Ecrivains Noirs de L a n g u e Française.

Belgique: Editions de L ' I n s t i t u t de S o c i o l o g i e devenues

Editions de L ' U n i v e r s i t é de B r u x e l l e s , 5 Ed. 1975.

La ye , Camara. L' En f an t N o i r . Paris; Press Pocket, 1953.

L e zo u , Gérard D ag o. La C r é a t i o n R o m a n e s g u e Devant les

Transformations Actuelles en C ô t e d ' i v o i r e . A b i d ja n:

Nouvelles Editions Africaines, 1977.


104

Maran, René. Batouala. Véritable Roman N è g r e . P a ris , Albin

Michel, R éé d . 1975.

Miller, Christophe L. Theories of Africans; Francophone

Literature a nd Anthropology in A f r i c a . Chicago: The

University of C h i c a g o P r e s s , 1990.

Nkashama, N g a n d u Pu is . Kourouma et le M y t h e . S i le x , 1985.

üyono, Ferdinand. Une Vie de B o y . Paris, Julliard, 1956.

Rééditions Presses Pocket, 1970.

Ouologuem, Yambo. Le D e v o i r de V i o l e n c e . P a r i s : Seui l, 1968.

Pageard, Robert. Littérature Négro-africaine. Paris : Le

Livre Africain, 1966.

Robert, Paul. Le P e t i t Robert I. Dictionnaire de la L a n g u e

F r a n c a i s e . Paris, 1992.

Sainville, Léonard. Anthologie de la L i t t é r a t u r e N é d r o -

Africaine. Romanciers et Conteurs. I&II. Paris ,

P résence Africaine, 1963.

Sembène, Ousmane. Les Bo ut s de B o i s de D i e u . Le Livre

Contemporain, 1989.

Senghor, L Sédar. Francité et F r a n c o p h o n i e . P a ri s : G r a s s et ,

1988.

____________________ . "La F r a n c o p h o n i e comme Culture".

Liberté 3; Négritude et C i v i l i s a t i o n de l'Universel.

Paris, Seuil, 1977: 80.

Tutuola, Am os . The P a l m - W i n e Drinkard. Westport

[Connecticut]: Greenwood Press, 1970.


105

Articles et Textes Critiques

Badday, Moncef (Interview p ar ). "Ahmadou Kourouma, Ecrivain

Africain", Afrique Littéraire et A r t i s t i q u e . 1 0

(1770).

Chevrier, Jacques. "L'Ecrivain Africain Devant la L a n g u e

Française", Notre Librairie 53 (Mai-Jun 1980): 45.

_____________________ . "Les Soleils des Indépendances: U ne

Ecriture Nouvelle". Notre L i b r a i r i e . # 60 J u i n - A o û t

1981 .

_____________________ . Littérature Nèqre. 2 Edition, Paris,

A r m a n d Colin, 1984.

Deniau, Xavier. "La D i m e n s i o n Francophone de la Politique

Française", France-Eurafrique 247, Mai-Jun 1974.

Gérard, Albert. Etude de L i t t é r a t u r e A f r i c a i n e

F rancophone. Dakar, Nouvelles Editions Africaines,

1977.

Gourdeau. "L'Islam dans Les S o l e i l s des Indépendances.

Nouvelles du S u d , v.6, 1 9 86-7: 129-138.

Lavergne, Evelyne. Les S o l e i l s des I n d é p e n d a n c e s . Un Roman

Authentiquement Africain?. Revue de Littératures &

d 'E s t h é t i q u e s N é q r o - A f r i c a i n e s , 3, 1981: 15-25.

_____________________ . "L e s Soleils d es Indépendances et

l'Authenticité Romanesque". E thiopiques, 2 (4) 1984.

Magnier, Bernard (Propos Recueillis par). "Ahmadou

K o u r o u m a " .P a r i s , C . L . E . F , Notre Librairie vol 87, 1987.


106

Maistre, Joseph de. "Eclaircissement sur les S a c r i f i c e s "

dans Les S o i r é e s de S a i n t - P ë t e r s h o u r g . II, Lyon, Vitte

et P e r r u s s e l , 1890.

Mudimbe, V.Y. "Débats et Commentaires". 22 (2): Revue

Canadienne d es Etudes A f r i c a i n e s . 1988: 30 1 - 3 0 9 .

Onyeoziri, Gloria Nne. "Le Labyrinthe Sémantique du

Signifiant Culturel: le " M o n nè " d'Ahmadou Kourouma".

ALFA, Symposium on French L anguage & Linguistics,

v o l . 6, 1993: 1 2 3-134.

Ricard, Alain. "La Littérature Africaine de L a n g u e Française

et s e s Problèmes Actuels". Année Africaine 1977.

Paris, Pedrone, 1979.

Ripault, Ghislain. "Les Soleils de Kourouma Brillent par

Leur Prés en c e" [P ar i s] : C.L.E.F, Notre L i b r a i r i e , vol

87, 1983: 6-10.

Sellin, Eric. "Ouologuem, Kourouma et le Nouveau Roman

Africain", dans Co l l e c t i f Littératures Ultramarines de

Langue Française. Genèse et J e u n e s s e . Sherbrooke

Naaman, 1974.

Sow, Fatou. Trans. Anne C Rennick and Cathérine

B o o n e . "Muslim Families in C o n t e m p o r a r y Black A f r i c a" .

Current Anthropology Vol 26 # 5, December 1985.

Zalessky, Michèle. "La Langue: Un Habit Cousu po ur qu'il

Moule Bien" (Entretien avec Ahmadou Kourouma).

Diagonales (Le Français dans le Monde) # 7, Juillet

1988, Supplément au # 218.


107

The United States Department of S t a t e - Bureau of P u b l i c

Affairs - Office of P u b l i c Communication. "B a c k g r o u n d -

Notes : T O G O " . Washington D.C, February 1990.

You might also like