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Bulletins et Mémoires de la

Société d'anthropologie de Paris

Les Bira de la savane et les Bira de la forêt


Étude comparative de deux populations de la République Démocratique du
Congo
J. Sporcq

Citer ce document / Cite this document :

Sporcq J. Les Bira de la savane et les Bira de la forêt . In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, XII°
Série. Tome 9 fascicule 2, 1972. pp. 97-120;

doi : https://doi.org/10.3406/bmsap.1972.2043

https://www.persee.fr/doc/bmsap_0037-8984_1972_num_9_2_2043

Fichier pdf généré le 10/01/2019


Abstract
Summary. In this investigation, we have studied multifactor, hereditary, physical characteristics of two
Congolese populations which originated from the same population. Their common origin is supported
by cultural, linguistic and social evidence. These two populations, the Bira of the savanna and the Bira
of the rain forest, are at present diversified morphologically. The hypothesis of adaptation of these
populations to different environments in which they have lived for nearly three centuries, and perhaps
of a parallel natural selection, would appear to be the most appropriate explanation of the differences
observed. The fact that these differences represent a convergence of physical characteristics not easily
influenced by the environment for a much longer time (Pygmies in the forest, Tutsi in the savanna),
points to a cross-breeding of the Bira with these populations. However, the profiles of the Bira groups
which were studied are not systematically in an intermediate position in relation to the profiles of the
population living there before, but it is possible that adaptation factors (especially nutritional) may have
hidden a cross-breeding and led to a divergence of multifactor characteristics with a pronounced
mesologic component. The investigation of single factor characteristics (blood groups, sicklemia)
however appears to contradict the cross-breeding hypothesis, which is weakly supported by
observations of social habits. In addition, the social and cultural organisation of these populations, their
widely dispersed small number and the fact that, because of the characteristics of the environment
(rain forest) contacts between groups are difficult, lead to consider the role of both the founder and of
genetic drift. Although these latter factors are probably at present without effect, they may have been a
more important factor at the time of migration of these populations, when they were not sedentary.
Without totally excluding the hypothesis of cross breeding, it appears that the preponderant factors
responsible for the differences that have arisen between the Bira of the savanna and the Bira of the
rain forest, and for the convergence of these groups towards characteristics which were originally
aboriginal, is the adaptation of the environment and probably a natural selection. The importance of
adaptation and natural selection have very likely increased from generation to generation at the
expense of the role of genetic drift and of the founder effect. These two factors were shortlived but
primordial for the first generations that followed the scission and migration.
Bull, et Mém. de la Soc. d'Anthrop. de Paris, t. 9, série XII, 1972, pp. 97 120

LES BIRA DE LA SAVANE ET LES BIRA DE LA FORÊT

Etude comparative de deux populations


de la République Démocratique du Congo

par le Dr J. Sporcq

(Centre de Biologie Humaine de l'Institut de Sociologie de l'Université Libre de Bruxelles)

Avant-propos.

L'étude présentée ci-après a été effectuée dans le cadre des recherches


en anthropologie physique entreprises sous la direction du Professeur
J. Hiernaux à l'Université Officielle du Congo (République démocratique du
Congo), en 1959-1960. M. R. Vandervoort, technicien au service
d'anthropologie physique de cette Université, a participé à la prise des mensurations,
aidé par M. Richard N'Kulu. L'I.R.S.A.C. est intervenu dans les frais de la
mission.

Introduction

La mission.

Plusieurs anthropologues avaient déjà parcouru les régions dans


lesquelles vivent les populations dont les caractères physiques qui font l'objet
de la présente étude ont été mesurés (fig. 1).
C'est ainsi que Czekanowski (1924), Schebesta (1938-1941-1948), Gusinde
(1948) fournissent de nombreuses données numériques concernant les
populations Bira. La plupart de ces résultats, si intéressants soient-ils quant à
l'image synthétique qu'ils suggèrent de ces peuples, ne peuvent cependant
pas être traités statistiquement car ils ne mentionnent le plus fréquemment
que la moyenne des valeurs mesurées et non l'écart-type et les coefficients
de variabilité. Jadin (1935) et Julien (1935) ont étudié les groupes sanguins
des Pygmées Mbuti et des Bira. Les résultats obtenus dans cette recherche
seront comparés aux leurs.
Le choix que nous avons fait, d'étudier les deux populations Bira dans
la région nord-est du Congo, a été déterminé par l'intérêt, d'une part, d'obser-
98 société d'anthropologie de paris

ver deux populations issues d'une souche commune, séparées l'une de l'autre
depuis quelque 300 ans et vivant depuis dans des habitats très différents,
dont l'un était déjà habité par les Pygmées Mbuti ; d'autre part, de disposer
de données relatives aux deux générations précédentes.

15° 20° 25" 30°

0° 0°

10° 10°

république démocratique du
congo (zaïre)

20° 25° 30°

FlG. 1

Nous pouvions espérer ainsi donner une idée de l'influence du milieu


sur l'expression du patrimoine génétique, par l'interprétation des différences
éventuelles, à la lumière des connaissances actuelles des facteurs évolutifs
qui ont pu présider au développement de ces différences.
Dr J. SPORCQ. LES BIRA DE LA SAVANEET DE LA FORÊT 9!)

Aperçu historique, géographique, démographique, sociologique


et ethnologique des populations étudiées

1° Les Bira ; origine de leur migration.

Ce n'est pas par hasard que les populations qui habitent actuellement
les régions de la savane aux environs d'Irumu, dans la Province Orientale du
Congo, et dans la forêt tropicale, à l'ouest de cette première contrée, portent
le même nom : en effet, les Bira de la savane et les Bira de la forêt seraient
tous originaires d'une même peuplade dont l'ancêtre commun s'appelait
Bira, et auraient été les premiers Bantous installés dans ces régions. La forêt
était déjà habitée par les Pygmées Mbuti (Schebesta, 1929). La dernière
migration de cette peuplade remonterait à environ 12 générations, ce qui
situerait leur arrivée dans la Province Orientale à 1700 à peu près. Selon
Moeller (1926) leur point de départ serait la région de la montagne Bali,
située au S.-E. du Ruwenzori. Après avoir traversé la rivière Semliki, ils
auraient atteint la région de Irumu, où ils ье seraient divisés en plusieurs
groupes, dont une partie se serait installée dans la savane, à Irumu, et au
nord et au Sud de la route qui joint Irumu à Bunia. L'autre partie s'est
enfoncée dans la forêt équatoriale, jusqu'à la rivière Epulu, et s'est imposée
aux Pygmées.
Selon un autre auteur, Siffer (1915), l'origine commune des Bira serait
la vallée du Nil, car ils se souviennent d'une grande étendue d'eau, qui serait
le lac Albert, qu'ils auraient traversée, du nord au sud, et, après avoir remonté
la rivière Semliki, seraient entrés dans la savane qu'ils occupent
actuellement, par un passage dans les monts Ruwenzori.
Ultérieurement, les Hema, en très petit nombre, seraient venus cohabiter
avec les Bira de la savane au centre de la contrée occupée par ces derniers
(Moeller, 1936). Les légendes Bira expliquent la dispersion des Bira comme
suit : « pendant la migration, les natifs se trouvèrent, à un moment donné,
devant une grande rivière, dans laquelle une bête monstrueuse était couchée,
dont la tête touchait une rive et la queue l'autre. Les indigènes trouvèrent
ce pont inattendu fort commode et commencèrent la traversée ; les vieillards,
fatigués du voyage, s'installèrent sur le dos de l'animal, et, tout en regardant
les jeunes, fumèrent leur pipe. Un vieillard maladroit, laissa tomber une
braise qui blessa le monstre ; celui-ci plongea dans l'eau entraînant tous
ceux qui étaient assis sur son dos. Ainsi, une partie de la peuplade se trouva
dans l'impossibilité de franchir l'obstacle, et sous la conduite des chefs de
famille, ils continuèrent leur route chacun de son côté » (Siffer, 1915 ;
Moeller, 1936) (fig. 2).

2° Géographie et démographie (fig. 3).

a) Géographie.
Bira de la savane : ils occupent « le bassin inférieur de la Nizi, entre le
confluent du Shari et celui de la Nizi dans l'Ituri ■» (J. Maes et O. Boone, 1935),
100 société d'anthropologie de parts
Dr J. SPORCQ. LES BIRA DE LA SAVANE ET DE LA FORÊT 101

c'est-à-dire entre les méridiens de 29°50' et 30°20' de longitude est et les


parallèles de 1°25' et l°50' de latitude nord.
Bira de la forêt : les limites de leurs territoires sont : au nord de l'Ituri,
entre le confluent de la Lenda et 28° 15' de longitude est, englobant tout le
cours inférieur de l'Epulu jusqu'au méridien de 29° de longitude est ; ensuite,
la limite suit l'Ituri jusqu'au confluent de l'Ibina, puis la ligne de partage
des eaux Ituri-Ibina ; à l'est, le territoire est borné par la limite de la forêt
équatoriale jusqu'à Itoa, l'Ibina supérieure ; au sud, par le parallèle de 0°25'
de latitude nord, environ ; à l'ouest, par la Lenda (Maes et Boone, 1935).

Fig. 3

b) Démographie.

En 1917, on estimait le nombre des Bira à environ 30 à 40.000 (Lacom-


blez, 1917, et Constance-Marie). Selon le rapport des A.I.M.C, en 1947, on en
dénombrait, pour le territoire de Bunia 29.000, pour le territoire de Mabassa
7.000 et pour celui de Lubutu 3.239 (Van Geluwe, 1956). D'après Murdock,
on compterait actuellement environ 45.000 Bira (1959).
Cependant, il semble que l'effectif des Bira diminue, cette diminution
pouvant être imputable aux maladies qui ravagent la région (lèpre, pian,
maladies pulmonaires, maladies vénériennes, etc.), à la très grande morta-
102 société d'anthropologie de paris

lité infantile surtout en région forestière, et à l'émigration vers les contrées


industrielles voisines (mines d'or de Kilo-Moto).
Les Bira de la plaine sont répartis en circonscriptions, en fonction des
sous-groupes qui existaient déjà lors de leur migration :
1) Mobala, Bagbala, Bandigbala, se trouvent à l'ouest de la route Irumu-Dele,
et comportent les clans suivants : Tshemba, Kala, Batsha, Gali, Moda,
Gwita, Gbali et Bagbala.
2) Babelebe, au nord du Shari entre l'Ituri et l'Etomani.
3) Andisoma ou Bandisoma, au sud-est de Irumu. Comporte les clans Ban-
disoma et Bangabela.
4) Babowa-Bakowe, situés sur la route Dele-Soleniama.
5) Basiri, à l'est de la route Irumu-Dele et sur les rives de l'Ituri (Moeller,
1936 ; Joset P. E., 1934 ; Joset P. E., 1936).
Les Bira de la forêt sont divisés en deux circonscriptions :
1) Bakwanza comportant les clans Bapusungwe, Bapofi, Bapumakisi et
Bazaku.
2) Babombi, dont les clans : Babombi, Epato, Polongo, Anditshungu, Bapu-
sungu, Bandekwakwa, Bangole (Joset P. E., 1934 et 1936 ; Moeller,
1936).

c) Peuples avec lesquels les Bira ont pu se métisser.

Les peuples qui vivent dans les régions limitrophes de la plaine occupée
par les Bira de la savane sont :
au nord : les Nyari,
à l'est : les Le,
au sud et à l'ouest : les Lese.
Ceux qui entourent les Bira de la forêt sont :
au nord et à l'est : les Lese,
au sud : les Pere,
à l'ouest : les Mbo et les Ndaka.
Les peuples qui occupent la même région que les Bira :
1) En savane : les Hima, très peu nombreux.
2) En forêt : les Pygmées Mbuti de la forêt de l'Ituri qui comportent les
groupes suivants : Sua, Aka et Efe (Van Geluwe, 1956 ;
Gusinde, 1948) (fig. 4).
3° Le pays.

a) La plaine du Shari est une savane herbeuse à larges vallées. Elle est
située à une altitude moyenne de 1.000 m. La forêt tropicale, dont la lisière
très bien dessinée se trouve à 15 km à l'ouest de Irumu, s'y prolonge le long
des cours d'eau par de minces bandes de forêts galeries. Le climat y est
agréable, la température moyenne y est de 23° С II y règne deux saisons
sèches et deux saisons humides par an ; la grande saison sèche pendant les
mois de décembre, janvier et février, la petite saison des pluies aux mois de
mars, avril et mai, la petite saison sèche en juin et juillet et la grande saison
des pluies en août, septembre, octobre et novembre.
Dr J. SPORCQ. LES BIRA DE LA SAVANE ET DE LA FORET 103
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Ш
104 société d'anthropologie de paris

b) La région occupée par les Bira de la forêt jouit d'un climat tout
différent : pas de saisons bien définies, les pluies, plus abondantes qu'en
savane, y sont réparties uniformément sur toute l'année ; la végétation très
luxuriante y maintient une atmosphère très humide ; l'insolation au sol est
beaucoup moins importante qu'en savane. La température, est plus chaude
que dans la plaine du Shari, et atteint la moyenne de 28° С ; l'altitude
moyenne de la région de Mambasa est de 885 m. Le sol est fertile : humus
abondant, humidité constante (Van Geluwe, 1956).

4° Organisation sociale et familiale.

Les Bira de la savane et les Bira de la forêt sont organisés, comme il est
habituel dans les sociétés bantoues, en clans. Les mariages sont polygames
de droits, monogames de fait, exogamiques, c'est-à-dire que le choix des
conjoints ne peut se faire dans le clan dont on fait partie. La famille est
patrilinéaire, et se compose des grands-parents, des fils et des filles, des brus
et des gendres, des enfants issus de ces unions, et des enfants adoptés (Van
Geluwe, 1956).
Plusieurs familles sont groupées en un village, les villages sont plus
importants chez les Bira de la plaine que chez ceux de la forêt où ils
comportent rarement plus de six cases (Stulhmann, 1894). Dans la forêt, la
distance qui les sépare est plus grande et ils n'ont habituellement pas de
rapports entre eux. Dans la plaine, l'emplacement du village est choisi en général
sur un flanc de coteau, ou près d'une rivière, dans une vallée fertile. Dans la
forêt, on installe le village sur un monticule, près d'un endroit fertile, bien
arrosé par un ruisseau (Czekanowski, 1924).

5° Le degré d'isolement génétique des Bira.

a) Bira de la savane : ceux-ci s'accordent tous à nier toute liaison


familiale avec les Hema, d'ailleurs en fort petit nombre, et isolés de la plupart des
Bira (en effet, ils vivent isolément au centre de la région de savane occupée
par les Bira (Moeller, 1936).
b) Bira de la forêt : ici, les contacts avec les Pygmées Mbuti sont très
fréquents. A côté de chaque village Bira existe un village Pygmée. Aux dires
des indigènes, il arrive, assez rarement d'ailleurs, qu'un homme Bira prenne
femme Pygmée ; les enfants issus de cette union sont alors reconnus comme
des Bira. Jamais un homme Pygmée ne prendra comme épouse une femme
Bira.
N.B. : Les rapports avec les peuplades limitrophes existent certainement
mais restent localisés aux frontières séparant les Bira de ces peuples.

6° La langue.

La langue que parlent les Bira est interprétée comme étant une langue
bantoue archaïque (Van Bulck, 1948 et 1952) ou comme un dialecte de
l'idiome des Kumu (Hulstaert, 1950) : Johnston (1902) la rattache à un
Dr J. SPORCQ. LES BIRA DE LA SAVANEET DE LA FORÊT 105

groupe de langues parlées dans la vallée de la Semliki, le lac Albert et le Haut


Congo ; Stanley (1890) en fait une langue dérivée de celle des Hima, et
Schebesta (1952) un dérivé de la langue des Pygmées Sua, et l'appelle le
Bira-Sua. Le Bira est situé par Guthrie (1948) dans la zone D n° 32 de sa
carie des langues bantoues. Le Swahili est la langue véhiculaire employée
dans la région (Constance-Marie).

1" L'alimentation.

a) Bira de la savane : la base de l'alimentation est composée de produits


végétaux ; les Bira de la plaine mangent peu de viande. Ils cultivent des
bananes, du maïs, du sorgho, du manioc, des patates douces, du riz, des
haricots, des arachides, des courges, la canne à sucre, et le tabac ;
actuellement, la culture de légumes importés par les Européens est également
répandue : tomates, choux, pommes de terre.
Les Bira de la savane pratiquent l'élevage : élevage du petit bétail
(chèvres, poules) et du gros bétail, qui a été introduit dans la région par les
Hima, et qui est encore aujourd'hui soigné par ces derniers. Les Bira
consomment la viande de vache, de chèvre, le lait de vache caillé, et le beurre
qu'ils font à partir du lait de vache. En outre, une ou deux fois par an, une
grande chasse est organisée, et ils y tuent buffles, antilopes, léopards,
éléphants, etc.. Les Bira boivent de l'eau et de la bière de maïs, de sorgho, de
bananes. Il n'y a pas de tabou alimentaire. Jadis, ils ont pratiqué
l'anthropophagie (Joset, 1936 ; Stuhlmann, 1894).
b) Bira de la forêt : les végétaux utilisés par les Bira de la forêt sont les
mêmes que ceux employés par les Bira de la savane. Leur alimentation
comporte cependant plus de viande, malgré l'absence d'élevage (quelques
poules et chèvres) : les Bira de la forêt reçoivent les produits de la chasse
des Pygmées : buffles, sangliers, antilopes, éléphants, gorilles, chimpanzés,
léopards sont chassés. Le sucre et le sel ne sont pas appréciés par les Bira
de la forêt. Il n'y a pas de tabou alimentaire. L'anthropophagie semble ne
jamais avoir été pratiquée. Ils boivent de l'eau et de la bière de bananes
(Schebesta, 1934 ; Joset, 1947).
Si les Bira de la savane sont considérés comme étant paresseux,
colériques, peureux, roublards et buveurs (Stuhlmann, 1894 ; Schebesta, 1934 ;
Joset, 1947), ils ont cependant un sentiment de mépris de la servilité et
l'esprit clanique plus développés que les Bira de la forêt (Constance-Marie).
La vie de ceux-ci est plus aisée et plus oisive que celle de ceux-là : en effet,
ils se contentent souvent du rapport de la vente de l'ivoire (Schebesta, 1934)
qu'ils échangent aux Pygmées contre des objets en métal tels que lances,
couteaux, etc.. (Schebesta, 1934).
10(5 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE PARIS

Les caractères étudiés

Ie Anthropométrie.

Les mensurations ont été prises selon les techniques proposées par
F. Twiesselmann (1952).
La moyenne de chaque caractère a été calculée ainsi que son écart-type
et son coefficient de variabilité.
Les différences entre les moyennes des échantillons de Bira de la savane
et les Bira de la forêt, ont été analystes par la méthode du t de Student,
avec la probabilité de 0,05 et 0,01.
Les caractères morphologiques suivants ont été mesurés : poids, stature,
hauteur de l'épine iliaque antéro-supérieure, longueur du tibia, longueur du
membre supérieur, longueur du bras, longueur de l'avant-bras, diamètre
biacromial, diamètre bicrète, diamètre thoracique transverse, diamètre tho-
racique antéro-postérieur, périmètre du cou, périmètre thoracique,
périmètre du bras relâché (étendu), périmètre du bras fléchi (contraction du biceps),
périmètre de la cuisse, périmètre du mollet, longueur maximale de la tête,
largeur de la tête, hauteur de la tête, diamètre bizygomatique, diamètre bigo-
niaque, hauteur de la face (nasion-menton), hauteur du nez, largeur du nez,
largeur bipalpébrale interne, largeur bipalpébrale externe, hauteur des
lèvres, largeur des lèvres, hauteur de l'oreille, largeur de l'oreille.
Plusieurs indices ont été calculés : indice céphalique, indice nasal, indice
facial, longueur du membre supérieur/stature, indice radio-huméral.

2° Groupes sanguins.

La détermination des groupes sanguins du système ABO a été effectuée.


Les fréquences géniques p q r en ont été déduites par la méthode de
Bernstein (1930) et leur représentation graphique est basée sur la méthode des
cercles équivalents de Stevens (1950) avec une probabilité de 0,80. Des sera
préparés par la Dade Reagent C° ont été utilisés.

3° La sicklémie (anémie à cellules falciformes).

Le diagnostic de cette affection a été effectué par examen microscopique


du sang.

Les échantillons.
Les individus choisis pour les mensurations morphologiques sont tous
des sujets masculins adultes, âgés d'environ 20 à 40 ans, en apparente bonne
santé.
Dr J. SPORCQ. LES BIRA DE LA SAVANE ET DE LA FORÊT 107

a) Bira de la savane.

Localités Nombre de sujets examinés

Anthropométrie Groupes sanguins Sicklémie


80 130 130
Irumu 90 130 130
Myankunde 30 40 40
Bangmc
200 300 300

b) Bira de la forêt.

Localités Nombre de sujets examinés

Anthropométrie Groupes sanguins Sicklémie


Banana 74 74 74
Koki 49 49 49
Bahaha 55 101 101
178 224 224

Analyse des résultats.

Toutes les dimensions longitudinales montrent des différences


hautement significatives entre les Bira de la savane et les Bira de la forêt, celles
des premiers étant toujours plus grandes que celles des seconds.
Les périmètres du cou, du bras fléchi, du mollet des Bira de la forêt
sont significativement plus grands que ceux des Bira de la savane.
Le diamètre biacromial des Bira de la savane est significativement plus
grand que celui des Bira de la forêt. Les autres diamètres thoracique et
bicrète ne diffèrent pas significativement.
Les dimensions faciales accusent une plus grande largeur et une plus
grande proéminence nasale chez les Bira de la forêt. Ceux-ci ont cependant
des dimensions des lèvres plus importantes (largeur et hauteur) que les Bira
de la savane. Parmi les indices, seul l'indice céphalique diffère
significativement en ce sens que les Bira de la savane sont légèrement plus
dolichocéphales que les Bira de la forêt. Le poids ne diffère pas significativement.
Nous avons comparé les valeurs des caractères morphologiques des deux
populations Bira aux populations Tutsi et Pygmées Mbuti. A cette fin, les
Bira de la savane ont été pris comme base de référence et sont représentés
par une ligne droite verticale joignant les points de référence pour chaque
caractère étudié. Chacune des autres populations est représentée sur le même
graphique par la ligne joignant les points situés à une distance égale au
quotient de la différence des moyennes par l'écart-type du caractère dans la
108 société d'anthropologie de paris

population Bira de la savane. On peut ainsi visualiser la position relative


des quatre profils les uns par rapport aux autres (fig. 5).
Les Pygmées et les Bira de la forêt ont des dimensions longitudinales
inférieures à celles des Bira de la savane, eux-mêmes inférieurs aux Tutsi.

Stature
Hauteur épine il. a. -s
Longueur tibia
Longueur membre su P-
Longueur bras
Longueur avant-bra s
Longueur tête
Hauteur face
Hauteur nez
Hauteur tête
Diamètre biacromia 1
Diamètre bicrète
Diamètre thor. tra nsv.
Diamètre thor. a. -p.
Diamètre 1 jizygomat ique
Diamètre 1 jigoniaqu e
Largeur n .z
Profondeu ■ nez
Largeur b palp, in t.
Largeur b palp. ext.
Hauteur 1
Largeur le vres
Largeur oi eille
Périmètre thoraciq ue
Périmètre cou
a bi ra savane
b bira forêt
Périmètre bras fié chi с pygmées efé(mbuti)
Périmètre cuisse d tutsi
Périmètre mollet
Poids
FlG. 5

II est à noter que la différence de longueur du membre supérieur est


proportionnellement moins importante que celle du membre inférieur.
Les périmètres des membres sont les plus bas chez les Pygmées. Ceux
des Bira de la forêt sont plus élevés que ceux des Bira de la savane et les
Tutsi ont des valeurs plus faibles que ces derniers.
Il est intéressant de constater que les caractères à faible composante
mésologique, comme la stature, accusent cependant des différences
significatives entre les deux populations Bira, avec une tendance à la convergence
des Bira de la forêt et des Pygmées, et d'autre part des Bira de la savane et
des Tutsi.
Dr J. SPORCQ. LES BIRA DE LA SAVANE ET DE LA FORÊT 109

Par contre, les périmètres des membres, pour lesquels l'incidence du


milieu est beaucoup plus considérable, différencient les deux populations
Bira dans le sens opposé à celui des dimensions squelettiques longitudinales.
Les dimensions squelettiques latérales, également fortement influencées par
le milieu, sont moins différenciées.

Tableau I
Moyenne + son erreur probable, écart-type et coefficient de variation de 37 caractères
anthropométriques chez 200 Bira de la savane et 1 78 Bira de la forêt. Test t de la différence
entre les moyennes (+ = 0,05 > P > 0,01 ; + + = P < 0,01).
Bira с e la sav ne Bira d e 1 э for et
Caractères M a v Ext rêmes M 0 j Extrêmes t
Poids [Kg) 53.21-0.46 6.61 12,43 40,0-69,1 52 51-0,50 6 17 11 ,75 34, 3-70,2 1,07
Stature (cm] 161.23-0,36 5.11 3,37 145, 5-175,6 158 03-0,46 6 17 3 ,90 141, 7-175,4 5,51 +
Hauteur épine iliaque a. -s. 92.65-0,27 3,63 4,13 83, 4-103.7 89 50-0.33 4 43 4 ,95 77, 7-102,0 7,50
Longueur du tibia (mni) 394,75^1,35 19,16 4,85 355 - 455 382 66-0,96 12 90 3 ,37 327 - 443 7,28 *
Longueur du membre supérieur 75,13-0,29 4,23 5,64 65, 4-88,3 73.17*0,31 4 17 5 .70 60, 6-63,8 4,97 *
Longueur du-j tiras
u immjt i (cm) 313,02-2.09 29,66 9.47 268 - 356 306 ,68-1,36 18 .21 5 ,93 251 - 357 2,53
Longueur de 1 avant~bras (mm) 266,74-1.00 14,16 5,30 230 - 305 261 ,65^1,09 14 .63 5 .59 224 - 300 3,43 *
i

'

2,06
Diamètre bicrète (mm) 246,97^0,85 12.04 4,87 219 - 287 244 ,97*1,02 13,63 5 ,56 211 - 284 1,51
246,64-1,48
transverse (mm)
antéro-post. [mm] 189,99-0,85 11,97 ,11-0,96
Périmètre du cou fmm) 335,02-1,02 14,54 4,34 302 - 369 340 ,93-1,57 21 ,03 6 .17 290 - 391 3,16 ♦
Périmètre thoracique (cm) 84,62-0,26 3,71 4,39 73, 2-95,6 63 ,B7*-0,31 4 ,26 5 ,08 70. 7-93,9 1,87
253.92-1.42 20,18 7.95
(mm) (mm) 277,62-0,64 9,09 3,27 234 - 345 283,25^1.66 22 .23 7 ,95 214 - 364 3,16
Périmètre du bras fléchi
30,05 6,36 400 - 556 373 1,79
Périmètre du mollet (mm) 320,95-1,47 20,92 6,51 270 - 375 325 ,62-1,82 24 .29 7 ,45 257 - 406 1,99

Largeur max. de la tête (mm) 145,42-0,33 4,69 3,22 131 - 160 146,39-0.35 4 75 3 24 134 - 158 2,10
Hauteur de la tête (mm) 123.22-0,30 4,32 3,50 122,23*0,47 6 34 5 18 106 - 137 1,80 -
Diamètre bizygomatique (mm) 138,33*0.33 4,75 3,63 128 - 151 138 69-0,39 5 33 3 84 126 - 152 0,72 -
Diamètre bigoniaque (mm) 98,11-0,19 2.70 2,75 82 - 112 95 51-0,66 8 81 9 22 82 - 109 3.88 ♦♦
Hauteur de la face (mm) 116,B1-0,46 6,51 5,58 98 - 133 116,24-0,43 5 76 4 95 100 - 136 0,91 -
Hauteur du nez (mm) 50,55-0,27 3,83 7,57 42 - 63 49 99-0,28 3 67 7 35 40 - 60 1.51 -
Largeur du nez (mm) 44,84*0,18 2,67 5,96 38 - 54 44 97-0,27 3 14 6 99 38 - 60 0,46 -
Profondeur du nez (mm) 23,61-0,17 2,51 10,65 15 - 30 24 50-0,20 2 78 11 36 19 - 36 3.42
(mm) ♦
Hauteur des lèvres (mm) 22,72-0,26 3,80 16,72 13 - 35 21 77*U,32 4 28 19,69 9 - 31 2.31
Hauteur de l'oreille (mm) 58,46-0,35 4,98 8,53 47 - 72 58 21-0,31 4 14 7 11 48 - 72 0,60
Largeur de l'oreille (mm) 35,09-0,19 2,77 7,69 27 - 44 34 33-0,22 2 95 8 61 26 - 44 2.92
Indice céphalique 77,40-0,21 3,09 3,99 68, 3-85,0 77 94-0,13 1 61 2 32 70. 3-87,5 2,34
Indice nasal 69,09-0,59 8.33 9,35 68.2-113,9 90 26-0,63 8 47 9 38 68,4-120,0 1,36 -
Indice facial 64,53-0,23 3,30 3,90 69,0-96.3 83,93-0,38 5 17 6 16 67,0»99,3 1,36 -
Indice radio-numéral 84,28-0,44 6.33 7,51 7" . 3-95,9 85,20-0,21 2 89 3 39 /1,8-95,9 1,91
110 société d'anthropologie de paris

Actions possibles des différents facteurs


susceptibles d'être responsables des différences constatées

Les dimensions de la population Bira qui s'est installée dans la forêt


convergent vers celles des Pygmées, et les dimensions de la population restée
dans la savane, vers celles des Tutsi ; par ailleurs, les Bira de la forêt sont
plus robustes que ceux de la savane. Nous ne pouvons expliquer ce
phénomène que par certaines hypothèses non vérifiables actuellement.
En effet, il nous faudrait comparer deux ou plusieurs générations
successives, et analyser scrupuleusement les mœurs sociales de ces populations
(nutrition, degré d'endogamie ou d'exogamie, étude du micro-climat, etc..)
pour pouvoir étayer ou infirmer ces hypothèses. Il est néanmoins important
de les énoncer dès à présent et de susciter par-là des recherches ultérieures.
Historiquement nous savons que les Bira sont tous issus d'une même
souche qui s'est scindée en deux groupes il y a environ trois siècles, lesquels
se sont installés, l'un dans la plaine, l'autre dans la forêt. Nous n'avons
malheureusement aucune mensuration de cette population-souche.
Issues d'un même patrimoine génétique, les deux populations ont pu
se différencier soit par métissage, soit par une sélection naturelle, soit par la
dérive génétique, soit encore par le résultat de mutations.

1° Métissage.

Nous ne disposons pas de données objectives relatives au métissage


éventuel des Bira. Les contacts avec les Pygmées, dans la forêt, semblent être
relativement rares, mais il arrive néanmoins qu'un homme Bira prenne
femme parmi les Pygmées. Celle-ci et les enfants issus de cette union sont
alors intégrés aux clans Bira. Il est cependant impossible de se faire une idée
de l'importance de ces mariages. D'autre part, le facteur nutritionnel a pu
être important et masquer l'effet d'un métissage.
L'analyse des fréquences gtniques responsables des groupes sanguins
ABO fournit un argument défavorable à l'hypothèse de métissage
systématique des Bira aux Pygmées.

2° Sélection naturelle.

Il est impossible de faire la part d'une sélection naturelle et d'une simple


accomodation au milieu. En effet, si le milieu a eu une action équivalente sur
tous les individus de la population, cette accomodation a pu ainsi réaliser
les mêmes effets que ceux d'une sélection naturelle. On aurait pu discerner
l'une de l'autre par l'observation d'au moins deux générations successives
séparées par un changement de milieu.
Le problème se pose identiquement pour les deux populations Bira.
En effet, le seul élément connu est leur origine commune. Mais les différents
Dr J. SPORCQ. LES BIRA DE LA SAVANEET DE LA FORÊT 111

auteurs qui décrivent leurs migrations en perdent la trace antérieurement


à leur arrivée dans la plaine de la rivière Semliki. D'aucuns les font provenir
d'une région de forêts située au sud-est des monts Ruwenzori, d'autres au
contraire estiment qu'ils viennent de l'Uganda après avoir traversé le lac
Albert.
Nous ne savons pas si cette population mère avait des caractères
physiques intermédiaires aux deux populations Bira actuelles, ou plus proches
de l'une ou de l'autre.
Il est donc impossible de savoir laquelle des deux s'est le mieux adaptée
au milieu où elle s'est installée et si l'une d'elles s'est davantage différenciée
de la souche dont elles sont issues.
Une accommodation n'exclut pas en tout cas l'effet d'une sélection
naturelle. Mais celle-ci n'est pas aussi rapide que celle-là et l'inertie, au sens d'un
retard dans le déplacement d'un optimum, a pu être plus grande pour
certains caractères que pour d'autres.

31 Dérive génétique.

La scission de populations mobiles en effectifs faibles amène une


probabilité de modification des fréquences géniques beaucoup plus grande que
celle de populations sédentaires. Sans connaître le degré d'exogamie des
villages Bira, on peut cependant constater que les contacts entre villages
sont moins aisés dans la forêt que dans la savane. Cela tient essentiellement
à deux facteurs : tout d'abord au milieu lui-même : les déplacements en
forêt tropicale sont beaucoup plus difficiles qu'en savane ; ensuite au mode
de vie : les Bira de la savane pratiquent l'agriculture à un degré plus poussé
que les Bira de la forêt, ce qui rend leur sédentarisme plus important, et
permet une concentration démographique plus élevée. Il est à présumer, sans
toutefois pouvoir y apporter de démonstration, que la dérive génique a pu
jouer un rôle plus prolongé dans l'évolution des Bira de la forêt que dans
celle des Bira de la savane.

4° Les mutations.

Leur taux est relativement constant dans les populations humaines.


Mais si l'effectif d'une population est faible, comme tel est le cas des Bira, il
est difficile d'imaginer que plusieurs mutations à action favorable aient pu
se produire simultanément en un si court laps de temps et réaliser les
différences actuellement observées.

Les courbes de fréquences (fig. 6 à 12)

Pour pouvoir comparer entre elles les courbes de fréquences des Bira
de la forêt et celles des Bira de la savane, le nombre d'individus
correspondant à chaque valeur a été exprimé en %.
112 SOCIÉTÉ D'ANTHROrOLOGIE DE PARIS
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Dr J. SPORCQ. LES BIRA DE LA SAVANEET DE LA FORÊT 113
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Dr J. SPORCQ. LES BIRA DE LA SAVANEET DE LA FORÊT 115

Les courbes tracées en trait plein représentent les Bira de la savane,


celles en trait interrompu les Bira de la forêt.
Certaines courbes ont une allure bimodale, ce qui peut faire penser que
l'échantillon que l'on croyait représentatif d'une seule population le serait
en réalité de deux. Un test (Défrise, 1952) permet de trancher ce dilemme :
sur un graphique, on porte en abscisse une des variables à distribution
bimodale et, en ordonnée, une autre variable à distribution bimodale. Si
l'échantillon a effectivement été pris dans deux populations à notre insu, le nuage
de points que le nouveau graphique comporte, aura deux concentrations

hauteur des lèvres

Fig. 12. — Courbes de fréquences, exprimées en %, de la hauteur


des lèvres des Bira de la savane (trait plein) et des Bira de la forêt
(trait discontinu).
autour de deux centres distincts, alors que si l'échantillon a été prélevé dans
une seule population, on n'observera qu'une seule concentration de points.
Ce test a été fait pour plusieurs variables dont les distributions avaient
une allure bimodale ; on n'a chaque fois obtenu qu'une seule concentration
de points autour d'un seul centre, dont les coordonnées sont les valeurs des
moyennes des variables envisagées.
En outre, et pour confirmer ce test visuel, nous avons refait tous les
calculs statistiques en considérant l'échantillon mesuré à l'est de Mambasa
(forêt). Les différences constatées ne sont significatives que pour quelques
caractères isolés ne permettant pas de les considérer comme provenant
effectivement de deux populations distinctes. Aucun des caractères hautement
discriminatoires n'est significativement différent entre ces deux échantillons
(stature, indice nasal, indice céphalique, indice facial, hauteur des lèvres).
Par contre, les caractères à forte composante musculaire montrent une plus
grande robustesse chez les individus résidant à l'ouest de Mambasa.
116 société d'anthropologie de paris

Donc, pour chacune des deux populations étudiées, l'échantillon global


des Bira de la forêt et celui des Bira de la savane ne représente que la
population en question, et aucune autre population n'est venue interférer à notre
insu.
Notons enfin la relativement grande variabilité des caractères physiques
chez les Bira de la savane et chez les Bira de la forêt. Le coefficient de
variabilité de ces derniers (6,33) est légèrement plus élevé que celui des Bira de
la savane (6,28).
Cette plus grande variabilité dans les caractères physiques des Bira de la
forêt, peut s'expliquer par le fait que ceux-ci vivent en plus petits groupes
que les Bira de la savane, et appuie l'argumentation en faveur de l'action
dynamique de la dérive génique et du rôle du fondateur.

Caractères qualitatifs a transmission génétique simple

1° Les groupes sanguins.


Les fréquences des groupes du système AEO ont été établies et étudiées
selon la méthode de Bernstein. Les lettres p, q, r représentent les fréquences
des gènes A, B, O.
Résultats :

Echantillon Phénotypes Fréquences géniques


Population
В АВ
1

О A P Ч r

,
Bira savane 300 39,33 30,00 23,00 7,67 0,211 0,160 0,630
'

Bira forêt 224 45,53 27,67 20,08 6,69 0,189 0,144 0,667
18,6 2,1
i

Bira (Jadin) 273 53,1 26,0 0,156 0,111 0,729


Mbuti (Jadin) 1.032 30,62 30,34 26,06 9,97 0,224 0,217 0,555
Pygmées (Julien) 1.013 28,73 34,15 26,32 10,59 0,257 0,206 0,536

Valeur de y2 (pour une probabilité de 0,80)

Bira savane Bira forêt Bira Mbuti Pygmées


(Jadin) (Jadin) (Julien)

Bira savane 0,6484 5,411 3,2977 3,719


Bira forêt 2,186 6,272 7,675
Bira (Jadin) 17,223 19,725
Mbuti (Jadin) 0,5497
Pygmées (Julien) . . —
Dr J. SPORCQ. — LES BIRA DE LA SAVANEET DE LA FORET 117

Valeur significative des différences

Bira Bira Bira Mbuti) Pygmées


savane forêt (Jadin) (Jadin) (Julien)

Bira savane — +
Bira forêt + +
Bira (Jadin) ++ ++
Mbuti (Jadin)
Pygmées (Julien) . . .
i

— : différence non significative.


+ : différence significative.
+ + : différence hautement significative.

La méthode de représentation graphique utilisée pour la présentation


des divers résultats est celle des cercles équivalents de Stevens, où chaque
cercle représente la population qui a comme centre la fréquence moyenne de
coordonnées v^^Tet v^^fT avec une prohabilité de 0,80.
On constate que les Bira de la forêt sont plus éloignés des Pygmées
que ne le sont les Bira de la savane. Les cercles représentant 80 % des
populations Bira actuelles se recoupent et celui des Bira de la forêt se
superpose partiellement à la population Bira examinée par Jadin (1935),
alors que les cercles représentant les populations Pygmées sont distants des
Bira et leurs centres se trouvent sur une droite perpendiculaire à celle
joignant les fréquences moyennes des Bira. Ces dispositions ne plaident certes
pas en faveur d'un métissage entre les Bira et les Pygmées.
La dérive génique a pu jouer un certain rôle dans la genèse de cette
différenciation. Nous ne connaissons pas les circonstances qui, au xvir3 siècle,
ont entouré la scission de la population mère et la migration d'une partie de
la population Bira. Nous ne savons pas, en effet, quel était l'effectif de la
population migrante, ni si elle était homogène ou si les individus étaient
apparentés ou encore si les migrants provenaient de la totalité du territoire
d'origine. La fréquence des gènes responsables des groupes sanguins a pu,
dans les deux populations filles, être différente de ce qu'elle était dans la
population mère. L'effet du fondateur a probablement été prépondérant dans
la genèse des divergences.

2° La sicklémie.

Sur les 298 sujets de la savane qui ont été testés, on décèle 52 sujets
atteints de sicklémie soit 17,44 %, soit encore une fréquence génique de
0,0872. Sur les 223 Bira de la forêt testés, il y a 30 sicklémiques, soit 13,45 %,
ou une fréquence génique de 0,0672.
Puisque la sicklémie ne représente qu'une variable indépendante, la
représentation graphique peut être. donnée sous la forme d'un segment de
118 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE PARIS

droite dont le centre correspond à la fréquence trouvée, de part et d'autre


duquel est tracé, avec une probabilité de 80 %, un segment proportionnel à
l'erreur standard (= A ' S ', où A et S sont les fréquences des gènes « normal »
et « sicklémique » sur les chromosomes homologues et n le nombre de sujets
examinés). Pour les Bira de la savane on trouve une ordonnée de
0,0872 ± 0,0115 et pour les Bira de la forêt : 0,0672 ± 0,0118.
Le y2 entre les deux populations Bira actuelles est égal à 0,595 pour une
probabilité de 0,80 et la différence n'est pas significative.
Ici encore, comme pour les groupes sanguins ABO, la fréquence du gène
sicklémique et sa variabilité dans la population Pygmée Mbuti (Van den
Berghe et Janssen), se distingue nettement de celle des populations Bira.

I I
0,05 0,06 0,07 0,08 0,09

I
0,10 0,11 0,12 0,13 0,14 0,15
Bira forêt
Bira savane
Pygmées Mbuti

Conclusions générales

Nous avons procédé dans cette étude à l'analyse des caractères


physiques à transmission héréditaire multifactorielle de deux populations
congolaises dont l'histoire nous affirme, à l'appui de nombreuses constatations
culturelles, ethniques, linguistiques, sociales, qu'elles sont issues d'une
même population.
Nous pouvons affirmer qu'actuellement ces deux populations, les Bira
de la savane et les Bira de la forêt, présentent une diversification
morphologique.
L'hypothèse d'une accomodation de ces populations aux milieux
différents dans lesquels elles ont vécu depuis près de trois siècles, et peut-être
d'une sélection naturelle concomitante, semble la plus vraisemblable
explication aux différences que l'on constate.
Le fait que ces différences réalisent une convergence des caractères
faiblement influençables par le milieu vers les valeurs morphologiques de
populations installées dans ces mêmes milieux depuis beaucoup plus
longtemps (Pygmées dans la forêt, Tutsi dans la savane), plaide en faveur d'un
métissage des Bira avec ces populations. Cependant, les profils des groupes
Bira étudiés ne sont pas systématiquement intermédiaires à ceux des
populations antérieurement en place, mais des facteurs d'accomodation (nutri-
tionnel notamment) ont pu masquer un métissage et réaliser une divergence
des caractères multifactoriels à forte composante mésologique. Cependant,
l'étude des caractères monofactoriels (groupes sanguins, sicklémie) semble
contredire l'hypothèse de métissage. Elle n'est, d'autre part, que très
faiblement appuyée par les habitudes sociales. En outre, l'organisation sociale et
Dr J. SPORCQ. LES BIRA DE LA SAVANEET DE LA FORÊT 119

culturelle de ces populations, leurs petits effectifs disséminés, aux contacts


difficiles eu égard aux caractéristiques du milieu (forêt équatoriale), invitent
à prendre en considération le rôle du fondateur et celui de la dérive génique.
Si ces derniers facteurs sont probablement sans action actuellement, ils ont
peut-être eu une importance plus considérable au moment des migrations de
ces populations, alors qu'elles n'étaient pas sédentarisées.
Sans exclure totalement le métissage, il apparaît que le facteur
prépondérant responsable des différences apparues entre les Bira de la savane et
les Bira de la forêt et leurs rapprochements des formes antérieurement
autochtones, soit l'accomodation au milieu et probablement une sélection
naturelle en voie d'installation.
Accomodation et sélection naturelle ont vraisemblablement vu leur
importance s'accroître de génération en génération, au détriment du rôle de
la dérive génique et de l'effet du fondateur, rôle éphémère mais primordial
lors des premières générations qui suivirent la scission et la migration.

Summary.

In this investigation, we have studied multifactor, hereditary, physical


characteristics of two Congolese populations which originated from the same
population. Their common origin is supported by cultural, linguistic and
social evidence.
These two populations, the Bira of the savanna and the Bira of the rain
forest, are at present diversified morphologically.
The hypothesis of adaptation of these populations to different
environments in which they have lived for nearly three centuries, and perhaps of a
parallel natural selection, would appear to be the most appropriate
explanation of the differences observed. The fact that these differences represent a
convergence of physical characteristics not easily influenced by the
environment for a much longer time (Pygmies in the forest, Tutsi in the
savanna), points to a cross-breeding of the Bira with these populations.
However, the profiles of the Bira groups which were studied are not
systematically in an intermediate position in relation to the profiles of the
population living there before, but it is possible that adaptation factors
(especially nutritional) may have hidden a cross-breeding and led to a divergence
of multifactor characteristics with a pronounced mesologic component. The
investigation of single factor characteristics (blood groups, sicklemia)
however appears to contradict the cross-breeding hypothesis, which is weakly
supported by observations of social habits.
In addition, the social and cultural organisation of these populations,
their widely dispersed small number and the fact that, because of the
characteristics of the environment (rain forest) contacts between groups are
difficult, lead to consider the role of both the founder and of genetic drift.
Although these latter factors are probably at present without effect, they
may have been a more important factor at the time of migration of these
populations, when they were not sedentary. Without totally excluding the
hypothesis of cross breeding, it appears that the preponderant factors
responsible for the differences that have arisen between the Bira of the savanna
120 société d'anthropologie de paris

and the Bira of the rain forest, and for the convergence of these groups
towards characteristics which were originally aboriginal, is the adaptation
of the environment and probably a natural selection.
The importance of adaptation and natural selection have very likely
increased from generation to generation at the expense of the role of genetic
drift and of the founder effect. These two factors were shortlived but
primordial for the first generations that followed the scission and migration.

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